Basketful of Heads | Nuit tranchante dans une Amérique corrompue

par Hauntya

L’horreur est un genre qui a toujours eu un franc succès depuis des décennies, comme en témoignent les nombreux films des années 80 à 90, ou même ceux de notre époque actuelle. Un genre qui est toujours en plein essor aujourd’hui : en attestent des œuvres aussi différentes qu’un poétiquement sinistre Orphelinat, une série de folk-horror comme The Third Day ou un jeu vidéo énigmatique tel que Little Nightmares II. C’est sur l’idée d’offrir un espace dédié aux comics et bandes dessinées horrifiques dans cette vague que Joe Hill a décidé de créer son propre label, Hill House Comics. C’est l’un de ses propres comics qui ouvre le bal de la traduction de la collection en France, avec Basketful of Heads. L’auteur (par ailleurs le fils de Stephen King) est d’ailleurs loin d’être à son premier coup d’essai, puisqu’il est déjà connu pour la série de comics Locke & Key et de romans comme Nosfera2 et Cornes.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire numérique par l’éditeur.

Un petit chaperon jaune à Brody Island, Maine

© DC Comics Black Label 2020 – © Urban Comics 2021 – © Joe Hill, Leomac

La première page d’introduction de Basketful of Heads se déroule sous une pluie battante, sur un pont. Un automobiliste s’arrête à côté d’une silhouette encapuchonnée d’un imperméable jaune portant d’une main une hache viking, de l’autre, un panier recouvert d’un drapeau américain. Le conducteur pose une question bien innocente : qu’est-ce qu’une jeune fille fait seule par un temps pareil ? Et que contient son panier ? Ainsi commencent les premières interrogations de l’histoire en guise de mise en bouche, avant de retourner en arrière pour commencer le véritable récit.

En 1983, June Branch, notre héroïne, est venue passer du temps avec son petit ami Liam, engagé comme flic saisonnier à Brody Island. Les couleurs, servies par le crayon de Leomacs, sont chaudes et lumineuses, comme pour illustrer ces étés qui n’ont pas de fin. Le timbre des dialogues sont d’ailleurs bien ancrés dans cette époque, avec un humour propre aux années 80, et des personnages dans le même ton. June est une jeune fille audacieuse, polie, parfois un peu superficielle, mais avec un bon fond, presque un cliché des blondes des films d’horreur qui se font tuer dès les premières minutes. Liam, lui, n’est qu’un apprenti flic, mais droit dans ses bottes, sérieux et honnête.

L’été idyllique se voit cependant vite perturbé par la fuite de quatre prisonniers faisant des travaux de réinsertion. Le chef de police envoie Liam dans sa maison, le temps de les retrouver, pour être sûr que quelqu’un de fiable puisse veiller sur sa famille. Or, alors que Liam et June veillent durant la nuit, c’est bien là-bas que les prisonniers vont décider de se rendre. En essayant de se cacher, June récupère au passage une hache viking, l’une des nombreuses antiquités collectionnées par le maître des lieux. C’est en se défendant – et décapitant – un des agresseurs qu’elle se rend alors compte que la tête du criminel est encore vivante. Ce n’est que le début des péripéties de notre héroïne, qui va partir à la recherche de son bien-aimé et retrouver, un à un, les différents prisonniers échappés… Et si des têtes tombent, cela ne les empêchera vraiment pas de continuer à parler.

 

Un slasher hommage aux années 80

Diverses influences se ressentent à la lecture de Basketful of Heads. Si, évidemment, l’imperméable jaune de June ne sera pas sans rappeler aux joueurs et joueuses de jeux vidéo une autre héroïne sans pitié évoluant dans une atmosphère angoissante (hello, Six!), le personnage du comics évoque aussi le petit chaperon rouge avec son panier. Mais pas uniquement avec ce simple objet : également parce qu’elle se retrouve confrontée à la cruauté et duplicité des hommes autour d’elle. Les meurtres pour se défendre entament l’enfance de June, jeune fille à peine adulte, dans sa quête pour sauver son petit ami, inversant les rôles habituels des contes de fées. Cependant, cela ne l’empêche pas de conserver par moments une naïveté et une sincérité touchantes, puisqu’elle continue à prendre relativement soin des têtes qu’elle sème sur son passage.

© DC Comics Black Label 2020 – © Urban Comics 2021 – © Joe Hill, Leomac

L’héroïne de Basketful of Heads, comme certains personnages féminins du genre horrifique, se révèle aussi plus complexe et plus attachante qu’il n’y paraît au début. Loin de la fille superficielle et apeurée qu’on aurait supposer, c’est elle qui va prendre les choses en main pour mener l’intrigue, n’hésitant jamais à se défendre, ni à faire preuve d’humour avec nombre de blagues sur les têtes et membres coupés. Le style du dessin, résolument ancré dans le style des comics des années 80 – et qui ne plaît pas forcément au premier abord – accompagne cette évolution de l’héroïne avec intelligence. De la lumière et de la sensualité de l’héroïne dans les premières pages, à partir de l’invasion domestique, on passe à des couleurs bleues plus grises et sombres, basculant vers l’horreur qui va faire toute la saveur du comics.

En lisant le récit, on pense aussi à des films comme Evil Dead, avec des choix de cadrage dans les cases presque cinématographique. Car le récit se vaut aussi dynamique que décomplexé, sanglant que ponctué d’humour noir, dans un ton qui respire les années 80. Une inspiration définitivement assumée, comme le prouvent les annonces des numéros suivantes du comics à chaque fin d’épisode, avec un encrage rappelant les pulps de l’époque. Sans temps mort ni pause, les péripéties de June s’enchaînent, entraînant révélation sur révélation, dessinant en filigrane une société américaine où la corruption se trouve en chacun des personnages masculins qu’elle croise, dessinant des vices et des thèmes encore d’actualité. Le drapeau américain déchiré ne recouvre pas le panier de têtes de June pour rien…

Le côté surnaturel de l’histoire, avec cette hache viking coupant des têtes qui restent vivantes, n’est pas véritablement expliqué, mais ne peut que faire penser à Mimir, dieu nordique de la sagesse décapité et dont la tête continue à parler grâce à Odin. June est loin d’être la pire personne qui aurait pu récupérer cet objet magique : elle progresse des vestiges de l’innocence vers une assurance plus adulte et plus raisonnée. Une évolution qui l’amènera à un choix final reflétant sa vision plus éclairée du monde après l’enfer qu’elle aura traversé, au bout d’une longue nuit d’horreur.

Adeptes de l’ambiance des années 80, des aventures décomplexées et entraînantes, Basketful of Heads est une belle découverte même si elle n’est pas renversante, affirmant son côté mauvais genre et lecture coupable, désireux de faire frissonner. Un très bon choix de lecture pour plonger dans un récit horrifique jouant avec les stéréotypes du genre, porté par une héroïne indépendante et forte tête comme Joe Hill sait si bien en écrire.

« Je désirais lancer une collection de bandes dessinées qui porterait au plus haut toute la richesse que recèle ce genre d’histoires, espérant y attirer les talents les plus rafraîchissants et enthousiastes qu’on puisse trouver, qu’ils soient issus des comics ou d’autres domaines d’expression. […] Nos chiens de guerre s’ébattront librement en conclusion de chaque numéro estampillé Hill House Comics. Songez-y comme un succulent petit caramel au beurre salé à savourer après le plat principal – si tant est que vos caramels soient en fait des globes oculaires enrobés de chocolat. » (Joe Hill en postface du comics)

© DC Comics Black Label 2020 – © Urban Comics 2021 – © Joe Hill, Leomac

  • Basketful of Heads est disponible en librairie depuis le 2 avril 2021 aux éditions Urban Comics, collection DC Black Labels.

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