Memory Card – Gintama | Sayonara l’agence à tout faire

par Reblys

2007. J’ai quinze ans, je suis en première. Je joue énormément à Pokémon, je rêve de devenir journaliste et…j’achète des mangas principalement lorsque je trouve la couverture jolie. A l’époque ma culture manga s’arrête à Dragon Ball, Yu-gi-oh! et Shaman King…et un peu Naruto. Il n’y a plus ou moins que Glénat et Kana qui éditent des mangas connus du grand public en France,  mais l’aura dont jouit Kana en publiant la quasi-totalité du shônen jump (Glénat avait tout de même One Piece) est incomparable à mes yeux de jeune weebos, et chaque nouvelle sortie du label au petit rectangle jaune est scrutée avec avidité par mes petits yeux de futur passionné de manga. Arrive ainsi sur nos étals une série qui parle de samouraïs et d’extraterrestres, avec un héros aux cheveux argentés drapé de blanc, qui se bat avec un sabre en bois. Fidèle à mes lubies de l’époque, j’achète le premier tome parce que la couverture est marrante, avec ce bonhomme sautillant incrusté dans l’espace.  Seize ans plus tard, 2023, j’ai trente-et-un ans, et c’est avec un sentiment d’émotions mêlées que je vois dans le rayonnage de la dernière librairie de mon coin, qui s’approvisionne d’un unique tome à chaque sortie, le 77ème et dernier volume de Gintama. Une œuvre entrée dans le Weekly Shonen Jump sur un malentendu, qui y est restée sur un coup de chance, et qui s’y est installée pour de bon grâce à son génie. Et elle a fait exactement la même chose avec ma vie.

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

Gintama c’est la série que j’ai suivi pendant le plus longtemps. J’ai à ce jour des séries plus longues (genre JoJo et ses 130 tomes, à l’aide), mais aucune ne m’a accompagné pendant aussi longtemps. Aucune œuvre de fiction ne m’a suivi pendant seize années. C’est littéralement la moitié de ma vie à l’heure où j’écris ces lignes. C’est colossal. Et quand un univers t’accompagne pendant aussi longtemps, il a forcément une place à part dans ton cœur. Il a forcément eu un impact sur ta vie, il a forcément inscrit une part de son ADN en toi. Et Gintama…c’est forcément un morceau de mon existence, pour la série elle-même et tout ce qu’il y a autour. C’est une influence majeure de mon humour, et un compagnon, pas toujours fidèle, de mon évolution de lecteur, de l’évolution du marché du manga en France, et de tellement d’autres choses que ça me semble important, à l’heure où la publication de cette histoire est enfin arrivée à son terme chez nous, de revenir pendant un moment sur les aventures de Gintoki, de Shinpachi et de Kagura au sein de l’agence à tout faire. Parce que ces seize ans d’histoire, c’est aussi seize ans de vie pour un grand manga, qui a du, par la force des choses, se contenter d’un petit public en France.

Bienvenue dans le Neo-Kabukichô

Gintama commence en nous décrivant un contexte historique hybride, et déjà délicieusement anachronique. L’intrigue prend place à Edo,ancien nom de Tokyo durant l’ère elle-même nommée « Edo ». Ceci nous placerait dans une époque féodale, entre les années 1600 et 1800. Pourtant cette ère Edo n’est pas tout à fait celle que nous connaissons, car des extraterrestres sont déjà arrivés sur Terre. Toutes sortes d’extraterrestres, qui ont amené avec eux leur culture et leur technologie, faisant passer Edo dans une modernité qui la fait, au final, énormément ressembler à notre époque contemporaine. Dans ce contexte le Shogunat, dirigé par le shogun Shigeshige Tokugawa tente tant bien que mal de s’accommoder de la présence extraterrestre, désignée sous le nom générique « Amanto », et de gérer dans le même temps la criminalité ambiante et les organisation terroristes visant à renverser le régime en place, accusé d’avoir vendu Edo aux Amanto. L’occasion de faire connaissance avec le mouvement Joi, avec à sa tête le mystérieux Kotaro Katsura, et avec le Shinsengumi (mythique milice du shogunat), dont le fameux vice-capitaine Tôshiro Hijikata (Oui oui Tôshiro) fait trembler les criminels de tout Edo à la simple évocation de son nom.

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

Et dans tout ça arrive Gintoki Sakata (et non pas Kintoki Sakata, l’un des quatre rois célestes du Bouddhisme). Trentenaire désabusé et désinvolte, en apparence bon à rien, mais tellement doué à l’épée qu’il est capable de résoudre à peu près n’importe quelle situation. Ce qui l’a amené à ouvrir « l’agence à tout faire de Gin-chan » qui, comme son nom l’indique s’engage à résoudre tous les problèmes des habitants du Kabukicho, quartier iconique de Tokyo (et donc d’Edo), réputé, en un mot comme en cent, d’être le quartier de tous les vices, où criminalité et débauche font partie du quotidien. Gintoki va rapidement croiser la route de Shinpachi Shimura, fils d’un maître de kendo dont le décès prématuré met ses enfants dans une situation délicate concernant leur survie. O-Tae, la grande soeur, doit travailler dans un kyabakura pour subvenir aux besoins du foyer, tandis que Shinpachi, trop jeune et trop inexpérimenté pour reprendre le dojo de son père, se retrouve à errer lui aussi à la recherche d’un moyen de subsistance. Un concours de circonstances va l’amener à être recruté par Gintoki au sein de l’agence à tout faire, pour le meilleur et pour le pire…Kagura quant à elle, qui sera la dernière partie du trio de protagonistes, est une mystérieuse jeune fille à la force et à l’appétit démesuré. Elle appartient à l’ethnie Yato, la race considérée comme étant la plus forte de l’univers, que l’on dit éteinte depuis que leur planète a été détruite. Ça vous rappelle Dragon Ball ? C’est normal. Vous commencez à effleurer du doigt ce qui fait tout le sel de Gintama : La parodie.

Un Gloubi-boulga cosmique

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

En effet je vous parle de références historiques et de figures connues de l’histoire du Japon, mais je dois vous avouer que tout ce background n’existe quasiment que pour être détourné et moqué. La dimension parodique de Gintama est omniprésente, et va se servir d’absolument tout ce qu’elle peut trouver de culture japonaise pour créer des blagues dont le niveau de débilité crève souvent le plafond. Du détournement du nom de figures emblématiques du folklore ou de l’Histoire du Japon, à la multiplication de situations tournant en ridicule un volume considérable d’œuvres mythologiques ou contemporaines, en passant par nombre de vannes sur tout ce qui constitue le quotidien japonais, Gintama ne respecte rien, et va tout mettre en œuvre pour nous faire marrer comme des baleines au milieu de ce setup de shōnen d’action. Il s’agit bel et bien, dans sa première vie, d’un gag manga. Un genre constitutif du manga moderne, mais moins populaire chez nous. Sans doute car l’humour japonais reste bien différent de l’humour occidental, et nécessite souvent une bonne connaissance de la culture japonaise pour saisir le fondement de ses blagues. Car Gintama, du moins dans ses 54 premiers volumes, est une vaste blague. Chaque chapitre est l’occasion de mettre les protagonistes de l’histoire dans des situations toujours plus absurdes, dans lesquelles chacun va révéler son côté le plus débile, ou au contraire le plus sérieux, afin d’appuyer des contrastes qui se révèleront absolument hilarants, les uns après les autres.

Mais ce n’est même pas là que tout le génie de ce manga va s’exprimer. Si je devais aller chercher sa plus grande force, ce serait du côté de sa diversité et de sa densité. En un peu plus de 700 chapitres, ce sont autant d’occasions  de nous emmener partout dans le Kabukicho et même bien au delà. C’est ainsi que l’on fera la rencontre de dizaines et dizaines de personnages (dont plus de 70 d’entre eux figureront sur les dos des volumes reliés), non seulement sur Terre, mais également dans l’espace, dans ces délicieux moments où Gintama se pare d’un inoubliable côté space-opéra (encore une fois parodique). La variété des situations est monumentale, et va piocher dans toutes les inspirations possibles, même les plus improbables. Un pique-nique durant le fleurissement des cerisiers qui tourne mal; un pyromane qui sévit le jour de sortie des déchêts à brûler (une spécificité de la société japonaise); l’investigation d’une usine de « Justaway », incompréhensibles jouets qui font pourtant fureur; l’attaque des « testicrobes », nés de l’hygiène discutable des membres du Shinsengumi lorsqu’ils sortent des toilettes; l’infiltration et le démantèlement de la secte du grain de beauté poilu sur le front, dont l’influence du gourou grandit dangereusement; la rencontre avec Gengai Hiraga, l’inventeur le plus réputé d’Edo et ses créations les plus iconoclastes; les rencontres avec les Oniwaban, troupe secrète de ninjas dont les préoccupations vont…vous étonner; l’installation de Hedoro dans le quartier, fleuriste de son état, dont les plantes extraterrestres vont causer de gigantesques problèmes d’allergies…et ce n’est qu’un infime fragment des histoires à la con qui vont se succéder tout au long de cette épopée durant laquelle Hideaki Sorachi, génie de la connerie et mangaka en constante progression tout au long de la série, donnera tout pour survivre à chaque nouvelle semaine, devant affronter le rythme surhumain de la publication hebdomadaire et les nombreuses crises hémorroïdaires (souvent mises en scènes également dans le manga). Et rien n’était gravé dans le marbre, car Gintama a bien failli ne jamais connaître le destin d’une série fleuve.

Saisir sa chance

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

En 2003, après quelques semaines de parution, Gintama ne déchaînait pas vraiment les foules. Et il me faut ici être tout à fait honnête : malgré tout l’amour que je porte à cette série, je dois reconnaitre que les premiers volumes étaient tout à fait moyens. Disons très classiques dans leur construction de shōnen manga d’action, au milieu des bagarres de sabres, que seul son univers parvenait à faire sortir du lot. Le début de Gintama est, en comparaison de ce qui a suivi, extrêmement sage. A tel point qu’on se demandait s’il était prévu qu’il soit un gag manga dès le départ. Logiquement, les votes en faveur de Gintama n’étaient pas légion, mettant l’œuvre sur la sellette. Et soudain, le coup du sort. Arrive la fin d’un mastodonte, le roi des mangas de l’époque : Yu-Gi-Oh ! L’aventure du roi des jeux se conclut après 38 volumes, et laisse un grand vide dans le Shonen Jump. Un vide qui retarde d’autant l’annulation d’une autre série, pour laisser le temps à une nouveauté de faire ses armes. Ces quelques semaines de sursis seront déterminantes pour Gintama, qui va réussir à trouver ce qui lui manquait: sa folie. Les personnages se débrident, la bouffonnerie et le grotesque atteignent de nouveaux sommets, et c’est sans doute ce qui a permis à Hideaki Sorachi de maintenir la popularité de son œuvre aussi longtemps. A présent la machine était lancée : On allait revenir à Gintama pour rire. Pour découvrir dans quel pétrin l’équipe de l’agence à tout faire allait se mettre cette semaine encore, et surtout par quelle pirouette ils allaient retomber sur leurs pattes, à grands renforts de bêtise et de calembours claqués au sol. Cela a permis à la série de prendre racine dans le cœur de nombreux fans, et à se voir être déclinée en tous les produits dérivés imaginables. Un animé bien sur, puis des dramas, des films, live et d’animation, des CD audio, des pièces de théatre, jeux vidéos, light novels, des goodies de toutes les formes et de toutes les couleurs. Indubitablement, Gintama était devenu un phénomène, et plus de 55 millions de volumes reliés seront vendus tout au long de la vie du manga. Pourtant, alors que le cap des 50 volumes avait été franchi, on sentait un certain essoufflement des ficelles humoristiques tirées par l’auteur. Des arcs scénaristiques paraissaient un peu forcés, et assez éloignés de l’originalité à laquelle la série nous avait habitué.es (Tous les personnages changent de genre, puis tous les personnages échangent leur corps avec d’autres…) Qu’à cela ne tienne, Sorachi-sensei prend une décision : Après quelques incursions d’arc sans gags, développés avec parcimonie et de manière assez discrète, l’histoire va entrer dans sa dernière partie, et celle-ci sera sérieuse. Extrêmement sérieuse.

Et soudain, Gintama est devenu un manga d’action. Un manga d’action extrêmement travaillé, qui s’appuiera sur un univers et un réseau de personnages et d’intrigues en expansion depuis des années. Les héros, ainsi que l’ensemble de leurs ennemis d’hier, deviendront des alliés. D’abord à travers la mise en scène d’un coup d’état au shogunat qui va progressivement dériver vers l’avènement de la plus grande menace à laquelle l’équipe à tout faire devra faire face. Et il ne s’agira pas du chaos provoqué par le remplacement du héros et du titre du manga, passant de Gintama à Kintama (double jeu de mot jouant sur le fait que « Gin » signifie « Argent » et « Kin », « Or », mais surtout sur le fait que « Kintama » signifie « Testicule »), mais bel et bien d’une entité présente en filigrane depuis le début de l’œuvre, et qui se révèle après plus de dix ans de publication. L’occasion pour Hideaki Sorachi de mettre en place de véritables enjeux narratifs sérieux autour de ses personnages, ainsi qu’un découpage et une narration que 50 volumes de blagues et d’histoires foutraques ont porté à une qualité dans la densité que j’ai vu dans très peu de mangas. On est pas loin des 12 cases en moyenne par page (ce qui est énorme) et tout reste particulièrement lisible. Très dense, mais très lisible, comme une histoire qui aurait atteint son plein potentiel, sa pleine maturité. Une histoire qui a pris son temps pour gagner confiance en elle-même et en ce qu’elle veut raconter (et qui nous a bien fait marrer en passant), mais qui a réussi à sortir de l’auto-dérision systématique pour proposer sur ses 20 derniers volumes un space-opéra dantesque où chaque personnage ira au bout de lui-même pour protéger ce qui lui est cher. Ce shift dans le ton de l’œuvre est majeur dans ce qui constitue l’identité de Gintama. Il en fait une série dans laquelle transparait, à la fois dans la forme et dans le fond, cette idée que la liberté est l’une des choses les plus précieuses. Et qu’il faut la chérir, l’encourager, la faire croitre. Y compris si cela implique un retournement du flow des évènements. Enfin, pas entièrement non plus. Malgré la transition vers un scenario beaucoup plus sérieux, Gintama reste malgré tout Gintama, et ne manquera jamais une occasion, lorsqu’elle s’y prête, de caler une petite succession de gags pour nous rappeler que, oui, Hideaki Sorachi fait ce qu’il veut, et que c’est comme ça qu’il a mené sa barque pendant seize ans.

Et en France alors ?

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

Gintama a été, et restera un phénomène au Japon. Au point que l’auteur, ayant mal géré la longueur de ses derniers chapitres, a pu bénéficier d’un rarissime traitement de faveur, en obtenant l’autorisation de publier la fin de son manga dans le Jump Giga, magazine annexe de la Shueisha, publié 3 à 4 fois par an, puis directement sur internet dans une application dédiée au manga. Il y a fort à parier qu’en France, l’œuvre n’aurait pas connu le même succès, et aurait même sans doute été annulée. En effet tout au long de sa publication, Gintama n’aura mobilisé que quelques milliers de lecteurs et lectrices à son lancement, qui se sont ensuite dispersés pour ne rester que quelques centaines à suivre les aventures de Gintoki et de ses compagnons. C’est toujours plus que quelques séries particulièrement confidentielles de l’éditeur Kana (je pense par exemple à Zettai Karen Children, série également très longue dont la publication des derniers tomes réunit un tout petit nombre de lecteurs et lectrices), mais cela reste bien peu, au point que dans les librairies, les tomes sont devenus, la grande majorité du temps, grands absents des présentoirs dédiés aux nouveautés. Ainsi, après avoir suivi les 33 premiers tomes de la série, je me souviens très clairement d’une longue pause dans mon suivi de celle-ci, après avoir du commander les tomes directement sur le site de l’éditeur, voyant à quel point ils étaient introuvables. A ce moment là les sorties entre les tomes s’étaient douloureusement espacées, atteignant quatre, voire six à sept mois de délai. On est à l’époque en 2013, 2014. Le marché du manga est déjà en expansion, mais les sorties ne sont pas encore à ce point nombreuses que les éditeurs doivent espacer les sorties pour des raisons de planning, et nous sommes très loin de la crise du papier et des imprimeurs qui nous touche depuis 3 ans, amenant parfois les sorties à être repoussées. Non, ce qui est arrivé à Gintama, c’est sans doute que les ventes n’étaient plus bonnes, au point de reléguer la série au second plan derrière d’autres sorties plus rentables. Me faisant craindre, à l’époque, que la série soit tout simplement annulée, faute de résultats.

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

Il y a peut-être aussi en jeu le travail de traduction et d’adaptation, sans doute colossal, nécessaire à l’édition en français de cette série. On l’a dit il s’agit d’une série très dense, non seulement en termes de nombre de mots, mais aussi en termes de gags et de jeux de mots à adapter. Lorsqu’Hideaki Sorachi fait référence à une célébrité du petit écran, à un phénomène de société resté cantonné à l’archipel, ou à un drama médiatique qui a secoué les tabloïds japonais, il faut soit trouver un équivalent sociétal en France, respectant le contexte et la saveur impliquée par la blague, ou placer un encart explicatif permettant de comprendre la référence, sans pour autant rendre la lecture trop lourde ou rébarbative. La tâche devient encore plus ardue lorsqu’il faut expliquer un contexte historique du Japon féodal, lorsque celui-ci est tourné en ridicule à travers des échanges lunaires entre le shogun Shigeshige Tokugawa et d’autres personnages de l’œuvre. Et tout ce travail en devient d’autant plus ingrat lorsqu’il faut s’y coller pour à peine quelques centaines de lecteurs et lectrices. Les traducteurs et traductrices qui se sont succédé sur Gintama se sont peut-être consolé.es en se disant qu’il s’agissait certes d’un petit public, mais d’un un public tout aussi curieux de culture japonaise qu’intéressé par les blagues de Sorachi-sensei, en ce que son manga, en parodiant tout ce qui peut l’être, nous en apprend énormément sur le Japon, son humour, son histoire et ses travers. Big up donc à Frédéric Malet, Pascale Simon, Rodolphe Giquel et Joachim Roussel, qui se sont sans doute tantôt arraché les cheveux, tantôt beaucoup amusé.es à travailler sur cet énorme délire jusqu’à son dernier tome.

Tadaima, et Sayonara l’agence à tout faire

2019. Après plusieurs années de pause, à la faveur du hasard, je découvre une librairie indépendante dans laquelle trône fièrement un exemplaire du tome 55 de Gintama. Touché, je l’achète, et même le libraire semble surpris. L’échange qui a suivi était si savoureux que je ne résite pas au plaisir de vous le transcrire, alors que je tend le livre au libraire pour l’acheter:
« -Ouah Gintama » (d’ailleurs ce fameux libraire disait « Djintama »)
-Ouais c’est cool que vous ayez la série ici, c’est rare !
-Oh ben en vrai on en prend toujours un dans les nouvelles sorties mais je crois que personne l’achète
-Ben écoutez, si vous voulez bien continuer pour les prochains tomes, je viendrai vous les prendre
-Ah bah Ok« .

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

Ainsi, j’avais remis le pied à l’étrier. En quelques semaines, je comble mon retard accumulé, du tome 34 au tome 53, et je repars pour plusieurs années de suivi de cette série si spéciale à mes yeux. Les publications étaient revenues à un rythme d’un tome tous les deux mois. C’était rassurant, Kana avait visiblement décidé d’aller jusqu’au bout de cette série. De respecter les gens qui avaient envie de la suivre jusqu’à la fin. Je vais me hasarder à une petite divagation un brin politique, mais je trouve ces histoires de petites séries confidentielles que l’éditeur décide de publier jusqu’au bout hyper touchantes. Dans notre société où l’on ne jure plus que par la rentabilité, la croissance les ventes et le calcul, voir de longues séries que seul.es quelques passionné.es continuent de suivre perdurer et se conclure envers et contre tout, ça me donne le sentiment qu’on ne vit pas que pour le pognon ici bas. Qu’il reste quand même un peu de passion et d’envie de faire découvrir à autrui des choses qui sortent de l’ordinaire pour lutter contre la standardisation des produits, le profit et l’aversion aux pertes financières. Non vraiment ça m’a touché de tenir entre mes mains le 77ème et dernier tome de Gintama, et de voir que celui-ci a bénéficié d’une couverture métallisée pour son premier tirage, comme pour dire merci aux fans de la première heure. Pour fêter avec eux la fin d’une époque. La fin de seize ans de voyage ensemble.

Et si ce long texte ne suffit pas à le prouver, je vais le dire à nouveau, ces seize ans de voyage ont été formidablement mémorables. C’est rare et précieux d’avoir un lien comme ça avec une œuvre, surtout lorsqu’elle se termine. J’ai grandi avec elle, j’ai ri avec elle. J’ai vibré avec elle. Et maintenant qu’elle est derrière moi j’ai envie de continuer à avancer, à découvrir, à être curieux des trucs étranges qui ne marchent pas chez nous. Pour lesquels il faut consentir à un effort d’adaptation, de compréhension. Ce genre d’œuvre avec laquelle on peut avoir comme une relation de franche camaraderie, qu’on est content de retrouver, et qui, lorsque vient le moment de se quitter, ne laisse que des bons souvenirs, qui rendent plus fort au moment de continuer séparément. Alors merci. Merci Gintoki, Shinpachi, Kagura, Sadaharu, O-Tae, Katsura, Elizabeth, Kondo, Hijikata, Okita, Hasegawa, Sat-chan, Takasugi, Sakamoto, Mutsu, Hata, Kyûbei, Bimbokusai, Hattori, Matsudaira, Gengai, Hedoro, Bansai, Umibozû, O-Tsu, Ayumu, Catherine, Matako, Tsukuyo, Hinowa, Tama, Shigeshige, Yamazaki, Ane, Mone, Gedômaru, Isaburo, Nobume, Ikumatsu, Tetsuko, Kamui, Mokichi le légendaire charpentier, les quatre piliers du Kabuki-cho, l’ermite du lac Toya, les habitants de Kabukicho, de Yoshiwara le quartier des plaisirs, les hôtesses de kyabakura, les hosts, les chasseurs de démons, les dieux de la mort, les chats errants, les soldats du Shinsengumi, les Yato, Ana Ketsuno la présentatrice de la météo, et tous les autres…

Et puis merci Hideaki Sorachi. C’est par rien d’avoir créé un monde dans lequel on aurait aimé rester encore un peu, même si ça fait seize ans qu’on le côtoie. Dans une vie, c’est presque unique.

© HIDEAKI SORACHI / SHUEISHA

  • Gintama est un manga de Hideaki Sorachi, terminé en 77 tomes. Si vous êtes vraiment chaud.es, vous pouvez aller les commander chez votre libraire favori.

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