Fermat Kitchen – Tome 1 | La rencontre de deux génies

par Anthony F.

Yugo Kobayashi est à l’honneur ces derniers temps chez Mangetsu. Du haut de son succès Ao Ashi, l’éditeur nous propose enfin les autres mangas de l’auteur. Il y a eu Short Peace que nous avons pu chroniquer récemment, mais aussi Fermat Kitchen, qui compte actuellement quatre tomes reliés sortis au Japon et dont le premier est arrivé en librairie en France en octobre 2023. Mélange de cuisine et de mathématiques, le manga nous emmène dans un monde à part, où l’on trouve la même envie de parler de passion et des sacrifices à réaliser pour maîtriser son art.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

La recherche de l’équilibre parfait

FERMAT NO RYOURI © 2019 Yugo KOBAYASHI / Kodansha Ltd.

Fermat Kitchen est la rencontre étonnante d’un chef étoilé et d’un petit génie des mathématiques. Si au premier abord, leur monde n’ont pas grand chose à voir, il faut bien avoir conscience que les mathématiques peuvent avoir une place importante en cuisine. Parce qu’il est question de proportions et de calculs entre les ingrédients et leur dosage afin de trouver le bon équilibre. Cette vision de la cuisine est au centre du récit, où l’on découvre Gaku Kidaka, le petit prodige, et Kai Asakura, le chef étoilé. Le premier est à un tournant de sa vie, remettant en question ses choix et ses capacités, alors qu’il vient d’échouer terriblement lors des Olympiades internationales de mathématiques. Le second, qui le rencontre par hasard, décèle chez lui de véritables capacités de cuisinier, et l’incite à rejoindre cette voie. Plutôt surprenant, le manga raconte cette rencontre inattendue entre deux hommes que tout oppose mais qui se réunissent autour d’une passion commune, même si celle-ci n’est pas encore pleinement consciente chez le génie des maths. Plutôt rythmé, le manga manque toutefois d’un peu plus d’allant sur la mise en scène, qui reste assez plan-plan, y compris lors des quelques planches où Gaku entre dans une forme de « transe » en goûtant un plat et en découvrant le fondement de sa recette, comme la découverte d’une solution à un problème mathématique. Mis en image comme quelque chose de quasi-mystique, ces moments ont tendance à se répéter dans ce premier tome et perdent de leur effet dramatique qui semble recherché.

Il y a toutefois quelque chose de très réussi, c’est la manière de Yugo Kobayashi, comme à son habitude, de raconter les drames humains qui se jouent. Si Gaku finit par découvrir la cuisine, c’est parce qu’il est ostracisé par le directeur de son école, convaincu qu’il a trahi ses pairs en échouant aux Olympiades. Un directeur à la figure maléfique, plus intéressé par les subventions et dons perdus à cette occasion qu’au bien-être d’un élève modèle. Peut-être caricatural, le récit n’en reste pas moins efficace, explorant un monde impitoyable où la passion se heurte à la réalité capitaliste d’un directeur qui veut s’enrichir. La cuisine devient un refuge, avec une certaine célébration des choses simples, comme en atteste sa première recette (des pâtes « naporitan », c’est-à-dire des pâtes avec du ketchup) qui lui permet d’intégrer ce monde. Si Gaku attise une certaine sympathie, Kai est plus en retrait dans ce premier tome, personnage plus énigmatique mais aussi plus farfelu, moins accrocheur. Mais c’est normal, on sent que l’histoire veut dans un premier temps s’intéresser au drame vécu par Gaku, et le moyen d’en sortir grâce à la cuisine.

La découverte d’une passion

FERMAT NO RYOURI © 2019 Yugo KOBAYASHI / Kodansha Ltd.

Comme l’autre œuvre phare du mangaka, Fermat Kitchen s’intéresse aux sacrifices réalisés par celles et ceux qui veulent vivre de leur passion. Au-delà de l’art, du goût et de l’umami, le manga raconte vite la difficulté de trouver la bonne recette, mais aussi la violence d’un monde qui ne laisse jamais de seconde chance. Le personnage de Kai est dans un premier temps montré comme un sauveur pour Gaku, l’emmenant dans le monde de la cuisine avec une certaine bienveillance. Mais rapidement celui-ci le met au défi, jouant le tout pour le tout, le moindre échec pouvant renvoyer Gaku chez lui, loin de ce monde impitoyable. Ce qui est montré comme une nécessité pour un chef étoilé d’un restaurant franco-japonais est aussi la reproduction d’une certaine réalité. On sait que le monde de la cuisine est au mieux difficile, au pire franchement problématique, et Yugo Kobayashi veille à ne pas trop l’idéaliser sur ce premier tome. Même s’il y a forcément un ton assez romancé, puisque l’on n’est pas dans un manga fondamentalement pessimiste. Au contraire, les efforts à fournir sont vus comme une bonne chose pour atteindre une maîtrise dont peu peuvent se permettre.

Si je ne suis pas complètement convaincu par un manga qui peine à trouver la bonne recette pour mélanger son récit porteur d’espoir (la cuisine étant émancipatrice pour Gaku) et son envie de raconter l’exigence de ce milieu au travers du personnage de Kai, moins empathique. Plus encore, c’est sa mise en scène qui manque d’un petit quelque chose pour me faire entrer dedans, avec des scènes qui tendent à se répéter et des planches certes solides, mais qui n’ont pas l’élégance et la fluidité que l’on connaît habituellement chez cet auteur. Fermat Kitchen a toutefois le mérite d’aborder le manga de cuisine sous un angle différent de celui que l’on voit habituellement, moins humoristique, moins orienté vers le foodporn, avec plutôt la volonté d’utiliser la cuisine comme outil pour raconter l’émancipation d’un gamin qui n’a jamais pu voir le monde autrement qu’au travers des mathématiques.

  • Le tome 1 de Fermat Kitchen est disponible en librairie depuis le 10 octobre 2023.

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