Ainsi soient-illes | Ni dieu, ni maître

par Anthony F.

Spécialisée dans les romans et novellas queer et inclusifs, YBY Éditions a lancé fin février sa nouvelle campagne Ulule proposant à la vente en avant-première ses nouveautés. Parmi celles-ci, Ainsi soient-illes, un étrange thriller de fantasy urbaine qui nous emmène au milieu… de l’apocalypse, catastrophe aux accents religieux où les anges censés sonner la fin des temps s’interrogent sur le bien fondé de leur rôle. Écrit par Auriane Velten, le roman est prévu pour mai 2024, et un peu plus tôt pour les contributeur·ice·s sur Ulule.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’une version presse par l’éditeur.

De la catastrophe à la réflexion

Tout commence très mal dans Ainsi soient-illes. Un attentat queerphobe a lieu, Récif y perd celle qu’elle aime. La violence et le choc qui s’ensuivent lui révèlent ce qui se cachait au fond d’elle : elle incarne en réalité l’ange Reshiel, qui doit sonner la première trompette de l’apocalypse. Une scène douloureuse et symbole d’un monde sur le point de disparaître, alors les autres anges de l’apocalypse s’éveillent et ne tardent pas à se rapprocher. Parmi ces anges Zach et Razika, qui doutent immédiatement de leur rôle dans l’apocalypse des écrits de Jean, se demandant plutôt si l’humanité ne mérite pas une seconde chance. Pourtant tous les signes avant-coureurs sont là : des pays qui sombrent dans le rejet et le fascisme, l’attentat queerphobe, la fin de l’IVG, ou encore l’existence de camps de décontamination LGBT, tandis que les guerres ne cessent de s’intensifier. L’humanité semble avoir provoqué sa propre perte, mais l’autrice s’engage dans une réflexion loin d’être inintéressante sur le sens d’un « apocalypse » qui viserait à punir une humanité qui a failli. Au travers de ses personnages, les trois anges, dont les origines diffèrent grandement (le geek parisien, la grand-mère algéroise…), mais aussi toute un galerie d’autres personnages que l’on découvre au fil de l’aventure, l’autrice montre les nombreuses facettes d’une question aussi spirituelle que très terre à terre. Parce que ça parle des conséquences de notre monde actuel, celui qui se laisse tenter par le rejet des autres, qui ne se soucie pas de l’avenir de la Terre, et encore moins de celleux qui seront là après nous. Les anges incarnent ce qu’il reste d’un progressisme férocement attaqué, des personnages queer aux origines diverses qui ne cadrent pas avec des sociétés réactionnaires.

La fin du monde a toutefois de forts accents occidentaux. L’apocalypse raconté est celui de Jean, avec une résonance chrétienne et un imaginaire qui oublie parfois de s’attarder sur ce qu’il se passe à l’est de notre monde. Si l’une des héroïnes, algérienne, référence sans cesse Allah ou encore le Dajjal, on sent malgré tout que l’inspiration principale du livre est à rechercher du côté de l’occident et de son rapport à la religion. Cela n’est pas forcément un problème, l’action se trouvant essentiellement du côté de l’Europe et de l’Amérique, avec une pointe d’Afrique du Nord (oui, le récit voyage beaucoup), néanmoins l’effort d’inclusivité du roman a tendance à se trouver limité par l’étendue géographique de son récit. Il aurait pu être intéressant d’aller un peu plus loin, par exemple à certains moments du récit où les anges s’interrogent pourtant sur un apocalypse qui s’éloigne des écrits de Jean. Mais en condensant son approche à une réécriture de l’apocalypse de Jean, Auriane Velten parvient à créer un ensemble très cohérent et un récit de fantasy qui ne manque pas d’intelligence. Les situations sont variées, très référencées, et sans chercher à choquer sans raison ; quelques scènes sont extrêmement violentes, psychologiquement (psychophobie, queerphobie, entre autres) mais aussi dans sa description très graphique de certains massacres. Cependant, l’autrice le fait à très bon escient, pour justifier le comportement et les réflexions de personnages en perpétuelle remise en question.

Déchéance de l’humanité

Ce qui m’a particulièrement accroché dans Ainsi soient-illes, c’est la capacité du livre à allier ses réflexions théologiques (et certainement blasphématoires, mais la religion ne relève pas de mon domaine d’expertise) à une véritable aventure. Derrière les nombreux dialogues où les anges se renvoient leurs craintes et leurs espoirs se cachent aussi de vrais moments de bravoure, des pages où l’autrice laisse aller son imagination à une action qui emprunte autant au thriller qu’au roman d’aventure, dans une espèce de grande enquête sur les véritables volontés divines. Certes, le style manque parfois de fluidité, la faute à des scènes d’action qui se racontent sur de très courtes phrases successives, plutôt hachées. Mais sa force réside dans l’écriture des dialogues, des émotions, des intérêts des personnages et de leur évolution au fil de l’histoire. L’ange duquel tout est parti, Reshiel, connaît un cheminement assez exceptionnel, du choc initial et du désespoir qu’il engendre jusqu’au final que je me garde de révéler. Il faut toutefois surmonter une première partie un peu moins prenante, à cause d’enjeux qui mettent du temps à s’installer.

Au-delà de l’aspect spirituel et religieux, Ainsi soient-illes est donc une aventure de fantasy plutôt bien rythmée, et tant pis pour les quelques réserves émises ici et là, parce que l’autrice trouve le juste équilibre en mélangeant son univers de fantasy et la religion à un travail d’enquête, dans un thriller où les anges se font enquêteur·ice·s, passant au crible des religions monothéistes suspectées d’avoir causé les malheurs du monde. Le roman monte crescendo, avec une belle intensité dans son dernier tiers qui laisse un très bon souvenir de la lecture. Pour son originalité et la défense de ses idées, sa capacité à adapter un texte religieux sous un angle capable de parler à plus de monde, et pour la sympathie inspirée par ses personnages.

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