Je suis leur silence | Une BD espagnole enthousiasmante

par Hauntya

Le scénariste et illustrateur Jordi Lafebre s’est fait connaître auparavant pour sa bande dessinée Malgré tout, une romance antéchronologique et son illustration de la série Les beaux étés. Pour la deuxième fois donc, l’auteur espagnol propose une œuvre qu’il illustre et écrit à la fois avec Je suis leur silence, un titre assez original pour en devenir intrigant, dès qu’on pose les yeux sur la couverture de la BD.

Récits enchâssés sous un soleil hispanique

© Je suis leur silence, Dargaud, Jord Lefebre, 2023

Eva Rojas est une psychiatre au fort caractère, indépendante et emplie de vie. L’une de ses anciennes patientes devenue amie, Pénélope, lui demande alors d’être sa personne de confiance lors de la lecture du testament de sa grand-mère (encore vivante). En acceptant l’invitation, Eva se rend bien compte qu’elle va croiser une famille complexe et un peu toxique, mais ne s’attend pas à ce qu’un meurtre soit commis… Et sur lequel elle va s’empresser d’enquêter.

Plongée chez les Monturos, Eva découvre vite que cette famille doit sa richesse et son influence à la fabrication du cava, mousseux espagnol, et à ses vignes réputées. Un assassinat lors de la lecture de l’héritage est donc loin d’être anodin. Mais ce qui fait le charme et l’intérêt d’une enquête – somme toute déjà vue – c’est bien la manière dont Jordi Lafebre choisit de nous la conter. L’histoire nous est racontée de manière enchâssée : c’est Eva, chez son propre psychiatre, un certain docteur Llull aussi pince-sans-rire qu’intelligent, qui raconte son arrivée chez les Monturos et les différents événements écoulés.

Et dans ce propre temps de narration, certaines situations entraînent chez Eva des souvenirs des femmes de sa famille : des échos, des similarités dans des familles maltraitées, amenant des flash-backs pertinents pour asseoir la psychologie de l’héroïne.

Une tonalité jubilatoire et des graphismes expressifs

Outre l’enquête policière dont on a envie de savoir le dénouement, Je suis leur silence se lit très vite durant sa centaine de pages, grâce à son ton frais et drôle. L’héroïne ne manque pas d’humour, avec un franc-parler et un sens de l’ironie acérés, ainsi que son habitude – et métier – de cerner les gens à tout prix. Son tempérament est aussi pétillant que déterminé, au point de la rendre parfois tête brûlée au-delà du bon sens. Autour d’elle, son amie Pénélope fait preuve d’une discrétion et d’une timidité naturelles dans cette famille où chacun a son ego bien placé. Les hommes – oncles de la famille – ont le mauvais rôle, imbus de leur personne et désireux d’hériter de la richesse familiale, les rendant aussi hypocrites que dangereux. Même si on trouve aussi d’autres personnages masculins, comme le docteur Llull, bien plus positifs. Cette galerie de personnages est variée, finement mise en scène entre les dessins clairs et fluides, et les dialogues jamais superflus, révélateurs du protagoniste croisé.

© Je suis leur silence, Dargaud, Jord Lefebre, 2023

De même, les souvenirs d’Eva sur les femmes de sa famille sont tout aussi déterminants. On retrouve, par leur biais, d’autres femmes qui ont été mises dans l’ombre par des maris, maltraitées, mais qui ont ensuite œuvré pour se sortir de leur situation et surtout survivre. Le parallèle est clair avec la famille des Monturos, d’autant que ces flash-backs ont une toute autre utilité que je ne dévoilerai pas, pour vous en laisser la surprise, vous voyez !

Aux personnages contrastés répond également l’ambiance hispanique et colorée du dessin. Les graphismes sont vivants, expressifs : ils contribuent à l’immersion dans cette bande dessinée qui devient pétillante par son ton et ses couleurs. On se sent en Espagne, à suivre cette enquête policière, on profite de la même température et du même ciel bleu que l’héroïne, les lieux sont vivaces et chaleureux. C’est une vraie réussite niveau illustrations, rendant la lecture particulièrement agréable.

Au-delà de son enquête policière rondement menée, c’est aussi un récit sur les violences et relations familiales qui se dessine, particulièrement avec la domination d’un monde masculin sur les femmes. Avec une pointe de psychologie, un fil secondaire sur la bipolarité et beaucoup d’humour, Je suis leur silence est conduit tambour battant, sans temps mort, avec un réel plaisir communicatif de la part de l’auteur. Alors, n’hésitez pas à vous laisser vous aussi embarquer par le charme de son héroïne, pour profiter d’une histoire extrêmement sympathique et d’une ambiance qui ramène un peu de soleil au milieu de l’hiver.

  • Je suis leur silence est disponible en librairie depuis le 13 octobre 2023 aux éditions Dargaud.

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