Memory Card – Silent Hill 2 | Récit de chair et de sang

par Hauntya

In my restless dreams, I see that town. Silent Hill. You promised me you’d take me there again someday. But because of me, you were never able to. Well, I’m alone there now… In our “special place.”
Waiting for you…

Un jour de juillet 2016, un après-midi ensoleillé, je termine enfin le jeu Silent Hill 2. La lumière et la chaleur dehors contrastent avec les brumes de la ville vidéoludique et pourtant, c’est la fin Leave que j’obtiens. Celle qui se termine elle aussi par un jour de soleil. Mon voyage aux côtés de James Sunderland, le héros de cet épisode, s’achève. Je ne me rends pas encore compte qu’il va marquer le début de beaucoup de choses.

On remonte le temps. Cette année-là, je ne sais plus quand, avec F-de-Lo, je découvre dans un bar à jeux vidéos la démo P.T. du Silent Hills qui ne sera jamais achevé. Puis je vois pour la première fois le film Silent Hill de Christopher Gans, à l’ambiance aussi oppressante qu’éthérée. Comme d’habitude face à un film d’horreur à l’époque, le moindre jumpscare, le moindre détail d’ambiance me tend et me terrorise. Pourtant, il y a une fascination qui reste. Qu’est-ce qui se cache derrière les brumes de Silent Hill ? Derrière ses monstres, derrière son culte bizarre, derrière Alessa ? Il y a des mystères dans ce film qui continuent à m’intriguer. À la fois pour cela et aussi pour m’aider à vaincre ma peur des films d’horreur, F-de-Lo m’offre le jeu Silent Hill 2, trouvé sur un stand.

C’est sur sa Playstation 2 et en sa compagnie que j’arpente pour la première fois la ville de Silent Hill. Mais j’avance très lentement. Je n’ai pas joué à un jeu vidéo depuis des années, d’ailleurs je ne pensais plus y rejouer du tout. Il me faut déjà un temps considérable pour simplement faire traverser à James la forêt qui mène à Silent Hill, me crispant et m’arrêtant au moindre craquement et bruit de monstre étrange, au loin. Rien n’apparaît encore pourtant. La quête est sobre. James a reçu une lettre de sa femme, Mary, lui demandant de la retrouver à l’hôtel du lac Toluca, où ils ont passé des vacances ensemble autrefois. Mais Mary est morte depuis trois ans. C’est impossible et pourtant, James est déterminé à la retrouver, à voir si elle serait encore là, de manière inexplicable.

Silent Hill 2 - Bienvenue à Silent Hill

© Silent Hill 2, Konami, 2001

Le temps passe et l’été arrive. Je récupère une Playstation 2 d’occasion pour continuer le jeu. Je reprends l’aventure là où je l’ai laissée. Ma trouille de toutes les atmosphères d’horreur me fait peiner à avancer. Je multiplie les sauvegardes, je soigne James à la moindre baisse de santé, j’évite les combats tout en me perdant dans la ville.

Silent Hill m’effraye et me fascine à la fois. J’ai un sursaut dès qu’un monstre me bondit dessus. Je mets parfois plusieurs minutes à juste avancer, intimidée par la radio grésillante annonçant un ennemi. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de regarder ici et là, les inscriptions sur un mur, les pages déchirées d’un journal. Je capte des mots, des notes au hasard, qui ne font aucun sens, qui semblent tellement détachés de l’aventure de James. Je croise des personnages – Angela, Eddie, Laura – qui m’ont l’air de naviguer dans un véritable brouillard. Leurs paroles sont toujours lentes, presque comme un écho plutôt que comme une vraie conversation. Ils ne répondent jamais directement aux paroles de James. Il y a dans l’intonation des dialogues un côté éthéré, lent, qui rend toute rencontre évanescente, décalée, irréelle. Je croise Maria qui séduit autant qu’elle intrigue, suivant James pendant une partie du jeu. Elle aussi n’est pas très claire. Personne n’a l’air lucide.

Je ne sais pas quoi penser de l’intrigue. Plus j’avance, plus la brume s’épaissit, tant dans ces ruelles abandonnées et labyrinthiques, que dans l’histoire. Les cinématiques s’enchaînent, des petites scènes, et pourtant, rien ne s’éclaire. La quête de James me paraît de plus en plus étrange, désespérée. Je m’accroche à des bribes pour comprendre ce qui se passe, j’essaye de percer cette atmosphère brumeuse rendue lourde par les sons mécaniques et lancinants de la musique.

Je ne suis pas sûre d’apprécier James Sunderland au début. Son but est touchant, oui. Mais à ses commentaires ici et là, il est vague, pessimiste, mélancolique. Parfois je me dis qu’il a un côté presque dépressif. Ses remarques sur les objets du décor ne sonnent jamais justes. Comme les autres personnages, il est dépassé par ce qui se passe dans cette ville. Et puis j’erre dans le jeu. Je le fais parcourir des rues, des immeubles aux portes verrouillées où errent les monstres, j’échappe à Pyramid Head avec lui, je vis les éprouvants et énigmatiques passages avec Maria à ses côtés. Je le protège des ennemis, je le soigne, je continue sa quête. Peu à peu, le lien se fait. Comme moi, il peine à saisir les méandres et la signification de l’intrigue. Il est irrité par Maria mais la protège. Quand il échoue à la sauver, je ressens un véritable abattement, autant que lui qui s’effondre à l’écran. Comme moi, il doit affronter ces rues où l’inconnu attend à chaque tournant, derrière chaque brouillard, où parfois le silence est plus effrayant et empli d’émotions que la musique. Je partage sa terreur, je m’oblige à aller de l’avant pour qu’il obtienne les réponses souhaitées.

L’empathie prend forme avec lui au fil de ces longues heures. Quand Silent Hill bascule dans sa réalité cauchemardesque, le jeu fait encore plus froid dans le dos. Les lieux s’imprègnent de rouille, de sang et de cadavres. Les murs délabrés et rouges paraissent respirer. Les mécanismes qui apparaissent rendent ce monde encore plus effrayant. Je passe d’une ville déserte à l’ordinaire inquiétant, à un monde organique, en décomposition, peuplé de monstres. L’obscurité percée par la lampe-torche de James semble dévorante, les angles de vue imposés par la caméra fixe font monter la pression et m’enserrent. Je me prends à apprécier ce côté macabre détaillé qui résonne avec une certaine beauté, presque une poésie sombre de chair et de sang. L’immersion dans le jeu est encore plus viscérale, troublée de bruits sinistres.

Silent Hill 2 - La chambe d'hôtel

© Silent Hill 2, Konami, 2001

Quand j’arrive au grand tournant de l’histoire, la grande révélation dans l’hôtel de Toluca Lake – mais pas encore la fin – comme James dans son fauteuil à l’écran, je suis assommée sur mon siège, je peine à affronter ce qu’il vient d’apprendre. Tout d’un coup, après l’avoir tant protégé durant des heures de jeu, je lui en veux profondément, je suis même en colère contre lui, je lui en veux d’avoir menti sur sa quête dans cette ville. Je lui en veux pour ses actes, pour cette confiance entre moi, la joueuse, et lui, le héros dont je devais prendre l’identité, comme s’il avait rompu le pacte qui nous unit dans cette ville malsaine. Je me sens trahie. D’ailleurs, dans mon inventaire, la lettre de Mary est devenue blanche, sans aucune inscription, comme si elle n’avait jamais existé. Malgré, tout, je continue. Parce que je veux savoir le fin mot de l’histoire.

Les événements de l’intrigue s’enchaînent. L’oppression promise par Silent Hill continue. Je vois James commencer à chercher une sorte de rédemption. Surtout, je le vois prendre un chemin avec bien plus de détermination qu’avant, alors que le purgatoire autour de lui devient palpable. Je descends un escalier ensanglanté et rouillé qui paraît sans fin, je saute d’abysse en abysse, comme pour rejoindre les derniers cercles de l’enfer. Je retrouve Maria, je retrouve Pyramid Head, je découvre le boss de fin qui a de multiples apparences selon la manière dont on joue au jeu.

« I was weak… That’s why I needed you… Needed someone to punish me for my sins… But that’s all over now. I know the truth. Now it’s time to end this. »

J’en ai voulu à James pendant un temps, mais quand la résolution arrive, je retrouve l’empathie et l’affection que j’avais pour lui, car il commence à accepter ses actes, à saisir que cette ville autour de lui est un reflet de ses démons intérieurs, où le moindre mot pourtant décalé avait une importance. Quand avec lui, j’écoute dans ce long couloir la dernière conversation qu’il a eue avec Mary, mon cœur se serre face à ce qu’il a dû endurer, en voyant sa femme dépérir jour après jour, suite à une maladie. Qu’aurais-je fait à sa place ?

Et quand la dernière scène arrive, alors que James quitte Silent Hill sous un jour ensoleillé, j’écoute la lettre de Mary à James, cette version complète de la lettre qu’elle a écrite, dont on n’a qu’un extrait au début du jeu. Cette lettre qu’il portait tout du long sur lui, mais dont la vérité nous était cachée. Cette lettre sur laquelle, je l’apprendrai plus tard durant mes recherches sur la licence Silent Hill, la doubleuse a pleuré après l’avoir lue. Sans surprise, c’est là que je verse des larmes, enfin. La lettre est tellement empreinte d’émotion qu’il est difficile de faire autrement, aussi douloureuse que porteuse d’amour envers James. Je vois sur l’écran James quitter la ville sans se retourner. Malgré la façon dont le jeu m’a brutalement fait reconsidérer le personnage, je suis soulagée de le voir quitter cet enfer poisseux. En vie, prêt à prendre un nouveau départ. Débarrassé de ses démons et du passé.

Et moi, je viens de prendre l’une de mes plus grandes claques de ma vie par une œuvre de fiction.

Silent Hill 2 - Descente en enfer

© Silent Hill 2, Konami, 2001

Dans l’univers de Silent Hill, j’ai trouvé une poésie macabre qui me hantera longtemps. Une volonté de refléter l’inconscient et les démons des personnages, en leur donnant corps sous la forme d’une ville monstrueuse. Un purgatoire où chaque lettre, chaque ennemi, chaque suggestion, clame par un biais détourné ce que le personnage veut se cacher à lui-même. Silent Hill, aussi oppressante que soignée dans ses moindres détails, ce purgatoire symbolique, c’est un coup de cœur qui me poussera à faire chaque épisode de la licence dans les années qui suivront.

Encore maintenant, James est l’un des mes personnages préférés du monde vidéoludique. Pour tout ce qu’il m’a fait ressentir au long de sa quête, pour la peur de l’horreur qu’il m’a forcée à combattre, pour les émotions contradictoires par lesquelles il m’a fait passer, pour le portrait qu’il offre d’un homme en proie à ses démons. Il m’a fait comprendre que l’univers horrifique le plus effrayant est celui qui reflète nos hantises humaines. Il m’a fait renouer avec le jeu vidéo et toute sa richesse, un loisir que j’avais abandonné depuis des années, faisant de l’horreur un de mes genres de prédilection. Il m’a inspirée dans mon écriture, il m’a fait affronter mes peurs, il m’a donné envie de retrouver dans d’autres œuvres cette étrangeté macabre qui tient autant du frisson que de la psychologie.

Il me faudra encore bien des recherches pour comprendre tous les mystères de Silent Hill 2. Je saisis tout ce qui n’était que suggéré grâce à cela. La dépression de James et sa quête me touchent alors encore plus. Je comprends que ce n’est que parce que je l’ai autant protégé dans le jeu, que j’ai obtenu cette fin en particulier, pleine d’espoir, une aube après les ténèbres. Je me rends compte de toute la noirceur des thématiques qui sont abordées par les personnages, de l’abus incestueux au harcèlement, de la culpabilité à l’acceptation, de la difficulté du deuil d’un être aimé. Et dans le même temps, je garde en mémoire cette impression de vague constant, cette sensation d’avancer dans le brouillard d’une intrigue où chacun fait sa propre interprétation, jusqu’à ce que les pièces du puzzle s’assemblent, jusqu’à cette scène dans la chambre d’hôtel.

Le générique défile. Le jeu retourne sur le menu. Après quelques instants, la cinématique « teaser » du jeu se relance. Je me rends alors compte de certains détails visibles grâce à ma partie terminée, qui étaient jusque-là dissimulés. Les scènes et mots prennent une toute autre signification. La musique « Theme of Laura » qui résonne, entre accords à la guitare et violons, expriment une profonde mélancolie dont je comprends maintenant le sens.

Une mélodie qui, encore maintenant, me serre le cœur quand je l’écoute. Elle a le don de me ramener à ce moment de révélation marquant du jeu, à James, aux longues heures dans l’horreur atmosphérique de Silent Hill. Et son énergie, au milieu de la tristesse des notes, m’incite aussi à aller de l’avant – à plonger dans la brume pour trouver un chemin jusqu’à l’aurore.

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