Short Peace | Ciné-club des cœurs brisés

par Anthony F.

Alors que sa série Ao Ashi voyait sa popularité décoller au Japon au rythme de sa publication à partir de 2015, Yugo Kobayashi était déterminé à continuer l’écriture d’un projet qu’il avait depuis longtemps, celle d’une histoire sur le cinéma. C’est ainsi qu’il a pu proposer, en parallèle, quelques chapitres de ce qui allait devenir plus tard en volume relié Short Peace, un manga de 2017 qui est arrivé le 25 octobre 2023 en France aux éditions Mangetsu en un seul tome.

Cette chronique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Passion commune

Short Peace est à l’image de ce que Yugo Kobayashi offre tome après tome avec son excellent Ao Ashi : un manga d’une générosité folle. Passionné par les relations humaines, les drames qui mènent à l’excellence et l’envie de prouver sa propre valeur, le mangaka transpose ses thématiques favorites dans une histoire lycéenne qui sent bon l’envie de bien faire. On y découvre un réalisateur-scénariste farfelu mais terriblement talentueux, une actrice traumatisée par son enfance devant les caméras, un apprenti caméraman à l’enfance brisée par un abandon, autant de parcours difficiles qui viennent trouver un sens dans une passion commune. Celle des images, du mouvement, des sentiments, de l’expression d’idées et de la célébration de l’humanité, autant de choses dans lesquelles peuvent se retrouver les passionné·es de cinéma, moi le premier, qui voit dans Short Peace l’expression d’un amour inconditionnel à un art qui rassemble tout le monde. Même celles et ceux qui ont l’habitude de cacher leurs émotions. Et Yugo Kobayashi montre cela, certes parfois avec une certaine maladresse, qu’il exprime notamment dans le personnage du réalisateur-fou dont l’absence de tact peut irriter, mais toujours avec une certaine bienveillance qui finit par l’emporter sur un récit qui n’a pas vraiment envie de mettre ses personnages en difficulté.

Au contraire, l’auteur y célèbre une sorte de force intérieure propre à chacun·e, qui parfois a besoin d’un coup de pouce venu de l’extérieur (en l’occurrence, un ciné-club lycéen) pour pouvoir s’exprimer. Le petit groupe se réunit un peu malgré lui, car toutes ces personnalités n’ont pas grand chose en commun, au sein d’un ciné-club où l’art et l’humanité s’entremêlent. En tentant de réaliser un clip ou un film, c’est leur part intime et sentimentale qui s’exprime et qui se dévoile, offrant un nouveau regard sur des personnages qui, au premier contact, n’inspirent pas toujours la sympathie. On pourrait lui reprocher toutefois de ne pas faire ce travail-là sur son héros, le jeune réalisateur, qui par son manque de tact dévoile les véritables intentions et émotions de ses partenaires, mais qui reste, et pardonnez moi l’expression, une sacré tête à claques jusqu’au bout de l’aventure. Cela n’empêche toutefois pas d’y voir une certaine envie de bien faire, au travers de quelques planches et quelques regards où l’on sent qu’il y a au fond de lui une certaine humanité qu’il ne traduit pas forcément dans ses mots.

L’art en dénominateur commun

L’une des qualités premières de Yugo Kobayashi, que l’on a décelée depuis longtemps dans Ao Ashi, c’est évidemment ces regards. Ces petits moments suspendus où il parvient à mettre dans l’expression et les yeux de ses personnages des sentiments qui peinent à être exprimés oralement. C’est l’une des forces principales de la narration par l’image de son manga phare, que l’on retrouve dans Short Peace, peut-être de manière encore plus forte, tant l’aspect dramatique et sentimental est important. Cette manière de faire, cette maestria dans l’évocation des sentiments nous prend à vif et permet à son manga de toucher, d’émouvoir, malgré des enjeux finalement assez insignifiants. Et je ne dis pas ça dans le mauvais sens du terme : il faut une certaine intelligence dans la narration pour donner de l’intérêt à l’ordinaire, au quotidien, à ce qui n’a pas d’enjeux qui engagent le destin du monde ou même d’une vie. Et c’est le type de récit qui fait beaucoup de bien, ceux où l’on peut trouver de l’intérêt et des grandes aventures humaines en ne racontant que la normalité, le quotidien de lycéen·nes qui n’ont pas beaucoup d’autres buts que de bien faire les choses dans leur ciné-club après les cours.

J’étais déjà absolument conquis par Ao Ashi et j’étais curieux de voir ce que Yugo Kobayashi était capable de faire en dehors de son manga de football, et je suis bien content de constater que je ne m’étais pas trompé en décelant déjà avec son récit phare, sa capacité à raconter l’humain. Comme il le dit lui-même dans un petit manga comique en fin de tome sur les origines de son histoire, il aime raconter des drames humains et cela se sent. Je le remarquais déjà avec son intérêt pour l’humain, les parcours et les difficultés plus que le football dans Ao Ashi, mais cela se confirme avec Short Peace où l’essence du cinéma, c’est-à-dire le fait de filmer des émotions, est utilisé comme excuse pour parler de parcours brisés, de force de groupe, de célébration des différences et des parcours atypiques.

© by KOBAYASHI Yûgo / Shôgakukan

  • Short Peace est disponible depuis le 25 octobre 2023 en librairie aux éditions Mangetsu.

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