The Third Day | Immersion théâtrale en folie païenne

par Hauntya

Co-produite par Felix Barrett et Dennis Kelly (Utopia) pour HBO et Sky Atlantic, The Third Day est une étrange mini-série composée de deux parties, chacune comportant trois épisodes. Mélangeant le thriller, le folk-horror et l’intimiste, tournée en 2019, la série est d’abord prévue pour une diffusion en mai 2020 avant d’être repoussée à l’automne suite à la pandémie de Covid-19. Finalement diffusée en septembre et octobre, The Third Day se révèle atypique par son histoire, sa mise en scène, nous plongeant dans un univers flirtant avec le surnaturel et où la nature est omniprésente.

Été : « Je suis un étranger sur une terre étrange »

La série débute avec Sam (Jude Law), plongé dans une mystérieuse conversation téléphonique. Errant dans la forêt, en proie à une profonde tristesse, il tombe par hasard sur une jeune fille sur le point de se suicider. La sauvant de justesse, il décide de la ramener sur l’île où elle habite, Osea. L’endroit n’est accessible qu’à certaines heures de la marée par un chemin sinueux, la rendant coupée du monde. Bien vite, Sam se rend compte que la population d’Osea est à la fois accueillante et inquiétante ; il est victime d’étranges visions. Bien qu’on ait besoin de lui à Londres, il se retrouve incapable de quitter l’île, inexplicablement attiré par cet endroit qui pourrait apaiser ses démons intérieurs…

© The Third Day, HBO & Sky Atlantic, OCS, 2020

La première partie de The Third Day, Été, nous laisse durant ses trois épisodes dans une rêverie ambiguë, entre fascination et interrogations. La population d’Osea paraît accueillante, quoique bizarre : de drôles de gens pourtant généreux, suivant des traditions anciennes, cherchant à établir un festival mettant à l’honneur le passé païen et religieux de l’île, « Esus et la mer ». Sam se retrouve vite fasciné par l’ambiance si particulière qui règne au sein de l’île, comme si la modernité n’y avait jamais vraiment pénétré, et où la rudesse des habitants cohabite avec une entraide et une foi profondes. Il y rencontre aussi l’historienne Jess (Katherine Waterstone), déjà venue sur l’île à plusieurs reprises, et elle aussi séduite par la population d’Osea.

Osea est-elle véritablement un lieu aussi mystique que les habitants la décrivent ? Surnommée l’âme du monde, c’est un lieu de sel et de terre, en équilibre et qui, si l’île tombe « malade », rend le monde tout aussi vicié. L’inquiétant accueil des habitants, taiseux et aux visages fermés, peut virer en scènes de fêtes où chacun boit, mange et rit avec tout le monde, sans aucune distinction. Comme Sam, on se retrouve attiré par Osea, on est immergé avec lui dans cette étrange terre où le moindre bruit respire et s’amplifie, où les arbres paraissent vivants, où la mer est aussi bien une barrière qu’un lieu de purification.

© The Third Day, HBO & Sky Atlantic, OCS, 2020

Tout, dans cette première partie de The Third Day, évoque un rêve lucide, étrange, charmant et effrayant, où se mêlent une nature toute-puissante et son revers païen : d’étranges rituels sanglants mettant en scènes des animaux et des hommes affublés de masques, ainsi que des coutumes aussi effrayantes que symboliques. Les images religieuses traditionnelles qui en ressortent sont détournées, approfondissant encore plus l’étrangeté qui ressort de la série, nous mettant aussi mal à l’aise qu’elle nous intrigue, nous poussant à continuer les épisodes dans l’espoir de comprendre enfin ce qui se trame.

Car ce que ressent Sam sur cette île, c’est de l’angoisse mêlée pourtant à un espoir plus fort que la terreur qu’il éprouve. Jude Law livre une interprétation sublime pour livrer à fleur de peau les émotions de son personnage, tiraillé entre le deuil douloureux d’un enfant et la profonde colère qu’il en éprouve. Sur cette île qui pourrait peut-être le guérir, il espère trouver des réponses, un apaisement. Mais peut-on parler d’une forme de sérénité sur Osea où les faux-semblants règnent, magnifiquement incarnés par le couple d’aubergistes, les Martin (Paddy Considine et Emily Watson, mémorables) ? Ils se révèlent tour à tour rassurants, glaçants, manipulateurs et sincères. Car tout dans la série tient aux silences, aux images de la nature sauvage et déchaînée, aux mots à demi-suggérés, aux regards, à ce qu’on voit et ce qu’on parvient à interpréter, dans la quête d’un personnage principal qui semble descendre vers la folie au gré des trois épisodes. « Été » n’est pas qu’une intrigue surnaturelle, c’est aussi l’histoire d’un père en deuil et de la manière d’accepter la perte d’un enfant, mais il serait dommage d’en spoiler davantage.

Une ambiance aussi hypnotique ne peut que fasciner, rendant cette première partie réalisée par Marc Munden terriblement immersive, entre le rêve et le cauchemar, mais surtout avec ce sentiment qu’on voit une série imprévisible. Le côté éthéré, mystérieux et mystique (qui n’est pas sans rappeler le film Midsommar, lui aussi atypique et parlant d’un culte païen) peinera sans doute à convaincre les impatients désireux d’explications. Mais pour ceux qui accepteront de se laisser porter par cette mise en scène aux allures de rêve éveillé, par ses arrière-plans flous mettant en valeur une caméra intimiste, par ses suggestions et ses visions parfois horrifiques, alors ce segment « Été » promet de magnifiques scènes flirtant l’hallucinatoire, portées par des acteurs totalement investis, et qui restent longtemps en tête.

Automne : Un jour sur l’île

Si The Third Day peut aussi se comparer à un OVNI dans le monde des séries, c’est qu’entre sa première et deuxième partie, le 3 octobre 2020 à 10h a été diffusé un épisode live, conçu comme une pièce de théâtre immersive. Sans le contexte de pandémie due au Covid-19, les spectateurs auraient pu venir sur la véritable île d’Osea pour assister en direct à cette immense pièce de théâtre, pour vivre au milieu des habitants de l’île les événements suivants de l’intrigue. A la place, a donc été diffusée un live event sur Facebook, d’une durée de 12h, tourné comme un plan continu avec quelques manipulations pour essuyer notamment la buée ou la pluie sur la caméra.

© The Third Day, HBO & Sky Atlantic, OCS, 2020

Considéré comme le jour du festival Esus et la mer, l’épisode d’Automne propose de partager la tradition annuelle d’Osea. Un jeune garçon doit affronter des épreuves semblables à celles de Jésus pour devenir enfin un homme, accompagné de tous les habitants de l’île ; et certaines années, si Osea a besoin d’un nouveau leader, ce dernier doit également subir ces rituels. C’est donc Sam, toujours prisonnier de l’île, qui s’y retrouve confronté pour devenir le nouveau chef de la communauté. L’étrange expérience de The Third Day devient encore plus prégnante et immersive, la caméra se baladant ici et là pour capturer des moments du quotidien, où il ne semble parfois pas se passer grand-chose à moins d’observer, passant sur la foule comme un personnage à part entière, mais aussi sur des protagonistes précis et déjà vus. Les épreuves de Sam deviennent terribles, la performance de Jude Law donnant à éprouver toute l’intensité de cette expérience et la difficulté du chemin de croix qui lui est imposé. On y voit même une brève apparition de Florence Welsh (Florence + The Machine), pas si inappropriée que cela.

Bien que je l’admets, je n’ai pas (encore) eu le courage de me lancer dans cet épisode de douze heures, me contentant d’une version condensée de moins de deux heures, cette expérimentation entre théâtre et télévision est sans doute unique en son genre, subissant les caprices de la météo lors du tournage, bloquant parfois les acteurs et techniciens selon les heures de la marée. Elle achève d’immerger totalement le spectateur dans un univers mystique. Elle donne corps à une communauté vivant loin de tout, accrochée à ses coutumes celtiques anciennes et plongée dans une foi inébranlable, donnant un sens à leur existence face à une modernité effrayante qui pourrait effacer l’héritage de leur Histoire.

Hiver : Une résolution plus classique

La seconde partie « Hiver » réalisée par Philippa Lowthrope commence avec une toute nouvelle intrigue, semble-t-il. Une femme du nom d’Helen (Naomie Harris) emmène ses deux jeunes filles sur l’île d’Osea, comme cadeau d’anniversaire pour son aînée, Ellie. Mais la location qu’elle a réservée se retrouve soudain indisponible, et personne n’accepte de les loger sur l’île. Loin du séjour espéré, ce voyage va vite basculer devant l’hostilité des habitants et la catastrophe qui semble poindre…

© The Third Day, HBO & Sky Atlantic, OCS, 2020

Cette seconde intrigue, un peu déstabilisante au début, est néanmoins reliée à la première, comme la fin de l’épisode 4 le dévoile. Mais comme Sam, la petite famille se retrouve vite coincée sur Osea malgré son désir de partir, et est embarquée dans une scission interne à la communauté. Si les épisodes sont eux aussi animés d’une certaine tension, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver cette deuxième partie moins bonne que la première, en dépit de l’excellent jeu des nouveaux acteurs, et des autres toujours présents de la communauté de l’île. L’intrigue y est en effet plus classique, dans le schéma d’une mère prête à tout pour protéger ses enfants, avec des réponses données plus facilement que durant l’Été. Hiver dessine une symbolique plus explicite, plus prévisible et moins horrifique, moins emplie de ces visions surnaturelles et hallucinatoires contribuant à une atmosphère déroutante. Mais certaines visions, détournant encore une fois la religion, n’en sont pas moins terribles.

Par ailleurs, cette deuxième partie permet d’en apprendre un peu plus sur Osea, ancrant l’histoire dans la véritable Histoire. L’île a en effet véritablement été un centre de traitement pour les drogués et opiomanes en 1903, grâce à Frederick Nicholas Charrington, considéré comme le père fondateur de l’île dans la série, et soupçonné historiquement d’être Jack l’Eventreur. Les dieux vénérés par la population, comme Esus, appartiennent véritablement à la mythologie celtique. Cependant, Osea est à l’heure actuelle surtout un lieu où des musiciens peuvent se rendre pour enregistrer leurs albums, après avoir accueilli un centre médical de 2005 à 2010.

Mais pour en revenir à ce segment Hiver, là où la première partie laissait une large place à la lenteur, aux sons, aux couleurs et aux lumières, la mise en scène se fait plus resserrée, plus dirigée, comme un retour à la réalité, une volonté d’être ancré sur terre par rapport au segment avec Sam. On perd de l’étrangeté et de la folie de l’Été, pour basculer dans une atmosphère plus réaliste et moins floue. L’axe de Helen, s’il tourne toujours autour de la culpabilité et de deuil, montre une direction opposée à celle de Sam, préférant la résistance et la volonté d’avancer à la fuite.

Pourtant, Osea ne perd rien de son surnaturel, ou de la force de sa communauté. Rien de sa puissance non plus : certaines péripéties sont toujours aussi fortes, et certains personnages, comme Jess (excellente Katherine Waterstone) subissent une évolution renversante, les rendant encore plus glaçants. La cruauté des gens de l’île, nécessaire pour la survie de leurs traditions, paraît d’un naturel terrible. Et cependant, au moment où on pourrait croire que tout a une sortie de logique rationnelle, surviennent encore des choses inexpliquées, prolongeant l’atmosphère mystique de l’île d’une façon trouble impressionnante. Une ambiance soulignée par la magnifique musique de Cristobal Tapia de Veer, entre mélopées, murmures, violons inquiétants et rythmes incantatoires.

Plongée spirituelle, hallucinatoire mais aussi profondément intimiste avec des acteurs filmés à fleur de peau, The Third Day a su me séduire par ses non-dits, par l’évocation de son atmosphère, par son immersion au sein d’une nature sauvage et isolée. La série reflète aussi la douleur d’une perte, parle de la culpabilité, du deuil, de la difficulté des relations parents-enfants. L’histoire du culte fictif d’Osea, placé dans un lieu bien réel, a un véritable charme horrifique qui ose ne pas tout expliquer, laissant le spectateur avoir son propre ressenti sur cette île comme le cœur du monde. J’y ai surtout trouvé une série aux ressorts inhabituels, sortant des sentiers battus et osant quelque chose de différent, qui n’était pas sans me rappeler l’atmosphère lancinante et tout en suggestion de la licence vidéoludique Silent Hill. Et j’espère, malgré l’étrangeté de la série, que vous y trouverez vous aussi une expérience sortant de l’ordinaire.

  • La série est disponible sur OCS France.
  • La partie 1 et la partie 2 de la partie Automne sont sur le Facebook d’OCS en VO ; une version condensée en VO sous-titrée française est disponible sur le Youtube français d’OCS.

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