The Diplomat – Saison 1 | L’art de la diplomatie

par Anthony F.

Le nom de Debora Cahn n’évoque pas forcément grand chose au public, pourtant elle est l’une des scénaristes et productrices les plus remarquées dans le genre de la série politique. Entre Homeland mais aussi et surtout À la maison blanche (The West Wing), qui reste l’une des plus grandes séries du genre, elle a contribué à quelques uns des plus grands succès de ces vingt dernières années. A tel point que Netflix a débarqué pour lui proposer de créer leur nouvelle série politique, et c’est ainsi qu’est née The Diplomat, avec Keri Russell (The Americans) en tête d’affiche.

Un occident nourri par la guerre

ALEX BAILEY/NETFLIX – © 2023 Netflix, Inc.

The Diplomat raconte l’urgence. Celle subie par une diplomate américaine qui se retrouve propulsée malgré elle à la tête de la mission diplomatique au Royaume-Uni. L’ambassadrice incarnée par Keri Russell n’aurait jamais dû se trouver là : diplomate de carrière, elle s’est faite un nom au sein de la diplomatie américaine en intervenant sur des dossiers compliqués au Moyen-Orient, entre la guerre en Irak et en Afghanistan. Femme de terrain, elle se trouve pourtant nommée du jour au lendemain dans un poste qu’elle n’estime que peu, pensant que celui-ci se limite à des réunions politiques et à sourire sur des photos, alors qu’elle était sur le point de partir en mission à Kaboul pour quelque chose qui la motive autrement plus. Cette nomination surprise, qu’elle ne veut pas mais pour laquelle on lui fait vite comprendre qu’elle ne peut pas refuser, cache autre chose : en réalité, un scandale est sur le point d’éclater autour de la vice-présidente des Etats-Unis qui va alors être débarquée. Désireux de s’acheter une image positive auprès des électeurs, le président jette son dévolu sur la nouvelle ambassadrice qui pourrait cocher toutes les cases de la vice-présidente populaire, pour son expérience et son intelligence, et sans danger pour lui car elle n’a aucune ambition politique. La nomination en tant qu’ambassadrice apparaît ainsi comme un moyen pour juger de son comportement politique. Mais évidemment, la série laisse la diplomate dans le flou, alors que se dessine en toile de fond une autre urgence.

Cette autre urgence est celle d’une guerre qui se dessine, un navire britannique ayant été coulé dans le Golfe persique par une torpille qui est rapidement attribuée à l’Iran, créant une immense crise diplomatique entre le Royaume-Uni et l’Iran, mais surtout les Etats-Unis et la Russie, alliés historiques de l’un et l’autre protagoniste de l’affaire. La série manie avec beaucoup d’intelligence tout le discours diplomatique et la prise de décision, elle s’avère en effet plutôt bien documentée et conforme à ce que nombre de diplomates ont pu raconter par le passé sur ces situations de crise où des conflits majeurs se sont parfois évités grâce à quelques discussions et coups de bluff bien placés. Il y a quelque chose d’extrêmement savoureux à voir Keri Russell, absolument formidable dans son rôle, jongler entre un président américain va-t-en guerre, un premier ministre britannique qui veut balancer une bombe nucléaire sur tout le monde pour paraître fort et son mari, ancien ambassadeur qui ne supporte pas d’être dans l’ombre. Ce récit de guerres intestines au sein de gouvernements où personne ne s’entend, de politiques qui rêvent de guerre pour s’attirer des faveurs électorales et cette histoire d’ennemi désigné qui arrange tout le monde s’inspire évidemment du passé politique récent des Etats-Unis. Difficile de ne pas voir les prémices de la guerre en Irak en 2003 dans cette recherche d’un coupable que l’on désigne sans trop de preuves, avec une série qui est d’une sévérité assez formidable contre un bloc américano-britannique qui s’est nourri de la guerre pour satisfaire ses intérêts politiques, mais aussi économiques, au mépris de la stabilité de régions entières. Notons d’ailleurs que la série cherche à s’inscrire dans l’actualité, en mentionnant par exemple la guerre en Ukraine.

Intelligence diplomatique

ALEX BAILEY/NETFLIX – © 2023 Netflix, Inc.

C’est l’intelligence du récit qui m’a frappé. En mêlant des personnages aux passés et aux fonctions différentes (agent de la CIA, attaché diplomatique, conseiller politique…) la série de Debora Cahn aborde toute l’étendue des intérêts qui se heurtent et les influences diverses autour de la prise de décisions qui ont parfois un impact considérable sur la géopolitique. Beaucoup de ces intérêts s’entremêlent pour influencer l’ambassadrice, et la série le fait admirablement bien avec une écriture ciselée qui ne manque pas d’aborder toutes les nuances de dialogues entre personnes influentes. C’est assez similaire finalement à la finesse de l’écriture la série The West Wing avec des similarités dans le traitement, notamment, de l’humanité des personnes qui se trouvent derrière des rôles bien définis et décisifs pour l’action étatique. Comme avec le couple formé par Ali Ahn, qui incarne une agente de la CIA attachée à l’ambassade, et Ato Essandoh, le chef de mission de l’ambassade, qui forment un couple terriblement attachant derrière leurs carapaces de personnes qui doivent apparaître de marbre dans des boulots qui ne tolèrent aucune forme de « faiblesse » apparente. Quant au rôle de Keri Russell, il est presque cathartique : c’est une ambassadrice qui n’a que faire des jeux politiques, qui confronte sa réalité (celle du terrain) à celles de personnes qui ne sont jamais sorties de leurs bureaux, qui est si immergée dans son rôle diplomatique qu’elle en explose émotionnellement aux moments clés dans une catharsis parfaitement mise en scène. J’ai également noté la performance de David Gyasi dans le rôle du secrétaire d’état aux affaires étrangères britanniques, absolument impeccable et intelligent dans sa manière d’aborder le rôle, avec la retenue et le style très british que l’on attend évidemment, sans tomber dans la caricature, formant un superbe duo avec le personnage de Keri Russell.

J’ai été très impressionné par cette première saison de The Diplomat. C’est un genre télévisuel que j’apprécie particulièrement mais qui a souvent eu tendance à tomber dans la surenchère, là où la série de Debora Cahn raconte une crise diplomatique sous un angle finalement assez sobre, malgré l’extravagance de certains de ses personnages (comme le mari de l’ambassadrice). La réalisation sait se poser sans manquer d’insister sur une tension permanente où le destin d’une partie du monde peut basculer d’un instant à l’autre. C’est une série qui cherche à s’ancrer dans le réel et qui le fait plutôt bien, rendant compte de la dureté, mais aussi la folie, qui peut entourer certaines discussions où l’on discute de la possibilité de déclencher une guerre avec la même légèreté que celle où l’on discute de la liste des courses à faire. C’est une vue sur un domaine finalement assez mal connu en dehors des fantasmes qu’il inspire, mais très passionnant, avec en prime une forte interprétation de Keri Russell qui incarne avec talent un personnage qui met en exergue tout ce qui ne va pas dans l’histoire diplomatique américaine récente.

  • La saison 1 de The Diplomat est disponible intégralement sur Netflix depuis le 20 avril 2023.

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