Big Bet – Faites vos jeux | La corruption au pouvoir

par Anthony F.

Cela commence à faire plusieurs années que les plateformes américaines de SVOD ont compris qu’il y avait un marché à conquérir du côté des séries coréennes. Si Netflix reste très en avance sur le sujet (et c’est l’une des rares qualités que je leur reconnais sans mal), d’autres comme Prime Video et Disney+ ont mises un peu plus de temps à s’intéresser au phénomène. Mais malgré son retard, Disney+ a livré ces derniers mois sa première très grosse production sur la péninsule coréenne : Big Bet (ou Faites vos jeux), et c’est une réussite pour cette série en deux saisons.

Un exil forcé par l’argent

© Disney+

La principale curiosité de la série est évidemment sa tête d’affiche, Choi Min-sik. Argument considérable pour cette production inattendue, l’acteur est pratiquement une légende vivante du cinéma coréen, avec des rôles marquants dans des films qui ont traversé les frontières. Je pense évidemment au gigantesque Old Boy, à Sympathy for Lady Vengeance, le mémorable J’ai rencontré le diable ou encore à New World. Mais le retrouver dans une série est plus surprenant, lui qui n’a fait que peu de télévision dans sa carrière, et qui n’y était pas apparu depuis un drama local en 1997. Et pourtant il n’a pas l’air paumé dans une production qui, il est vrai, n’est pas si éloignée des standards du cinéma. L’intrigue rappelle quelques uns des meilleurs films de gangsters coréens : Choi Min-sik y incarne un personnage nommé Cha Moo-sik, un gamin défavorisé en Corée du Sud, aspiré malgré lui dans des petites combines par un père à la morale toute relative, et également violent puis, à l’époque des études, lancé dans la révolte pro-démocratie face à un pouvoir autoritaire. Une rébellion à laquelle il croit finalement assez peu, mais qui lui permet tout de même de se faire un nom dans son coin. Un élément indispensable pour un gamin qui veut réussir sa vie, s’en sortir et s’émanciper d’un milieu qu’il abhorre, où on lui dénie la possibilité d’étudier dans le supérieur alors que ses résultats scolaires sont exceptionnels. C’est dans une quête de réussite sociale et financière qu’il finit par devenir une petite frappe, tentant de se faire de l’argent dans des petites magouilles, jusqu’à se lancer dans les jeux d’argent alors qu’ils sont interdits en Corée. Poursuivi plus tard par la police et recherché pour diverses escroqueries, il s’exile aux Philippines, où il parvient à lancer un business si juteux qu’il parvient enfin à s’enrichir. Et c’est là que l’essentiel de l’action prend place.

Big Bet est une histoire de gangsters, où chacun tente de se faire une place au soleil alors que les casinos sont en plein essor aux Philippines, avec des responsables locaux bien heureux de se faire graisser la patte pour détourner les yeux des différentes combines pour blanchir de l’argent sale. Aussi en laissant les différents gangs, qui ont des intérêts dans les casinos du coin, faire leurs petites affaires, avec des guerres de pouvoirs et des terres à conquérir pendant que la police, épaulée par un agent d’Interpol venu de Corée, fait ce qu’elle peut avec une hiérarchie qui lui dit d’oublier les crimes dont elle est témoin. Et ce petit cocktail, qui évoque bon nombre de films de gangsters coréens, fonctionne sacrément bien. Le personnage principal est aussi détestable qu’attachant, tant régit par une sorte d’honneur qui le pousse à risquer sa vie pour sauver celle de l’un de ses employés les plus loyaux, que par des choix impitoyables qui le poussent à commettre des crimes innommables. Un personnage difficile à cerner, interprété avec un talent évident, dont l’ascension est aussi rapide que sa chute est brutale, une chute annoncée dès le premier épisode avant que la série s’attache à en expliquer les causes tout au long de ses deux saisons. C’est une vie à rebondissements, jusqu’à une conclusion magistrale qui met un point final absolument parfait à une série qui n’a de cesse au cours de ses deux saisons de captiver, d’abord pour la qualité de son interprétation et de sa mise en scène, mais aussi pour une écriture qui sait capter l’émotion et l’humanité derrière des personnages qui évoluent dans un milieu foncièrement inhumain.

Voyage à Capiz

© Disney+

En prenant place aux Philippines, l’action de Big Bet se permet quelques excentricités qui changent de ce que l’on peut voir dans ce type de série au contexte habituellement très coréen. D’abord, c’est un monde du crime différent, avec un fort impact du pouvoir politique local mais aussi national, la série se racontant dans le passé, sur plusieurs décennies, avec ce que cela implique de changements au niveau du pouvoir au fil du temps. Tantôt chassés, tantôt tolérés, ces malfrats venus de Corée mène à la baguette une diaspora qui voit dans les Philippines un moyen de réussir après avoir échoué dans leur propre pays. Des gens parfois sans foi ni loi, et des autorités locales qui font ce qu’elles peuvent pour s’en accommoder sans froisser l’ambassade de Corée. C’est aussi un environnement différent, avec un tourisme assez fort et une population très diverse, chose assez rare au niveau des séries coréennes. Il y a aussi un mélange des langues, et des acteur·ices phillipin·es qui occupent quelques rôles clés. Heureusement la série ne compte pas que sur son « dépaysement » puisqu’elle bénéficie surtout d’une super mise en scène, avec une réalisation très intense qui fait la part belle au mystère et à l’enquête qui entoure les actes de Moo-sik, mais aussi un certain goût pour l’ambiance poisseuse habituelle du cinéma de gangsters coréens, avec une chaleur ambiante qui se ressent à l’écran et un milieu duquel il semble impossible de s’échapper. Le tout ajouté au plaisir incommensurable de retrouver Choi Min-sik qui n’a rien perdu de sa superbe en revenant à la télévision le temps de cette série. Également à ses côtés on trouve un excellent casting, entre Son Suk-ku, qui joue le policier d’Interpol qui apprend doucement comment fonctionnent les choses et finit par être désabusé face à un gangster tout-puissant, Lee Dong-hwi en petite frappe qui multiplie les mauvais coups, ou encore l’acteur philippin Nico Antonio qui est plutôt intéressant dans le rôle d’un flic local qui tente de faire son job sous la pression d’un pouvoir politique corrompu.

Du haut de sa grande carrière au cinéma où il n’a plus rien à prouver, Choi Min-sik s’est embarqué dans un projet de série qui est décidément à la hauteur de son talent. Big Bet ne rate rien et parvient à raconter une histoire captivante en deux saisons, où l’auteur Kang Yoon-sung, qui n’avait pas beaucoup de choses avant ça mais qui tient son œuvre référence. Avec son ton acerbe, la série n’épargne personne sur la corruption politicienne, tandis qu’elle explique avec brio ce qui peut provoquer la chute d’un homme qui détenait tout le pouvoir entre ses mains. Son seul tort est peut-être de ne laisser que peu de place à ses personnages secondaires, l’intrigue se concentrant essentiellement sur deux ou trois personnages, mais il faut avouer que son anti-héros est d’un tel charisme qu’il est difficile de mettre la lumière ailleurs que sur lui. On se rend vite compte que toutes les personnes autour de lui ne sont que des accessoires pour lui faciliter son ascension.

  • Les deux saisons de Big Bet – Faites vos jeux est disponible sur Disney+.

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