The Glory | La vengeance a deux visages

par Anthony F.

Diffusée en deux parties distinctes par Netflix entre décembre 2022 et mars 2023, la série coréenne The Glory était l’une des excellentes surprises du début d’année dernière. Avec son histoire sombre et brutale autour de la thématique du harcèlement, la série écrite par Kim Eun-sook (qui enchaîne les succès depuis quinze ans) a proposé une histoire plutôt bien ficelée, sur le ton d’un thriller où son héroïne vengeresse s’avère aussi touchante qu’effrayante.

Une jeunesse pourrie

© 2023 Netflix

Harcelée, battue et torturée par ses camarades de classe au lycée, Dong-eun (interprétée par Song Hye-kyo) planifie sa vengeance. Après une jeunesse brisée par des gosses de riches qui s’arrogeaient un droit de vie et de mort au lycée, on redécouvre une femme qui a su gravir les échelons de la société en comprenant vite que c’était le seul moyen de pouvoir mettre sa vengeance à exécution. On la voit en effet s’immiscer dans la vie de ses bourreaux d’antan, décidée à tout leur prendre, à les voir perdre tout ce qu’iels ont. Cela va de la relation de travail qui tourne au drame, au futur mariage brisé, ou à la destruction de l’image publique d’une personne qui ne vit que de son rapport aux autres. Certes, les récits de vengeance sont légion dans le cinéma et dans les séries coréennes, la vengeance étant un genre que les cinéastes affectionnent tout particulièrement. Mais The Glory a quelque chose d’atypique, en ne cherchant pas la vengeance dans une violence pure et simple, mais plutôt dans le fait de briser les destins des coupables, de la même manière que la victime elle-même a vu son destin bouleversé par une rencontre malheureuse avec ses quelques personnes. Et cela fonctionne parfaitement car Song Hye-kyo est une excellente actrice, qui joue une partition solide, sans bévue, et avec la maîtrise qu’on lui connaît. Pourtant son personnage est compliqué, ambigu. C’est un personnage pour lequel on éprouve une certaine empathie mais qui nous questionne directement sur notre propre morale. Elle est froide, méthodique, parfois effrayante, et même si l’on a envie de compatir avec sa douleur, sa manière de mener sa vengeance est d’une cruauté assez terrible. Et pour maintenir l’équilibre et l’ambiguïté, le réalisateur Ahn Gil-ho ne manque jamais de dévoiler, tout au long de la première partie de la série (soit les huit premiers épisodes), de nouvelles scènes d’horreur vécues par son anti-héroïne.

Et c’est filmé avec beaucoup d’intelligence, le réalisateur parvenant à suggérer l’horreur dans les scènes de harcèlement. L’horreur au sens premier du terme, avec des bourreaux apparaissant comme des monstres assoiffés de violence. Puis, la série nous emmène sur le registre de l’émotion, la compassion pour sa victime, parfois même une certaine paix et une douceur qu’elle trouve dans sa relation avec une personne qui lui apporte une bienveillance qu’elle ne connaissait pas jusque là. Enfin, dernier registre, celui du thriller, quand elle met sa vengeance en action et qu’elle devient à son tour la source du mal. Par ailleurs, le réalisateur s’appuie sur une narration sous forme de voix-off, celle de son actrice principale, qui s’adresse directement à la principale instigatrice de son harcèlement. Comme si, tout au long de la série, elle lui expliquait ses choix, ses raisons et sa méthode de vengeance. Un peu comme une lettre explicative qu’elle lui laisse, c’est un excellent moyen de renforcer la tension tout au long de la série, la voix de l’héroïne venant presque « hanter » une narration qu’elle maîtrise d’un bout à l’autre, resserrant peu à peu l’étau autour de son bourreau devenu proie.

Déconstruire un modèle

© 2023 Netflix

Et si cela fonctionne c’est parce que la série arrive à jongler entre les différents registres sans jamais se confondre sur ses intentions. Mais aussi parce qu’elle déconstruit certaines idées sur les victimes, leur reconstruction et leurs réactions face à leurs bourreaux. Dong-eun n’est pas la victime idéale, elle pourrait même sans mal être poursuivie par la justice pour ses agissements qui ressemblent plus à la loi du talion qu’à autre chose. Mais The Glory tente d’apporter du sens à cette vengeance, sans nécessairement la cautionner, mais en racontant la douleur qui pousse une personne à planifier ses actes sur des dizaines d’années pour enfin se « libérer » de la violence de personnes qui l’ont oubliée et qui sont passées à autre chose dès que le lycée était terminé. Et c’est d’autant plus succulent que ces personnes sont des gosses de riches, aux vies futiles, qui n’ont jamais subi la moindre conséquence à la violence de leurs actes. Song Hye-kyo incarne aussi parfois l’image de la « femme fatale », un concept dépoussiéré pour être abordé autrement, sans la misogynie que le concept se traîne depuis longtemps. Ici c’est une femme fatale au sens le plus strict, celui d’une femme déterminée et prête à tout pour mener son objectif à bien. On pourrait peut-être reprocher à la série de déshumaniser son héroïne, surtout dans la première partie où elle apparaît extrêmement froide, mais heureusement la deuxième partie, pourtant globalement moins réussie, montre une humanité plutôt bienvenue. Cela participe à un propos global qui ne désigne jamais celle-ci comme nouveau bourreau : jusqu’au bout, elle reste la seule et unique victime de l’histoire.

Plutôt atypique dans son traitement de la vengeance, The Glory est bourré de bonnes idées pour mettre en scène le plan terriblement méthodique de sa victime en quête de réponses. Parfois effrayante par sa froideur, la série offre des sentiments mêlés mais ne perd en rien sa pertinence chaque fois qu’elle dénonce la violence que doivent affronter des lycéen·ne·s, harcelé·e·s au quotidien, avec la complaisance coupable des adultes qui les entourent en faveur des bourreaux. En plus de très bien gérer les ambiguïtés de son personnage, la série met les pieds dans le plat et interroge le concept de vengeance comme moyen de justice. Une vengeance qui revêt plusieurs visages : celle qui peut être physique ou qui peut être psychologique, qu’elle soit directe ou indirecte. On y voit une finesse d’écriture qui rappelle quelques excellents polars, où le « Bien » et le « Mal » s’entrechoquent jusqu’à ne plus véritablement avoir de signification. L’empathie inévitable pour l’héroïne, compte tenu de ses douleurs et du traumatismes du passé, deviennent de véritables armes pour justifier une vengeance cruelle, et c’est quelque chose qu’interprète très finement son actrice.

  • L’intégrale de The Glory est disponible sur Netflix.

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