Reminiscence | Joli souvenir entre deux rives

par Hauntya

Parmi les sorties au cinéma du mois d’août 2021, on peut trouver Reminiscence, premier film réalisé par Lisa Joy, la co-créatrice de la série Westworld. Porté par deux grands noms, ceux d’Hugh Jackman et Rebecca Ferguson, la bande-annonce laissait augurer d’un film ambitieux portant sur la complexité des souvenirs, dans un Miami futuriste englouti par les eaux. Reminiscence vogue en effet entre plusieurs rivages : ceux du film noir, de l’histoire d’amour, de la science-fiction, voire presque du cyberpunk. Mais à mélanger ainsi les genres, le film affirme-t-il totalement sa propre identité ?

Une vision du futur et un hommage aux films noirs

© Reminiscence, Warner Bros, 2021

Reminiscence met en scène un détective privé, Nick Bannister (Hugh Jackman), qui avec l’aide de son assistante Watts (Thandiwe Newton, pertinente et juste), peut replonger les gens dans leurs souvenirs grâce à un équipement spécial et le biais d’un hologramme grandeur nature. Tous deux anciens vétérans, il leur arrive d’utiliser leur savoir-faire pour également aider la police sur différentes affaires. Mais tout bascule quand une chanteuse, Mae (Rebecca Ferguson), vient leur demander de l’aide pour retrouver ses clefs, perdues quelque part au cours de la journée. Nick tombe éperdument amoureux de Mae… jusqu’au jour où celle-ci disparaît mystérieusement. Incapable de croire à un simple départ, il plonge dans ses propres souvenirs pour trouver un indice sur la disparition de la chanteuse, et se retrouve mêlé à une affaire plus complexe qu’il n’y paraît.

Le film propose un scénario plus qu’intéressant sur le papier. A la manière d’un Inception qui explorait les rêves, Reminiscence met en scène, lui, la mémoire parfois faillible, les souvenirs qu’on veut retrouver ou oublier à tout prix. Dans ce futur où les catastrophes écologiques ont mené à une montée des eaux, créant une ville de Miami presque entièrement engloutie où tout le monde se déplace en bateau, les gens sont devenus avides de cette façon de revivre un passé meilleur, idéalisé. Une nostalgie sans les problèmes d’un quotidien violent à cause de nombreuses émeutes et rébellions civiles, et corrompu par la dominance des plus riches, réfugiés dans les parties encore terrestres de la ville. Un futur concret, qui possède une superbe esthétique tout le long du film grâce aux plans faisant découvrir Miami immergée, les diverses routes navales, la manière dont s’expulse l’eau des bâtiments, des simples détails comme les bottes hautes renforcées de Nick pour marcher dans les quelques centimètres d’eau des rues. Ces visions, souvent bien amenées, ancrent le film dans son univers avec un ton qui lui est propre, le rendant crédible, qui n’est pas sans faire penser à Blade Runner.

La science-fiction est bien présente par ce futur sombre dans le film. La population, pour échapper à la chaleur du jour, vit désormais la nuit. Ce qui amène à la seconde esthétique du film : le film noir. Avec son rôle de détective privé abîmé par la guerre et la vie, prompt à se battre et à ne pas faire dans la finesse, Nick est un héritier des flics durs à cuire des films noirs (Chinatown, Le Faucon Maltais) ; tout comme Mae, femme double dont on ne cesse de se demander les véritables intentions tout le long de l’intrigue, descend évidemment des femmes fatales du genre, aussi trouble que séduisante. D’autres stéréotypes du film noir se retrouvent : la police aussi corrompue que les plus riches, Watts, aussi déterminée et bagarreuse que son patron, les scènes de combat et de fusillades dans des bars faussement chics, ou encore la déchéance du héros, obsédé par une femme qu’il croyait connaître et qui se révèle complètement différente.

La nostalgie et l’amour comme moteurs

© Reminiscence, Warner Bros, 2021

Reminiscence est plutôt taillé comme un blockbuster, proposant à la fois de l’action, une histoire d’amour et un côté futuriste (même si ce dernier n’est pas aussi appuyé qu’on pourrait le croire). Cela n’empêche pas le film de s’aventurer vers quelques réflexions, sur la nostalgie dangereuse engendrée par des souvenirs passés, et donc idéaux, au contraire d’un présent qui n’a plus grand-chose de beau et positif à ouvrir, comme une réflexion sur le « c’était mieux avant » de nos jours, d’un passé « meilleur » face à un présent actuel qui semble fait de catastrophes et de conflits. Une nostalgie qui obtient aussitôt une valeur marchande, Nick et Watts n’étant pas les seuls à proposer de revivre des souvenirs… et donc à oublier totalement le monde extérieur, la vie véritable. En parallèle, on a quelques échos de ce même vice chez les classes les plus riches, qui vont jusqu’à remettre en scène avec des participants ces souvenirs précieux ; ou encore des dégâts physiques et mentaux engendrés par la guerre, par l’internement de certaines ethnies… Nick lui-même est une conséquence de cette guerre, puisque son personnage, s’il se bat avec vigueur, le fait aussi dans les limites d’un homme qui aurait bel et bien la cinquantaine, sans outrepasser une crédibilité dont d’autres films se soucient beaucoup moins. Un rôle dont Hugh Jackman se sort à merveille, aussi à l’aise dans ce détective privé sombrant peu à peu, que celui d’un homme qui retombe amoureux pour la première fois depuis longtemps.

Au cœur du film noir et de son intrigue somme toute policière, on trouve donc la femme fatale de l’histoire, Mae, interprétée de manière sublime par Rebecca Ferguson, à qui il manquait ce type de personnage : femme aux multiples visages, jouant toujours sur la subtilité et les apparences, des moments intimistes à ceux où elle chante dans un club (avec la véritable voix de l’actrice). C’est par elle, évidemment, que naît l’histoire d’amour du film, celle-ci faisant référence au mythe d’Orphée et d’Eurydice. Une histoire qui ne finit pas forcément bien, comme paraphrase Nick, comme toutes les belles histoires. « Alors autant s’arrêter au milieu », répondra-t-elle. L’histoire des deux personnages est pleine de rebondissements, de faux-semblants, entraînant Nick tant au cœur de ses souvenirs que dans les différentes strates d’une ville corrompue par la pègre. Reminiscence fait preuve d’une belle ambition narrative (on ne s’attendait pas à moins de la part de Lisa Joy, après Westworld), voulant livrer une histoire jouant sur les apparences, la perception des autres, sur la vision d’un personnage refusant de voir la vérité dans un autre.

Mais, malgré tout, quelque chose ne prend pas dans le film. S’il est beau esthétiquement parlant, il rappelle néanmoins bien d’autres références visuelles, de Blade Runner à Inception, au-delà de ses hommages, donnant l’impression d’avoir toujours vu « cela » quelque part, et échouant donc à façonner sa propre identité ou à occasionner de véritables surprises. Ce qui ne gâche pas la beauté de certaines scènes, comme la bagarre au bar, ou surtout la plongée sous-marine lors de la scène du piano, montrant une beauté onirique qu’on aurait aimé voir dans tout le film. Si l’intrigue peut paraître inutilement compliquée, elle se fait sens, même si elle n’atteint pas la perfection d’un scénario comme celui du Prestige, autre film jouant sur les apparences et l’illusion. C’est peut-être à trop vouloir accumuler et mêler différents genres et références, que Reminiscence se perd un peu en route, oubliant de s’inventer – ce qui est peut-être le défaut de ce premier film. Il ne réussit pas à trouver sa propre personnalité malgré quelques très belles scènes, et un final en accord avec le ton du long-métrage et son message sur les souvenirs. Cela n’en demeure pas moins un film agréable à voir, notamment pour la qualité de ses interprètes et pour la créativité voulue par son histoire, pour la musique discrète mais toujours juste de Ramin Djawadi. Mais il ne restera pas forcément dans les mémoires.

  • Reminiscence, premier film de Lisa Joy, est projeté en salles depuis le 25 août 2021.

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