Sea of Stars | Perdu dans l’immensité galactique

par Anthony F.

Habitué des comics de super-héros, Jason Aaron, à qui l’on doit notamment quelques uns des meilleurs comics Thor, n’est néanmoins pas en reste lorsque l’on parle d’indépendant. Avec Dennis Hallum à ses côtés et les dessins de Stephen Green, c’est une escapade étonnante, à mi-chemin entre l’aventure enfantine et la fable qu’il nous livre dans Sea of Stars, où un enfant part malgré lui à la découverte de l’espace.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Au bout de l’univers

© 2022 Golgonooza, Inc., Jason Aaron, Dennis Hallum, and Stephen Green. All Rights Reserved.

Tout commence alors qu’un vaisseau est détruit, à la suite de la rencontre avec une créature démesurée dans le vide spatial. À son bord, Gil, sorte de livreur de l’espace et son fils Kadyn, les deux entretenant une relation conflictuelle. Perdus dans l’immensité de l’espace suite à la destruction de leur vaisseau, les deux tentent de se retrouver, et c’est là que l’intrigue prend toute la mesure de son ambition. Le duo d’auteurs imagine en effet un récit sur deux niveaux, l’un plutôt pragmatique en suivant le père dans une sorte d’histoire de survie face aux dangers de l’espace, accompagné par un robot qui tente parfois de l’assassiner (mais finit vite par l’aider) tout en alignant des répliques grinçantes. Et puis l’autre, peut-être ce qui fait tout le sel de l’œuvre, c’est toute la partie où l’on suit Kadyn, ce gamin qui n’a jamais trop vu grand chose de l’univers et qui se retrouve dans un voyage étonnant, fasciné par tout ce qui se déroule sous ses yeux. Il fait vite la rencontre d’un espèce de dauphin et d’un singe de l’espace, des espèces alien qui veulent initialement le manger mais qui se contentent finalement de l’accompagner, intrigués. Et surtout Kadyn se découvre des pouvoirs, une capacité à respirer et vivre dans le vide spatial sans combinaison ni oxygène, à se mouvoir et « nager » afin d’explorer et de découvrir de nouveaux lieux. Cette partie là du récit évoque de nombreuses aventures en littérature jeunesse, des livres où des enfants vivent des aventures extraordinaires et étonnantes. Jusqu’à ce que les choses tournent mal, et que l’on revienne à ce qu’est le comics : une aventure sur fond d’histoire dramatique familiale.

Si l’on sent très vite toute la détresse de Gil face à une situation improbable, inattendue, inexplicable, une situation qui semble ne trouver aucune réponse ni aucune solution, croyant à la mort de son fils et l’inexorable fin qui s’approche pour lui également, c’est les réactions de Kadyn qui étonnent. Il vient de perdre sa mère, il a vu son père se faire avaler par une créature immense, il erre seul dans le vide galactique, et pourtant ça reste un enfant. C’est au travers de ses yeux d’enfant qu’il découvre l’inconnu, à la fois brisé et émerveillé par les rencontres qu’il fait au fil de son aventure spatiale. Et la dynamique installée avec ses compagnons de route, un singe de l’espace et un dauphin qui ont tous deux très envie de le croquer, apporte curieusement beaucoup d’humour à un récit pourtant vite très noir. Il y a une forme d’innocence qui fait beaucoup de bien au récit, avec un ton souvent léger, y compris dans les moments les plus violents, car l’essentiel de l’histoire se raconte du point de vue d’un enfant qui ne saisit pas toujours les dangers qui se posent à lui. C’est fin, même si le comics souffre d’un rythme inégal, pas toujours aussi efficace qu’on l’aimerait.

Solitude émerveillée

Les dessins de Stephen Green sont super, très colorés, aussi bon pour raconter la tendresse éprouvée par le père pour son fils que la froideur du vide spatial, mais aussi l’innocence de l’enfant quand il le dessine sur des planches où il vogue au milieu de l’espace. On voit les expressions souvent joyeuses, parfois capricieuses, d’un enfant qui n’en fait qu’à sa tête dans une aventure hors du commun. J’ai tout particulièrement aimé la représentation des créatures spatiales, aussi inquiétantes (l’immensité de certaines) que réconfortantes (comme le singe) pour l’enfant. Les sourires innocents de Kadyn face à une aventure improbable en font presque une émanation du Petit Prince, chaque rencontre incarnant une nouvelle étape d’une vie bouleversée. C’est curieux, plutôt malin, on sent une forte envie de sortir du carcan des nombreuses aventures spatiales qui sont sorties ces dernières années côté comics, avec quelque chose de plus organique, moins axé sur la science-fiction.

S’il lui manque malgré tout un petit quelque chose de vie et de rythme pour en faire un indispensable, Sea of Stars a pour lui toute la sympathie inspirée par son petit héros, du haut d’une aventure étonnante où l’enfant part à la rencontre des étrangetés qui peuplent l’espace, pas si vide qu’imaginé. Sous ses airs de science-fiction, Sea of Stars est en réalité un drame familial où le voyage, presque initiatique, permet au fils et au père de mieux se comprendre. Une belle histoire dans un bel enrobage, grâce à des dessins qui donnent vie à un espace quasi-féérique.

  • Sea of Stars est disponible depuis le 1er juillet 2022 en librairie aux éditions Urban Comics.

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