Hokuto no Ken – Tomes 4 à 6 | Les enfants maudits du Hokuto

par Reblys

Mes premiers pas avec la mythique série Hokuto no Ken ont été ceux d’un enfant émerveillé. Impressionné par l’intensité d’un récit dont les fondations laissaient entrevoir le meilleur, je poursuivais ma lecture, et deux tomes plus tard, constatais déjà que la série aurait bien du mal à maintenir un tel niveau sur le long terme si elle continuait de se reposer sur les mêmes ficelles. Il m’a fallu parcourir trois nouveaux volumes de cette « Extreme Edition » pour avoir de quoi écrire un troisième article sur cette histoire, et j’ai déjà peur de me répéter. En effet ces volumes permettent d’introduire de nouveaux personnages, centraux pour la suite de l’intrigue, mais celle-ci ne va faire qu’évoluer sur des bases déjà posées, qu’itérer sur des dynamiques déjà plusieurs fois réutilisées. Au point où, tranchant avec mon enthousiasme débordant après le premier tome, je me demande maintenant comment la série va pouvoir encore durer sans perdre petit à petit mon intérêt.

Quatre frères ennemis

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Le nouvel arc du manga commence pourtant sous les meilleurs auspices, alors que l’on découvre que celui qui se fait passer pour l’héritier du Hokuto Shinken n’est autre que Jagi, l’un des trois condisciples de Ken, apprentis du Maître Ryuken, et pratiquant du Hokuto Shinken. Indiscutablement malfaisant, on comprend très vite pourquoi Jagi n’a pas été choisi par son maître en tant qu’héritier du Hokuto Shinken, mais tout l’intérêt de l’introduction de ce personnage réside dans l’ouverture qu’elle permet sur le Hokuto Shinken lui même, ses règles et son fonctionnement. En effet si c’est Kenshiro qui a été choisi en tant qu’héritier, alors ses condisciples doivent jurer solenellement de ne plus recourir à cet art martial, ou alors ils périront de la main de leur maître. Le fait que Jagi soit toujours là, tout en indiquant à Ken que ses deux autres comparses, Toki et Raoh sont toujours de ce monde, laisse à penser que les choses ne se sont pas passées comme prévu. Cet arc amènera Kenshiro à retrouver ses frère disparus, et surtout, pour la première fois, à mener un combat qu’il ne peut pas gagner…L’arrivée de ces nouveaux personnages vient épaissir un peu l’univers de l’oeuvre, en recentrant le focus autour de l’art martial d’assassin qu’est le Hokuto Shinken. Mais le rythme et les affrontements du manga restent globalement très similaires à ce que l’on a connu jusqu’à présent. Le problème que je rencontre dans cette construction est donc le suivant : jusqu’où ce concept va-t’il être étiré ?

Car quand bien même ce n’est peut-être pas le cas, la narration de Hokuto no Ken donne maintenant la désagréable sensation d’être pensée au fur et à mesure sans véritable plan d’ensemble. Ce n’est pas la dynamique de l’univers dans lequel l’histoire prend place ou les actes des personnages qui viennent définir ce qui se passera par la suite. Il s’agit surtout d’antagonistes apparaissant les uns après les autres, et que Kenshiro va devoir affronter, car…ils sont méchants. C’est tout. Le fait d’avoir présenté Ken comme un homme qui a tout perdu et se retrouve sans but et sans espoir se retourne contre l’oeuvre, qui en est réduite à inventer des enjeux au fur et à mesure pour justifier que les protagonistes se mettent en mouvement. L’introduction de Raoh, qui sera l’antagoniste majeur pour encore un moment, crée une dynamique où Kenshiro est mis en danger de par son statut. Raoh veut se débarasser de ses anciens condisciples, afin de devenir le dernier héritier du Hokuto Shinken, et conquérir le monde. Mais rien ne justifie que Kenshiro doive absolument l’affronter…à part le fait qu’il soit méchant. Les personnages ont beau nous expliquer que « c’est leur destinée de s’affronter dans un combat fratricide », j’ai bien du mal à me sentir investi dans la proposition. N’oublions toutefois pas que le manga a 40 ans. La complexité des enjeux scénaristiques n’était peut-être pas aussi importante que maintenant aux yeux du grand public. Mais je ne peux cacher ma déception lorsque je vois l’histoire répéter le même cycle encore et encore. Alors que cette structure marchait extraordinairement bien au départ pour dépeindre l’origin story de Kenshiro et y apporter la dimension dramatique qui en fait toute la saveur, elle donne après plusieurs itérations le sentiment d’avoir déjà été éculée. Après le combat entre Kenshiro et Raoh, climax de cet arc nous présentant ce qui reste des quatre maîtres du Hokuto Shinken, l’on retombe quasi-intentanément dans une situation bien connue : Une ville sous le joug d’une bande de pillards, menée par un leader bestial à la carrure démesurée, qui sera vaincu sans effort par Ken. Une routine qui sera complétée par l’introduction d’un nouveau maître d’arts martiaux,cette fois du côté du Nanto Seiken.

Mythologie répétitive

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Plus que jamais l’association de Kenshiro et de ses semblables à des figures divines se fait au grand jour. Les artistes martiaux du Hokuto Shinken et du Nanto Seiken sont comparables à des personnages mythologiques, héros à la destinée inscrite dans les étoiles. Ils sont plus que des Hommes, mais sont soumis à des épreuves dignes des plus grandes tragédies grecques. Et en dessous d’eux, le commun des mortels, quidams innocents ou bandes de voleurs sanguinaires, ne sont que des grains de sables, prêts à s’envoler au moindre souffle provoqué par les puissants mouvements de ces surhommes. Mais alors que ces personnages se succèdent et qu’on nous présente de nouvelles villes et de nouveaux lieux, on a le sentiment que tout se ressemble. Que tout n’est que métropole décrépie, ensevelie sous le sable ou grand édifice de pierre rappelant les Colisées antiques. Quasiment aucune place n’est consacrée au voyage de la troupe de Ken et au temps que ces personnages passent ensemble. La dynamique des personnages non-combattants est indissociable du rôle de spectateur impuissant, prisonnier du rôle vain de paraphraser ce qui s’est déjà passé une page plus tôt. Déjà lorsqu’un seul personnage se voit attribuer ce rôle le résultat est plutôt lourd, alors imaginez lorsqu’ils sont trois ou quatre…

J’espérais que, pour densifier un peu la narration et permettre un investissement un peu plus fort dans les différents personnages, le caractère de Kenshiro allait être étoffé, et que les enjeux relatifs à chaque personnage allaient permettre de s’y attacher. Mais non seulement Ken n’a toujours pas changé d’un iota, mais en plus les personnages secondaires (les combattants cette fois) semblent être condamnés à rester dans son ombre. Dépossédés dés le départ du simple espoir de pouvoir rattraper le niveau de Ken, ils sont relégués à devenir des faire-valoir du protagoniste, prenant part à des combats qu’ils n’ont aucune chance de remporter, simplement pour gagner du temps ou espérer être sauvés par l’héritier du Hokuto Shinken. Ce que semblent nous indiquer ces volumes 4 à 6 c’est que ce monde se divise en deux catégories : les maîtres (du Hokuto et du Nanto) et les autres. Le fait est que pour le moment, Buronson et Tetsuo Hara n’ont absolument pas l’air de vouloir s’intéresser aux autres, mais seulement à comment Kenshiro va pouvoir battre chaque nouvel adversaire qui se dressera sur sa route. Certes chaque nouvel ennemi possède sa propre personnalité et son background, mais cela ne me suffit pas pour me donner pleinement envie de m’investir, car pour l’heure, je sais que, sauf exception, seuls les combats de Kenshiro auront de l’importance, qu’il se battra sensiblement de la même façon, que d’habitude, et qu’il finira par l’emporter. L’affrontement contre Raoh constituait une opportunité de casser ce cycle. Mais il ne s’agit au final pas d’une défaite de Ken. Seulement d’un match nul, qui n’aura au demeurant aucune conséquence et qui ne laissera aucune séquelle à notre héros, toujours aussi monolithique. Une occasion manquée qui me fait sincèrement me poser la question : Hokuto no Ken va-t’il réussir à briser le moule dans lequel il s’est enfermé ? Cet enjeu suffit pour le moment à me donner envie de poursuivre l’aventure dans ce monde ravagé par le feu nucléaire. Mais pour combien de temps encore ?…

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