Saints Row | Un empire boiteux

par Anthony F.

Autrefois GTA-like sans grande surprise à la sortie du premier épisode de la série en 2006, Saints Row a parcouru un sacré chemin, prenant une tournure inattendue dès son troisième épisode (sous-titré « The Third ») avec un titre à la folie sans limite, dans un univers de gangsters de moins en moins réaliste pour toujours pousser le curseur du grand n’importe quoi un peu plus loin. Entre-temps, la série s’est autant intéressée aux aliens (Saints Row IV) qu’à un passage en enfer (Saints Row : Gat out of Hell), jusqu’à ce que les développeur·euse·s de Volition décident de rebooter leur série. Et nous y voilà, avec un renouveau simplement intitulé Saints Row, qui revient à une formule plus terre à terre, sans pour autant renier la pointe de folie qui fait le sel de la série.

Cette critique a été écrite avec un exemplaire envoyé par l’éditeur. Jeu terminé sur PlayStation 5 en une quinzaine d’heures.

Baron du crime

© 2022 Deep Silver / Volition

Ce reboot de Saints Row débute alors que le gang historique de la série n’existe pas encore. Notre personnage, que l’on crée intégralement, est membre des forces spéciales du groupe « Marshall », une entreprise ultra-capitaliste qui se fait une place au soleil en profitant de la militarisation de la société. Cette sorte de métaphore du NRA aux États-Unis va évidemment décevoir notre personnage, abandonné lors d’une opération qui a mal tourné face à un criminel très recherché, le Nahual. Quelques mois plus tard, le héros ou l’héroïne est devenu·e un·e gangster raté·e, alignant les petits braquages ici et là et les coups ratés avec ses potes. Le but du jeu est alors simple : faire évoluer son clan, qui s’appellera évidemment les Saints, en s’entourant des bonnes personnes et en prenant peu à peu le contrôle de la ville. Une ville partagée donc entre Marshall, mais aussi les Panteros, un gang aux influences latines, et les Idoles, des gens qui aiment les couleurs fluo et qui s’annoncent anti-système et quasi-anarchistes. La narration est absolument chaotique, que ce soit volontaire ou non, les missions peinent dans un premier temps à trouver un fil conducteur et les personnages mettent un temps fou à se révéler, mais quelques moments parviennent aussi à faire rire avec l’auto-dérision classique de la saga que l’on retrouve aussi ici. Il y a même quelques missions franchement rigolotes, comme celles où l’on joue un jeu de rôle grandeur nature avec des armes factices et des armures en carton. Des missions où toute la débilité ambiante d’un tel jeu vidéo aux faux airs de GTA-like est illustrée par la futilité d’affrontements où les personnages crient littéralement « piou piou » en tirant avec leurs pistolets en carton. Très drôle à ces instants, comme d’autres où les dialogues font mouche parce qu’une belle dynamique finit par s’installer entre des personnages dont la naïveté tranche avec les rêves de grandeur d’un futur empire criminel, Saints Row souffre quand même aussi d’autres fois où la lourdeur d’une écriture moins inspirée s’impose. C’est donc assez inégal dans l’ensemble.

Sans lien avec les évènements des précédents Saints Row, le titre permet de tout réimaginer sans être lié aux histoires de Gat et compagnies qui alimentaient la saga précédente, et on salue d’ailleurs le choix de Volition de toujours aller plus loin sur l’inclusivité au niveau de son créateur de personnages : beaucoup de paramètres sur la couleur de peau permettent d’obtenir des nuances de couleurs précises, on a la possibilité aussi de faire un corps à la corpulence souhaitée (même si cela ne va pas assez loin sur la grosseur, mais c’est bien mieux que la quasi-totalité des créateurs de personnages que l’on connaît), faire porter des prothèses de bras et de jambe, créer un personnage atteint de vitiligo, etc. Sans oublier les coiffures et vêtements, qui sont suffisamment nombreux pour faire parler notre créativité. Une fois le personnage créé, c’est les missions principales qui rythment le jeu, dans un monde ouvert où les activités secondaires servent essentiellement soit à acquérir des entreprises dans les différents quartiers pour augmenter notre influence, soit à développer ces mêmes entreprises pour décupler nos revenus. Des revenus obtenus heure par heure en jeu, qui sont très vite extrêmement importants, de quoi se faire plaisir au niveau de l’achat d’armes surpuissantes, de vêtements et… encore d’autres entreprises pour encore augmenter notre influence. Vous suivez ?

La ville aux pieds des Saints

© 2022 Deep Silver / Volition

Le titre tourne en effet largement autour de la mainmise que l’on va parvenir à avoir sur l’économie local, en développant de nombreux business à placer partout sur la map pour débloquer des missions propres à chaque business, mais aussi pour varier l’action. Du recouvrement de dettes (en récupérant véhicules, yacht ou encore un coffre-fort tiré à l’arrière du véhicule à la Fast & Furious 5) au vol de voitures pour équiper nos garages en pièce détachées, en passant par la récupération de camions plein de déchets toxiques à « recycler » de manière tout à fait destructrice pour l’environnement ou encore le nettoyage de scènes de crime, tous les business sont bons pour blanchir de l’argent plus ou moins rapidement. Acquérir ces entreprises, en les achetant, permet de s’assurer un revenu horaire croissant qui est le premier vecteur de progression. D’ailleurs, des missions sont conditionnées à l’achat de certains business ou à l’accomplissement de missions liées, même si la quête principale, à l’exception d’une ultime mission post-crédit, n’est pas conditionnée à ces activités.

Toutefois le but du jeu est clair. La narration sur la quête principale est assez boiteuse et rarement passionnante, tout le sel du jeu réside dans ses nombreux business et les personnages que l’on rencontre à cette occasion, tant le studio Volition maîtrise la dérision à laquelle s’adonne le titre. On prend un malin plaisir à découvrir les différentes manières pour le jeu de tourner en dérision des business historiquement liés au blanchiment d’argent aux États-Unis (comme les blanchisseries ou les décharges), mais aussi en inventant de nouveaux moyens, sans jamais perdre une occasion de porter un regard acerbe sur l’hypocrisie d’une société américaine très portée sur les armes. La ville fictive, Santo Lleso, incarne toutes les dérives d’une société politique américaine qui a tout fait pour permettre à des gangsters de prospérer malgré ses cris d’orfraie, à l’image des fusillades que l’on croise régulièrement, ce qui se traduit par un gameplay qui désamorce la violence de l’acte. En effet, avec son gameplay très fun, poussant à faire exploser tout ce que l’on croise et sans grande finesse, Saints Row incarne les fusillades devenues quotidiennes, sans susciter d’émotion, alors que les passant·e·s ne prêtent pas trop attention aux véhicules qui explosent et aux balles qui sifflent. C’est la folie ambiante qui permet de passer outre les faiblesses de sa narration, même si cela ne fait pas tout, mais suffit à s’amuser une quinzaine d’heures, le temps d’en voir le bout.

Daté mais étrangement attachant

© 2022 Deep Silver / Volition

Le terrain de jeu peine toutefois à pleinement convaincre, malgré une belle diversité visuelle. Composé d’un désert et de son canyon, d’une petite ville péri-urbaine aux influences mexicaines et un centre-ville qui évoque Las Vegas, Santo Lleso multiplie les ambiances et offre un univers visuel plutôt sympa. Ce simili-Las Vegas fantaisiste fonctionne parfois très bien, avec quelques zones auxquelles on s’attache vite, et où l’action prend essentiellement place. Mais le jeu pêche justement en concentrant ses missions sur une poignée d’environnements, en exploitant assez peu la largeur de la carte et en ne poussant pas toujours à explorer. Qui plus est, le gameplay des véhicules est trop « flottant » pour prendre le moindre plaisir à conduire, tandis que de nombreux bugs de collision viennent achever la moindre envie d’explorer. Il n’est ainsi pas rare de voir la voiture s’envoler ou se retourner de manière improbable, que cela soit à cause d’un caillou dans le désert ou d’un trottoir en ville que l’on a vaguement touché. Ces moments rendent l’exploration terrestre parfois pénible, alors il reste bien l’exploration aérienne avec les hélicoptères, mais ces moments poussent plutôt à observer les limites d’une carte qui n’est quand même pas très jolie à explorer en vue aérienne.

Qui plus est pour un jeu qui, techniquement, est clairement à la ramasse. Le style presque cartoonesque des personnages et leurs expressions exagérées est parfois réussi, mais il ne fait pas ignorer une technique d’une autre époque, avec un jeu visuellement plutôt vilain, la faute à des éléments qui s’affichent trop tardivement à l’écran et des ralentissements réguliers peu importe le mode visuel choisi (1080p favorisant le framerate ou non, 1440p ou 2160p) sur PlayStation 5. Les explosions, nombreuses, semblent faire souffrir le jeu, et dans les quelques phases aériennes on voit que le jeu a toutes les peines du monde à afficher les détails des maisons et immeubles que l’on survole. A tel point que la ville ne ressemble plus qu’à un grand désert de ruines. Pire encore, sur PlayStation 5 toujours et en attente d’une future mise à jour, une mission secondaire d’un business installé sur la carte est impossible à terminer. Ce crash systématique (pour une mission intitulée « sus à la couronne ») empêche d’accomplir une ultime mission narrative après les crédits de la quête principale pour atteindre les 100% du jeu. Ce qui a donc été mon cas, refroidissant assez largement tout le plaisir que j’ai pu prendre sur d’autres aspects du jeu, et la tendresse qu’il m’inspire malgré tout.

Car Saints Row, malgré ses limites narratives et ses problèmes techniques, incarne toujours à mes yeux ce qu’il peut y avoir de bon dans un « GTA-like », c’est-à-dire une action décomplexée et un univers qui ne s’impose aucune limite, où la surenchère est de mise autant dans la mise en scène que les outils mis à notre disposition pour nous amuser. Toutefois et au contraire de certains titres qui confondent subversion et beauferie, ce Saints Row nouvelle génération arrive à le faire sans être extrêmement problématique. Alors certes, le jeu pêche sur son climax et malgré quelques très bons moments sur ses missions les plus fofolles, l’ensemble paraît souvent assez fade. Mais le fun est souvent là, et c’est ce qu’on lui demandait. J’espère simplement que Volition pourra, dans une éventuelle suite, proposer un titre plus abouti techniquement, afin que cela n’empiète pas sur le plaisir que le studio arrive à procurer sur bien d’autres points.

  • Saints Row est disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S depuis le 23 août 2022.

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