Gerda : A Flame in Winter | Le jeu narratif aux réelles conséquences

par F-de-Lo

Gerda : A Flame in Winter est un jeu indépendant développé par le studio danois PortalPlay. Ce titre, édité par DON’T NOD, est sorti en septembre 2022, sur Windows et Nintendo Switch. Il s’agit d’un jeu narratif empruntant des mécaniques de gameplay aux point and click et aux jeux de rôle. Gerda : A Flame in Winter est aussi injustement méconnu que le pan historique qu’il aborde : l’occupation allemande dans un village danois, mais aussi le rôle des femmes, au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

Un jeu édité par DON’T NOD

© 2022 DON’T NOD

Développé par PortalPlay, Gerda : A Flame in Winter est aussi le tout premier jeu édité par DON’T NOD, le studio à l’origine de Life is Strange, connu pour ses histoires imprégnées de progressisme et de bienveillance.

Malheureusement, la réalité cachée dans les coulisses du studio est tout autre, car il n’échappe pas au climat toxique régnant dans le milieu. Au mois de février dernier, le compte Twitter (pardon… X) du Syndicat des Travailleurs·euses du Jeu vidéo a publié un thread dénonçant la maltraitance dont sont victimes les employé·e·s chez DON’T NOD. Pour ne citer que cela, l’équipe derrière Jusant a été supprimée, à peine deux mois après la sortie du jeu, sans justification aucune. Et la direction semble rester hermétique face aux revendications des salarié·e·s. Alors oui, DON’T NOD se diversifie, en développant et en éditant plus de jeux aux gameplays variés, mais cela a un prix. Même si ce rappel était nécessaire, il n’entache en rien le travail réalisé par le studio danois PortalPlay, car Gerda : A Flame in Winter est un jeu méritant d’être connu.

Un pan méconnu de la 2nde Guerre Mondiale

© 2022 DON’T NOD

Comme mentionné plus haut, Gerda : A Flame in Winter est inspiré d’une histoire vraie, que l’on mentionne trop peu lorsqu’il est question de la Seconde Guerre Mondiale. Le titre s’intéresse à l’occupation allemande, en 1945, dans un petit village danois frontalier du nom de Tinglev. Il permet d’incarner un protagoniste féminin : Gerda Larsen, une infirmière aux origines à la fois allemandes et danoises. Cette double nationalité lui permet de comprendre les deux langues entendues à Tinglev, mais inspire parfois la méfiance des Danois. Certes, le Danemark n’est, en 1945, pas au cœur de conflits dévastateurs, mais le peuple souffre de la misère due aux diverses pénuries, ainsi qu’à l’oppression des Nazis. De fait, il existe des groupes de Résistants, dont Anders, l’époux de Gerda, fait partie. L’infirmière l’ignorait jusqu’à ce que son mari soit emmené par la Gestapo. Or, il lui laisse des documents secrets, importants pour la Résistance. Très tôt, Gerda sera divisée entre sa compassion envers le peuple danois et son désir de tout faire pour délivrer son mari. La situation est d’autant plus complexe que son père, sans être corrompu par l’idéologie nazie, est un allemand soutenant l’occupation.

Rien n’est simple ni manichéen dans l’histoire de Gerda, comme c’est souvent le cas, dans les récits historiques. En ce sens, le jeu est remarquablement bien écrit. Le développeur, Shaley Moran, s’est exprimé à ce propos, dans le site The Loadout : « Nous ne cautionnons ou n’excusons jamais les actions du régime nazi, ni ceux de ses collaborateurs, ni même ceux des personnes qui ont plié les genoux pour tenter de survivre. Mais nous pensons qu’il est crucial de voir toutes ces personnes comme humaines, faute de quoi nous ne nous rendons pas nécessairement compte du mal que nous sommes susceptibles de commettre. » (Traduction réalisée par un article du journal Le Monde). La subtilité de l’écriture et les nuances des personnages sont effectivement l’un des grands points forts de Gerda : A Flame in Winter. Mais le jeu dévoile aussi le rôle de certaines femmes, durant la Seconde Guerre Mondiale, qu’il soit question de Gerda, ou bien de Liva, aka Le Moineau, la responsable d’un groupe de Résistants danois, ayant droit à son propre DLC. Le titre semble d’autant plus sincère et authentique que le directeur artistique, Hans von Knut Skovfoged, confie s’être inspiré de l’histoire de sa grand-mère, qui faisait de la contrebande d’armes pour la Résistance, durant l’occupation.

Des faiblesses sur le plan technique

© 2022 DON’T NOD

Là où le jeu pèche, c’est au niveau technique. J’ai joué à Gerda : A Flame in Winter sur Nintendo Switch, et le titre semble particulièrement daté, entre ses graphismes approximatifs, ses mouvements de caméra parfois laborieux et ses temps de chargement fréquents. C’est un parti pris, mais le jeu emploie des angles de caméra qui peuvent dérouter au sein de l’environnement vidéoludique actuel. Si les plans sont larges à l’extérieur, le titre favorise une vue du dessus pour les plans à l’intérieur, où les maisons semblent privées de leur toit et simplement découpées par leurs murs, comme dans Les Sims. Les personnages n’ont généralement pas de voix et les animations sont minimalistes, puisque le jeu favorisera des dialogues écrits, illustrés par l’avatar des personnages (contrairement à ce que laisse penser le trailer, le jeu est bien sous-titré en français). En dépit de ces partis pris, ou de mon manque d’affection très subjectif pour la direction artistique, Gerda : A Flame in Winter peut se targuer de proposer quelques panoramas de qualité, surtout notamment grâce à leurs jeux de lumières. Il faut dire que la DA s’inspire des Peintres de Skagen. Il s’agit d’un groupe d’artistes scandinaves de la fin du dix-neuvième siècle. Leurs peintures représentaient des paysages réalistes aux couleurs riches et aux jeux de lumière très particuliers.

Un gameplay au service des choix et des conséquences

© 2022 DON’T NOD

Malgré ces points faibles, il faut insister sur l’excellence de l’écriture de Gerda : A Flame in Winter, laquelle rend l’histoire passionnante et les personnages pleins de surprises. Les mécaniques de gameplay, certes minimalistes, sont entièrement au service de l’écriture. Ainsi, même si la durée de vie du jeu est assez faible (comptez moins de dix heures, DLC compris), la rejouabilité semble immense. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le sentiment que mes choix comptaient et pouvaient avoir un réel impact sur mes relations avec les autres personnages, la suite des événements et bien entendu le dénouement du récit. Gerda n’est pas seulement tiraillée entre ses origines danoises et allemandes, elle est prête à toute pour faire libérer son mari. Il est donc possible d’aider la Résistance menée par le Moineau, mais aussi d’essayer de manipuler les Nazis, voire de collaborer avec certains d’entre eux. Les choix moraux sont d’autant plus compliqués à prendre qu’il faut parfois faire preuve de stratégie. À la manière d’Anne Frank, Gerda remplit un journal intime, à la fin de chaque séquence. Selon ce qu’on choisit d’y écrire, l’infirmière obtient des points de perspicacité, de compassion ou d’intuition. Cette mécanique de gameplay a de l’importance car certaines situations peuvent être résolues par des jets de dés plus ou moins difficiles. Les compétences de Gerda ne constituent pas le seul élément pris en compte, puisque sa relation avec les autres personnages, et la confiance qu’ils placent en elle, sont tout aussi décisifs. Ce côté stratégique est stimulé par un sentiment d’urgence. En effet, Gerda a beaucoup d’opportunités à saisir ou de personnes à aider, mais les journées ne sont pas infinies. Ainsi, il faudra régulièrement choisir entre plusieurs lieux où aller, sachant que certains ne seront plus visitables par la suite. J’ai adoré l’ensemble de ces mécaniques de gameplay qui paraissent simples, mais qui nous rendent responsables de nos décisions, lesquelles ont une véritable conséquence sur la suite du déroulement de l’histoire. On est très loin de l’illusion de choix mise en place par de nombreux jeux narratifs, si bien que Gerda : A Flame in Winter doit proposer un nombre de cheminements et de fins assez important.

Conclusion

Gerda : A Flame in Winter est un jeu indépendant injustement méconnu, ayant le mérite de nous en apprendre beaucoup sur l’occupation allemande, au Danemark, durant la Seconde Guerre Mondiale. Le titre met en avant le rôle des femmes durant cette période obscure de l’Histoire, à travers le personnage de Gerda, infirmière, mais aussi celui de Liva, cheffe de la Résistance. Malgré des faiblesses techniques et une direction artistique qui peut diviser, le jeu compense largement par l’excellence de son écriture, tout en nuances et ne laissant que rarement deviner la suite des événements. Les tableaux fourmillent de détails qui ont tous leur utilité (pour l’anecdote, un PNJ mentionne des bouchers appelés Mikkelsen, et je gage que cela est une référence à une comédie danoise pleine d’humour noir : Les Bouchers Verts, d’Anders Thomas Jensen, avec naturellement Mads Mikkelsen dans l’un des rôles principaux). Gerda : A Flame in Winter est avant tout mémorable pour ses mécaniques de gameplay apportant un réel sens aux choix que l’on fait. Malgré sa faible durée de vie, le jeu dispose sans aucun doute d’une rejouabilité immense. Je ne peux que vous conseiller de vous ruer vers cette petite pépite indépendante qui s’avère pour moi un joli coup de cœur.

  • Gerda : A Flame in Winter est un jeu disponible sur Windows et sur Nintendo Switch, depuis septembre 2022.

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