Du haut du succès critique du manga et de son anime lancé cette année, Ao Ashi est aussi mon grand coup de cœur depuis son lancement en France. Capable d’émouvoir, le manga est aussi terriblement réjouissant dans sa manière d’aborder la carrière de footballeur de son héros, confronté à une adversité qui prend de nombreux visages (amis, coéquipiers, ennemis…) et de laquelle il ne cesse d’apprendre. Quitte, comme on l’a vu dans les précédents tomes, à se remettre en cause, alors que le personnage ne cesse de gagner en maturité. En somme, c’est un manga absolument fascinant dont les tomes 9 et 10 sont sortis ces dernières semaines et qu’il est temps d’aborder.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

La cohésion face à l’adversité

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Toujours dans une démarche didactique, l’auteur aborde la cohésion comme concept indispensable à la formation d’une équipe et à sa performance sur le long terme. A l’image des précédents tomes où Yugo Kobayashi utilisait des concepts différents comme appui à son histoire, la cohésion sur le terrain se traduit aussi par la cohésion en dehors, avec les relations amicales de ses héros. Un noyau dur se forme évidemment entre Ashito, Otomo et Tachibana, le trio inséparable qui se révèle tome après tome des plus attachants, grâce à leurs personnalités diverses mais aussi pour l’entraide, parfaitement désintéressée, qu’ils se donnent. L’auteur apporte ainsi ce qu’il manquait un peu à Ao Ashi, qui racontait souvent une histoire assez solitaire, où seul son héros tentait de se dépatouiller face à l’adversité. Comme à son habitude cela lui permet d’emmener Ashito sur de nouveaux terrains, qu’il connaît moins, lui qui a toujours été habitué à se battre seul pour obtenir ce qu’il veut. Une manière de faire remise en  cause, à un moment où le gamin qu’il est encore découvre qu’il ne trouvera jamais plus de bonheur sur et en dehors du terrain qu’avec l’aide de ses meilleurs amis. Et le mangaka excelle quand il raconte ce trio, profitant des particularités de chacun sans nier leur alchimie, offrant de facto au manga quelque chose de plus sincère, plus porté sur l’amitié que sur le sport.

A cela s’ajoute un long flashback dans le passé de Togashi, jeune joueur qui semble sortir d’un manga furyo. Son passé de « délinquant » y est raconté, pour un gamin qui a affronté de nombreuses difficultés. Lui qui n’a pas eu le privilège d’intégrer un centre de formation très tôt, racontant la manière dont les « petits bourges » (de ses propres mots) préfèrent jouer entre eux et regarder avec dédain les autres qui voudraient aussi jouer au foot. Il incarne, comme Ashito, ces jeunes qui passent par d’autres canaux, avec des parcours plus atypiques, pour espérer un jour intégrer le monde professionnel. Cela rappelle Ao Ashi à ses premiers tomes qui avaient un fort accent social, très intéressé par les sacrifices personnels et financiers qu’impliquent la poursuite du rêve de fouler un jour les terrains de foot pro pour des jeunes et des familles qui ont peu de moyens. Ce flashback ne fait que rendre Togashi encore plus intéressant et attachant qu’il ne l’est, lui qui tire sa force de sa différence, et qui porte sur ses épaules toute la rage de jeunes qui ont été catégorisés comme « délinquants » alors qu’il suffisait parfois de leur tendre la main pour qu’ils montrent qu’ils en veulent.

L’importante rivalité

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Outre ces questions d’amitié et de collectif, le manga gagne un autre élément qui lui manquait cruellement : des rivaux digne de ce nom pour l’équipe d’Ashito. Jusque là les rivalités se formaient au sein du club, mais pas encore en compétition face à d’autres équipes qui étaient vite oubliées. Là, on découvre une équipe rivale au charisme saisissant, qui deviendra (peut-être, espérons le) emblématique et qui pourrait donner lieu à des oppositions mémorables. Les tomes 9 et 10 d’Ao Ashi prennent alors une tournure surprenante, avec un ton plus intense, plus « violent » à certains égards, au sens où les personnages ne se font plus aucun cadeau. On sent qu’on entre dans le dur d’une histoire qui a des penchants dramatiques, malgré la bonne humeur communicative que retrouve parfois Ashito après la souffrance qu’il  ressenti quand il s’est retrouvé défenseur plutôt qu’attaquant. En outre, le manga est toujours impressionnant visuellement, toujours plus fou et plus fin, avec une variété de mise en scène assez fantastique, y compris dans les séquences de football malgré la répétition des matchs et des entraînements. Yugo Kobayashi connaît parfaitement le sujet et ça lui permet d’éviter de tomber dans la monotonie souvent risquée en matière de mise en scène de manga de sport, parce qu’il sait aborder le football sous des angles très variés.

On se répète certes, mais il est difficile de ne pas être sous le charme de Ao Ashi. Fabuleuse quête initiatique où son jeune héros surmonte les obstacles avec beaucoup de détermination, d’envie et de malice, c’est aussi un manga d’une maîtrise folle quand il aborde les relations humaines et leurs complexités. Plus mature que jamais, le récit observe un nouveau tournant qui ne me donne qu’une envie, celle de vous conseiller de vous jeter sur ce manga tant il fait du bien. Agréable et bienveillante, son histoire donne le sourire et fait du bien au moral.

  • Les tomes 9 et 10 de Ao Ashi sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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Il y a deux mois, nous faisions la connaissance de Maco Suzukake, jeune pédiatre excentrique, mais terriblement attachant. Le début de la nouvelle série de Toshiya Higashimoto (déjà auteur du Bateau de Thésée, publié chez Vega-Dupuis) dévoilait un récit entre douceur et amertume, qui prend place dans le monde médical, et plus particulièrement dans l’univers de la pédiatrie. On y repérait déjà des thématiques centrales, comme celle de la famille, ou de la parentalité. Quelques semaines après avoir digéré les deux premiers volumes, voici que le troisième tome des aventures de Maco arrive déjà en librairie. L’occasion de découvrir, avec plaisir, que les promesses initiales de la série ne manquent pas de se réaliser.

Cette critique a été écrite à partir d’un exemplaire envoyé par l’éditeur, Mangetsu

Retrouver le père

Les premiers chapitres de ce troisième volume sont avant tout placés sous le signe de l’acceptation et du pardon. Tant Maco que sa patiente (celle chez laquelle une grave maladie a été diagnostiquée), vont devoir s’engager sur le chemin du pardon. La rancœur de Maco est tenace, alors qu’il tient toujours son père pour responsable de la descente aux enfers, puis du décès de sa mère. De son côté Tomorin (ladite patiente), doit retisser un lien avec son propre père, qui n’a pas accepté qu’elle fasse carrière dans le show-business. Ce bout d’histoire se révèle particulièrement touchant, en ce qu’il met face à face deux personnages qui voudraient pardonner, mais n’y parviennent pas encore, tant le poids du passé est encore lourd à porter. Maco y joue à nouveau un rôle d’intermédiaire, de médiateur, mais peine dans le même temps à appliquer à lui-même ses propres conseils. Ce qui ajoute une part d’imperfection, et donc d’humanité, à un personnage déjà si attachant.

Accepter le frère

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Mais alors que Maco peine déjà à renouer avec son passé vis-à-vis de son père, un autre évènement va venir à nouveau perturber son quotidien : Le retour de son frère, Hideki. Chirurgien pédiatrique exerçant jusqu’à lors à l’étranger, il a répondu sans hésiter à la demande de son père de venir travailler avec lui dans la clinique qu’il a ouverte à Hokkaido. Ses motivations restent pour l’heure inconnues, mais on remarque immédiatement sa personnalité, diamétralement opposée à celle de Maco. Factuel à l’extrême et d’une autorité froide avec ses collègues comme ses patients, Hideki s’inscrit en miroir inversé de Maco, qui s’efforce à chaque instant de rester le plus chaleureux et compréhensif possible. La relation entre les deux frères est complexe et mâtinée d’une grande maturité de chaque côté. Maco est en profond désaccord avec son frère sur sa manière d’envisager la médecine et de traiter ses patients. Il le lui signifie clairement et sans détour, mais assortit ses critiques d’un autre constat : Tous deux vont travailler ensemble dans la même clinique, et de ce fait ils doivent s’entendre, pour les enfants qu’ils prendront en charge. Hideki, de son côté, semble toujours considérer Maco comme un enfant, quand bien même tous deux sont désormais professionnels à diplôme égal. Ainsi, il paraît ne pas prendre au sérieux l’opposition exprimée par son frère, se contentant de le renvoyer à son adolescence. Cela change des dynamiques plus caractérielles (et un peu caricaturales) que l’on aurait l’habitude de voir dans les mangas destinés à un public plus jeune, mettant en scène des adolescents ou adolescentes. Ici la psychologie est subtile et les relations entre les personnages emplies de nuances. Le fait que le manga s’inscrive dans un genre beaucoup plus « tranche de vie » que la précédente œuvre de l’auteur (qui était plus axée thriller/enquête) permet à Toshiya Higashimoto de traiter avec plus d’attention toute la complexité de ces affaires familiales. Par exemple à travers la gestion des silences qui transparaît dans la mise en scène des Enfants d’Hippocrate. Il n’est pas rare de rencontrer des pages entières dénuées de dialogues, se concentrant uniquement sur les regards des personnages, qu’ils se rencontrent ou qu’ils se détournent, laissant s’installer des silences lourds de sens. Le genre de planche qui suspend le temps, et qui, à titre personnel, m’impressionne de maîtrise.

Assainir le passé pour préparer l’avenir

Au-delà des histoires de familles, les notions de passé et d’avenir sont également très présentes dans le récit, et en particulier dans ce troisième tome. Tomorin va entamer son traitement, et ressent déjà un certain nombre d’angoisses. Maco termine son contrat de médecin junior avant d’emménager durablement à Hokkaido pour prendre son poste de titulaire. On ressent comme une transition, une sensation de basculement vers un nouvel arc du manga. En trois tomes, la plupart des éléments clé ont été disposés, le tout avec la maîtrise narrative à laquelle Toshiya Higashimoto nous a habitué.es. Par ailleurs le tome nous gratifie également d’un nouveau cas médical complexe, qui nous replonge dans une ambiance de série médicale, où la recherche de la pathologie crée un enjeu toujours très prenant et agréable à suivre.

En somme ce troisième tome confirme les prémisses engagées dans les deux premiers et continue d’en dévoiler un peu plus sur le noyau de l’histoire de Maco Suzukake. C’est toujours d’une grande pureté et d’une grande qualité. C’est toujours un grand coup de cœur. C’est toujours une grande recommandation de ma part !

  • Le tome 3 des Enfants d’Hippocrate est disponible depuis le 17 août 2022 en librairie.

 

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Ram V est décidément hyperactif. L’un des auteurs les plus en vue des comics multiplie les projets et ne cesse de récolter les lauriers. Récemment, on vous parlait de lui pour Swamp Thing, mais l’auteur de These Savage Shores, Blue in Green ou encore Grafity’s Wall montre que son grand amour est et restera le comics indépendant. Et c’est dans cette mouvance que l’auteur propose Toutes les morts de Laila Starr, où il s’associe à Filipe Andrade aux dessins pour raconter une curieuse histoire de vie et de mort.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Un équilibre brisé

© Urban Comics 2022

La mort suscite autant d’idées, de débats et d’incarnations dans la pop culture qu’il y a de croyances. Certaines personnes l’imaginent comme une sorte de blackout, un trou noir après une vie bien remplie, d’autres l’imaginent sous forme de réincarnation, tandis qu’on pourrait aussi bien l’envisager comme une deuxième vie, un moment où l’on fait le bilan d’une vie. Si la mort est centrale dans un bon nombre de récits, notamment ceux qui s’en servent pour susciter la peur, créer un climat de violence ou d’émotion, la mettre en scène comme personnage à part entière est plus rare. Et quand on le fait, c’est parfois avec dérision, ce que Ram V dans Toutes les morts de Laila Starr fait initialement. Puisque ici, la Mort, c’est une femme surbookée dans une gigantesque corporation dirigée par une divinité (qui semble être de culture hindoue) où la Mort et la Vie s’entrecroisent entre deux réunions aux faux airs de startup nation. Mais un beau jour, voilà, la fameuse divinité suprême qui règne sur ce beau monde met la Mort à la porte : cette femme qui travaille dur se fait virer du jour au lendemain, parce qu’il semblerait que l’on n’ait plus besoin d’elle. En effet, elle apprend vite qu’un petit garçon, un bébé, qui vient de naître, inventera la vie éternelle au cours de sa vie. Ni une ni deux, elle décide de se mettre en chasse de ce bébé pour l’assassiner et retrouver sa fonction de Mort, et sa place au sein de la corporation. Mais ce n’est pas si simple puisque celle qui prenait la vie de millions de personnes auparavant se matérialise désormais dans le corps d’une femme, Laila Starr, qui vient de mourir à Mumbai en Inde. Morte suite à sa chute du haut d’un immeuble où elle faisait la fête avec ses ami·e·s, par accident, suicide ou meurtre (on ne le sait pas vraiment), Laila Starr n’est plus qu’un corps dont se sert la Mort pour arriver à ses fins.

Mais Toutes les morts de Laila Starr n’est pas qu’une histoire de vengeance. La Mort, en possédant le corps de Laila, est confrontée à sa propre humanité. Elle découvre les émotions, les peurs inhérentes à la mortalité, la difficulté de prendre certaines décisions et, tout particulièrement, celle de prendre une vie. Sa vengeance se confronte à ce qu’elle n’a jamais connu, les remords. C’est absolument touchant et captivant, alors que Ram V imagine cette femme incarnée par la Mort qui, ironiquement, va périr plusieurs fois et revenir en quête de vengeance par plusieurs années d’écart, suivant peu à peu l’évolution de l’enfant qui est censé inventer l’immortalité. Involontairement, elle va créer un lien avec celui qu’elle voulait assassiner, tandis qu’un équilibre se brise et commence à poser une question fondamentale : que veut dire la vie quand la mort n’est plus ? Ram V s’interroge, avec beaucoup de subtilité, au travers de nombreuses planches à la beauté assez folle, sur la portée philosophique, religieuse ou même sociétale du concept de mort. Sur ce que la mort signifie pour chacun, sur ce qu’elle enlève mais aussi ce qu’elle apporte, et sur ses conséquences dans un monde où chacun·e tente de laisser une trace au moins auprès de ses proches pour que la vie n’ait pas été vécue pour rien.

Ode à l’humanité

© Urban Comics 2022

La finesse de l’écriture de Ram V n’est plus à démontrer, mais l’auteur ne cesse d’étonner, de réinventer son propre style et de surprendre. Comme à son habitude, il nourrit son récit d’un imaginaire et d’une ambiance propre à son pays d’origine, l’Inde, et il le met en scène avec énormément de talent. On sent son amour pour sa culture, mais aussi son envie de l’utiliser dans des récits qui dépassent la simple question culturelle. Le Mumbai qu’il met en scène n’est ni plus ni moins qu’une métropole où la vie se fait et se défait, ce cadre si particulier devient quelque chose de commun sous sa plume. Là où la « normalité » dans les comics est de raconter des histoires qui ont pour décor de gigantesques villes américaines, Ram V se sert de son pays d’origine comme s’il n’y avait rien de spécial ou de particulier, et c’est peut-être le meilleur moyen d’apporter une certaine diversité à l’industrie des comics et aux histoires qui sont racontées. D’autant que Filipe Andrade, à ses côtés, imagine un Mumbai fait de couleurs écarlates aux nombreuses nuances, dans un style d’une beauté sans pareille, amenant dans chaque chapitre Laila Starr sur un nouveau terrain, une nouvelle idée, un nouvel obstacle mental et philosophique à traverser pour accomplir son but.

Chaque année, le monde des comics nous offre une pépite, une œuvre inattendue qui laisse en nous une marque indélébile. Toutes les morts de Laila Starr est cette heure-là pour moi, un moment de grâce où Ram V et Filipe Andrade s’accordent pour livrer une invitation au questionnement sur le sens de la vie sans la mort, sur la place de chacun et de chacune dans un monde qui ne s’embarrasse pas vraiment des individualités. Mais c’est aussi et surtout une célébration de la vie, car le comics n’est jamais pessimiste, jamais nihiliste, il célèbre l’importance de la vie et de l’humanité, sa résilience et sa capacité, parfois, à faire le bon choix.

  • Toutes les morts de Laila Starr est disponible en librairie depuis le 6 mai 2022.
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Il y a plus d’un an, je vous présentais les deux premiers tomes du comics DIE, co-écrits par Stéphanie Hans (également illustratrice) et Kieron Gillen. Le quatrième et dernier tome est paru en mars 2022, permettant de boucler la boucle et surtout, de vous proposer un avis global sur l’ensemble de la série.

Retour à DIE

DIE, c’est le jeu de rôle fantasy inventé par une bande d’adolescents dans les années 90… et dans lequel ils se sont trouvés aspirés pendant plusieurs années, avant de revenir presque tous dans le monde réel. Vingt ans s’écoulent et les personnages, devenus adultes, parents pour la plupart, sont projetés une nouvelle fois dans DIE par la volonté de Sol, le Maître de Jeu resté prisonnier de ce jeu de rôle.

Mais faire revenir ces adultes dans DIE, ce n’est pas seulement les replonger dans un univers dangereux de fantasy qui pourrait les tuer. C’est aussi les confronter aux fantasmes et idéaux d’adolescents ayant forgé tout un monde, aux conséquences d’actions entreprises vingt ans auparavant. Le comics se fait alors métaphore, la fantasy devenant une catharsis du monde réel, permettant aux divers protagonistes de montrer leur vraie personnalité. Chuck, écrivain à succès dans le monde réel, demeure aussi blagueur et antipathique dans cet univers de fantasy, empruntant le rôle du Fou. Dominic Ash devient Ash, une Dictatrice pouvant soumettre n’importe qui à sa volonté par sa voix. Matt, père et mari dans la vraie vie, trouve dans DIE son rôle de Chevalier triste, utilisant la souffrance et la peine comme armes. Également mère de famille, codeuse de profession, Angela emprunte le rôle d’une hackeuse cyberpunk, tandis qu’Izzy se métamorphose en Dresseuse de dieux, accumulant les dettes auprès d’eux.

La fin du tome 2 nous avait laissés avec le groupe des personnages séparé en deux : Ash, se mariant au roi d’Angria pour contrôler la ville, suivie de Izzy ; Matt, Chuck et Angela partis de leur côté, incapables de se mettre d’accord avec Ash sur comment sortir du jeu de rôle et ne supportant pas ses méthodes. Sol, quant à lui, a été tué et enfermé, devenant un Déchu, une sorte d’être non-mort en partie zombifié, mais encore capable d’agir selon sa véritable personnalité.

La continuité d’une aventure de fantasy à multiples niveaux de lectures

© DIE, tome 3 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2021

Sur la lancée des deux premiers tomes, les tomes 3 et 4 de DIE se révèlent toujours passionnants… mais parfois un peu trop nébuleux pour leur propre bien. On peut toujours y trouver un premier niveau de lecture, celui du comics de fantasy qui va nous permettre de lire une sacrée aventure, sublimée des couleurs de Stéphanie Hans. La dessinatrice nous fait découvrir des paysages et des cases aussi enchanteresses que parfois macabres, faisant preuve d’une impressionnante maîtrise dans sa palette de couleurs et dans sa manière de dessiner les personnages. L’action est toujours fluide de case en case, avec un rythme bien géré et des protagonistes toujours sublimes, dont une pose, une stature, suffit à nous faire comprendre l’émotion par laquelle ils passent.

Mais dès qu’on s’élève au-dessus de l’aventure fantasy, le comics révèle sa vraie richesse, parfois un peu trop dense. DIE illustre le parcours émotionnel et identitaire de personnages adultes qui retrouvent un monde à l’imaginaire conçu durant leur adolescence : leurs réflexions et leur maturité ne sont plus les mêmes, les priorités non plus. Certains cherchent avant tout à quitter DIE pour retrouver leur famille (Matt, Angela), tandis que Chuck souhaiterait au contraire rester dans cet univers où il peut avoir tout ce qu’il souhaite… sans avoir à se soucier de la maladie qui le consume. Ash, iel, y trouve la liberté d’être une femme et de ne plus refouler ses questionnements sur son identité de genre. Izzy voit dans DIE une façon de réapprendre ses responsabilités et de corriger toutes les erreurs qu’elle a pu faire dans sa vie normale, consumée de culpabilité. Ils sont loin de ne voir dans DIE qu’un simple univers imaginaire de fuite de la réalité, une aventure fun à vivre, comme lorsqu’ils étaient adolescents.

Par ailleurs, et c’est sans doute un peu là que Kieron Gillen et Stéphanie Hans nous perdent un peu, c’est dans l’aspect méta de DIE. Les deux auteurs déconstruisent le jeu de rôle (et de manière générale, tous les univers imaginaires assimilés : jeu vidéo, fiction) et jouent avec ses clichés pour mieux réinventer les codes et nous proposer une histoire surprenante. Mais si l’on n’est pas familier du vocabulaire des jeux de rôle, on se perd parfois dans les termes et références utilisés : les systèmes de dés, de règles, etc. Cet aspect méta brouille parfois un peu l’aventure et pèse sur sa fluidité. On aurait peut-être gagné à rendre ces réflexions plus claires et à rendre la lecture moins dense à ce niveau.

Un univers toujours riche de péripéties et de références

© DIE, tome 3 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2021

Pour autant, les deux tomes du comics sont toujours aussi plaisants à lire quand ils font référence à un imaginaire collectif et à de véritables personnages historiques. Dans le premier tome, on croisait J.R.R. Tolkien à l’occasion d’un passage en pleine guerre ; dans Angria durant le tome 2, royaume régi par les jeux politiques, c’est Charlotte Brontë qui se retrouvait Maître de ce territoire. Stéphanie Hans et Kieron Gillen reprennent ce principe dans les deux autres tomes. Quand le royaume d’Angria se retrouve attaqué par la Petite Saxe suite au mariage royal de Ash (contraire aux règles définies par le jeu DIE), c’est l’auteur H.G. Wells que nous voyons apparaître. L’écho de l’écrivain souhaite maintenir la paix dans DIE, et use notamment de ses propres créations littéraires (la machine à explorer le temps, les extraterrestres, les hommes invisibles) pour essayer d’empêcher la fusion qui s’annonce entre le monde de DIE et le monde réel. Dans le quatrième tome, c’est H.P. Lovecraft qui est à l’honneur, parsemant un donjon de ses créations cauchemardesques et de l’indicible.

Loin du plagiat ou du pot-pourri de clins d’œils, Kieron Gillen et Stéphanie Hans usent de ces personnages historiques pour donner une cohérence interne à DIE, faire progresser les aventures des protagonistes, et même montrer un aperçu de l’histoire de la création des jeux de rôle dans notre monde. Cela tient sur un équilibre fin, mais parfaitement nuancé, et justifié par le fait qu’il s’agit autant d’auteurs favoris de notre groupe de héros, que parce qu’ils sont nécessaires pour expliquer la création de l’univers de DIE. Leur face à face avec les autres personnages deviennent ainsi des situations mémorables, parfois intimistes et philosophiques, mais aussi des hommages à l’héritage culturel et imaginaire qu’ils ont laissé.

Cependant, DIE n’oublie pas d’être une série aventureuse pour autant. Les péripéties et retournements de situations sont nombreux et entraînants, les personnages sont toujours aussi bien campés par une attitude, une répartie, chacun gardant sa propre individualité malgré les scissions ou différences entre eux. Stéphanie Hans déborde d’inventivité quand il s’agit de donner un visage aux dieux sollicités par Izzy, de créativité face aux tenues de ses personnages (Ash en tête) et aux décors variés, et aussi de subtilité quand il s’agit de les faire passer par une émotion difficile. Chaque page déborde d’une palette de couleurs bien précise (comme cela l’est expliqué en annexe par l’illustratrice), permettant de donner une ambiance différente à chaque scène et de mettre en avant les personnages.

« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » (W. Shakespeare, La tempête)

DIE déborde d’inventivité, jouant avec son propre univers : les concepts de boss de fin, de donjon, de rôles à jouer selon des règles, de maître du jeu, etc, sont ainsi pris au premier degré. Ils reflètent les codes d’un véritable jeu de rôle ou jeu vidéo. Mais à chaque fois, ils sont réinventés et revus par les auteurs, pour proposer une lecture propre aux personnages tout autant que des clins d’œils à la pop-culture. DIE n’est-il pas un jeu inventé pour et par eux, après tout ? Le hasard d’un lancer de dés n’est-il pas le même hasard que celui de la vie, amenant des événements que nous subissons, car ils sont la décision d’un autre joueur ?

© DIE, tome 4 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2022

Et ce sont bien les personnages, principaux ou non, qui nous guident, qui maintiennent notre émotion et notre attention depuis le début. Leur parcours en quatre tomes les amène à évoluer, les forçant à observer les conséquences de leurs actes passés dans l’univers imaginaire, mais aussi la façon dont ils agissent dans le monde réel. Il est cependant parfois dommage que leur développement ne soit pas aussi fouillé pour chacun que pour Ash, qui reste le·la leader de l’intrigue. Comme au temps de l’adolescence, DIE ressemble à un terrain de jeu, une fiction où ils peuvent expérimenter, progresser pour devenir peut-être de meilleures personnes. Les protagonistes demeurent marqués par leur passé et par ce que cette nouvelle exploration de DIE révèle d’eux, maintenant qu’ils sont des adultes mûrs. Le comics se permet ainsi d’aborder en filigrane le deuil et la maladie, les responsabilités parentales, la recherche de son identité de genre, le déni d’une mort à venir, la dépression, les traumatismes familiaux…

Par la fiction, DIE met en filigrane des sujets sensibles et réels. La réalité nourrit l’imaginaire et celui-ci, en retour, peut parfois être utilisé pour guérir le monde réel. La frontière devient d’ailleurs floue entre les deux : la menace de la fusion des deux mondes, les parallèles avec l’Histoire et des figures réelles ayant permis la construction de DIE, ou le fait que chaque morceau de ce monde fictif puisse être créé par le rêve de n’importe qui. Le comics explore là ce qu’il a dans le cœur depuis le début : la capacité de la fiction à nous permettre un refuge, une fuite, mais aussi d’y puiser des forces, des métaphores ou des révélations sur nous-mêmes. Même les annexes en fin de tome, présentant le témoignage de figures marquantes du jeu de rôle dans les vingt dernières années, reviennent sur ce pouvoir créateur qui peut aider à grandir et à construire une vie. Toute catharsis ne se fait pas dans la douceur, toute évolution n’est ni linéaire, ni facile, nécessitant des sacrifices. Nos personnages sont davantage en paix avec eux-mêmes, à la fin du dernier tome, mais il leur reste encore toute une vie pour grandir et maturer, après avoir expérimenté le meilleur et le pire dans l’univers de DIE.

« Tu étais l’aventure et l’excitation quand la vie était ennuyeuse. Tu étais un endroit où explorer les pires facettes de nous-mêmes, mais aussi les meilleures. Tu étais un endroit où certains d’entre nous se sont réfugiés de la vie réelle. Tu étais un endroit où apprendre et comprendre les conséquences de nos actes. Tu as permis à Matt de puiser de la force dans ce qui le détruisait. Tu as donné un objectif à Sol et à moi, un lieu où être moi-même. Tu as permis à Angela de jouer les adultes, à Izzy de prendre ses responsabilités et à Chuck de les refuser. Tu es le lever de soleil sur Angria, la brume sur le Front, les souvenirs des fois où nous avons été courageux, terrorisés ou autre chose. Tu as été tout ça pour nous… mais nous en avons assez. »

DIE se conclut avec une fin douce-amère, comme le méritait une histoire de cette envergure. Au-delà de l’aventure fantasy que le comics propose, et malgré quelques aspects nébuleux parfois obscurs, la série vaut indubitablement le détour si vous êtes sensible à son propos. Parce qu’un jour nous avons tous et toutes croisé un jeu vidéo, un jeu de rôle, un univers de fiction, qui a permis une échappatoire de la réalité, qui nous a ouvert les yeux sur nous-mêmes, qui nous a permis de grandir d’une façon ou d’une autre. Et c’est de cela, avant tout, que parle DIE : de cette manière unique dont l’imaginaire marque, dont la fiction peut être en lien profond avec notre existence et nous aider à vivre.

« A une période de ma vie, je n’allais pas bien du tout […] mais je faisais très bien semblant. […] C’est à cette période que j’ai rencontré mes partenaires de jeu de rôle. Nous nous retrouvions une fois par semaine dans un monde de fantasy où je pouvais oublier qui je suis et où faire semblant était en fait une vérité. C’était une bouée de sauvetage, un cocon dans lequel je me suis reconstruite. […] Je me plais à penser que j’ai arrêté parce que j’étais prête à affronter le monde moi-même. […] Quand j’y repense, je sens bien que les racines d’où je puise ma force sont plantées dans ces moments où, avec ces personnes que j’ai perdues de vue, on créait des univers extraordinaires dans lesquels j’étais une sorcière incroyablement puissante, déterminée à devenir la plus grande de sa génération. Et cette sorcière vit toujours quelque part dans mon cœur et est prête à se battre quand je ne le peux pas. » (Stéphanie Hans, annexes de fin du 4e tome)

  • Les tomes 1 à 4 de DIE sont tous disponibles en librairie aux éditions Panini Comics.
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À l’heure où on tente tant bien que mal de supporter les canicules successives, il est bon parfois de trouver un peu de fraîcheur là où on peut. Et si celle-ci reste très métaphorique, Miyuki Tonogaya propose dans son premier manga d’imaginer un homme qui provoquerait une tempête de neige partout où il passe. Enfin plus ou moins, car dans ce coup de foudre entre deux personnes atypiques, où l’une est réputée pour son indifférence et son insensibilité et l’autre gèle littéralement quand il est stressé, The Ice Guy and the Cool Girl apparaît comme une vraie curiosité. Cette tranche de vie aux accents romantiques est une première dans un catalogue Mangetsu où, depuis son lancement, l’éditeur ne s’intéressait pas tant que ça à la romance. 

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Un cœur à réchauffer

©Miyuki Tonogaya/SQUARE ENIX

On dit que les opposés s’attirent, et c’est tout le propos du manga de Miyuki Tonogaya. L’autrice imagine deux êtres aux personnalités complètement opposées, où l’un est puits sans fond d’émotions, incapable de cacher ce qu’il ressent, tandis que l’autre est froide, indifférente à toute pression ou à ce qui arrive autour d’elle. De quoi installer une dynamique finalement assez classique dans les romances côté mangas, avec ces couples sortis de nulle part qui arrivent à se former alors que rien ne les rassemble réellement. Mais The Ice Guy and the Cool Girl y met un twist très sympathique, avec une dose de surnaturel : Himuro, le garçon, provoque de littérales tempêtes de neige quand son cœur s’emballent. Il lui arrive aussi de se matérialiser en glaçon quand il est stressé, ou de fondre quand il est gêné. Descendant d’une yuki-onna (une « femme des neiges »), sorte de créature mythologique japonaise, Himuro n’a pourtant rien d’exceptionnel en dehors de cette capacité qui ressemble plus à un handicap pour lui qu’un pouvoir. Condamné à geler ses collègues et ses proches quand il ne parvient pas à garder son calme, il intrigue pourtant la « Cool Girl », Fuyutsuki, qui fond pour cet homme tout à fait atypique.

Les deux se rencontrent au travail et forment une complémentarité étonnante, puisque tandis que lui surréagit à tout, elle ne réagit à rien, ils sont unis autant par leur timidité que par leurs réactions diamétralement opposées face à des événements qui les dépassent souvent. Et inévitablement, les deux jouent soudainement un rôle important l’un pour l’autre, elle parvient à le calmer, lui parvient à lui faire ressentir des émotions qu’elle n’avait pas auparavant. Très clairement, cette rencontre a quelque chose de très feel good, très orienté vers l’acceptation de soi mais aussi des autres, de leurs différences, en essayant de comprendre des personnes avec qui on n’a pas grand chose en commun. Très mignonne, la dynamique qui s’installe entre les deux personnages fonctionne sacrément bien et donne à cette histoire d’amour naissante une douceur qui fait du bien. 

Les opposés s’attirent

©Miyuki Tonogaya/SQUARE ENIX

D’autant plus que le manga se permet une narration étonnante, avec un premier tome qui aligne des chapitres très courts, de cinq à dix pages tout au plus, où l’histoire se dévoile via des saynètes où l’amour et l’humour s’entremêlent. A la limite parfois du gag manga, The Ice Guy and the Cool Girl en mélangeant les genres sans se cantonner aux simples codes de la romance, même si tout est loin d’être parfait. Ces courts chapitres permettent déjà d’aller assez loin dans la découverte de ces deux personnages, très vites attachants grâce à leurs personnalités étonnantes et leurs particularités qui en font des personnes « à part » parmi leurs collègues. Visuellement, le trait est fin et élégant, c’est un joli manga bien que la mise en scène reste très simpliste et classique. En fait, ce qui marche, c’est l’effet de fraicheur du manga, qui réinvente à sa manière la romance en y distillant quelques éléments de surnaturel et en jouant plutôt bien sa partition côté comédie. 

Quelle bonne surprise que ce The Ice Guy and the Cool Girl. Ni caricaturale ni simpliste dans sa manière d’aborder ce fameux coup de foudre entre deux personnes que tout oppose, l’autrice profite allègrement des situations atypiques provoquées par le « pouvoir » de son héros. D’abord pour provoquer quelques situations comiques très réussies, mais aussi pour dynamiser une histoire d’amour qui se veut atypique. Coup de cœur aussi pour son format sous forme de saynètes, avec une variété de situations qui rappelle qu’il s’agit avant tout d’une tranche de vie. 

  • Le tome 1 de The Ice Guy & The Cool Girl est disponible en librairie aux éditions Mangetsu depuis le 13 juillet 2022.
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Habitué à publier des comics américains, l’éditeur Urban Comics s’aventure parfois sur des terrains qui lui sont moins naturels avec sa collection Urban Graphic. Une collection qui a l’ambition parfois de parler de BD, comme à cette occasion où l’on découvre une œuvre créée par Frédéric Brrémaud et Jean-Claude Bauer avec la firme intention de raconter une histoire fondamentale pour les mémoires, celle d’un tortionnaire de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi qu’est sorti en librairie le 13 mai 2022 la BD Klaus Barbie – La route du rat, où l’on se remémore les actes de l’officier allemand, responsable de milliers de meurtres, jusqu’à sa fuite puis sa condamnation. 

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

La poursuite du tortionnaire

© Urban Comics 2022

A la fin de la Seconde Guerre mondiale des dignitaires nazis fuient l’Europe en profitant de l’aide de certains groupes et dirigeants, notamment en Amérique du Sud. Lieu de choix pour des fascistes qui trouvaient là un soutien indéfectible de quelques dirigeants prêts à les accueillir. Les anglais désignent ces filières d’exfiltration de nazis comme des ratlines, traduit en français par la route des rats. Ces réseaux ont profité à de très nombreux officiers, quelques-uns moins gradés que d’autres, mais surtout à des dignitaires qui avaient une place fondamentale au sein de la machine de violence et de mort qu’incarnait le nazisme. Parmi ces personnes, Klaus Barbie, ancien chef de la gestapo de Lyon, qui était à cette époque essentiellement recherché pour l’arrestation, la déportation et le meurtre de milliers de juifs·ves, ainsi que l’arrestation et la torture de Jean Moulin. Écrit par Frédéric Brrémaud et dessiné par Jean-Claude Bauer, la BD revêt un caractère d’œuvre mémorielle, cherchant à raconter de manière plutôt didactique le chemin parcouru par un bourreau, de sa naissance jusqu’à sa condamnation pour crimes contre l’humanité, une première en France à l’époque. Et si la BD vaut autant le coup d’œil, c’est aussi parce que Bauer était aux premières loges du procès. Lui qui réalisait les croquis d’audience au procès de Barbie se remémore là quelques uns des moments les plus violents, les plus douloureux, alors que les actes ignobles du tortionnaire étaient égrenés pendant de longues semaines au cours d’un procès hors norme, où l’on devait juger des actes qui étaient encore à peine imaginables. Les croquis d’audience ont une importance capitale pour l’histoire dans les grands procès en France, notamment parce qu’il est extrêmement rare et exceptionnel que les caméras y soient autorisées, les dessins devenant les seuls témoins de l’histoire. Et c’est dans le style très particulier du croquis d’audience que se montre la BD, sous le trait précis et bien identifiable de Jean-Claude Bauer, retraçant le parcours de celui qui incarnait les crimes du régime nazi.

Après une courte préface de Beate et Serge Klarsfeld, qui ont consacré leur vie à poursuivre juridiquement les anciens nazis afin de les faire condamner pour leurs crimes, la BD raconte le parcours de Klaus Barbie. D’une jeunesse somme toute classique pour un jeune allemand au début du siècle dernier, jusqu’à ce qu’il s’imprègne de l’idéologie mortifère du parti nazi où il gravit peu à peu les échelons, dans une surenchère de violence et de cruauté qui lui permet d’incarner la gestapo de Lyon, où il met alors en œuvre la déportation et le meurtre de milliers de juifs·ves et de résistant·e·s. La BD relate aussi les incroyables magouilles mises en place pour parvenir à le capturer en Amérique du Sud, 39 ans après la fin de la guerre, des plans foireux qui peinaient à trouver des solutions pour s’emparer d’un Klaus Barbie vieillissant. La solution diplomatique avait échoué, lui qui était protégé un temps par les États-Unis. Puis, au gré des considérations politiques et d’une tentative d’enlèvement qui a échoué, Klaus Barbie finit par être arrêté et extradé vers la France. Un épisode que Brrémaud raconte comme un récit d’espionnage, un moment de mystère et de suspense où ce qui ressemblait à la fin d’une longue histoire n’était que le début d’une lutte interminable. Parce qu’il fallait encore l’amener devant un tribunal à la composition unique, réuni pour tenter de faire condamner le nazi pour un motif qui n’avait jamais existé juridiquement en France jusque-là : celui du crime contre l’humanité.

Recherche de justice

© Urban Comics 2022

Klaus Barbie – La route du rat est extrêmement riche en textes, le récit est précis et détaillé, on est pratiquement face à un livre d’histoire. C’est passionnant à lire mais aussi éprouvant car l’horreur y est racontée en détails, sans nous ménager. La surabondance de texte fait toutefois à certains moments perdre de vue à la BD son sens premier : si celle-ci est pertinente dans son récit historique, on sent parfois les cases êtres submergées par le texte, laissant moins de place à la beauté des planches et à l’image. Il est pourtant difficile de le lui reprocher, chaque mot ayant une importance capitale dans un récit qui ne peut pas souffrir d’approximations ni d’interprétations. Notamment une fois arrivé au procès, où des témoignages absolument insoutenables doivent être lus et compris pour mieux saisir l’horreur du nazisme. Par exemple celui de la résistante Lise Lesèvre, un récit absolument nécessaire, mais pour lequel il faut alerter : sa lecture est difficile, violente, très imagée, ce n’est pas à mettre entre toutes les mains. Visuellement superbe, les planches renforcent la dignité de ces hommes et femmes qui ont vécu l’horreur et qui ont pris le temps de dire et d’expliquer leur vécu pour que le monde soit témoin de ce qu’il s’est passé. La BD se conclut sur une chronologie des événements, de la naissance de Klaus Barbie à sa condamnation pour crimes contre l’humanité. Puis quelques réflexions intéressantes de Pierre Truche, le procureur général au procès, sur la notion de « crime contre l’humanité » et la manière dont cela a été appliqué pour la première fois en droit français à l’époque. Puis enfin, des réflexions de Jean-Claude Bauer sur ce qu’il a ressenti en couvrant le procès en tant que dessinateur pour réaliser les croquis d’audience.

L’histoire de Klaus Barbie a été raconté de très nombreuses manières, que ce soit dans des livres d’histoire, dans des documentaires, au cinéma ou maintenant en BD. Tous les moyens sont bons pour dire et redire l’horreur, celle qui a fait plonger une part de l’humanité plus bas que terre. Il est d’une difficulté absolument terrible de chroniquer cette BD, parce qu’elle n’est certainement pas ce que l’on attend habituellement du genre, notamment à cause de ses murs de texte qui piétinent parfois les planches dans un média qui est, traditionnellement, très attaché à l’image. Mais c’est aussi un moyen très intéressant de découvrir ou de se remémorer cette partie de l’histoire. Une époque qu’il faut garder en tête dans un devoir de mémoire pour ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs. Une formule, je vous le concède, qui sonne un peu creuse dans le contexte politique actuel où un parti fasciste, héritier de collaborateurs et d’anciens Waffen-SS, mène le débat politique français en 2022 et dispose de 89 sièges à l’Assemblée Nationale. J’ai honte, mais on va faire en sorte de ne jamais oublier. 

  • Klaus Barbie – La route du rat est disponible en librairies depuis le 13 mai 2022 aux éditions Urban Comics.
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Bonjour à toutes et à tous ! Ici Reblys, et bienvenue dans ce deuxième épisode de « En trois mots » !

Vanquish est un jeu que j’avais depuis longtemps dans un coin de la tête. Il n’est pas vraiment connu du grand public, mais défendu avec passion par une petite communauté qui lui est fidèle. Ce genre de cas m’intéresse, car souvent, ces œuvres valent la peine que l’on s’y attarde. Elles recèlent souvent une originalité que je recherche lorsque je pars à la découverte de ce que je ne connais pas.
Et avec Vanquish…je n’ai pas été déçu !

J’espère que la vidéo vous plaira, et vous donnera envie de tenter le coup à votre tour !

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Bien avant que J. K. Rowling ne devienne le croque-mitaine de Twitter, Stephen King était le maître incontesté de l’horreur, dans la littérature américaine. C’est avec Carrie (1974) que le romancier débuta une carrière très prolifique. Stephen King n’en doit pas moins une part de son immense popularité au cinéma et à la télévision. Il est l’un des auteurs les plus adaptés au monde, aux côtés de mastodontes tels William Shakespeare ou Agatha Christie. L’exploit est d’autant plus remarquable que l’auteur l’a réalisé de son vivant, alors qu’il est encore en activité. Ce n’est pas une coïncidence pour autant. Il n’est pas rare que Stephen King échange les droits de l’un de ses bouquins contre un dollar symbolique. C’est notamment le cas des Dollar Babies, des adaptations réalisées par des étudiants ou de futurs réalisateurs et réalisatrices. A ce jour, on recense plus de 80 adaptations (officielles) de l’auteur, sur petit ou grand écran. Aussi est-il tout à fait adéquat de parler de Stephen King Cinematic Universe.

Stephen King

Bien que ce ne soit pas toujours le cas, de nombreuses histoires de l’auteur s’entrecroisent où se déroulent dans le même univers. Ses villes de prédilection sont Castle Rock, Derry et Haven, toutes trois fictives et situées dans le Maine. Si le regretté Stan Lee faisait l’objet de caméos, dans la majorité des films du Marvel Cinematic Universe, Stephen King n’est pas avare non plus en matière d’apparitions. Elles lui permettent même de compléter un CV fictif très hétéroclite. Chef d’orchestre dans Shining et avocat dans La tempête du siècle, l’auteur devient livreur de pizza le temps d’une scène de Rose Red, et prêtre dans Simetierre. Il incarne même un jardinier à la main très verte dans Creepshow. Or, cette liste est loin d’être exhaustive. Il n’est pas rare non plus de retrouver les mêmes comédiens ou réalisateurs, dans plusieurs adaptations du SKCU. Rob Reiner réalisa Stand by me et Misery tandis que Frank Darabont, grand fan de l’auteur, mit en scène Les évadés, La ligne verte puis The Mist.

Le SKCU comprend de nombreux chefs-d’œuvre, demeurant toutefois minoritaires face à une quantité non négligeable de films oubliables voire de véritables nanars. Cet article a pour vocation d’arpenter les thématiques centrales de l’œuvre cinématographique de Stephen King, avec le moins de spoilers possibles ; mais aussi de ne conseiller que le haut du panier, (bien que certaines pommes pourries puissent parfois servir d’exemples intéressants ou amusants). Il va de soi qu’il s’agit d’un point de vue subjectif, et d’autant plus biaisé que je n’ai pas eu l’occasion de voir l’ensemble des adaptations. Certaines sont aujourd’hui très difficiles à trouver, quand d’autres sont des séries dont le visionnage aurait été trop chronophage. Mais qui sait ? Nous nous retrouverons peut-être dans quelques (dizaines) d’années pour une étude complète de l’œuvre audiovisuelle et littéraire de Stephen King ?

Les leitmotivs de Stephen King

Bien qu’il soit considéré comme un maître de l’horreur, Stephen King – qui écrivit parfois sous le nom de Richard Bachman – est aussi l’auteur de récits plus réalistes et humanistes. Il n’en demeure pas moins un grand amateur de récits angoissants et fantastiques, dans lesquels les forces antithétiques du bien et du mal s’affrontent inexorablement. L’auteur se nourrit de son quotidien ou d’angoisses très personnelles pour donner vie à des archétypes de personnages. De nombreuses histoires dénoncent les excès de la religion, la nouvelle technologie ou encore l’addiction. Comme de nombreux auteurs avant lui, le romancier se nourrit de la réalité pour donner vie à ses monstres et engendrer la peur. Aussi violentes ses œuvres soient-elles, il reste convaincu de leur effet cathartique. Les lecteurs et spectateurs ont besoin de cette décharge émotionnelle. Et ce n’est pas cela qui les incitera à se montrer violents dans la réalité, comme se plaisent souvent à le stipuler les médias. Malgré tout, Stephen King demanda à son éditeur d’arrêter la publication de l’un de ses premiers ouvrages, en 1999. Il s’agit de Rage (1977), dans lequel un lycéen tue sa prof de maths avant de prendre sa classe en otage. A la fin des années 80 et dans les années 90, quatre tueurs de masse différents auraient eu Rage en leur possession avant de commettre l’impensable dans leur école respective. Suite à la fusillade du lycée Columbine, l’auteur renonça définitivement à ce récit. L’œuvre de Stephen King aborde des thèmes douloureux, avec parfois beaucoup de cruauté. C’est peut-être pourquoi nombre d’adaptations en édulcorent des scènes ou le sort de certains personnages. Elle n’en demeurent pas moins le témoignage de la richesse des thématiques chères à l’auteur.

« Le diable et le bon dieu »

Bill Skarsgard © Ça

A l’instar des récits dont elles sont issues, de nombreuses adaptations sont manichéennes. Elles opposent les forces du mal à celles du bien. Si certains personnages sont profondément bons, d’autres sont des entités purement diaboliques. L’une d’elles est d’ailleurs la première image qui s’insinue de notre esprit apeuré, dès lors que l’on prononce le nom de Stephen King. Sa réputation la précède. A défaut de l’avoir inventé, elle a déclenché de nombreuses vagues de coulrophobie depuis 1986. Elle effraie tellement qu’elle est innommable… Ça terrorisa les enfants des années 90, grâce au téléfilm mettant en scène Tim Curry. En 2017, Bill Skarsgard contribua à la réanimation du clown amateur de chair (très) fraîche, confirmant que les thématiques de King sont indémodables. Ça est bien plus qu’un clown tueur d’enfants. Il est une entité métamorphe dont l’ombre plane sur la ville de Derry et en corrompt les habitants, depuis le fond des âges. Bien qu’elle soit absente des adaptations, il existe dans le roman une force bénéfique équivalente, prenant la forme d’une tortue. Celle-ci reste toutefois très en retrait et n’intervient que de manière indirecte, contrairement à son Némésis.

D’autres antagonistes ressemblent à s’y méprendre au diable. C’est le cas de Leland Gaut (Max von Sydow) dans Le Bazaar de l’épouvante (1994) ou d’André Linoge (Colm Feore) dans La tempête du siècle (1999, le script fut directement écrit pour la télévision). Le premier ouvre une boutique unique, à Castle Rock, dans laquelle les habitants peuvent trouver ce qu’ils désirent le plus. En échange, ils devront rendre un service… Oh, trois fois rien ! Fin manipulateur, Leland Gaut profite pourtant de cette affaire pour retourner les citoyens les uns contre les autres, et faire de la ville un véritable enfer. Pour André Linoge, l’enfer c’est la répétition. « Donnez-moi ce que je veux et je m’en irai, » dit-il, depuis les barreaux derrière lesquels on l’a enfermé. Alors, les habitants de Little Hall finissent par réaliser que ce sont eux qui sont pris en otages sur leur propre île.

Tom Hanks et Michael Clarke Duncan © La ligne verte

Si le diable est une entité puissante, les hommes cruels sont légion dans l’œuvre de King. Il n’est pas toujours question du combat entre le bien et le mal mais parfois d’une lutte des classes. Il est inconcevable d’évoquer les grands antagonistes du SKCU sans mentionner Warden Norton (Bob Gunton). Tandis que plusieurs directeurs de prison se succèdent dans la nouvelle initiale ; Frank Darabont fait le choix judicieux de n’en présenter qu’un seul dans Les évadés (1994). Sous ses apparentes bonnes manières et ses airs dévots, Warden Norton est un homme cupide et impitoyable, qui n’hésite pas à oppresser les détenus ou à bafouer la vérité, pour parvenir à ses fins. Je pourrais aussi mentionner Kurt Dussander (Ian McKellen) dans Un élève doué (1999). Après avoir échappé aux autorités, cet ancien nazi vit paisiblement ses vieux jours, du moins jusqu’à ce qu’il reçoive la visite d’un adolescent pas comme les autres. Le jeune homme commence à le faire chanter : Kurt doit lui raconter les choses les plus sordides auxquelles il a assisté s’il ne souhaite pas être dénoncé. S’ensuit un jeu du chat et de la souris, dans lequel le vieux nazi finit par reprendre le dessus et corrompre une jeunesse déjà bien entachée.

Heureusement, d’autres vieillards ont une influence plus bienfaitrice. C’est le cas de Ted Brautigan (Anthony Hopkins) dans Cœurs perdus en Atlantide (2001). Doté de capacités extraordinaires, il se lie d’amitié avec son jeune voisin, à qui il laissera un souvenir impérissable. Protecteur mais mystérieux, Ted est pourchassé par des « hommes en noir » dont on ne peut qu’imaginer la provenance. Enfin, l’une des figures du bien les plus marquantes est incarnée par un homme dont le nom ne s’écrit pas du tout comme le café. En revanche, les initiales de John Coffey (Michael Clarke Duncan) sont significatives. Dans La ligne verte (2000), ce colosse est condamné à la peine de mort après qu’on l’ait retrouvé auprès des dépouilles de deux fillettes. Les gardiens du pénitencier, menés par Paul Edgecomb (Tom Hanks) le trouvent néanmoins doux comme un agneau. Il semblerait même que John Coffey ait la capacité d’aspirer le mal et les maladies, chez les autres… Oh, et puis il y a Mr. Jingles.

« Huis clos »

Jack Nicholson © Shining

Ces luttes manichéennes sont d’autant plus intenses qu’elles se déroulent bien souvent dans un huis clos. C’est là que le mal s’insinue le mieux et que les victimes sont les plus vulnérables. C’est là que la tension atteint son paroxysme. C’est ainsi que de pauvres âmes en peine se retrouvent prises en otage dans une ville, un lieu fermé ou parfois même dans une voiture… Les évadés et La ligne verte prennent place dans une prison, où les personnages sont tenus en étau par leur propre destin…

Le huis clos le plus iconique de l’œuvre de King est certainement l’hôtel de Shining (1980). Ce n’est un secret pour personne : l’écrivain ne porte pas dans son cœur Stanley Kubrick, dont le film culte est très peu fidèle au roman original. Alors que Jack Torrance est d’abord supposé être un homme ordinaire, King regrette que la prestation de Jack Nicholson lui donne l’air immédiatement fou. Elle n’en demeure pas moins aussi marquante que les allées et venues du petit Danny dans les dédales de l’hôtel, ou encore la vision des jumelles se tenant par la main. Comme d’autres adaptations, Shining accuse le coup des années et a beaucoup vieilli. Au reste, il demeure l’un des films les plus iconiques du SKCU. Il témoigne, par ailleurs, de l’affection de l’auteur pour les terrains enneigés hostiles.

Quand les personnages ne sont pas enfermés dans un hôtel, ils deviennent les prisonniers d’un manoir inspiré du Winchester Mystery House, une maison hantée de la Sillicon Valley. Dans Rose Red (2008, script écrit pour la télévision), le professeur Reardon (Nancy Travis) entraîne une équipe de médiums dans un manoir hanté, qui a la réputation de continuer à se bâtir seul. Il s’agissait – comme on s’en doute – d’une mauvaise idée. Quitte à choisir, il vaut peut-être mieux être enfermés dans un magasin… Ou pas. C’est le cas des survivants de The Mist (2007), qui tentent d’échapper à la Brume, ou du moins des choses qui s’y cachent. La boutique devient alors un microcosme reflétant la société et ce qu’on y trouve de pire. The Mist est un film inoubliable grâce au rebondissement final, différent de la nouvelle.

James Caan et Kathy Bates © Misery

L’espace se rétrécit et nous voilà enfermés dans une seule chambre : La chambre 1408 (2008). L’auteur et chasseur de lieux hantés Mike Enslin (John Cusack) n’écoute pas les mises en garde du directeur de l’hôtel, en pénétrant dans cette chambre qui serait habitée par le diable. Un autre auteur est cloué dans une chambre, et même dans un lit. Il s’agit de Paul Sheldon (James Caan) dans Misery (1991). Le romancier est soigné par une infirmière qui manie le marteau à ses heures perdues. La prestation de Kathy Bates dans le rôle d’Annie Wilkes a tellement impressionné Stephen King qu’il a tout de suite imaginé les traits de la comédienne, lorsqu’il a commencé à écrire l’histoire de Dolores Claiborne. Retenue à son lit par des menottes, cette fois, Jessie (Carla Cugino) fait face à ses propres démons dans le film Netflix (2017) signé Mike Flanagan (The Hauting of Hill House, 1922). Enfin, Donna (Dee Wallace) est enfermée avec son petit garçon dans une voiture, en pleine canicule, pour se protéger du saint-bernard enragé répondant au nom de Cujo, dans un film de 1983.

J’ai, personnellement, eu toujours beaucoup d’affection pour les histoires se déroulant dans un huis clos. Un cadre aussi restreint permet d’accentuer la tension et de se rapprocher des personnages. Ces différentes adaptations sont plus ou moins réussies mais ont du moins le mérite de renouveler les péripéties, en disposant finalement de très peu d’outils.

« Le club des ratés »

River Phoenix, Corey Feldman, Jerry O’Connell et Wil Wheaton © Stand by me

Que seraient une bonne histoire ou même un lieu iconique sans des personnages marquants ? Stephen King utilise à foison les mêmes archétypes de personnages, si bien qu’ils nous deviennent familiers. Pour cause, l’auteur s’inspire de ce qu’il connaît voire de ce qu’il a vécu. Avant de commencer à écrire, il regrettait que les romans fantastiques ou gothiques qu’il appréciait tant se déroulent principalement dans l’Europe du dix-neuvième siècle. Stephen King a permis aux Américains moyens du troisième millénaire d’imaginer le pire, chez eux ou au coin de la rue. Ils ne le remercieront sans doute jamais assez pour cela, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas un hasard si les personnages principaux du SKCU sont souvent des enfants. Leur imagination est débordante. Ils ont encore la faculté de s’étonner de tout. Mais ils sont aussi des proies vulnérables, tant pour les monstres que pour les parents. Enfin, l’apparition de dons surnaturels chez eux est souvent la métaphore de l’arrivée de la puberté. (Cela est particulièrement évident dans Carrie). Ainsi, il est fréquent qu’une bande de copains s’apprête à affronter l’adversité. On ne présente plus le Club des Ratés, apparaissant dans Ça. Dreamcatcher (2003) met également en scène des amis d’enfance originaires de Derry, avant qu’ils ne soient dérangés par un homme souffrant de… flatulence. Mais la plus belle ode à l’amitié se trouve certainement dans le film Stand by Me (1986), inspiré de la nouvelle Le Corps. Quatre garçons décident de partir à l’aventure pour retrouver le corps d’un enfant, fauché par un train, près de la rivière. Aucun événement surnaturel ou horrifique ne vient déranger ce voyage, ou devrais-je dire ce récit initiatique. Comme dans la nouvelle, le narrateur fait le constat nostalgique suivant : « Je n’ai plus jamais eu des amis comme à douze ans. »

Un chat ! © Simetierre

Malheureusement, tous les enfants du SKCU ne disposent pas de pouvoirs comme Carrie, Danny (Shining) ou Annie (Rose Red). Ils constituent des cibles d’autant plus vulnérables pour les croque-mitaines et surtout, les adultes malintentionnés. Stephen King semble avoir une opinion particulièrement négative des pères. Serait-ce parce que le sien l’a abandonné lorsqu’il était enfant ? Jack Torrance est un homme alcoolique qui a déjà battu Danny, par le passé. Le prix des pires géniteurs possibles revient certainement à ceux de Jessie et Selena (Dolores Claiborne). Mais nous reviendrons sur ce dyptique quelque peu féministe plus tard.

Même quand ils ne sont pas maltraités par leurs parents, il n’est pas rare que les enfants connaissent un sort néfaste et possiblement funeste, comme c’est le cas dans Cujo, La tempête du siècle ou Simetierre. Le film Simetierre (de 1989, pas le remake !) est probablement l’un de ceux m’ayant le plus affectée. Le long-métrage de Mary Lambert a vieilli mais demeure oppressant. L’histoire persiste à glacer le sang en abordant l’angoisse la plus sourde et taboue qui puisse nous tordre les entrailles : la perte d’un être que l’on aime et que l’on essaie de protéger. Louis Creed (Dale Midkiff) perd son chat, heurté par un camion. L’un de ses voisins lui conseille de l’enterrer au cimetière des animaux. Le chat sort de la terre et retrouve son foyer. Malheureusement, l’animal de compagnie chéri n’est plus tel qu’il était autrefois… Et puis l’histoire se répète, le petit garçon du couple, Gage, se fait à son tour heurter par un camion…

Les héros de Stephen King peuvent – heureusement – atteindre l’âge adulte. Comme leur créateur, ils occupent régulièrement les professions d’enseignants ou d’écrivains (Shining, Misery, Chambre 1408,…)

« La machine à assassiner »

Robert Englund © The Mangler

De nombreuses histoires du SKCU persistent à dénoncer les même travers, si bien qu’on devine que l’auteur a quelques comptes à régler. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que King est technophobe et qu’il redoute les engins à roues.

Est-il bien utile de présenter Christine, un film de 1983 dans lequel Arnie (Keith Gordon) se fait posséder par une voiture tueuse ? En dehors de Christine, la plupart des films abordant cette thématique sont des nanars. Est-ce une coïncidence ? Je ne pense pas. Il est difficile de garder son sérieux quand les personnages de Maximum Overdrive (1986) sont pourchassés par une armée de véhicules tueurs. Dans Cell Phone (2015), les gens deviennent des zombies après avoir entendu un étrange signal provenant de leur téléphone portable. Mais la palme du nanar revient sans aucun doute à The Mangler (1995), dans lequel une presseuse possédée par un démon commence à écrabouiller celles et ceux qui ont le malheur de l’approcher. Après réflexion, c’était peut-être les costumiers et maquilleurs de Robert Englund qui étaient possédés…

Les fanatiques religieux en prennent aussi pour leur grade dans le SKCU. Avant d’être invitée au bal du diable, Carrie (Sissy Spacek, en 1976) est harcelée par ses camarades de classe. C’est un fait. Mais elle est aussi et surtout étouffée par l’éducation de sa fanatique de mère : Margaret, incarnée par Piper Laurie. Une autre dévote un peu trop zélée, Madame Carmody (Marcia Gay Harden) n’hésite pas à avoir recours au sacrifice humain, dans The Mist. Le film Peur bleue (1985, inspiré du roman illustré et calendrier L’année du loup-garou) n’est pas en reste.

Mais le plus vieux démon de Stephen King est l’addiction. L’auteur eut une relation douloureuse avec la drogue et fut alcoolique pendant de nombreuses années. Ceci explique probablement pourquoi certaines de ses histoires sont si… spéciales. Le sujet de l’addiction est parfois abordé frontalement, en mettant en scène un personnage qui en souffre, comme Jack Torrance. Dans d’autres histoires, il ne s’agit que de métaphores peu explicites. Ainsi, l’histoire de Misery ne dénoncerait pas seulement les fans trop zélés mais l’addiction. Il est vrai qu’Annie éprouve une passion dévorante pour le personnage fictif de Misery ou pour son auteur, Paul. Celui-ci est cantonné à l’histoire de Misery puis retenu dans un huis clos, de la même manière qu’une personne souffrant d’addiction s’enferme dans l’accoutumance. Quand le saint-bernard enragé Cujo s’en prend à une mère et son petit garçon, il ne serait lui-même que la métaphore d’un homme violent et toxique. Ces sens de lecture sont, quelques fois, très bien cachés, mais rendent ces œuvres d’autant plus cruelles.

Un dyptique féministe

Carla Gugino et Bruce Greenwood © Jessie

Il arrive qu’on reproche à Stephen King de ne pas vraiment savoir écrire les personnages féminins. Bien que Carrie soit son premier roman, il ne parvenait pas à s’identifier ni à s’intéresser à l’adolescente. Heureusement, Tabitha King, son épouse, l’aida à comprendre l’héroïne et à l’apprécier. Bien que l’auteur dépeigne des ménages malheureux, il est marié depuis 1971 et bien conscient que, sans Tabitha, il se contenterait d’écumer les bars, avec les tiroirs emplis de manuscrits inachevés.

Dans les années 90, l’auteur commence à faire amende honorable et à donner vie à des héroïnes intéressantes. Jessie (2017) et Dolores Claiborne (1995) ont bien des points communs. Les deux adaptations sont issues de romans rédigés en 1992. Une éclipse joue un rôle majeur dans chaque intrigue. Dolores Claiborne, interprétée par Kathie Bates, est soupçonnée du meurtre de la vieille dame pour qui elle travaillait. Cette enquête lui sert de prétexte pour revenir sur une affaire antérieure : la disparition de son mari, des années plus tôt. Il s’agissait d’un homme alcoolique, abusif envers son épouse mais aussi envers leur fille. Dans Jessie, l’héroïne éponyme est contrainte de participer aux jeux sexuels de son mari, avant que celui-ci ne soit victime d’une crise cardiaque. Menottée à son lit, la jeune femme commence à avoir des hallucinations qui font ressurgir des souvenirs enfouis. Mais s’agit-il seulement d’hallucinations ? Dans les deux cas, une femme blessée par le passé prend sa revanche sur la gent masculine. Dans la même veine, on peut mentionner le film Couple Modèle (2014), dans lequel Darcy (Joan Allen) réalise, après des années de ménage, que son mari est un tueur en série…

Épilogue

Tabitha et Stephen King

Stephen King est probablement l’auteur vivant le plus adapté au monde, si bien qu’on peut parler de SKCU. Les histoires qu’il écrit peuvent terrifier mais ce n’est peut-être pas la peur qui unifie à ce point les gens. Les lecteurs et lectrices, puis les spectateurs et spectatrices sont rassemblés par des thématiques qui leur semblent authentiques et qui leur parlent… La lutte sempiternelle du bien contre le mal, les huis clos, la maltraitance ou au contraire la revanche des enfants : tout cela suscite des émotions intenses. Si aucune phobie n’est épargnée, qu’il s’agisse de la peur des clowns, des chiens ou des… presseuses tueuses ; ces histoires et par extension ces films renvoient surtout à des doutes et des angoisses ancrés dans la réalité. L’auteur essayait lui-même d’exorciser sa peur de l’addiction. Il y a bien sûr beaucoup à redire sur le SKCU. Une quantité non négligeable d’adaptations ont mal vieilli, lorsqu’il ne s’agit pas de nanars. Cela n’en demeure pas moins une œuvre majeure de la pop culture.

Si vous souhaitez en savoir davantage, je vous encourage vivement à découvrir certaines des adaptations mentionnées plus haut, voire même les romans ou nouvelles dont elles sont tirées. Je ne peux que conseiller le visionnage du documentaire Stephen King – Le mal nécessaire (Amazon Prime) ainsi que la lecture de deux ouvrages. D’après une histoire de Stephen King recense les différentes adaptations tirées de l’imaginaire de l’auteur, en récapitulant les points communs ou les différences entre les films et romans. Stephen King à l’écran résume de manière plus analytique lesdites adaptations.

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South of the Circle est une production du studio britannique State of Play, connu surtout pour le jeu Lumino City à la construction et l’esthétique plus qu’originales. C’est en partenariat avec le studio polonais 11 Bit Studios que South of the Circle sort le 3 août 2022, pour nous plonger dans une histoire fictive au cœur de la Guerre froide, promettant une expérience narrative riche en émotions. J’ai donc saisi l’opportunité de découvrir un titre à l’histoire intrigante, sortant un peu des sentiers battus, et dont la période historique m’a toujours intéressée.

Cet article a été écrit suite à l’envoi d’un exemplaire numérique du jeu par l’éditeur.

Une ambiance minimaliste pour dessiner une Histoire aux multiples facettes

South of the Circle – State of Play & 11 Bit Studios, 2022 ©

South of the Circle nous fait vivre l’histoire de Peter, un scientifique en expédition vers l’Antarctique, en plein milieu de la Guerre froide. Son avion s’est écrasé et le pilote étant blessé, il se retrouve en terrain plus vite que prévu pour aller chercher de l’aide à la base scientifique non loin de là. En chemin, épuisé par la neige et le vent qui troublent sa vision, lui reviennent des souvenirs passés, de sa carrière de professeur à la rencontre avec sa petite amie, Clara, à Cambridge…

Le jeu met en scène des personnages on ne peut plus humains, du quotidien, sans en faire des héros : un aspect qui reflète les nuances et la complexité de la période historique pendant laquelle il se déroule. South of the Circle charme par ses traits minimalistes, par son style de dessin faussement simple qui caractérise pourtant clairement les personnages – presque simples silhouettes – par leurs vêtements et leurs couleurs. Cette esthétique donne même une certaine beauté aux paysages que l’on pourra arpenter, de la froideur hostile de l’Antarctique aux rues de Cambridge, en passant par l’Écosse et un port aux couleurs vives. La direction artistique du jeu sait jouer des tonalités de couleurs et des détails, pour faire ressortir une atmosphère et des émotions : le côté chaleureux d’une cabane en bois, l’austérité d’un bureau de recherches, ou pour se faire sentir perdu dans l’immensité de la neige.

Ce même minimalisme permet de se concentrer et de mettre en valeur son histoire. South of the Circle est avant tout un jeu narratif où les joueurs et les joueuses pourront choisir certaines décisions pour Peter, anodines au premier abord, et explorer quelques éléments de décors dans des lieux clos. Il ne faut pas chercher plus d’interactivité que cela : tout est dans l’intrigue et ses personnages. En plusieurs dialogues et conversations, le jeu parvient à nous faire comprendre les tensions de la Guerre froide, les guerres de coq entre professeurs de Cambridge, une amitié se transformant doucement en relation amoureuse, la lutte pour le droit des femmes… et, dans une action plus urgente, la survie de Peter au milieu de l’Antarctique.

Quand passé et présent s’entremêlent

La survie de Peter le fait passer par plusieurs bases scientifiques, dans un paysage hostile où le traité de l’Antarctique assure – ou assurait – une paix diplomatique entre Russes, Américains et Anglais, pour l’intérêt de la science. La vie de Peter et celle de son co-équipier, Floyd, paraissent ainsi ne parfois tenir qu’à peu de choses dans des conditions climatiques plus en plus hostiles. Au cours de ses errances, des flash-back reviennent par à-coups à l’esprit de Peter, faisant se confondre paysages présents et ceux du passé (d’une manière intelligemment reflétée par la direction artistique, en reprenant des éléments des décors). Une façon supplémentaire de s’immerger dans l’histoire et de prendre conscience des conséquences des choix passés.

South of the Circle – State of Play & 11 Bit Studios, 2022 ©

Les souvenirs de sa vie sont nombreux : la rencontre avec Clara, les moments où l’on aborde la difficulté de la recherche scientifique en pleine guerre, les recherches elles-mêmes, les instants où Peter imagine des projets de vie avec sa petite amie… Le jeu explore une thématique particulière, celles des promesses qui sont faites et qui ne sont pas toujours tenues ; un thème qui résonne particulièrement à la fin du jeu, en voyant ce qu’il advient de nos décisions. Et il se permet ainsi d’aborder bien d’autres sujets : les droits des femmes – les chercheuses étant particulièrement discréditées dans leurs travaux scientifiques à l’époque – la méfiance et paranoïa à l’égard des possibles espions soviétiques, les conflits entre vie personnelle et vie professionnelle et la réputation que cela peut entraîner. C’est face aux dangers de l’Antarctique, alors qu’il craint pour sa vie, que Peter revient en un sens sur ce qui l’a emmené là et sur les choix les plus importants de son existence. Peut-être sur la culpabilité de ne pas avoir su faire les bons, de ne pas en avoir fait assez au bon moment, dans le temps qui lui était donné.

L’aller-retour entre passé et présent est donc particulièrement réussi et bien mis en scène, s’inspirant parfois du cinéma, d’autant que les voix anglaises – pas de version française – sont portées par un jeu global particulièrement convaincant, y compris au niveau des accents. Les doubleuses et doubleurs font un beau travail, permettant de donner une vraie personnalité à leurs protagonistes, en plus des choix artistiques donnés aux vêtements et allures pour les représenter. Ce n’est pas parce qu’ils sont des silhouettes minimalistes qu’ils ne véhiculent pas d’émotion ; passer par l’hyper-réalisme n’est pas nécessaire pour porter une histoire, surtout inspirée de la Grande Histoire et avec plusieurs rebondissements.

South of the Circle - Port

South of the Circle – State of Play & 11 Bit Studios, 2022 ©

Si le gameplay de South of the Circle est assez simple, il est néanmoins aussi porté par la musique de Piotr Musial, qui parvient à faire passer des atmosphères assez différentes tout au long de l’intrigue. Les décisions de Peter appartiennent à quatre grandes catégories, symbolisées par les quatre touches de la manette : l’ouverture envers les autres (empathie), la raison (affirmation de soi, décision), la perplexité (peur, inquiétude), et l’optimisme (bienveillance, créativité). Ce sont ces quatre sentiments qui nous permettent d’orienter les choix de Peter et lui donner un caractère. Fouiller les lieux rencontrés avec soin permet aussi de dévoiler quelques options de dialogues en plus.

Il est seulement dommage que les sous-titres aient quelques petites coquilles ici et là, soit erreurs d’orthographe, soit traduction trop littérale des termes anglais. Cela n’empêche toutefois pas le contexte historique et l’histoire d’être clairs.

Un autre bonus appréciable se trouve dévoilé après avoir fini le jeu : une galerie virtuelle, inspirée de la carte de l’Antarctique, qui permet d’avoir accès à de nombreux concept-arts du jeu, sur la tenue des personnages, les décors imaginés, les objets et véhicules croisés durant l’aventure. Mais on y trouve également des photos de l’Antarctique datant des années 60 qui ont inspiré State of Play, ainsi que des photos de leur propre voyage de recherche sur place pour le jeu, en 2018. Une superbe idée qui permet de constater leur travail documentaire et de découvrir leurs idées avec plus de profondeur.

Conclusion

South of the Circle n’est pas le jeu de l’année, mais il est une très jolie découverte de jeu indépendant qui a le mérite d’explorer une période de l’Histoire peu exploitée dans les jeux vidéo, tout en proposant une aventure narrative émouvante. La simplicité du gameplay sert son intrigue, tout comme la direction artistique minimaliste qui ne néglige pourtant pas ses personnages et qui parvient à nous immerger dans l’Antarctique et ailleurs. On peut regretter que certaines pistes narratives restent un peu sans réponses, mais le jeu de State of Play propose en tout cas une expérience agréable et émouvante, faite avec cœur, et qui vous plaira si vous aimez les jeux narratifs et les tranches de vie.

  • South of the Circle est disponible dès le 3 août 2022 sur PC, Nintendo Switch, Playstation 4/5 et Xbox One et Series S|X.
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Bien installée dans la nouvelle continuité de l’ère Infinite, les publications des comics DC chez Urban Comics continuent leur petit bout de chemin avec les fournées mensuelles qu’on a désormais pris l’habitude de chroniquer sur Pod’Culture. Pour le mois de juin, on retournait du côté de la Bat-family avec trois titres : Batman, Harley Quinn et Robin. Et de manière tout à fait surprenante, c’est pas celui que l’on attendait le plus qui a su nous captiver.

Cette chronique a été rédigée suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Infinite – Tome 3

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Le tome précédent était assez tiède, moins convaincant que le délire horrifique du premier. Néanmoins, Batman Infinite reste évidemment le fer de lance de cette nouvelle ère, avec des événements à Gotham qui conditionnent plusieurs autres récits. Ce qui rend l’impatience d’en lire la suite que plus prégnante, et heureusement ce troisième tome remet le récit sur de bons rails. Très vite, on s’aperçoit d’un vrai bond en avant dans la mise en scène, avec quelques belles doubles pages, dont l’une met en valeur une belle confrontation entre Mahoney, le Peacekeeper, et Batman, alors que les plans de Simon Saint, le milliardaire assoiffé de pouvoir, commencent à tomber à l’eau. Mais il y a aussi la colère de Poison Ivy qui se déchaîne enfin, avec un personnage qui a longtemps été mis à l’écart mais qui révèle à nouveau son immense pouvoir, tandis que l’arc autour de l’attaque de l’Epouvantail et Simon Saint sur Gotham trouve sa conclusion. C’est un tome complet, qui donne lieu à quelques grands moments de batailles, et au-delà de ça, un dernier dialogue entre l’Epouvantail et Batman dans un ultime chapitre qui est une vrai réussite, très bien écrit et très intéressant visuellement. C’est là que James Tynion IV s’en sort le mieux, quand il fait parler les personnages plutôt que leurs poings, offrant une porte de sortie assez intéressante à une grande bataille qui n’a, certes, jamais eu l’ampleur attendue, mais qui a offert de bonnes choses. L’aspect horrifique des débuts, la remise en cause de Batman et de son statut d’unique sauveur de Gotham, et puis cette conclusion, autant de petits choses qui ont rendu dans l’ensemble la lecture tout à fait agréable.

En parallèle, ce troisième tome développe l’histoire esquissée dans Nightwing Infinite avec quelques chapitres de Tom Taylor et Robbi RodriguezBatgirl et Nightwing se mettent à poursuivre Augure, une personne qui prend le contrôle des systèmes d’Oracle (l’identité de Batgirl quand elle n’est pas sur le terrain). C’est, comme le tome de Nightwing dont on a parlé en mars dernier, très réussi. Inclure ces chapitres au milieu des événements de Batman Infinite est un bon choix éditorial de la part de Urban Comics, car cela permet de temporiser l’action de Batman par une histoire parallèle où Nightwing et Batgirl tentent de compenser la quasi-absence du Chevalier Noir, obnubilé son propre combat. De la même manière, ce troisième tome s’agrémente d’un chapitre venu de Batman Secret Files: The Gardener #1 de James Tynion IV et Christian Ward où se racontent les origines de Poison Ivy, sur son lien à la Terre et son désir de changer le monde. Un chapitre très touchant et bien raconté, offrant un visage plus humain à une anti-héroïne qui a souvent été racontée comme un être plein de haine depuis le début de l’ère Infinite. Dans l’ensemble il faut saluer les choix éditoriaux de Urban Comics qui permettent aux personnes qui ne suivent que Batman, car c’est un sacré budget mensuel de suivre l’ère Infinite, d’avoir accès à un panel assez important d’événements ayant de près ou de loin un rapport avec le héros, sans se limiter aux récits où il en est le principal protagoniste.

Harley Quinn Infinite- Tome 2

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Ces dernières années et au travers de sa réinvention, le personnage de Harley Quinn s’est considérablement rapproché de Poison Ivy. A tel point qu’elles sont tombées amoureuses l’une de l’autre, dans une relation bien plus saine et bienveillante que ce que Harley a connu par le passé. Ce n’est donc pas une surprise si ce deuxième tome publié sous l’ère Infinite s’attarde sur leur relation, en abordant l’époque où Ivy a aidé Harley à s’extirper de l’emprise du Joker, jusqu’au moment où elles se sont éprises d’amour l’une pour l’autre. Elles incarnent alors, subitement, un couple en totale rupture avec leurs images du passé : l’une n’est plus la victime d’un manipulateur, l’autre n’est plus seulement une icône sexy et femme-objet. C’est une relation fusionnelle qui est racontée dans ce comics, où l’une comme l’autre n’espère que le meilleur pour sa partenaire, quitte à ce que cela soit parfois sur des chemins différents. En effet, les deux assument pleinement qui elles sont. Si Ivy reste un personnage attaché à la Terre et la nature, quitte à s’opposer aux héros·ïnes et incarner à son tour une sorte de « Mal », Harley espère quant à elle devenir meilleure, maintenant qu’elle est formellement devenue une alliée de Batman.

Ce tome 2 parle ainsi beaucoup de l’acceptation de sa propre différence, y compris en amour où le sentiment amoureux peut parfaitement se développer sans calquer sa personnalité sur son ou sa partenaire. Mais aussi sur l’acceptation de ses erreurs passées, assumer pour mieux rebondir, notamment avec Harley mais aussi avec Kevin, l’ancien sbire du Joker qu’elle soutient moralement dans sa quête d’un avenir meilleur. Nombreux sont les comics qui parlent de rédemption, mais ce que j’aime tout particulièrement dans Harley Quinn Infinite c’est la faculté de l’autrice, Stephanie Phillips, à traiter la rédemption sous un angle plus joyeux, salutaire, malgré des considérations douce-amères qu’elle raconte souvent avec tendresse. Et cette bienveillance générale est d’autant plus visible que le style visuel très cartoonesque proposé par Riley Rossmo donne au comics une légèreté intéressante face à la maturité du récit. C’est même parfois drôle, avec un humour très visuel, mais aussi quelques dialogues bien ciselés. C’est franchement une oeuvre très agréable, pas forcément indispensable dans la longue liste des comics publiés sur Harley Quinn ces dernières années, mais il est loin d’être anecdotique et ce tome 2 donne très envie d’en lire encore plus.

Robin Infinite – Tome 2

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

La plus grande curiosité du mois, c’est la suite de Robin Infinite. Pas entièrement convaincu par un premier tome malgré ses airs d’hommage à Mortal Kombat, le comics de Joshua Williamson s’avère pourtant être celui qui m’a le plus accroché dans cette nouvelle fournée. Hyper dynamique, tant dans le récit avec des dialogues accrocheurs que sur les dessins de Gleb Melnikov, ce deuxième tome met rapidement de côté le tournoi de combat auquel devait participer Damian Wayne pour s’intéresser plutôt aux enjeux sous-jacents, mais aussi les nouvelles relations qu’il se forge à cette occasion. On sait que le personnage est parfois antipathique, et en général très solitaire, mais l’auteur le place dans un contexte qui l’oblige à coopérer avec une bande de fils et filles de, d’autres héros et héroïnes qui ont vécu dans l’ombre d’une autre personnalité. À cette occasion, le personnage laisse entrevoir une certaine humanité qui décale de son habituel comportement, où il laisse sa part humaine cachée derrière un traitement très chirurgical de ses affaires, plus intéressé par le résultat que par les personnes qui l’ont aidé.

Cette humanité passe par une relation naissante avec Flatline, la protégée de Lord Death Man, une femme censée être une « vilaine » mais avec qui Robin forme un duo très dynamique, très intéressant, aux antipodes de ce que l’on peut lire habituellement avec le personnage. Cela donne un peu d’originalité à une histoire qui en manque cruellement à certains égards, notamment sur son fil rouge qui consiste en une quête identitaire et familiale pas bien passionnante pour le moment. Mais là n’est pas encore l’essentiel, pour un deuxième tome assez fun où l’auteur et le dessinateur s’amusent à imaginer Robin/Damian Wayne dans un contexte nouveau pour lui, où il ne peut pas se contenter de lancer sa meilleure mine renfrognée pour éviter les gens qui l’entourent. Il est un peu mis à l’épreuve, et ça permet au comics d’être la bonne surprise du mois, en se dotant même de quelques jolies doubles pages où la mise en scène des quelques combats est d’une fraicheur bienvenue.

  • Batman Infinite T.3, Harley Quinn Infinite T.2 et Robin Infinite T.2 sont disponibles en librairie depuis le mois de juin 2022 aux éditions Urban Comics.
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