DIE – Tomes 3 et 4 | « L’étoffe dont sont faits les rêves »

par Hauntya

Il y a plus d’un an, je vous présentais les deux premiers tomes du comics DIE, co-écrits par Stéphanie Hans (également illustratrice) et Kieron Gillen. Le quatrième et dernier tome est paru en mars 2022, permettant de boucler la boucle et surtout, de vous proposer un avis global sur l’ensemble de la série.

Retour à DIE

DIE, c’est le jeu de rôle fantasy inventé par une bande d’adolescents dans les années 90… et dans lequel ils se sont trouvés aspirés pendant plusieurs années, avant de revenir presque tous dans le monde réel. Vingt ans s’écoulent et les personnages, devenus adultes, parents pour la plupart, sont projetés une nouvelle fois dans DIE par la volonté de Sol, le Maître de Jeu resté prisonnier de ce jeu de rôle.

Mais faire revenir ces adultes dans DIE, ce n’est pas seulement les replonger dans un univers dangereux de fantasy qui pourrait les tuer. C’est aussi les confronter aux fantasmes et idéaux d’adolescents ayant forgé tout un monde, aux conséquences d’actions entreprises vingt ans auparavant. Le comics se fait alors métaphore, la fantasy devenant une catharsis du monde réel, permettant aux divers protagonistes de montrer leur vraie personnalité. Chuck, écrivain à succès dans le monde réel, demeure aussi blagueur et antipathique dans cet univers de fantasy, empruntant le rôle du Fou. Dominic Ash devient Ash, une Dictatrice pouvant soumettre n’importe qui à sa volonté par sa voix. Matt, père et mari dans la vraie vie, trouve dans DIE son rôle de Chevalier triste, utilisant la souffrance et la peine comme armes. Également mère de famille, codeuse de profession, Angela emprunte le rôle d’une hackeuse cyberpunk, tandis qu’Izzy se métamorphose en Dresseuse de dieux, accumulant les dettes auprès d’eux.

La fin du tome 2 nous avait laissés avec le groupe des personnages séparé en deux : Ash, se mariant au roi d’Angria pour contrôler la ville, suivie de Izzy ; Matt, Chuck et Angela partis de leur côté, incapables de se mettre d’accord avec Ash sur comment sortir du jeu de rôle et ne supportant pas ses méthodes. Sol, quant à lui, a été tué et enfermé, devenant un Déchu, une sorte d’être non-mort en partie zombifié, mais encore capable d’agir selon sa véritable personnalité.

La continuité d’une aventure de fantasy à multiples niveaux de lectures

© DIE, tome 3 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2021

Sur la lancée des deux premiers tomes, les tomes 3 et 4 de DIE se révèlent toujours passionnants… mais parfois un peu trop nébuleux pour leur propre bien. On peut toujours y trouver un premier niveau de lecture, celui du comics de fantasy qui va nous permettre de lire une sacrée aventure, sublimée des couleurs de Stéphanie Hans. La dessinatrice nous fait découvrir des paysages et des cases aussi enchanteresses que parfois macabres, faisant preuve d’une impressionnante maîtrise dans sa palette de couleurs et dans sa manière de dessiner les personnages. L’action est toujours fluide de case en case, avec un rythme bien géré et des protagonistes toujours sublimes, dont une pose, une stature, suffit à nous faire comprendre l’émotion par laquelle ils passent.

Mais dès qu’on s’élève au-dessus de l’aventure fantasy, le comics révèle sa vraie richesse, parfois un peu trop dense. DIE illustre le parcours émotionnel et identitaire de personnages adultes qui retrouvent un monde à l’imaginaire conçu durant leur adolescence : leurs réflexions et leur maturité ne sont plus les mêmes, les priorités non plus. Certains cherchent avant tout à quitter DIE pour retrouver leur famille (Matt, Angela), tandis que Chuck souhaiterait au contraire rester dans cet univers où il peut avoir tout ce qu’il souhaite… sans avoir à se soucier de la maladie qui le consume. Ash, iel, y trouve la liberté d’être une femme et de ne plus refouler ses questionnements sur son identité de genre. Izzy voit dans DIE une façon de réapprendre ses responsabilités et de corriger toutes les erreurs qu’elle a pu faire dans sa vie normale, consumée de culpabilité. Ils sont loin de ne voir dans DIE qu’un simple univers imaginaire de fuite de la réalité, une aventure fun à vivre, comme lorsqu’ils étaient adolescents.

Par ailleurs, et c’est sans doute un peu là que Kieron Gillen et Stéphanie Hans nous perdent un peu, c’est dans l’aspect méta de DIE. Les deux auteurs déconstruisent le jeu de rôle (et de manière générale, tous les univers imaginaires assimilés : jeu vidéo, fiction) et jouent avec ses clichés pour mieux réinventer les codes et nous proposer une histoire surprenante. Mais si l’on n’est pas familier du vocabulaire des jeux de rôle, on se perd parfois dans les termes et références utilisés : les systèmes de dés, de règles, etc. Cet aspect méta brouille parfois un peu l’aventure et pèse sur sa fluidité. On aurait peut-être gagné à rendre ces réflexions plus claires et à rendre la lecture moins dense à ce niveau.

Un univers toujours riche de péripéties et de références

© DIE, tome 3 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2021

Pour autant, les deux tomes du comics sont toujours aussi plaisants à lire quand ils font référence à un imaginaire collectif et à de véritables personnages historiques. Dans le premier tome, on croisait J.R.R. Tolkien à l’occasion d’un passage en pleine guerre ; dans Angria durant le tome 2, royaume régi par les jeux politiques, c’est Charlotte Brontë qui se retrouvait Maître de ce territoire. Stéphanie Hans et Kieron Gillen reprennent ce principe dans les deux autres tomes. Quand le royaume d’Angria se retrouve attaqué par la Petite Saxe suite au mariage royal de Ash (contraire aux règles définies par le jeu DIE), c’est l’auteur H.G. Wells que nous voyons apparaître. L’écho de l’écrivain souhaite maintenir la paix dans DIE, et use notamment de ses propres créations littéraires (la machine à explorer le temps, les extraterrestres, les hommes invisibles) pour essayer d’empêcher la fusion qui s’annonce entre le monde de DIE et le monde réel. Dans le quatrième tome, c’est H.P. Lovecraft qui est à l’honneur, parsemant un donjon de ses créations cauchemardesques et de l’indicible.

Loin du plagiat ou du pot-pourri de clins d’œils, Kieron Gillen et Stéphanie Hans usent de ces personnages historiques pour donner une cohérence interne à DIE, faire progresser les aventures des protagonistes, et même montrer un aperçu de l’histoire de la création des jeux de rôle dans notre monde. Cela tient sur un équilibre fin, mais parfaitement nuancé, et justifié par le fait qu’il s’agit autant d’auteurs favoris de notre groupe de héros, que parce qu’ils sont nécessaires pour expliquer la création de l’univers de DIE. Leur face à face avec les autres personnages deviennent ainsi des situations mémorables, parfois intimistes et philosophiques, mais aussi des hommages à l’héritage culturel et imaginaire qu’ils ont laissé.

Cependant, DIE n’oublie pas d’être une série aventureuse pour autant. Les péripéties et retournements de situations sont nombreux et entraînants, les personnages sont toujours aussi bien campés par une attitude, une répartie, chacun gardant sa propre individualité malgré les scissions ou différences entre eux. Stéphanie Hans déborde d’inventivité quand il s’agit de donner un visage aux dieux sollicités par Izzy, de créativité face aux tenues de ses personnages (Ash en tête) et aux décors variés, et aussi de subtilité quand il s’agit de les faire passer par une émotion difficile. Chaque page déborde d’une palette de couleurs bien précise (comme cela l’est expliqué en annexe par l’illustratrice), permettant de donner une ambiance différente à chaque scène et de mettre en avant les personnages.

« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » (W. Shakespeare, La tempête)

DIE déborde d’inventivité, jouant avec son propre univers : les concepts de boss de fin, de donjon, de rôles à jouer selon des règles, de maître du jeu, etc, sont ainsi pris au premier degré. Ils reflètent les codes d’un véritable jeu de rôle ou jeu vidéo. Mais à chaque fois, ils sont réinventés et revus par les auteurs, pour proposer une lecture propre aux personnages tout autant que des clins d’œils à la pop-culture. DIE n’est-il pas un jeu inventé pour et par eux, après tout ? Le hasard d’un lancer de dés n’est-il pas le même hasard que celui de la vie, amenant des événements que nous subissons, car ils sont la décision d’un autre joueur ?

© DIE, tome 4 – Stéphanie Hans, Kieron Gillen, Panini Comics, 2022

Et ce sont bien les personnages, principaux ou non, qui nous guident, qui maintiennent notre émotion et notre attention depuis le début. Leur parcours en quatre tomes les amène à évoluer, les forçant à observer les conséquences de leurs actes passés dans l’univers imaginaire, mais aussi la façon dont ils agissent dans le monde réel. Il est cependant parfois dommage que leur développement ne soit pas aussi fouillé pour chacun que pour Ash, qui reste le·la leader de l’intrigue. Comme au temps de l’adolescence, DIE ressemble à un terrain de jeu, une fiction où ils peuvent expérimenter, progresser pour devenir peut-être de meilleures personnes. Les protagonistes demeurent marqués par leur passé et par ce que cette nouvelle exploration de DIE révèle d’eux, maintenant qu’ils sont des adultes mûrs. Le comics se permet ainsi d’aborder en filigrane le deuil et la maladie, les responsabilités parentales, la recherche de son identité de genre, le déni d’une mort à venir, la dépression, les traumatismes familiaux…

Par la fiction, DIE met en filigrane des sujets sensibles et réels. La réalité nourrit l’imaginaire et celui-ci, en retour, peut parfois être utilisé pour guérir le monde réel. La frontière devient d’ailleurs floue entre les deux : la menace de la fusion des deux mondes, les parallèles avec l’Histoire et des figures réelles ayant permis la construction de DIE, ou le fait que chaque morceau de ce monde fictif puisse être créé par le rêve de n’importe qui. Le comics explore là ce qu’il a dans le cœur depuis le début : la capacité de la fiction à nous permettre un refuge, une fuite, mais aussi d’y puiser des forces, des métaphores ou des révélations sur nous-mêmes. Même les annexes en fin de tome, présentant le témoignage de figures marquantes du jeu de rôle dans les vingt dernières années, reviennent sur ce pouvoir créateur qui peut aider à grandir et à construire une vie. Toute catharsis ne se fait pas dans la douceur, toute évolution n’est ni linéaire, ni facile, nécessitant des sacrifices. Nos personnages sont davantage en paix avec eux-mêmes, à la fin du dernier tome, mais il leur reste encore toute une vie pour grandir et maturer, après avoir expérimenté le meilleur et le pire dans l’univers de DIE.

« Tu étais l’aventure et l’excitation quand la vie était ennuyeuse. Tu étais un endroit où explorer les pires facettes de nous-mêmes, mais aussi les meilleures. Tu étais un endroit où certains d’entre nous se sont réfugiés de la vie réelle. Tu étais un endroit où apprendre et comprendre les conséquences de nos actes. Tu as permis à Matt de puiser de la force dans ce qui le détruisait. Tu as donné un objectif à Sol et à moi, un lieu où être moi-même. Tu as permis à Angela de jouer les adultes, à Izzy de prendre ses responsabilités et à Chuck de les refuser. Tu es le lever de soleil sur Angria, la brume sur le Front, les souvenirs des fois où nous avons été courageux, terrorisés ou autre chose. Tu as été tout ça pour nous… mais nous en avons assez. »

DIE se conclut avec une fin douce-amère, comme le méritait une histoire de cette envergure. Au-delà de l’aventure fantasy que le comics propose, et malgré quelques aspects nébuleux parfois obscurs, la série vaut indubitablement le détour si vous êtes sensible à son propos. Parce qu’un jour nous avons tous et toutes croisé un jeu vidéo, un jeu de rôle, un univers de fiction, qui a permis une échappatoire de la réalité, qui nous a ouvert les yeux sur nous-mêmes, qui nous a permis de grandir d’une façon ou d’une autre. Et c’est de cela, avant tout, que parle DIE : de cette manière unique dont l’imaginaire marque, dont la fiction peut être en lien profond avec notre existence et nous aider à vivre.

« A une période de ma vie, je n’allais pas bien du tout […] mais je faisais très bien semblant. […] C’est à cette période que j’ai rencontré mes partenaires de jeu de rôle. Nous nous retrouvions une fois par semaine dans un monde de fantasy où je pouvais oublier qui je suis et où faire semblant était en fait une vérité. C’était une bouée de sauvetage, un cocon dans lequel je me suis reconstruite. […] Je me plais à penser que j’ai arrêté parce que j’étais prête à affronter le monde moi-même. […] Quand j’y repense, je sens bien que les racines d’où je puise ma force sont plantées dans ces moments où, avec ces personnes que j’ai perdues de vue, on créait des univers extraordinaires dans lesquels j’étais une sorcière incroyablement puissante, déterminée à devenir la plus grande de sa génération. Et cette sorcière vit toujours quelque part dans mon cœur et est prête à se battre quand je ne le peux pas. » (Stéphanie Hans, annexes de fin du 4e tome)

  • Les tomes 1 à 4 de DIE sont tous disponibles en librairie aux éditions Panini Comics.

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