Bien qu’aujourd’hui la saga des Megami Tensei brille plutôt du côté de son spin-off Persona, dont les derniers épisodes ont connu de jolis succès (et on vous disait d’ailleurs beaucoup de bien du dernier épisode sur Pod’Culture), elle n’oublie pas d’où elle vient. Avant de se décliner en de multiples séries, la saga s’est d’abord illustrée avec les Shin Megami Tensei. Une série de J-RPG dont le troisième épisode sous-titré Nocturne (ou Lucifer’s Call dans sa version Européenne) sorti en 2003 sur PlayStation 2 garde encore une bien belle réputation. Alors qu’un cinquième épisode a été annoncé l’année dernière, son éditeur Atlus en profite pour remasteriser le troisième opus en le ramenant ces jours-ci sur PlayStation 4 et Switch. L’occasion pour nous de voir si, en 2021, l’un des piliers de la saga est encore à la hauteur de son image.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur. Le jeu a été parcouru sur PlayStation 5 en rétrocompatibilité PS4.

L’appel des enfers

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Si l’on devait définir l’ambiance de Shin Megami Tensei III, il faudrait certainement la qualifier d’unique, aussi déroutante que malsaine. Tout commence quand un lycéen tokyoïte rend visite à sa professeure à l’hôpital, un lieu désert et qui semble avoir été complètement vidé. Les choses prennent vite une tournure surnaturelle, lorsqu’il trouve enfin sa prof qui lui annonce que le monde va renaître grâce à la « Conception », rasant le monde tel qu’il était pour le recréer sous une autre forme. Il assiste ainsi à la destruction de Tokyo, faisant disparaître toutes les personnes qui n’étaient pas dans l’hôpital à ce moment-là. Dans le nouveau monde, des démons apparaissent, et le héros se transforme en créature mi-humaine, mi-démon. S’ensuit une quête pour plus de pouvoir, et pour trouver une signification à ce monde qui voit s’opposer des sortes de divinités dans des bondieuseries qui tombent vite comme un cheveu sur la soupe. En effet, le jeu invite régulièrement à faire des choix qui mettent en jeu la « Raison » du héros, des choix où des simili-divinités tentent d’amener ce héros mi-démon vers leur camp pour profiter de son pouvoir, dans une grande histoire aux forts accents religieux avec en toile de fond une sorte de « Jugement dernier ». Le récit trouve vite ses limites : les entités pseudo-divines sortent de nulle part, les choix ont des conséquences difficilement identifiables, à tel point que l’on se sent vite perdu dans un univers qui semble pourtant clair comme de l’eau de roche à chacun des personnages que l’on croise.

En naviguant dans cette sorte de Néo-Tokyo, ce qui frappe c’est la confusion entretenue longtemps sur ce qu’il se passe réellement. Si l’idée de laisser le héros dans le flou est plutôt intéressante, il y a une dissonance assez surprenante entre les explications hasardeuses apportées au compte goutte dans un univers difficilement compréhensible, et l’apparente facilité pour tous les personnages secondaires (qui ont atterri là en même temps que le personnage principal) à comprendre absolument tous les tenants et aboutissants d’un monde qui n’a pas grand chose à voir avec leur réalité. A tel point que l’on perd vite le fil et qu’il devient difficile de retrouver de l’intérêt pour le destin de ce monde, même après quinze ou vingt heures à y errer et à suivre une quête principale dont les enjeux terribles paraissent bien anecdotiques au regard du peu d’attachement que l’on ressent pour des personnages le plus souvent mal caractérisés. Car Shin Megami Tensei III souffre bien de ses personnages vides, rarement intéressants, aux motivations assez improbables alors que leur vie est bouleversée par une apocalypse surnaturelle. On n’y croit jamais trop, pas plus qu’à ce héros devenu mi-démon qui, comme bon nombre d’autres J-RPG, est une coquille vide qui ne s’exprime jamais et qui n’a pas de personnalité définie. Mais là où d’autres font vivre l’histoire et provoquent un attachement inévitable à son héros en faisant parler ses compagnons et en vivant de grandes aventures, Shin Megami Tensei III préfère isoler son protagoniste et n’en faire qu’un spectateur apathique du récit.

Fort heureusement, un des intérêts du jeu réside plutôt dans sa direction artistique qui, même si elle est inégale, offre quelques ambiances fascinantes et des zones plutôt jolies malgré l’âge du jeu. L’univers du jeu est intriguant grâce à son ambiance, et profite surtout de tout le travail effectué sur l’ambiance sonore avec les compositions de Shoji Meguro. Toujours d’excellente facture, la bande originale du jeu joue un rôle central dans cet univers si marquant, presque inoubliable, même si l’on aurait aimé que la musique profite également d’une remasterisation. Il faut en effet souvent se contenter d’une compression sonore d’époque, loin de ce que les consoles modernes sont capables d’offrir. Le travail du compositeur habituel des Shin Megami Tensei et Persona est si bon qu’on ne peut qu’être déçus devant le choix de ne pas retravailler la bande originale pour en affirmer, enfin, toutes les qualités.

Une progression déconcertante

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Mais si son histoire n’est pas ce qu’il y a de plus séduisant dans le titre, c’est surtout son système de combat et de progression qui a su montrer ses qualités et lui donner sa petite renommée. On y trouvait déjà à l’époque le système qui a été repris ensuite par les Persona, avec ces monstres que l’on peut recruter et fusionner pour en obtenir de plus puissants. C’est d’ailleurs le principal moyen de gagner en puissance, puisque notre cher mi-démon n’a aucun compagnon si ce n’est les démons qu’il recrute (en cédant à leurs caprices : leur donner des sous, des objets et répondre correctement à une question), dont le gain en puissance se retrouve vite limité. Il faut ainsi passer par la sacro-sainte fusion, si chère à la saga, qui permet de récupérer des démons encore plus forts fusionnant plusieurs d’entre eux. C’est un système qui fonctionne terriblement bien, encore aujourd’hui, même s’il a été depuis largement amélioré par la série des Persona. A cela on ajoute un système de « Magatama » qui consiste à ingérer de sortes d’insectes récupérés ici et là, qui confèrent des pouvoirs passifs que l’on équipe comme bon nous semble afin d’être plus résistants à certains éléments, et de pouvoir débloquer certaines compétences sur le héros. Cela amène plus de versatilité et surtout oblige à bien connaître les ennemis de chaque zone, afin d’en exploiter les faiblesses.

Car les combats reposent là-dessus, on reste sur de l’action au tour par tour avec la possibilité de gagner un tour en exploitant les faiblesses des ennemis. Il faut ainsi essayer, encore et encore, jusqu’à trouver les bons paramètres qui permettent de survivre dans chaque zone ou face à chaque boss. Cela rend d’ailleurs le jeu parfois particulièrement frustrant, avec des pics de difficulté qui ne laissent aucune chance de se retourner si l’on n’a pas le bon mélange de Magatama et de démons sous la main. Ce système basé sur le « die and retry » (où il faut essayer et mourir jusqu’à trouver l’association parfaite) est parfois terriblement décourageant face à des boss qui font soudainement exploser la difficulté, à tel point que le mode normal est frustrant, tandis que le mode difficile n’est à réserver qu’aux personnes qui aiment se faire du mal. Ne fuyez pas encore tout à fait : le remaster vient avec un nouveau mode « permissif ».

Mi-figue, mi-démon

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Le remaster a en effet la bonne idée de s’accompagner d’un mode facile, intitulé « permissif », à télécharger en parallèle et gratuitement. On se retrouve dans le sens inverse du jeu de base ici puisque le mode est si permissif qu’il en devient presque impossible de perdre un combat, avec une forte diminution des dégâts des ennemis, une augmentation des dégâts du héros et ses démons ainsi qu’une multiplication considérable de l’argent et de l’expérience gagnée. Cela permet de faire l’histoire du jeu sans se soucier des combats, et c’est un excellent ajout qui permet d’ouvrir le titre à plus de monde. Il aurait toutefois été appréciable qu’en plus du mode permissif le jeu puisse proposer un mode entre les deux, ni trop simple ni aussi frustrant que le jeu original, qui permette d’aborder son aventure d’une manière plus accessible sans pour autant annihiler complètement l’intérêt des combats.

D’autant plus que cela ne gomme pas une autre difficulté du jeu, celle de son cheminement. Sans être particulièrement difficile sur ce point, le jeu n’en reste pas moins assez obscur sur le chemin à suivre lors de certains passages du jeu, poussant à l’exploration pour essayer de trouver le prochain point de l’histoire. La carte du jeu n’est toutefois pas très grande et on s’aperçoit vite quelles sont les zones réellement accessibles à chaque point de l’histoire. Le titre aurait toutefois gagné à offrir plus d’explications sur son système de combat et de progression, ce remaster étant aussi avare que l’original en la matière : il faut expérimenter à l’aveugle, jusqu’à enfin comprendre correctement chaque système de jeu. Mais surtout le remaster peine à cacher l’âge du jeu. Plutôt vilain, et même s’il est évidemment plus fin que l’original sur PS2, Shin Megami Tensei III Nocturne HD n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus agréable à regarder. Sa direction artistique tantôt très intéressante, tantôt plus paresseuse, ne permet pas non plus de passer outre un aspect visuel franchement vieillot. Cela donne finalement l’impression d’avoir entre les mains un remaster sans trop de prétention ni véritable envie d’amener le jeu original vers de nouveaux horizons. On est face au jeu tel qu’il était il y a quinze ans, avec un léger lifting et un DLC payant pour voir la fameuse apparition de Dante (de Devil May Cry), un personnage pourtant inclus d’office dans la version Européenne du jeu sortie en 2005.

Remasteriser Shin Megami Tensei III était certainement une bonne idée tant les années n’ont pas été tendres avec le titre. Néanmoins on aurait pu espérer un peu plus d’améliorations, puisqu’en dehors de quelques options de confort (un mode facile, la possibilité de sauvegarder à tout moment) et un léger lifting visuel, le jeu est peu ou prou le même que celui sorti il y a une quinzaine d’années. Avec ses défauts, sa difficulté relevée, mais aussi ses qualités d’ambiance et sa super bande-son, malgré la compression audio. C’est bien le meilleur moyen de découvrir le titre, néanmoins ce remaster met aussi en exergue l’âge d’un jeu qui a bien du mal à traverser les époques et à séduire de la même manière qu’il aurait pu le faire en son temps. Presque anachronique, le titre peine à faire bonne figure de nos jours.

  • Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster est sorti le 25 mai 2021 sur PlayStation 4 et Switch.
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YBY Éditions (pour “You, Be Yourself”) est une association indépendante à but non lucratif composée de bénévoles qui fonde sa ligne éditoriale sur l’inclusion et la diversité, avec cette volonté affichée de sensibiliser les lecteur·rice·s à ces sujets ; le tout avec bienveillance et pédagogie. De telles valeurs ne pouvaient manquer de résonner chez nous, à Pod’Culture. Et c’est avec un réel plaisir que nous nous sommes vus établir un partenariat avec cette maison d’édition pas comme les autres. Un partenariat qui débute aujourd’hui avec cette chronique de Lever de Soleil, nouvelle dystopique écrite par Noémie Wiorek et illustrée par Anako.

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du livre par l’éditeur (il est à noter que la couverture présentée est une couverture provisoire, l’ouvrage devant paraître à l’automne)

©️ Lever de soleil de Noémie Wiorek, illustré par Anako

« 2071. Sous le soleil égyptien, les archéologues d’Incop Transgene découvrent un mystérieux sarcophage. Izia, rivée à son ordinateur, suit cette exhumation avec attention. Qu’est-ce que cette multinationale tentaculaire, qui contrôle le monde dans l’ombre, manigance encore ? Engagée dans une lutte désespérée contre la dictature d’Incop, Izia se voit confier la mission de sa vie : récupérer le contenu de ce sarcophage. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu… »

L’Égypte. Peu importe qu’elle se dévoile à nous des millénaires dans le passé ou comme ici cinquante ans dans le futur, sa puissance évocatrice est toujours aussi forte et présente dans l’imaginaire collectif. Dès le prologue, Noémie Wiorek s’appuie là-dessus et nous embarque sur la Terre des Pharaons et des dieux et déesses aux têtes d’animaux.
Soleil éclatant, chaleur écrasante, mastaba surgi des sables renfermant sarcophages inviolés et mystères prêts à se révéler, son écriture fluide et engageante nous guide aux côtés d’un jeune archéologue passionné qui doit composer avec une armada de scientifiques aseptisés dont les gestes mécaniques et froids tranchent avec le romanesque de la découverte. Une découverte qu’Izia suit à des milliers de kilomètres de là, enfermée dans son appartement, les yeux rivés sur son écran alors même que sa compagne est sur le point de mettre fin à leur relation.

Little darlin’, it’s been a long cold and lonely winter

La façon dont l’autrice aborde le changement de ton et d’ambiance entre l’Égypte lumineuse et Parisia, cette mégalopole sans saveur aux couleurs froides, où les rayons du Soleil arrivent à peine à transpercer les nuages de pollution, annonce déjà les rapports de force qui se joueront pour la suite de la nouvelle.
Elle sait également en quelques mots nous inviter dans ce monde dystopique, nous le faisant découvrir au travers de concepts bien trouvés, que ce soit le Flux, cette technologie qui fait des humains des êtres hyperconnectés 2.0+++ ou encore le Slow, cette drogue aussi nocive qu’attirante qui permet à Izia tout autant de couper court à ses pensées que de se désensibiliser. Ces concepts sont suffisamment évocateurs pour que l’on comprenne de quoi il en retourne. En quelques phrases, quelques mots, on assimile parfaitement ce qu’est cette société sclérosée gouvernée par des pantins à la solde de corporations internationales dont les tentacules innombrables semblent pervertir tout ce qu’elles touchent. Noémie Wiorek nous permet donc de saisir ce monde et non de le subir avec des descriptions à rallonge qui auraient pu nuire au rythme du récit.
Une très grande qualité qui lui permet de pouvoir se concentrer essentiellement sur l’histoire et ses protagonistes. Et c’est sur ces derniers que la plume de l’autrice fait vraiment des merveilles. Avec précision et dextérité, elle fouille le cœur et l’âme des personnages, exhumant toutes ces choses enfouies, que ce soit les peurs, les rêves brisés, les espoirs qui n’osent pas s’assouvir ouvertement, les désirs qui bouillonnent, les colères bâillonnées prêtes à ressusciter… Une autre forme d’archéologie se déroule sous nos yeux, à dimension profondément humaine.

Little darlin’, it feels like years since you’ve been here

Et si, pour laisser le plaisir de la découverte et de la surprise aux lecteur·rice·s, nous garderons un personnage sous silence, il est nécessaire d’évoquer Izia, tant elle échappe aux archétypes qu’on peut parfois trouver dans ce genre de récit.
Jeune femme confinée la plupart du temps chez elle, volets baissés par peur de cet ennemi tentaculaire sans réel visage qu’elle honnit et dont elle veut la chute, ce pourquoi elle s’est engagée avec Veritas, groupe de rebelles aux intentions semble-t-il nobles, Izia vit une demi-vie. Elle est en proie à son propre ennemi intérieur qu’elle tente vainement d’endormir sous des poignées de pilules de Slow qu’elle avale avec la même soif que les tonnes d’infos que diffusent en continu le Flux.
Izia s’est enfuie en elle, enfouie en elle. Son appartement est son tombeau et elle y règne comme elle le peut, momifiée dans ses angoisses et névroses, avec pour seul compagnon un chat cloné qui semble être l’unique élément qui puisse vraiment l’ancrer dans le monde réel. L’arrivée de l’inconnu dans sa vie va tout bouleverser.
La façon dont Noémie Wiorek dévoile ce bouleversement nous bouscule, nous accroche et il est impossible de lâcher la lecture.
Un jeu s’établit entre les personnages, en eux. Jeu d’ombres et de lumières, de clairs obscurs. Tout sera progressivement révélé, et nous sommes constamment au premier rang pour assister à ces découvertes.

Little darlin’, here comes the sun

Lever de Soleil aborde des thèmes qui relèvent à la fois de l’intime et de l’universel, et n’hésite pas à affronter avec brio ceux qui peuvent être durs. On ressent la croyance de Noémie Wiorek en la force de son récit. Cette croyance irradie les personnages et, pour peu que l’on accepte de s’exposer à ses rayons, nous irradie également. Peu importe que l’on croit aux divinités de l’Égypte ancienne ou à celles des technologies modernes, l’essentiel est d’abord de croire en soi, pour soi, pleinement ; d’attiser notre Soleil intérieur. Alors nous pourrons nous ouvrir aux autres, embrasser le monde. Et briller de mille feux.

It’s alright now, you can come on out

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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’ Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce troisième épisode, nous partons à la rencontre de Franck Manguin, auteur et dessinateur de bandes dessinées qui va nous parler de la création de Ama, le souffle des femmes, sa BD parue le 27 mai 2020 aux éditions Sarbacane (et dont la critique est dispo sur le site), ses recherches au sujet de ces femmes de la mer japonaises qui pêchent en apnée, son travail avec la dessinatrice Cécile Becq, mais aussi la réception publique et critique de son œuvre, qui a notamment reçu le prix de la Pépite BD France Télévision au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil en 2020.

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On découvrait Demon Slave en mars dernier, un manga atypique malgré son approche shōnen très classique, avec ses combattantes dans un monde alternatif qui réduisaient en esclavage un jeune homme pour gagner en puissance. Flirtant avec l’ecchi, le manga tirait son originalité de sa manière d’aborder la domination et plus généralement, le fétichisme, dans un monde où les hommes sont relégués au second plan.

Cet article a été rédigé suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

De nouvelles maîtresses

Comme souvent avec les shōnen, le deuxième tome est le moment de poser les enjeux et de découvrir de nouvelles menaces. Demon Slave n’échappe pas à la règle, puisque après avoir posé son étrange univers dans le premier tome, cette suite nous mène face à une menace inattendue qui va constituer un nouvel objectif à atteindre pour notre héros. Mais comme le manga de Takahiro a cette petite surcouche qui aborde le fétichisme et les dominatrices, c’est l’occasion pour le héros de se découvrir une nouvelle maîtresse un peu malgré lui. Il y a évidemment un aspect séducteur, nécessairement osé, on n’est définitivement pas face à un titre qui s’adresse aux plus jeunes et c’est bien confirmé par cette suite. Si le premier tome était plus sage, le deuxième tome va dans le vif du sujet et n’hésite jamais à parler frontalement du fétichisme. Cela se fait plutôt habilement au travers des désirs du héros, qui se matérialisent dans la récompense qu’il obtient lorsqu’il a bien fait son job d’esclave. Ses maîtresses doivent effectivement le récompenser après une bonne bataille, en le gratifiant de la réalisation de l’un de ses désirs enfouis. Alors c’est souvent graveleux, mais l’auteur trouve un équilibre plutôt intéressant entre ces séquences et des batailles qui lorgnent plus du côté des shōnen les plus classiques. D’autant plus que sa galerie de personnages fonctionne bien, si le héros n’est pas bien captivant, les héroïnes sont parfois surprenantes et se dévoilent peu à peu avec des histoires qui leur donnent une certaine consistance.

Néanmoins on reste face à un manga qui prend son temps, l’univers des monstres où évolue la petite troupe reste tout particulièrement énigmatique et on n’apprend que peu de choses sur ce deuxième tome. La découverte de la nouvelle menace apporte une nouvelle dynamique à l’action, mais c’est un tome qui prend plutôt le temps de s’intéresser à un personnage qui était effacé au tout début. On en apprend juste un peu plus sur les autres escadrons qui peuplent le monde alternatif où les guerres contre les monstres font rage, et c’est pour le moment à peu près tout. Heureusement, il y a toujours des dialogues plutôt bien sentis qui permettent d’éclairer sur la situation et sur la cohabitation difficile entre les personnages, ce qui permet d’éviter le train-train des sorties en chasse de l’escadron. D’ailleurs, ce deuxième tome est plutôt pauvre en scènes d’action, et ce n’est peut-être pas plus mal pour un titre qui a encore besoin de placer ses nombreux personnages.

L’auto-dérision de tous les instants

L’humour est évidemment omniprésent, souvent grinçant en ridiculisant le personnage masculin, ses désirs et aspirations : on reste toujours sur ce monde résolument féminin où l’on rappelle à l’homme qu’il doit rester à sa place. Car si vous n’avez pas encore eu la chance de lire le premier tome, Demon Slave raconte un monde où le patriarcat a été réduit à néant avec une prise de pouvoir par les femmes. La raison est simple : elles sont les seules à pouvoir affronter les monstres qui tentent d’envahir la Terre. Alors les hommes ont perdu les places de dominants, et notre héros se retrouvait même réduit en esclavage car il pouvait permettre à l’une des combattantes de démultiplier sa puissance. Ce renversement est toujours efficacement mené, même si on sent que l’œuvre s’éloigne du propos quasi-féministe du premier tome : il y a cette fois-ci beaucoup plus de nudité, avec un « fan service » très présent (entre les culottes sous les jupes et la nudité dans les onsen) où les « maîtresses » finissent presque par être soumises au personnage masculin. Néanmoins cela fonctionne toujours plutôt bien, d’autant plus que l’humour permet de contrebalancer ces séquences et souvent les tourner en dérision afin d’éviter de devenir trop lourd.

Surprenant ou non, ce deuxième tome a le mérite d’affirmer pleinement le ton à attendre pour la suite du manga. Moins engagé que ses débuts mais peut-être plus drôle, Demon Slave trouve sa dynamique et y va tout droit sans se poser de question. Radical mais bien mené, le manga parvient à parler de fétichisme en faisant rire, le tout sous l’angle d’un shōnen plus classique avec son héros qui découvre sa force peu à peu, assumant doucement son rôle d’élu et de pièce indispensable à la sauvegarde de son monde. Ce n’est pas un grand manga, mais on passe un bon moment en le lisant.

  • Le tome 2 de Demon Slave est sorti le 8 avril 2021 aux éditions Kurokawa.
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Dans le petit monde de l’édition manga en France, un nouveau prétendant se montre à nous : Mangetsu, une nouvelle collection dirigée par Sullivan Rouaud, qui était déjà à l’œuvre du côté de l’excellent label Hi Comics. Et pour son lancement ce 26 mai, l’éditeur voit les choses en grand avec les deux premiers tomes de Ao Ashi, un shōnen qui prend place dans l’univers du football. Ne fuyez pas si le sport ne vous intéresse pas, car le manga de Yūgo Kobayashi est plus que cela, c’est une œuvre assez captivante sur la jeunesse et le besoin de s’affirmer à l’adolescence.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire en service presse par son éditeur. (Note : Mangetsu est le nouveau label manga de Bragelonne, maison d’édition dont le directeur Stéphane Marsan a été mis en cause dans de nombreux témoignages d’anciennes collaboratrices l’accusant de harcèlement sexuel, suivi d’un silence assourdissant de l’éditeur. Cette critique d’un manga de Mangetsu ne saurait en aucun cas être une caution aux agissements reprochés et s’accompagne, au nom de l’équipe de Pod’Culture, d’un soutien sans faille aux nombreuses femmes qui ont témoigné récemment dans un article de Mediapart et qu’il convient d’écouter, de soutenir et de croire.)

Ao Ashi raconte l’histoire de Ashito Aoi, gamin de la province qui vit pour le foot et joue dans le club de son collège. Lui qui rêve de devenir pro un jour, il est bien loin de Tokyo et de ses clubs professionnels, jusqu’au jour où il fait la rencontre d’un homme qui lui propose de participer à la détection des jeunes talents pour l’équipe U18 du Tokyo Esperion FC. Convaincu de son talent malgré son impulsivité qui lui joue des tours sur le terrain, il se lance dans un voyage inattendu pour réaliser son rêve.

La confrontation à un autre monde

Ao Ashi © 2015 Yugo KOBAYASHI, Naohiko UENO by SHOGAKUKAN

Si le football est un des thèmes de Ao Ashi, ce n’est pourtant que secondaire dans une histoire qui ne s’en sert comme d’un support pour aborder des thèmes très variés. Ces deux premiers tomes nous projettent dans la vie de Ashito, un gamin qui n’en fait qu’à sa tête et qui a bien du mal à jouer en équipe (à l’image de certains joueurs terriblement populaires dans la réalité). Devenir professionnel nécessitera toutefois de remettre en cause ses idées et sa manière d’être, lui qui est impulsif et qui déteste qu’on le contrarie. Un bon point de départ pour un shōnen au ton assez classique avec une sorte de quête initiatique qui prend forme dans le voyage d’un gamin vers la capitale, où il se découvre de nouveaux camarades et un nouvel objectif, qui semble initialement absolument inatteignable. Bien qu’il reprenne les codes les plus classiques du shōnen avec son héros qui doit se surpasser, Ao Ashi a ce petit truc en plus qui le rend terriblement sympathique. Son héros est attachant, caractérisé avec beaucoup de bonnes idées, tout comme sa famille qui est au centre de ses interrogations, et ses camarades qui révèlent leur personnalité sur le terrain. La manière dont l’auteur utilise le football pour raconter la découverte de nouvelles valeurs (de respect et d’amitié) est très maline, et on prend un plaisir indéniable à voir ce collégien s’affirmer et se découvrir. Plus généralement, Ao Ashi étonne par sa faculté à aborder une jeunesse à l’énergie débordante qui tente de se défaire des nombreux obstacles qui se dressent sur sa route. Il y a une forte composante sociale autour des questions de pauvreté et de difficulté d’accès aux meilleurs clubs pour des jeunes qui ne sont pas nés dans une famille capable de leur payer une école réputée qui possède un super club de foot de collège, ou des crampons neufs chaque année. Evidemment le manga ne s’éternise pas dessus, mais quelques scènes viennent rappeler l’importance de l’argent, même pour des collégiens, dans un monde qui n’est finalement que peu accessible lorsque l’on n’a pas les moyens de se payer le matériel et les déplacements nécessaires pour participer à ces journées de détection dans les clubs professionnels. Cela devient d’ailleurs un moteur pour le héros, qui joue toute sa vie l’espace d’une journée longuement racontée dans ces deux tomes.

A l’image de son héros, le manga est un peu brut de décoffrage, car il foisonne d’idées mais a encore besoin de s’affiner pour dévoiler tout son potentiel. Et c’est ce qui le rend attachant, entre son héros prêt à exploser à chaque instant et cette écriture qui navigue avec talent au milieu de dizaines de super idées. Il y a évidemment quelques clins d’œil au foot moderne, à des concepts et des équipes, mais surtout une envie de bien faire qui est très touchante. L’histoire de Ashito est celle de nombreux gamins prêts à tout pour réaliser leurs rêves, une personnalité qui rappelle qu’il y a un gamin comme un autre derrière l’image publique de joueurs de football qui ont parfois mauvaise presse. C’est, sur ce point-là, une vraie réussite et c’est ce qui permet au manga de Yūgo Kobayashi de se distinguer d’autres mangas sur le football. Son héros un peu foufou et impulsif s’éloigne par exemple du caractère plus posé et naïf d’un Tsubasa dans Captain Tsubasa, donnant au manga un élan et un propos intéressant sur le dépassement de soi, ainsi que la capacité à se remettre en cause. Par exemple lors de la détection des jeunes talents, on réalise vite que l’objectif est de trouver des jeunes joueurs capables de réfléchir et se réinventer face à l’adversité, plutôt que de purs talents qui surclasseraient la concurrence. C’est d’ailleurs ce qui rend Ashito particulièrement sympathique, avec ce côté très humain et faillible, qui oscille entre maturité temporaire et immaturité de tous les instants : c’est un gamin qui découvre de nouveaux concepts, de nouvelles idées, un nouveau monde auquel il doit s’adapter.

Croire en ses rêves

Ao Ashi © 2015 Yugo KOBAYASHI, Naohiko UENO by SHOGAKUKAN

Le caractère légèrement foufou du héros se retrouve aussi dans la manière dont l’auteur construit son histoire. Le rythme sait s’accélérer aux moments les plus intenses, alors qu’il prend parfois le temps de poser les moments de réflexion où son héros se pose des questions. Il y a un côté presque erratique dans le rythme et cela donne à Ao Ashi un ton unique, tout à fait savoureux, qui évite de tomber dans une routine qui fait tant de mal à beaucoup de shōnen. On tourne les pages sans s’en rendre compte, car le récit est intense et doté de nombreuses surprises qui alimentent des rebondissements bien amenés, permettant de développer une histoire qui gagne en qualité au fil des pages. Un gros coup de coeur aussi pour la mise en scène et le dessin, absolument superbe, bien aidés par le découpage qui donne une force incroyable aux séquences d’entraînement et de matchs où l’intensité et l’émotion des moments les plus importants sont parfaitement retranscrits. Tant par l’impression de mouvement que le manga parvient à installer sur certaines scènes, mais aussi les personnages très expressifs -notamment le héros- qui en disent parfois beaucoup sans placer un mot. Ce mode de narration, qui s’appuie parfois plus sur les expressions que sur les mots, est propice aux nombreuses séquences autour du football où le manga parvient à éviter les interminables monologues sur lesquels s’appuient certains mangas de sport. L’action n’en devient que plus intense, sans perdre en lisibilité ni en compréhension sur ce qui anime et motive chaque personnage.

On peut dire que Mangetsu se lance avec un manga terriblement séduisant. Ao Ashi a encore beaucoup de choses à prouver pour devenir une référence dans le petit monde du shōnen sportif, mais son univers et ses personnages se révèlent déjà si attachants que les deux premiers tomes qui sortent ce mois-ci n’ont pour véritable défaut que de provoquer une terrible impatience de lire la suite (qui arrivera en juillet). Yūgo Kobayashi aborde à sa manière le football, en s’éloignant de ce qui a été fait avant lui, au travers d’un garçon qui incarne toute une génération pleine d’espoirs malgré les nombreuses difficultés qui se dressent sur son chemin. Là où il fait d’autant plus fort, c’est avec sa mise en scène et la caractérisation des nombreux personnages qui s’offrent tous une jolie personnalité, décisive pour la progression et la « quête » de son héros. Un excellent manga.

  • Les tomes 1 et 2 de Ao Ashi sortent ce 26 mai en librairie.
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Si vous êtes nouvelle ou nouveau ici, ou que vous n’avez jamais regardé un épisode de Reflecto, je vous invite à vous rendre ici avant toute chose, pour que j’aie le plaisir de vous présenter l’émission !

Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode de Reflecto !

En 2020 sont sortis deux albums musicaux qui m’ont profondément marqué, et le fait qu’ils soient arrivés en pleine pandémie mondiale n’a fait que renforcer leur message.

Nothing is True // Everything is Possible d’Enter Shikari et Moral Panic de Nothing But Thieves abordent avec une grande lucidité les enjeux de notre époque perturbée. L’incertitude quant à l’avenir, le délitement de notre humanité, les luttes pour plus d’inclusivité et de respect. Ces thématiques fortes et la manière dont elles sont abordées m’ont donné envie de revenir sur quelques-uns des morceaux qui composent ces albums, et plus largement sur la notion d’album concept et le storytelling qui en découle.

Il s’agit d’un épisode un peu particulier que je vous présente aujourd’hui, car il aborde la musique en tant que sujet principal. J’avais à cœur de parler de ces albums en tant qu’œuvres, et de leur donner le même traitement qu’un livre, un jeu ou un film. J’espère avoir relevé ce pari, et que cela vous donnera envie d’aller vous intéresser à ces artistes, et plus largement au storytelling dans la musique.

Bon épisode, et à très bientôt !

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The Promised Neverland est un shōnen écrit par Kaiu Shirai et illustré par Posuka Demizu. Initialement paru en 2016, le premier volume a été édité par Kazé, en France, en 2018. Le vingtième et dernier tome est prévu pour le 2 juin 2021.

Bienvenue à Grace Field House !

The Promised Neverland © 2016 by Kaiu Shirai and Posuka Demizu

« Celle que j’appelle tendrement « maman » n’est pas réellement ma mère. Et tous ces enfants avec lesquels je vis ne sont pas véritablement mes frères et sœurs. Voici l’orphelinat Grace Field House. Je suis orpheline. Du moins, c’est ce que je croyais. »

Telles sont les paroles d’Emma, dans la première page de The Promised Neverland. Les cases initiales du manga nous font découvrir une jeune fille heureuse, élevée par une mère attentionnée et jouant avec ses nombreux frères et sœurs dans le parc verdoyant de Grace Field House. Emma porte un uniforme d’un blanc immaculé et aborde un sourire rayonnant. L’orphelinat semble être un environnement idyllique pour les enfants. Dans ce cas, pourquoi le matricule 63194 est-il tatoué sur le cou d’Emma ?

Bien qu’ils aiment leur mère adoptive Isabella, les enfants de Grace Field House attendent avec impatience le jour où ils seront adoptés. Or, c’est au tour de Connie, une adorable petite fille de six ans, de rencontrer ses parents ! La fillette serre tendrement Little Bernie, son doudou en forme de lapin, contre elle, en promettant à ses frères et sœurs qu’elle ne les oubliera jamais. Lorsque Connie s’en va, Emma remarque avec désarroi qu’elle a oublié Little Bernie derrière elle. L’adolescente brave l’interdiction d’approcher le portail de l’orphelinat dans l’espoir de rattraper Connie. Mais ce qu’elle va découvrir fait voler toutes ses certitudes en éclats…

Un aller pour le Pays Imaginaire

Le titre The Promised Neverland fait-il part de l’espérance d’accéder à la terre promise : le fameux Pays Imaginaire où les enfants sont éternellement heureux ? Hélas, il ne s’agit sûrement pas de Grace Field House, qui paraît trop idyllique pour être réel. Si vous êtes des habitués de Pod’Culture, vous connaissez mon affection pour les réécritures lugubres du mythe de Peter Pan. J’avais abordé cette thématique dans mon analyse du film L’Orphelinat. Comme d’autres œuvres du genre, The Promised Neverland va imaginer ce qui arrive aux enfants qui ne grandissent pas. Naturellement, rien de plus ne sera divulgué sur l’intrigue.

Au-delà du suspense qui happe les lecteurs dès les premières pages du manga, The Promised Neverland charme par la clarté et la beauté de ses dessins. Tout juste peut-on lui reprocher un découpage parfois économe, qui rend les cases les plus chargées – et surtout les bulles qu’elles contiennent – assez difficiles à déchiffrer. Les illustrations n’en demeurent pas moins rafraîchissantes, voire poétiques. C’est la promesse, pour nous, lecteurs et lectrices, d’être emportés dans un univers dont la douceur et l’émotion dissimulent une parcelle plus inquiétante, mais tout aussi envoûtante.

Et si le monde n’était qu’un échiquier ?

The Promised Neverland © 2016 by Kaiu Shirai and Posuka Demizu

Bien que le trio principal soit assez convenu pour un shōnen, il est particulièrement attachant. Emma est une jeune fille brave et généreuse, qui aspire plus que tout à rendre sa famille heureuse. Si elle paraît parfois maladroite, elle possède de grandes capacités d’apprentissage. Ray, l’éternel ado ténébreux, est l’heureux propriétaire d’une mèche rebelle, dissimulant la moitié de son visage. Cultivé et cynique, Ray s’avère plein de surprises. Enfin vient Norman, probablement mon favori. Pale et rêveur, il possède une intelligence redoutable qu’il n’utilise jamais à mauvais escient. Norman se caractérise par son abnégation à toute épreuve.

Comme la référence à Peter Pan le laisse deviner, The Promised Neverland est le terrain de la confrontation entre le monde des enfants et celui des adultes. Toutefois, cette confrontation n’est jamais frontale. Il s’agit de combats tactiques, pareils à une partie d’échecs, où les adversaires n’hésitent pas à user de faux semblants pour parvenir à leurs fins. Au-delà des sourires figés, des regards fixes et des gros-plans sur leur visage, c’est ce jeu des masques qui rend les adultes si effrayants. On salue d’ailleurs les métaphores délicieusement ironiques utilisées par le manga. Les enfants adorent jouer au loup. Or, il arrive que Sœur Krone, une des adultes veillant sur eux, se propose d’incarner le loup…

The Promised Neverland est un manga dont les rebondissements sont particulièrement imprévisibles, et ce grâce à la psychologie travaillée des personnages. Bien que la dualité entre les enfants et les adultes soit mise en exergue, le shōnen ne devient jamais manichéen. En dépit des apparences, aucun des personnages n’est fondamentalement bon, ni mauvais. Ils possèdent tous leurs motivations propres, qui les rendent si imprévisibles. Les enfants sont-ils tous aussi innocents qu’on ne le pense ? Les adultes ne possèdent-ils pas des circonstances atténuantes, lesquelles les réhabilitent, in extremis ? Cette ambivalence des personnages ou le parallélisme existant entre certains d’entre eux, ne rendent le manga que plus passionnant.

Au fur et à mesure que les tomes défilent, The Promised Neverland aborde des thématiques plus difficiles qu’on ne l’imagine et qui s’avèrent satiriques envers la société que nous connaissons. Et si tout n’était qu’un système à la mécanique bien huilée, destinée à broyer les mortels, enfants comme adultes ? A ce titre, comment savoir qui sont les pions et qui sont les pièces maîtresses de ce vaste échiquier ? L’histoire emprunte un tournant au cours du cinquième tome, lequel marque d’ailleurs la fin de la première saison de l’anime. L’intrigue change de rythme et devient plus conventionnelle, tout en demeurant d’excellente facture. J’ai, pour ma part, lu les dix premiers tomes de la série, et il me tarde de découvrir la suite.

Un anime prometteur, puis sacrifié

The Promised Neverland © 2016 by Kaiu Shirai and Posuka Demizu

La première saison de l’anime, composée de 12 épisodes, est sortie en 2019. En France, elle a été diffusée sur Wakanim et Anime Digital Network. Elle est également disponible en DVD et en Blu-Ray.

Je ne peux que conseiller cet anime, dont la qualité est annoncée dès le premier épisode. Le plan initial montre Emma, dont le visage est barré par les grilles de Grace Field House. Ce premier épisode distille de nombreux indices sur la suite des événements. Cela le rend énigmatique pour les personnes découvrant l’histoire, mais aussi très satisfaisant pour les connaisseurs ou connaisseuses. Les dessins et l’intrigue sont extrêmement fidèles au premier tome du manga. Certaines scènes sont coupées, ici et là, ce qui accélère le rythme sans être véritablement gênant. Sœur Krone, tantôt terrifiante, tantôt enjouée, paraît d’autant plus déjantée grâce à la mise en scène et aux choix entrepris par l’anime. Certes, j’ai été déçue par l’opening. A mes yeux, une chanson de J-Rock trahit l’atmosphère de Promised Neverland. L’anime possède toutefois de magnifiques morceaux instrumentaux, à commencer par une certaine berceuse, revenant à des moments stratégiques. Je vous invite à écouter Isabella’s Lullaby, mais attention, elle pourrait bien persister dans votre esprit…

Ce fut malheureusement la douche froide, lorsque j’ai découvert la saison 2, dont la diffusion s’est terminée en mars dernier. Même si j’ai visionné l’anime avant de découvrir les mangas, je me suis toute de suite fait la réflexion que le rythme était trop rapide, et que l’intrigue paraissait moins sophistiquée que dans la première saison. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert que la deuxième saison faisait l’impasse sur des tomes entiers du manga, afin de clôturer l’adaptation de façon expéditive. La saison 2 occulte de nombreux arcs et personnages, et je doute qu’une saison 3 voie le jour.

Toutefois, les plus curieux (ou téméraires) d’entre vous peuvent se tourner vers le film en live-action, sorti en 2020. Il y aurait également un projet de série live américaine, commandé par Amazon Prime, ainsi que l’arrivée prochaine d’un jeu vidéo sur smartphones. Au vu du succès rencontré par The Promised Neverland, et en dépit de la fin bâclée de l’anime, les adaptations du manga semblent avoir de beaux jours devant elles.

Dénouement

The Promised Neverland était un manga qui avait tout pour me plaire, et je n’ai pas été déçue. J’ai été fascinée par l’histoire d’Emma, Ray et Norman. L’intrigue, pleine de suspense, utilise de tels retournements de situation que l’univers devient terriblement prenant, voire obsédant. A l’image de Grace Field House, l’apparente gaieté et luminosité des dessins dissimule un monde aussi sournois que menaçant. Bien que l’intrigue et le rythme changent à partir du cinquième tome, The Promised Neverland met en scène des combats tactiques et spirituels, entre des personnages délicieusement ambivalents. Le huis-clos rend les tensions d’autant plus palpitantes. Je ne peux que vous conseiller de découvrir ce manga envoûtant, voire l’adaptation, dont la première saison est particulièrement fidèle. En revanche, l’anime est sacrifié dès la deuxième saison. The Promised Neverland connaît un franc succès, qui présage de futures nouvelles adaptations, et dont nous connaîtrons le dénouement avec la sortie du tome final, le 2 juin prochain.

  • Les 19 premiers tomes de The Promised Neverland sont disponibles, aux éditions Kazé.
  • Le dernier volume sort le 2 juin 2021.
  • L’anime est consultable sur Wakanim et Anime Digital Network.
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L’Expression « Œuvre Coup de poing », affectionnée entre autres par notre bon Mystic-Falco, me laisse généralement plutôt méfiant. D’abord parce qu’elle peut renvoyer à des sentiments assez variés, mais surtout parce qu’on ne met pas toutes et tous le curseur au même niveau pour décerner un tel titre, en fonction de notre sensibilité et de nos attentes. Aussi c’est au risque de contredire mes habitudes, et de potentiellement vous décevoir, que j’ouvre le présent article de la sorte : aujourd’hui on va parler d’une œuvre « coup de poing », voire même d’une œuvre « gros coup de pied dans la bouche ».

En Thérapie est une série française d’Eric Toledano et Olivier Nakache, diffusée depuis le 4 février 2021. Il s’agit de l’adaptation française d’une série israelienne, Betipul, qui partage donc avec sa grande sœur sa thématique principale : Le parcours de cinq patients et de leur thérapeute, lors de sept séances de psychanalyse. Ne connaissant ni la série originale, ni l’adaptation américaine qui a précédé la française, je ne peux juger En Thérapie sur la qualité de l’adaptation qu’elle réalise. Cela ne m’a toutefois pas empêché de dévorer cette série, avec une agressivité qu’elle n’a parfois pas manqué de me rendre. Car, comme l’a écrit ce bon Friedrich Nietzseche, quand tu regardes l’abîme, l’abîme aussi regarde en toi.

Une narration et une exécution parfaitement maitrisées

© 2021 ARTE

Le premier élément qui fait toute la force de la série est à mon avis sa structure. Une narration en étoile, qui va se concentrer sur un cas par épisode, l’un après l’autre, permettant à la fois de créer un cycle (chaque cas revient tous les cinq épisodes) et une continuité temporelle (Chaque bloc de cinq épisodes constitue une semaine de travail pour Dayan, le psychanalyste à la croisée de toutes ces histoires). L’intérêt de ce choix de narration est triple :

Tout d’abord, il renouvelle sans cesse l’intérêt du spectateur en alternant les arcs scénaristiques, tout en créant une attente de ce dernier pour chaque personnage. Ensuite il permet d’installer la relation de chaque patiente et chaque patient avec le thérapeute dans le temps, ce qui permet d’ajouter une couche de narration supplémentaire via le rythme auquel avance chaque cas dans une unité de temps. De plus, pendant ces sept semaines, des évènements extérieurs aux différentes cures ne manqueront pas de survenir pour rabattre les cartes, parfois de manière singulièrement brutale. Enfin il permet de mettre au centre de l’intrigue le personnage de Philippe Dayan, psychanalyste reconnu, professionnel consciencieux et humain…parfois trop humain, comme vont en témoigner les difficultés auxquelles il va être confronté pendant ces sept semaines, entre novembre 2015 et janvier 2016. En plus du parcours des patients, c’est ainsi également le parcours du thérapeute qui vient enrober l’ensemble, montrer que tout professionnel qu’il soit, il est comme les autres le produit de son passé, et de ses névroses. Un personnage magistralement incarné par Frédéric Pierrot, dont la prestation est à l’image de chaque membre du casting de la série.

© 2021 ARTE

Car le deuxième atour majeur de l’œuvre est le choix de ses interprètes. Au sommet de leur Art, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Pio Marmaï, Clémence Poesy, Carole Bouquet, et donc Frédéric Pierrot, font corps avec leur rôle comme rarement, jouant à la fois le conscient, et l’inconscient de leur personnage, dans l’intimité dépouillée de ce cabinet de consultation, qui sert souvent de théâtre à de poignantes luttes internes. Chaque mot, chaque silence, chaque mimique sont autant d’indices distillés par les acteurs et actrices pour nous permettre d’appréhender Ariane, Adel, Camille, Damien, Léonora, Esther et Philippe. Mention spéciale aux quatre personnages secondaires qui, bien qu’intervenant beaucoup plus rarement, ne sont pas en reste quant à leurs apports à  l’histoire et aux différents messages abordés. Au delà de ces personnages, ce sont des vies qui sont racontées. Des parcours, des blessures, des vides, des traumas, des hontes. Le plus souvent à travers un regard qui se détourne, ou un malaise qui resurgit. Le tout porté par des dialogues phénoménaux de profondeur et d’intensité. Car en thérapie, « il y a ce qu’on est venu dire, ce qu’on ne veut pas dire…et ce qu’on ne veut surtout pas dire ».

Faire la lumière sur nos parts d’ombre

Vous savez maintenant pourquoi la série m’a accroché, mais vous savez moins comment elle appuie là où ça fait mal, et à quel point la série tourne encore dans la tête quelques jours après l’avoir terminée. Le fait de suivre des personnages qui vont mal, parfois même sans s’en rendre compte, crée un climat dans lequel les liens entre les évènements et les souffrances se créent à mesure que les langues se délient. La série joue habilement de la résistance de l’inconscient face aux signes qui montrent bien plus qu’on ne le voudrait, et lorsque les personnages s’ouvrent, prenant petit à petit conscience des rouages à l’origine de leurs problèmes, on est doublement touché en tant que spectateur. D’un côté par empathie, face aux situations sincèrement difficiles vécues par chacune et chacun, mais surtout d’un autre par identification. D’abord on se sent proche de certains personnages, de leurs difficultés, de leurs questionnements. Puis, face à leur inconscient mis à jour, on se prend à se demander si nos travers communs ne seraient pas issus de causes similaires. Si au fond de nous, nous n’aurions pas des choses enfouies qui seraient comparables, au moins dans une certaine mesure.

© 2021 ARTE

[Attention au petit spoiler] En ce qui me concerne, ce sont par exemple les réflexions de Dayan sur la violence du monde, sur à quel point elle peut briser les gens dans un cercle qui s’auto-entretient, et sur les angoisses que cela génère, qui ont raisonné en moi. [Fin du petit spoiler].

À travers les parcours dévoilés au fil des épisodes, on se rend compte que les malheurs de l’adulte viennent plus ou moins tous des cicatrices de l’enfant. On prend conscience que chaque être humain porte en lui une part sombre, plus ou moins nourrie par ce que nous lui avons donné à manger au fil du temps, particulièrement lors de nos premières années en société, alors que nous n’avons pas d’autre option que le refoulement face aux traumatismes.

Tout cela ne donne pas beaucoup d’espoir quant au sort du monde, tant ce fonctionnement semble être inhérent aux sociétés humaines. En revanche ce qui rassure et met du baume au cœur, c’est qu’en fin de compte la thérapie peut fonctionner. Elle peut dans une certaine mesure aider, réparer. Et alors que le dernier bloc de cinq épisodes se déroule devant nos yeux, c’est autant de séparations qu’il nous faut encaisser, et de visions du monde avec lesquelles il nous faut composer. À l’image de son propos, la série nous laisse dans une certaine amertume, teintée d’une envie d’aller de l’avant. Nous met une dernière claque avant de venir titiller notre « Pulsion de Vie ».

Derniers mots sur le divan

Je n’ai pas beaucoup de doutes sur le fait qu’En Thérapie a su m’aspirer car le cœur de son propos touche de très près à des thématiques et des genres qui me fascinent : entre huis-clos et thriller psychologique, chaque épisode permet d’aller de plus en plus loin sur les fêlures de ces patientes et patients, sur le tragique de leurs histoires et sur à quel point notre société se brise, se délite, alors que beaucoup se cachent, voire se meurent de leurs blessures. Le sujet de la santé mentale était assez tabou en France, jusqu’à la pandémie de COVID-19, qui a à ce point amplifié le poids des troubles psychiques que nous ne pouvons plus faire comme s’il ne s’agissait pas d’une priorité absolue. Au delà de ses qualités, l’œuvre a le mérite de mettre le dossier sur la table.

Quand bien même elle reste une œuvre de fiction, et qu’elle ne peut prétendre remplacer ou représenter parfaitement la discipline qu’elle dépeint, En Thérapie, portée par une écriture et un rythme d’une précision chirurgicale, bouscule les esprits autant qu’elle les divertit. Elle vient nous proposer de reconsidérer certains évènements de notre passé, à la lumière des cas qui y sont dépeints, ou nous tendre une main vers le monde de la santé mentale, pour celles et ceux qui sentent bien que quelque chose ne va pas sans avoir jamais su pourquoi.

  • « En Thérapie » est disponible gratuitement sur le site Arte.tv, sur la chaine Youtube « Arte Séries », ainsi qu’en coffret DVD et Blu-ray
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En 2010 sortait une sorte de suite à Drakengard, qui faisait à l’époque quelques adeptes. Ce jeu, c’était NieR, sorti au Japon dans deux versions : Replicant et Gestalt. La principale différence entre les deux titres se situait au niveau du personnage incarné une fois la manette entre nos mains, puisque la version Replicant proposait d’y incarner un jeune protagoniste qui cherchait à sauver sa sœur d’une terrible maladie, tandis que Gestalt nous mettait dans la peau de son père. Mais pour l’occident, la question ne se posait plus : son éditeur, Square-Enix, avait fait le choix de sortir uniquement la version Gestalt. Onze ans plus tard et après le succès critique de sa suite NieR Automata, le premier jeu de la saga revient à nous dans une version remaster au titre aussi improbable que l’imaginaire de son créateur Yoko Taro, qui nous permet enfin de découvrir la version « Replicant » avec le fiston. Nous voilà face à NieR Replicant ver.1.22474487139… et on vous invite à nous rejoindre dans un voyage aussi étonnant que séduisant.

Critique rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par l’éditeur. Le jeu a été testé sur une PlayStation 5 en rétro-compatibilité PS4.

Tout commence dans un futur proche, dans le décor urbain d’une ville qui semble abandonnée. On y découvre un jeune homme et sa petite sœur, qu’il tente de protéger de toutes ses forces alors que les Ombres l’attaquent et qu’une tempête de neige se déchaîne. Soudainement, une ellipse de 1412 années plus tard, on retrouve le frère et la sœur dans un village. Cette dernière est atteinte d’une étrange maladie, son frère va tout tenter pour la sauver.

Pour sauver Yonah

© 2010, 2021 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Il y a quelque chose d’intrigant et de mystérieux dans l’histoire de NieR Replicant ver.1.22474487139… (on vous épargnera le titre à rallonge dans la suite de cette critique, c’est promis). Comme à son habitude, son créateur Yoko Taro laisse parler sa folle créativité qui emprunte à des genres bien différents, dans un monde qui mélange un côté post-apocalyptique avec ses vestiges de civilisations modernes (bâtiments en béton, ponts détruits) à une civilisation qui lorgne du côté de l’âge médiéval. Robots et architecture industrielle se fondent dans les plaines et près des villages où la vie tourne autour de la chasse, de l’élevage et des échanges commerciaux en essayant de survivre aux multiples attaques des Ombres. Ces ennemis à l’origine inconnue attaquent sans relâche les villageois, défendus par des soldats et notre cher héros, tous équipés d’épées et d’armures d’une autre époque. C’est un mélange fascinant, qui n’est pourtant pas si rare dans le petit monde du jeu vidéo japonais, mais que NieR Replicant raconte de manière plus terre à terre et brut. Certaines séries de jeux de rôle japonais en ont fait leur marque de fabrique, notamment chez le même éditeur Square-Enix, mais il y a quelque chose de plus pur, de plus surprenant ici. Notamment parce qu’on ressent réellement ce côté post-apocalyptique, où l’espoir semble avoir quitté la plupart de ses habitants.

L’intrigue se dévoile à son rythme et n’hésite jamais à nous balancer sur des fausses pistes. Le tout avec un fond mélancolique, abordant des thèmes qui vont de l’humanité de ses personnages au sens de leur vie, avec en toile de fond une étrange maladie qui se transmet sans que l’on sache trop comment. La petite sœur du héros en est atteinte, et l’essentiel du jeu consiste à essayer d’en trouver le remède, avec un grand frère qui remue ciel et terre pour le moindre indice qui permettrait de la sauver. Mais plus que son histoire, le jeu séduit grâce aux petites aventures qui se créent chaque fois que l’on découvre une nouvelle ville. Peu nombreuses, elles recèlent toutefois de nombreux détails qui leur donnent à chacune une vraie identité, avec leur lot de péripéties et d’histoires plus ou moins déprimantes. La dynamique qui s’installe entre les personnages, tous très attachants, est également intéressante, grâce au fait qu’ils possèdent tous des personnalités radicalement différentes mais toujours réussies. Si le héros est l’exemple type du héros-serpillère qui ne semble avoir qu’un seul but dans la vie, jouer les coursiers pour tout le monde entre deux quêtes pour sauver sa sœur (et l’un de ses alliés le lui fait d’ailleurs remarquer avec dialogue grinçant), les autres sont particulièrement intéressants. Il y a d’abord le Grimoire Weiss, sorte de livre magique qui nous accompagne tout au long de l’aventure et dont le sarcasme apporte un second degré bien senti. Et ensuite, deux autres personnages qui viennent apporter plus de douceur et d’émotions au jeu, avec des histoires bouleversantes.

C’est bien là que le jeu devient particulièrement émouvant, avec des protagonistes qui dévoilent une douceur insoupçonnée, avec des passés lourds qui donnent à l’aventure un tournant parfois doux-amer. Car plus que la relation frère-sœur qui est au centre du récit, c’est ces personnages qui nous rejoignent dans l’aventure, ou même quelques uns que l’on croise dans une poignée de quêtes secondaires, qui offrent un réel impact émotionnel. Même si on regrette quand même le choix de design de Kainé, un personnage fascinant qui combat à nos côtés, dont l’hyper-sexualisation créé un décalage de ton un peu nul avec certaines de ses scènes qui font partie des plus émouvantes du jeu. Son histoire est pourtant certainement l’un des piliers du récit, abordant de nombreux thèmes compliqués et offrant un regard intéressant sur l’univers de NieR. Mais ses scènes rappellent un peu le cas de Miranda de Mass Effect, où la caméra faisait des gros plans sur ses fesses pendant qu’elle dévoilait des épisodes compliqués de sa vie. Plus que jamais, NieR Replicant nous rappelle qu’il est ancré dans son époque, celle du début des années 2010, où le jeu vidéo n’envisageait même pas de commencer à prendre conscience de son sexisme.

Les vieux pots, les meilleures soupes, tout ça

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NieR Replicant n’est toutefois pas qu’une histoire, c’est aussi un sens du gameplay qui rend l’aventure encore plus palpitante. Ce remaster est une bonne occasion pour se raccrocher au wagon NieR Automata, suite de l’aventure sortie en 2017 et qui avait apporté avec elle des combats plus nerveux. On retrouve les bases posées par Automata, à l’exception toutefois de combos moins nombreux. Cela donne un vrai coup de fouet à NieR, dont l’original accusait tout de même son âge. Les combats sont vifs, le rythme est rapide et on retrouve ce « bullet hell » propre à la saga où il faut esquiver les nombreuses boules d’énergie lancées par les ennemis. Certains combats de boss sont d’ailleurs en ce sens très bons, avec des patterns identifiables qui poussent à esquiver de la manière la plus fluide pour pouvoir leur mettre des coups. Sachez toutefois que le jeu propose de multiples modes de difficulté (du plus facile au plus difficile) pour les personnes qui aimeraient une aventure plus tranquille. On peut regretter cependant que les boss soient inégaux, tant dans les combats que leur design, ce qui en rend certains très oubliables.

Mais là où le remaster ne change pas grand chose, c’est sur ses quêtes secondaires. Déjà datées dans leur structure à l’époque avec un côté très « FedEx » hérité des pires jeux de rôle où l’on nous demande parfois d’aller chercher dix peaux de chèvre ou de mouton pour progresser, on s’aperçoit dix ans après que les années ne lui ont fait aucun cadeau. Ces quêtes sont nombreuses et pour l’extrême majorité se révèlent sans intérêt, tant à cause de leurs objectifs que leurs apports très dispensables sur la narration. Heureusement, une poignée d’entre-elles apportent leurs lots d’informations sur le lore du jeu, et certaines sont même indispensables pour pouvoir obtenir l’intégralité des armes du jeu (inévitable si l’on veut faire toutes les fins du jeu). Mais le pire là-dedans c’est que ces quêtes obligent à faire de nombreux aller-retour entre les différentes villes et zones du jeu, de la même manière que la quête principale. Cela alourdit artificiellement le titre qui n’en devient que plus long avec d’interminables phases où l’on court au travers des mêmes plaines des dizaines et dizaines de fois pour valider quelques quêtes. A tel point que les dialogues du jeu rappellent à un moment qu’on passe notre temps à courir d’une ville à l’autre, même si on finit par débloquer un simili-voyage rapide qui améliore (un peu) les choses. On prend certes plaisir au départ à découvrir les différentes zones du jeu, mais celles-ci souffrent pour la plupart de leur époque, avec de vastes étendues très vides. Même les villes peinent à donner une impression de vie. Malgré le lifting apporté par ce remaster, on reste face à un jeu qui avait un budget relativement modeste en 2010, et qui proposait un monde désincarné et répétitif : tout est vide, forçant à faire des centaines d’aller-retour dans les quelques zones récurrentes avec des temps de chargements franchement longuets.

© 2010, 2021 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Mais cela ne gâche pas le jeu, qui appuie l’essentiel de ses qualités sur sa narration et sa capacité à étonner même après plusieurs dizaines d’heures de jeu. Si ses artifices scénaristiques ne surprennent pas grand monde, pour peu que l’on ai au moins entendu parler de NieR Automata et de ses nombreuses fins qui offrent des regards différents sur les mêmes événements, NieR Replicant a ce même goût de la narration à plusieurs niveaux de lecture. Les sous-textes sont nombreux et, allant des changements climatiques à la notion d’humanité, le jeu ne cesse d’interroger et de remettre en cause ses idées. C’est habile, souvent fin, et on prend un réel plaisir à se laisser prendre par ces nombreux rebondissements. Comme Drakengard et NieR Automata, l’histoire ne se dévoile pleinement qu’après plusieurs fins, ce qui peut toutefois être décourageant lorsque l’on réalise après quelques dizaines d’heures qu’il faudra rejouer des pans entier du jeu (qui restent pour l’essentiel identiques) afin d’obtenir quelques petits éclairages sur le récit. Mais même si je ne suis pas un grand fan de la méthode, qui me semble un peu facile pour étirer le jeu en longueur, il faut bien avouer que le titre sait nous prendre aux tripes lorsqu’il dévoile enfin ses vraies intentions. A noter d’ailleurs que ce remaster apporte une cinquième fin : attendez vous à un long, très long voyage.

Un réarrangement artistique

Paradoxalement, si le jeu a souvent l’air vide, quelques zones étonnent par leur beauté et leur lyrisme. En effet NieR Replicant est avant tout une véritable réussite artistique, avec une direction artistique assez géniale malgré les limites techniques de l’époque. Le remaster permet même de sublimer ses réussites grâce à un framerate plus élevé, une distance d’affichage améliorée, et plus généralement une finesse des textures qui oscillent entre le bon et moins bon mais qui restent bien au-dessus de la version originale sur PS3. Les plus belles zones sont capables en un instant de poser une nouvelle ambiance, à laquelle se joint une formidable bande-originale composée par Keiichi Okabe et son studio MONACA. Le compositeur profite même de cette nouvelle édition pour offrir de nouveaux arrangements, absolument superbes, qui renforcent amplement le côté épique de ses compositions. Quelques combats, notamment dans la deuxième partie du jeu, se jouent au rythme de ses titres et profitent allègrement du réarrangement pour offrir des moments de grâce qui sont à tomber. Il y a quelque chose d’hypnotisant dans cette bande-originale, avec des notes d’une douceur infinie qui s’associent étonnamment bien avec l’action survoltée des combats.

NieR Replicant ver.1.22474487139… est une œuvre à part, un jeu auquel on pourrait reprocher tant de choses sur sa structure mais qui parvient malgré tout à intéresser, à passionner, et à émouvoir. Le jeu est daté, c’est indéniable, et ce remaster n’opère que des changements en surface pour améliorer légèrement le jeu et faire en sorte qu’il ne semble pas trop anachronique. Mais malgré cela, c’est son histoire et ses personnages qui donnent le ton du titre, avec des thèmes variés et un vrai sens de la narration qui pousse à toujours aller plus loin pour en découvrir un peu plus sur les nombreux mystères du titre. Difficile de ne pas s’attacher à ces personnages et à leurs destins, même si leur créateur Yoko Taro se repose sur des ficelles narratives parfois faciles.

Mais qui sommes-nous pour nous plaindre : NieR Replicant est un formidable voyage et il serait bien dommage de ne pas se laisser porter par ce sentiment onirique qui l’entoure.

  • NieR Replicant ver.1.22474487139… est sorti le 23 avril 2021 sur PlayStation 4, Xbox One et PC. 
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Lors d’une nuit sombre, dans le quartier de Kamurocho, de nombreuses affaires, pour le moins obscures ont lieu. Entre trafics de drogues, détournements d’argent et règlements de comptes entre bandes ennemies, la ville ne dort jamais. C’est en tout cas ce qui vous attendra si vous vous aventurez, en compagnie de Takayuki Yagami, dans ce Judgment, sorti à la base en 2018 et qui profite d’une ressortie sur Playstation 5, Xbox Series et Stadia en ce mois d’avril 2021. Le jeu est développé par Ryū ga Gotoku Studio, la même équipe derrière de la saga Yakuza, Judgment étant un spin-of à la saga.

Critique réalisée à partir d’un exemplaire envoyé par le distributeur. Jeu testé sur PlayStation 5.

Les Yakuza, un monde inconnu

© SEGA

La saga Yakuza est reconnue pour sa grande qualité d’écriture des scenarii, notamment portée par des personnages charismatiques et une mise en scène digne des meilleurs dramas japonais. Judgment ne fait pas exception à la règle et c’est d’ailleurs ce qui m’a marqué dans un premier temps lorsque je me suis lancé dans l’histoire. Tout est fait pour que le joueur ait l’impression d’assister à une véritable histoire. Le genre d’histoire que nous n’oublions pas si facilement, tant l’implication envers les personnages y est soignée.

Bien que le milieu des Yakuza ne soit pas un sujet que l’on maîtrise facilement tant il y a des règles, des hiérarchies et autres… Judgment prend le temps de mettre en place tout un panel d’histoires et de personnages tous bien différents, mais terriblement bien décrits. Ne serait-ce déjà qu’avec l’introduction des personnages, qui pour peu qu’ils soient importants à l’histoire sont présentés avec un panneau qui leur sont dédiés, avec le nom, la profession et/ou la famille de yakuza à laquelle ils appartiennent.

Indubitablement, qui dit œuvre japonaise, implique des protagonistes hauts en couleur. Ce sont les personnages secondaires qui profitent de ce traitement. Un choix des plus intelligents permettant ainsi au joueur de s’identifier bien plus facilement au personnage principal, à savoir Takayuki Yagami. Un ancien avocat, qui suite à une affaire de double meurtre, dans laquelle il a dû défendre l’accusé, et ne s’en est pas vraiment relevé, a décidé de quitter le barreau pour devenir détective privé. C’est donc avec ce peu d’information que l’on commence l’histoire de Judgment. Par ailleurs cette dernière est coupée par chapitres, avec un récapitulatif de l’histoire avant chaque début de partie, appuyant de nouveau cet « hommage » au dramas japonais.

Du drama, au cinéma

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En dehors du côté sériel du titre, l’équipe de Ryū ga Gotoku Studio, enchaîne les divers révérences, envers le cinéma cette fois-ci. C’est grâce notamment au gameplay très nerveux du titre que le genre du cinéma d’action est mis en valeur.

Dans Judgment les combats, en plus d’être jouissifs tant la chorégraphie de ceux-ci est excellente, prennent une part prépondérante du gameplay. Sans pour autant que ce soit difficile à prendre en main, il faudra cependant réussir les différents combo pour venir à bout des affrontements, tant les ennemis peuvent être compliqués à battre. Mais une fois cela accompli, le joueur est récompensé de la plus belle des manières, grâce notamment à des cut-scenes montrant la mise à terre des ennemis (à la façon d’un Fatality de Mortal Kombat).

Judgment étant un spin-off de la saga Yakuza, il apporte son lot de nouveauté. Notamment avec des nouvelles phases de gameplay. Entre filatures, recherches d’indices et des scènes où l’on dévoile les différents indices glanés ici et là, tel un Phoenix Wright sous testostérone. Le jeu use et abuse du genre de l’enquête, ce qui peut parfois devenir assez répétitif, et sortir de l’histoire, tant les phases de filatures cassent la cohérence ludo-narrative. Forcément, lorsque nous sommes emmenés à suivre un personnage, que celui-ci se retourne pour voir s’il n’est pas suivi, et que nous courons dans tous les sens pour se cacher, sans que le personnage filé ne remarque rien… Cela casse un peu l’immersion.

Cependant, il est bon de noter qu’en plus de faire référence au cinéma d’action, il singe de façon cohérente et excellente le genre du « Film noir ». Bien évidemment cela est surtout dû au différents thèmes de l’histoire ; les enquêtes, les meurtres, un tueur qui se cache derrière toute une organisation. Mais ça ne s’arrête pas là, il y a évidemment toute l’atmosphère très sombre des rues, le style de musique utilisée. En bref, Judgment est un patchwork assez impressionnant dans sa cohérence, et sa façon de réussir à si bien marier les genres, tant ils sont différents les uns des autres.

En dehors de ces quelques petits défauts, pouvant être inhérents au genre de l’enquête, le plaisir manette en main est réellement présent. Même si par moment, cette dernière n’est pas souvent utilisée.

« Le bavardage ne paie pas d’impôts »

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Autant les scènes d’actions et de combats sont dantesques voir même parfois complètement abusés, mais assumés pleinement, autant il faudra vous armer de patience si regarder une histoire dans un jeu vidéo ne vous intéresse pas. Car Judgment (et visiblement les Yakuza en général) est très bavard. Entre les scènes d’introspection, ou les personnages vont parler entre eux, pour comprendre comment ils sont arrivés là, et les scènes importantes à l’histoire afin de faire avancer celle-ci, vous allez avoir votre dose de cinématique pendant un moment !

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les similarités ne s’arrêtent pas là. Notamment grâce au casting, ou plusieurs des acteurs des jeux Yakuza sont de retour dans ce Judgment. L’équipe de développement a même poussé ce choix d’acteurs assez connu dans le milieu, en faisant appel à Takuya Kimura, , un acteur très populaire au Japon, doubleur voix et visage du personnage principal Takayuki Yagami.

L’écriture du titre étant extrêmement qualitative, chaque retournement de situation, ne semble pas sortir de nulle part. L’histoire sait rester sérieuse et cohérente tout le long, apportant ainsi du corps au récit. Évidemment, qui dit œuvre japonaise, dit également un peu de fun, afin d’adoucir l’histoire, qui sans ces scènes à portée humoristique, semblerait beaucoup trop sérieuse, et vraiment déprimante. Le tout étant de savoir le faire avec parcimonie et avec talent comme l’ont si bien réalisé l’équipe de développement.

Judgment est une œuvre à découvrir, tant par la richesse de ses diverses références, que pour ce que le titre a à apporter au genre du jeu d’énigme. Si nous avons fait le choix de rester très vague quand à ce que raconte l’histoire, c’est avant tout pour vous donner envie de découvrir toute la richesse de ce jeu. Étant moi-même néophyte de la saga, j’ai pris un plaisir incroyable à parcourir les rues de Kamurocho, à découvrir tous ces personnages écrits de façon incroyable, et surtout m’essayer à un mélange des genres pour le moins audacieux. Alors laissez-vous tenter par l’aventure, laissez-vous porter par ce Judgment, et comme dirait un fidèle associé :

« Le feu brûle la tentation, et le métal brûle les hommes justes ».

  • Judgment est sorti le 23 avril sur Playstation 5, & Xbox Series X/S.
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