Ao Ashi – Tome 1 et 2 | Les débuts d’un talent brut

par Anthony F.

Dans le petit monde de l’édition manga en France, un nouveau prétendant se montre à nous : Mangetsu, une nouvelle collection dirigée par Sullivan Rouaud, qui était déjà à l’œuvre du côté de l’excellent label Hi Comics. Et pour son lancement ce 26 mai, l’éditeur voit les choses en grand avec les deux premiers tomes de Ao Ashi, un shōnen qui prend place dans l’univers du football. Ne fuyez pas si le sport ne vous intéresse pas, car le manga de Yūgo Kobayashi est plus que cela, c’est une œuvre assez captivante sur la jeunesse et le besoin de s’affirmer à l’adolescence.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire en service presse par son éditeur. (Note : Mangetsu est le nouveau label manga de Bragelonne, maison d’édition dont le directeur Stéphane Marsan a été mis en cause dans de nombreux témoignages d’anciennes collaboratrices l’accusant de harcèlement sexuel, suivi d’un silence assourdissant de l’éditeur. Cette critique d’un manga de Mangetsu ne saurait en aucun cas être une caution aux agissements reprochés et s’accompagne, au nom de l’équipe de Pod’Culture, d’un soutien sans faille aux nombreuses femmes qui ont témoigné récemment dans un article de Mediapart et qu’il convient d’écouter, de soutenir et de croire.)

Ao Ashi raconte l’histoire de Ashito Aoi, gamin de la province qui vit pour le foot et joue dans le club de son collège. Lui qui rêve de devenir pro un jour, il est bien loin de Tokyo et de ses clubs professionnels, jusqu’au jour où il fait la rencontre d’un homme qui lui propose de participer à la détection des jeunes talents pour l’équipe U18 du Tokyo Esperion FC. Convaincu de son talent malgré son impulsivité qui lui joue des tours sur le terrain, il se lance dans un voyage inattendu pour réaliser son rêve.

La confrontation à un autre monde

Ao Ashi © 2015 Yugo KOBAYASHI, Naohiko UENO by SHOGAKUKAN

Si le football est un des thèmes de Ao Ashi, ce n’est pourtant que secondaire dans une histoire qui ne s’en sert comme d’un support pour aborder des thèmes très variés. Ces deux premiers tomes nous projettent dans la vie de Ashito, un gamin qui n’en fait qu’à sa tête et qui a bien du mal à jouer en équipe (à l’image de certains joueurs terriblement populaires dans la réalité). Devenir professionnel nécessitera toutefois de remettre en cause ses idées et sa manière d’être, lui qui est impulsif et qui déteste qu’on le contrarie. Un bon point de départ pour un shōnen au ton assez classique avec une sorte de quête initiatique qui prend forme dans le voyage d’un gamin vers la capitale, où il se découvre de nouveaux camarades et un nouvel objectif, qui semble initialement absolument inatteignable. Bien qu’il reprenne les codes les plus classiques du shōnen avec son héros qui doit se surpasser, Ao Ashi a ce petit truc en plus qui le rend terriblement sympathique. Son héros est attachant, caractérisé avec beaucoup de bonnes idées, tout comme sa famille qui est au centre de ses interrogations, et ses camarades qui révèlent leur personnalité sur le terrain. La manière dont l’auteur utilise le football pour raconter la découverte de nouvelles valeurs (de respect et d’amitié) est très maline, et on prend un plaisir indéniable à voir ce collégien s’affirmer et se découvrir. Plus généralement, Ao Ashi étonne par sa faculté à aborder une jeunesse à l’énergie débordante qui tente de se défaire des nombreux obstacles qui se dressent sur sa route. Il y a une forte composante sociale autour des questions de pauvreté et de difficulté d’accès aux meilleurs clubs pour des jeunes qui ne sont pas nés dans une famille capable de leur payer une école réputée qui possède un super club de foot de collège, ou des crampons neufs chaque année. Evidemment le manga ne s’éternise pas dessus, mais quelques scènes viennent rappeler l’importance de l’argent, même pour des collégiens, dans un monde qui n’est finalement que peu accessible lorsque l’on n’a pas les moyens de se payer le matériel et les déplacements nécessaires pour participer à ces journées de détection dans les clubs professionnels. Cela devient d’ailleurs un moteur pour le héros, qui joue toute sa vie l’espace d’une journée longuement racontée dans ces deux tomes.

A l’image de son héros, le manga est un peu brut de décoffrage, car il foisonne d’idées mais a encore besoin de s’affiner pour dévoiler tout son potentiel. Et c’est ce qui le rend attachant, entre son héros prêt à exploser à chaque instant et cette écriture qui navigue avec talent au milieu de dizaines de super idées. Il y a évidemment quelques clins d’œil au foot moderne, à des concepts et des équipes, mais surtout une envie de bien faire qui est très touchante. L’histoire de Ashito est celle de nombreux gamins prêts à tout pour réaliser leurs rêves, une personnalité qui rappelle qu’il y a un gamin comme un autre derrière l’image publique de joueurs de football qui ont parfois mauvaise presse. C’est, sur ce point-là, une vraie réussite et c’est ce qui permet au manga de Yūgo Kobayashi de se distinguer d’autres mangas sur le football. Son héros un peu foufou et impulsif s’éloigne par exemple du caractère plus posé et naïf d’un Tsubasa dans Captain Tsubasa, donnant au manga un élan et un propos intéressant sur le dépassement de soi, ainsi que la capacité à se remettre en cause. Par exemple lors de la détection des jeunes talents, on réalise vite que l’objectif est de trouver des jeunes joueurs capables de réfléchir et se réinventer face à l’adversité, plutôt que de purs talents qui surclasseraient la concurrence. C’est d’ailleurs ce qui rend Ashito particulièrement sympathique, avec ce côté très humain et faillible, qui oscille entre maturité temporaire et immaturité de tous les instants : c’est un gamin qui découvre de nouveaux concepts, de nouvelles idées, un nouveau monde auquel il doit s’adapter.

Croire en ses rêves

Ao Ashi © 2015 Yugo KOBAYASHI, Naohiko UENO by SHOGAKUKAN

Le caractère légèrement foufou du héros se retrouve aussi dans la manière dont l’auteur construit son histoire. Le rythme sait s’accélérer aux moments les plus intenses, alors qu’il prend parfois le temps de poser les moments de réflexion où son héros se pose des questions. Il y a un côté presque erratique dans le rythme et cela donne à Ao Ashi un ton unique, tout à fait savoureux, qui évite de tomber dans une routine qui fait tant de mal à beaucoup de shōnen. On tourne les pages sans s’en rendre compte, car le récit est intense et doté de nombreuses surprises qui alimentent des rebondissements bien amenés, permettant de développer une histoire qui gagne en qualité au fil des pages. Un gros coup de coeur aussi pour la mise en scène et le dessin, absolument superbe, bien aidés par le découpage qui donne une force incroyable aux séquences d’entraînement et de matchs où l’intensité et l’émotion des moments les plus importants sont parfaitement retranscrits. Tant par l’impression de mouvement que le manga parvient à installer sur certaines scènes, mais aussi les personnages très expressifs -notamment le héros- qui en disent parfois beaucoup sans placer un mot. Ce mode de narration, qui s’appuie parfois plus sur les expressions que sur les mots, est propice aux nombreuses séquences autour du football où le manga parvient à éviter les interminables monologues sur lesquels s’appuient certains mangas de sport. L’action n’en devient que plus intense, sans perdre en lisibilité ni en compréhension sur ce qui anime et motive chaque personnage.

On peut dire que Mangetsu se lance avec un manga terriblement séduisant. Ao Ashi a encore beaucoup de choses à prouver pour devenir une référence dans le petit monde du shōnen sportif, mais son univers et ses personnages se révèlent déjà si attachants que les deux premiers tomes qui sortent ce mois-ci n’ont pour véritable défaut que de provoquer une terrible impatience de lire la suite (qui arrivera en juillet). Yūgo Kobayashi aborde à sa manière le football, en s’éloignant de ce qui a été fait avant lui, au travers d’un garçon qui incarne toute une génération pleine d’espoirs malgré les nombreuses difficultés qui se dressent sur son chemin. Là où il fait d’autant plus fort, c’est avec sa mise en scène et la caractérisation des nombreux personnages qui s’offrent tous une jolie personnalité, décisive pour la progression et la « quête » de son héros. Un excellent manga.

  • Les tomes 1 et 2 de Ao Ashi sortent ce 26 mai en librairie.

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