En Thérapie | Vertigineuse plongée dans la psyché humaine

par Reblys

L’Expression « Œuvre Coup de poing », affectionnée entre autres par notre bon Mystic-Falco, me laisse généralement plutôt méfiant. D’abord parce qu’elle peut renvoyer à des sentiments assez variés, mais surtout parce qu’on ne met pas toutes et tous le curseur au même niveau pour décerner un tel titre, en fonction de notre sensibilité et de nos attentes. Aussi c’est au risque de contredire mes habitudes, et de potentiellement vous décevoir, que j’ouvre le présent article de la sorte : aujourd’hui on va parler d’une œuvre « coup de poing », voire même d’une œuvre « gros coup de pied dans la bouche ».

En Thérapie est une série française d’Eric Toledano et Olivier Nakache, diffusée depuis le 4 février 2021. Il s’agit de l’adaptation française d’une série israelienne, Betipul, qui partage donc avec sa grande sœur sa thématique principale : Le parcours de cinq patients et de leur thérapeute, lors de sept séances de psychanalyse. Ne connaissant ni la série originale, ni l’adaptation américaine qui a précédé la française, je ne peux juger En Thérapie sur la qualité de l’adaptation qu’elle réalise. Cela ne m’a toutefois pas empêché de dévorer cette série, avec une agressivité qu’elle n’a parfois pas manqué de me rendre. Car, comme l’a écrit ce bon Friedrich Nietzseche, quand tu regardes l’abîme, l’abîme aussi regarde en toi.

Une narration et une exécution parfaitement maitrisées

© 2021 ARTE

Le premier élément qui fait toute la force de la série est à mon avis sa structure. Une narration en étoile, qui va se concentrer sur un cas par épisode, l’un après l’autre, permettant à la fois de créer un cycle (chaque cas revient tous les cinq épisodes) et une continuité temporelle (Chaque bloc de cinq épisodes constitue une semaine de travail pour Dayan, le psychanalyste à la croisée de toutes ces histoires). L’intérêt de ce choix de narration est triple :

Tout d’abord, il renouvelle sans cesse l’intérêt du spectateur en alternant les arcs scénaristiques, tout en créant une attente de ce dernier pour chaque personnage. Ensuite il permet d’installer la relation de chaque patiente et chaque patient avec le thérapeute dans le temps, ce qui permet d’ajouter une couche de narration supplémentaire via le rythme auquel avance chaque cas dans une unité de temps. De plus, pendant ces sept semaines, des évènements extérieurs aux différentes cures ne manqueront pas de survenir pour rabattre les cartes, parfois de manière singulièrement brutale. Enfin il permet de mettre au centre de l’intrigue le personnage de Philippe Dayan, psychanalyste reconnu, professionnel consciencieux et humain…parfois trop humain, comme vont en témoigner les difficultés auxquelles il va être confronté pendant ces sept semaines, entre novembre 2015 et janvier 2016. En plus du parcours des patients, c’est ainsi également le parcours du thérapeute qui vient enrober l’ensemble, montrer que tout professionnel qu’il soit, il est comme les autres le produit de son passé, et de ses névroses. Un personnage magistralement incarné par Frédéric Pierrot, dont la prestation est à l’image de chaque membre du casting de la série.

© 2021 ARTE

Car le deuxième atour majeur de l’œuvre est le choix de ses interprètes. Au sommet de leur Art, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Pio Marmaï, Clémence Poesy, Carole Bouquet, et donc Frédéric Pierrot, font corps avec leur rôle comme rarement, jouant à la fois le conscient, et l’inconscient de leur personnage, dans l’intimité dépouillée de ce cabinet de consultation, qui sert souvent de théâtre à de poignantes luttes internes. Chaque mot, chaque silence, chaque mimique sont autant d’indices distillés par les acteurs et actrices pour nous permettre d’appréhender Ariane, Adel, Camille, Damien, Léonora, Esther et Philippe. Mention spéciale aux quatre personnages secondaires qui, bien qu’intervenant beaucoup plus rarement, ne sont pas en reste quant à leurs apports à  l’histoire et aux différents messages abordés. Au delà de ces personnages, ce sont des vies qui sont racontées. Des parcours, des blessures, des vides, des traumas, des hontes. Le plus souvent à travers un regard qui se détourne, ou un malaise qui resurgit. Le tout porté par des dialogues phénoménaux de profondeur et d’intensité. Car en thérapie, « il y a ce qu’on est venu dire, ce qu’on ne veut pas dire…et ce qu’on ne veut surtout pas dire ».

Faire la lumière sur nos parts d’ombre

Vous savez maintenant pourquoi la série m’a accroché, mais vous savez moins comment elle appuie là où ça fait mal, et à quel point la série tourne encore dans la tête quelques jours après l’avoir terminée. Le fait de suivre des personnages qui vont mal, parfois même sans s’en rendre compte, crée un climat dans lequel les liens entre les évènements et les souffrances se créent à mesure que les langues se délient. La série joue habilement de la résistance de l’inconscient face aux signes qui montrent bien plus qu’on ne le voudrait, et lorsque les personnages s’ouvrent, prenant petit à petit conscience des rouages à l’origine de leurs problèmes, on est doublement touché en tant que spectateur. D’un côté par empathie, face aux situations sincèrement difficiles vécues par chacune et chacun, mais surtout d’un autre par identification. D’abord on se sent proche de certains personnages, de leurs difficultés, de leurs questionnements. Puis, face à leur inconscient mis à jour, on se prend à se demander si nos travers communs ne seraient pas issus de causes similaires. Si au fond de nous, nous n’aurions pas des choses enfouies qui seraient comparables, au moins dans une certaine mesure.

© 2021 ARTE

[Attention au petit spoiler] En ce qui me concerne, ce sont par exemple les réflexions de Dayan sur la violence du monde, sur à quel point elle peut briser les gens dans un cercle qui s’auto-entretient, et sur les angoisses que cela génère, qui ont raisonné en moi. [Fin du petit spoiler].

À travers les parcours dévoilés au fil des épisodes, on se rend compte que les malheurs de l’adulte viennent plus ou moins tous des cicatrices de l’enfant. On prend conscience que chaque être humain porte en lui une part sombre, plus ou moins nourrie par ce que nous lui avons donné à manger au fil du temps, particulièrement lors de nos premières années en société, alors que nous n’avons pas d’autre option que le refoulement face aux traumatismes.

Tout cela ne donne pas beaucoup d’espoir quant au sort du monde, tant ce fonctionnement semble être inhérent aux sociétés humaines. En revanche ce qui rassure et met du baume au cœur, c’est qu’en fin de compte la thérapie peut fonctionner. Elle peut dans une certaine mesure aider, réparer. Et alors que le dernier bloc de cinq épisodes se déroule devant nos yeux, c’est autant de séparations qu’il nous faut encaisser, et de visions du monde avec lesquelles il nous faut composer. À l’image de son propos, la série nous laisse dans une certaine amertume, teintée d’une envie d’aller de l’avant. Nous met une dernière claque avant de venir titiller notre « Pulsion de Vie ».

Derniers mots sur le divan

Je n’ai pas beaucoup de doutes sur le fait qu’En Thérapie a su m’aspirer car le cœur de son propos touche de très près à des thématiques et des genres qui me fascinent : entre huis-clos et thriller psychologique, chaque épisode permet d’aller de plus en plus loin sur les fêlures de ces patientes et patients, sur le tragique de leurs histoires et sur à quel point notre société se brise, se délite, alors que beaucoup se cachent, voire se meurent de leurs blessures. Le sujet de la santé mentale était assez tabou en France, jusqu’à la pandémie de COVID-19, qui a à ce point amplifié le poids des troubles psychiques que nous ne pouvons plus faire comme s’il ne s’agissait pas d’une priorité absolue. Au delà de ses qualités, l’œuvre a le mérite de mettre le dossier sur la table.

Quand bien même elle reste une œuvre de fiction, et qu’elle ne peut prétendre remplacer ou représenter parfaitement la discipline qu’elle dépeint, En Thérapie, portée par une écriture et un rythme d’une précision chirurgicale, bouscule les esprits autant qu’elle les divertit. Elle vient nous proposer de reconsidérer certains évènements de notre passé, à la lumière des cas qui y sont dépeints, ou nous tendre une main vers le monde de la santé mentale, pour celles et ceux qui sentent bien que quelque chose ne va pas sans avoir jamais su pourquoi.

  • « En Thérapie » est disponible gratuitement sur le site Arte.tv, sur la chaine Youtube « Arte Séries », ainsi qu’en coffret DVD et Blu-ray

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