La série des Mana (ou Seiken Densetsu) a une histoire compliquée avec l’Europe. Parfois sortis dans nos contrées, d’autres fois non, les jeux de la saga créée par Koichi Ishii ont pourtant su laisser une trace dans les communautés d’amateur·ice·s de J-RPG. On pense évidemment à Secret of Mana (Seiken Densetsu 2) qui reste encore aujourd’hui le plus gros succès critique de la série, mais aussi à sa suite Trials of Mana (Seiken Densetsu 3) que l’on a pu redécouvrir récemment avec un portage du jeu de l’époque ainsi qu’un remake. Toujours avec la volonté de remettre au goût du jour son vieux catalogue, ou pour simplement sortir de nouveaux titres à moindre coût, Square-Enix ramène à la vie ce bon vieux Legend of Mana. Un épisode sorti en 1999 sur PlayStation qui a débarqué dans une nouvelle version le 24 juin dernier sur PC, Nintendo Switch et PlayStation 4.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par l’éditeur. Jeu parcouru sur PlayStation 5 dans sa version PlayStation 4.

L’arbre Mana a disparu, provoquant de nombreuses peurs dans le monde de Fa’Diel. Pour le faire renaître le héros ou l’héroïne doit reconstruire le monde et aider les habitant·e·s à s’épanouir et atteindre leurs objectifs.

Une non-linéarité étonnante

Legend of Mana © 1999, 2021 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Qu’il est difficile de résumer l’histoire de Legend of Mana. Contrairement aux autres titres de la saga (et à la plupart des jeux vidéo) son récit n’est en aucun cas linéaire. Le jeu est en effet découpé en 67 « événements » qu’il convient de réussir, c’est-à-dire 67 quêtes qui offrent chacune quelques bouts d’histoire et de compréhension sur un univers que l’on doit reconstruire pas à pas. Et c’est un choix malin, car la renaissance de l’arbre Mana passe à la fois par l’entraide, l’amour et la possibilité d’assouvir les désirs des uns et des autres, mettant le héros ou l’héroïne (on peut choisir d’incarner l’une ou l’autre) dans la peau d’une personne prête à aider son prochain de manière désintéressée, avec l’unique objectif de redonner vie à un monde qui tombait en lambeaux à la disparition de l’arbre Mana. La symbolique est forte pour une série qui a toujours raconté ses histoires par le prisme de ce fameux arbre, qui symbolise l’essence et l’énergie du monde et qui permet au monde de vivre et de respirer, un peu comme l’Amazonie dans la réalité. Fondement de tous les jeux de la saga, l’arbre Mana voit son rôle ici inversé puisque plutôt que de donner vie à ses habitants, l’arbre est sauvé par la volonté et leur amour. Il y a quelque chose d’un peu innocent et naïf dans cette histoire, mais elle fait encore sens aujourd’hui tant on peut y voir un sous-texte écologique, où le destin de la population mondiale est intimement lié à la manière dont la nature est traitée.

Ce découpage en 67 événements n’en fait pour autant pas un jeu à l’histoire étriquée. Si la critique lui a souvent été faite à l’époque de sa sortie, le récit du jeu n’est pas moins solide que les titres les plus populaires de la saga. Legend of Mana nécessite néanmoins de raccrocher les indices entre eux, de reconstituer un gigantesque puzzle -de la même manière que les personnages reconstruisent le monde- où les rôles des protagonistes se dévoilent tout doucement, dans de très courtes quêtes, l’espace de quelques phrases lancées dans le désordre. L’histoire se révèle finalement en trois arcs distincts, ainsi que quelques arcs secondaires qui permettent d’étoffer l’histoire. C’est plutôt fascinant, d’autant plus que l’on joue un rôle actif avec une grande carte du monde à reconstituer nous-même, en plaçant des « reliques » au hasard ou selon un plan précis, pour faire apparaître villes et donjons. Là aussi le titre prend à rebours la tradition des J-RPG où le héros ou l’héroïne voyage et découvre le monde, puisque c’est aux joueur·euse·s de créer la carte à leur convenance. Mais y aller au hasard n’est pas toujours une bonne idée puisqu’il est nécessaire de suivre un ordre précis, et de placer les villes et donjons au bon endroit si l’on souhaite pouvoir compléter l’intégralité des quêtes. Inversement, certains placements permettent de terminer le jeu beaucoup plus vite en se concentrant sur les quêtes les plus essentielles.

Relique d’un autre temps

Legend of Mana © 1999, 2021 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Malgré ses idées et son caractère atypique, Legend of Mana n’en reste pas moins un successeur d’une longue lignée de « Action-RPG » où les combats se jouent en temps réel dans un monde en deux dimensions. A l’image notamment de Secret of Mana, le titre se joue assez simplement avec une touche d’attaque normale et une attaque forte, associée à des raccourcis pour lancer des compétences et magies. Un gameplay plutôt agréable malgré les problèmes inhérents au genre et à la saga, avec ses hitbox douteuses et la perspective parfois traître. Toutefois cela permet d’offrir un jeu très dynamique, avec des combats vite expédiés dès lors que l’on comprend les subtilités de l’esquive et la possibilité de bloquer un ennemi en le tapant à la chaîne et au bon rythme. Les combats ne sont jamais vraiment difficiles, à l’exception de certains boss qui demandent d’être plus vigilants, toutefois ce remaster du jeu nous rappelle vite que ses combats ne sont que secondaires : il est en effet possible de les désactiver dans les options en ne jouant que les combats essentiels à la progression de l’histoire. Le bon point c’est que l’on peut complètement se focaliser sur la reconstruction du gigantesque puzzle que constitue son récit, sans perdre de temps dans des combats qui, soyons honnêtes, perdent vite en intérêt tant ils sont simplistes. Un mode coopération permet toutefois de jouer les combats à deux sur la même console.

La progression en niveaux et en compétence du personnage est d’ailleurs assez similaire en intérêt, très transparente et facile à appréhender, de même que la gestion de l’équipement. Tout se fait en toile de fond sans jamais avoir à se creuser la tête, à tel point que les mécaniques de forge et d’élevage de familiers ne sont jamais très utiles. Et on peut le comprendre, car le jeu cherche avant tout à se concentrer sur son cheminement atypique et sur la difficulté à réussir une partie complète en terminant tous les événements. Trouver le bon ordre des quêtes nécessite de s’y reprendre à plusieurs fois, ou bien d’avoir une solution sous la main pour s’éviter quelques regrets au moment de lancer une quête qui, plus tard, révèle en avoir bloqué une autre qui aurait pu permettre d’obtenir quelques bouts d’histoire en plus.

Digne représentant des J-RPG en 2D

S’il y a bien une chose que je regrette de cette époque, des années 80 à 90, c’est ces J-RPG en 2D qui savaient montrer des mondes aux atmosphères envoûtantes. Legend of Mana est l’un d’eux, avec ses villes et donjons qui offrent sans cesse un renouvellement visuel et des ambiances terriblement réussies. Sa direction artistique est une réussite, à l’image des autres titres de la saga des Mana, dans un monde où se mélangent humains et anthropomorphes et diverses créatures, tous et toutes unies derrière des légendes que le jeu sait raconter avec beaucoup de bonnes idées. Ce remaster accentue encore un peu plus la beauté des décors grâce à un travail de restauration, même si l’on aurait aimé que les personnages bénéficient du même soin plutôt que de les reproposer quasiment à l’identique. Sachant que les pixels bien visibles des personnages, qui étaient de toute beauté sur des écrans à tube cathodique à la fin des années 1999 dans une définition inférieure, passent un peu moins bien de nos jours sur des écrans modernes. Enfin, la direction artistique se pare aussi de superbes titres musicaux attribués à la compositrice Yoko Shimomura, qui depuis a été dans la lumière principalement pour son travail sur les Kingdom Hearts, mais qui proposait déjà avec Legend of Mana une très belle bande originale.

Legend of Mana n’est certainement pas le point d’entrée le plus évident à la saga, on conseillera plus facilement la Collection of Mana qui regroupe les épisodes principaux (aux cheminements plus linéaires et classiques) ou le remake de Trials of Mana. Néanmoins Legend a son charme, son univers bien à lui et ses idées qui savent surprendre au moment opportun. Sans en faire un immanquable du genre, il est très facile de se laisser séduire par sa proposition atypique, son bon esprit et son sous-texte plein de cœur. Un bon jeu pour l’été.

  • Legend of Mana est sorti le 24 juin 2021 sur PC, Switch et PlayStation 4
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Ça nous est tous arrivés de voir un jeu, et de se dire « Celui-ci, c’est certain il va me plaire ». Et ça seulement grâce à l’aspect esthétique du titre. C’est d’ailleurs bien plus souvent le cas avec les jeux indépendants, qui ont pour la plupart, des styles assumés. Mieux encore, se satisfaire d’une seule bande annonce, il y a plusieurs mois de cela et de redécouvrir le jeu, ce pourquoi il nous a touché au premier abord et se prendre une sacrée surprise tant le fond de l’histoire y est touchant et intéressant.

Chicory A Colorful Tale, développé par Greg Lobanov et édité par Finji, fait partie de ce genre de surprise. Et au vu des articles que j’ai pu écrire précédemment, un jeu parlant d’art le tout avec un fond sur la dépression… Il était évident que cela me parle.

Ce qui est intéressant c’est de voir la façon dont la dépression est mise en avant dès le début de l’aventure, alors que le·a joueur·euse s’attend à vivre l’aventure du personnage principal (qui répondra au nom du plat que vous préférez), il s’avère que c’est l’histoire de Chicorée, la maître peintre de l’univers dans lequel se déroule l’aventure, que l’on va retracer. Pour ainsi comprendre pourquoi elle abandonne le grand pinceau, qui lui a permis de colorer ce monde. Ce même outil que l’on récupère, un peu malgré nous, suite à un cataclysme que Chicorée aurait déclenché, enlevant ainsi les couleurs du monde de Pic-nic.

Critique rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par le distributeur. Le jeu a été testé sur une PlayStation 5.

A tale of Art

© Greg Libanov – © Finji 2021

C’est ainsi que commence notre aventure, dans ce monde d’animaux anthropomorphiques. Le but est très simple, ramener la couleur dans cet univers fait de noir et blanc, proposant ainsi à chacun·e d’entre nous d’exprimer sa créativité. Le jeu se voulant bienveillant et permissif, que vous soyez un·e peintre hors pair ou un·e néophyte, vous ne serez jamais freiné par vos talents. Pour preuve, certains PNJ vous proposeront de reproduire certaines peintures afin de remplir un musée, ou de faire des créations de logo et autres tee-shirts, peu importe ce que vous peignez, le jeu validera vos dessins.

Ce qui est très agréable d’ailleurs, c’est de retrouver ses propres créations tout le long de l’aventure, que ce soit avec un personnage qui porte le vêtement que vous avez créé, ou simplement un tableau exposé dans la nature, représentant un sentiment que vous avez voulu imager.

Par ailleurs, l’aventure et le gameplay sont semblables en beaucoup de points à un Zelda-Like. Entre les phases d’explorations et de découverte de la carte qui se fait petit à petit selon les compétences que l’on débloque à chaque donjon. Les énigmes vraiment intéressantes à résoudre, grâce à la feature principal du jeu, à savoir la peinture. Et de nombreuses quêtes secondaires que nous proposent les PNJs, comme livrer du courrier ou encore montrer des tenues spécifiques via des petites phrases énigmatiques qu’il faudra interpréter comme il faut pour trouver les bons vêtements à porter. Presque tout le gameplay fait penser à The Legend of Zelda.

Le jeu se voulant véritablement bienveillant et agréable à parcourir, le choix a été fait de laisser le·a joueur·euse tranquille, proposant ainsi une aventure sans violence. Cependant un point particulier qu’il faut noter, ce Chicory a Colorful Tale, possède des phases de boss. Phases qui sont d’ailleurs incroyablement bien fichues, aussi bien visuellement qu’auditivement. On ressent toute la férocité et la violence qui se dégage de ces personnifications de la dépression. Car oui, c’est bien contre ça que l’on se bat. Les idées noires de Chicorée, ces idées qui l’ont poussé à déclencher ce cataclysme qui a fait perdre toutes ses couleurs à Pic-Nic.

Des maux à soigner

© Greg Libanov – © Finji 2021

De façon implicite, puis explicite par la suite, le jeu nous montre différents aspects de la dépression. Des visions qui partent de plusieurs points : la peur de ne pas être à la hauteur, de décevoir, sans oublier le syndrome de l’imposteur. Ces points qui sont souvent légions envers les artistes ou plus largement les créateurs·rices. Évidemment les conséquences peuvent être assez terribles, Chicorée en a d’ailleurs fait les frais. Elle finit par se mettre en retrait de tous, abandonner ses obligations et par moments rejeter la faute de tout ce qui lui arrive sur les autres. C’est seulement petit à petit, en avançant dans l’histoire, qu’elle se rend compte de ses erreurs, et vient ainsi un autre point de la dépression, la culpabilité. Elle finit par comprendre qu’elle peut être aidée, et c’est en faisant de nouveau confiance aux autres, et avant tout à elle-même, qu’elle réussit à avancer dans cette « thérapie ».

Autant le dire, le thème de la dépression est vraiment très bien traité, que ce soit par cette petite voix dans la tête qui nous pousse à perdre confiance en nous, jusqu’au moment où l’on est prêt à tout abandonner, car nous ne trouvons plus de solution. C’est un sujet extrêmement sensible, et pourtant, Greg Lobanov et son équipe ont réussir à traiter cela avec le plus grand soin, et surtout la plus grande bienveillance. Le tout en montrant que non, tout n’est pas tout noir ou tout blanc, tout fonctionne avec des nuances, et qu’il est important de ne pas rejeter les autres dans ce genre de moment. Accepter d’être entouré et surtout s’accepter soit même. Afin de réussir à passer à autre chose, mieux encore, guérir de cette noirceur dans laquelle nous nous sommes enfoncés.

Le jeu est si bienveillant envers toutes les communautés, qu’en plus de proposer une telle profondeur dans l’histoire, l’équipe de développement permet aux joueur·euse·s de choisir comment iels veulent être genré·e·s (notamment dans l’utilisation des pronoms). Il y a également un couple homosexuel présent dans le jeu, couple qui recueille des enfants, et en allant plus loin, les adopte afin de former une grande famille. Tout un tas de messages ultra positifs, qui fait beaucoup de bien à voir dans un jeu comme celui-ci, sans pour autant que tout cela soit forcé.

Une équipe au poil

© Greg Libanov – © Finji 2021

Si le titre à commencé à m’intriguer il y a plusieurs mois de cela, c’est avant tout grâce à sa compositrice, Lena Raine. Son travail sur Celeste était déjà incroyable, et il m’arrive très régulièrement d’écouter cette OST, alors quand j’ai appris qu’elle travaillait sur un nouveau jeu, cela m’a immédiatement intéressé.

Son travail sur Chicory a Colorful Tale est encore une fois assez incroyable. Bien que plus en retenue que sur Celeste, il y a des titres qui sortent clairement du lot, et notamment ceux contre les boss, qui vous le verrez, ont de sacrés sonorités similaires à la bande originale de Celeste.

L’équipe de développement n’est pas en reste, entre les animations, l’écriture et la direction artistique, cela forme un tout cohérent, et fonctionne dans une harmonie la plus totale. Chose surprenante, c’est le nombre de personnes qui ont participé à la création de ce jeu. Seulement cinq, et le tout en deux années de travail. Ce qui d’ailleurs me donne l’occasion de parler d’un bonus de fin du jeu, présent une fois que vous avez accompli le 100%, vous recevez un appel sur une cabine téléphonique, vous invitant à venir dans votre maison, pour rencontrer toute l’équipe de création du jeu. Entre différents retours et anecdotes par toute l’équipe, nous apprenant ainsi comment est venue l’idée de création de ce Chicory, ou encore comment les musiques ont été réfléchies. Un bonus des plus agréables à lire si tant est que l’on s’intéresse à la création de jeu vidéo.

Vous l’aurez compris à la lecture de cette chronique, je ne peux que vous conseiller Chicory A Colorful Tale. Le jeu n’a pas fait grand bruit à sa sortie et pourtant il se classe aisément dans le panthéon des jeux indépendants à faire, tant le gameplay est agréable à prendre en main. La sincérité des propos et surtout la bienveillance de ceux-ci et bien évidemment, pouvoir peindre partout ou l’on veut et comme on veut, afin que le jeu nous ressemble avant tout, nous permettant ainsi de nous approprier un peu plus notre expérience vidéoludique, ce qui est un plus indéniable dans l’implication du joueur·euse.

  • Chicory a Colorful Tale est sorti le 10 juin 2021 sur PlayStation 4, Playstation 5, Steam et Nintendo Switch.
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La crise sanitaire nous ayant privés de sorties cinéma régulières depuis plus d’un an, nous avons dû, encore plus que d’habitude, ronger notre frein en découvrant lors des cérémonies les plus prestigieuses du 7ème Art des films qui n’étaient pas sortis, et dont on ne savait pas quand ils allaient sortir. Cela a été le cas pour The Father, encore plus mis en avant en France du fait de la nationalité de son scénariste et réalisateur Florian Zeller. Couronné de l’Oscar du meilleur scénario adapté et de celui du meilleur acteur pour Anthony Hopkins, le film avait tous les ingrédients pour livrer un drame familial poignant autour de la maladie d’Alzheimer. Mais il offre bien d’autres choses, et surtout une approche à laquelle je ne m’attendais pas du tout. En particulier via une mise en scène que les bandes annonces ne pouvaient pas retranscrire.

Si vous souhaitez garder la surprise de la découverte (qui joue je pense beaucoup dans l’appréciation que l’on peut avoir du film), je vous invite à aller voir le film tant qu’il est à l’affiche, et avant de lire cette chronique !

La démence vue de l’intérieur

© Trademark Films, Ciné-@, Embankment Films, Film4, Viewfinder Films

En sortant de la séance, la première réflexion que je me suis faite est que le film n’avait sans doute pas usurpé son Oscar du meilleur scénario adapté. Car lorsqu’on sait que le film est issu d’une pièce de théâtre, déjà écrite par Florian Zeller des années auparavant, on prend la mesure des efforts déployés pour permettre à l’histoire de profiter pleinement du medium cinématographique. The Father n’est pas une simple description de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. C’est une tentative de projeter en nous la perte de repères, de nous infliger l’incrédulité face à la logique qui s’effondre, de nous faire vivre l’effacement de la perception de l’espace et du temps dont est victime le personnage d’Anthony.
Le film relève haut la main ce pari en jouant sur un certain nombre d’outils : la temporalité des scènes tout d’abord, qui nous sont montrées dans un désordre dont on se rend à peine compte, alors que le film nous donne au compte goutte des indications pour essayer de remettre les pièces du puzzle en ordre. L’évolution des décors également. Cet appartement qui semble être toujours le même, agencé de la même façon, alors que des petits détails nous sautent aux yeux pour nous dire que quelque chose a changé, sans que l’on sache quoi, ni quand cela a bougé. Enfin même les visages changent. Alors que les personnages sont les mêmes, les acteurs et actrices qui les incarnent ne le sont pas, ajoutant un peu plus à la confusion générale.

Confusion, qui pourrait être le maître mot de l’expérience proposée par le film. Le génie du rythme de l’œuvre, qui fait jouer les instants de complète lucidité avec les phases de désorientation les plus anxiogènes, me semble retranscrire assez fidèlement ce qu’un malade atteint de démence pourrait ressentir. Cette implication du spectateur dans un magma de souvenirs et d’instants déconnectés les uns des autres fascine autant qu’elle perturbe. Car si tantôt le film nous donne un coup de pouce pour dissocier ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas, la réalité d’autres scènes restera entièrement incertaine, même après la fin du film. Et autant vous dire que ces scènes en particulier sont loin d’être les plus innocentes.

Ainsi tout se coordonne pour nous entraîner avec Anthony dans cette déchéance psychique, dont on ressort profondément marqué. Car on est saisi d’un vertige inattendu lorsqu’on comprend que cette descente aux enfers est banale. Que des centaines de milliers de nouvelles personnes  sont concernées par cette maladie chaque année, malade ou aidant. Et l’on est achevé lorsqu’on remet le personnage d’Anthony dans son contexte socio-économique, ingénieur à la retraite, visiblement fortuné, dans un très bel appartement en plein Londres. Comment les familles plus modestes peuvent-elles faire face à un mal aussi envahissant ?…

Les yeux de la solitude

© Trademark Films, Ciné-@, Embankment Films, Film4, Viewfinder Films

Un autre élément qui crée à mon sens une bonne partie de l’ambiance si singulière du film est le soin apporté aux différents cadres tout au long du métrage. Celui-ci alterne entre des plans fixes sur les décors vides, ces mêmes plans fixes dans lesquels évoluent les personnages, et les gros plans sur leurs visages, particulièrement sur leurs yeux. On dit que les grands acteurs et grandes actrices font passer tout leur jeu par le regard. Cela explique sans doute les distinctions d’Anthony Hopkins et d’Olivia Colman, qui bien qu’elle n’ait pas reçu de récompense a également été souvent nommée pour ce film dans la catégorie de meilleure actrice dans un second rôle. Les silences en disent souvent bien plus que les dialogues, et ces regards nous montrent mieux que mille explications à quel point Anthony s’éloigne de sa fille, s’enfonce dans un monde sans cadres, tandis qu’Anne assiste impuissante à l’éloignement sans retour de son père. A mesure que la distance se creuse entre les deux personnages, leur solitude est aussi montrée à travers ces plans fixes dont je parlais plus tôt. Ils présentent souvent un personnage seul dans le cadre, essayant de communiquer avec un autre. Comme si la distance qui existe entre eux ne pouvait plus être comblée. Les quelques moments de réunion n’en sont que plus beaux. Ces rares instants où Anthony retrouve le sourire tandis que les moments de peur, de paranoïa ou de colère se multiplient. Les plans vides quant à eux, viennent faire la transition entre les différentes séquences, faisant peser sur nous tout le poids des souvenirs qui disparaissent, des liens qui se délitent, de tout ce qui échappe à Anthony, le laissant aux prises avec l’incompréhensible.

Et que dire de cette scène finale, où Anthony Hopkins s’efface littéralement derrière son personnage éponyme. Où l’immense acteur qu’il est parvient à créer un moment suspendu dans le temps, touché par la grâce, durant lequel il incarne universellement tous les malades d’Alzheimer. Offrant au monde un monologue des plus poignants, dans lequel on est transpercé par toute la douleur d’un être humain en perdition, voguant inéluctablement vers sa fin. L’occasion pour le film de rendre dans son moment le plus important, un hommage à l’humanité des soignantes et soignants qui interviennent chaque jour auprès de ces malades, à travers le personnage de cette infirmière qui, comme un symbole, est présente en filigrane tout au long de l’œuvre.

Jusqu’à ce que rien ne reste

The Father est incontestablement un film important. Non seulement de par son thème, mais aussi surtout via la manière dont celui-ci nous inclut dans son propos. A tel point qu’on aurait presque affaire à un thriller surréaliste dans la forme, si la maladie d’Alzheimer n’était pas une triste réalité. Porté par sa mise en scène subtile mais terriblement puissante, et surtout par l’incroyable prestation des acteurs et actrices du film, il porte un regard profondément humain sur la maladie, sur les différentes réactions qu’elle provoque, tant chez la personne qui en est atteint que celles qui l’entourent. La violence inouïe vécue par les personnages est distillée avec tant de finesse qu’elle entre en chacune et chacun, pour nous aider à reconsidérer les maladies dégénératives, et l’impact, souvent invisibilisé, qu’elles ont sur nos sociétés.

En conclusion, je vous invite évidemment, si ce n’est pas déjà fait, à aller voir The Father au cinéma tant qu’il est encore temps. L’impact sensoriel du film ne sera probablement pas le même en dehors des conditions uniques offertes par les salles obscures. Alors que le secteur a plus que jamais besoin de son public, il serait encore plus dommage de s’en priver.

  • The Father est un film réalisé par Florian Zeller, projeté en salles depuis le 26 mai 2021.
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Maid of Sker est un jeu vidéo de Wales Interactives, studio généralement habitué des FMV (I Saw Black Clouds, Late Shift) sorti le 28 août 2020 sur PC, Xbox One et PS4. Le 26 mai 2021, le jeu ressort sur les consoles nouvelle génération (PS5 et Xbox X|S) avec des améliorations graphiques et un contenu supplémentaire : quatre niveaux de challenge à la difficulté croissante.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un code Xbox Series S de l’éditeur.

Bienvenue au cœur du folklore gallois

© Maid of Sker, Wales Interactive, 2021

C’était déjà une volonté affirmée de Wales Interactive dans ses précédents productions : faire transparaître une certaine culture galloise à travers les histoires de leurs jeux, en les mettant en scène dans des paysages du pays… C’est ici ce qui fait tout le sel de l’intrigue de Maid of Sker, en puisant son intrigue dans les légendes galloises afin de créer sa propre histoire.

Maid of Sker s’inspire ainsi directement des histoires de fantômes de Sker House, située à côté de la ville de Bridgend. Il y environ neuf cents ans, Sker House était une grange monastique cistercienne, ensuite rénovée au 16e siècle pour devenir un manoir, dans lequel se sont succédé différents occupants. Plusieurs histoires de fantômes et phénomènes surnaturels y sont liés, comme autant de légendes urbaines. Mais deux s’en distinguent particulièrement pour créer l’intrigue du jeu.

Au 17e siècle, l’un des plus célèbres propriétaires de Sker House, Isaac Williams, voit sa fille tomber amoureuse d’un harpiste et marchand de la région, Thomas Evans. Furieux que sa fille s’éprenne d’un simple marchand avec peu de revenus, Isaac enferme sa fille Elizabeth dans la demeure jusqu’à ce qu’elle se raisonne et fasse un mariage de raison avec un voisin plus riche. Selon les versions, la jeune fille (maid) se laisse mourir de faim, ou meurt d’un cœur brisé peu après le mariage. Depuis, son fantôme peut parfois être vu en train de fixer l’horizon à une fenêtre de Sker House, dans l’attente de son véritable amour. Il est dit que Thomas Evans a ensuite écrit une ballade populaire nommée Y perch of Sker pour rendre hommage à la jeune femme. C’est cette même chanson qui donne ensuite son titre au roman The Maid of Sker écrit par R.D. Blackmore en 1872, bien que le livre n’ait en lui-même que peu de rapport avec la légende d’Elizabeth.

Mais ce n’est pas la seule légende dans laquelle le jeu puise son inspiration. On peut aussi parler du navire français Le Conquérant, qui heurte Sker Point en 1753 et fait naufrage. A l’époque, il était commun que des naufrageurs fassent illusion la nuit avec des lumières, pour faire croire de loin à un port sécuritaire pour les navires : ceux-ci finissaient par s’écraser sur les rochers et falaises, laissant les criminels effectuer des pillages. C’est ce qui arrive au Conquérant à Sker Point, Isaac William étant connu pour réclamer toutes marchandises perdues en mer près de sa propriété, et même pour provoquer ces naufrages volontairement. Suite à l’incident du Conquérant, il finit même par être convoqué devant la justice : il n’est pas mis en prison, mais termine sa vie ruinée. Dire de quelle manière exactement cette légende peut être reliée au jeu est difficile sans spoiler, mais il y a un lien que le joueur découvrira à la fin de l’intrigue. Quant à Sker House, il est dit qu’un autre fantôme hante les lieux, outre Elizabeth : celui d’un marin victime d’un naufrage.

Une balade classique dans l’horreur

© Maid of Sker, Wales Interactive, 2021

Mais qu’en est-il réellement de Maid of Sker, après avoir présenté les racines galloises dont il s’inspire ? Le jeu commence en 1898, avec une lettre d’Elizabeth Williams demandant à son amour, Thomas Evans, de l’aider à créer une mélodie dont elle aurait besoin pour échapper à Sker Hotel, où son père la retient prisonnière en vue d’un grand concert. Notre héros n’hésite pas bien longtemps : il prend le premier train pour la demeure, déterminé à libérer sa fiancée. Mais dès qu’il entre dans la bâtisse, il se rend vite compte que le lieu a vu tous ses invités et ses habitants se transformer en créatures silencieuses et effrayantes, capables de le repérer au moindre bruit. Elizabeth, cachée dans le grenier, communique avec Thomas par téléphone : elle le charge de récupérer des cylindres de musiques et différents fragments de partition, espérant mettre fin à la malédiction qui règne sur Sker Hotel.

Si cette intrigue n’est pas foncièrement originale, elle a le mérite de s’appuyer librement sur bien des éléments du folklore gallois. Et c’est un véritable plaisir de s’immerger dans un jeu qui assume autant des légendes locales, permettant de se plonger dans une histoire et une atmosphère bien particulières. La beauté des paysages emplis de nature du début font place à une sinistre demeure gothique, pour une intrigue qui a tous les caractéristiques du genre : un héros naïf mais courageux, une demoiselle prisonnière d’une famille oppressante, des monstres surnaturels… Sans compter les nombreux décors traversés. Thomas Evans, durant sa quête, devra parcourir les différents étages du manoir, mais aussi explorer un sous-sol, un grenier, un jardin ou encore des souterrains. Voilà de quoi proposer une balade effrayante dans des pièces dans lesquelles on sent que la vie était présente il n’y a pas si longtemps, mais qui en peu de temps se sont vues transformées, plongées dans la pénombre et un inquiétant surnaturel.

Bien évidemment, cette atmosphère est d’autant plus intimidante que Thomas Evans n’a que peu de choix pour survivre dans cette demeure traversée de monstres : la fuite, retenir sa respiration, et une arme temporaire visant à étourdir les ennemis. Le jeune homme ne peut que fuir et se cacher la plupart du temps, et le nombre de coups qu’il peut encaisser est limité. Quant à retenir sa respiration (face à un ennemi, à un feu de cheminée toxique ou à de la poussière), c’est efficace… sauf qu’expirer trop fortement ensuite attire vos ennemis. Bien que les ennemis ne soient pas trop redoutables en mode normal, ils demandent tout de même une certaine prévoyance et un peu de doigté pour les éviter. De plus, une erreur peut vite se payer cher : comme dans les Resident Evil, la sauvegarde est manuelle, en entrant dans des safe rooms où un gramophone vous permet d’écouter des enregistrements d’Elizabeth vous en apprenant davantage sur l’intrigue, et permettant ensuite la sauvegarde. Heureusement que la jeune femme est là pour vous parler grâce aux téléphones présents ici et là, permettant de comprendre les prochaines étapes du jeu et ce qui se passe dans la demeure – même si votre personnage, lui, demeure silencieux.

A bien des égards, on sent effectivement une certaine inspiration des premiers Resident Evil pour ce jeu. Les safe rooms jouent sur ce point, tout comme le fait d’entrer dans une demeure où pas mal de portes sont verrouillées dès le départ. C’est en récupérant diverses clefs symboliques que Thomas pourra débloquer d’autres portes et parties du manoir et mener à bien sa mission. Par ailleurs, en arrivant à un certain étage, impossible de ne pas penser à Resident Evil 2 : le père d’Elizabeth (monstrueux, évidemment) est là pour traquer Thomas à n’importe quel moment, ne laissant aucun répit au protagoniste, tel un certain Monsieur X. Si bien que si certains clins d’oeil, comme les safe rooms, font sourire n’importe quel amateur de jeu d’horreur, certains autres aspects font trop directement penser à Resident Evil pour que ce soit de la simple référence. Même Sker Hotel, avec ses nombreuses pièces explorer, est un écho du manoir Spencer. Mais l’atmosphère gothique présente est assez envoûtante pour faire oublier ce détail.

Les challenges

© Maid of Sker, Wales Interactive, 2021

Sortis à l’occasion de la version augmentée de Maid of Sker, il faut bien quelques mots pour parler des cinq niveaux de challenge qui ont été rajoutés. Ce sont des défis assez typiques dans les jeux d’horreur, orientés vers l’action et qui contrastent avec l’atmosphère survie de l’intrigue principale. Bien sûr, on doit toujours garder en tête que plus l’on fait de bruit, plus cela ramène les créatures vers nous.

Dans La Longue nuit, le but est d’échapper aux diverses créatures hantant Sker Hotel, en partant du grenier jusqu’à se retrouver à l’extérieur, pour quitter enfin cette demeure maudite. Ce défi, pourtant le plus facile des cinq, se révèle déjà bien corsé, en dépit des nombreuses armes fournies et de trois vies.

Dans les ténèbres vous propose la même mission, mais en ayant pour seule lumière votre lampe-torche. Inutile de dire que cela rajoute un stress supplémentaire ! Hache de guerre se révèle similaire à La longue nuit, sauf que vous ne disposez que d’une hache pour toute arme. Quant à Cauchemar à l’hôtel, sans doute doit-il être réservé aux fans de ce genre de défis, permettant toutes les armes, mais avec une seule vie et des ennemis encore plus résistants et dangereux. Si ces quatre modes n’ajoutent pas grand-chose pour une joueuse comme moi qui aime surtout profiter des atmosphères, voilà tout de même de quoi pimenter un jeu basé jusque-là sur le silence et la fuite, et qui plaira sans aucun doute aux amateurs de challenge. Mieux vaut connaître le plan de Sker Hotel par cœur !

Le charme d’une atmosphère

© Maid of Sker, Wales Interactive, 2021

Car c’est bien là toute la force de Maid of Sker : la qualité de son ambiance. Le jeu ne transcende pas le gameplay et les points obligés du survival horror, ni n’est particulièrement difficile (en mode normal), ni véritablement effrayant, et a ses limites techniques. Il y a pourtant une belle tentative dans une pièce du Sker Hostel qui joue sur les espaces impossibles, nous plongeant dans une obscurité sans sens. C’est par ses directions musicale et artistique que le jeu se démarque, en plus de son intrigue folklorique.

Le début nous amène dans des paysages emplis de lumière, au milieu d’une nature luxuriante, avec un charme indéniable. On s’arrête pour observer divers détails de ce panorama sauvage et apaisant qui s’offre au héros, jusqu’à l’entrée de Sker Hotel, une demeure imposante avec une superbe architecture. Bien sûr, l’ambiance change dès qu’on en franchit les portes : pièces sombres aux mobiliers anciens, chapelle majestueuse aux multiples bougies, cimetière gothique inquiétant, des pièces plus rassurantes débordant de livres, de fauteuils confortables, de bibelots et de peintures aux murs (ouvrez l’oeil : certaines sont plus significatives que d’autres). La direction artistique en vaut clairement le détour, offrant une magnifique ballade dans des décors inquiétants, mais emplis d’un certain charme. D’ailleurs, si l’on souhaite ne profiter que de cela et de l’histoire, un mode « tranquille » est proposé en lançant le jeu, ôtant la présence des ennemis.

L’autre grand point fort du jeu est sans aucun doute sa musique. Composée par Gareth Lumb, collaborateur habituel de Wales Interactive, elle fait partie de l’âme du jeu. Les sons et musiques ambiants collent parfaitement à l’atmosphère sinistre de Maid of Sker, tout en inquiétante étrangeté, avec des sons parfois dissonants et parfaitement voulus, car ils expriment le danger d’ennemis tout proches. Évoluer dans Sker House avec ces musiques aussi diffuses que belles est parfois oppressant, tout en rajoutant au côté « histoires de fantôme » de l’intrigue. Mais c’est sans compter ces petites mélodies, touches de piano ou boîtes à musique en forme de poupée que le jeu nous propose de collectionner. Si la musique est volontairement inquiétante derrière un premier abord paisible, Maid of Sker est aussi hanté par trois chansons traditionnelles galloises, adaptées et chantées par Tia Kalmaru : Calon Lân, Suo Gân et Ar Hyd O Nos. Dans un jeu où la musique joue un rôle aussi important, jusque dans les énigmes, impossible de ne pas être fasciné par ces chansons et de ne pas les écouter en boucle, pendant ou après le jeu. Un véritable enchantement au sein de décors mystérieux. C’est d’ailleurs encore la musique qui décidera, en partie, des deux fins différentes de l’intrigue. Encore une fois, ces hymnes gallois populaires sont aussi la marque d’un jeu vidéo qui a pris grand plaisir à puiser dans ses racines traditionnelles.

Conclusion

Balade lugubre, Maid of Sker n’est pas foncièrement original par son gameplay, ni ne renouvelle le genre du survival horror, utilisant des ressorts, mécanismes et idées assez classiques. On aurait sans doute aimé se plonger davantage dans l’intrigue par plus d’interactions et des objets à découvrir. Mais il fera passer un agréable moment aux joueurs et joueuses qui ont envie d’être dépaysés dans une histoire au folklore peu connu, permettant de découvrir un peu de l’âme du Pays de Galles, par sa musique et ses histoires de fantômes. Maid of Sker vaut la découverte pour son décor d’hôtel hanté, son intrigue avec quelques rebondissements bienvenus, et pour sa direction musicale. Ne vous fiez pas aux apparences dans cette histoire, et laissez-vous embarquer par sa ballade envoûtante…

  • Maid of Sker est disponible sur PC, Xbox One Switch et PS4 depuis novembre 2020 ; les versions PS5 et Xbox X|S sont disponibles depuis mai 2021, également en version physique.
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Au village, sans prétention, Ethan Winters a mauvaise réputation.
Trois ans après les tragiques événements survenus du côté de la Louisiane, le héros bien malchanceux de la nouvelle formule de la saga Resident Evil se retrouve projeté dans une brumeuse bourgade d’Europe de l’Est où Lycans, femme gigantesque et autres poupées de cire
 (et de sang) sèment la terreur auprès d’habitants tous plus torturés les uns que les autres.
Après une transposition réussie, mais clivante, à la mode du FPS, la saga horrifique phare de Capcom réussit-elle à maintenir sa mutation sur de bons rails à l’occasion de son arrivée sur la nouvelle génération de consoles ? C’est ce que nous allons vérifier ensemble le temps de cette chronique rédigée avec panique.

Ce test a été réalisé sur PlayStation 5 par le biais d’une version acquise par nos soins.

« La Louisiane, ça vous gagne ! » scandait fièrement l’un des tous premiers hauts faits à débloquer dans Resident Evil VII: Biohazard, sorti il y a de cela un peu plus de quatre ans déjà sur PlayStation 4, Xbox One, PC et même sur Nintendo Switch au Japon via une étonnante version basée sur le cloud-gaming.
Pas sûr en revanche que la famille Winters s’accorde pleinement sur la véracité de ce slogan semblant tout droit extrait d’une carte postale de bien mauvais goût. Toujours profondément marqué (et à juste titre) par les événements traumatisants survenus quelques années plus tôt dans le manoir infesté des Bakers, les époux Ethan et Mia tentent de reconstruire leur vie, un pas à la fois, dans une réconfortante habitation située quelque part en Europe.
Entraîné un temps, puis caché en ce lieu, par un certain Chris Redfield, les deux tourtereaux sont depuis devenus parents d’une petite Rosemary, un bébé apparaissant des plus ordinaires, mais qui ne tardera pas à attiser toutes les convoitises.

Au départ relativement cloisonné, ce fameux village, au centre de toute l’aventure, s’ouvrira doucement au fil des missions accomplies, offrant un sentiment de liberté assez inédit au sein de la franchise après seulement quelques petites heures de jeux. ©Capcom (2021)

Dès ses premiers instants, Resident Evil Village surprend. Là où son prédécesseur nous entraînait directement dans une sombre forêt aux abords d’une résidence tout aussi lugubre à l’approche du coucher du soleil, le dernier-né de chez Capcom s’ouvre ici en nous contant la bien étrange légende d’une petite fille égarée en forêt dans une séquence semblant tout droit échapper de l’imaginaire d’un Tim Burton ou du studio d’animation Laika. Un réjouissant (et court) passage pouvant apparaître anodin de prime abord, mais porteur pourtant d’une multitude d’indices pour tous les événements qui suivront. Avec ce Village, la mythique saga horrifique délaisse derrière elle son récent penchant pour les marécages boueux et les villas cradingues en opérant un retour tant espéré à une atmosphère gothique du plus bel effet.

Après cette introduction pour le moins inattendue, retour à cette vue à la première personne qui avait tant bouleversé les habitudes en 2017. Tandis qu’Ethan prend soin d’aller coucher sa jeune enfant dans la grande chambre familiale, Mia, pour le moins froide et distante, se charge quant à elle de préparer le dîner peu de temps avant que notre fameux Chris Redfield ne vienne perturber la quiétude ambiante. Le héros initial de la licence tue alors cette dernière de sang-froid et embarque Ethan et son bébé pour un périple qui ne se déroulera pas comme espéré.

Un écran noir plus tard, Ethan Winters se réveille seul et frigorifié aux côtés d’un fourgon blindé renversé. La nuit est totale. Les chemins escarpés mènent vers l’inconnu et d’inquiétants bruits de pas rôdent tout autour. Soudain, apparaît la silhouette d’un immense château, puis celle d’une petite bourgade délabrée en contrebas. L’aventure peut commencer.

Notre belle famille

Attraction principale de toute la campagne promotionnelle de ce Resident Evil Village, la redoutable Lady Dimitrescu en impose, tant par sa taille que par son charisme. Si sa présence au sein de l’aventure s’avère limitée, chacune de ses apparitions est néanmoins colossale. Sans mauvais jeux de mots. ©Capcom (2021)

S’il espérait y trouver de l’aide ainsi qu’un possible refuge, ce cher Ethan Winters ne sera pas au bout de ses peines en tombant rapidement sur une série d’habitants terrifiés et décimés par une bien étrange menace. De manière inattendue, ce qui s’apparente à de véritables loups-garous écorchés de toute part ont envahi ce village sans nom et pris en otage une population stupéfaite. Jusqu’alors, une certaine Mère Miranda apportait sa protection à l’entièreté des environs avant de disparaître mystérieusement du jour au lendemain livrant à eux-mêmes hommes, femmes et enfants de tous âges.
La raison de ce désistement à son rôle ? Elle demeure tout bonnement inconnue… mais l’aventure ne tardera pas à nous le faire découvrir. Avant cela cependant, c’est un brillant parcours du combattant qui nous attend.

Plus rapide et furieux que jamais, Resident Evil Village scande à tout va que la famille, c’est ce qu’il y a de plus important. Pour reconstruire la sienne, Ethan Winters va toutefois devoir prendre son courage à deux mains pour en affronter une autre. À chaque recoin de ce patelin qui donne son sous-titre à ce 8e épisode, quatre nobles, reliés par un pacte ancestral, règnent en maîtres sur une parcelle de terrain qui leur est propre. La gigantesque (et déjà célèbre) vampire Alcina Dimitrescu, l’adoratrice des poupées Donna Beneviento, le difforme Salvatore Moreau et l’inventeur fou Karl Heisenberg y mènent chacun fièrement leurs petites expériences toutes plus douteuses et malsaines les unes que les autres.

Leurs résidences labyrinthiques aux ambiances marquées constituent le fil rouge de cette épopée démoniaque, ces dernières renfermant toutes un élément nous permettant de nous rapprocher des retrouvailles avec l’enfant disparu. Une douzaine d’heures se révèleront nécessaires pour venir à bout de chaque menace et autres pièges mortels qui viendront parsemer la découverte de ces décors aussi oppressants que profondément soignés et somptueux. Si l’envie vous prend cependant de compléter l’entièreté de la cinquantaine de trophées (ou succès selon votre crèmerie) accolés au titre, cette durée montera rapidement au point de se doubler au minimum très largement.

Surtout, le titre n’hésitera jamais à nous pousser à faire abstraction de nos angoisses les plus enfouies pour nous plonger à maintes reprises et avec habileté dans des séquences d’exploration méticuleuse. Les moindres segments, ruelles et autres petites pièces cachées regorgent en effet de dizaines de détails qu’il faudra observer avec soin pour en apprendre plus sur l’entièreté des légendes et récits qui auront mené notre protagoniste jusqu’ici. Une histoire qui se raconte à grands coups de documents cachés et d’objets clés à trouver, pour le plus grand bonheur des âmes courageuses qui s’oseront à braver la crainte légitime de tomber sur une nouvelle monstruosité à chaque porte poussée.

À noter également l’arrivée d’un nouveau mode « Mercenaires » qu’il sera possible de débloquer instantanément après que l’aventure principale ait été terminée une première fois. Un simple petit digestif toujours appréciable, bien que profondément dispensable, qui se révèle pour autant tout aussi fun que savamment bourrin. Si « Quand reverrais-je ce petit village ? » devient l’une des premières interrogations survenant dans votre esprit lors du défilé des crédits du récit initial, sachez que ce sympathique bonus vous invite à foncer tête baissée dans des arènes reprenant l’architecture des décors emblématiques de l’épopée tout juste achevée, pour aller y affronter avec brutalité l’entièreté du bestiaire incongru entraperçu tout au long du jeu le temps de sessions de scoring extrêmes et délurées. Qui aurait cru que dégommer des morts-vivants, des Lycans et même des hommes-machines sans grande possibilité de manquer de munitions pouvait se révéler aussi jouissif à chaque instant ?

Oui la brocante

Bien mystérieux, le Duc représentera l’un de vos seuls alliés au milieu de cet enfer hivernal écrasant. Lui revendre des objets rares pour s’offrir de puissantes nouvelles armes se révèlera même aussi satisfaisant que profondément rassurant… jusqu’à votre arrivée dans une nouvelle zone. ©Capcom (2021)

Comme dans tout bon Resident Evil qui se respecte, outre l’obtention de moult-artefacts de collection, l’exploration de ce Village permet également toujours de se constituer un petit arsenal d’armes de plus en plus efficaces qui ne seront jamais de trop pour venir à bout de cet immense musée des horreurs. La moindre balle ou munition de tous genres se montre toujours aussi précieuse, tant les différents ennemis qui vous barreront la route feront preuve d’une ténacité à toute épreuve. Heureusement, le Duc sera là pour vous offrir de précieux coups de main. En échange de quelques-uns de vos précieux deniers, bien entendu. Eh oui, dans un monde dominé par une sombre entreprise pharmaceutique, même au plus près de la mort, rien n’est gratuit dans la vie.

Avec son design un brin grotesque, ce gigantesque brocanteur, à l’abri du danger dans son échoppe roulante toujours prête à lever le camp pour se trouver au plus près de vous en cas de besoin, videra votre épargne ou la fera grandir à votre bon vouloir en fonction de vos trouvailles et affrontements dantesques tout fraîchement effectués. Chaque bibelot ou élément délaissé par les ennemis au moment de rendre leur dernier souffle peut être marchandé à bon prix afin d’obtenir toujours plus d’améliorations pour l’intégralité de l’armement du jeu, allant du simple pistolet automatique au foudroyant lance-grenade.

Un arsenal varié qui, sur PlayStation 5 tout du moins, prend un malin plaisir à se servir des différentes fonctionnalités haptiques de la manette DualSense avec pour objectif principal que de renforcer l’immersion à chaque tir effectué plus efficacement que jamais. Si à l’écrit, cet ajout pourrait sembler anecdotique pour nombre d’entre vous, une fois manette en main, les sensations surprennent et font preuve d’une efficacité redoutable, renforçant le caractère résolument unique des différents équipements.

L’une des grandes qualités de ce Resident Evil Village ? La folle diversité de ses environnements. Si les plus critiques lui reprocheront des changements d’ambiance souvent abrupts d’une zone à l’autre (visitez un château aux grandes salles élégantes avant de découvrir les passages sombres et escarpés d’une usine de robotique en quelques heures à peine à de quoi surprendre), ses transitions radicales permettent au titre d’éviter toutes répétitions et éventuelles baisses de rythme. ©Capcom (2021)

Autre fonctionnalité de nouvelle génération au combien brillamment utilisé par ce Resident Evil Village : la spatialisation audio.
Sur PlayStation 5, le fameux Audio 3D tant vanté dans chacune des publicités fait ici des merveilles. Même dans l’obscurité, impossible de ne pas déceler l’arrivée proche d’ennemis, les râles funestes et différents pas engagés de chacun d’entre eux résonnant avec une intensité bluffante tout autour de nous… à condition d’être assez téméraire pour vivre l’expérience pleinement en y jouant au casque. Ajoutez à cela le fait de parcourir les dédales souterrains du château Dimitrescu ou de l’usine d’Heisenberg au beau milieu de la nuit et les sursauts vous seront alors garantis.
Pour les joueuses et joueurs souhaitant plutôt se mettre au vert en parcourant l’aventure sur Xbox Series X ou S, rassurez-vous. La console de Microsoft contourne l’absence du Tempest 3D AudioTech en s’offrant les services de la technologie Dolby Atmos dont l’efficacité a déjà tant fait ses preuves dans l’industrie cinématographique qu’elle n’est ici même plus à présenter.

Enfin, restons côté technique en abordant la partie graphique. Toujours développé sur le maintes fois éprouvées RE Engine qui fait décidément toujours des merveilles malgré ses (nombreuses) années au compteur, le jeu tourne en 4K avec un framerate stable à 60 FPS sur les dernières consoles et se contente d’un 45 FPS tout aussi précis en cas de Ray-Tracing activé. Une performance plus qu’honorable pour un titre cross-génération.
Eh oui, car ce Resident Evil Village a déboulé le 07 mai dernier sur PlayStation 5, Xbox Series X|S, PC et Stadia, mais également sur PlayStation 4 et Xbox One.
Pas besoin donc de déjà frissonner à la simple idée de ne pouvoir parcourir la dernière aventure éditée par Capcom faute de stock de machines suffisants. La peur, c’est mieux quand ça se partage à plusieurs et ici, il y en aura définitivement pour tout le monde.

EN BREF : Entamée en 1996, la saga Resident Evil célèbre ainsi cette année son 25e anniversaire en affichant fièrement une santé de fer.

Avec Village, sa formule n’est pour autant guère bousculée, cette dernière se contentant bien souvent ici de n’être qu’un grand patchwork d’idées et d’influences semblant tout droit extraites du déjà riche passé de la saga. Quelques gouttes du Resident Evil originel, une généreuse louche du 4e épisode, une grosse pincée des deux récents remakes des épisodes 2 et 3 et enfin une bien belle tranche du fameux 7e chapitre précédent comme ingrédient principal viennent parfaire une recette qui, tel un plat de chef révisant ses classiques, ne sent néanmoins jamais le réchauffé, ce savant cocktail coupé à l’hémoglobine réussissant même pleinement à nous surprendre aisément là où l’on ne l’attendait pas initialement.

Il est toutefois possible d’éprouver un léger soupçon d’amertume face à un final qui fait perdre un tant soit peu de sa superbe à une recette jusqu’alors maîtrisée si efficacement. Ce dernier ne peut en effet s’empêcher de plonger tête baissée dans une surenchère de twist ayant pour mission de raccorder chaque instant de l’aventure avec l’univers initié par les précédents opus de la série dans un déluge d’action désinvolte et maladroite qui dénote face à tout ce qui faisait le sel de cette épopée complètement à l’Est.

Malgré cela, Resident Evil Village ne déçoit pour autant jamais vraiment, tant la générosité de son aventure, l’intelligence de son gameplay et la folie de ses antagonistes et lieux instantanément cultes suffisent à en faire l’une des expériences incontournables du genre vidéoludique horrifique. Âmes sensibles s’abstenir cependant… vous ne voudriez assurément pas faire une rencontre fortuite avec un foetus géant vous coursant dans les couloirs sombres d’une demeure nichée dans les sommets d’un village dont vous ne ressortirez définitivement pas indemne.

 

  • Resident Evil Village est disponible depuis le 07 mai 2021 sur PS5, PS4, Xbox Series X|S, Xbox One, Google Stadia et PC.
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L’existence est faite de paradoxes. Par exemple, j’ai une tolérance très limitée à l’horreur, ce qui ne m’empêche pas de multiplier les expériences angoissantes, dans les jeux vidéo ou même au cinéma. C’est grâce à l’univers cinématographique The Conjuring que j’ai découvert l’existence du couple Warren. Ed et Lorraine Warren sont des écrivains américains spécialisés dans les sciences occultes. Le démonologue et la medium ont mené de nombreuses investigations sur des affaires jugées paranormales. Parmi leurs enquêtes les plus célèbres, figurent celles de la poupée Annabelle, le cauchemar de la famille Perron, le cas Enfield ou Amityville, la maison du Diable.

La poupée Annabelle : Attente contre réalité

Si vous êtes de nature curieuse, je vous conseille Les Dossiers Warren, écrit par Marie Alsina. Ce livre fait la description de nombreuses affaires auxquelles a pris part le couple. On pourrait lui reprocher d’énoncer les faits de façon orientée, sans remettre en question l’existence des démons, ni la sincérité des Warren. Si plusieurs « preuves » viennent étayer les histoires du couple, il existe aussi de nombreux contre-témoignages qui ne sont que rarement mis en avant. Pour cause, les Warren possèdent un capital sympathie non anodin, renforcé par le succès des films. Étaient-ils des spécialistes animés par une sincérité à toute épreuve, ou ont-ils, sans pour autant être de véritables charlatans, simplement romancé la réalité ? Nous ne saurons probablement jamais la vérité, mais si le cœur vous en dit, vous avez la possibilité de visiter le Musée Warren, au Connecticut, aux États-Unis. Il s’agit de l’endroit où sont entreposés les objets maléfiques glanés par les Warren, au fil des années. Même si la poupée Annabelle ne ressemble guère à celles des films, le musée est béni chaque semaine et quelque chose me dit que je n’y mettrai, personnellement, jamais les pieds. Sait-on jamais!

Un nouveau cas : Le procès d’Arne Cheyenne Johnson

Ed et Lorraine Warren

A moins d’avoir été enfermés dans la cave des Warren pendant des années, vous avez sûrement entendu parler des films Conjuring ou de leurs nombreux spin-offs. J’ai, pour ma part, été profondément marquée par Conjuring : Les dossiers Warren, sorti en 2013. Le long-métrage nous introduisait dans le quotidien de la famille Perron et distillait la peur, afin de la faire monter en crescendo, de la même manière qu’un démon prend insidieusement possession de sa proie. Peu sensible aux jump scares et autres scènes sensationnelles, j’ai été séduite – pour ne pas dire traumatisée – par l’implicite et l’ambiance qui se dégageaient du film. En 2016, Conjuring 2 : Le cas Enfield poursuivait la quête entreprise par son prédécesseur. Il en émanait pourtant un sous-texte profondément intime et mélancolique. Les deux premiers Conjuring sont, à mes yeux, de grands films du genre. J’attendais au tournant le dernier opus de la trilogie, Conjuring : Sous l’emprise du diable, sorti le 9 juin dernier.

Ed et Lorraine Warren sont toujours interprétés, avec brio, par Patrick Wilson et Vera Farmiga. La bande originale est composée par Joseph Bishara. C’est heureux, tant la musique d’ambiance (comme les effets sonores) sont immersifs. Le reste de l’équipe technique subit, en revanche, un changement assez drastique. Le réalisateur James Wan cède la place à Michael Chaves. Le scénario n’est plus assuré par les frères Hayes mais par David Leslie Johnson-McGoldrick.

L’intrigue du film se situe au début des années 80. Elle s’inspire d’un fait réel : l’exorcisme de David Glatzel, un petit garçon possédé par un démon. A ce propos, les enregistrements de l’exorcisme en question, diffusés pendant le générique final, sont assez glaçants. Le démon n’aurait pas été chassé mais aurait pris possession du corps d’Arne Cheyenne Johnson, le futur beau-frère de David. Celui-ci a été jugé pour meurtre, dans le Connecticut, en 1981.

Une vision du nouveau cauchemar des Warren

Une référence très claire à L’Exorciste © Conjuring : Sous l’emprise du diable, 2021

Cela n’était aucunement prémédité, mais j’ai eu l’occasion de voir le film, en 4DX. Si être ballottée d’un côté à l’autre du fauteuil est une expérience que je ne renouvellerai pas tout de suite, j’ai apprécié l’immersion renforcée par l’équipement d’une telle salle. Les mouvements du fauteuil épousent ceux de la caméra, et c’est particulièrement oppressant dans un film comme Conjuring : Sous l’emprise du diable. La légère force exercée par le fauteuil me donnait l’impression de suivre les travellings de la caméra, comme si j’étais contrainte d’avancer vers une maison où je n’avais aucune envie de mettre les pieds. A ce titre, et sans être révolutionnaire, la mise en scène de Michael Chaves est diablement efficace. Les mouvements de caméra minutieusement choisis et les angles exigus renforcent le caractère oppressant de certaines scènes. Notons que la technologie 4DX projette des flashs de lumière lorsqu’il y a des éclairs à l’écran, ou de l’eau quand une scène s’avère quelque peu humide. Il s’agit de petites attractions qui, mal employées, pourraient faire sortir les spectateurs du film ; mais qui se sont révélées particulièrement efficaces au cours de ce long-métrage.

Conjuring : Sous l’emprise du diable est, sans nul doute, un très bon film d’épouvante. L’enquête est prenante et les scènes d’angoisse sont innovantes, sans pour autant utiliser la surenchère à outrance. Aussi étonnant que cela puisse sembler, la force du film émane surtout de la relation du couple Warren. Si on se contentait de les découvrir en 2013, le Cas Enfield a initié un véritablement développement des personnages, qui se poursuit dans cette deuxième suite. La solidité du couple est mise à l’épreuve, physiquement et spirituellement. Ed et Lorraine Warren rappellent combien la foi en l’autre peut être salvatrice, non pas de façon grandiloquente, mais par l’intermédiaire de ces petits gestes qui font la différence.

Plus de jumps scares et moins de vraisemblance

Les Warren mènent l’enquête © Conjuring : Sous l’emprise du diable, 2021

En dépit de qualités indéniables, Conjuring : Sous l’emprise du diable est, à mes yeux, en deçà de ses prédécesseurs. Le traitement de l’horreur n’est malheureusement pas le même. Le dernier film de la trilogie propose un rythme différent, où le mal n’apparaît pas en crescendo, mais ponctue l’intrigue, ici et là, de façon plus imprévisible. Suivant la même logique, les scènes d’épouvante jouent davantage la carte de la surprise et du sensationnel, que celle de la suggestion. Bien que les scènes en question soient plutôt distrayantes et réussies visuellement, aucune n’a su autant me marquer que les cauchemars des précédents volets. C’est indéniable, ce troisième Conjuring ne m’a pas effrayée, ni mise mal à l’aise. Entendons-nous bien, il assure une qualité largement supérieure à celle de certains spin-offs de la franchise ; mais le long-métrage souffre du changement de rythme employé.

Le second problème, et non des moindres, concerne la vraisemblance. Certes, pourquoi s’en soucier dans un film d’horreur, qui parle de démons et d’exorcisme ? Eh bien, précisément parce que les Conjuring ne sont pas de simples fictions. Dès le départ, Sous l’emprise du diable rappelle, en toutes lettres, que l’histoire est inspirée de faits réels. Même si les spectateurs se doutent que le tout est romancé, le long-métrage fait appel à leur suspension consentie de l’incrédulité. Or, ce troisième opus la met à rude épreuve. Certaines scènes usent de ficelles trop visibles, et surtout, l’antagoniste du film ne possède aucune sorte de mobile. J’ai trouvé le tout surprenant avant d’apprendre que Conjuring : Sous l’emprise du diable est le film prenant le plus de liberté par rapport à la réalité. Des personnages et des pans entiers de l’histoire sont imaginaires et ne reposent sur aucune anecdote, aussi infime soit-elle. Seule la première partie du long-métrage s’appuie sur une réelle enquête des Warren. Or, que l’on soit connaisseurs ou non, cela se ressent.

Conclusion

A mes yeux, les deux premiers films avaient mis la barre très haut. Conjuring : Sous l’emprise du diable entreprend un changement radical de thème et surtout de rythme. Le dernier épisode de la trilogie prend un risque innovant et cela est tout à son honneur. Malheureusement, le traitement de l’horreur n’est pas le même et peine à effrayer. Sous l’emprise du diable est, de loin, l’épisode de la trilogie qui repose le moins sur des faits historiques. C’est pourquoi la suspension consentie de l’incrédulité est mise à rude épreuve. C’est fort dommage, car la seule idée d’imaginer que les enquêtes des Warren soient véridiques, contribue à la peur distillée par les films. Le long-métrage demeure malgré tout un bon film du genre. Les scènes d’épouvante sont distrayantes et réussies visuellement. L’enquête permet de développer la relation entre Ed et Lorraine Warren, et ce même s’ils se fréquentent depuis 30 ans. La trilogie n’aura donc pas à rougir de son dernier volet, qui, en dépit de tout, mérite d’être vu.

  • Conjuring : Sous l’emprise du diable est un film réalisé par Michael Chaves, projeté en salles depuis le 9 juin 2021.
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Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue dans ce 7ème épisode de Reflecto.

Le coming out trans de l’acteur Elliot Page, fin 2020, a été l’occasion pour moi de me sensibiliser au sujet des identités au sens large, telles qu’elles s’affirment aujourd’hui. A partir de là je me suis rendu compte que j’avais sous les yeux des œuvres qui représentaient brillamment des personnages queer. J’ai trouvé particulièrement intéressant de prendre un peu de temps pour réfléchir à comment Ikenfell, Blue Flag et Tell Me Why traitaient ses personnages, et comment leurs messages font écho à se qui se passe dans notre société.

J’espère que la vidéo vous plaira. Bon visionnage !

 

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Il y a plusieurs semaines de cela, je vous faisais part de mon amour pour l’art pictural avec mon avis sur le manga Blue Period. Il se trouve que j’ai été de nouveau touché par la sincérité d’une œuvre ayant le même sujet. Plus encore, trouver une raison à sa vie, au travers de l’art. Je pense que c’est ainsi que je pourrai résumer au mieux Le Mandala de Feu, par Chie Shimomoto, premier seinen de la nouvelle maison d’édition Mangetsu.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire en service presse par son éditeur. (Note : Mangetsu est le nouveau label manga de Bragelonne, maison d’édition dont le directeur Stéphane Marsan a été mis en cause dans de nombreux témoignages d’anciennes collaboratrices l’accusant de harcèlement sexuel, suivi d’un silence assourdissant de l’éditeur. Cette critique d’un manga de Mangetsu ne saurait en aucun cas être une caution aux agissements reprochés et s’accompagne, au nom de l’équipe de Pod’Culture, d’un soutien sans faille aux nombreuses femmes qui ont témoigné récemment dans un article de Mediapart et qu’il convient d’écouter, de soutenir et de croire.)

Le feu de la vie

© 2016 Shimomoto Chie & LEED Publishing co.

Alors que je m’attendais à un simple récit historique sur un peintre légendaire de la période Sengoku et de la destitution du dernier Shogun du Japon, il s’est avéré que Le Mandala de Feu est bien plus que ça. Le titre est une tranche de vie du célèbre Tohaku Hasegawa, avec l’intelligence d’intervenir dans sa vie, au moment où celle-ci à véritablement commencé pour lui. Lorsqu’il a eu la révélation, lui permettant de devenir l’homme qu’il est devenu, le tout suite à un incendie.

Outre l’aspect historique du manga, ce qui frappe surtout c’est l’aspect psychologique et les apprentissages de la vie. Tel un artiste « maudit », Hasegawa a affronté de nombreux refus avant de voir son œuvre enfin reconnue. Comme si cela ne suffisait pas, une fois qu’il fût un peintre renommé dans le milieu, il a continué à subir des épreuves, mais cette fois d’un point de vue personnel, dont il a du batailler afin de s’en sortir. C’est dommage cependant que cet aspect ne soit pas plus poussé dans le manga. Malgré cela, il y a un véritable travail d’introspection qui, lors de la lecture, m’a fait remonter tout un tas de souvenirs douloureux, sur lesquels j’ai dû énormément travailler pour en apprendre les aspects positifs, et ainsi continuer d’avancer, comme a pu le faire Tohaku Hasegawa.

Alors oui, les questionnements et autres remises en questions que vit le personnage sont sans aucun doute romancés, afin que le lecteur éprouve plus de facilité à développer une empathie envers le protagoniste. Cependant, l’aspect historique et la véracité des événements s’occupent parfaitement bien de l’identification que l’on peut avoir envers lui. Le tout étant magnifié par des dessins somptueux de l’autrice. Que ce soit dans les scènes du quotidien, ou celles imaginées par les personnages lorsque ceux-ci sont touchés par une peinture, le rendu visuel est véritablement incroyable. Toutes les peintures représentées dans ce one shot sont superbes, et prouvent la grandeur du peintre dont on nous conte l’histoire.

Le Mandala de feu est une lecture des plus agréables à suivre. Aussi bien par la biographie qui y est écrite, que par le dessin qui lui rend hommage. Mais surtout pour l’aspect humain et la légère représentation de la dépression qui y est faite. Même si nous ne trouvons plus de lumière dans notre vie, le feu qui est en nous, peut être ravivé par les gens qui nous entourent et nous aiment.

  • Le one shot de Le Mandala de Feu est disponible depuis le 2 juin en librairie.
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Bounthavy Suvilay est connue pour avoir notamment écrit un excellent et magnifique livre sur les jeux vidéo indépendants (Indie Games : Histoire, artwork, sound, design des jeux indépendants). J’attendais donc personnellement avec un grand intérêt l’un de ses prochains documentaires, consacré aux personnages féminins du monde vidéoludique. Héroïnes de jeux vidéo : princesses sans détresse présente un panorama d’héroïnes sur quarante ans, de Ms. Pac-Man (1982) à Yuna et Masako Adachi (Ghost of Tsushima, 2020), agrémenté de nombreuses illustrations. S’il était bienvenu d’avoir enfin un ouvrage mettant à l’honneur les protagonistes féminins – chose qui manquait dans les documentaires approfondis sur le jeu vidéo en France – l’ouvrage dérape à bien des égards et manque sa cible : mettre en avant les héroïnes, oui. Mais il oublie toutes les problématiques et contradictions liées à la représentation des femmes dans le monde du jeu vidéo, et dérange à la lecture par des commentaires personnels malvenus de l’autrice.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Un panorama bienvenu et varié des héroïnes vidéoludiques…

L’ouvrage débute par une préface assez juste de Yann Leroux, qui démontre avec plusieurs études existantes le manque de représentation des femmes dans le jeu vidéo : le panel de personnages féminins dans les jeux est moindre par rapport au réel nombre de femmes dans la société, souvent avec un rôle secondaire, stéréotypé ou passif. Divers biais expliquent cela, comme le milieu majoritairement masculin de l’industrie vidéoludique. Cela fait émerger le besoin d’identification et de représentation d’une minorité, afin de montrer l’importance de cette même minorité dans la société. Comment se voir et trouver sa place dans le monde si aucun média ne représente quelqu’un qui nous ressemble ? Mettre les minorités en scène permet-il de changer la vision qu’on en a, à court ou long terme ? Il parle également de la misogynie inhérente chez certains créateurs et certaines communautés de joueurs, qui est perpétuée par effet de groupe et dont les agressions ne peuvent s’arrêter que par l’éducation de ces joueurs. Enfin, il conclut en parlant de la plus large palette de personnages féminins présente de nos jours, notamment avec des héroïnes dont la sexualisation n’est pas le point principal, et qui présentent une multitude de caractères. En somme, cette préface, en présentant le résultat de diverses études sociologiques, permet de mettre en avant déjà certaines problématiques du monde vidéoludique, mais aussi la nécessité et le besoin de représentation féminine et variée dans les héros du jeu vidéo, tant pour aborder la complexité du monde, que pour permettre à tous les joueurs et toutes les joueuses de se retrouver dans le jeu qu’ils lancent.

Vient ensuite le cœur de l’ouvrage, écrit par l’autrice : une galerie des personnages féminins, emblématiques, parfois moins connus (cela dépend des jeux vidéo déjà croisés par le lecteur ou la lectrice) issus de tous les genres du monde vidéoludique. On passe de la figure de quelques pixels tout juste féminisée comme Ms. Pac-Man, aux héroïnes plus caractérisées comme Princesse Peach, Samus Aran (Metroid), Mai Shiranui (Fatal Fury 2), Terra (Final Fantasy VI), Jill Valentine (Resident Evil), Marie (Animal Crossings), Clementine (The Walking Dead Telltale)… En tout, plus de 80 figures féminines qui ont marqué le jeu vidéo, parfois tombées dans l’oubli, parfois contribuant à une véritable marque et ambiance du jeu alors qu’elles ne sont pas les personnages principaux. Il est extrêmement plaisant de lire des pages consacrées à des héroïnes emblématiques, comme Lara Croft ou Aerith Gainsborough, mais aussi à des personnages qui n’ont duré que le temps d’un jeu, telles Jade (Beyond Good and Evil) et Yorda (Ico). La mise en page n’y est pas pour rien, proposant de belles illustrations et la disposition du texte étant faite de manière agréable.

Et ce ne sont pas forcément les « grandes » héroïnes qui parcourent ces quelques deux cent pages, mais aussi des personnages de jeux indépendants ou moins grand public, comme Amaterasu (Okami), Edith (What remains of Edith Finch)… On comptera également des protagonistes issus de jeux en ligne, comme les sœurs Coursevent de World of Warcraft, ou même de licences destinées de base aux casual gamers, comme Mama (Cooking Mama). Héroïnes de jeux vidéo possède une riche présentation de multiples personnages des années 80 aux années 2010, même si évidemment, on regrettera toujours l’absence de quelques-unes. Mais le livre ne pouvait être totalement exhaustif, et il faut bien faire des choix. Il est en tout cas agréable d’y croiser autant des femmes issues des jeux de combat, que des RPG, d’horreur, de plateforme ou éducatif, qui représentent également une belle variété de caractères. Des antagonistes comme Alma Wade (F.E.A.R) ou Glados (Portal), des héroïnes parfois non-humaines ou à moitié telles que Lily Bowen (Fallout : Las Vegas) et 2B (NieR:Automata), des femmes fatales aux princesses en passant par des héroïnes plus humaines…

La galerie présentée par Bounthavy Suvilay a de quoi de nous faire découvrir nombre de personnages plus ou moins connus selon notre expérience de joueurs. A chaque double page, on trouvera parfois des anecdotes sur les coulisses de la création de telle héroïne, toujours son rôle dans l’histoire du jeu en question, et parfois une mini-analyse de quelques lignes du personnage, ou bien le ressenti des joueurs, voire de la société, à l’égard de telle héroïne. On apprend beaucoup au fil de ces pages.

© Héroïnes de jeux vidéo, 2021, Ynnis éditions

… Mais un ouvrage véritablement problématique

Cependant, Héroïnes de jeux vidéo présente aussi de réels problèmes dans son écriture. Il y a tout d’abord un ressenti purement subjectif : ce type d’ouvrage est écrit généralement en « surface ». On n’aura pas de véritables analyses approfondies des héroïnes présentées, en lien avec le jeu, et rarement sur leur impact sur leur joueur et la société (à part quand il s’agit de dire quand les poitrines de Lara Croft ou Mai Shiranui ont ému bien des joueurs masculins). On peut donc regretter cette absence d’analyse poussée, de mise en contexte, surtout quand pour certains personnages (par exemple Elizabeth de Bioshock Infinite) la présentation se limite à un résumé du jeu. Parfois, c’est le contraire : on ne parle presque pas du personnage en lui-même, mais seulement des coulisses de création, ce qui est un choix curieux. D’autres doubles pages mettent en avant deux noms, mais ne parlent quasiment pas de la deuxième héroïne citée. Et encore, si ce n’était que cela !

Le premier aspect problématique intervient dès les premières pages de l’autrice, qui par ailleurs contredit les études qu’on a pu lire dans la préface de Yann Leroux, deux pages plus tôt :

« Pourquoi ne choisir que des personnages féminins ? Il fallait sélectionner un critère, sinon ce livre aurait été une énième histoire du jeu vidéo. Certes, j’aurais pu en choisir un autre, comme la représentation des toilettes, notamment dans Duke Nukem, mais l’éditeur ne s’est pas laissé convaincre. Accessoirement, prendre comme angle d’attaque les femmes, permet aussi de contrecarrer quelques mythes de l’idéologie féministe. […] Ce livre n’est pas un recensement des progrès du féminisme. Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, le jeu vidéo n’a pas besoin de personnages féminins. »

Si le sujet ne plaisait pas à l’autrice, si elle n’était pas elle-même convaincue du bien-fondé de son sujet, pourquoi ne pas en avoir choisi un autre ?

Quand les messages personnels de l’autrice prennent le pas sur le reste

Écrire un livre sur les personnages féminins dans le jeu vidéo, surtout quand aucun autre livre sur le sujet n’existe, c’est par défaut se montrer un minimum féministe. Et si on peut choisir de l’écrire en voulant seulement donner à voir une variété d’héroïnes, le faire dans un milieu vidéoludique qui a été longtemps masculin fait basculer ce but dans un minimum de féminisme, de fait. Ici, cela donne l’impression d’avoir choisi ce thème par dépit, alors que prendre cet angle de vue sur le jeu vidéo est loin d’être innocent. Cette simple citation présente à la page 13 montre déjà un autre problème. Tout au long de l’ouvrage, Bounthavy Suvilay fait référence à des « idéologies qui veulent faire croire des choses » (quelles choses ? Quelles idéologies ? Il convient de nommer ce qu’on accuse au lieu de faire des insinuations vagues), s’insurge contre le goût des « puritains occidentaux » et « féministes occidentaux » qui s’empressent de censurer la moindre tenue affriolante.

« Sa poitrine [celle de Lara Croft] […] reste l’objet de toutes les focalisations de la presse généraliste, qu’il s’agisse de critiquer les fans ou de donner la parole à des féministes donneuses de leçons sur la « bonne » représentation d’une héroïne. »

Si évidemment, il existe des camps extrêmes de détracteurs (comme dans tout milieu) chez les joueurs et joueuses, et des extrêmes dans tout féminisme, idéologie, politique, le problème vient là des jugements faciles et à l’emporte-pièce de l’autrice, qui se permet par bien des phrases de critiquer les féministes, les joueurs et joueuses, et simplement ses lecteurs et lectrices, qu’elle a tendance à prendre pour plus bêtes qu’ils/elles ne le sont. C’est un véritable ressenti de lecture, où on a l’impression que les joueuses n’aiment que les casual games, que les lecteurs et lectrices ont un humour parfois bas de plafond et surtout n’ont aucune conscience des théories du complot dans l’ombre citées à de nombreuses reprises.

En suivant le point de vue de Bounthavy Suvilay, il y aurait tout un groupe de pression des puritains occidentaux qui tend à dénaturer les jeux vidéo (surtout japonais). On ne peut nier des censures sur la violence ou la sensualité de certains jeux, mais c’est aussi nier la nécessité de localisation selon les pays où les jeux sortent, un processus qui permet de rendre plus compréhensibles les jeux selon le pays de sortie visé, afin de mieux faire correspondre des contextes et références. Que dire alors, par exemple, du fait d’avoir rhabillé Yennefer dans l’introduction de The Witcher 3 pour la sortie du jeu dans les pays arabes, un détail mentionné dans L’ascension de The Witcher, documentaire publié chez Third Editions ? Est-ce de la « pruderie » ou une simple adaptation à une civilisation précise ?

Certaines déclarations se font politique ou message appuyé de l’autrice ; or dans un tel livre, c’est l’objectivité qui prime, surtout en étant le premier à être écrit sur ce thème. Les commentaires de Bounthavy Suvilay se font souvent malvenus et totalement décalés avec le sujet du documentaire. Ils n’ont tout simplement pas leur place dans ce qui se veut être une encyclopédie des femmes du jeu vidéo à travers le temps.

« Chose qui n’étonnera sans doute personne, ces spin-off [de Dead or Alive] sont réservés au public asiatique qui n’a pas renoncé à croire qu’une femme sexy peut être forte et indépendante. En Occident, le climat de pruderie hypocrite semble bannir ce genre de fantaisie virtuelle, tout en facilitant la monétisation des corps de personnes réelles par OnlyFans et autres services en ligne. » (p. 67)

A propos de l’apprentissage de la cuisine grâce à Cooking Mama, p. 135, qui présente encore une remarque malvenue de la part de l’autrice :

« Être capable de se débrouiller en cuisine est à la fois bien plus satisfaisant et économique que de ne pas savoir cuire un œuf et devoir recourir à Uber Eats pour commander un repas cinq fois trop cher et oublié. »

Page 169, l’autrice prend également parti sur une affaire de harcèlement au sein du studio ayant produit Skullgirls, où plusieurs membres masculins du personnel ont été remerciés après témoignages de commentaires déplacés auprès de femmes.

« Si en jeu, le Skull Heart exauce les vœux des femmes au cœur pur, dans la vraie vie, les allégations de harcèlement suffisent à ruiner la carrière d’un créateur et le priver de son œuvre. Il est assez triste de voir que dans le monde réel, le politiquement correct a éradiqué le concept de présomption d’innocence du champ conceptuel des humains ».

Alors qu’aujourd’hui, on commence enfin à parler des problèmes au sein de certains studios de jeux vidéo provoqués par le harcèlement de créateurs se croyant tout-puissants, d’une misogynie ancrée dans ce milieu vidéoludique, il est absolument effarant de constater que dans cet ouvrage, l’autrice préfère blâmer les victimes et prendre parti pour les oppresseurs… encore une fois dans un ouvrage consacré aux femmes !

© Héroïnes de jeux vidéo, 2021, Ynnis éditions

La représentation des héroïnes et le besoin d’identification

Tout du long du beau-livre, l’autrice a tendance à faire croire que le public n’accepte pas qu’une héroïne de jeux vidéo puisse être sexy (en prenant par exemple le changement vestimentaire de Tifa Lockhart dans le remake de FFVII, qui compresse la poitrine de l’héroïne en lui donnant un haut plus sportif et plus crédible) et être une bonne représentation des femmes. Or, le problème ne tient pas à la sexualisation des personnages, que ce soit Lara Croft ou Tifa Lockhart, tant qu’elle est en accord avec le protagoniste, mais à l’écriture d’un personnage. Une « bonne » représentation, c’est aussi un personnage écrit de manière cohérente avec un caractère féminin : un exemple frappant est celui pourtant cité de Jane Sherpard (Mass Effect), qui demeure animée de la même manière que son alter ego masculin, John Shepard, et a donc des postures ou paroles plus masculines que féminines. Au lieu de reconnaître qu’il s’agit là d’un exemple-type  d’un problème à régler par des studios (en effet, on n’écrit pas et on n’anime pas un homme ou une femme de la même manière), l’autrice préfère affirmer :

« La plupart de ces interventions sur les réseaux sociaux demandent plus de représentation féminine dans les jeux vidéo ne proviennent ni des joueurs ni des fans des séries en question. Mais il y a toujours des gens très heureux de pouvoir censurer et contrôler ce que les autres peuvent voir et incarner en jeu. »

D’ailleurs, elle précise également que même si beaucoup de gens ont voté pour la mise en avant de Jane plutôt que John Sherperd, finalement, les joueurs préfèrent jouer avec l’avatar masculin. Ceux ayant voté seraient des personnes voulant montrer un progrès social. A force de lire de telles affirmations non sourcées, moi aussi j’aimerais bien savoir qui sont « ces gens », ni joueurs ni fans des séries, qui parviennent à demander ce qu’ils veulent aux créateurs de jeux vidéo.

Un autre problème récurrent ici et là est la dépréciation de l’autrice dès qu’une licence propose un personnage féminin en tête d’affiche. Nadine et Chloé « éliminent » Nathan Drake dans un spin-off d’Uncharted… le but d’un spin-off est de proposer d’autres personnages que ceux de la licence principale ! Lightning de FFXIII est présentée comme une femme forte, mais les joueurs auraient voulu un personnage héroïque. Que l’on apprécie ou pas le personnage, une femme forte ne peut-elle donc pas être héroïque ? La réponse de l’autrice est ici négative, de manière incompréhensible.

Puisque nous parlons de femmes fortes, attardons-nous sur Ellie et Abby (The Last of Us part II), deux personnages sans aucun doute femmes fortes et héroïques à la fois. Elles sont mentionnées par l’autrice, évidemment, mais certains passages font encore une fois tiquer à la lecture, page 177.

« Le baiser d’Ellie et Riley est salué par la presse américaine comme un moment quasi historique dans l’histoire de la représentation de la sexualité.  En réalité, la plupart des joueurs se moquent totalement de ce genre de détail du moment que le gameplay et le scénario sont bons. »

Cette affirmation montre plusieurs choses : le souhait de ne pas comprendre que le baiser entre Ellie et Riley (plus tard, la relation amoureuse entre Ellie et Dina) est effectivement un pas pour la représentation des femmes queer dans le jeu vidéo – d’autant qu’elles ne sont pas nombreuses – et ce, dans un jeu mainstream et non indépendant (au contraire de Life is Strange avec ses héroïnes). C’est ignorer volontairement la nécessité de représentation au sein des jeux vidéo, que ce soit pour le fait d’être une femme, gay, transgenre, noire ou juive, etc. Pourtant, la préface montrait justement que ces représentations de minorités étaient importantes ! Et pour les personnes concernées, quel soulagement de se voir visibles dans un média, qui renvoie le message qu’elles ont le droit d’exister, même si elles sont hors de la norme. Ensuite, c’est faire l’impasse sur le suivi médiatique qui a suivi la sortie de The Last of Us part II : parce qu’Ellie est lesbienne, parce qu’Abby est (enfin!) loin de la représentation féminine habituelle, parce qu’un personnage secondaire est transgenre, des joueurs ont fait scandale, et surtout des harcèlements ont eu lieu sur Internet envers les actrices, développeurs et doubleuses des personnages du jeu. Et c’est sans aucun doute loin d’être le premier cas de harcèlement d’une part des communautés gamers dès qu’on touche à la représentation d’une héroïne : on rappelle Kassandra dans Assassin’s Creed Odyssey qui aurait dû être le seul personnage jouable, ou encore les modifications qui ont eu lieu sur la souplesse de création de genre du personnage de Cyberpunk 2077. Bounthavy Suvilay tenait avec The Last of Us part II le jeu parfait pour aborder toutes ces thématiques, mais elle n’en fait rien, à part lancer une autre remarque politique :

« Après les nazis, les communistes et les terroristes, les morts-vivants incarnent les nouveaux grands méchants vidéoludiques. […] Certes, les morts-vivants occupent nos écrans depuis longtemps, mais jamais avec une telle ampleur. Le politiquement correct a rendu toute autre forme d’ennemi impossible. »

Encore un retour du politiquement correct. Enfin, quand on écrit un ouvrage sur les femmes dans le jeu vidéo, il paraît extrêmement difficile de faire ce genre d’impasse, tant certaines héroïnes sont liées à des coulisses et événements médiatiques particuliers.

Toutefois, ce ne sera pas la seule fois où Bounthavy Suvilay nie le besoin d’identification et de représentation au sein des jeux vidéo. Lors de la double page sur Tracer (Overwatch), elle n’hésite pas à affirmer que Blizzard a cédé aux exigences d’un quota de représentation, dont les orientations sexuelles, « montrant son allégeance aux normes californiennes du moment » alors que d’autres pays comme la Russie ou la Chine ne sont pas « fervents » de ce type de « propagande culturelle ». L’extrait parle pour lui-même, et la communauté LGBTQ+ doit être ravie d’être de la propagande culturelle au lieu d’avoir simplement le droit d’exister.

L’autrice déclare également qu’il n’y a pas besoin d’être identique à un personnage pour s’identifier à lui, puisque nous sommes empathiques ; et que réduire cela au fait qu’on achète les jeux où les personnages nous ressemblent, est sacrément réducteur. Effectivement, il n’y a nul besoin d’être atteint de psychose mentale pour s’identifier à un personnage comme Senua (Hellblade), d’être un Sorceleur pour éprouver du chagrin à quitter Geralt à la fin de The Witcher 3, ou de posséder le pouvoir de remonter le temps pour comprendre le dilemme moral de Max dans Life is strange. Mais Bounthavy Suvilay pousse son propos jusqu’à faire penser qu’il n’y a pas besoin de diversité du tout dans le monde du jeu vidéo, puisqu’on s’identifie à tous les personnages naturellement. C’est encore une fois nier une part de la communauté gamer (extrême, certes) qui affirme ne pouvoir s’identifier à une femme, une personne racisée, etc. Si le cinéma, la littérature, sont des médias qui ont peu à peu introduit des personnages féminins différents, des protagonistes aux diverses ethnies et orientations sexuelles, pourquoi le jeu vidéo ne le ferait-il pas pour refléter la variété d’un monde toujours complexe et nuancé ? Et c’est encore une fois nier ce besoin d’identification et de représentation : quand on se voit visible dans le monde, dans un média, alors les gens peuvent éprouver de l’empathie dans des situations qu’ils ne connaissent pas, alors on est intégré plus facilement dans la société, et on se sent en droit d’exister. Nier cela, c’est nier toutes les discriminations qui existent à l’heure actuelle envers les minorités.

© Héroïnes de jeux vidéo, 2021, Ynnis éditions

Raccourcis et maladresses supplémentaires

Par ailleurs, l’autrice a une fâcheuse tendance à généraliser. Parce qu’elles portent des shorts ou mini-jupes, Ondine (Pokémon), Tifa et d’autres sont des garçons manqués. L’autrice a-t-elle conscience qu’il faut davantage que cela pour faire des garçons manqués, surtout quand on considère que ces tenues peuvent renforcer la féminité, voire ne pas la nier du tout ? D’ailleurs, Lara Croft n’est à aucun moment désignée comme un garçon manqué malgré son short. Certaines présentations pointent des choses également peu compréhensibles, comme le fait que la tenue la plus connue de Peach serait celle sportive arborée dans Mario Smash Football, alors que chacun a plutôt en tête sa robe rose emblématique.

Les joueuses sont aussi considérées comme casual gamers, au contraire des joueurs préférant les consoles. Là encore, c’est un bien grand raccourci ! Mais ce n’est pas la première remarque insidieuse qui ressort sur les joueuses dans le livre, puisque l’autrice prenait soin de ressortir quelques clichés maladroits : Ms. Pac-Man montrerait par exemple le lien entre la féminité et la gourmandise. Et que dire de « la femme ultime, à la fois mère et guerrière » incarnée en Sophitia du jeu Soul Edge ? Est-ce sous-entendre qu’une femme ne peut-elle avoir un véritable sens de l’existence que si elle est mère et/ou guerrière ? C’est renvoyer maladroitement à des stéréotypes qui hantent encore la conception de personnages féminins manichéens (mère, guérisseuse, demoiselle en détresse…) au lieu de leur accorder la même complexité qu’à des personnages masculins, qui eux n’ont pas besoin d’être pères et guerriers pour être « l’homme ultime ».

Un personnage pose également problème dans la manière dont il maladroitement est présenté : il s’agit de King, issu du jeu Art of Fighting (1992). King est une femme s’habillant en homme dans ce jeu de combat. L’autrice le genre au masculin durant sa présentation ; mais en cas, pourquoi utiliser le terme travesti si le personnage est un homme transgenre ? Et pourquoi l’avoir alors mis dans un ouvrage consacré aux héroïnes ? Et si King est simplement travesti, se considérant comme une femme mais s’habillant en homme pour des raisons qui lui sont propres, alors, le personnage aurait dû être genré au féminin (ou aux deux genres, éventuellement). Dans tous les cas, c’est également oublier de préciser que ce travestissement pouvait être dû à l’époque de création du jeu, et une manière de justifier la présence du seul personnage féminin dans ce titre.

Un autre point se retrouve particulièrement insultant pour les joueurs :

« La présence d’un personnage est utile pour l’identification et la création d’un lien affectif avec le joueur. En général, ce protagoniste n’est pas vraiment M. Tout-le-monde (ou il devient rapidement meilleur que celui-ci) car le jeu vidéo est avant tout un divertissement. Je n’ai pas besoin d’une console pour voir agir une fille lambda en surpoids, sans noblesse ni fortune. J’ai déjà un miroir pour cela. […] Cette envie de voir des personnages héroïques, plus beaux, plus intelligents que les gens que l’on croise dans son quotidien, n’a rien de nouveau. […] De la même manière, dans les jeux de combat, peu de gens ont envie d’incarner le poilu qui grelotte de froid dans la boue de sa tranchée, à côté de son voisin à la jambe rongée par la gangrène. »

Quelle image renvoie ici l’autrice vis à vis de son lecteur ? Que si on a le « malheur » d’être quelqu’un en surpoids, de beauté moyenne ou nulle, handicapé, hors des normes de quelque manière que ce soit, heureusement que les jeux vidéo sont là pour nous offrir un meilleur personnage à incarner, hors du bourbier où on vit. Encore une fois, c’est méconnaître certains jeux : les Silent Hill font exprès de mettre en scène des personnages « ordinaires » et non formés aux armes ; quelques jeux indépendants comme Old Man’s Journey et Arise nous montrent des personnages âgés ; le récent It Takes Two use de métaphores pour parler au fond de parents ordinaires, en divorce pour des raisons ordinaires… L’identification peut également se faire si un personnage est un M. Tout le monde, et peut-être même encore plus fortement, car il renvoie à notre réalité et y puise de messages encore plus percutants. Si l’on veut parler de harcèlement scolaire (Life is strange), d’immigration (Papers, please), le jeu ne va pas forcément embellir la réalité, mais au contraire se l’approprier pour la faire aussi proche que possible de nous. Bien sûr, on joue aussi pour le dépaysement et incarner quelqu’un de différent de nous, mais il est extrême d’affirmer qu’on ne puisse pas s’attacher à quelqu’un qui nous ressemble, ou chez qui on retrouve nos problématiques quotidiennes. Mais l’autrice semble de toute façon considérer (p. 200) que le jeu vidéo reste avant tout un divertissement, et doit rester fun au-delà du reste, en oubliant si besoin le traitement de sujets graves ou sombres. D’ailleurs, ce n’est pas la seule contradiction, puisque dans l’ensemble, elle reconnaît que certains personnages féminins sont vendeurs, avant de dire plus loin que peu importe le genre du personnage, puisque les joueurs ne cherchent que le fun du gameplay.

Ces nombreux problèmes relevés au fil des pages finissent par gâcher la lecture de Héroïnes de jeux vidéo. Car en voyant à quel point l’autrice insiste pour faire passer des messages politiques inappropriés ou analyse superficiellement certains personnages, comment être finalement sûr que ses recherches et sa rédaction ne soient pas un peu biaisées par son avis personnel ? Comment être sûr de la véracité des informations données, surtout quand on ne connaît pas soi-même bien le monde du jeu vidéo ? Et ce d’autant plus que contrairement à la préface où Yann Leroux cite ses sources, l’autrice ne mentionne les siennes nulle part. Certains détails sur des héroïnes montrent en effet un manque de références ou de compréhension sur certains jeux : les tenues suggestives des infirmières de Silent Hill 2 seraient présentes à cause d’un penchant BDSM de leur designer, alors que cette sensualité macabre vient avant tout des désirs déformés du héros du jeu, projetés et incarnés dans la ville. De la même manière, prétendre que la fin de Bioshock : Infinite est une « manière curieuse d’éradiquer les hommes, mauvais pères dans toutes les dimensions du jeu », c’est extrême, et c’est ne pas avoir compris les mécanismes temporels et d’univers parallèles qui régissent le jeu comme toute boucle temporelle digne de ce nom, et encore moins les deux personnages principaux de l’épisode.

Conclusion

Héroïnes de jeux vidéo aurait pu être l’un des premiers ouvrages, si ce n’est le premier, à présenter une fière galerie de protagonistes féminins emblématiques du monde vidéoludique, des princesses héroïques aux antagonistes machiavéliques, en passant par les intelligences artificielles et les androïdes. Bien entendu, une telle galerie nécessite des choix et ne peut être exhaustive : c’est un type d’exercice qui n’autorise pas les analyses poussées.

Malheureusement, l’ouvrage présente plusieurs problèmes. Tout d’abord de nombreuses maladresses ou raccourcis, qui peuvent freiner les lecteurs et les lectrices, à qui on fait souvent sentir qu’ils sont un peu bêtes. De plus, l’insistance de Bounthavy Suvilay à parler de certains idéologues, groupes de pression et compagnie, sans jamais les nommer ou donner des sources, donne le sentiment de lire des théories du complot dans un ouvrage qui aurait dû être objectif et ne relever aucun message personnel de l’autrice à ce niveau. On ne lit pas Héroïnes de jeux vidéo pour savoir ses idées politiques et sociétales ; et si on parle d’idéologies féministes existantes extrêmes, il convient aussi de parler de l’extrémisme en sens inverse, n’est-ce pas ? Ensuite, l’autrice ne comprend pas – ou nie totalement – le besoin pourtant légitime et fondamental d’identification, de représentation, dans un monde où règnent les discriminations justement parce que des personnes refusent d’éprouver de l’empathie pour des minorités, pour quiconque sort des normes, parce qu’elles ne voient pas ces dernières représentées dans les différents médias et ne les comprennent donc pas.

Il est incompréhensible qu’un ouvrage telles qu’Héroïnes de jeux vidéo, féministe par nature à défaut de vocation, ait été écrit sans aucune volonté de réellement mettre en avant la représentation et la diversité des héroïnes vidéoludiques. L’autrice ne mentionne même pas la rareté des héroïnes racisées et le pourquoi de cette absence, ni ne reconnaît que la difficulté des bonnes représentations puisse venir d’un milieu de créateurs de jeux vidéo encore majoritairement masculin et parfois sexiste, et encore moins les récents débats qui ont pu avoir lieu autour de figures féminines comme celles de The Last of Us part II. Et il est encore plus incompréhensible de voir que ce livre, dans lequel on trouvera également une belle faute d’impression, n’ait pas fait tiquer l’éditeur Ynnis à la relecture pour certains passages  politiques qui n’avaient pas lieu d’être présents, et qui se révèlent problématiques voire insultants pour les lecteurs, lectrices, gamers, et certaines minorités. Il va de soi que pour toutes ces raisons, je ne peux pas recommander l’achat d’Héroïnes de jeux vidéo : princesses sans détresse.

  • Héroïnes de jeux vidéo : princesses sans détresse est disponible aux éditions Ynnis depuis le 14 avril 2021.
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Le genre de l’horreur continue à fasciner, et ce depuis des centaines d’années. Nous sommes tous irrémédiablement attirés par ce type d’histoire et ceux pour diverses raisons. Que ce soit pour la crainte que cela nous apporte, ou la fascination plus ou moins morbide que l’on développe envers ce genre particulier. The Plot ne fait pas exception à la règle, à la croisée d’un Swamp Thing, ou encore des récits de H.P. Lovecraft, l’œuvre de Tim Daniel, Michael Merice & Joshua Hixson m’a attiré dès que j’ai posé les yeux dessus. Un envoûtement pour le moins étrange et effrayant.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire en service presse par son éditeur. (Note : Hi Comics est un label comics de Bragelonne, maison d’édition dont le directeur Stéphane Marsan a été mis en cause dans de nombreux témoignages d’anciennes collaboratrices l’accusant de harcèlement sexuel, suivi d’un silence assourdissant de l’éditeur. Cette critique d’un comics de Hi Comics ne saurait en aucun cas être une caution aux agissements reprochés et s’accompagne, au nom de l’équipe de Pod’Culture, d’un soutien sans faille aux nombreuses femmes qui ont témoigné récemment dans un article de Mediapart et qu’il convient d’écouter, de soutenir et de croire.)

The Plot nous conte l’histoire de la famille Blane, plus particulièrement Chase Blaine. Après le meurtre de son frère et sa belle-soeur, il récupère la garde de sa nièce et son neveu, qu’il ne connaît que très peu. Il prend la décision d’aller vivre dans la maison familiale des Blaine, là ou il a grandi. Cependant, la demeure renferme tout un tas de secrets, visiblement inavouables pour certains.

Une ambiance malsaine

© Hi Comics 2021 – © Daniel, Moreci, Hixson

Outre la couverture des plus intrigantes, The Plot nous laisse peu de temps pour respirer et vraiment comprendre ce qu’il se passe dans cette demeure. Très vite, nous comprenons que des choses abjectes s’y sont déroulées. Cependant le récit est suffisamment bien construit, pour laisser le lecteur se poser tout un tas de question.

Autant vous le dire tout de suite, vous risquez d’être perdu à la lecture de ce comics, tant l’histoire se trouve être déconstruite. Entre les bonds dans le passé, les hallucinations des personnages et tous les secrets familiaux dont on ne sait rien, le scénario est écrit pour perdre le lecteur. Plus que de le perdre, il en vient à être malsain, à instaurer un malaise ambiant, tant l’incompréhension est de mise. C’est avec ce point précis que je trouve le récit très bien écrit. Au lieu de tout expliquer, ou de montrer l’horreur frontalement, le choix a été fait d’être plus subtil. De laisser une ombre transparaître le temps d’une case, pour la faire disparaitre la case suivante.

Là ou les films de notre époque veulent montrer du sensationnel, il n’y a rien de mieux, je trouve, que de proposer d’instaurer une ambiance avant tout. C’est bien cette ambiance qui fait du récit de The Plot, une histoire passionnante à suivre. Ayant lu ce premier tome (comics se déroulant sur deux tomes), en écoutant la bande originale de No Man’s Sky, je me suis vu transporté dans un monde étrange. Un monde dérangeant, qui me mettait aux frontières de l’effroi au moment de tourner la page, pour y découvrir des horreurs encore plus terribles que ce que je venais de lire précédemment.

Les fantômes du passé

© Hi Comics 2021 – © Daniel, Moreci, Hixson

Si l’histoire m’a autant intrigué qu’elle m’a passionné, c’est aussi grâce à la construction du récit. Le fait d’utiliser les fantômes du passé, dont on ne sait rien. Ces esprits qui n’ont qu’un seul but, que les Blaine paient. Peu importe s’ils sont véritablement impliqués, chacun des descendants doivent payer pour ce qui a été commis. Tout du moins c’est ce que fait ressentir le récit. La où la série The Haunting of Hill House disponible sur la plateforme vidéo Netflix, se prend les pieds dans le tapis à plusieurs reprises pour finalement proposer une histoire basique,  sans apporter un fond véritablement intéressant, The Plot prend l’exact opposé.

La construction du récit peut sembler être la même, avec la famille qui se réunit à cause d’un tragique accident, se retrouvant ainsi dans la bâtisse familiale. Mais The Plot apporte tout ce côté malsain, tout ce qui fait de l’horreur un genre loin d’être évident à écrire. Jamais le récit de ce premier tome ne tombe dans le pathos, au contraire il apporte tout le surnaturel qu’il faut pour donner une histoire horrifique et malgré les décisions stupides de certains personnages, ils ne sont jamais « clichés ». Même s’ils peuvent sembler antipathiques, un attachement profond se crée envers eux. Tout comme les personnages, le lecteur est amené à vouloir comprendre ou le récit va les mener. Pourquoi ces créatures sont présentes ? Et surtout pourquoi veulent-elles à ce point s’attaquer à eux ?

The Plot est un titre des plus intéressant qu’il m’ai été donné de lire dans l’univers du comics. Certes, je ne me considère pas comme étant un lecteur assidu de ce genre de bande dessinée, mais pour autant, le récit continue à me hanter même plusieurs jours après avoir clos ce premier tome. Le fait de savoir que l’histoire sera disponible dans un diptyque me rend d’autant plus curieux de lire la suite. Une histoire qui se conclut rapidement est parfois bien meilleure qu’un récit qui dure des années.

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  • Le tome 1 de The Plot, édité par Hi Comics, est disponible depuis le 19 mai en librairie.

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