Tout a commencé en 2005. Toshihiro Nagoshi, du haut d’une longue carrière chez SEGA, proposait une sorte de suite spirituelle au bien-aimé Shenmue. Celle-ci s’intitulait Ryū ga Gotoku, ou Yakuza dans nos contrées. Quelques six épisodes plus tard et de nombreux spin-off qui ont alimenté la légende, la saga a vu se conclure l’histoire de son personnage principal. Mais plutôt que de la mettre au placard, c’était l’occasion avec un septième titre canonique de marquer un nouveau départ. Ce Yakuza : Like a Dragon, qui sortira le 10 novembre prochain, propose en effet de tous nouveaux personnages et un système de jeu qui bouleverse la saga. Autrefois orienté vers le « beat’em all », le jeu se présente désormais comme un jeu de rôle à la Japonaise (J-RPG) avec son lot de combats au tour par tour. Mais toutes ces nouveautés permettent-elles de conserver l’esprit et le ton qui ont fait le succès des Yakuza ?

Cette critique a été réalisée grâce à une version Playstation 4 envoyée par l’éditeur, ainsi que plus d’heures de jeu que la raison ne me permet de communiquer.

Entre réinvention et continuité

© SEGA

La saga chapeautée par Toshihiro Nagoshi a longtemps été portée par un héros au charisme inégalable pour ses fans. Nommé Kazuma Kiryu, ce héros au grand cœur touchait tant par ses répliques devenues cultes que sa manière de toujours risquer sa vie pour sauver la moindre personne qu’il croisait. Une manière de romancer le monde des yakuzas (gangsters japonais) peut-être, mais c’était surtout le meilleur moyen de raconter des thèmes parfois très difficiles sans tomber dans un sentiment de désolation. Car malgré les sujets abordés qui sont inhérents au monde du crime, Yakuza tente toujours de maintenir un esprit assez léger et parfois même burlesque, même si l’on a l’habitude de voir ses histoires s’intensifier et se complexifier lors des derniers chapitres. Et c’est un esprit que l’on retrouve très vite dans ce septième épisode canonique. Exit son héros d’antan, place à Ichiban Kasuga, un tout jeune délinquant qui est né et a grandi dans un soapland, une de ces maisons closes à la Japonaise. Lui qui a toujours vécu dans le monde de la nuit, contrôlé par les yakuzas, a fini par tomber dedans et intégrer les rangs d’une famille qui dépend du Clan Tojo, une alliance de familles mafieuses bien connue des fans de la saga. Mais inévitablement les choses tournent mal et le jeune Ichiban se retrouve en prison pendant dix-huit longues années pour un crime qu’il n’a pas commis, à l’image de Kazuma Kiryu en son temps. Il n’est toutefois pas comme les autres : en plus d’être terriblement expressif au contraire de son prédécesseur, son prénom, « Ichiban », veut dire « numéro un » ou « le meilleur » en Japonais, un nom qu’il porte désormais fièrement en tentant de changer. Car à sa sortie de prison, il réalise vite qu’il ne tient qu’à lui de mener une autre vie, et c’est ce qui va le mettre sur la route d’autres protagonistes aux trajectoires de vie différentes. On trouve à ses côtés Nanba, un homme qui vit à la rue après avoir perdu son métier d’infirmier ; Adachi, un ancien policier qui s’est fait virer ; et enfin Saeko, une femme qui travaillait dans des soapland pour subvenir aux besoins de sa famille. Trois personnages qui ont un point commun avec Ichiban, celui d’avoir été brisés par la vie.

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Rien ne les prédestine à devenir des héros, au contraire au cours de leur aventure dans cet épisode ils vont tous tremper dans des affaires où les notions de bien et de mal se confondent sans arrêt. Pourtant, avoir tous fait face à des désillusions, avoir tout perdu, sert pleinement le propos du jeu. En effet cet épisode emprunte tout à l’univers des J-RPG et tout ce que cela implique, à commencer par le groupe d’aventuriers qui se soude au fil des chapitres, avec des protagonistes pour qui l’union fait la force. En nous proposant des personnages brisés, la narration prend son temps pour raconter leur rédemption jusqu’à ce qu’ils soient capables d’oublier leurs démons, se sauver eux-mêmes et le monde qui les entoure, comme des héros de J-RPG qui sauvent l’univers en redonnant vie à l’arbre de Mana. C’est aussi une belle occasion pour sortir du carcan imposé par les histoires de gangsters de la saga. Si Yakuza : Like a Dragon ne s’écarte pas tant que ça de l’univers propre à la saga, il se permet tout de même de mieux caractériser ses personnages en dehors des histoires de mafieux, de mieux raconter leurs problèmes et ce qu’ils font pour s’améliorer aujourd’hui. Et ce notamment dans des dialogues parfois très touchants dans un bar de jazz que le groupe fréquente, où le niveau d’amitié avec nos compagnons permet d’en savoir plus. Un peu à la manière du genre de la « tranche de vie » si populaire du côté des mangas et des dramas japonais, c’est le voyage plus que la destination qui nous importe pour cette galerie de héros pas comme les autres.

Il est d’ailleurs intéressant de garder en tête les dramas et le cinéma japonais quand il est question de Yakuza, et encore plus ce septième opus. Le jeu s’inspire plus que jamais d’une mise en scène que l’on retrouve dans les séries japonaises, parfois dans les films, qui peut en étonner certains mais surtout séduire les fans du genre. Cette mise en scène recherche avant tout la mise en valeur de ses personnages, tout en jouant sur le décalage d’un ton qui oscille souvent entre le sérieux de sujets extrêmement graves et le burlesque apporté par ses personnages et les situations. Je pense par exemple aux quêtes secondaires parfois loufoques, à l’image de celle qui raconte un acteur coréen déchu, devenu dépressif, qui rappelle Bae Yong-jun et le succès de son drama Winter Sonata (que l’on voyait déjà dans Yakuza Kiwami 2), ou encore la bande-son des karaoké qui mélange ballades mielleuses, disco et city pop. En réalité malgré sa nouvelle orientation, Yakuza : Like a Dragon reprend tout ce qui fait le charme de l’ambiance de ses prédécesseurs. Cela se confirme définitivement avec le soin apporté, comme d’habitude, aux voix des acteurs et actrices qui interprètent avec un talent certain leurs personnages. On note toutefois qu’il est possible de profiter d’un doublage en anglais pour qui cela intéresse, ainsi que de sous-titres en Français pour la première fois dans un épisode principal de la saga depuis Yakuza 1 en 2005 sur PS2, comme son spin-off Judgment qui en a profité l’année dernière. Et il faut saluer le travail des traducteurs et traductrices, qui font un superbe travail d’adaptation pour que le jeu puisse pleinement s’apprécier malgré les multiples références très centrées sur l’industrie japonaise.

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L’étonnant hommage à Dragon Quest

Il est désormais l’heure d’attaquer le vif du sujet : le jeu. Car s’il brille par ses qualités narratives, c’est avant tout ce bouleversement du gameplay qui était très attendu. Autrefois rythmé par des combats brutaux où l’on s’amusait à taper tout ce qui bouge plus ou moins, la série fait un virage inattendu en proposant un système de jeu directement hérité des J-RPG les plus populaires. Pour dire la surprise que cela constitue, il faut se remémorer que tout est parti d’une blague du 1er avril qui avait fait rire les fans de la saga en 2019, où l’on observait un « faux » jeu Yakuza avec des combats au tour par tour. Personne n’y croyait, jusqu’à ce que le studio finisse par annoncer que cette « blague » était bien le nouvel épisode canonique. Une vanne rapidement expliquée par le jeu, puisque dès les premiers instants les intentions sont claires : Ichiban, le héros, annonce être un fan de Dragon Quest. S’ensuit alors une grosse quarantaine d’heures de jeu où le titre référence régulièrement la célèbre série de J-RPG, l’une des fondatrices du genre.

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On vous expliquait récemment dans un autre article sur Pod’Culture l’importance et l’héritage de Dragon Quest V, chose qui ne pouvait pas mieux tomber pour un Yakuza : Like a Dragon qui, sans laisser sur le pas de la porte les profanes, offre de vrais moments d’amour pour les fans de son modèle. Inspiré par « DraQue » et ses héros, Ichiban est tellement obnubilé par cet univers vidéoludique qu’il décide de devenir lui aussi un héros et se met à imaginer des transformations improbables des loubards qu’il croise, justifiant de facto les combats au tour par tour et les différents types d’ennemis que l’on affronte. Le jeu reste dans son univers, puisqu’au lieu d’affronter des squelettes et des dragons, on affronte des « bourreaux capitalistes », des « streameurs compulsifs » et toutes sortes de personnes peu fréquentables. Mais il en profite pour emprunter les mécaniques des J-RPG : des attaques élémentaires, des altérations d’état et des compétences spéciales qui se débloquent à mesure que l’on monte en niveau.

A cela on ajoute un système de jobs qui passe via le Pôle emploi local, nommé Hello Work, où une conseillère nous permet de devenir garde du corps, contremaître, idole ou même musicien. Un certain nombre de jobs sont disponibles et chacun d’entre eux permet de débloquer de nouvelles capacités à mesure que l’on augmente le rang de job, celui-ci étant détaché du niveau du personnage. Cela apporte de la diversité, d’autant plus que chaque job est lié à des types d’armes différentes où l’on retrouve encore un côté burlesque très prononcé. Si le garde du corps attaque avec des sabres bien peu originaux, le musicien y va à coup de guitares en pleine face tandis que l’idole met des coups de micro pour venir à bout des « otaku » qu’elle croise.

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Tout cela ne sert évidemment qu’un objectif, alimenter en profondeur un système de combat qui, lui, emprunte énormément à Persona 5. Tant pour son interface visuelle très similaire que le système de raccourcis pour accéder aux compétences principales, et la dynamique générale des combats, les deux jeux ont beaucoup de choses en commun. Et cela fonctionne, de manière tout à fait surprenante. Ses prédécesseurs ont marqué pour leurs combats qui servaient de défouloir, où il était bon de prendre un vélo qui trainait dans un coin pour l’aplatir sur la tête d’un ennemi. Alors l’arrivée du tour par tour questionne, mais les développeurs sont parvenus à unir le meilleur des deux mondes. Plus « tactique » et « exigeant » qu’auparavant, le jeu nécessite au moins de bien gérer les compétences de chaque personnage pour vite se débarrasser des ennemis, même s’il n’est fondamentalement pas difficile. Mais à cela il ajoute une aire de jeu où les personnages se déplacent à leur guise, où il peuvent récupérer des objets qui se trouvent sur leur trajectoire pour les utiliser et taper les ennemis, histoire de ne pas oublier le ton très excessif des combats de la série. La dérision n’y est pas pour rien non plus puisque les compétences sont aussi l’occasion de rappeler son ton décalé, à l’image d’une attaque appelée « gifle du nanti » qui consiste à mettre des baffes à quelqu’un avec une liasse de billets.

Le mélange des genres est une vraie réussite, même si on peut lui reprocher des combats peut-être trop nombreux et fréquents pendant l’exploration de la ville. On aurait aimé qu’ils se fassent plus discrets, d’autant plus qu’ils ne rapportent quasiment pas d’expérience en comparaison des donjons. Plus encore, on sort enfin du quartier de Kamurochō (qui reproduit assez fidèlement le véritable Kabukichō) pour rejoindre la ville de Yokohama alors on aurait bien voulu pouvoir l’explorer paisiblement. Plus vaste, savoureuse grâce à ses zones aux ambiances diverses, cette ville raconte aussi d’autres histoires entre les quartiers nord vraisemblablement riches et le sud plus pauvre, à la limite du bidonville. Heureusement, l’omniprésence des combats sert aussi d’autres intérêts, à commencer par le clin d’œil appuyé à Pokémon lorsqu’un professeur nous confie son « Sujidex », sorte de Pokédex que l’on est censé remplir d’informations sur tous les types d’ennemis que l’on croise, nous poussant à arpenter chaque recoin de la ville pour rencontrer des ennemis plus rares. Un peu plus de référence oui pour un jeu qui en contient déjà beaucoup, mais surtout un énième rappel que sous couvert d’humour et de dérision, Yakuza : Like a Dragon est une véritable lettre d’amour au J-RPG, tirant le meilleur du genre pour en proposer son interprétation avec un esprit bon enfant qui donne sans cesse le sourire. Ses personnages sont terriblement attachants, et on se plaît à les voir évoluer dans cette aventure qui en appelle sans cesse à nos souvenirs sur d’autres titres qui utilisaient les mêmes mécaniques et éléments narratifs. Si vous êtes fans de Dragon Quest, le jeu n’a que de l’amour à vous offrir.

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Les démons de son univers

Un Yakuza ne serait rien sans ses mini-jeux et ses quêtes secondaires. Piliers de la série, tous ces « à-côtés » sont aussi ceux qui célèbrent le goût de la dérision qui caractérise le jeu. Les karaokés, les bars à hôtesses, le mahjong ou encore le shōgi tout est là pour s’amuser entre deux quêtes de l’histoire. Pareil pour les missions secondaires qui nous donnent l’occasion de rencontrer les citoyens de Yokohama et ainsi découvrir des histoires farfelues, parfois insignifiantes, mais qui n’ont comme objectif que de faire vivre la ville et ses habitants. Ces séquences donnent toujours une bonne occasion de sourire face à des gens qui semblent tous anéantis par une poisse terrible. Mais le jeu ne fait pas que ça, il va un peu plus loin, notamment en proposant une quête secondaire plus générale, qui nous suit tout au long du jeu. Nommée « Part Time Hero », celle-ci nous fait rejoindre une organisation dont l’objectif est de répondre aux sollicitations de clients qui ont besoin d’un « héros » pour faire face à un imprévu : livrer un objet, les défendre ou leur rapporter de quoi s’essuyer dans des toilettes publiques, autant de petits bouts d’histoire improbables qui viennent s’ajouter à un jeu qui profite clairement de son contenu secondaire pour apporter un peu de légèreté face à une histoire aux thèmes plus violents.

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A cela on ajoute des courses à la sauce Mario Kart, avec des objets pour ennuyer ses concurrents, un mini-jeu plutôt rigolo basé sur le rythme où l’on tente de ne pas céder au sommeil dans une séance de cinéma, ainsi qu’une gestion d’entreprise qui rappelle ce que proposait déjà Yakuza 0. Enfin, on retrouve évidemment les salles d’arcade SEGA qui proposent de s’essayer comme d’habitude à de nombreux jeux de la firme : Virtua Fighter 5, Space Harrier, Fantasy Zone, Out Run ou même les fameuses « UFO Catcher » pour tenter d’attraper une peluche… Et nous voilà donc face à un jeu qui ne lésine pas sur son contenu. Evidemment quelques quêtes se répètent parfois, l’essentiel tourne autour des combats, mais c’est la narration qui donne envie de toujours aller un peu plus loin pour le simple plaisir de parcourir le jeu et ses bouts d’histoire. D’autant plus que le contenu secondaire permet parfois de gagner de nouvelles compétences, ou encore de nouveaux soutiens pour les combats.

Tout n’est pas forcément rose dans ce jeu, on peut rester dubitatif face à des facilités quand le jeu tente de nous rappeler les précédents opus, comme son premier chapitre qui se déroule dans le désormais bien connu quartier de Kamurochō. C’est la marotte de l’univers de Yakuza certes, mais c’est tellement attendu qu’on n’y est plus nécessairement sensible. Mais surtout, il y a toujours cette misogynie latente dont la saga ne parvient toujours pas à se séparer. Certes, elle est inhérente à son univers puisque le monde des yakuzas est foncièrement patriarcal. Les femmes sont absentes des débats et on ne les trouve généralement que dans des établissements type bars à hôtesse ou dans des soapland. Ce n’est donc pas un hasard que Saeko, deuxième personnage féminin jouable seulement dans la saga, soit liée à l’industrie du sexe. Certains dialogues, certaines vannes tendent vers une misogynie décomplexée.

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Mais on sent qu’il y a une intention de dépasser, doucement, ce cadre-là. Notamment lorsque le jeu traite de la condition des travailleuses du sexe dans les soapland et les bars à hôtesses, abordant même la situation difficile d’immigrées chinoises, ou de mafieux qui recherchent des femmes isolées pour les exploiter. On apprécie aussi la manière dont est traitée Saeko, dont le passé s’affiche comme une force plutôt qu’une faiblesse, lui permettant de débloquer certaines situations de l’histoire sans jamais véritablement être jugée par les personnages masculins. Il aurait été facile d’user du cliché de la demoiselle en détresse, encore plus en s’inspirant des J-RPG, mais on est bien contents de ne rien retrouver de la sorte dans ce personnage. A défaut de passer outre un schéma misogyne, Yakuza : Like a Dragon tente au moins de se poser quelques questions sur la condition des femmes au Japon via son héroïne.

Yakuza : Like a Dragon nous offre autant qu’il aime ses modèles. Il est plein d’entrain et d’amour pour des mastodontes auxquels il rend hommage à sa manière, à commencer par Dragon Quest qu’il ne cesse de référencer. C’est aussi une main tendue vers les fans de la saga, en leur disant qu’il est temps de tourner la page de ses vieux héros et de se laisser bercer par un nouveau groupe bourré de bienveillance. On se prend au jeu et on tombe presque amoureux de ses quatre protagonistes que la vie n’a pas épargné, qui trouvent une bonne raison de se relever grâce au gentil cliché du pouvoir de l’amitié. Cela sonne peut-être naïf et sûrement éculé, mais c’est une tendresse qui fait du bien à notre époque. Souvent drôle et maline, parfois maladroite, la narration sert un gameplay capable de se réinventer pour passer outre la lassitude qui avait pu s’installer au fil des précédents épisodes. Un coup de maître peut-être, et certainement une des pépites de cette fin d’année.

  • Yakuza : Like a Dragon sort le 10 novembre sur Playstation 4, Xbox One, Xbox Series X/S et PC, puis le 2 mars 2021 sur Playstation 5.
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La K-pop alimente tous les fantasmes depuis un certain nombre d’années, que ce soit au travers des réseaux sociaux qui s’enflamment régulièrement ou des médias traditionnels qui s’emparent du phénomène pour toutes sortes de raisons. Certains y voient une construction artificielle qui ne cherche que le bénéfice alors que d’autres sont sincèrement passionnés. Le plus important finalement, c’est que chacun y trouve son plaisir, et c’est un peu ce que raconte Caroline Suh dans le documentaire BLACKPINK : Light Up the Sky pour Netflix, sorti courant octobre, où elle aborde avec beaucoup de bienveillance l’histoire d’un girls band qui a su se faire une place sur les scènes du monde entier.

S’il faut se lancer dans un petit jeu des légitimités à discuter du sujet, un élément qui fait parfois débat sur les réseaux sociaux, je dois avouer que je n’arrive pas en terrain inconnu. « Amateur » de K-Pop depuis près de vingt ans, j’ai vu le milieu évoluer, grandir et devenir petit à petit ce qu’il est aujourd’hui. D’un simple phénomène essentiellement populaire en Asie, la pop coréenne est lentement arrivée dans le reste du monde en profitant à la fois des réseaux sociaux, mais aussi et surtout des plateformes de partage comme YouTube. Il serait dommage toutefois d’oublier de mentionner la passion ardente des fans qui s’amusent à créer toutes sortes de sites amateurs pour partager l’actualité K-pop au plus grand nombre. Encore aujourd’hui, l’essentiel de la communication passe par les fans (le plus souvent bénévoles) qui alimentent des milliers de sites et pages sur les réseaux sociaux et qui aident autant que possible leurs groupes préférés à se faire connaître. Mais plus que de la K-pop en général, il est question ici de BLACKPINK. Un groupe né en 2016, réunissant quatre femmes, qui est depuis devenu le groupe coréen le plus populaire dans le monde auprès de BTS.

© Netflix 2020

Un regard bienveillant et salvateur

La réalisatrice Caroline Suh aborde son documentaire avec innocence : elle sait évidemment que le groupe BLACKPINK est aujourd’hui un phénomène qui dépasse largement les frontières coréennes. On les voit depuis longtemps être invitées dans des émissions américaines, elles se sont lancées dans une tournée mondiale et elles font exploser les records de vue sur YouTube. Les membres du groupe sont des égéries des plus grandes marques de luxe, assistent aux défilés des différentes Fashion Week et apparaissent dans bon nombres de magazines de mode. Bref, le phénomène est là mais la réalisatrice n’y connaît initialement pas grand-chose. De son propre aveu, elle en a profité pour les observer plus simplement, avec l’œil d’une personne extérieure au groupe et à ce qu’il représente. Et c’est sûrement ce qui permet au documentaire d’être aussi touchant et bienveillant. En évitant à tout prix de porter des jugements, la réalisatrice recherche plutôt ce qui donne corps et âme au groupe. Elle ne s’intéresse là pas vraiment à la musique, mais plutôt aux différentes personnalités et aux trajectoires de vie des quatre femmes qui composent BLACKPINK. Si elles ont fini par se rejoindre autour de ce projet commun, via une agence qui les a formées, elles viennent toutes d’horizons différents racontés via des images d’archive : Jisoo est née et a toujours vécue en Corée, Lisa est thaïlandaise et n’a rejoint Séoul qu’à l’adolescence, tandis que Jennie et Rosé ont grandies respectivement en Nouvelle-Zélande et en Australie. Quatre femmes que peu de choses rapprochent, qu’il s’agisse de milieux sociaux ou culturels, mais qui ont pour point commun d’avoir traversé les longues épreuves qui ont précédées la constitution du groupe.

© Netflix 2020

La première partie du documentaire cherche en effet à raconter leurs origines et leurs motivations. On y découvre quatre femmes attachantes et dont l’ascension vers un succès mondial a été semé d’embûches. On comprend vite pourquoi le public les aime tant, au-delà de la musique, tant la réalisatrice parvient à capter ce qui fait l’essence du groupe. Multiculturelles, diverses, apparaissant accessibles, on voit là des femmes qui ressemblent à leurs fans et qui apportent une certaine fraîcheur dans une industrie de la Pop qui peine parfois à s’adresser aux fans. On sent vite l’engouement, par exemple, que suscite Lisa du fait de son talent, mais aussi et surtout de ses origines. La pop coréenne est terriblement populaire en Asie du sud-est, alors le fait d’avoir une thaïlandaise dans un groupe devenu aussi populaire titille évidemment un certain sentiment de fierté qui pousse son pays à lui dérouler un tapis rouge à la moindre apparition. Plus intéressant encore que la célébrité, le documentaire montre parfois ses sujets comme vulnérables, à l’image de cette scène où Jennie hésite à répondre à une question en disant qu’elle n’aime pas vraiment parler d’elle et de sa vie privée. On sent vite qu’il y a quelque chose à creuser, et ça casse l’image très lisse et « parfaite » qui ressort d’autres séquences plus conformes à l’image de marque que s’est constitué le groupe.

L’humain derrière la musique

Light Up the Sky évite d’ailleurs un écueil, celui du récit hagiographique. Raconter l’histoire d’une célébrité dans un documentaire qui lui est dédié et, pire, réalisé en collaboration avec elle, c’est de finir par ne lui jeter que des louanges. On l’a vu sur Netflix tout récemment avec la série-documentaire The Last Dance consacrée à Michael Jordan. Un documentaire qui, bien que bourré de qualités narratives, versait parfois un peu trop dans l’idéalisation de l’homme en omettant tout ce qui pouvait mettre à mal le tableau parfait que chaque épisode s’amusait à peindre. Une erreur qu’évite Caroline Suh, car elle a bien conscience d’avoir affaire à des femmes qui ont fait des sacrifices et qui appartiennent à une industrie qui n’a pas que des qualités. Outre les poncifs sur les « chorégraphies millimétrées » et sur la « fabrication industrielle » du groupe que le documentaire évite très bien (et beaucoup devraient s’en inspirer en parlant de K-pop), elle n’ignore pas la réalité parfois moins séduisante.

© Netflix 2020

Les quatre membres apparaissent souvent faillibles, tant physiquement que moralement, on explique d’ailleurs qu’elles ont été plusieurs fois rabaissées par les gens censés leur apprendre le métier. On découvre qu’elles souffrent réellement de l’éloignement de leurs familles, on y raconte leurs difficultés à suivre des entraînements physiques qui relèvent presque du sport de haut-niveau, mais aussi les sacrifices qu’implique le « devoir » d’apparaître comme des jeunes femmes parfaites aux yeux des fans. Pas de sorties, pas d’alcool, pas de tatouages, rien qui puisse les faire dévier d’une image de marque qui rassure les publicitaires, mais aussi les fans qui sont habitués à un système « d’idole » très répandu dans la production musicale pop en Asie orientale. Sans verser dans l’horreur absolue racontée par Satoshi Kon dans son formidable Perfect Blue, le documentaire de Caroline Suh explique très bien comment ces femmes s’insèrent dans l’industrie et pourquoi elles le font. Mais elle envisage leur quotidien sans jugement, en se contentant de dépeindre assez fidèlement une réalité qui évite le fantasme, avec une neutralité plutôt bien amenée. A ce titre Light Up the Sky est une jolie porte d’entrée au monde de la K-pop et à son industrie. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé d’en parler sur Pod’Culture, car si l’œuvre cinématographique elle-même est assez dispensable, c’est son propos qui s’avère plutôt intelligent. La neutralité n’empêche pas Caroline Suh de parler de l’aspect quasi-destructeur de l’industrie avec les concerts qui s’enchaînent sans arrêt, les voyages en avion interminables, la fatigue qui s’accumule et les pépins physiques qui poussent à une surveillance de tous les instants. Tout comme cette neutralité ne l’empêche pas, non plus, de raconter comment elles parviennent à surmonter ça et ce qui caractérise un groupe qui est aujourd’hui en position de force face au monde qui l’a créé.

Un documentaire souvent superficiel

Tout cela donne finalement un documentaire très bien produit, qui arrive souvent à surmonter l’aspect « communication » d’un tel format pour se rapprocher un peu plus des pensées des membres du groupe. Cela dit, l’agence qui le chapeaute a évidemment son mot à dire là-dedans et on ne peut pas prendre toutes les images pour argent comptant sans s’interroger sur la volonté de filtrer ce qui sort des clous. On réalise en effet facilement que le discours est bien tenu pour éviter de trop en dire. Le documentaire n’est pas idéaliste, mais il a tendance à dire que les moments les plus difficiles valent le coup d’être subis. Malgré cela, c’est une œuvre sympathique à regarder pour les fans, abreuvés de détails sur leurs idoles, mais aussi pour les néophytes qui peuvent découvrir comment la « légende » qui entoure BLACKPINK s’est construite et a su convaincre tant de monde. Que ce soit par la mise en avant des personnalités, du style, l’affirmation de leurs caractères et leur originalité face à une concurrence souvent extrêmement rude. Le documentaire apparaît d’ailleurs sur sa deuxième moitié comme un carnet de route qui montre les étapes par lesquelles les jeunes femmes sont passées avant d’atteindre le nirvana : une participation au festival de Coachella.

Attention tout de même, on reste sur quelque chose de relativement superficiel qui ne va jamais vraiment au bout des choses. A l’image de la plupart des documentaires parus sur Netflix (je pense par exemple à Drive to survive, pour les fans de F1), le documentaire cherche à satisfaire tout le monde et à ne surtout pas mettre en difficulté son sujet. La communication se mêle ainsi souvent à l’information : les moments d’éclat du documentaire où la réalisatrice parvient à s’immiscer dans les pensées et craintes plus profondes des membres du groupe sont vite contrebalancés par des éléments moins naturels qui sonnent comme une opération de communication gérée par l’agence du groupe. Light Up the Sky se focalise essentiellement sur des émotions positives, où les moments les plus difficiles qui pourraient mettre à mal l’image de l’industrie sont expliqués par une forme de nécessité d’en passer par là. Heureusement, la réalisatrice évite un ton « paternaliste » caractéristique dans les articles et reportages occidentaux qui portent sur le même sujet. Elle évite d’aborder le groupe comme des « bêtes de foire » qui ne seraient qu’un pur produit marketing comme beaucoup aiment le faire en parlant de K-pop, et se contente de raconter ce qu’est fondamentalement BLACKPINK : quatre femmes terriblement sympathiques et attachantes, qui nous emmènent avec le sourire dans leur monde pendant 1h15. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le procédé, il a le mérite de nous faire passer un bon moment.

  • Le documentaire BLACKPINK: Light Up the Sky est disponible sur Netflix depuis le 14 octobre 2020.
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En 1999 sortait le film Le projet Blair Witch, le film d’horreur qui popularisera le genre « found footage », et qui inspirera notamment par la suite la série des [REC], Cloverfield et autres Paranormal Activity, avec plus ou moins de succès. L’histoire est simple : trois étudiants en cinéma partent enquêter en forêt sur la sorcière de Blair. Jour après jour, ils relèvent des événements étranges dans la forêt, comme l’apparition de figurines en bois, de tas de pierre autour de leur tente… Errant dans la forêt, tournant en rond et perdant la notion du temps – ainsi que la raison – ils finissent par trouver la maison de la sorcière et y entrer. Mais aucun d’entre eux n’en sortira. Leur aventure n’est connue que grâce aux vidéos des caméras utilisées pendant leur enquête.

Le projet Blair Witch, à l’époque, fut aussi caractérisé par la méthode de marketing employée : des rumeurs furent diffusées sur Internet pour faire croire à la véritable disparition des trois étudiants du film. Eux-mêmes ne furent que très peu dirigés lors du tournage, laissés libres d’improviser avec un axe de scénario global et sans grand contact avec l’équipe de réalisation. C’est pourquoi le style du film est aussi documentaire et qu’au final, toute la tension du film tient sur la suggestion, sur le fait qu’il se passe quelque chose d’inconnu, qu’on ne voit pas réellement et qui n’est peut-être que la folie de ces étudiants perdus en forêt. Une interprétation laissée libre à l’imagination du spectateur, qu’il soit effrayé ou pas à la sortie du film (et de ses suites).

Une collaboration entre Lionsgate et Bloober Team

© Blair Witch, Bloober Team & Lionsgate Games, 2019

Blair Witch a déjà été adapté en jeu vidéo avec une trilogie sortie sur PC en 2000 et 2001, avec des critiques plutôt mitigées. C’est pour le 20e anniversaire du film, en 2019, que le studio de production polonais Bloober Team est contacté par l’entreprise Lionsgate, qui possède les droits du film Blair Witch, pour en faire un nouveau jeu vidéo. Bloober Team a en effet déjà à son actif Layers of Fear et Observer, qui ont renouvelé le genre de l’horreur psychologique avec succès.

Entre les deux studios commencent alors plusieurs discussions pour savoir de quoi sera composé ce jeu et comment l’intégrer à l’univers déjà existant de Blair Witch. Cette collaboration permet ainsi de valider les idées de Bloober Team tout en s’inspirant des films, afin de garder intactes la mythologie et la cohérence de l’univers. C’est une nouvelle expérience pour le studio polonais qui avait créé des univers originaux jusque-là, mais cela lui permet de construire sa propre histoire et de garder ce qui fait la patte du studio : l’horreur psychologique plutôt que le survival horror. Cela tombe bien, car au final même Le Projet Blair Witch repose davantage sur la tension et l’imagination que sur une horreur montrée, une chose que le jeu a véritablement comprise.

Promenons-nous dans les bois

Blair Witch commence ainsi deux ans après les événements du film, en 1996. Un ancien policier, Ellis, se joint à une patrouille pour essayer de retrouver Peter, un petit garçon qui s’est perdu dans la forêt de Black Hills. Heureusement, Ellis n’est pas seul : il est accompagné de Bullet, un berger allemand qui sera son plus précieux allié au sein de la forêt. Car notre héros n’est armé que d’une lampe torche, de son téléphone, d’un talkie-walkie et ensuite d’une caméra. Bullet sera donc d’une grande aide pour retrouver son chemin, mais aussi rester aux aguets des choses étranges qui parcourent la forêt.

© Blair Witch, Bloober Team & Lionsgate Games, 2019

Tout comme dans le film d’origine, c’est avant tout la forêt de Black Hills qui est au centre du jeu. Présentée sous un premier jour lumineux, bien qu’immense, elle ne semble pas faire tellement peur… mais ça, c’est avant que les choses ne commencent à dégénérer. Plus le temps passe dans la forêt, plus ses arbres sont plongés dans la pénombre puis l’obscurité. Le faisceau de la lampe-torche paraît bien ridicule en permettant d’éclairer à seulement un mètre devant, faisant gagner en oppression et noirceur à ces bois aux branches torturées. La forêt de Black Hills paraît terriblement vivante, dans ses entrelacs noueux, ses chemins qui se ressemblent tous et où on tourne en rond, avec ses craquements sinistres et ses bruits inexpliqués, diablement saisissants grâce à la technologie audio binaural. Et si par hasard on croise des endroits plus éclairés – une scierie, un ancien pont, un bunker, tous délabrés – c’est pour mieux continuer sur des chemins engloutis par la noirceur qui donnent envie de tout, sauf d’avancer.

Une atmosphère en harmonie avec le film d’origine

La forêt de Black Hills donne très vite l’impression d’être perdu, d’autant que nous voyons tout à travers les yeux d’Ellis. Mais l’errance n’est que l’un des premiers dangers de cette forêt maudite par la présence d’une sorcière, et Bloober Team l’a bien compris. Le jeu intègre fidèlement ici et là des éléments connus qui font monter la pression : la présence de figurines en bois de plus en plus torturées, de silhouettes formées de brindilles caractéristiques, des polaroids de personnes disparues tournant le dos à l’objectif dans un recoin sombre… Sans oublier les cassettes vidéos ! Faire un jeu avec la méthode du found footage aurait davantage éloigné le joueur d’Ellis, par rapport à une vision à la première personne. Mais ces cassettes sont utilisées pour voir des événements passés, ou permettre de stopper l’image à un instant précis, et effectuer ainsi un changement dans l’environnement présent.

© Blair Witch, Bloober Team & Lionsgate Games, 2019

Non content d’être perdu, notre protagoniste doit se débattre avec une vision de plus en plus conflictuelle de la réalité. A l’instar des personnages du film, il est victime de sauts temporels ou d’obscurité inexpliquée à 10h du matin, créant une véritable angoisse dans une forêt où le temps n’a plus aucune logique. Plus il s’y enfonce, plus lui reviennent également des souvenirs de conflits avec sa femme et d’une guerre à laquelle il a participé. Car Ellis souffre de syndromes post-traumatiques qui lui joueront des tours, même si Bullet est là pour le ramener à la réalité. Et heureusement que Bullet est là ! Au moyen d’interactions avec lui, il est utile tant dans le gameplay pour avancer, que pour permettre au joueur de trouver un peu de réconfort dans une forêt aussi lugubre. Inutile de dire qu’on s’attache bien vite à ce chien, et que notre façon de le traiter aura une influence sur le jeu.

« Certaines forces sont simplement trop fortes pour qu’on les défie.  Nous sommes comme des oiseaux pris dans des barbelés : plus nous nous débattons, plus le métal s’enfonce. »

La tension psychologique comme fil conducteur

© Blair Witch, Bloober Team & Lionsgate Games, 2019

Le jeu met indiscutablement mal à l’aise pendant de nombreuses séquences, misant tout sur la direction artistique de la forêt obscure, interminable, où la nature elle-même devient menaçante et oppressante. Certains monstres ne sont visibles qu’à travers la caméra, tout comme certains messages ou indices dans le décor. Quelques passages donnent un sentiment de claustrophobie, dans un tunnel où l’on entend la sorcière doucement murmurer à nos oreilles. Les sauts temporels ou la réalité transformée par le stress post-traumatique d’Ellis, contribuent à nous perdre en même temps que le personnage devient instable (et même peu sympathique). Des chemins sans fin nous obligent à avancer en boucle, dans l’angoisse de nous faire perdre Bullet. Certes, il y a des jumpscares, mais pas de gore, pas d’horreur frontale. Tout repose bien plus sur les frissons de la forêt ambiante, sur les jeux dans l’ombre éclairée par un seul rayon de lumière, sur les dédales, sur la musique lancinante et lourde d’Arkadiusz Reikowski et le silence, sur l’inexpliqué et ce qu’on aperçoit du coin de l’oeil.

Car oui, on ne sait pas exactement ce qu’il se passe, on assemble le puzzle petit à petit, et c’est toute la force de cette tension. Le personnage est vulnérable, parfois condamné à suivre les instructions d’un ennemi psychopathe en cours du jeu s’il veut s’en sortir. Et puis, peut-être que tout est dans notre tête, comme lorsqu’on regardait la lente dégringolade vers la terreur des trois étudiants du premier film. Bloober Team joue sur son domaine de prédilection : l’horreur psychologique, le sentiment de l’inconnu et de l’insécurité, sur certaines actions que nous faisons sans savoir si elles sont justes, sur la façon dont la psychologie du personnage est malmenée par l’univers dans lequel il évolue – et par conséquent, notre compréhension en tant que joueur. Après tout, qu’Ellis soit victime de syndrome post-traumatique ne fait-il pas de lui une excellente victime pour la paranoïa et la terreur véhiculées par l’ombre latente, jamais aperçue, de la sorcière de Blair ? Serait-il même venu dans cette forêt sans ça, dans l’espoir de se racheter après une vie personnelle qui part à la dérive ?

© Blair Witch, Bloober Team & Lionsgate Games, 2019

Comme dans chaque film Blair Witch, l’acte final est bien entendu la maison de la sorcière, fidèle au détail près. Véritable climax du jeu, on n’a aucune envie d’y entrer, en la voyant au loin, illuminée par des éclairs. Et ce qu’on y vit n’est rien par rapport aux heures précédentes. Un train fantôme aux allures infernales, qui démontre tout le savoir-faire de Bloober Team, en jouant sur la désorientation des sens, les lumières, les changements de décors impromptus quand on détourne le regard, les décors en boucle et identiques à quelques subtilités près, les fantômes, les murmures et cris, la folie naissante d’un personnage qui ne sait plus distinguer la réalité de l’illusion… Tout y est effrayant, hanté par la puissance de la sorcière qui demeure invisible, mais bel et bien là, vous entourant de façon de plus en plus spectrale et malsaine. Êtes-vous bien sûr de réussir à en sortir vivant et entier, là où d’autres ont toujours échoué ?

Bien qu’il ne soit pas parfait graphiquement et techniquement, avec quelques longueurs, le jeu vidéo Blair Witch se distingue à la fois par l’hommage qu’il propose à l’esprit du film, et par la façon dont Bloober Team s’est saisi du matériau d’origine pour créer une histoire originale, aussi psychologique qu’angoissante. Il est même bien possible de ne saisir toutes les subtilités de l’histoire qu’après avoir expérimenté les deux fins du jeu, flirtant à merveille entre fantastique et psychologie. Le jeu est plus profond qu’il n’y paraît et propose une immersion telle qu’il met rapidement la boule au ventre, par une ambiance sonore maîtrisée, une atmosphère étouffante à souhait, des subtilités qu’on découvre après coup, au point de ne pas vous donner envie de retourner en forêt ou de faire de l’urbex tout de suite… Et il va de soi que c’est un jeu parfait pour Halloween.

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Cet article a été réalisé à partir d’une clé Switch, fournie par Nova-Box, développeur du jeu.

Across the Grooves… C’est, littéralement, aller à travers les rainures. Il arrive que la destinée humaine possède autant d’aspérités que les rainures d’un vinyle.

Across the Grooves est un roman graphique interactif développé par Nova-Box et initialement sorti en juin 2020. Ce visual novel vous invite à incarner Alice, une jeune banquière vivant à Bordeaux. Son quotidien est bouleversé lorsqu’elle reçoit le présent d’un homme qu’elle n’a pas fréquenté depuis longtemps. Ulysse lui a fait parvenir un ancien vinyle, dont la musique est si poignante qu’elle a l’impression de revivre son passé. Or, lorsqu’elle revient à la réalité, Alice réalise que le présent a été bouleversé. La jeune femme s’apprête à parcourir une grande partie de l’Europe afin de résoudre le mystère du disque, le secret de la disparition d’Ulysse, mais aussi et surtout pour tenter de réparer ce qui a été altéré.

Un roman graphique musical

© 2020 Nova-Box. All Rights Reserved

Le genre du roman graphique interactif se prête parfaitement à l’histoire narrée par le jeu. Chacune des décisions prises par Alice, (et de facto, par les joueurs), aura une répercussion sur la suite des événements. Les choix que vous effectuerez vous permettront de rencontrer des personnages différents, d’explorer des lieux distincts mais également des réalités alternatives. Au vu des succès présents, Across the Grooves semble proposer une certaine rejouabilité. Celle-ci est la bienvenue dans la mesure où une partie devrait occuper environ trois heures de votre temps. La variété des choix et des conséquences possibles est sublimée par des changements d’ambiance non anodins. Si l’on est très tôt happés par les dialogues raffinés de Geoffroy Vincens, on est par-dessus tout transportés par la beauté des dessins réalisés par Nicolas Fouqué et Mélanie Ertaud. En dépit de la diversité des environnements, l’aventure se révèle, dans sa globalité, très chill et sereine. Les musiques et bruitages d’ambiance n’y sont pas étrangers. L’histoire n’en est pas moins captivante. Comme Alice, nous sommes impatients d’en apprendre davantage sur le vinyle et sur l’étrange magie qui semble en émaner.

S’il est nécessaire de saluer le soin placé dans l’écriture et la direction artistique du jeu, il serait criminel de ne pas aborder l’importance capitale de la musique dans Across the Grooves. La musique est l’art le plus propice à la réminiscence des émotions et des souvenirs. Le choix du vinyle, comme point de départ, est à la fois métaphorique et fort judicieux. Comme en témoigne le teaser, le jeu peut se targuer de mettre en scène plusieurs passages musicaux retranscrivant l’envoûtement que le vinyle exerce sur Alice. Notons qu’il est possible d’acquérir la bande originale du jeu, conçue par Camille Marcos et Julien Ponsoda (Illustrason). Par ailleurs, les références aux musiques de tous les genres et horizons se multiplient, par le biais de personnages hauts en couleur. Cette ode au quatrième art devrait combler les plus mélomanes d’entre vous.

Un récit lourd de sens

© 2020 Nova-Box. All Rights Reserved

Au delà de l’aspect fantastique, Across the Grooves peut être considéré comme une œuvre philosophique. À force d’errer à travers le temps et l’espace, Alice prend le risque de changer moralement et physiquement, au point de ne plus savoir ce qui compose l’essence même de sa personne. À ce titre, l’onomastique du jeu n’est pas hasardeuse. Cela ne reste que mon interprétation, mais cette Alice me fait étrangement penser à la fillette perdue au Pays des Merveilles. Certes, elle ne subit pas des changements de taille démesurés qui l’amènent à se disputer avec des pigeons, mais Alice sera tout autant altérée par des règles a priori inconcevables. Le prénom de son ancien compagnon, Ulysse, est tout aussi révélateur. Les légendes de la mythologie grecque ne sont sûrement pas étrangères à la conception de Across the Grooves. Alors que le héros Ulysse faisait un long périple, jonché d’obstacles, pour retrouver son foyer, le Ulysse de Nova-Box est toujours égaré. Tandis que Pénélope passait ses journées à tisser, dans l’attente désirée du retour de son époux, Alice s’élance dans l’inconnu, afin de devenir maîtresse de son destin. Du moins, si cela est encore possible.

Le petit plus du jeu, c’est qu’une partie de l’histoire se déroule à Bordeaux (où se situe Nova-Box), puis à Paris. Qui plus est, le titre partage le même univers qu’une autre création du studio : Along the Edge (2016). Des références à cette dernière apparaissent dans l’aventure d’Alice.

Somme toute, Across the Grooves est un jeu indépendant destiné aux joueurs curieux, amoureux de l’art ou qui aiment à réfléchir. Le parcours d’Alice nous incite à méditer sur les aléas de l’existence, qui change du tout au tout, en fonction des choix que l’on fait. La vie n’est après tout que la succession de multiples versions de nous-mêmes.

Across the Grooves est disponible sur Steam à 12,99€ et sur Nintendo Switch à 16,99€.

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Quand on parle de l’histoire du jeu de rôle japonais (ou « J-RPG »), il est difficile d’ignorer la série qui a posé les premières pierres : Dragon Quest. Imaginée par Yuji Horii, la saga débutée en 1986 est un des piliers du genre, et reste encore aujourd’hui un phénomène important. Bien que les origines du genre sont nombreuses, la saga de Chunsoft et Enix (à l’époque où Squaresoft était un concurrent) reste pionnière en la matière, pour la simple raison que le premier titre sorti en 1986 est le premier jeu de rôle japonais sorti sur console de salon. Les débuts d’un phénomène, jusqu’à un cinquième épisode qui a marqué l’histoire. Acclamé par la critique, vanté dans les sondages auprès des joueurs, désigné comme l’héritier spirituel de nombreux autres J-RPG, Dragon Quest V a été décisif à sa sortie en 1992 sur Super Nintendo et a offert une nouvelle dimension au genre. Depuis, le jeu a profité de remakes sur Playstation 2, Nintendo DS et Android/iOS. Mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? C’est la question que l’on se pose dans cette première chronique rétro, où l’on vous parlera des jeux qui ont marqué leur époque, leur capacité à séduire encore aujourd’hui et de l’héritage qu’ils ont laissé.

« 100 ans après » est une chronique rétro qui vous invite à découvrir des jeux vidéo qui ont marqué notre histoire de joueurs et de joueuses, pour le meilleur comme pour le pire, en les parcourant à nouveau à notre époque afin d’y apporter un regard neuf. Chronique née en 2025, qui s’appuie sur ce premier article publié en 2020 en guise de pilote.

Un rêve d’aventures

© 2004 SQUARE ENIX LTD. All Rights Reserved

Résumer l’histoire de Dragon Quest V n’est pas une mince affaire. En s’étalant sur trois générations, le récit de Yuji Horii aborde des questions relatives à l’héritage, à la nostalgie, à l’amitié et à la filiation. Tout débute à la naissance du Héros, ce protagoniste habituel de la saga dont l’absence de nom et de dialogue sert à l’immersion : c’est là une volonté du créateur de la série, laisser le héros s’effacer derrière les joueurs et joueuses qui en prennent le contrôle. Le Héros, encore enfant s’embarque dans un voyage avec son père et commence à vivre une aventure hors du commun. Une escapade qui tourne court quand un ennemi mystérieux assassine son père sous ses yeux, puis jette le Héros, encore tout petit, en esclavage avec son ami le Prince Harry.

Une ellipse de dix longues années intervient soudainement et voilà que le monde a changé, le Héros et Harry ne sont plus personne et n’ont d’autre choix que de lutter pour retourner chez eux. Le Héros se met d’ailleurs assez vite en quête de sa mère disparue, soupçonnée d’être celle qui pourra ramener la paix, mais se heurte régulièrement à des déceptions. Particulièrement dur sentimentalement, le jeu aborde des thèmes matures sous une facette très enfantine concoctée d’un coup de crayon par Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball et artiste attitré de la saga. C’est d’ailleurs la volonté de son créateur, qui a toujours voulu parler au plus grand nombre avec un jeu à l’histoire et à la narration très simple, tout en racontant des mondes où le Mal et le Bien s’affrontent sans relâche. C’est cette forme de simplicité qui invite les joueurs et les joueuses à un voyage très personnel, très pur, avec une forme d’innocence qui cherche pourtant à forger la légende du Héros que l’on incarne. En traversant les époques, sur trois générations, le jeu profite d’un mode de narration assez rare dans les jeux vidéo, encore plus à cette époque-là. En s’affranchissant de toute contrainte temporelle, Yuji Horii révolutionnait sa propre formule. Après une première trilogie de Dragon Quest (ou « DraQue ») qui développait la légende d’Erdrick (ou Roto au Japon) sur ses trois titres, le créateur de la saga a pris une décision lourde de sens en décidant de raconter trois générations dans le même jeu. Un moyen de faire vivre son histoire sur plusieurs temporalités, en voyant un monde qui se délite à mesure que les Ténèbres accentuent leur emprise.

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Cette volonté de développer une légende n’est pas hasardeuse : il y a un vrai sens de l’aventure qui motive le titre. Inspirés par bon nombre de légendes et de classiques de la littérature, les DraQue fonctionnent essentiellement par cette idée d’opposition entre le Bien et le Mal, où un Elu apparaîtra au moment décisif pour sauver les siens. Mais cette volonté de garder une idée commune à tous les titres n’empêche à aucun instant DraQue V de s’échapper, de rêver et de bouleverser. Pourtant créé à une époque où les J-RPG racontaient leur histoire de manière très sommaire, au travers de bulles de dialogues de quelques mots à cause des contraintes techniques qui n’existent plus aujourd’hui, le titre ne cesse de surprendre et d’appeler aux émotions des joueurs et des joueuses. Les scènes fortes se succèdent, parfois simplement avec une musique ou un plan inattendu, ou simplement une rencontre et la découverte d’un village qui a ses propres problèmes. Le tout dans une succession de petits bouts d’histoire qui s’imbriquent entre eux. Racontée de manière simple et sans envolées lyriques, l’histoire de DraQue V est pourtant d’une douceur qui surprend par sa simplicité, cette aisance assez rare avec laquelle son auteur est capable de capter de nombreux sentiments sans s’étaler dans des dialogues infinis. Cette simplicité favorise le voyage et le sentiment d’incarner la légende, l’aventure est au centre d’une histoire qui se forge au rythme de nos choix. Virtuellement ouvert, le jeu délimite les zones accessibles selon l’avancée de l’histoire, néanmoins il nous laisse toujours libre de partir nous égarer dans les plaines pour gagner de l’expérience, pour explorer les environs et pourquoi pas, tomber sur un donjon qui nous offrira un trésor. L’histoire, elle aussi, offre un choix, un seul : choisir notre femme. Empreinte de misogynie, cette séquence nous demande de faire le choix parfaitement arbitraire entre notre amie d’enfance dont l’amour se révèle sur le tard, une femme qui incarne le cliché de la princesse docile ou enfin, l’autre princesse au caractère irascible et aux tendances dominatrices. Un rare égarement d’écriture, où de manière maladroite l’auteur rappelle l’importance de l’héritage et de la descendance, en se fondant sur une société qui ne voit les femmes que comme des mères potentielles. Malgré tout, celles et ceux qui font le choix de l’amie d’enfance voient là certainement la décision la plus logique et la plus sensible de tous, tant le lien qui unit le héros à cette jeune femme est fort.

La simplicité des mécaniques

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L’accessibilité est maître-mot d’un jeu qui s’adresse à toutes et à tous. Au gré des remakes et je parle ici essentiellement de la version Nintendo DS sortie en 2009 (seule version sortie officiellement en Europe), le jeu de Yuji Horii n’a jamais dénaturé ni renié sa volonté d’offrir un jeu accessible à tout le monde. Les habitués des J-RPG sont évidemment en terrain connu : les combats au tour par tour, la gigantesque carte où notre personnage se déplace d’une ville à l’autre, les sorts et la montée en niveau, DraQue V a comme particularité de concentrer un peu toutes les mécaniques fondées par les quatre jeux qui l’ont précédé et qui ont fait le succès du genre. Mais surtout, le jeu ne se veut jamais vraiment punitif. A l’exception peut-être d’un contenu secondaire qui peut à un moment donné poser un vrai mur de difficulté, le jeu reste simple à appréhender et facile à maîtriser. Il dévoile sa boucle de gameplay très lentement, de manière à ce que chacun puisse assimiler les forces et faiblesses de chaque compétence, de chaque arme ou de chaque… monstre. En effet, DraQue V a également comme particularité d’avoir imaginé à l’époque ce qui inspirera plus tard la création d’un certain Pokémon : la capture de monstres. Si Pokémon a largement étoffé la formule par la suite, le jeu de Yuji Horii nous proposait au bout d’un certain nombre de combat, parfois, de voir des monstres se joindre à nous pour combattre à nos côtés. Une petite révolution pour l’époque, et surtout l’assurance de voir un jeu qui se renouvelle sans cesse avec l’apparition de monstres toujours plus forts pour améliorer notre équipe.

© 2004 SQUARE ENIX LTD. All Rights Reserved

Et c’est bien là, un des autres héritages du jeu. La saga a fondé un genre, mais DraQue V est allé un peu plus loin en multipliant les idées. Des mécaniques simples, une chasse aux monstres pour les transformer en compagnons, des dialogues qui vont à l’essentiel, mais toujours sans renier sur son ouverture à tous. Alors que la difficulté est depuis bien longtemps marotte des jeux vidéo, flattant l’égo de joueurs qui veulent être les meilleurs pour se vanter de leurs exploits, la saga des Dragon Quest n’a jamais cessé de reposer sur des interfaces et des systèmes simples à appréhender. Le cinquième épisode est un peu la somme de toutes ces idées, bien que depuis il y a eu un onzième épisode qui a largement exploité ces codes et cette forme de nostalgie, et c’est ce qui permet à DraQue V d’être encore aujourd’hui une référence du genre. Il suffit de voir la place que le jeu a dans le cœur des joueurs et des joueuses au Japon, un pays où la saga est l’une des plus populaires. En 2016, le remake sur Playstation 2 (qui date de 2004) s’était par exemple placé à la tête d’un sondage où quelques 10 000 fans japonais devaient élire le « jeu Playstation le plus populaire de l’histoire », montrant à quel point le titre a su marquer toute une génération qui a, ensuite, transmise cet amour de la saga à ses enfants. Il y a un rapport très intime et familial autour de Dragon Quest, la série ayant grandi avec ses joueurs et ses joueuses, alors il n’est pas très étonnant de voir que l’épisode qui aborde son histoire sur plusieurs générations d’une même famille retentisse avec autant de force dans le cœur de ses fans.

Au rythme d’une musique inoubliable

© 2004 SQUARE ENIX LTD. All Rights Reserved

Si la saga a une telle place dans nos cœurs, c’est aussi parce que sa musique a accompagné de longues heures de jeu avec un entrain qui se distingue très largement d’autres sagas de J-RPG populaires. Créée par Koichi Sugiyama, la bande-originale de la saga a doucement été réinventée au fil des épisodes en gardant, malgré tout, toujours la même ligne directrice. Il y a certains titres qui se répètent et qui reviennent à chaque fois, on pense avant tout à la fameuse Overture de l’écran-titre avec ses trompettes et son air grandiloquent qui a créé l’identité musicale si particulière de la saga, mais Sugiyama a tout de même su apporter à chaque épisode une ambiance qui diffère légèrement. Et son travail sur DraQue V est certainement l’une de ses plus belles compositions, donnant lieu à une réinterprétation symphoniques d’une beauté absolument folle à l’occasion du remake sur Playstation 2. Une plateforme où le compositeur a pu s’affranchir des contraintes techniques de la Super Nintendo pour dévoiler toute la subtilité d’une composition qui traverse les âges, tant dans la réalité que dans cette histoire générationnelle que nous raconte le jeu. A ce propos je ne peux d’ailleurs que vous conseiller La Légende Dragon Quest de Daniel Andreyev chez Third Editions. Influencé par Bach et Debussy, le compositeur de la saga fait partie intégrante de son identité : si les mécaniques, les monstres et les histoires reposent sur un socle commun, la musique elle évoque sans cesse une nostalgie aux fans qui se rappellent les meilleurs moments du jeu, et d’autres épisodes, en l’écoutant.

© 2004 SQUARE ENIX LTD. All Rights Reserved

Mais Koichi Sugiyama est aussi aujourd’hui le point faible de DraQue. Je ne m’étalerai pas sur l’ensemble de la saga ou sur sa proposition relativement fainéante sur le onzième épisode car il s’agit bien ici de n’aborder que Dragon Quest V, mais c’est sur le plan personnel et médiatique que le personnage repousse. Sur Pod’Culture, nous avons des convictions qui ne nous permettent pas de passer sous silence l’historique de certains personnages que l’on est susceptible d’aborder et Koichi Sugiyama est l’un de ceux dont la personnalité vient malheureusement entacher une carrière qui aurait pu être sans accroc. Homme détestable qui fait partie d’une mouvance qui tend à diminuer la responsabilité du Japon dans les atrocités commises par l’armée impériale pendant la Seconde Guerre mondiale, il vire même au négationnisme en niant par exemple le massacre de Nanjing ou l’existence des « femmes de confort » pendant cette même guerre (en savoir plus). Sugiyama est un homme vieux, influent, qui se sert de sa puissance médiatique pour faire passer des messages nauséabonds qui sont à mille lieux de ce que l’on défend. Je ne vous ferai d’ailleurs pas l’affront de parler de séparation de l’homme et de l’artiste, une idée qui sied particulièrement bien à une catégorie dominante qui voit là un moyen idéal d’absoudre ses propres crimes et de ne jamais rendre de comptes. Son travail sur Dragon Quest n’a jamais été, de manière claire, influencée par ses idées et ses déclarations : la musique, souvent enjouée, traduit un rêve d’aventure épique et de rencontres inopinées. Pour autant, chacun a réagi de manière différente en découvrant cette facette de celui qui a créé l’identité musicale de la saga. A titre personnel je n’ai découvert qui il était que très tard, bien après avoir fait la rencontre de Dragon Quest, et n’ai cessé d’aimer la saga et sa musique. Cependant, il semble important de toujours rappeler qui est Sugiyama : ceux qui nient la souffrance des autres ne doivent jamais profiter d’une quelconque complaisance médiatique.

L’héritage de Dragon Quest V

Dans cette chronique, la première question que l’on se posait était celle de l’héritage. Que reste-t-il aujourd’hui de Dragon Quest V ? Après avoir exploré tout ce qui a créé sa popularité, on voit que le titre a laissé son empreinte sur l’industrie. Toujours dans le cœur des fans de J-RPG, inspirant même l’une des séries de jeux les plus vendues au monde, Dragon Quest V est à mon sens un titre formidable tant pour s’initier au genre que pour en comprendre l’importance. Le jeu a profité de deux remakes qui l’ont remis visuellement au goût du jour, mais ses mécaniques elles n’ont jamais pris une ride, reposant sur des idées simples mais très intelligentes. Le jeu a tant de choses à dire sur l’aventure, sur l’amitié et la famille, sur la nécessité de se serrer les coudes et d’accepter ses faiblesses sans les voir comme une tare. La saga, et ce cinquième épisode canonique n’y échappe pas, évoque sans cesse des valeurs d’ouverture et de bienveillance, une manière positive d’aborder une aventure qui aborde pourtant parfois des thèmes difficiles. Malheureusement, si Dragon Quest V reste un jeu formidable à jouer en 2020, il est extrêmement difficile de se le procurer : les versions Super Nintendo et Playstation 2 ne disposent pas de traduction, tandis que la seule version française sortie sur Nintendo DS fait l’objet de spéculations nombreuses, introuvable en neuf et à des coûts improbables en occasion. Il existe aussi une version Android et IOS qui est quant à elle facilement accessible, mais je ne peux garantir la qualité d’une expérience de quelques quarante heures sur smartphone.

Dans tous les cas et c’était bien l’objectif de cette chronique rétro, je ne peux qu’espérer vous avoir donné envie à Dragon Quest V, l’un des plus grands J-RPG, qui a encore tant de choses à nous dire sur le genre et sur l’évolution de l’industrie avec sa manière de proposer une aventure aussi bouleversante sans engager des moyens phénoménaux. La simplicité de Dragon Quest est parfois vue par certains comme un aveu de faiblesse ou une prise de risque minimale, mais c’est à mon sens la principale qualité de la série. C’est cette capacité à raconter de grandes choses avec simplicité qui lui donne ce côté très intime et personnel, donnant à l’aventure une saveur unique. L’idée de lier intimement les fans et Dragon Quest V, en particulier, a d’ailleurs été le moteur principal de l’histoire de Dragon Quest : Your Story, le film d’animation qui adapte librement le jeu, disponible dans nos contrées sur Netflix.

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Il est des jeux qui vous bouleversent, faisant remonter en vous des choses que vous pensiez avoir oubliées, ne plus posséder. Life is Strange en fait partie. Il y a cinq ans jour pour jour le cinquième et dernier épisode du titre de Dontnod Entertainment débarquait sur nos plateformes de jeu. Ce premier Memory Card est un modeste mais sincère cadeau d’anniversaire à ce petit bijou vidéoludique.


Un samedi soir sur la Terre. À plus de deux heures du matin, dans une résidence endormie, je suis face à mon écran, les yeux bien ouverts, l’index de la main droite suspendu au-dessus de ma souris. Figé.

Cela doit bien faire dix minutes que je suis ainsi, dans la même position, sans presque pouvoir respirer. En apnée. Je sais pourtant que je dois avancer, cliquer. Choisir. Mais je veux encore retenir le cours du temps, juste pour quelques instants. Si je ne bouge pas, si je ferme les yeux, est-ce que tout disparaîtra ? Un leurre. Tout est toujours en mouvement.

Flashback. On rembobine la semaine qui vient de s’écouler.

Mardi. En revenant du boulot je décide de lancer en soirée le premier épisode de Life is Strange. Un an que je l’ai acheté puis installé sur mon ordinateur, sans jamais y toucher. Je sais que ce jeu va me plaire, je le sens. Mais j’ai attendu et attendu. Peut-être inconsciemment savais-je déjà que l’expérience allait me bouleverser.

Je prévois de jouer un épisode par soir cette semaine là. Un bon compromis pour avaler le jeu d’une traite tout en digérant chaque journée ses différents segments.

Je suis d’entrée accroché·e par l’univers, l’ambiance, les personnages. J’y retrouve des thématiques qui me touchent et des références qui me parlent.

Au fil des épisodes je suis de plus en plus happé·e par le jeu. Malgré ma volonté de roleplay, je ne suis pas vraiment Max, l’héroïne timide qui se révèle en même temps que son étrange pouvoir ; mais je l’accompagne. Suis-je saon ange-gardien·ne comme elle l’est pour ses amies Kate et Chloe ? J’aime à le croire. Mais peut-être que je me trompe. Que je suis sur un chemin déjà tracé, en quête d’autre chose qu’une simple expérience vidéoludique. Mais les expériences vidéoludiques sont-elles toujours simples finalement ?

Les scènes et les révélations s’enchaînent. J’ai beau avoir assez rapidement deviné qui était le salaud du jeu, ça n’a aucune importance. Ce n’est pas vraiment le sujet. Derrière la grande histoire, ce sont les petites histoires qui me touchent, résonnent en moi, ravivant mes propres souvenirs, mes propres expériences. Ma façon de percevoir mes amis d’enfance, perdus parce que je ne les cherchais plus, de snober ma ville natale, jurant au monde entier que je n’y mettrais plus les pieds, cette connexion que je ne voulais plus avoir, mon incapacité à pleinement la retrouver quand je suis revenu·e y habiter après avoir décroché un travail à proximité.

Plus je joue à ce jeu, plus tout se reforme. Cela ne donne pas un tableau complet, parfait ; plutôt un kaléidoscope de fragments qui tentent de se retrouver. L’essentiel est dans les détails. Ce sont ce qui nous forge, ce sont ce qui nous forme.

Détails après détails, choix après choix, en jouant avec son pouvoir et le temps, Max avance. Et moi dans ses pas. Des décisions dures à prendre, des chemins de traverses à emprunter. Essayer, tester, rembobiner, essayer de nouveau, échouer, rembobiner, essayer, avancer, se retourner, repartir, avancer, tester, rembobiner, échouer encore, rembobiner, choisir. Avancer.

Tout est toujours en mouvement. On peut ne pas bouger, ne pas décider, rester figé·e, la Terre, elle, tourne. Le Temps, lui, s’écoule.

Mardi, mercredi, jeudi, vendredi. Samedi. Cinquième épisode, la fin. Un rollercoaster de twists et d’émotions. Jusqu’à cette dernière scène, ce dernier choix. LE choix. Je l’ai senti venir, mais j’ai repoussé le moment, pensant que, peut-être, mais si, surement, obligé ça va aller, car iels ne peuvent tout de même pas nous demander ça les créateur·ice·s du jeu ? Si, iels le peuvent, iels en ont le droit et quelque part presque l’obligation même si ça ne nous plaît pas.

Je suis face à mon écran, une image et deux phrases figées devant moi, deux choix clignotants, et mon index de la main droite suspendu au-dessus de ma souris. Si la fin du monde arrive mais que je ferme les yeux, est-ce que tout va bien se passer ?

J’ai le cœur qui bat la chamade. Boum boum boum. Plus de dix minutes que je suis ainsi, que je sais ce que je dois faire, je l’ai sans doute toujours su, mais je ne veux pas. Pas tout de suite, pas maintenant. Je demande quelques instants de plus à un dieu inconnu. Comme si j’avais besoin d’un autre avis, de partager avec quelqu’un le fardeau que je m’apprête à porter, la décision qu’en mon fort intérieur je sais juste, si tant est que ce concept ait une quelconque signification dans ce cas précis. Choisir c’est forcément renoncer à des choses, à des gens. Mais c’est aussi avancer, en embrasser d’autres. L’essentiel est d’être en accord avec ce que l’on ressent, ce que l’on est.

Ce choix que je m’apprête à faire est le bon pour moi, je le sais. D’autres joueurs et joueuses prendront des chemins différents. Ce seront également de bons choix pour elleux. Et c’est toute la beauté de la chose. Mais ce sont là leurs choix et leurs histoires. Leurs expériences.

Mon cœur bat toujours la chamade au moment où je me décide enfin à bouger mon doigt. Boum boum boum. Clic. Voilà, c’est fait. Je ne peux plus retenir le sable qui s’écoule dans le sablier. Je n’ai jamais pu le retenir d’ailleurs. Un leurre, encore une fois. Le jeu reprend et file vers sa fin. Tout est toujours en mouvement.

Une cinématique se déclenche. Mon regard est rivé à l’écran, hypnotisé par la séquence qui défile. Mon cœur palpite toujours autant, pompe à émotions prête à céder sous la pression. J’ai l’index engourdi, surpris lui-même par ce que je viens de lui faire faire, comme si en cliquant j’avais moi-même appuyé sur la détente du pistolet qui met fin à la vie de Chloe.

Max s’effondre dans les toilettes de la Blackwell Academy. Je l’ai fait pleurer. Ses larmes de pixels tombent sur le carrelage mal lavé. De l’eau salée dégouline le long de mes joues. Une chanson du groupe Foals accompagne la cinématique finale. L’émotion monte et monte, mes larmes coulent et coulent. Je suis secoué·e de sanglots, comme si le tsunami que j’ai empêché de s’abattre sur Arcadia Bay venait dans mon corps tout emporter.

Je ne sais pas d’où il vient, mais il remonte de loin. Il était profondément enfoui en moi. Et il charrie tellement de choses. Il en laisse d’autres en route aussi, car le chemin est long. Je ne le sais pas encore, mais tout un travail sur moi m’attend, des expériences à revivre, à ressasser ; à dépasser. Essayer, tester, échouer, essayer de nouveau. Avancer. Ce tsunami en appelle d’autres. Il m’attriste et me purifie à la fois, salvateur. Une sensation étrange.

Dernière scène, un papillon bleu se pose dans un léger battement d’ailes, comme pour sécher délicatement mes dernières larmes. Le calme après la tempête.

Choisir c’est renoncer à des choses, des gens, mais c’est aussi en embrasser d’autres. Choisir c’est grandir. Avancer. Avec le monde, avec soi-même. Tout est toujours en mouvement.

Face à mon écran, les yeux bien ouverts bien rougis, je prends une profonde inspiration puis me lève enfin.

Il est plus de deux heures et demie du matin, dans une résidence endormie. Un samedi soir sur la Terre.

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Comment passer à côté de Emily in Paris ? La nouvelle série de Darren Star, le créateur de Beverly Hills 90210, Melrose Place ou encore Sex and the City débarque à Paris pour raconter les pérégrinations d’une Américaine soudainement envoyée dans la capitale française. Mais à l’instar des séries précédentes de son auteur, Emily in Paris a aligné les clichés, provoquant l’ire des Parisiens. Mais franchement, on ne va pas se le cacher : la série est plutôt rigolote à suivre grâce à son énergie débordante.

La série nous emmène dans la vie bien chargée d’Emily (incarnée par Lily Collins), fraîchement débarquée à Paris. L’Américaine a en effet été mutée par sa société de marketing basée à Chicago pour aller superviser la boîte Française spécialisée dans le luxe qu’elle vient d’acquérir. Mais l’Américaine ne peut pas éviter le choc des cultures, tant dans sa vie personnelle que professionnelle où sa cheffe Sylvie (jouée par Philippine Leroy-Beaulieu) lui fait vite comprendre qu’elle n’est pas la bienvenue.

Ô Ville Lumière

Photo by NETFLIX/CAROLE BETHUEL – © 2020 Netflix, Inc.

Pour peu que l’on fréquente les réseaux sociaux, il était difficile d’ignorer tout le bruit qu’a provoqué Emily in Paris. Influenceurs, journalistes ou simples spectateurs, tout le monde avait un mot à dire sur les clichés balancés par la série. Les Parisiens n’y semblent pas très amateurs de douches, ils ne sont pas aimables, ils se moquent de l’incapacité de l’héroïne à parler français, ils sont en retard au travail et ils sont tous infidèles. Je pourrais continuer la liste encore longtemps tant la série de Darren Star n’oublie absolument aucun cliché sur les Français et plus spécifiquement, les Parisiens. Mais on pourrait aussi parler de préjugés plus positifs qui y apparaissent : les Parisiens ont bon goût, ils sont romantiques et ils sont terriblement séduisants. En réalité, la série ressemble à la carte postale que pourrait dresser un touriste étranger passé par la capitale après avoir fait le tour des lieux touristiques, ou même celle d’un riche « expatrié » venu vivre son rêve d’une vie « à la française ». Faut-il s’en émouvoir ? Pas toujours. On remarque que ces clichés apparaissent essentiellement dans le premier épisode qui raconte, du point de vue de son héroïne, le choc des cultures vécu par une Américaine qui débarque dans une ville qu’elle ne connaît qu’au travers des publicités de produits de luxe. En se mettant à sa place, on comprend vite l’exagération de tous les détails qui peuvent la surprendre. On est face à une ville de Paris fantasmée certes, mais pas si éloignée de la réalité vécue par la catégorie sociale qu’elle aborde : celle qui est très aisée, hors sol, avec un appartement dans le cinquième arrondissement et qui passe ses soirées dans des restaurants inaccessibles ou dans un bar excessivement cher avec une vue imprenable sur la Tour Eiffel.

Il est donc évident que le Paris dépeint par la série ressemble plus à un rêve qu’à la réalité vécue par la plupart de ses habitants. A l’image du New York de Sex and the City, Emily in Paris pousse autant que possible dans l’exagération pour raconter le quotidien de personnes surprenantes, censées faire rêver avec des vies pleines de découvertes dans des lieux qui émerveillent par leur beauté. On peut s’interroger sur la pertinence de raconter le quotidien de quelques personnes qui ne brillent que par leur porte-monnaie, mais c’est la réalité qu’a choisie de raconter la série. Une œuvre qui tient essentiellement à la gentillette performance de Lily Collins qui incarne avec spontanéité un personnage qui peut être aussi attachant qu’insupportable. La série profite d’autant plus de son énergie qu’elle propose une intrigue rythmée et passionnante grâce au monde inaccessible qu’elle raconte, en donnant une vue, certes caricaturale, d’une profession qui envisage Paris sous un angle bien différent de celui que l’on connaît. La mise en scène est accrocheuse, mais on peut quand même pester contre une photographie lamentable qui peine à raconter Paris : certains environnements donnent l’impression d’être en carton-pâte alors que la série a été filmée intégralement à Paris. C’est dommage, car le concept de l’étrangère qui débarque à Paris était l’occasion de raconter une histoire au travers de la ville, plutôt que de s’en servir comme d’un simple décor à une intrigue dont l’identité parisienne se limite à quelques clichés. Mais pour cela il aurait fallu prendre le temps de se poser, d’observer et de réaliser ce qui fait Paris, plutôt que de se limiter à la brochure touristique que l’auteur a trouvé dans la chambre de son hôtel parisien. Tout n’est pas raté pour autant, puisqu’il y a suffisamment d’énergie dans cette histoire pour donner le sourire et inciter à passer à l’épisode suivant pour connaître la suite des histoires d’Emily.

Photo by NETFLIX/CAROLE BETHUEL – © 2020 Netflix, Inc.

Les privilégiés de Paris

Mais le plus gros point faible de la série à mon sens reste tout de même son incapacité à vivre avec son temps. On a beaucoup entendu parler des clichés, mais s’il faut chercher un problème essentiel à la série c’est son approche particulièrement désuète de la réalité, avec un rapport des plus douteux avec le concept de harcèlement sexuel au travail. Par exemple lorsque Emily reçoit de la lingerie d’un client qui tente de la séduire (comme la quasi-intégralité des hommes qu’elle croise), la série raconte l’évènement avec une certaine légèreté, présentant le client comme sympathique et séducteur plutôt que de rendre compte de l’inconséquence d’un tel acte dans le milieu professionnel. Cela donne vite l’impression que le showrunner Darren Star est resté très ancré dans les années 1990-2000, entre Beverly Hills et Sex and the City, à une époque où la télévision ne faisait malheureusement pas grand chose pour sortir d’un entre-soi qui ne profite qu’à une poignée de privilégiés. Ceci en refusant d’aborder frontalement des questions de société plus sérieuses, y compris ici dans le monde de la mode et du luxe qui a pourtant été frappé de plein fouet ces dernières années par de nombreuses révélations relatives aux agressions et au harcèlement. Cela sonne donc un peu faux de voir le personnage incarné par Lily Collins accepter un tel cadeau sans jamais le remettre en cause, comme si c’était un acte normal dans une ville qui semble pouvoir tout justifier. Et l’impression sur l’approche désuète de Darren Star est largement renforcée en jetant un œil à un casting qui n’a pas grand chose à faire non plus des questions d’inclusion et de représentation des minorités, confirmant une fois de plus que la posture de Netflix sur le sujet ne se vérifie pas dans les actes.

Cliché oui, exagérée toujours, mais scandaleuse pas vraiment : Emily in Paris se joue des idées reçues quitte à en abuser mais garde toujours une distance avec ses jugements sur la capitale, en observant constamment les situations dans les yeux d’Emily. On saisit vite l’intention de montrer la ville et ses habitants du point de vue d’une cadre américaine qui débarque dans un milieu terriblement privilégié. Ce n’est jamais vraiment fin, mais la série a le mérite de faire rire, de profiter d’un rythme soutenu et d’une belle dynamique autour de son héroïne qui déborde d’énergie. Sympathique, tout comme un ou deux de ses collègues, Lily Collins porte une série qui galère pourtant sur bien des sujets qui semblent plus importants que la question des clichés sur le temps de travail des Parisiens. Véritable point faible de la série, son rapport d’une autre époque avec le harcèlement sexuel et la représentation porte préjudice à sa manière d’aborder l’industrie du luxe, comme s’il n’y avait pas eu des dizaines de scandales ces dernières années. A trop vouloir idéaliser son monde Darren Star manque de recul sur des sujets qui sont aujourd’hui fondamentaux, y compris dans une comédie romantique, et même s’il est sans nul doute convaincu de ne pas faire partie du problème.

  • La série Emily in Paris est disponible depuis le 2 octobre 2020 sur Netflix. 
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Si vous êtes nouveau ici, ou que vous n’avez jamais regardé un épisode de Reflecto, je vous invite à vous rendre ici avant toute chose, pour que j’aie le plaisir de vous présenter l’émission !

Avant toute chose, il me faut préciser que cet épisode a été réalisé à partir d’une clé Switch du jeu, fournie par Just for games, le distributeur du jeu en France

Untitled Goose Game m’intriguait depuis un moment, beaucoup de monde en ayant loué les mérites depuis sa sortie l’an dernier. La sortie du jeu au format physique le 29 septembre dernier sur PS4 et Switch m’a donné l’occasion d’enfin me plonger dans les aventures de l’oie la plus connue du monde du jeu vidéo.

Et là, surprise : Mes sensations sur le jeu ont été très différentes de celles auxquelles je m’attendais. Ce qui m’a donné envie d’aller faire quelques recherches sur les origines de l’humour très particulier utilisé dans Untitled Goose Game

Bon visionnage à tous, et à très vite dans les commentaires (ici ou sur Youtube) !

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Harley Quinn est sans doute le plus populaire des personnages féminins de l’univers DC Comics. Depuis sa première apparition à la télévision dans Batman la série d’animation en 1992, jusqu’à aujourd’hui avec les films Suicide Squad et Birds of Prey, l’antagoniste a connu de multiples incarnations entre séries animées, films et comics. Peut-être même trop. A force d’être surmédiatisée ces dernières années, Harley Quinn paraît dénaturée de son caractère d’origine : ultra-sexualisée, dans une relation de plus en plus tordue avec le Joker, parfois moins ambiguë et méchante que ne l’est vraiment le personnage, ou faussement subversive. Bref, sous-exploitée, pour un personnage qui a pourtant tout pour être intriguant et lunatique à souhait.

Alors, quand des comics one-shot spécifiquement dédiés à Harley Quinn sont parus cette année, on pouvait en attendre le pire comme le meilleur. Et heureusement, Harleen de Stjepan Šejić ainsi que Harley Quinn : Breaking Glass de Mariko Tamaki et Steve Pugh, tous deux publiés chez Urban Comics cette année, proposent de revisiter fidèlement le personnage avec une nouvelle origin story de l’anti-héroïne. Partons donc pour deux plongées dans l’esprit ambivalent d’Harley Quinn !

Harleen, scénarisé et illustré par Stjepan Šejić : Une descente aux enfers noire et sublime

© 2020, Harleen, Urban Comics / DC Comics

Harleen Quinzel est une jeune psychiatre au passé un peu mouvementé, mais ambitieuse. Désireuse de prouver que la sociopathie des criminels est la conséquence de conditions de vie violentes et conflictuelles, elle parvient à obtenir un poste à Arkham Asylum. Là-bas, elle n’a que l’embarras du choix parmi les criminels enfermés, pour valider sa théorie : Poison Ivy, Szaz, l’Homme-Mystère, le Chapelier… Mais le meilleur candidat reste le Joker, l’homme qui a failli la tuer quelques semaines plus tôt. Tour à tour terrifiée et fascinée, Harleen va entamer la longue chute qui la mènera à devenir Harley Quinn.

« Mon histoire, c’est celle où la fille danse avec le diable tandis qu’il la guide sur la route de l’enfer… Un chemin qui commence, comme bien souvent… avec une bonne intention. »

© 2020, Harleen, Urban Comics / DC Comics

On pourrait penser l’histoire d’amour entre Harley et le Joker déjà vue et revue. Mais Stjepan Šejić lui offre une nouvelle vision, mature, intelligente et sombre. Plus que tout, il se focalise sur Harleen, la psychiatre désireuse de faire justice, plus que sur Harley, la criminelle déjantée dont on a quelques aperçus à certaines pages. C’est de son point de vue que nous découvrons l’histoire, assistant à ses rêves, ses fantasmes, mais aussi à des troublants parallèles avec les autres personnages qui croisent son histoire.

Ce n’est pas anodin si on trouve la citation sur le chemin de l’enfer pavé de bonnes intentions au début du comic book. Harleen Quinzel est une jeune femme de bonne volonté, parfois encore un peu naïve, quelquefois cynique, mais déterminée à faire le bien et à prouver qu’on peut guérir les criminels de leur noirceur, ou au moins comprendre qu’ils ne sont pas initialement des monstres. C’est dans cette quête optimiste qu’elle entre à l’asile d’Arkham ; mais ses espérances sont vite balayées par la froideur hostile du lieu, par l’égocentrisme de prisonniers plus intéressés par ce qu’ils sont que comment ils le sont devenus, ou encore par le jeu politique de Harvey Dent, qui cherche à nuire à ses recherches. Notre psychiatre se révèle, comme tout être humain, en proie à des failles qui n’échapperont pas au Joker, le patient avec lequel va débuter une relation ambiguë, ou même à Poison Ivy, superbement dessinée. La présence de celle-ci, même passagère, n’est pas anodine : c’est un personnage souvent relié à Harley Quinn dans d’autres comics, où elle est sa confidente ou sa petite amie.

© 2020, Harleen, Urban Comics / DC Comics

Mais la relation avec le Joker est évidemment au cœur même de l’histoire. Le célèbre vilain apparaît sous les traits d’un beau Joker, qui ne manque cependant pas de traumatiser Harleen lors de l’introduction du comics – un traumatisme qui trouvera son sens dans la suite de l’histoire. Avec ses airs de rock star lunatique, on ne sait jamais véritablement sur quel pied danser avec lui. Est-il parfois sincère envers Harleen, voire amoureux ? Ne joue-t-il qu’un jeu afin de la piéger, inversant les rôles de psychiatre et de patient ? Le Joker est ici énigmatique à souhait, naviguant entre mégalomanie déjantée, blagues sinistres et homme dévoré par la noirceur de ses actes. Tour à tour effrayant et séduisant, il a tous les atouts pour être celui qui mènera lentement Harley à sa chute – elle croyant saisir sa main pour l’aider à se hisser hors du gouffre, et lui, l’y entraînant avec force… Tout le comics est empreint de cette relation aussi vénéneuse que fascinante, parfaitement dans l’esprit des deux personnages.

© 2020, Harleen, Urban Comics / DC Comics

Le jeu de miroirs et de symétries des cases, s’ils évoquent souvent le face à face avec le Joker, les moments où Harleen et lui se rapprochent, sont aussi utilisés avec brio pour mettre l’héroïne en reflet avec Harvey Dent, le futur Double-Face. Ce dernier, ironiquement, subit un peu près le même chemin que la psychiatre – de bonnes intentions trop obstinées le menant à l’enfer. Tous deux suivent la même route vers leur destin d’antagonistes, bien que réagissant différemment à la noirceur de Gotham : Harleen avec un souhait de rédemption, Harvey avec l’impossibilité de croire à la moindre nuance chez les criminels. Outre Double-Face, le Joker et quelques autres méchants iconiques de la ville, on croise évidemment Batman. Si celui-ci n’apparaît que dans quelques scènes, et n’est jamais clairement mis en avant, c’est sous forme de silhouette imposante aux yeux étincelants. Avec le Joker, il est souvent dans l’ombre et la fumée, une figure avalée par les combats qu’il mène pour la ville, au final aussi insaisissable que son ennemi juré. Mais face à Harleen, c’est à une représentation iconique de Batman qu’on assiste, le vengeur qui se distingue car il se refuse à tuer, espérant peut-être lui aussi la rédemption de ceux qu’il capture. La conversation qu’il a avec la psychiatre à ce sujet parvient, en quelques images et paroles, à être mémorable et significative pour le reste de l’histoire.

© 2020, Harleen, Urban Comics / DC Comics

Harleen est une origin story dont on sait que Harleen ne ressortira pas indemne, devenant Harley Quinn, compagne et complice du Joker. On sait pertinemment que le Joker la manipule insidieusement. Pourtant, le talent de Stjepan Šejić, c’est de revisiter cette histoire sans la dénaturer, de faire de son héroïne une jeune femme au parcours brillant mais parsemé de quelques embûches. La dégringolade d’Harleen n’est pas causée que par sa relation toxique avec le Joker : c’est aussi une conséquence d’éléments de son passé, d’un stress post-traumatique, d’une vie devenue difficile, et d’une empathie trop grande. Une narration intelligente et très psychologique, embellie par des dessins plus superbes les uns que les autres, aux visages terriblement expressifs et touchants. On ressent aisément la peine, le désespoir, la joie ou la rage d’Harleen, par une attitude, un sourire, une pose. D’autres planches, entre scènes de rêves et de fantasmes, explorent les métaphores pour représenter le couple en devenir, avec des références allant du Petit Chaperon Rouge à Alice au pays des merveilles.

Le comics ne sombre jamais dans le vulgaire, ni dans le cliché pour décrire l’histoire d’Harleen Quinzel, une version parmi d’autres, mais avec un potentiel à la hauteur du personnage. Harleen est une histoire tragique, intimiste, une perle noire avec une romance toxique, qui n’hésite pas à fouiller dans les peurs, désirs et intentions de ses personnages, pour nous livrer une héroïne à multiples facettes, et dont la déchéance est finement amenée. Le dessin et la narration de Stjepan Šejić  retranscrivent le mythe d’Harley Quinn avec autant d’élégance que d’amour, pour un protagoniste dont on croyait avoir vu toutes les nuances. Et ce, jusqu’à une dernière page sublime, exprimant à merveille sa folie et son ancienne humanité.

Harley Quinn Breaking Glass, scénarisé par Mariko Tamaki et illustré par Steve Pugh : Un récit initiatique éclatant

© 2020, Harley Quinn Breaking Glass, Urban Comics / DC Comics

Changeons d’univers et d’ambiance avec le comic book Harley Quinn : Breaking Glass, publié également chez Urban Comics mais dans la collection Urban Link, qui est dans un ton beaucoup plus adolescent et Young Adult que Harleen chez le même éditeur. Le but de la collection étant d’accrocher de nouveaux jeunes lecteurs, en proposant des réinterprétations de personnages iconiques… Mais une vision adolescente ne signifie pas pour autant une vision bâclée ou édulcorée, bien au contraire !

Harleen Quinzel a quinze ans et débarque à Gotham, pensant vivre chez sa grand-mère. Celle-ci étant décédée, la jeune fille est recueillie par Mama, une drag-queen au cœur d’or. Avec sa personnalité explosive, Harleen entre alors au lycée de Gotham, devient la meilleure amie d’Ivy, puis l’ennemie de John Kane, fils de richissimes entrepreneurs. Quand les Kane décident de racheter et raser le cabaret de Mama, c’est l’injustice qui pousse Harleen à se révolter.

« La voie des anges est trop longue et difficile pour la plupart des gens. Celle des démons, c’est une simple chute… qui mène droit en enfer. »
« Mais quand t’es au milieu, comment tu sais si tu montes ou si tu descends ? »
« Tu ne perds pas de vue ce pour quoi tu te bats…et tu regardes qui se bat avec toi. Ça devrait suffire à t’indiquer dans quelle direction tu vas. »

© 2020, Harley Quinn Breaking Glass, Urban Comics / DC Comics

Au tout départ, Breaking Glass peut rebuter. Je l’ai d’ailleurs été pendant un instant, peu habituée à ce trait de dessin, à ces couleurs dominantes en gris-bleu froid. Et puis, les illustrations de Steve Pugh fonctionnent, car aux cases monochromatiques surgissent des touches de rouge éclatant, des nuances spécifiquement appropriées aux différents personnages rencontrés. Ce jeu de couleurs, tout en contraste, devient alors l’un des points forts du comic book, soulignant la force de tel protagoniste ou montrant comment l’histoire se dirige vers un point bien plus dangereux ! Par ailleurs, des flash-back aux tons orangés et chatoyants mettent aussi en scène l’héroïne dans son enfance. Même à cette période, elle était loin d’être recommandable !

© 2020, Harley Quinn Breaking Glass, Urban Comics / DC Comics

Le comics prend la voie d’une autre réinterprétation, celle d’une Harleen Quinzel adolescente, au passé déjà entaché de petits délits, prête à commencer une nouvelle vie à Gotham. Pourtant, dans ce portrait, tout le personnage est déjà presque là. Cette Harley est une véritable bouffée d’air frais : pétillante, drôle, enjouée, naïve, optimiste, parfois complètement délurée, emplie d’une énergie folle. Et avec ses futurs mauvais côtés : faire confiance aux mauvaises personnes, répondre aux embrouilles par des coups et des explosifs, agir de façon impulsive et irréfléchie… Oui, tout est déjà presque là. Mais ce que j’ai le plus aimé dans Breaking Glass, c’est justement qu’Harleen soit aussi entière avant de rencontrer le Joker. On comprend les origines de son surnom et de son costume, inspirés par la petite bande de drag-queens qui la recueille à Gotham comme une seconde famille ; son caractère lunatique est déjà présent, tout comme sa dangerosité.

Ce sont ensuite les personnes qu’elle croise qui contribueront à forger davantage sa destinée. On n’adhère ou on n’adhère pas au Joker, à la personnalité anarchiste manquant parfois un peu de folie. Ivy est très touchante : ici Afro-américaine, elle se retrouve profondément engagée dans la lutte pour les droits sociaux, la diversité culturelle ou la protection de l’environnement. C’est principalement ce duo qui ressort, entre anarchie explosive et militantisme pacifiste, agissant presque comme un petit ange et un petit diable sur les épaules de la future Harley Quinn. Par ailleurs, il n’est pas impossible de croiser un certain Batman… Ces personnages, adolescents et encore aux prémices de leurs destins iconiques, sont réécrits avec intelligence pour aborder des problématiques actuelles auprès de leurs lecteurs. Et ça marche terriblement bien, tant de nombreuses thématiques sont abordées avec aisance, sous le regard énergique et enjoué d’une Harley éclatante.

© 2020, Harley Quinn Breaking Glass, Urban Comics / DC Comics

Breaking Glass s’éloigne certes de de l’ambiance des comics habituels, mais sa réinvention du personnage est véritablement plaisante. L’histoire parle de la difficulté à savoir qui l’on veut devenir et comment. Une fois n’est pas coutume, c’est en partant avec de bonnes intentions, qu’Harley se retrouvera à suivre une voie beaucoup moins tranquille et innocente qu’elle ne l’aurait voulu. Mais l’intrigue porte aussi des messages de tolérance, de militantisme, d’égalité sociale, et de la manière d’y parvenir. Surtout, son héroïne est emplie d’une énergie qui n’appartient qu’à Harley Quinn, empreinte de sourires, de jeux de mots, d’absurdité, de comportements aussi violents que parfois enfantins. Ce n’est pas pour rien qu’ici encore, on l’assimile souvent à Alice au pays des merveilles !

On ne peut pas lire Harley Quinn : Breaking Glass en attendant la même chose que de Harleen. Le premier est aussi lumineux et étincelant que le second est sombre et psychologique, destinés à des publics différents. Ils explorent à leur manière les aspects positifs de l’âme humaine, mais aussi ses méandres tortueux, en proposant deux incarnations, deux origins stories. Pourtant, de leur façon propre, ils sont fidèles à l’esprit d’une Harley Quinn ambivalente qu’ils réécrivent, avec des illustrations souvent magnifiques, parfois symboliques, mais toujours expressives. Une véritable redécouverte d’une anti-héroïne que, pour ma part, je ne portais pas spécialement dans mon cœur !

Vous pouvez gratuitement découvrir les premières pages de Harley Quinn Breaking Glass et Harleen sur le site d’Urban Comics.

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Vous êtes-vous déjà demandé ce que cela ferait si vous vous retrouviez en mesure d’entendre les pensées les plus intimes de votre entourage, le tout sous forme de numéros musicaux ? En y réfléchissant bien, il est fort probable que votre réponse soit négative. Ayant oeuvré par le passé sur Gossip Girl et Jake in Progress, le showrunner Austin Winsberg s’est, lui, déjà bel et bien posé cette question, au point d’affubler l’héroïne de sa nouvelle comédie, Zoey et son Incroyable Playlist, de cet étonnant pouvoir. Une série idéale pour enchanter l’automne ?

Jane Levy met vos pensées en musique dans Zoey’s Extraordinary Playlist – ©NBC (2020)

Zoey Clarke a la trentaine, une vie bien rangée, un travail stable dans une start-up en vogue de San Francisco et un désamour profond pour les comédies musicales. Cette jeune femme active et passionnée à qui tout semble sourire doit pourtant faire face à une situation familiale compliquée. En cause, son père, Mitch, atteint d’une maladie dégénérative rare. Inquiète à l’idée que cette pathologie soit héréditaire, notre héroïne se décide, malgré son intense claustrophobie, à passer une IRM afin de se rassurer un minimum… et c’est évidemment à ce moment-là que les ennuis vont commencer. Coincée dans la machine infernale tandis qu’un tremblement de terre survient alors, Zoey en ressort finalement avec une aptitude étonnante.

Devenue une « X-Men croisée avec The Voice » (ce sont ses propres mots), la voilà désormais en mesure de capter une curieuse fréquence habituellement inaudible pour tout être humain, une particularité qui se traduit par la possibilité d’entendre les états d’âme de tout son monde au travers d’étranges séquences musicales que Fame et Glee seraient largement aptes à envier. Une foule d’anonymes ayant besoin d’une aide précieuse ? Retentit alors « Help ! » des Beatles. Un meilleur ami secrètement amoureux ? Il se mettra à entonner « I Think I Love You » de The Partridge Family. Une mère au bout du rouleau ? Place à « A Little Less Conversation » du King Elvis Presley.

Aussi capricieux qu’incontrôlable, ce super-pouvoir surréaliste, Zoey va, bien malgré elle, devoir apprendre à l’exploiter au mieux, ce dernier s’accompagnant en supplément d’une mission bien précise : aider ses proches à retrouver une certaine forme d’équilibre dans leur quotidien.
De
Whitney Houston à Ed Sheeran, de R.E.M. à Miley Cyrus ou même des Rolling Stones à DJ Khaled, la sélection de morceaux présente dans la série ratisse plus d’une cinquantaine d’années de tubes anglo-saxons et se révèle être une torture psychologique redoutable pour notre pauvre héroïne qui remarquera bien vite qu’elle ne peut désormais échapper à cette nouvelle destinée.

Les voix du succès

Véritable série à concept, Zoey et son Incroyable Playlist a largement matière à faire sourire quiconque se retrouverait nez à nez, sans la moindre préparation au préalable, face à son pitch pour le moins unique en son genre.

Zoey’s Extraordinary Playlist s’offre également de grands numéros musicaux en groupe – ©NBC (2020)

Pour autant, cette création made in NBC, également produite par Paul Feig, cache bien son jeu au sein de sa promotion et seul(e)s celles et ceux osant se lancer dans cette bien étrange aventure musicale seront en mesure d’apprécier toute la dimension tragi-comique qui la compose. Au-delà de ses prestations grandiloquentes, ce show ambitieux, bien qu’un peu fauché, production de network oblige, fait preuve d’une humanité que l’on ne peut que prendre plaisir à retrouver sur nos écrans durant cette période pour le moins complexe que notre société traverse. Qu’elle aborde la maladie, l’homosexualité, l’angoisse de la paternité, la foi, les troubles obsessionnels ou encore la charge mentale, Zoey et son Incroyable Playlist maîtrise son ton et ses sujets en faisant preuve d’une étonnante délicatesse lorsque le besoin s’en fait sentir. Grâce à cela, la série ne s’interdit rien et use de toutes ses aptitudes pour nous faire rire comme une madeleine autant que pleurer aux éclats. Dans ce petit jeu des émotions, l’ensemble de la distribution déroule sa partition avec une efficacité redoutable. Lumineuse et excentrique, la géniale Jane Levy, déjà vue dans Evil Dead (2013), Castle Rock et What/If, surprend plus que jamais dans un rôle à mille lieues de ses précédentes interprétations, tandis que tout le reste de la troupe de comédiens et comédiennes, composée de figures reconnues venues d’une multitude de productions américaines, de Lauren Graham (Gilmore Girls, Parenthood) à Peter Gallagher (Newport Beach, Covert Affairs) en passant par Mary Steenburgen (Philadelphia, The Last Man on Earth) et Skylar Astin (Pitch Perfect), lui donne la réplique dans des séquences aux joutes verbales savoureuses dans lesquelles les punchlines, souvent mordantes, fusent.

Zoey Clarke (Jane Levy) en compagnie de son excentrique et bienveillant voisin Mo (Alex Newell) – Zoey’s Extraordinary Playlist – ©NBC (2020)

Mention spéciale pour Alex Newell (Glee), interprète du fabuleux Mo, le voisin excentrique et non-binaire de Zoey, un second rôle aussi touchant qu’hilarant, obsédé par la mode et la musique, dont la répartie, le franc-parler et la puissance vocale constituent le sel d’une grande partie de la série.

La Nouvelle Star d’un genre ?

Vous l’aurez probablement compris à la lecture de ce précédent paragraphe, Zoey et son Incroyable Playlist est tout autant un savant concentré de vitamines D qu’un redoutable moyen de vous vider un paquet de Kleenex dans son entièreté.
L’enthousiasme général, les performances galvanisantes et la colorimétrie chatoyante composent un délicieux cocktail de bonne humeur qui se voit presque instantanément contrebalancé à chaque séquence par une tonalité réaliste et un rappel permanent aux difficultés que tout un chacun peut finalement se voir affronter un jour ou l’autre au sein de son quotidien.
En se penchant un peu sur le sujet, cet équilibre narratif ne représente-t-il pas le marqueur d’une dramédie efficace ? L’une de celles qui nous permettra tout autant de nous évader un instant tout en nous invitant à nous interroger sur une myriade de sujets aussi importants que souvent intimistes pour les auteurs et autrices qui se cachent derrière ? Dans le cas de
Zoey et son Incroyable Playlist, la série est dédiée à Richard Winsberg, le père de son créateur, décédé des suites d’un long combat contre la Paralysie supranucléaire progressive, tout comme la figure paternelle de l’héroïne.

Finalement, derrière les paillettes et les chansons pop, l’irrésistible Zoey et son Incroyable Playlist est avant-tout une création infiniment importante et personnelle pour l’homme qui en a eu l’idée. Un récit à l’humanité évidente qui se ressent tout au long des 12 épisodes qu’elle comporte. Un miroir déformant de la réalité qui ne pourra que difficilement laisser quiconque indifférent, y compris pour les plus réfractaires au genre si particulier qu’est la comédie musicale.

Grâce à ses nouveaux dons, Zoey Clarke (Jane Levy) peut recommuniquer avec Mitch (Peter Gallagher), son père malade – Zoey’s Extraordinary Playlist – ©NBC (2020)

Bien plus proche du comique noir et doux-amer de la tout aussi excellente Crazy Ex-Girlfriend que du charme délicieusement nostalgique, rêveur et romantique d’un La La Land (avec lequel elle partage tout de même sa chorégraphe, Mandy Moore), la série n’émet aucune fausse note et se permet même de remettre en permanence en question son propre concept, instaurant régulièrement de nouvelles règles face aux aptitudes grandissantes de Zoey qui devra apprendre à se sentir bien dans sa peau et à se comprendre soi-même avant de pouvoir épauler chacun des membres de son entourage pour qu’ils en fassent tout autant.
Durant ce passage de vie semé d’embûches, cette héroïne charismatique, initialement peu douée pour la joie de vivre et l’accueil des petits plaisirs du quotidien, finira par progresser, évoluer, s’interroger et lâcher prise avant de devoir procéder à une légion de choix qui ne pourront qu’avoir de lourdes conséquences sur la suite de son existence. Cela tombe bien, elle aura encore tout le temps d’appréhender ses innombrables bouleversements,
Zoey et son Incroyable Playlist ayant été renouvelée en juin dernier pour une seconde saison dont le tournage vient tout juste de débuter.

  • La saison 1 de Zoey et son Incroyable Playlist a été diffusée du 7 janvier au 3 mai sur NBC aux Etats-Unis. En France, la série a fait ses débuts le 19 mai sur WarnerTV et est désormais disponible à l’achat digital sur toutes les plateformes.
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