Créateur de la sympathique licence mobile Galaxy on Fire, le studio Deep Silver Fishlabs s’essaie désormais au développement sur consoles et PC, en livrant un premier titre intitulé Chorus. Encore une fois situé dans l’espace, univers de prédilection du studio, le titre mélange des intentions de RPG à un gameplay résolument orienté vers le shooter spatial pour donner un résultat plutôt surprenant, faisant de Chorus un des jeux qu’il ne fallait pas manquer fin 2021.

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du jeu par son éditeur. Jeu terminé sur Xbox Series X. 

Itinéraire d’une âme perdue

© 2020 Koch Media GmbH. Developed by the wholly owned development studios Deep Silver FISHLABS and Deep Silver Dambuster

Les jeux prenant place dans l’espace sont bien nombreux, et mélanger le RPG au shooter spatial n’a pas grand chose de novateur non plus. On pense par exemple à Rebel Galaxy Outlaw il y a quelques années qui était plutôt sympathique avec ses influences de western. Mais Chorus a d’autres choses à offrir en puisant ses inspirations ailleurs, par exemple du côté de Hellblade, en nous faisant incarner une héroïne qui tente de lutter contre ses démons intérieurs, symbolisés par une voix qui l’accompagne dans son aventure. Cela donne au titre de DS Fishlabs un ton bien plus grave que ce que l’on imaginait au premier abord, avec cette femme traumatisée, souffrant des conséquences d’une guerre à laquelle elle semble avoir pris part -et plutôt du mauvais côté. Des souvenirs de massacres et d’horreur se montrent à elle, des éléments que l’on apprend au compte goutte au travers de rencontres, mais aussi d’échos d’événements passés que l’on peut partiellement revivre avec divers collectibles. Son histoire semble mélanger une certaine forme de mysticisme à des récits de guerre plus classiques, le jeu traitant de plusieurs thématiques allant des massacres au déplacement de populations, avec par exemple une mission d’escorte de vaisseaux réfugié·e·s, où il nous sera demandé de faire un choix entre sauver des pirates face à l’adversité, ou les laisser à leur sort. Des dilemmes moraux (qui n’en sont pas vraiment, pour peu qu’il nous reste une forme d’humanité) s’imposent ainsi à une héroïne brisée et plus nuancée qu’elle n’en a l’air au départ, trébuchant parfois sur la ligne séparant le bien et le mal.

Si Chorus reste aussi mystérieux sur son histoire, c’est aussi pour appuyer sur un univers où des simili-milices (à la limite de sectes) tentent de gagner du terrain et profiter d’un certain chaos ambiant, et en leur centre des populations qui font ce qu’elles peuvent pour survivre sur des stations parfois laissées à l’abandon. Il y a d’ailleurs un vrai sentiment d’être face à quelque chose de gigantesque, notre petit vaisseau semblant bien minuscule face au gigantesque de certaines comètes, stations et croiseurs que l’on rencontre. C’est, en ce sens, une vraie réussite tant Chorus parvient à donner l’impression d’être isolé·e et perdu·e dans l’espace, malgré la taille relativement réduite de l’aire de jeu qui consiste en une poignée de cartes que l’on peut visiter librement, pour récupérer des missions (principales ou secondaires) ou simplement se balader. Le jeu le doit notamment à une direction artistique qui sait mélanger des moments plus sombres, plus intimes, à d’autres où la lumière d’une étoile scintille à l’écran pour illuminer le côté d’une station abandonnée, offrant à Chorus une ambiance bien particulière. Celle-ci est appuyée par la bande originale de Pedro Camacho (qui a travaillé sur The Witcher 3, World of Warcraft et le fameux Star Citizen, qui existera un jour, peut-être) capable d’être épique comme il faut à l’occasion. Et cela n’est pas de trop, car l’ambiance du jeu parvient souvent à sauver une histoire qui, si elle a ses bons moments, souffre de quelques moments de vide entre deux grands événements.

Dextérité et agilité

© 2020 Koch Media GmbH. Developed by the wholly owned development studios Deep Silver FISHLABS and Deep Silver Dambuster

Le côté finalement lent et contemplatif de l’histoire et de l’exploration, tranche complètement avec son gameplay où l’agilité du vaisseau est au moins égale à sa vitesse. Les affrontements contre les vaisseaux ennemis prennent vite des airs de chorégraphie, où il faut jauger accélération et dérive pour prendre le dessus. Le système de dérive est d’ailleurs un exemple en la matière, le jeu permettant de laisser partir son vaisseau à la dérive, tout droit, tout en se retournant sur lui-même pour se retrouver derrière les ennemis et ainsi pouvoir les prendre à revers. Le gameplay peut être un tantinet difficile à prendre en main au début face aux nombreuses manœuvres possibles, toutefois le jeu devient vite un plaisir lors de ces séquences, tant le sentiment de réciter un ballet aérien est prégnant et offre une certaine virtuosité dans ce qu’il se passe à l’écran. Ces séquences sont intenses, peuvent parfois tourner la tête, mais constituent des moments de grâce dans un titre qui n’en manque généralement pas.

Mais ces moments s’opposent à d’autres moins folichons, qui consistent en des sortes de donjons que l’on explore à la découverte de divers souvenirs et artefacts, où il faut parfois compléter des sortes de puzzles qui servent essentiellement à exploiter les différentes capacités de notre vaisseau, entité quasi-vivante qui nous parle régulièrement. Ces moments semblent parfois inappropriés, même s’ils ont le mérite d’apporter de la diversité en nous éloignant du gigantesque vide spatial des autres séquences. Mais cela nous oblige aussi à avancer très doucement, calmement, pour passer dans des conduits plutôt étroits où le chemin est tout tracé. Ces séquences sont toutefois aussi exploitées de manière plus intéressante dans d’autres circonstances, puisque l’on retrouve cette même topographie de zones étroites quand on doit -littéralement- détruire d’imposants croiseurs de l’intérieur. Des moments franchement réussis, qui montrent que malgré ses moyens relativement limités, Chorus est capable de faire preuve d’une belle ambition dans la diversité de ses scènes.

Solitude spatiale

Et c’est pour Chorus un bon moyen de donner vie à son univers, en multipliant les ambiances dans un monde ouvert qui est certes relativement petit, mais suffisamment vaste dans ses intentions pour donner l’impression de toujours avoir quelque chose de nouveau à découvrir. Le jeu compte d’ailleurs sur sa durée de vie plutôt réduite (dix à quinze heures) pour éviter de tomber dans la lassitude, se contentant d’offrir tout ce qu’il a pendant le temps que ça dure, avec quelques séquences d’une beauté assez inattendue. Le jeu n’est toutefois pas exempt de tout reproche, puisque que s’il est plutôt joli, il souffre occasionnellement de chutes de framerate (sur Xbox Series X, au moins), notamment dans les donjons dont je parlais plus tôt. On aurait aussi aimé qu’il y ait plus de vie aux abords des stations qui n’ont pas encore été détruites, il faut se contenter de quelques vaisseaux statiques et d’autres qui parcourent les voies rapides installées pour rejoindre les différentes zones.

Chorus est un jeu audacieux, malin dans sa manière de mélanger les situations et fort d’une narration qui a ses bons moments. On lui doit surtout un univers agréable à parcourir et à découvrir, dans une forme d’aventure qui nous invite à explorer le passé de son héroïne torturée pour éviter qu’elle reproduise les mêmes erreurs. Entre ses thématiques mystiques et d’autres plus contemporaines, le jeu sait être intéressant, mais souffre parfois de moments de creux qui viennent mettre un coup au rythme du titre. Pas toujours aussi captivant qu’on l’espère, le jeu est parfois submergé par ses ambitions et par les belles choses qu’il est capable d’offrir, comme s’il ne parvenait pas toujours à maîtriser ses idées jetées sur un brouillon pour éviter de perdre de vue ce qu’il y a de plus important. Chorus est un titre atypique qui mérite qu’on s’y attarde, en lui pardonnant ses quelques errements tant il peut faire preuve d’une belle générosité.

  • Chorus est sorti le 3 décembre sur PC, Xbox One, Xbox Series X|S, PlayStation 4 et PlayStation 5.
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Publié en VF au cours de l’année 2020, Doppelgänger est un manga écrit par l’autrice Tamaki Vanessa Chihiro, un thriller où un homme condamné à mort à tort revient dans le passé pour trouver le véritable meurtrier. Une quête de vérité qu’il mène avec son double, sa personne du passé, dans un thriller intense qui revient en cette fin d’année dans une intégrale aux éditions Kazé Manga. Une bonne occasion pour s’y replonger et pour dire pourquoi ce manga m’a attiré.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi de l’intégrale par son éditeur.

Un thriller prenant

Condamné à mort et exécuté après avoir passé onze longues années dans le couloir de la mort, Kenzaki Makoto était autrefois un sculpteur adulé. Un artiste qui a connu des hauts et des bas, qui a fini par atteindre la reconnaissance tant espérée et qui a vu sa vie être fauchée par une accusation de meurtre contre laquelle il a toujours clamé son innocence. Pourtant, c’est bien lui qui finit exécuté pour le quadruple meurtre de ses anciens camarades d’université. Mais soudain, alors qu’il vient d’être pendu, il se réveille onze ans en arrière, quelques jours avant le premier meurtre, et réalise vite qu’il s’agit d’une deuxième chance qui lui est offerte pour trouver le véritable coupable. Le meurtrier, celui qui a tout fait pour que Kenzaki Makoto soit accusé à sa place, n’a en effet jamais été inquiété par la police. Pour le débusquer, notre héros va faire équipe avec lui-même, le Makoto du passé. Très vite, on se doute que Doppelgänger raconte une histoire très personnelle : si le sculpteur a été accusé à tort, c’est parce qu’une personne lui en voulait suffisamment pour semer des preuves un peu partout afin de l’accabler. C’est ainsi que le duo formé par Makoto et son double se lancent dans une enquête que la mangaka Tamaki Vanessa Chihiro raconte avec beaucoup de finesse : si le manga s’avère parfois (très) violent, l’essentiel de l’intrigue tourne autour d’une enquête aux implications intéressantes, avec beaucoup de suspense et une intensité terriblement appréciable. On sent les multiples influences, autant quand on assiste à des scènes tout droit tirées des meilleurs whodunit que lorsque l’étau se resserre contre un héros pris par le temps. Car Makoto n’a pas beaucoup de temps devant lui, en revenant avant le premier meurtre, il doit le débusquer avant que ses camarades soient de nouveau assassinés.

YOKOHAMA-SEN DOPPELGANGER © 2014 by Tamaki Vanessa Chihiro/SHUEISHA Inc.

Les mystères sont nombreux mais se résolvent assez rapidement, car avec seulement quatre tomes, l’autrice multiplie les idées sur une rythme important en évitant l’écueil de faire traîner son enquête en longueur. Elle prend toutefois le temps de raconter ses personnages, qui se dévoilent peu à peu alors que Makoto est bien obligé de retrouver ses anciens camarades, qu’il déteste, pour certain·e·s. L’occasion de multiplier les points de vue sur un drame qui unit le groupe et qui a eu lieu quelques années auparavant, mais aussi une manière de donner corps et vie à une intrigue qui ne manque pas d’humanité. Plus que de simples victimes d’un récit policier, ces personnages tendent à intriguer et à émouvoir, tous·tes ayant des choses à dire, une vie et des ambitions. C’est là que le manga fait fort, en donnant un véritable sens à la quête de Makoto, confronté à ses anciens camarades, qui réalise vite qu’il n’est pas là que pour se venger des onze années de souffrance. Il est aussi là pour sauver celles et ceux qui n’auraient pas dû perdre la vie aussi tôt. Le premier tome du manga est d’ailleurs un véritable exemple de mise en place narrative, avec des protagonistes à l’intérêt rapidement mis en évidence mais aussi une manière très réussie de raconter la descente aux enfers de Makoto suite aux accusations de meurtre, de l’arrestation jusqu’à son exécution. Onze années que la mangaka résume en quelques pages sans perdre sa force dramatique, avant d’enchaîner sur son enquête.

Des personnages à plusieurs niveaux de lecture

On peut regretter malheureusement une conclusion moins intéressante : les dernières révélations dans le tome 4 donnent l’impression de rechercher le twist à tout prix, quitte à ce que le surplus de rebondissements finit par être lassant. Il serait toutefois dommage de condamner le manga pour une conclusion en deçà du reste, car l’autrice tient bien son histoire de bout en bout et offre un manga rythmé, avec un style visuel particulier mais qui convient bien au thriller, et une galerie de personnages qu’elle raconte très bien. On trouve plusieurs niveaux de lecture sur ses personnages avec un bon renouvellement des intentions et des caractères au fil des pages, on sent qu’on est face à quelque chose de très inventif. Tamaki Vanessa Chihiro montre en effet une belle originalité dans son approche du thriller, en s’appropriant certes certains codes du genre mais en y insufflant son propre style, un genre presque littéraire tant elle s’amuse des mots et des situations pour donner vie à son enquête.

Doppelgänger est certainement un beau cadeau à faire (ou à s’offrir) aux personnes qui aiment les enquêtes et les romans policiers. Le manga offre une plongée parfois suffocante dans une quête de vengeance qui n’oublie jamais de conserver une forme d’humanité, en donnant vie à des protagonistes qui ne méritent pas un destin si funeste. Fort d’une narration maîtrisée (malgré la sortie de route à l’approche de son dénouement) et d’une écriture très fine, le manga de Tamaki Vanessa Chihiro est une réussite à côté de laquelle il serait dommage de passer. Le coffret proposé par Kazé Manga en cette fin d’année, regroupant les quatre tomes de la série, n’est toutefois pas très qualitatif. La faute à une « boîte » de mauvaise qualité, facile à déchirer, qui rassemble péniblement les quatre tomes que l’on a plus vite fait de sortir et de poser dans la bibliothèque comme s’ils avaient été achetés séparément.

  • Doppelgänger est disponible dans une intégrale en librairie depuis le 17 novembre 2021.
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Bonjour à toutes et à tous !

Il y a quelques jours, Mystic-Falco et moi-même avons eu la chance de pouvoir découvrir en avant première le dernier film de Mamoru Hosoda : Ryu to Sobakasu no Hime, plus sobrement intitulé Belle en occident.

Cette critique à deux voix à été réalisée en avant-première grâce au distributeur.

Mamoru Hosoda est incontestablement un des grands noms actuels du cinéma d’animation japonais. Avec ses derniers films (Les Enfants Loups, Le Garçon et la Bête et Mirai, Ma Petite Sœur) il s’est également fait un nom à l’international. Pour ma part, je suis à chaque fois particulièrement touché par ses films, et il s’agit sans doute d’un de mes réalisateurs fétiches.

Comme nous avons eu l’opportunité de le voir à deux, nous avons souhaité essayer quelque chose d’un peu différent. Aussi c’est sous la forme d’un podcast audio que Mystic-Falco et moi-même allons revenir sur le film, et toute sa richesse. Car il se trouve que, pour nous, Belle s’est sans problème hissé à la hauteur de la réputation de son auteur et réalisateur.

J’espère que ce nouveau format vous plaira ! Il se pourrait bien qu’on donne suite à cette pastille si le cœur nous en dit.

Bonne écoute à toutes et tous !

  • Belle, de Mamoru Hosoda, sortira en salles le mercredi 29 décembre 2021
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Entre 2017 et 2018, l’univers de Batman a vu arriver une pépite, une série de comics nommée White Knight. Créée par Sean Murphy, celle-ci raconte un univers où l’homme chauve-souris est enfin mis face à ses responsabilités, aux destructions et aux dégâts qu’il commet au nom de sa quête contre le crime. Parmi les personnages principaux de cet univers, Harley Quinn, à qui quelques épisodes écrits par Katana Collins étaient consacrés lors de cet événement et qui sont publiés chez Urban Comics depuis le mois dernier en un tome.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

L’ombre de l’âge d’or

© 2021 Urban Comics

Dans le comics White Knight sorti avant cet épisode centré sur Harley Quinn, le Joker était soigné et redevenait Jack Napier, un intellectuel qui a tenté de sauver Gotham avec ses bons mots et ses intentions, louables, mais parfois aussi pour couvrir des manigances qui visaient à en faire l’idole de la ville. On y découvrait un personnage torturé, parfois touchant, qui luttait contre son démon intérieur incarné par le Joker, tentant de l’enfouir au plus profond de lui pour vivre une vie plus stable auprès de Harleen/Harley, celle qu’il a toujours aimé. Après le succès critique de cette histoire qui, à mes yeux, constitue l’une des plus belles réussites de l’univers de Batman ces dernières années, on découvre enfin dans nos contrées ce White Knight : Harley Quinn. Suite directe de White Knight, ce comics vient raconter l’après, le moment où Harley reprend sa vie en main alors qu’elle a dû dire adieu au Joker. Et c’est dans un monde surprenant que tout cela prend place : elle est devenue une amie proche et confidente de Bruce Wayne, lui qui a avoué à tout le monde être Batman et qui a été mis en prison pour les dégâts et le mal qu’il a fait à Gotham au nom de sa lutte contre le crime. Elle est aussi devenue la mère de deux enfants, peinant à trouver sa place dans ce nouveau rôle, tandis qu’elle donne aussi un coup de main à la police de Gotham en tant que profiler en profitant de ses aptitudes de psychologue. C’est un vrai bouleversement de ce qui a fait l’univers de Batman pendant si longtemps, les rôles devenant plus flous, mais surtout c’est une approche de cet univers qui remet en cause les concepts de bien et de mal, avec des personnages plus nuancés que jamais. Plus encore, c’est un récit plus humain que jamais, qui s’inscrit dans une mouvance intéressante de ces dernières années qui vise à offrir un visage plus humain à Harley Quinn, personnage qui jouit d’une popularité considérable.

Prise dans un tourbillon d’émotions, de la perte de Jack Napier à son nouveau rôle de maman et son job dans le « GTO », l’escouade de super-héros·ïnes à la botte de la police, Harley doit enquêter sur un nouveau serial killer qui a fait son apparition à Gotham. Celui-ci s’en prend à des vieilles gloires de l’âge d’or du cinéma, les stars sont retrouvées mortes chez elles, poussant Harley à faire équipe avec un drôle d’enquêteur qui semble obsédé par sa personnalité. Un peu comme le Joker l’était de Batman, cet enquêteur intrigue pour l’attention qu’il porte à Harley, poussant celle-ci dans une enquête en forme d’introspection qui emprunte à énormément de choses déjà vues par le passé dans les comics Batman, qui s’appliquent à une Harley sublimée par l’écriture de Katana Collins. Capable de rendre hommage à cet univers tout en offrant à Harley Quinn un récit terriblement fort dans l’affirmation de sa nouvelle vie, l’autrice offre à son personnage l’occasion de réapprendre à vivre sans l’influence néfaste du Joker, la poussant à faire le bien autour d’elle et à offrir à sa ville une alliée importante, sans pour autant renier ses origines ou tirer un trait sur ce qui fait tout le sel de ce personnage. Ambivalente et excentrique, elle n’en reste pas moins une personne bienveillante pour son entourage, une chose que l’écriture de Katana Collins met en évidence dans quelques scènes géniales chez elle ou lors de ses visites à Bruce Wayne en prison.

Réinvention cinématographique

© 2021 Urban Comics

Il y a quelque chose d’intéressant dans cette perpétuelle réinvention du personnage de Harley Quinn qui a été enclenchée il y a quelques années par DC Comics en voyant sa popularité accroître auprès du public. On en a d’ailleurs déjà parlé sur Pod’culture, tant le personnage s’est doté ces derniers temps de comics d’excellente qualité. Ici, il y a une réinvention très cinématographique, au sens où Harley devient un véritable personnage dramatique à la Erin Brockovich, femme seule avec ses enfants qui fait ce qu’elle peut pour s’en sortir. Cela l’éloigne aussi de l’emprise du Joker, le rapport de pouvoir ayant d’ailleurs été largement renversé dans le comics White Knight, d’autant plus que Katana Collins revient sur des séquences importantes de l’histoire de Batman et du Joker en montrant le rôle de Harley Quinn, dans l’ombre, qui a joué un rôle majeur. Le comics se pare en outre des superbes dessins de Matteo Scalera, capable d’offrir une ambiance unique grâce à son style qui tourne parfois pratiquement à la peinture, avec une mise en scène là-aussi très cinématographique en approchant les situations avec un recul qui rappelle celui d’un réalisateur. Il met en scène les personnages en tirant partie des thèmes abordés autour de l’âge d’or du cinéma, faisant de White Knight : Harley Quinn une oeuvre à part, une nouvelle pépite servie à un personnage qui a, décidément, plein de choses à raconter.

C’était difficile de passer après Batman White Knight, monumental récit de Sean Murphy qui a su réinventer la guerre que se livrent le Joker et Batman, sans tomber de lamentables facilités tel un Geoff Johns et son misérable Trois Jokers. Non, White Knight apportait plus de profondeur et de malice à des personnages déjà iconiques, chose que prolonge admirablement Katana Collins avec son Batman White Knight : Harley Quinn. Sa fine écriture offre à la « vilaine » de DC un nouveau récit captivant, mêlant des thématiques sociales à une enquête tout droit tirée d’un roman policier, dans un univers qui tire partie de l’excentricité de son personnage sans en faire un animal de foire. Plus fort encore, ce récit complet en un tome s’adresse autant aux personnes qui ont lues White Knight, approfondissant ses thématiques et conséquences, qu’aux personnes qui ne l’ont pas fait (et qui risquent d’avoir très envie de le lire après ce récit) en reprenant bien les événements qui ont eu lieu précédemment et en installant son contexte de manière claire.

  • Batman White Knight : Harley Quinn est disponible en librairie depuis le 12 novembre 2021. Le comics est également disponible en version noir et blanc depuis le 3 décembre 2021.
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Troisième et dernier article pour ce premier arc de Chainsaw Man. Il est peut être encore un peu tôt pour affirmer que ce manga sera un futur classique, mais je mettrai ma main à couper tant j’en suis convaincu. Après avoir passé un peu plus d’un mois à découvrir et me délecter de cette œuvre écrit et dessinée par Tatsuki Fujimoto et édité en France aux éditions Kazé, il est grand temps de vous livrer mon avis sur les cinq derniers tomes de ce premier arc, à savoir du tome 7 à 11, et évidemment tout l’article est un spoiler complet.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Révélations et faux-semblants

Fujimoto n’aura de cesse que de me surprendre sur ces derniers tomes, entre les révélations et ce dont on pouvait se douter au sujet d’un personnage en particulier, tout semble avoir été bien réfléchi en amont et ce n’est clairement pas pour me déplaire. On sent une maîtrise complète de l’œuvre, au point ou tout devient extrêmement clair au fil des pages que l’on tourne, pour arriver à ce final des plus dantesques. Mais avant de vous parler de celui-ci, je dois vous faire une confession.

CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Je m’étais arrêté au tome six, non pas parce que je connaissais la suite du récit, mais parce qu’il me semblait intéressant de me stopper là pour vous donner mon avis (ce qui a donné le deuxième article sur ce manga). Force est de constater que cet article qui se repose sur les cinq derniers tomes forme un tout. Il m’a été impossible de m’arrêter de lire, tant tout ce qu’il se passe était impressionnant, fort et complètement fou. Tous les personnages sont amenés à évoluer, généralement dans le bon sens, permettant ainsi une certaine une implication émotionnelle vraiment intéressante de la part du lecteur. Certes on peut aimer les idioties de Power ou de Denji, mais ils ne seraient rien, s’ils n’évoluaient pas un minimum.

C’est à ce moment précis, une fois que le lectorat s’attache de manière plus prononcée aux personnages, que l’auteur décide de rabattre les cartes de son récit. Il dévoile ainsi le véritable antagoniste de ce premier arc, et ce n’est pas le Démon-Flingue comme nous pouvions le croire, mais Makima, qui depuis le début, s’avère être le Démon-Domination. Fujimoto va également profiter de ce changement de ton narratif, pour tuer les personnages les plus proches de Denji. Un choix extrêmement fort et étonnant pour un shonen, ce qui d’ailleurs me pousse vraiment à reconsidérer le genre de ce manga.

Ce qui se dégage de ces différentes pertes pour notre héros, est un combat intérieur bien plus puissant que n’importe quel combat physique. Le plan de Makima a toujours été de briser Denji et comment le faire, pour un personnage qui n’a rien ? En lui donnant tout, un semblant de vie normal, avec des personnes proches de lui, semblables à une famille, prête à se sacrifier pour lui. Je dois bien l’avouer, autant les tomes précédents faisaient monter en moi une excitation certaine tant tout cette action complètement tarée en devenait jouissive, autant ce final m’a brutalement ramené à la réalité.

Une réalité brutale et violente

J’en parlais déjà lors de mon précédent article sur le sujet, Chainsaw Man est avant tout un récit sur l’amour. Qu’il soit amical, fraternel où basé sur l’idée que l’on se fait de l’amour en général l’idée est d’utiliser ce sujet universel pour dépeindre un récit violent, loufoque et improbable. C’est donc au travers des derniers chapitres de cet arc, appelé « Arc de la Sécurité Publique », que tout le message y est dévoilé. Entre la violence que l’on peut subir suite à une trahison, et à la perte des êtres qui nous sont chers, les dernières pages poussent Denji et donc le lectorat à reconsidérer la vie qui s’offre à nous. Non pas comme étant un simple passage qui, lorsque nous avons profité des bonnes choses doit s’arrêter, mais plus comme une chance de pouvoir évoluer et apprendre à autrui la valeur de la vie.

C’est un message extrêmement étonnant surtout lorsque l’on fait une rétrospective du récit. Au-delà d’une histoire loufoque d’un Démon-Tronçonneuse, Fujimoto souhaite proposer un récit avec une profondeur hallucinante, utilisant des thèmes forts comme l’amour, la dépression ou encore le deuil. Sans pour autant faire gagner tous les protagonistes, il pousse son héros à se dépasser et devenir pour l’arc suivant un mentor, ce qui promet encore une évolution intéressante à venir.

Malheureusement nous ne savons pas encore, quand débutera ce second arc de Chainsaw Man. Cependant nous savons déjà que la publication du manga passera du Weekly Shonen Jump au Jump +, et que Tatsuki Fujimoto a profité d’une pause pour écrire et dessiner Look Back, un one-shot qui sera disponible chez Kazé en mars 2022 et dont je vous parlerai très certainement. Il ne faut pas oublier l’adaptation de Chainsaw Man en animé qui devrait arriver sous peu, et à laquelle je consacrerai peut-être un article, si l’adaptation apporte assez de matière pour en écrire un.

  • Les tome 1 à 11 de Chainsaw Man, sont édités par Kazé France et sont disponibles en librairies. 
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Tick, tick… boom ! Une horloge et des aiguilles qui tournent sans cesse, des minutes qui filent et un coup d’éclat. Si vous êtes familier ou familière du monde musical anglo-saxon, le nom de Lin-Manuel Miranda vous parlera : il a créé la comédie musicale à succès Hamilton, compose des chansons pour Disney, tout en faisant carrière au cinéma et sur petit écran (His Dark Materials, Le retour de Mary Poppins). Et le nom de Jonathan Larson vous parlera aussi : il était le créateur d’un musical rock multi-récomposé, Rent, mis en scène en 1996. Tick,tick…boom! est l’adaptation cinématographique de la comédie musicale homonyme créée par Larson en 1990, sous la direction de Lin-Manuel Miranda. Ce dernier a puisé dans de nombreuses archives léguées par Larson, ou discuté avec ses connaissances, pour construire le film. Et qui de mieux qu’un chanteur lui-même compositeur pour porter à l’écran le musical de Larson ?

Une comédie musicale rock semi-autobiographique

De Jonathan Larson, je ne connaissais que la comédie musicale Rent (par son adaptation en film par Chris Colombus en 2005) et le fait qu’il soit malheureusement décédé à 35 ans, la veille de la première représentation de ce musical, qui allait lui ouvrir une gloire posthume phénoménale en restant 12 ans sur scène.

©Tick, Tick… Boom ! Netflix, 2021

Et Tick Tick… Boom ! annonce tout de suite la couleur. Le musical parle de vie et de mort, du temps qui passe, de la créativité frénétique de Jonathan Larson, qui va bientôt avoir 30 ans et s’interroge sur ce qu’il va laisser derrière lui. Avec ce récit semi-autobiographique et partiellement romancé, il retrace sa vie de compositeur, huit ans de galère à alterner son écriture musicale et son boulot de serveur. Il est refusé un peu partout quand il présente ses projets, peine à payer son loyer dans un appartement où il voit défiler de multiples locataires, tout en travaillant depuis plus de cinq ans sur Superbia, un musical futuriste. Le film présente ses déboires, ses nuits d’écriture, ses amitiés et son amour, son obstination surtout à percer dans le milieu de la comédie musicale, cruel et difficile. Au-delà de sa vie personnelle, il parle de ce domaine où chaque projet amène à un autre, qui sera peut-être accepté. Il évoque aussi les années où règne le sida, et où plusieurs de ses amis trouvent la mort.

Dans le film, le réalisateur Lin-Manuel Miranda substitue la scène et les spectateurs au récit intérieur de Jonathan Larson. Le long-métrage alterne ainsi de magnifiques moments de comédie musicale, des visions imaginaires de Larson, des scènes de son quotidien ou encore une représentation du spectacle Tick Tick… Boom ! avec un rythme et une frénésie dynamiques qui illustrent à merveille la personnalité débordante de vie et d’énergie du compositeur. Le film ne souffre d’aucun temps mort ni de longueur, entraînant le spectateur dans son sillage sans effort durant deux heures.

Une créativité pour lutter contre la fuite du temps

Tick, tick…boom! est contaminé par la créativité frénétique du compositeur : par le choix des plans, par le montage, par le casting qui se révèle excellent, que ce soit Andrew Garfield dans le rôle de Jonathan Larson, Alexandra Shipp dans le rôle de sa petite amie Susan, ou encore son meilleur ami Michael (Robin de Jesus). Les deux derniers incarnent des personnages brillants, sincères, chacun porté par des désirs différents : le choix d’une meilleure carrière, décider de se laisser porter par la peur ou l’amour dans son existence, quitte à renier parfois ses rêves d’antan… Larson a bien besoin de ces deux piliers de sa vie, lui qui est sans cesse porté par l’envie dévorante d’aller de l’avant, de créer, créer avant qu’il ne soit trop tard, alors même qu’il vit dans des conditions précaires. Sa vie difficile, dans un contexte historique où le sida fait défiler le chagrin et le deuil au quotidien, n’est pas édulcorée, montrant les racines qui inspireront notamment Rent, où les héros seront des artistes vivant dans la pauvreté et sous la menace de la maladie.

©Tick, Tick… Boom ! Netflix, 2021

Il illustre la difficulté d’être artiste à New York, avec des projets sans cesse refusés, la difficulté de grandir et de mûrir, de former une famille stable, obsédé par ce passage à ses trente ans, là où d’autres compositeurs ont déjà créé des chefs d’œuvre à 27 ans, comme Stephen Sondheim. Ce dernier apparaît d’ailleurs dans le film (incarné par Bradley Whiteford) et se révèle être l’un des seuls à encourager la créativité et la musique de Larson. Celui-ci n’idéalise pas Broadway ni le milieu du musical, il en montre au contraire la cruauté, la préférence à des shows sans inventivité plutôt que de prendre des risques : sa musique mêlait en effet le lyrique et le rock, tout en parlant de sujets plus marginaux et quotidiens que dans d’autres comédies musicales. Il est même l’un des premiers compositeurs à mettre en scène, à l’époque, des personnages ouvertement queer.

Andrew Garfield inspire à son personnage une ironie désespérée, une envie de rire même quand il tombe au plus bas, une drôlerie acerbe qui se reflète dans ses paroles et sa vision du monde. Et la beauté de Tick, Tick… Boom! C’est qu’il arrive à nous faire partager pleinement la manière de voir de Larson, il nous plonge dans sa tête, ses espoirs et ses déceptions, ses hauts et ses bas, avec toujours, en fond, cette envie d’aller de l’avant, de consumer la vie avant d’être consumé, déçu, aigri, avant de rempiler pour une vie ordinaire où il travaillerait dans un bureau, avec certes une assurance maladie et une bonne paye, mais dépossédé de sa passion de la musique et des comédies musicales. Le film parvient à toucher de nombreuses manières, alternant des réflexions sur le couple (la chanson « Therapy » ) et la création artistique, portant sur la peur du sida, de la mort, du temps qui passe (« Real life »), sans pour autant jamais sombrer dans la complaisance ou la mélancolie, à l’image de la musique de Larson. Le film est indéniablement musical, mais aussi dramatique, drôle, et surtout profondément intimiste, plus qu’on ne pourrait le croire, donnant l’occasion à chacun et à chacune de se retrouver dans l’un des sujets ou l’une des chansons de l’histoire.

Le compositeur était aussi un grand admirateur de Stephen Sondheim, créateur célèbre de comédies musicales (Sweeney Todd, Into the Woods). Le film ne manque pas de lui rendre un hommage en gardant la chanson « Sunday », elle-même une référence de Larson au musical Sunday in the Park de celui qui l’inspirait tant et l’a soutenu. Une ode on ne peut plus émouvante, sachant que Stephen Sondheim s’est éteint il y a quelques jours, le 26 novembre 2021.

Tick, Tick… Boom ! mélange allégrement les genres et les thèmes : adaptation d’une comédie musicale rock solo (prévue initialement pour Jonathan Larson et seulement un orchestre sur scène), biopic sur la vie du compositeur, désillusions des coulisses de Broadway, récit d’une vie de galère mais parsemée d’éclats brillants grâce à la musique, l’amitié et l’amour… Tick, Tick… Boom ! C’est aussi les minutes qui passent, l’envie insatiable de vivre, le souhait que le temps qui reste soit à l’image de ce que l’on désire vraiment, de qui l’on veut véritablement être, en se laissant guider par l’amour ou la peur, la passion ou la sécurité. Il nous fait sourire mais nous interroge aussi sur le sens que nous donnons à la vie, sachant que l’échéance arrivera pour tous et toutes.

Que vous soyez fan de comédies musicales, néophyte du genre, adepte des biopics ou simplement curieux/curieuse, le film vaut largement le coup d’œil. Il aurait seulement mérité de sortir au cinéma pour savourer davantage encore son dynamisme, ses moments déchirants et drôles, pour ressentir la grandeur d’un spectacle sur grand écran à défaut de la scène.

  • Tick, Tick… Boom ! est disponible sur Netflix depuis le 19 novembre 2021.
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La principale interrogation après la découverte des deux premiers tomes de Mashle, c’était sa capacité à tenir sur la durée. aussi sympathique puisse être ce pastiche de Harry Potter, le manga de Hajime Komoto a la lourde tâche de maintenir dans la longueur un humour aux frontières de l’absurde, où toute situation est la source d’une auto-dérision parfois franchement tordante. Alors maintenant que nous avons pu lire les tomes 3, 4 et 5, Mashle est-il toujours au sommet de son art ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.

Finesse d’écriture

MASHLE © 2020 by Hajime Komoto/SHUEISHA Inc.

Inutile de faire durer le suspense : oui, la suite de Mashle est à la hauteur, et non, l’intrigue ne se dévoile pas tant que ça. Pour dire les choses de manière plus complète, Hajime Komoto a fait le choix pour quelques tomes encore de laisser son intrigue se dévoiler en second plan, s’intéressant plutôt au quotidien et à des micro séquences où le monde se dévoile par à-coups. Cela donne l’occasion d’observer le quotidien de l’école de magie, décidément très inspirée par Poudlard, où la simplicité du héros et son humour absurde tournent en dérision un monde qui, de manière très rationnelle, ne tient pas debout. Toutefois le manga parvient à diversifier son humour grâce à l’omniprésence de personnages secondaires, qui savent s’affirmer et qui se dévoilent plus que jamais. Accroître le nombre de protagonistes permet à l’auteur de Mashle d’offrir des points de vue très différents sur son univers, avec toujours cette finesse d’écriture des situations comiques qui font désormais la marque de fabrique du manga. Les personnages se dévoilent aussi de manière plus émotive, avec des destins et des passés qui s’entrecroisent et qui s’opposent, tous et toutes ayant comme point commun d’être des sortes de « rebuts », des personnes en marge de la perfection recherchée par l’école de magie.

L’auteur est toutefois bien obligé de retrouver les habitudes des shonen, avec une orientation plus classique, notamment dans les tomes 3 et 4 qui racontent une série d’oppositions qui placent le manga sur un arc de combats. Toutefois il parvient à y imprimer un ton plus proche de ce que faisait le manga dans ses deux premiers tomes, en se servant de ces combats résolument classiques pour en montrer toute l’absurdité. Le manga n’hésite par exemple par à blaguer sur le danger de mort qu’encourent tous les pensionnaires d’une école de magie qui ne s’intéresse pas beaucoup à la santé de ses étudiant·e·s, ainsi que sur les différentes classes qui s’opposent, avec un dortoir fait de bourgeois·es qui sont bien content·e·s de pouvoir se défouler sur les pauvres de l’école. Un moment sympathique qui fait de ces deux tomes de bons moments de lecture, sans faire avancer le schmilblick certes, mais en montrant une autre facette d’un manga qui est capable de se renouveler narrativement sans pour autant renier l’humour que l’on vient chercher à chaque tome.

Enjeux réinventés

C’est toutefois avec l’excellent tome 5 que Mashle se relance dans quelque chose de nouveau, en apportant une nouvelle menace qui lance l’intrigue sur une nouvelle voie tout en solidifiant un fil conducteur désormais bien mis en évidence. Il aborde par ce biais la question des privilèges, notamment au travers d’un personnage dont la vie très privilégiée est remise en cause par la force des choses, le poussant à s’interroger sur son véritable mérite à être là, mais aussi sur le mal que ce type de privilèges peut faire sur ses camarades. Un élément narratif surprenant dans un manga qui est finalement assez peu politisé, néanmoins cela lui permet d’approfondir les inégalités déjà abordées dans les précédents tomes au sein d’une école qui recherche avant tout l’image et les soutiens parmi l’aristocratie, plutôt que la volonté de dispenser un enseignement de qualité à des étudiant·e·s. Des élèves qui, le plus souvent, sont considéré·e·s comme interchangeables, à l’exception des enfants de bonne famille qui pourraient apporter à l’école une forme de légitimité et permettre aux dirigeants de l’école de se faire une place parmi l’élite.

On salue aussi et toujours le travail sur les expressions des personnages, dont l’efficacité est redoutable, à tel point que la dérision passe maintenant souvent via leurs réactions. Il y a le héros, toujours assez neutre et dépassé par la situation, mais aussi d’autres personnages plus agités et plus vifs que Mash qui apportent une dynamique intéressante. Le manga joue finalement beaucoup sur les contrastes entre ses personnages, de la même manière qu’il s’amuse des incohérences de l’école ou le caractère improbable de son existence. Il y a quelque chose de vraiment fin dans ce manga, qui dépasse largement le premier contact et son humour absurde, et qui montre que Mashle est une des plus belles réussites de ces dernières années.

Comme lorsque j’ai découvert Mashle, je reste charmé par son univers. C’est un manga parfaitement maîtrisé, c’est l’œuvre d’un auteur capable de se réinventer et de pousser la narration toujours plus loin, utilisant l’humour absurde pour raconter des personnages touchants et un pastiche d’Harry Potter qui en montre toutes les contradictions. Mashle est un manga touchant, qui attise une sympathie sans limite et que je vous recommande chaudement si vous souhaitez découvrir quelque chose de léger et de malin pour conclure cette drôle d’année.

  • Les tomes de Mashle sont disponibles en librairie.
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Le 30 septembre dernier sortait en dématérialisé Astria Ascending, un RPG créé par Artisan Studios, des développeur·euse·s franco-québécois·es qui s’inspiraient d’une longue tradition de jeux de rôle Japonais. Entre son aspect visuel ancré dans un imaginaire proche des productions Vanillaware et ses parties narratives et musicales créées par de grands noms des J-RPG, le titre a tout pour attirer l’œil. Il faut d’ailleurs savoir que l’univers de Astria Ascending est né en 2015 dans un jeu mobile intitulé Zodiac : Orcanon Odyssey. Ceci avant que Artisan Studios aille un peu plus loin et cherche à réimaginer ce titre, en proposant un RPG peut-être plus classique mais toujours empreint de son univers. C’est à l’occasion de la sortie du jeu en version physique, via Just for Games, que l’on vous propose d’y revenir et de voir s’il est à la hauteur de ses ambitions.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé PlayStation par son éditeur. Jeu terminé sur PlayStation 5.

Au service du système

© 2021 Artisan Studios

L’histoire de Astria Ascending prend place dans le monde d’Orcanon, un univers où des tensions politiques et ethniques, entre des peuples qui refusent de s’entendre pourraient mener au chaos. Un monde dont l’avancée technologique, à mi-chemin entre la science-fiction et la fantasy, est comme un arbre qui cache une forêt faite de dissensions et de haine entre des peuples qui ne peuvent pas se piffrer. Pour maintenir une sorte d’équilibre, les « Juges », sortes de divinités vivantes, maintiennent ce qu’ils et elles appellent « l’Harmonie » au moyen de Harmelons, d’étranges fruits ingurgités régulièrement par les habitant·e·s d’Orcanon pour stabiliser leurs sentiments et éviter que leur haine ou leur tristesse se dévoile pleinement. Cette pseudo harmonie apparaît ainsi complètement artificielle, les citoyen·ne·s d’Orcanon étant manipulé·e·s pour éviter que le pouvoir en place se pose les bonnes questions pour résorber la haine. Face aux juges s’opposent les « Réfractaires », un groupe d’opposant·e·s au système qui vise à faire arrêter la consommation de Harmelons afin de mettre au jour ce qu’ils·elles considèrent comme une tyrannie, un régime qui va à l’encontre des intérêts de ses citoyens. Et nous on se place du côté du pouvoir puisque l’on incarne des Demi-dieux, huit personnages dont le rôle est de représenter chacun des huit peuples auprès du pouvoir, et chargés de transmettre la bonne parole des Juges auprès de leurs semblables.

Le jeu aborde des thématiques matures et parfois très bien racontées, puisqu’en nous mettant dans la peau de l’oppresseur·euse, le jeu en partie écrit par Kazushige Nojima (scénariste sur les Final Fantasy 7, 8, 10…) cherche à poser les questions que les Juges évitent à tout prix. Mais surtout, nos huit personnages sont convaincus dur comme fer que les Juges sont dans leur bon droit, et que ne plus suivre le système établi provoquerait l’apocalypse. A tel point que certains personnages finissent par entrer en conflit avec leurs peuples, qui n’arrivent parfois pas à comprendre comment ces personnes ont pu tout abandonner pour servir un pouvoir qui tente péniblement de gommer les différences entre les peuples d’Orcanon. C’est ainsi une histoire de croyances et d’opposition à un système tyrannique, une approche très intéressante d’autant plus que les personnages que l’on incarne (et qui sont parfois détestables) font face à des dissensions y compris entre eux. Mais cette approche est à double tranchant : les dialogues provoquent parfois une ambiance délétère où tout le monde semble se détester ou haïr les autres, un élément qui peut être désagréable à la longue. Un personnage parmi les huit en particulier est la cible d’énormément de critiques, un harcèlement auquel le jeu n’oppose que peu de résistance.

Mais surtout, là où Astria Ascending rate une belle occasion, c’est avec son histoire qui met beaucoup, beaucoup trop de temps à se lancer. Il faut compter au moins six ou sept chapitres avant que la narration se lance réellement. A ce moment-là, on est pratiquement à la moitié du jeu, ce qui rend les premières heures assez barbantes. La faute certainement au fait que le jeu a toutes les peines du monde à installer son vaste univers, même si quelques premières quêtes nous incitent à découvrir les univers de chaque peuple. On a vite le sentiment d’être submergé par les informations, comme des pièces d’un puzzle 10 000 pièces que l’on nous jette à la figure sans nous montrer l’image que l’ensemble est censé produire une fois tout mis en place. Des informations balancées en vrac qui finissent par faire sens, mais il faut un certain temps avant d’en arriver là. D’autant plus qu’à la différence de la plupart des RPG japonais dont le titre franco-québécois s’inspire allègrement (lorgnant du côté de Valkyrie Profile ou des Vanillaware notamment), Astria Ascending nous donne le contrôle des huit personnages dès le début du jeu, qu’il faut apprendre à connaître et à maîtriser, chacun·e se dévoilant tout doucement au fil des dialogues sans que l’on ait vraiment le temps de tous·tes les appréhender.

Un équilibrage sans pitié

© 2021 Artisan Studios

Le système de combats, au tour par tour, reprend quelques classiques de ces dernières années et en fait un mélange tout à fait agréable. On y retrouve un système de « focus points » qui consiste, en attaquant les faiblesses élémentaires ou physiques d’un monstre (à la manière d’un Shin Megami Tensei/Persona), de gagner quelques points d’actions supplémentaires afin de les ajouter à notre attaque pour gagner 50% de dégâts en plus par point dépensé (un peu comme les multiples coups de Bravely Default). Un système particulièrement réussi qui sublime des combats très nombreux, qui ont tendance malheureusement à s’embourber dans une longueur parfois irritante. Les animations sont longues, mais surtout l’équilibrage fait que l’on ne tape pas assez fort contre des paquets d’ennemis qui résistent parfois un peu à tout. Le titre tente d’y pallier en nous donnant accès, dès le début du jeu, aux huit personnages de l’aventure afin de pouvoir modifier notre équipe de 4 combattant·e·s régulièrement pour bénéficier des forces et faiblesses de chacun·e, mais la difficulté est reste très relevée avec son équilibrage impardonnable qui nous met systématiquement en position de faiblesse.

D’autant plus qu’attaquer un ennemi avec une attaque élémentaire à laquelle il a une bonne résistance peut nous faire perdre un point. Dans le même temps, le jeu offre la possibilité de voir les forces et faiblesses de tous les ennemis si on le souhaite, et pour les gens que cela intéresse (votre humble serviteur en tête), le titre donne accès à plusieurs modes de difficulté dont un mode facile qui vient adoucir l’expérience. Très clairement, en « normal », l’exploration des nombreux donjons du jeu peut vite devenir pénible. Une exploration qui, par ailleurs, n’est pas très réussie : en s’inspirant là encore de Valkyrie Profile ou de Odin Sphere avec son exploration en 2D, le jeu pêche surtout du côté de la direction artistique de ces zones avec des donjons rarement intéressants visuellement, avec des phases de plateforme à se tirer les cheveux et des ennemis rébarbatifs. Le studio a toutefois tenté d’apporter un peu de variété avec des séquences de shoot’em up à dos de Fedorah, une étrange créature qui nous permet de voyager, ou encore des parties de « J-Ster », un jeu de carte aux faux-airs de de Triple Triad, mais Astria Ascending souffre vraiment trop de ses phases d’exploration entre deux séquences narratives.

J’ai tout de même apprécié le système de progression des personnages, notamment du côté de leur évolution avec la possibilité de leur accoler un job principal, un job secondaire et un job de soutien afin d’avoir des personnages aux capacités très variées. Que l’on souhaite bourrer l’attaque, la magie ou la capacité à encaisser des coups, Astria Ascending nous laisse dans l’ensemble assez libre de nos choix, bien que le jeu se révèle assez avare en points de compétence. Des points qui sont partagés entre tous les personnages et qui incitent souvent à utiliser les mêmes quatre, cinq voire six personnages en délaissant deux ou trois d’entre eux. L’autre possibilité est aussi de passer un certain temps à gagner de l’expérience en retournant dans les nombreux donjons, ou en prenant quelques quêtes secondaires à l’intérêt narratif très relatif. On aurait aimé toutefois un meilleur équilibrage global, et ce afin que l’aventure soit plus fluide, en évitant les aller-retour pour gagner de l’expérience et en incitant réellement à utiliser l’ensemble des huit personnages.

Une direction artistique parmi les grands

L’univers visuel de Astria Ascending emprunte énormément aux productions Vanillaware (Odin Sphere, Dragon’s Crown, 13 Sentinels…) avec cette 2D aux airs d’artworks. Une réussite visuelle et un charme indéniable qui en fait une des plus belles productions de l’année. On trouve aussi un peu de Final Fantasy XII dans cet univers ultra-référencé, notamment sur ses questions ethniques et religieuses, mais aussi sur certains choix visuels qui mélange habilement la SF à la Fantasy. Les villes sont superbes et les designs des personnages très recherchés, une réussite que n’emprunte malheureusement pas les donjons où se déroule, malgré tout, l’essentiel de l’action. A tout cela on ajoute une superbe bande-son signée Hideo Minaba et Hitoshi Sakimoto, deux des plus grands compositeurs de musique de jeux vidéo au Japon qui, après avoir travaillé sur quelques uns des J-RPG les plus populaires, offre une superbe partition à un jeu qui, décidémment, soigne énormément son image. Et c’est peut-être là que Astria Ascending est, malgré ses problèmes, très attachant. Car Artisan Studios a été capable d’unir ses forces avec celles d’un scénariste ou de compositeurs qui sont à l’origine de titres qu’il référence parfois, faisant passer le jeu du simple hommage à porte-étendard d’un genre de J-RPG qui fleure bon la nostalgie et le plaisir d’antan. A ce titre, le jeu offre d’ailleurs des voix japonaises, ainsi qu’un doublage anglais, tous deux de bonne facture.

Astria Ascending nous donne envie de l’aimer pour son univers visuel et musical qui s’inspire des meilleurs J-RPG, ainsi que pour son histoire audacieuse et bien menée qui offre quelques grands moments narratifs et poignants. Mais Astria Ascending est aussi un titre inégal, à cause de son système de combat qui présente de bonnes idées mais qui souffre d’un équilibrage frustrant, à cause de ses donjons qui sont pénibles à parcourir tant ils ne parviennent jamais à se renouveler, mais aussi à cause d’une histoire qui casse son rythme trop souvent entre deux bons moments.  Le RPG de Artisan Studios est une belle curiosité, un titre que l’on a envie d’aimer mais qui ne nous le rend pas suffisamment bien.

  • Astria Ascending est disponible depuis le 30 septembre 2021 sur PC, Switch, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X/S. Il est en outre disponible en boîte depuis le 2 novembre 2021 via Just for Games.
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En 2017, la première partie de La Casa de Papel fut diffusée sur Netflix. La série espagnole devint très tôt un phénomène mondial, si bien que, à force d’en entendre parler, je préférai ne pas la regarder du tout. Mon entourage fut assez persuasif pour m’encourager à tester la série. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, je n’ai même pas accroché au premier épisode ! Pour une raison qui m’échappe aujourd’hui, je décidai, quelques temps plus tard, de lui accorder une seconde chance. Ce fut, cette fois-ci, une révélation. Je tombai amoureuse de cette série et par-dessus tout de ses personnages, destinés à me suivre durant quelques années.

Le Casting de La Casa de Papel © Netflix, 2021

À mes yeux, La Casa de Papel est de ces œuvres qui vous accompagnent, dans les bons puis les mauvais moments. Certains personnages deviennent étrangement proches comme s’ils étaient de vieux amis, voire des reflets de vous-même.
Comme bien des séries, La Casa de Papel n’a jamais été exempte de défauts. Certains se sont même aggravés, au fil des saisons. Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas été particulièrement emballée par les cinq premiers épisodes de cette dernière partie, diffusés en septembre dernier. En dépit du rebondissement final très émouvant, La Casa de Papel avait oublié toute une partie de son ADN pour raconter une simple guerre. J’avais néanmoins assez foi en la série pour lui pardonner ses fautes de parcours. J’étais même impatiente de découvrir ce qu’Álex Pina, le créateur, allait nous proposer comme final.
Oui, La Casa de Papel s’est terminée le 3 décembre dernier. A l’instant où j’écris ces mots, j’ai encore un peu de mal à le réaliser.
J’ai parfaitement conscience que vous avez ouvert cette page pour lire un avis (sans spoiler) sur les derniers épisodes, et non pas le récit de mes états d’âme. Mais l’un ne va pas sans l’autre. Et je crois que, en dépit de sa popularité exacerbée et de son aspect commercial, La Casa de Papel est demeurée une série intimiste et émotionnellement importante, pour beaucoup de téléspectateurs et téléspectatrices.
Les créateurs ne s’en sont jamais cachés : la série espagnole est plus l’histoire d’une tradition familiale que celle d’un braquage. C’est pourquoi une grande partie des épisodes se concentre sur les émotions des personnages. La Casa de Papel ne serait pas non plus ce qu’elle est sans une tendance pour l’épique et le sensationnel. Contrairement aux cinq premiers épisodes de la partie finale (excusez ce jargon, les découpages Netflix deviennent compliqués), l’arc final n’est pas dans la surenchère à outrance. La série renoue avec son côté picaresque espagnol, qui explique entièrement le dénouement.

Une famille de braqueurs

Bogota et Berlin © Netflix, 2021

Les cinq épisodes finaux de La Casa de Papel racontent la fin du braquage de la banque d’Espagne, imaginé par le Professeur, pour sauver Rio, qui était retenu prisonnier par l’Etat, dans des conditions contraires aux droits de l’homme. A ce stade du récit, les braqueurs doivent encore trouver un moyen d’expulser l’or puis de s’échapper, avant que les forces militaires du pays ne parviennent à envahir l’édifice. C’est grâce à un rythme moins effréné ainsi qu’à l’utilisation d’analepses (une manière plus française et plus prétentieuse de parler de flash-back) que la saison prend le temps de se poser et de retranscrire les émotions des personnages, comme l’évolution de leurs relations. Les créateurs de la série ont toujours cherché à raconter un braquage dans lequel les voleurs s’aiment mutuellement et ressentent des émotions crédibles, afin de faciliter l’identification envers eux. Loin d’être une simple histoire de braquage, La Casa de Papel est un récit familial. Les protagonistes tiennent les uns aux autres et cet amour est communicatif, si bien que l’on craint pour leur vie ou que l’on se laisse prendre au jeu, même quand ils font tout autre chose que s’inquiéter pour le braquage.
De coutume, je suis plutôt friande des ces apartés sentimentales. Cependant l’une d’entre elles m’a ennuyée, voire agacée au fil des épisodes. Si le triangle amoureux entre Stockholm, Denver et Manille ne m’a jamais passionnée ; j’ai fini par m’en désintéresser totalement. Le stress post-traumatique de Stockholm et les états d’âme de Denver les isolent du reste du groupe et ne sont pas particulièrement bien écrits. Malgré cela, il est toujours appréciable de voir les braqueurs interagir ensemble, se disputer lorsqu’il le faut, mais aussi et surtout veiller les uns sur les autres.
Sans grande surprise, j’ai été particulièrement transportée par les flash-back mettant en scène Berlin. L’ancien braqueur est suffisamment imprévisible pour nous surprendre, après toutes ces années. Son interprète lui-même, Pedro Alonso, le considère comme une « poupée russe ». Soyons honnêtes, les scénaristes de La Casa de Papel ont toujours regretté d’avoir tué Berlin, ce qui explique l’omniprésence des flash-back. Il s’agit d’un fan service ayant le mérite d’enrichir le lore de la série et, par-dessus tout, d’expliquer de manière plus ou moins explicite, l’action principale. Accessoirement, ils sont aussi annonciateurs du spin-off prévu par Netflix, sur Berlin. Dans cette partie finale, les flash-back permettent d’aborder une autre facette des relations familiales, que je ne peux décemment expliquer sans divulgâcher l’intrigue, mais qui a une importance cruciale pour certains rebondissement inattendus.
S’appesantir sur les émotions des personnages, c’est aussi un moyen de les montrer sous différents jours. Pour ce qui est de présenter un protagoniste détestable, puis plus humain, la série n’en est pas à son coup d’essai. Il s’agit même d’un coup de maître en ce qui concerne Alicia Sierra. La policière en vient à partager une réelle alchimie avec le Professeur, sans pour autant devenir une copie paresseuse de Lisbonne. Finalement, chaque personnage se retrouve là où il devait être, et c’est là le signe d’un épilogue réussi.

De Clark Kent à Superman

Marseille et le Professeur © Netflix, 2021

Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai aussi envie de considérer La Casa de Papel comme une histoire de super-héros. Et ce justicier masqué, c’est le Professeur. Le Professeur a souvent été comparé à Clark Kent, par les créateurs de la série ; et pas seulement à cause de ses lunettes ! Son interprète, Álvaro Morte, confie lui-même avoir particulièrement travaillé la gestuelle et la posture de son personnage. Habituellement, le Professeur avançait de manière gauche, penchée et repliée sur lui-même. Réservé de nature, il a toujours eu quelque chose à dissimuler aux autres, voire à lui-même. Dans cette partie finale, nous assistons à sa métamorphose. Pour la première fois, le Professeur se tient droit et avance sans ciller. Non seulement il est redoutable, car il a la faculté de se soustraire aux pires situations, in extremis, mais il ne tremble pas face à l’adversaire. Le Professeur n’a pas besoin de retirer ses lunettes ni d’endosser une cape (ou une combinaison) rouge, pour devenir L’homme d’acier. L’évolution du personnage est époustouflante et laissera, forcément, un souvenir impérissable.

Mais ce qui est appréciable, c’est qu’il n’est pas idéalisé pour autant. En reconnaissant qui il est, le Professeur admet enfin qu’il n’est pas vraiment un résistant luttant pour de justes causes. Il reconnaît qu’il est l’héritier d’une dynastie de voleurs et qu’il agit par l’amour de l’or et surtout du défi. C’est très important car la série devenait parfois confuse quand il s’agissait d’aborder les messages défendus et véhiculés par le gang. Les voleurs étaient de plus en plus glorifiés, au contraire d’une police ridiculisée, voire diabolisée.
Les policiers n’ont pour autant pas le bon rôle dans cette dernière partie. J’ai toujours considéré le Colonel Tamayo, le chef des opérations, comme un personnage grotesque et vulgaire. Une attitude hyperbolique entièrement recherchée par son interprète, Fernando Cayo. Parfois détestable, parfois drôle malgré lui, le personnage n’incarnait plus une réelle menace pour les braqueurs. Au reste, il m’a agréablement surprise. Bien que Tamayo n’en soit pas toujours le responsable direct, le plan du Professeur est menacé à plusieurs reprises. On en vient à ressentir la pression éprouvée par les personnages. Et bien qu’il ait toujours l’air sur le point d’exploser, (pour l’anecdote, Fernando Cayo s’est notamment inspiré de la gestuelle de Colère, dans Vice-Versa), le colonel Tamayo tient bon jusqu’au dernier arc, dans lequel il entreprend un réel bras de fer avec le Professeur. C’est de cette rivalité entre deux camps que naît toute la tension de la série.

La quête de l’impossible rêve

Palerme et Lisbonne © Netflix, 2021

La Casa de Papel est l’étrange mariage entre une histoire familiale et une bataille épique. Mais le dernier ingrédient de la série, celui qui la rend unique, c’est son héritage des romans picaresques espagnols, comme Don Quichotte. Il est fréquent que les personnages, en particulier le Professeur, se retrouvent dans des situations tout à fait improbables, qui entretiennent la tendance héroï-comique de la série. La Casa de Papel n’a jamais eu pour vocation d’être une série réaliste. Il est toutefois heureux que ces épisodes finaux évitent la surenchère à outrance qui caractérisait notamment le dernier volume. On pourrait aussi considérer la série comme une histoire romantique, au sens étymologique du terme. L’écriture des personnages est très lyrique. La plupart sont dominés par leurs élans sentimentaux, même quand tout menace de s’écrouler autour d’eux. Le Professeur et Palerme tiennent après tout à réussir le braquage, pour finir leur deuil, après la mort de Berlin. Le romantisme se définit aussi par la quête de l’impossible. Comme le Chevalier à la triste figure, les braqueurs s’évertuent à réaliser l’improbable. Mais ce qui les caractérise le plus, c’est l’optimisme. En dépit des moments de doute ou de certaines pertes douloureuses, La Casa de Papel est et restera une série incurablement optimiste.

Conclusion

Un peu refroidie par la première moitié de cette saison finale, je n’étais pas certaine d’apprécier le dénouement de La Casa de Papel. Force est de constater que ces derniers épisodes m’ont remémoré tout ce qui m’a fait aimer la série : des personnages bien écrits et des relations travaillées, une mise en scène spectaculaire et épique, digne d’un grand tour de magie, mais aussi un côté pittoresque et lyrique. Il n’est pas aisé de terminer une série d’une telle ampleur, mais je pense que le pari est tenu. Nulle question n’est restée en suspens, et aucun désagrément n’est venu gâter mon visionnage, à l’exception de défauts somme toute mineurs. Si j’ai un regret, c’est que l’épilogue ne soit pas plus long, ou que certains personnages soient restés en retrait, mais c’est incontournable lorsque nous quittons une œuvre que nous aimons. Comme toujours, il est probable que la fin divise les fans de la série ; elle n’en demeure pas moins logique. Une fois rachetée par Netflix, La Casa de Papel n’a pas toujours égalé les prouesses des premières parties. Elle finit toutefois en apothéose, et restera, à mon sens, l’une des séries les plus incontournables dans les années à venir. Pour en savoir plus, je vous invite vivement à visionner le documentaire « De Tokyo à Berlin », disponible sur Netflix. Una mattina, mi sono alzato…

  • Toutes les saisons de La Casa de Papel sont disponibles sur Netflix.
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Alors que d’un côté du monde vidéoludique, on a tendance à se désoler de la standardisation de certaines productions, qui en viennent à devenir interchangeables tant elles se ressemblent, on découvre régulièrement de l’autre des jeux qui, redoublant de créativité, continuent de venir nous prendre par surprise.

Sans vouloir faire beaucoup de suspense, il se trouve qu’Inscryption, sorti le 19 octobre 2021 sur PC, fait partie de ces jeux. Et mieux encore, il fait partie de ces jeux dont l’audace reste marquante bien après en avoir fini avec lui.

Cet article va être un peu spécial, car pour apprécier pleinement Inscryption et ce qu’il renferme, il est je pense absolument nécessaire d’aborder le jeu avec le moins de connaissances possibles sur ce qui va s’y dérouler. Je vais donc d’abord me concentrer sur la mécanique principale du jeu, avant de dérouler, dans une longue partie sous spoiler, tout ce celui-ci offre de renversant.

C’est l’heure du duel !

© Devolver Digital, Daniel Mullins Games

Le jeu débute alors qu’enfermé·e dans une obscure cabane en bois, vous êtes forcé·e de prendre part à une partie de jeu de rôle, dans lequel un mystérieux jeu de cartes vous servira de moyen de progresser. Dès ses premières minutes, Inscryption donne le ton avec une ambiance mystérieuse et oppressante, portée par une direction artistique obscure qui emprunte pas mal aux classiques de l’épouvante. Apprendre à jouer aux cartes sera votre premier objectif, et cela se fait de manière remarquablement fluide. Grâce à un tutoriel habilement déguisé par une narration efficace et un game design clair, dont on entrevoit les possibilités au fur et à mesure que la partie progresse.

Ainsi la mécanique centrale de gameplay d’Inscryption s’articule autour de ce jeu, où pour invoquer des créatures puissantes, il faut en sacrifier de plus faibles (ce qui n’est pas sans rappeler les règles classiques du jeu de cartes Yu-gi-oh!), et où toute la stratégie repose sur le fait de creuser un écart de cinq points en premier. Obtenir cinq points de plus que l’adversaire (en lui infligeant des dégâts) est en soi une condition de victoire assez originale pour donner un twist intéressant aux parties. Qu’importe si vous prenez « du retard » sur votre opposant. Tant que vous maintenez l’écart à quatre points au maximum, vous pourrez revenir dans la partie grâce à une carte piochée au bon moment où à une stratégie planifiée sur deux ou trois tours. Matérialisé par une balance, l’équilibre de la partie peut basculer d’un instant à l’autre, y compris si l’âme des cartes vous fait défaut, grâce aux divers objets que vous pourrez utiliser en tant que jokers, où à la chance supplémentaire que le jeu vous octroie après votre première défaite.

© Devolver Digital, Daniel Mullins Games

Une fois que l’art du duel est assimilé, il faut s’intéresser à tout ce qu’il y a autour de ces parties endiablées. La progression dans cette aventure aux fortes inspirations de jeu de rôle papier va se faire selon un schéma assez classique de rogue-like : Plusieurs zones se succèdent, dans lesquels vous pouvez choisir votre chemin ainsi que les différents événements, rencontres ou améliorations qui parsèmeront votre route. Interviennent ainsi de nombreuses capacités passives que l’on pourra faire passer d’une carte à l’autre et tout un tas de subtilités qui vous permettront de renforcer votre deck. Car sous ses airs de joueur patenté, le résident de la cabane n’a pas vraiment l’intention de suivre les règles qu’il vous impose, en particulier lorsqu’il va sans pression jouer gratuitement des cartes qui vous auraient coûté deux voire trois sacrifices. Heureusement vous aurez également la possibilité de vous créer des combinaisons totalement abusées, notamment lorsque vous perdrez une run. En effet avant de passer à la partie suivante, le joueur ou la joueuse que vous incarniez sera transformé.e en carte, dont les attributs seront choisis aléatoirement parmi ceux de votre deck. L’occasion de s’ouvrir de plus en plus de chances de victoire en cas de défaite.

Revenez, Milord, vous assoir à ma table

Mais au delà de la mécanique de rogue-like de cartes qu’il vous présente, Inscryption affirme également de manière assez claire qu’il n’a pas l’intention de s’en tenir là. Très vite vous obtiendrez la possibilité de vous lever de votre chaise, et d’explorer ainsi la cabane qui vous tient lieu de prison. Durant ces phases, le jeu prend une tournure d’escape game assez surprenante, et incite à prêter attention à chaque détail, à tout essayer pour résoudre les petits puzzles qui vous entourent. Ces tâches semblent a première vue facultatives, mais de leur accomplissement dépendent beaucoup de choses, telles que l’obtention d’objets supplémentaires qui vous aideront à progresser, ou de cartes très particulières, qui vont se mettre…à vous parler.

© Devolver Digital, Daniel Mullins Games

L’alternance entre ces séquences donne une dynamique intéressante à l’ensemble, et contribue à renforcer sans cesse l’aura de mystère qui entoure l’endroit et ce que nous y faisons. Les étrangetés s’accumulent, alors qu’absorbés par la mécanique (addictive par nature) des runs qui s’enchaînent, on se donne pour aller toujours plus loin dans ce jeu de la mort, dont on espère qu’il finira par nous révéler ses secrets.

Et je m’en tiendrai là pour la partie visible de l’iceberg. Vous pouvez désormais soit passer directement à la conclusion (et aller jouer au jeu dans la foulée, vraiment ce serait formidable), soit vous aventurer dans la partie spoil, en tant que personne ayant déjà terminé le jeu, ou qui n’aurait aucunement l’intention de consacrer dix heures de sa vie à découvrir Inscryption. Car dans cette vaste section je vais tout décortiquer, en allant jusqu’à la fin du jeu.

Zone Spoiler

Un univers en expansion

Car dès lors que vous arrivez au bout de votre première run victorieuse, en ayant accompli certains objectifs bien précis, les choses commencent à se corser. On commence par exemple par faire la connaissance de Luke : Un youtuber spécialisé dans les jeux de cartes à jouer dont on découvre le contenu via la mémoire de sa caméra. Il faut bien préciser qu’il s’agit de prises de vue réelles, dans lesquelles joue un comédien, ce qui crée une première rupture avec la direction artistique proposée jusqu’à lors. C’est de plus l’occasion de découvrir une sous-intrigue qui va nous amener à deux conclusions :
Tout d’abord dans la diégèse de l’œuvre, c’est Luke qui joue à Inscryption. Pas nous. Les images qui apparaissent à l’écran sont filmées par Luke, via sa caméra. Ensuite cela veut dire qu’il y a deux niveaux de réalité qui coexistent dans l’expérience du joueur ou de la joueuse : Celui du jeu « Inscryption » et celui de la « vraie vie », où Luke est le joueur. Un monde de la vraie vie, ou Inscryption est un vrai jeu de cartes. Un vieux jeu de cartes néanmoins, qui n’a pas marché et s’est arrêté avant même de connaître sa première extension. Lorsque Luke découvre des coordonnées GPS qui se trouvent non loin de chez lui, il décide de s’y rendre, ne résistant pas à l’idée de faire un peu de buzz autour de ce mystère, et va y découvrir une boite enterrée, qui contient une disquette. Une disquette qui contient le jeu Inscryption, l’adaptation en jeu vidéo du jeu de cartes. Une adaptation dont personne n’a jamais entendu parler, et qui n’a visiblement jamais été commercialisée.

© Devolver Digital, Daniel Mullins Games

Lorsque Luke contacte « GameFuna » la société éditrice de la disquette, on lui répond d’abord que ce jeu n’existe pas, mais très vite le ton se durcit, alors que la société commence à faire pression sur lui afin de récupérer ladite disquette. Mais on en saura pas plus, pour le moment, car cette extension diégétique ne reste pas bien longtemps devant nos yeux, et bien vite on retourne sur le jeu « Inscryption ». Le « vrai » jeu Inscryption. Car un second choc nous attend, celui d’un autre jeu, dont la direction artistique n’a plus rien à voir, qui semble beaucoup plus correspondre à ce que pourrait contenir une vieille disquette. Un style plus proche d’un Pokémon Trading Card Game sur Game Boy (celles et ceux qui auront la ref, je vous aime), où l’on vit une petite aventure rythmée par des combats de cartes d’Inscryption. Celle-ci nous apprend que nous devons défaire les quatre Scrybes, créateurs de ce jeu de cartes, dont fait partie Leshy, notre mystérieux ravisseur de la cabane en bois. Non content d’ajouter du lore et de répondre à quelques questions, le jeu a le bon goût d’étendre dès lors la palette de stratégies possibles, en nous apprenant que les animaux avec lesquels nous jouions jusqu’à lors ne sont en fait qu’un des quatre gameplays possibles. Les morts-vivants, les robots et les mages se joignent ainsi à la fête pour renouveler l’expérience, après que le jeu nous aie asséné un twist scénaristique bien senti.

Quelques heures plus tard, après avoir de nouveau mené à bien la quête qui nous a été confiée, et tandis que le scénario du jeu se déroule sous nos yeux, une nouvelle révolution va venir rabattre les cartes, et nous transporter dans un univers à nouveau complètement différent. A ce stade, tout le génie du jeu est de faire coexister tant d’intrigues sur différents niveaux de réalité différentes. Luke, dans le vrai monde, qui joue à un jeu jamais sorti; Le jeu Inscryption, auquel joue Luke; Et ce troisième acte, où P3 l’un des quatre Scrybes, monte sa propre révolution. Le jeu brouille tellement les pistes qu’on ne sait plus bien dans quelle réalité on se trouve, car ses personnages semblent avoir totalement pris vie, et agir par eux-mêmes. Cette troisième aventure, qui prend place sous le signe du mécanique et du robotique, est entrecoupée d’une nouvelle fournée d’images de la caméra de Luke, qui se paye le luxe de faire monter la pression, en nous montrant que la société GameFuna n’a pas du tout, mais alors pas du tout envie que la disquette d’Inscryption reste dans la nature. Il s’agit donc de continuer au plus vite la partie de ce jeu qui semble devenir une réalité à part entière, et qui influence le monde extérieur, un peu à la manière d’un Jumanji.

Les réalités fusionnent

Alors que la fin du jeu se rapproche, tout continue de s’accélérer. Les quatre derniers boss viennent tout d’abord retourner nos habitudes avec une inventivité rare, avant que l’on apprenne que le jeu doit disparaitre, sous peine de voir son contenu déversé sur internet par P3. Luke est désormais lié à cette décision, il est connu et reconnu par les Scrybes. Le destin se met alors en marche, et l’effacement d’Inscryption commence dans une nouvelle salve d’incongruités que je qualifierais volontiers de géniales, mais qui sont surtout impressionnantes de cohérence et de vivacité. Alors que le jeu est sur le point de disparaître à jamais, Luke obtient l’accès à un dossier confidentiel, bien caché au fond de la mémoire du jeu. Il y découvre des documents indiscibles, dont on ne saura pas grand chose, si ce n’est que leur visionnage est un traumatisme pour Luke, et qu’ils sont reliés de près à la mort de Kaycee, une des personnes qui travaillait chez GameFuna, dont le décès est survenu justement pendant le développement du jeu Inscryption. Alors que Luke contacte un journaliste afin de lui raconter tout ce qu’il a découvert, une représentante de GameFuna entre chez lui, et le tue d’une balle dans la tête.

© Devolver Digital, Daniel Mullins Games

Beaucoup de questions restent en suspens après cette fin des plus brutales. Quel est le contenu des horreurs stockées au fond de la disquette d’Inscryption ? Que s’est il passé lors de la création du jeu avec la mystérieuse Kaycee ? Est-ce elle qui a enterré la boite qui contenait la disquette ? Qui a retrouvé, dans la diégèse du jeu, ces images, dignes d’un véritable film en mode « found footage », dans lesquelles Luke filme son histoire jusqu’à sa mort ? Et au sein même du jeu intradiégétique Inscryption, comment expliquer que les personnages du jeu aient pris vie, soient dotés d’assez de conscience pour saisir pleinement leur situation, leur sort, et faire le choix d’en finir en s’effaçant avec le contenu du jeu ?

Cet aspect cryptique des choses fait sans conteste partie de l’identité du jeu, et l’on se demande à quel point Daniel Mullins, son créateur, a l’intention d’y apporter ou non des réponses. A travers certains indices laissés dans le jeu, une chasse au trésor géante s’est organisée dans le monde réel, et a occupé plusieurs centaines de personnes pendant plus de deux semaines après la sortie du jeu. A l’heure actuelle, celle-ci a débouché sur le lien d’une vidéo Youtube non répertoriée qui ne donne pas plus d’informations à se mettre sous la dent, mais qui permet de se rendre compte de l’implication de la communauté la plus hardcore qui est née de cette expérience assez hors du commun.

Car ce qui impressionne le plus dans Inscryption, ce n’est pas tant la fluidité du gameplay (quand bien même elle participe largement à rendre le jeu très agréable à parcourir). Ce qui rend le jeu inoubliable c’est le génie dont fait preuve sa narration. En créant plusieurs niveaux de réalité qui coexistent au sein du même ensemble, à travers une double, voire triple mise en abyme. Daniel Mullins parvient à faire évoluer le joueur ou la joueuse dans une atmosphère obscure, nimbée de mystères et non dénuée d’une certaine tension, qui tient en haleine et maintient dans un état d’excitation quasi permanent. Ce goût pour les énigmes et les éléments cachés est d’ailleurs poussé à l’extrême dans le jeu, qui regorge par ailleurs de secrets et autres puzzles, permettant de débloquer mille et une petites surprises, tantôt utiles, tantôt décoratives. Les excentricités de design qui viennent régulièrement parsemer le jeu m’ont, pour ma part, toujours positivement surpris. Et je me suis souvent trouvé à afficher un sourire béat devant mon écran, percuté par un énième twist de mise en scène, et ébahi par l’imagination à l’œuvre derrière ces ruptures de ton, qui certes existent, mais dans très, très peu de jeux.

 

Si le jeu a fait grand bruit a sa sortie et a également rencontré un très bon accueil critique cela n’est pas du au hasard. Inscryption va très loin, même pour un jeu indépendant, pour notre plus grand plaisir. En tant que jeu, il réussit à peu près tout, mettant l’accent sur un rythme très fluide et des mécaniques efficaces, dimensionnant sa durée de vie juste comme il faut pour le voyage qu’il propose. En tant qu’expérience, il s’agit d’une œuvre marquante, impressionnante de profondeur et d’intrication, particulièrement réjouissante de par l’audace et la liberté dont elle fait preuve. Un truc à vivre, plutôt qu’à regarder, et dont on est ravi·e de se dire qu’on s’y est engouffré·e sans trop savoir où on mettait les pieds…

  • Inscryption est disponible sur PC (Steam, GoG, et EPIC Games Store)
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