Astria Ascending | Un acte de rébellion

par Anthony F.

Le 30 septembre dernier sortait en dématérialisé Astria Ascending, un RPG créé par Artisan Studios, des développeur·euse·s franco-québécois·es qui s’inspiraient d’une longue tradition de jeux de rôle Japonais. Entre son aspect visuel ancré dans un imaginaire proche des productions Vanillaware et ses parties narratives et musicales créées par de grands noms des J-RPG, le titre a tout pour attirer l’œil. Il faut d’ailleurs savoir que l’univers de Astria Ascending est né en 2015 dans un jeu mobile intitulé Zodiac : Orcanon Odyssey. Ceci avant que Artisan Studios aille un peu plus loin et cherche à réimaginer ce titre, en proposant un RPG peut-être plus classique mais toujours empreint de son univers. C’est à l’occasion de la sortie du jeu en version physique, via Just for Games, que l’on vous propose d’y revenir et de voir s’il est à la hauteur de ses ambitions.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé PlayStation par son éditeur. Jeu terminé sur PlayStation 5.

Au service du système

© 2021 Artisan Studios

L’histoire de Astria Ascending prend place dans le monde d’Orcanon, un univers où des tensions politiques et ethniques, entre des peuples qui refusent de s’entendre pourraient mener au chaos. Un monde dont l’avancée technologique, à mi-chemin entre la science-fiction et la fantasy, est comme un arbre qui cache une forêt faite de dissensions et de haine entre des peuples qui ne peuvent pas se piffrer. Pour maintenir une sorte d’équilibre, les « Juges », sortes de divinités vivantes, maintiennent ce qu’ils et elles appellent « l’Harmonie » au moyen de Harmelons, d’étranges fruits ingurgités régulièrement par les habitant·e·s d’Orcanon pour stabiliser leurs sentiments et éviter que leur haine ou leur tristesse se dévoile pleinement. Cette pseudo harmonie apparaît ainsi complètement artificielle, les citoyen·ne·s d’Orcanon étant manipulé·e·s pour éviter que le pouvoir en place se pose les bonnes questions pour résorber la haine. Face aux juges s’opposent les « Réfractaires », un groupe d’opposant·e·s au système qui vise à faire arrêter la consommation de Harmelons afin de mettre au jour ce qu’ils·elles considèrent comme une tyrannie, un régime qui va à l’encontre des intérêts de ses citoyens. Et nous on se place du côté du pouvoir puisque l’on incarne des Demi-dieux, huit personnages dont le rôle est de représenter chacun des huit peuples auprès du pouvoir, et chargés de transmettre la bonne parole des Juges auprès de leurs semblables.

Le jeu aborde des thématiques matures et parfois très bien racontées, puisqu’en nous mettant dans la peau de l’oppresseur·euse, le jeu en partie écrit par Kazushige Nojima (scénariste sur les Final Fantasy 7, 8, 10…) cherche à poser les questions que les Juges évitent à tout prix. Mais surtout, nos huit personnages sont convaincus dur comme fer que les Juges sont dans leur bon droit, et que ne plus suivre le système établi provoquerait l’apocalypse. A tel point que certains personnages finissent par entrer en conflit avec leurs peuples, qui n’arrivent parfois pas à comprendre comment ces personnes ont pu tout abandonner pour servir un pouvoir qui tente péniblement de gommer les différences entre les peuples d’Orcanon. C’est ainsi une histoire de croyances et d’opposition à un système tyrannique, une approche très intéressante d’autant plus que les personnages que l’on incarne (et qui sont parfois détestables) font face à des dissensions y compris entre eux. Mais cette approche est à double tranchant : les dialogues provoquent parfois une ambiance délétère où tout le monde semble se détester ou haïr les autres, un élément qui peut être désagréable à la longue. Un personnage parmi les huit en particulier est la cible d’énormément de critiques, un harcèlement auquel le jeu n’oppose que peu de résistance.

Mais surtout, là où Astria Ascending rate une belle occasion, c’est avec son histoire qui met beaucoup, beaucoup trop de temps à se lancer. Il faut compter au moins six ou sept chapitres avant que la narration se lance réellement. A ce moment-là, on est pratiquement à la moitié du jeu, ce qui rend les premières heures assez barbantes. La faute certainement au fait que le jeu a toutes les peines du monde à installer son vaste univers, même si quelques premières quêtes nous incitent à découvrir les univers de chaque peuple. On a vite le sentiment d’être submergé par les informations, comme des pièces d’un puzzle 10 000 pièces que l’on nous jette à la figure sans nous montrer l’image que l’ensemble est censé produire une fois tout mis en place. Des informations balancées en vrac qui finissent par faire sens, mais il faut un certain temps avant d’en arriver là. D’autant plus qu’à la différence de la plupart des RPG japonais dont le titre franco-québécois s’inspire allègrement (lorgnant du côté de Valkyrie Profile ou des Vanillaware notamment), Astria Ascending nous donne le contrôle des huit personnages dès le début du jeu, qu’il faut apprendre à connaître et à maîtriser, chacun·e se dévoilant tout doucement au fil des dialogues sans que l’on ait vraiment le temps de tous·tes les appréhender.

Un équilibrage sans pitié

© 2021 Artisan Studios

Le système de combats, au tour par tour, reprend quelques classiques de ces dernières années et en fait un mélange tout à fait agréable. On y retrouve un système de « focus points » qui consiste, en attaquant les faiblesses élémentaires ou physiques d’un monstre (à la manière d’un Shin Megami Tensei/Persona), de gagner quelques points d’actions supplémentaires afin de les ajouter à notre attaque pour gagner 50% de dégâts en plus par point dépensé (un peu comme les multiples coups de Bravely Default). Un système particulièrement réussi qui sublime des combats très nombreux, qui ont tendance malheureusement à s’embourber dans une longueur parfois irritante. Les animations sont longues, mais surtout l’équilibrage fait que l’on ne tape pas assez fort contre des paquets d’ennemis qui résistent parfois un peu à tout. Le titre tente d’y pallier en nous donnant accès, dès le début du jeu, aux huit personnages de l’aventure afin de pouvoir modifier notre équipe de 4 combattant·e·s régulièrement pour bénéficier des forces et faiblesses de chacun·e, mais la difficulté est reste très relevée avec son équilibrage impardonnable qui nous met systématiquement en position de faiblesse.

D’autant plus qu’attaquer un ennemi avec une attaque élémentaire à laquelle il a une bonne résistance peut nous faire perdre un point. Dans le même temps, le jeu offre la possibilité de voir les forces et faiblesses de tous les ennemis si on le souhaite, et pour les gens que cela intéresse (votre humble serviteur en tête), le titre donne accès à plusieurs modes de difficulté dont un mode facile qui vient adoucir l’expérience. Très clairement, en « normal », l’exploration des nombreux donjons du jeu peut vite devenir pénible. Une exploration qui, par ailleurs, n’est pas très réussie : en s’inspirant là encore de Valkyrie Profile ou de Odin Sphere avec son exploration en 2D, le jeu pêche surtout du côté de la direction artistique de ces zones avec des donjons rarement intéressants visuellement, avec des phases de plateforme à se tirer les cheveux et des ennemis rébarbatifs. Le studio a toutefois tenté d’apporter un peu de variété avec des séquences de shoot’em up à dos de Fedorah, une étrange créature qui nous permet de voyager, ou encore des parties de « J-Ster », un jeu de carte aux faux-airs de de Triple Triad, mais Astria Ascending souffre vraiment trop de ses phases d’exploration entre deux séquences narratives.

J’ai tout de même apprécié le système de progression des personnages, notamment du côté de leur évolution avec la possibilité de leur accoler un job principal, un job secondaire et un job de soutien afin d’avoir des personnages aux capacités très variées. Que l’on souhaite bourrer l’attaque, la magie ou la capacité à encaisser des coups, Astria Ascending nous laisse dans l’ensemble assez libre de nos choix, bien que le jeu se révèle assez avare en points de compétence. Des points qui sont partagés entre tous les personnages et qui incitent souvent à utiliser les mêmes quatre, cinq voire six personnages en délaissant deux ou trois d’entre eux. L’autre possibilité est aussi de passer un certain temps à gagner de l’expérience en retournant dans les nombreux donjons, ou en prenant quelques quêtes secondaires à l’intérêt narratif très relatif. On aurait aimé toutefois un meilleur équilibrage global, et ce afin que l’aventure soit plus fluide, en évitant les aller-retour pour gagner de l’expérience et en incitant réellement à utiliser l’ensemble des huit personnages.

Une direction artistique parmi les grands

L’univers visuel de Astria Ascending emprunte énormément aux productions Vanillaware (Odin Sphere, Dragon’s Crown, 13 Sentinels…) avec cette 2D aux airs d’artworks. Une réussite visuelle et un charme indéniable qui en fait une des plus belles productions de l’année. On trouve aussi un peu de Final Fantasy XII dans cet univers ultra-référencé, notamment sur ses questions ethniques et religieuses, mais aussi sur certains choix visuels qui mélange habilement la SF à la Fantasy. Les villes sont superbes et les designs des personnages très recherchés, une réussite que n’emprunte malheureusement pas les donjons où se déroule, malgré tout, l’essentiel de l’action. A tout cela on ajoute une superbe bande-son signée Hideo Minaba et Hitoshi Sakimoto, deux des plus grands compositeurs de musique de jeux vidéo au Japon qui, après avoir travaillé sur quelques uns des J-RPG les plus populaires, offre une superbe partition à un jeu qui, décidémment, soigne énormément son image. Et c’est peut-être là que Astria Ascending est, malgré ses problèmes, très attachant. Car Artisan Studios a été capable d’unir ses forces avec celles d’un scénariste ou de compositeurs qui sont à l’origine de titres qu’il référence parfois, faisant passer le jeu du simple hommage à porte-étendard d’un genre de J-RPG qui fleure bon la nostalgie et le plaisir d’antan. A ce titre, le jeu offre d’ailleurs des voix japonaises, ainsi qu’un doublage anglais, tous deux de bonne facture.

Astria Ascending nous donne envie de l’aimer pour son univers visuel et musical qui s’inspire des meilleurs J-RPG, ainsi que pour son histoire audacieuse et bien menée qui offre quelques grands moments narratifs et poignants. Mais Astria Ascending est aussi un titre inégal, à cause de son système de combat qui présente de bonnes idées mais qui souffre d’un équilibrage frustrant, à cause de ses donjons qui sont pénibles à parcourir tant ils ne parviennent jamais à se renouveler, mais aussi à cause d’une histoire qui casse son rythme trop souvent entre deux bons moments.  Le RPG de Artisan Studios est une belle curiosité, un titre que l’on a envie d’aimer mais qui ne nous le rend pas suffisamment bien.

  • Astria Ascending est disponible depuis le 30 septembre 2021 sur PC, Switch, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X/S. Il est en outre disponible en boîte depuis le 2 novembre 2021 via Just for Games.

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