Habitué des comics de super-héros, Jason Aaron, à qui l’on doit notamment quelques uns des meilleurs comics Thor, n’est néanmoins pas en reste lorsque l’on parle d’indépendant. Avec Dennis Hallum à ses côtés et les dessins de Stephen Green, c’est une escapade étonnante, à mi-chemin entre l’aventure enfantine et la fable qu’il nous livre dans Sea of Stars, où un enfant part malgré lui à la découverte de l’espace.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Au bout de l’univers

© 2022 Golgonooza, Inc., Jason Aaron, Dennis Hallum, and Stephen Green. All Rights Reserved.

Tout commence alors qu’un vaisseau est détruit, à la suite de la rencontre avec une créature démesurée dans le vide spatial. À son bord, Gil, sorte de livreur de l’espace et son fils Kadyn, les deux entretenant une relation conflictuelle. Perdus dans l’immensité de l’espace suite à la destruction de leur vaisseau, les deux tentent de se retrouver, et c’est là que l’intrigue prend toute la mesure de son ambition. Le duo d’auteurs imagine en effet un récit sur deux niveaux, l’un plutôt pragmatique en suivant le père dans une sorte d’histoire de survie face aux dangers de l’espace, accompagné par un robot qui tente parfois de l’assassiner (mais finit vite par l’aider) tout en alignant des répliques grinçantes. Et puis l’autre, peut-être ce qui fait tout le sel de l’œuvre, c’est toute la partie où l’on suit Kadyn, ce gamin qui n’a jamais trop vu grand chose de l’univers et qui se retrouve dans un voyage étonnant, fasciné par tout ce qui se déroule sous ses yeux. Il fait vite la rencontre d’un espèce de dauphin et d’un singe de l’espace, des espèces alien qui veulent initialement le manger mais qui se contentent finalement de l’accompagner, intrigués. Et surtout Kadyn se découvre des pouvoirs, une capacité à respirer et vivre dans le vide spatial sans combinaison ni oxygène, à se mouvoir et « nager » afin d’explorer et de découvrir de nouveaux lieux. Cette partie là du récit évoque de nombreuses aventures en littérature jeunesse, des livres où des enfants vivent des aventures extraordinaires et étonnantes. Jusqu’à ce que les choses tournent mal, et que l’on revienne à ce qu’est le comics : une aventure sur fond d’histoire dramatique familiale.

Si l’on sent très vite toute la détresse de Gil face à une situation improbable, inattendue, inexplicable, une situation qui semble ne trouver aucune réponse ni aucune solution, croyant à la mort de son fils et l’inexorable fin qui s’approche pour lui également, c’est les réactions de Kadyn qui étonnent. Il vient de perdre sa mère, il a vu son père se faire avaler par une créature immense, il erre seul dans le vide galactique, et pourtant ça reste un enfant. C’est au travers de ses yeux d’enfant qu’il découvre l’inconnu, à la fois brisé et émerveillé par les rencontres qu’il fait au fil de son aventure spatiale. Et la dynamique installée avec ses compagnons de route, un singe de l’espace et un dauphin qui ont tous deux très envie de le croquer, apporte curieusement beaucoup d’humour à un récit pourtant vite très noir. Il y a une forme d’innocence qui fait beaucoup de bien au récit, avec un ton souvent léger, y compris dans les moments les plus violents, car l’essentiel de l’histoire se raconte du point de vue d’un enfant qui ne saisit pas toujours les dangers qui se posent à lui. C’est fin, même si le comics souffre d’un rythme inégal, pas toujours aussi efficace qu’on l’aimerait.

Solitude émerveillée

Les dessins de Stephen Green sont super, très colorés, aussi bon pour raconter la tendresse éprouvée par le père pour son fils que la froideur du vide spatial, mais aussi l’innocence de l’enfant quand il le dessine sur des planches où il vogue au milieu de l’espace. On voit les expressions souvent joyeuses, parfois capricieuses, d’un enfant qui n’en fait qu’à sa tête dans une aventure hors du commun. J’ai tout particulièrement aimé la représentation des créatures spatiales, aussi inquiétantes (l’immensité de certaines) que réconfortantes (comme le singe) pour l’enfant. Les sourires innocents de Kadyn face à une aventure improbable en font presque une émanation du Petit Prince, chaque rencontre incarnant une nouvelle étape d’une vie bouleversée. C’est curieux, plutôt malin, on sent une forte envie de sortir du carcan des nombreuses aventures spatiales qui sont sorties ces dernières années côté comics, avec quelque chose de plus organique, moins axé sur la science-fiction.

S’il lui manque malgré tout un petit quelque chose de vie et de rythme pour en faire un indispensable, Sea of Stars a pour lui toute la sympathie inspirée par son petit héros, du haut d’une aventure étonnante où l’enfant part à la rencontre des étrangetés qui peuplent l’espace, pas si vide qu’imaginé. Sous ses airs de science-fiction, Sea of Stars est en réalité un drame familial où le voyage, presque initiatique, permet au fils et au père de mieux se comprendre. Une belle histoire dans un bel enrobage, grâce à des dessins qui donnent vie à un espace quasi-féérique.

  • Sea of Stars est disponible depuis le 1er juillet 2022 en librairie aux éditions Urban Comics.
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Si Halloween est une fête aux origines païennes, datant de plusieurs siècles : la façon dont nous la célébrons aujourd’hui est assez moderne. C’est à partir de 1920, aux États-Unis, que la fête devient populaire et que l’on commence à confectionner des lanternes à partir de citrouilles. Ce n’est que depuis les années 90 que l’on fête Halloween en France et ce, de manière assez commerciale. Il s’agit toutefois d’un prétexte pour se déguiser ou rechercher des sensations fortes. La pop-culture est évidemment un moyen honorable d’y parvenir. En ce mois d’octobre 2022, Netflix a décidé de s’entourer d’artistes habitués au genre horrifique, pour proposer une cure de frissons à ses abonné(s)s. Votre humble rédactrice a volontiers accepté de servir de cobaye. Aussi est-il temps de revenir sur trois séries : The Midnight Club, The Watcher et Le Cabinet de Curiosités.

The Midnight Club : Le marchand de sable, c’était pas seulement dans Sandman

Le casting de The Midnight Club © Netflix

The Midnight Club est une série sortie le 7 octobre 2022 et créée par Mike Flanagan. Ce nom ne vous est sans doute pas étranger, puisqu’on lui doit quelques pépites comme The Haunting of Hill House ou Jessie, long-métrage adapté d’un roman de Stephen King. Pourtant, l’œuvre de Mike Flanagan divise, notamment à cause d’un goût pour les rythmes lents, presque contemplatifs. Les Sermons de Minuit était une série particulièrement verbeuse. C’est donc avec de plus en plus de méfiance que j’aborde les œuvres de Flanagan.

The Midnight Club comporte dix épisodes durant un peu moins d’une heure. Il s’agit d’une adaptation de l’œuvre de Christopher Pike, qui écrit des romans fantastiques destinés à la jeunesse. L’histoire se déroule en 1994. Ilonka, incarnée par Iman Benson, est une toute jeune femme qui apprend qu’elle souffre d’un cancer. Elle décide d’intégrer le centre de Brightcliffe, où elle rencontre d’autres jeunes souffrant de maladies incurables. Ilonka découvre très vite que les patients de Brightcliffe désobéissent au couvre-feu, afin de se réunir dans la bibliothèque, où ils se racontent des histoires effrayantes. A ce titre, les épisodes sont constitués de récits enchâssés extraits de l’imagination des jeunes pensionnaires. Tout irait bien si d’étranges visions ne venaient pas hanter Ilonka, dans la demeure elle-même…

Sur le papier, The Midnight Club a tout pour plaire. L’intrigue se situe dans une demeure vaste et mystérieuse, dont chaque pièce peut abriter un secret angoissant. Les personnages étant ce qu’ils sont, on se doute que la série va aborder des thématiques fortes, à commencer par l’appréhension de la mort ou le deuil. L’angoisse et la mélancolie sont des émotions qui se marient bien. Quant aux récits enchâssés, il s’agit d’une riche idée qui peut permettre d’explorer différents sous-genres de l’horreur, ou encore refléter la réalité des protagonistes. Malheureusement, tout cela est mal exécuté, tant au niveau du script que de la mise en scène. Le rythme est lent. Trop lent. L’histoire n’avance guère. A moins que je ne sois trop âgée pour être touchée par des récits adolescents, j’ai trouvé les personnages peu fouillés et assez peu attachants. Quant à l’horreur elle-même, elle peine à se faire une place ou à impressionner. N’espérez pas frissonner devant The Midnight Club. Le premier et le huitième épisode (dans lequel on aperçoit Henry Thomas) ont quelques idées intéressantes et plus marquantes que les autres, mais en dehors de cela, la série est assez oubliable. J’aurais bien de la peine à conseiller The Midnight Club, à part à des adolescent(e)s fans de Chair de Poule. Et encore, ils pourraient très vite être ennuyés par le ton verbeux et larmoyant.

The Watcher : Rien à voir avec Geralt de Riv

The Watcher dans… The Watcher © Netflix

Ryan Murphy est un créateur prolifique qui ne se spécialise pas toujours dans l’horreur, mais qui y a créé quelques chef-d’œuvres. Je pense à la série anthologique American Horror Story, (dont je vous avais déjà parlé, dans un précédent article de Pod’Culture). Dernièrement, Ryan Murphy a fait couler beaucoup d’encre avec la série Dahmer, dans laquelle Evan Peters incarne un tueur en série ayant sévi durant les années 80. Si la qualité de la série semble mettre tout le monde d’accord, elle est sujette à polémique. Même si elle n’épouse jamais le point de vue de Dahmer et se veut un hommage à ses victimes, certains spectateurs et spectatrices se sont mis à glorifier le tueur en série. De plus, Netflix n’a pas jugé utile de prévenir les familles des victimes qu’une série était en préparation, ce qui aurait éveillé de nouveaux traumatismes. Mais nous ne sommes pas là pour parler de Dahmer… Comme je le disais, Ryan Murphy est un créateur prolifique. C’est aussi l’homme caché derrière The Watcher.

The Watcher est une mini-série sortie le 13 octobre 2022. L’histoire est inspirée de faits réels. Or, cette fois-ci, Netflix a pris soin de prévenir les victimes. Celles-ci ont donné leur bénédiction à condition que leur nom soit changé et que le casting ne leur ressemble pas. Bien sûr, il ne s’agit pas de la seule liberté empruntée par la série. L’histoire se déroule dans le New Jersey, en 2014. Nora (Naomi Watts), Dean (Bobby Cannavale) et leurs deux enfants emménagent dans la maison de leurs rêves. Malheureusement, la famille va très vite se sentir observée puis harcelée par un corbeau, qui s’adresse à eux par l’intermédiaire de lettres anonymes et menaçantes.

The Watcher est une série captivante. Le suspense est rondement bien mené, au cours de sept épisodes, durant lesquels les soupçons se multiplient au point que l’on peine à découvrir qui est le coupable. Cette mini-série rassemble des thématiques que l’on retrouve – de manière similaire – dans la toute première saison de American Horror Story. Plusieurs personnages deviennent obsédés par la maison, ou du moins, par ce qu’elle représente. Certains deviennent même destructeurs pour leur propre famille. The Watcher est plus dotée d’un ton policier que d’une ambiance paranormale. La révélation finale peut paraître frustrante. Elle n’en demeure pas moins maligne et surtout parfaitement logique. Mais je m’en voudrais de divulgâcher cette mini-série qui mérite d’être découverte.

Le Cabinet de… Non, je ne ferai pas cette blague

Guillermo Del Toro présente son Cabinet de Curiosités © Netflix

Est-il bien utile de présenter Guillermo Del Toro ? C’est bien connu, le réalisateur du Labyrinthe de Pan, (que l’on retrouve aussi dans Death Stranding) est passionné par le fantastique et par les créatures effroyables. Depuis le 25 octobre, Guillermo Del Toro présente son Cabinet de Curiosités sur Netflix. Fait assez particulier pour être souligné : Netflix n’a publié que deux épisodes par jour. Voilà qui a permis de savourer la série, jusqu’au week-end d’Halloween. (Notons que, à l’heure où j’écris cet article, je n’ai donc vu que la moitié de la série.)

Chaque épisode débute par une petite introduction de Guillermo Del Toro, à la manière de ce que faisait Hitchcock, en son temps. Le créateur du Cabinet de Curiosités présente l’épisode en question, ainsi que son réalisateur ou sa réalisatrice, avant que la fiction ne commence. Il s’agit d’un format que nous n’avons plus l’habitude de rencontrer. Les épisodes, tous indépendants, sont dotés de la structure d’une nouvelle fantastique, dans laquelle la tension monte lentement, et se termine par une chute inattendue ou marquante.

Le premier épisode est pour le moins classique. On retrouve une atmosphère lugubre digne des années 90 et l’horreur met du temps à pointer le bout de son nez, ce qui la rend d’autant plus mémorable. Dans les épisodes 2 et 3, les artistes du Cabinet de Curiosités abordent des thématiques vues et revues, mais avec assez d’originalité pour captiver l’attention et surprendre. Si les épisodes ne sont pas très effrayants, ils peuvent se révéler assez répugnants pour les rétines les plus délicates. Enfin, l’épisode 4 dénonce la superficialité et le désir de devenir plus belle, à tout prix. L’humour noir, d’un autre temps, atteint son paroxysme, dans un épisode diablement grotesque et dérangeant. Le moins que le puisse dire, c’est que Guillermo Del Toro a tenu son pari. Il a diablement éveillé ma curiosité !

Conclusion

Netflix s’est montré généreux, pour célébrer Halloween. Bien que je n’ai guère apprécié The Midnight Club, j’ai conscience de ne pas faire partie du public visé. Les thématiques de la série sauront peut-être vous parler. Les histoires paranormales pourraient, quant à elles, impressionner les spectateurs et spectatrices les plus jeunes. J’ai beaucoup d’affection pour The Watcher qui, sans révolutionner le genre, maintient du suspense tout au long de la série. Le fait que l’intrigue soit inspirée de faits réels la rend d’autant plus oppressante. Enfin, Le Cabinet de Curiosités renoue avec le fantastique à l’état brut. La structure du récit rend nostalgique et on se plaît à retrouver l’amour du grotesque et la beauté du macabre, signées Del Toro. Ces trois séries explorent l’horreur de manière différente et s’adressent à différents types de public, et c’est très bien. 

  • The Midnight Club, The Watcher et Le Cabinet de Curiosités sont des séries disponibles sur Netflix, depuis le mois d’octobre 2022. 
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Habitué des thrillers avec les mangas Montage (éditions Kana) et Malédiction finale (éditions Komikku), le mangaka Jun Watanabe est revenu depuis avec Golden Guy, un thriller dans l’impitoyable monde des yakuzas, publié depuis cet été en France aux éditions Mangetsu. Et c’est une belle surprise, pour un manga qui parvient à allier suspense, tragédie et quelques pointes d’humour dans un récit à la mise en scène explosive.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Trésor de guerre

© Jun Watanabe (NIHONBUNGEISHA)

Plus bras cassés qu’inquiétants, les personnages de Golden Guy posent le ton d’un manga qui va alterner fréquemment entre un humour grinçant sur la réalité d’une vie faite de hauts et surtout beaucoup de bas, et la violence d’un milieu où le plus fort est rarement le plus honnête. Le manga évoque même parfois la saga des Yakuza côté vidéoludiques, tant pour son ton (avec quelques dialogues plutôt drôles, mais souvent très dramatiques) que ses personnages variés et hauts en couleur, qui dénotent avec ce que l’on imagine classiquement du monde des gangsters. Et le mélange fonctionne si bien qu’il permet à l’hauteur de donner à ses personnages plus de hauteur et de corps, qui attisent autant la curiosité que l’affection, notamment le héros Gai Sakurai dont les manières et les choix vont parfois à l’encontre de ce qui est attendu de lui. Un personnage atypique mais néanmoins très attachant, prêt à tout pour donner un sens à sa quête. Une quête qui tourne autour de la sauvegarde de sa famille yakuza, considérablement fragilisé après la mort de l’ancien leader, face à frère ennemi qui tente de prendre la main sur leur clan pour, entre autre, récupérer un trésor caché. Car l’essentiel de l’histoire tourne autour de cela : le clan dirigé par Gai serait littéralement assis sur un trésor inestimable, un trésor caché des Tokugawa, vieille légende Japonaise qui suppose que la maison Tokugawa (de l’ère Edo) aurait laissé traîner de nombreux trésors encore jamais découverts à ce jour. 

Si le premier tome se limite à une fonction d’exposition, racontant sa galerie de personnages et les enjeux à venir, le cliffhanger final et le deuxième tome accélèrent considérablement la cadence. L’auteur apporte une belle intensité dramatique à un manga qui se joue sur un fil, à la limite de la rupture, alors que son héros n’a semble-t-il rien à perdre et que les vies se perdent aussi vite qu’elles apparaissent. Alliances, trahisons, assassinats et double jeu, les débuts plutôt timides du premier tome n’avaient pour but que de doucement préparer les lecteur·ice·s à un récit terriblement intense. Pourtant, Jun Watanabe ne perd jamais le fil de son histoire, malgré ses multiples rebondissements, en revenant toujours à l’impitoyable rivalité entre Gai et son frère ennemi. C’est pourtant un récit dense et généreux, avec une multitude de personnages qui s’affirment vite avec des personnalités variées, même s’il s’agit souvent d’archétypes assez classiques des récits de gangsters au Japon, notamment du côté cinématographique. Et bon dieu que ça fonctionne bien : Golden Guy trouve un équilibre terriblement intéressant entre son fil rouge et la générosité de quelques histoires plus secondaires qui se mettent en place pour offrir un récit à plusieurs niveaux. Gai est, d’ailleurs, un personnage déjà très attachant, dont le destin (probablement dramatique) captive d’entrée. 

Trésor narratif

La narration frappe fort d’entrée, on se prend au jeu de cette histoire d’un trésor qui se trouverait sur le terrain détenu par le clan du héros (et ça rappelle une histoire d’un jeu Yakuza d’ailleurs). Et ce parce que le récit trouve un rythme intéressant, il alterne fréquemment entre des scènes plus intimistes où Gai gagne en humanité (notamment dans les quelques scènes avec la femme qu’il aime) et d’autres où il apparaît comme un gangster impitoyable. C’est peut-être plus du côté visuel que Golden Guy pèche un peu, avec un style qui manque d’un petit quelque chose pour se démarquer. Avec un style assez classique et passe partout, le mangaka est certes à l’aise, mais moins impressionnant que sur le plan narratif. Cela reste efficace notamment grâce à la mise en scène, très cinématographique (mise en valeur de l’espace, des interactions entre les personnages avec des dialogues qui se répondent, se coupent, un découpage qui favorise l’intensité des scènes…) mais on aurait aimé un peu plus.

En évoquant de nombreuses œuvres sur le monde des yakuzas qui l’ont précédé, le manga de Jun Watanabe apporte sa petite touche avec un sens du rythme narratif qui fait que ces deux premiers tomes se lisent d’une traite, sans hésitation. Raconté comme un thriller, bourré de rebondissements et de scènes clés qui restent en mémoire, Golden Guy arrive à apporter une forme de cinématographie sur papier, tant pour sa mise en scène que l’écriture de ses personnages, très complets et pertinents. Enfin difficile de ne pas penser à la licence de jeux vidéo Yakuza en lisant ce manga, tant l’auteur y trouve un équilibre similaire entre une action omniprésente, une narration dramatique intense et un sens de l’humour qui rend ses protagonistes très attachants. Certes, le manga pèche avec un dessin peut-être trop lisse, trop classique, qui manque souvent de personnalité, et c’est sans nul doute là-dessus qu’on attendra une amélioration au fil du temps. Mais il y a une telle maîtrise de la mise en scène, par le mouvement et le découpage, que le manga reste parfaitement appréciable à l’œil. Une réussite, maintenant on a hâte de lire la suite.

  • Les deux premiers tomes de Golden Guy sont disponibles en librairie depuis cet été aux éditions Mangetsu;
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce huitième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Cédric Degottex, auteur de A Plague Tale Tenebris paru le 19 octobre dernier aux éditions Bragelonne. Nous avons parlé des coulisses de la création de ce roman, de son rapport aux fictions littéraires issues du jeu vidéo ou encore de sa volonté de produire une œuvre s’intégrant parfaitement dans l’univers des jeux d’Asobo et propre à satisfaire pleinement son active et passionnée communauté de fans.

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Rythmées comme une horloge suisse, les éditions Mangetsu nous gratifient tous les deux mois d’un nouveau tome des Enfants d’Hippocrate. Lors de ma lecture du tome 3, je pressentais que la longue phase d’exposition des personnages et des enjeux s’achevait, et que cette phase de transition pouvait donner naissance à un nouvel arc narratif, dans lequel Toshiya Higashimoto allait pouvoir jouer pleinement avec ses personnages et leur développement. Il n’a pas fallu longtemps pour que ce quatrième tome réponde favorablement à mes attentes, en proposant les pages les plus intenses que le manga a eu à offrir depuis ses débuts.

Cette critique a été écrite à partir d’un exemplaire envoyé par l’éditeur

Dur dur d’être Médecin

Comme on pouvait s’y attendre avec l’arrivée d’Hideki Suzukake (grand frère de Maco, notre protagoniste), l’une des thématiques principales du manga sera celle de l’exercice de la médecine, tant sur le plan technique que sur le plan éthique. Maco en parlait dès le premier tome : Lorsqu’il ne sait pas encore communiquer, impossible de savoir ce qui ne va pas chez un enfant qui ne s’arrête pas de pleurer. Le talent d’enquêteur du médecin pédiatre est ainsi l’une de ses principales qualités. Mais même une fois que le diagnostic est posé, la marche à suivre n’est pas pour autant décidée. Une grande partie de ce quatrième tome nous emmène au cœur des échanges houleux qui entourent la jeune Tomorin, patiente connue également depuis le premier volume, atteinte d’une leucémie. Celle-ci a commencé son traitement, mais les effets secondaires de celui-ci ne tardent pas à se montrer. Effets secondaires qui mettent Tomorin en danger, alors qu’elle brave les indications médicales, s’échappant de l’hôpital avec un système immunitaire gravement déficient du fait de la chimiothérapie. Celle-ci contracte une inflammation abdominale qui menace directement son pronostic vital. Traitement antibiotique ou intervention chirurgicale ? Saisir le bon timing pour ne pas risquer de commettre l’irréparable en essayant de sauver une patiente, voilà bien le dilemme auquel sont confrontés les professionnels de la clinique pédiatrique de Kitahiroshima. A travers les observations croisées de tous les praticiens en exercice concernant le cas de Tomorin, le manga nous rappelle que la médecine n’est pas forcément une science exacte, qui plus est exercée par des êtres humains, avec leurs doutes, leurs craintes et leurs espoirs.

La famille jusqu’au bout

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Bien entendu cette situation critique est une occasion en or d’opposer les deux frères Suzukake. Maco craint que l’intervention chirurgicale soit trop invasive pour Tomorin, et préconise de s’en tenir au traitement antibiotique. Hideki au contraire, appuie le passage au bloc opératoire dès que possible. L’on pense au départ qu’il s’agit d’une nouvelle opposition entre le caractère altruiste de Maco qui veut avant tout préserver sa patiente, et le tempérament plus calculateur d’Hideki qui soupèse le pour et le contre dans une froide logique. Mais c’est alors que celui-ci commence à dévoiler une part de son passé, en exposant un cas similaire qu’il a eu a traiter. Une prise en charge qui s’est terminée sur le décès du jeune patient, faute d’être intervenu à temps. Plus que jamais les personnages se parlent à cœur ouvert, et Hideki commence déjà à dévoiler un peu de sa complexité. D’autant qu’on assiste dans ce quatrième tome à une scène poignante, durant laquelle Hideki dialogue avec lui-même devant la tombe de sa mère. Une séquence qui laisse la part belle à des considérations éthiques et philosophiques profondes : « Quel genre de médecin suis-je ? Quel genre de médecin je veux être ? ». Dans ce métier où le doute pèse de plus en plus lourd sur les épaules de celles et ceux qui le pratiquent, le droit à l’erreur est de moins en moins accordé. On le voit une nouvelle fois à travers la réaction du père de Tomorin lors qu’il est mis au courant de la courte fugue de sa fille.

A l’aise dans tous les registres

Plus que jamais Les Enfants d’Hippocrate démontre sa brillante maîtrise narrative. Prenant de bout en bout, ce tome atteint des sommets de tension avec ce nouveau cas très complexe à gérer. Il n’y a pas de solution toute faite face à la maladie, seulement des histoires d’intuition, et surtout de confiance. Cette poursuite de l’arc Tomorin montre que plus que jamais, les frères Suzukake doivent travailler ensemble, et se reposer l’un sur l’autre malgré leurs dissensions. La hype générée par le fait de faire se compléter des personnages a priori antagonistes joue à plein, alors que le volume se termine un puissant cliffhanger qui fait qu’on attend d’autant plus fort la suite ! Plus technique également, mais toujours humaine, l’histoire se focalise cette fois sur la pratique médicale, qui constitue l’une des trames principales du manga, avec l’histoire de la famille Suzukake, dont on apprendra certainement plus dans les futurs tomes.

Fidèle au poste, Les Enfants d’Hippocrate régale, impressionne, et accroche. Jusqu’à lors très chouette manga, l’œuvre est en train de franchir doucement le cap du petit chef d’œuvre. C’est en tout cas d’ores et déjà une formidable réussite.

  • Le tome 4 des Enfants d’Hippocrate est disponible depuis le 5 octobre 2022 en librairie.
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Salut tout le monde ! Ici Reblys pour un nouvel épisode de la Rébliothèque.

Comment fait-on pour aborder le handicap dans la fiction ? Vaste question, et sujet épineux. Car il faut prendre le soin de représenter les personnes en situation de handicap sans les réduire à ce seul aspect. Du haut de ses 170 pages bien espacées, S’adapter fait beaucoup plus fort que ça. Le roman traverse la vie de toute une famille, dont le destin a été bouleversé par la naissance d’un enfant différent. C’est un livre que je trouve important, qui touche au sublime, et c’est pour ça que j’ai voulu vous en parler !

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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Le basket est courant dans les mangas, étant un sport particulièrement pratique sur la mise en scène tant les gestes et mouvements initiés par les basketteur·euse·s dans la vraie vie sont impressionnants. Des dunks où l’on se réjouit de « postériser » son adversaire, à l’intensité d’un sport d’équipe qui se joue sur un terrain plutôt petit (favorisant l’action et l’exploit individuel), toutes les composantes du basket favorisent une mise en scène spectaculaire. Slam Dunk, Real, Kuroko’s Basket… Autant d’œuvres qui ont su capter leur public, et qui en inspirent d’autres, comme le duo Mitsuhiro Mizuno (scénariste) et Ryosuke Tobimatsu (dessinateur) qui se lancent avec Deep 3, un manga qui tente d’aborder le monde du basket sous un angle différent de leurs illustres prédécesseurs.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Conquête de la NBA

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Le manga prend à contrepied les shonen de sport habituels : son héros, Damian Kawai, est certes un prodige, mais il est atteint de « yips », une condition physique qui provoque paralysies et convulsions à des moments clés, sur certains gestes pourtant répétés sans arrêt. Cela devrait provoquer la fin de sa carrière, à peine commencée, alors qu’il se fait peu à peu remarquer au niveau national lycéen. Mais fort d’abnégation et convaincu par des coéquipiers qui continuent de croire en lui, Damian finit par trouver sa voie : son « yips » l’empêche de dunker et de jouer près du panier, où son corps se paralyse à chaque moment décisif, alors il se concentrera sur les tirs de loin, à trois points. Et c’est là que le manga se rattache à la réalité, car si cette « limitation » pour le joueur qui ne peut pas aller marquer au panier semble le condamner pour le basket, on sait qu’en NBA de nos jours, l’essentiel du jeu offensif passe par le shoot à trois points. Depuis une dizaine d’années et l’avènement d’extraterrestres comme Stephen Curry, ce type de tir qui s’effectue depuis l’extérieur de la ligne de trois points est en effet devenu une compétence particulièrement recherchée parmi les jeunes joueurs de NBA. Alors Damian tente de trouver sa place en jouant là-dessus, avec une action qui se déplace dès la fin du premier tome vers les États-Unis. Et c’est un vrai plaisir tant on sent l’amour du mangaka pour le basket américain et toute la culture populaire qui l’entoure. Au-delà de la performance sportive, ce qui le fascine et qu’il traduit dans le manga c’est les personnalités, la culture de la gagne mais aussi celle de l’humiliation, notamment quand il aborde le fait de « postériser » quelqu’un, c’est-à-dire réaliser un dunk si spectaculaire au-dessus d’un adversaire que l’image va devenir un poster. Un élément particulièrement humiliant pour le défenseur, mais absolument savoureux pour celui qui est parvenu à dunker.

Car à la différence des autres mangas cités plus haut, Deep 3 parle de basketball sous l’angle d’une culture très américaine. Damian est lui-même métis, sa mère est Japonaise et son père est Afro-américain. S’il ne se souvient que très peu de son père qui a disparu quand il était plus jeune, il n’en reste pas moins attaché à une culture à laquelle il s’identifie, encore plus en sachant qu’il rêve d’intégrer la NBA (ou ici « NBO ») afin de briser tous les records. Mais c’est un chemin semé d’embûches qui se dresse face à celui qui était jadis l’un des meilleurs du basket au lycée, avant de perdre de sa popularité, devenu un poids mort à cause de son yips. En emmenant le personnage aux Etats-Unis dès son deuxième tome, Deep 3 se place donc dans un contexte unique, en complète opposition d’un Slam Dunk par exemple qui se focalisait sur le Japon, et c’est très finement raconté. Sans jamais être caricatural, le manga raconte plutôt bien l’importance du basket d’un point de vue culturel, en espérant que les prochains tomes continuent là-dessus car c’est un angle plutôt inattendu.

Folie visuelle

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Il y a évidemment une dimension sociale inévitable dans un contexte Japonais, avec un héros moitié afro-américain, dans alors que l’on voit des personnages peu enclins à accepter les personnes d’origine étrangère. Il y a par exemple un moment bouleversant qui raconte l’enfance de Damian où, lassé du harcèlement, il tente de se blanchir la peau au maquillage. Il y a aussi une réflexion autour d’un club de basket japonais qui attire des lycéens d’origine africaine, club détesté de tous car ses joueurs sont vus comme des ennemis, déshumanisés et considérés comme des délinquants. Sans forcément s’y attarder plus d’un chapitre, c’est un point intéressant qui montre toute l’ambiguïté du basket au Japon, pays peu ouvert sur le monde bien qu’il est fasciné par un sport foncièrement empreint d’une culture afro-américaine. Et visuellement, le manga ne cesse d’impressionner. Absolument folle, sa mise en scène rappelle quelques actions emblématiques de NBA (une planche, juste à côté de ce texte, rappelle par exemple un poster de Kobe Bryant). Et au-delà de ça il y a une telle finesse du trait et du mouvement, une intensité qui se traduit à la fois par les corps, fluides, et la sueur qui virevolte à chaque geste. Les expressions en disent beaucoup, notamment sur le visage de Damian Kawai, particulièrement expressif et touchant pour sa manière d’aborder ses difficultés, d’abord en cachant sa peine aux autres, puis en affirmant peu à peu sa personnalité. Si l’écriture est une réussite, le manga doit aussi beaucoup aux dessins de Ryosuke Tobimatsu qui poussent à tourner les pages sans jamais s’arrêter afin de pouvoir découvrir la prochaine planche qui va nous laisser bouche bée.

C’est un véritable coup de cœur. Deep 3 est déjà quelque chose de grand et d’unique, avec une approche extrêmement humaine et réaliste du basket qui évoque toutes les ambiguïtés d’un sport business très marqué par la culture populaire qu’il engendre autour de ses matchs. Mitsuhiro Mizuno est un passionné, c’est indéniable, il le raconte d’ailleurs en conclusion des tomes en abordant son rapport au basket depuis son plus jeune âge, et ça se ressent à chaque page. Pourtant, Deep 3 ne s’adresse pas qu’aux amateur·ice·s de basket : c’est un manga très émouvant avec comme thématiques la détermination et la résistance face à l’adversité, des obstacles d’abord matérialisés par le yips du héros, puis par sa découverte d’un monde différent quand il part aux Etats-Unis.

  • Les deux premiers tomes de Deep 3 sont disponibles en librairie à partir du 19 octobre 2022 aux éditions Mangetsu.
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Watchmen n’a jamais autant décliné son univers. Créé par Alan Moore en 1986, le comics a marqué des générations après lui, que ce soit du côté du public ou des auteur·ice·s. Et si son illustre auteur a pris ses distances, depuis, avec le monde des comics, DC Comics ne se gêne pas pour exploiter la licence. Parfois pour le pire, avec certaines productions particulièrement douteuses où l’univers de Watchmen se mélangeait à celui de DC sous l’ère DC Rebirth (avec l’évènement autour de Doomsday Clock), et d’autres fois pour le meilleur, comme l’excellente série télévisée de Damon Lindelof ou encore ce Rorschach, tout droit sorti de l’imaginaire de Tom King.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

La figure de Rorschach

Jamais avare en compliments pour le travail de Tom King, je vous l’annonce de suite : cette critique de Rorschach ne va pas déroger à la règle. Celui qui ne cesse de s’approprier et de réinventer des personnages du giron DC a mis la main sur Rorschach, personnage aussi emblématique que problématique de l’univers Watchmen. Célébré comme un héros incompris par de nombreuses personnes qui n’ont décidément rien pigé à l’œuvre originale, Rorschach incarne toute l’ambiguïté, et même toute la dangerosité d’un « super-héros » qui a carte blanche et qui prétend combattre la violence par la violence. Personnage servant aux revendications de Moore, qui voyait là un moyen d’alerter sur les risques d’une fascination sans borne pour le pouvoir des super-héros et la lutte contre le crime par la vengeance. Et Tom King reprend cette idée, pardon pour le spoil de Watchmen (mais ça fait 35 ans, quand même), en imaginant les suites probables de l’attaque du calmar extraterrestre à la fin du comics d’origine, avec ses conséquences politiques et sociales, ainsi qu’un fort accent mis sur le traumatisme et la rédemption, comme à son habitude. Plus encore, c’est les conséquences de l’existence de Rorschach qui interroge, avec l’empreinte qu’il laisse sur un monde bouleversé et en manque de repères. Une influence qui est identifiée dès les premiers instants, alors qu’un homme déguisé avec le masque de Rorschach, accompagné par une jeune femme masquée, tente d’assassiner un candidat à la présidentielle. On suit un enquêteur qui tente de comprendre pourquoi, et pour ce faire, se retrouve vite à enquêter sur Will Myerson, l’auteur d’une BD de pirates.

© 2022 Urban Comics

Sous l’angle du polar, l’auteur imagine un monde qui vient de subir une attaque extraterrestre qui ne fait aucun sens, avec ce que cela implique de regain de popularité pour le complotisme et des croyances folles, à l’image de la jeune femme masquée qui imagine que les calmars contrôlent les âmes des gens. Un moyen aussi d’attaquer, à la Alan Moore, le besoin de se masquer pour exister, se fonder une identité qui permet d’échapper aux interdits du monde. Malin et particulièrement bien raconté, le comics aborde tout ce qu’a pu avoir de néfaste l’influence de Rorschach sur le monde, et on le sent, avec un parallèle constant sur notre réalité. Parce qu’il faut bien le dire, la figure du personnage imaginé à l’époque a dépassée son auteur, lui qui a souvent été érigé en héros pour des gens qui y voyaient une solution alors qu’il est foncièrement marqué par la violence et le fascisme, incarnant cet espèce de fantasme de la vengeance et de la justice expéditive péniblement retranscrite dans l’adaptation cinématographique sortie il y a une dizaine d’années. Toutes les conséquences destructrices de la figure du personnage, qui n’existe qu’au travers des fantasmes des protagonistes de Tom King, sont abordées. Notamment via les deux personnes qui tentent d’assassiner le candidat à la présidentielle, faisant passer la vengeance personnelle comme un acte de citoyenneté, un acte caché derrière une prétendue critique du système qui est en réalité la satisfaction d’une pulsion meurtrière et d’un désir de pouvoir. Sorte de résumé d’une Amérique toujours plus violente, le comics Rorschach est une réussite.

Une violente fascination

Plus encore qu’à Watchmen, Tom King rend de multiples hommages au monde du comics, en faisant de l’un de ses principaux personnages un créateur de comics (qui évoque l’œuvre intradiégétique de Watchmen) ou encore en racontant un simili-Frank Miller et son The Dark Knight Returns. On sent que l’auteur, à sa manière, balaie une trentaine d’années marquées par l’influence de l’oeuvre originale, à laquelle il offre un prolongement franchement intéressant. Certes, et très paradoxalement, l’univers de Watchmen devient un élément presque accessoire au bout du compte tant l’histoire finit par se tenir à elle seule, mais ce polar hyper-maîtrisé n’aurait pas forcément un point de départ aussi génial que sans la présence d’un masque qui évoque tout un pan de l’histoire des comics. Et c’est d’autant plus réussi que le trait de Jorge Fornés, que je ne connaissais pas, parvient parfois à rendre de jolis hommages à l’œuvre original, qui plus est avec la colorisation de Dave Stewart. Sans nécessairement singer le travail effectué par Dave Gibbons à l’époque, on sent que quelques choix de couleurs, quelques cases, quelques gestes ne sont pas tout à fait innocents.

Aussi beau que pertinent, le Rorschach de Tom King est une des plus belles réussites d’une licence souvent malmenée. Plein d’amour pour l’œuvre original sans pour autant hésiter à en donner sa propre interprétation, l’auteur imagine un polar à mi-chemin entre thématiques d’antan et des considérations plus actuelles, allant d’un complotisme toujours plus présent à la figure d’un super-héros qui n’en était pas vraiment un. Grinçant sur l’héritage de Rorschach, King montre les conséquences les plus violentes de son héritage, dans un monde post-Watchmen où l’horreur et la peur ne vient plus d’un extraterrestre, mais bien de celles et ceux qui ont pris un anti-héros comme modèle.

  • Rorschach de Tom King est disponible depuis cet été en librairie aux éditions Urban Comics.
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Début juillet, je vous parlais du premier tome de la trilogie de comics The Cape, inspiré par la nouvelle homonyme de Joe Hill. Deux autres tomes complètent l’univers : 1969 et Fallen, sortis cet été pour la première fois en France. Scénarisés par Jason Ciaramella, dessinés par Nelson Daniel mais sans participation véritable de Joe Hill, ces deux nouveaux titres parviennent-ils à hisser le premier tome, doté d’idées intéressantes mais moyennement exécutées ?

The Cape – 1969 : Tel père, tel fils

The Cape : 1969, HiComics & Bragelonne, 2022 ©

1969 se présente comme une préquelle au premier The Cape. En effet, le héros du comics est cette fois Gordon Chase, le père d’Eric, plusieurs années avant les événements que nous connaissons. Les auteurs choisissent de raconter comment Gordon est venu en possession de la fameuse cape permettant à quiconque la possède de voler, lors de la guerre du Vietnâm. Un conflit sombre, sanglant et déshumanisé en quatre parties, chacune entrecoupée d’un passage plus humain, où la femme de Gordon lit les lettres de l’armée à ses fils pour leur donner des nouvelles du père.

Gordon est un militaire, mais aussi un médecin, chargé de sauver des vies plutôt que d’en prendre. Capturé par les soldats vietnamiens, emmené dans un étrange camp de prisonniers dirigé par un homme cruel, il est mis en cage aux côtés d’un sorcier redouté par les personnes présentes. C’est lors de sa rencontre avec le chaman que Gordon va acquérir le pouvoir de voler… Dès lors, il bascule dans une quête de vengeance envers ceux qui l’ont capturé, espérant survivre pour revoir ses fils.

Le comics est efficace tant dans son déroulé que dans ses illustrations. Les cases conservent la violence qui ressortait déjà dans le premier The Cape, aggravée par le conflit militaire représenté. Les couleurs dominantes sont le brun et le gris, dans une première partie au cœur de la boue et de la nature, avant de virer dans le rouge et l’orange du sang et des flammes. Gordon est un homme meilleur que ne le sera son fils, du moins au début. Il est militaire, habitué à ne pas éprouver d’empathie face aux atrocités de son métier, gardant son humanité pour sa famille, loin des conflits.

Ce sont les horreurs et les épreuves du Vietnâm, l’inhumanité des gens autour de lui, qui le poussent à sombrer dans la vengeance. Pour survivre. Pour rendre œil pour œil, dent pour dent. Mais l’aurait-il également fait sans recevoir les pouvoirs de vol par le chaman ? En vérité, la question n’est pas très intéressante. Car le récit ne s’axe pas dessus, ni n’en propose de réflexion approfondie. L’histoire est efficace et offre ses prétextes pour pousser à la vengeance, pour montrer comment un peu de pouvoir peut faire basculer un médecin du côté des tueurs. Bien sûr, il y avait finalement un peu de matériau dans la psychologie du personnage pour l’y pousser, mais ensuite ? Comme pour le premier tome, on reste sur sa faim à la fin de la lecture. Du moins, on sait désormais l’origine de la cape qui permettra à Eric de voler. Et l’on peut dire que le goût de la vengeance et de la destruction, c’est de père en fils chez les Chase.

The Cape – Fallen : Le cercle vicieux

The Cape : Fallen, HiComics & Bragelonne, 2022 ©

Fallen, de son côté, propose de révéler les trois jours passés sous silence dans le premier tome de la trilogie de comics. Eric avait alors disparu pendant trois jours on ne sait où. Le troisième tome propose une réponse : l’homme est parti se réfugier dans la cabane de chasse de son père, là où il passait ses vacances enfant, avec son paternel et son frère Nicky. Mais il se retrouve face à un groupe de rôlistes venu squatter la cabane le temps d’un jeu de rôle grandeur nature, dont l’un des membres est un ancien harceleur scolaire d’Eric. D’abord rassuré, Eric choisit de profiter de l’occasion pour se décontracter et pour participer au GN, loin des horreurs qu’il a causées. Une nuit, rêvant du meurtre de sa petite amie, il se réveille en hurlant, révélant qu’il l’a assassinée. Les autres personnages étant désormais au courant de ses crimes, il n’a d’autre choix que de les tuer… encore.

Un déroulé aussi fluide que le tome précédent, permettant à nouveau d’enchérir dans une série de meurtres violents, assez graphiquement mis en scène. Bien que le côté GN apporte au début du tome un vent de fraîcheur et même un peu d’humour noir, la légèreté ne fait pas long feu. Eric reste ce qu’il est : un personnage looser égocentrique, torturé et traumatisé, tournant en boucle sur les mêmes obsessions, incapable de se remettre en question. Si les personnes présentes ne sont pas avec lui, elles sont contre lui. Et forcément, elles ne peuvent que lui nuire.

Une facilité scénaristique qui résulte aussi de l’esprit très binaire et peu nuancé du personnage. Si au final, il faut tuer ses camarades d’infortune – simplement au mauvais moment, au mauvais endroit – cela ne lui fera ni chaud ni froid. Le récit permet de montrer cependant de façon plus détaillée au cours de cette intrigue, la folie du personnage, ses idées fixes meurtrières. Il fait saisir que toute cette violence et cette rancune vicieuses étaient au fond de lui, attendant simplement une occasion d’éclater. La cape et ses pouvoirs sont tombés à point. Le pouvoir de voler n’a jamais aidé les protagonistes des comics The Cape, révélant plutôt leurs esprits revanchards et pernicieux les plus sombres, guidés par un ego malade plutôt que le désir de faire quelque chose de bien. Un choix qui, selon moi, rend difficile l’attachement aux personnages, tant il manque quelques ressorts psychologiques pour donner une véritable profondeur au comics.

Conclusion

Peut-être qu’il ne faut chercher en The Cape – du premier au troisième tomes – que des récits efficaces, permettant de prendre à contre-pied le mythe du héros, sans prise de tête, pour le plaisir des scènes de violence et d’action. Cependant, le récit a quand même quelques petites réflexions, hélas trop superficielles : l’héritage de père en fils, les conséquences des traumatismes… trop vite survolées, prétextes au déchaînement de violence et de noirceur, plutôt que véritables explications, qui auraient permis un peu d’empathie pour Eric et Gordon, à défaut de sympathie. Il est d’ailleurs vraiment dommage que 1969 et Fallen n’aient pas été intégrés dès le départ à The Cape, car ils auraient pu donner la profondeur qui manquait cruellement au premier titre, et qui l’aurait rendu plus mémorable. Ici, il ne restera des trois tomes de The Cape, que que des lectures sympathiques sur le moment – efficaces si l’on aime ce style de comics – mais au final anecdotiques et peut-être loin de leur véritable potentiel.

  • Les trois tomes de la série : The Cape, The Cape – 1969 et The Cape – Fallen sont tous disponibles aux éditions HiComics, parus respectivement le 15 juin, le 6 juillet et le 24 août 2022.
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On commence à le connaître le Tom King. Auteur très en vue depuis plusieurs années, il prend un malin plaisir à s’emparer de héros DC pour les réinventer à sa manière, en y insufflant des thématiques qui sont récurrentes dans son travail. Il y a eu Mister Miracle, puis Strange Adventures, et voilà qu’il s’attaque à un autre mythe : Supergirl. Et comme les précédents personnages, ce choix n’est pas innocent, car dans sa mythologie, Supergirl coche toutes les cases des thèmes chers à Tom King, à commencer par un traumatisme originel, elle qui a vu sa planète natale et son entourage mourir sous ses yeux. C’et ainsi qu’est né Supergirl : Woman of Tomorrow, un comics qui explore le mythe de l’héroïne.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Une épopée classique

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Le comics s’ouvre sur ce qui ressemble à un conte, narré par une jeune femme nommée Ruthye, habitante d’une planète lointaine qui voit son père être assassiné sous ses yeux par l’horrible Krem. Un acte barbare raconté comme une fatalité, comme un évènement inévitable qui va forger la personnalité de cette femme. Parce qu’elle décide vite de vouer sa vie à une seule chose : se venger. Une vengeance qui paraît presque impossible, jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de l’héroïne que l’on attendait, Supergirl. Inconnue de Ruthye, c’est pourtant une légende vivante qu’elle a face à elle, et c’est en la côtoyant qu’elle comprend peu à peu la stature de celle-ci. Car Tom King est malin sur ce coup, en racontant le mythe non pas au travers de récits d’exploits passés, mais dans les yeux d’une femme qui va être témoin de nouveaux exploits de Supergirl, qui justifient à ses yeux le mythe qu’elle incarne et dont elle finit par entendre parler au cours de leur voyage. Car elles se retrouvent toutes les deux à embarquer pour l’espace, en chasse de Krem, l’héroïne refusant de laisser cette jeune femme se lancer dans une vengeance personnelle sans en avoir les armes. L’auteur y raconte alors une épopée épique, traversant les planètes à la manière d’Ulysse qui découvre les îles. La référence à l’Odyssée d’Homère n’étant pas innocente, avec une narration qui prend une forme très littéraire, sur le registre de l’épique et de l’éloge du héros, qui apparaît comme une figure de courage, de bonté, de moralité, un exemple à suivre pour Ruthye, perdue face à la violence du monde.

En se lançant à l’aventure, les deux femmes affrontent de nombreuses épreuves racontées par Ruthye, rapportant ces moments qui, on le devine vite, ont eu lieu il y a bien longtemps. Et c’est réussi sur ce point, très réussi, Tom King se réappropriant le personnage pour mieux l’adapter sur le registre de l’éloge, sans tomber dans une admiration béate pour une héroïne qui, on le voit rapidement, a des faiblesses. Mais c’est ses faiblesses qui fondent sa détermination. Malheureusement, c’est aussi un point faible pour le comics, qui ne peut s’empêcher de se raconter sous une forme de récit à l’écriture très littéraire et soutenue, rendant la lecture plutôt surprenante à certains moments, avec de très longues bulles qui semblent sortir d’un roman. Et un roman un peu lourdaud, avec des tournures de phrases inutilement alambiquées, bien qu’il soit difficile de déterminer si la faute revient à l’auteur et son texte original, ou à la traduction. Et ça pose question : est-ce que ce mélange d’une narration très littéraire au comics convient réellement au medium ? On se souvient d’Alan Moore, en son époque, qui n’hésitait pas à laisser aller sa verve dans Watchmen, mais Supergirl : Woman of Tomorrow manque de précision pour atteindre ses ambitions. Je salue amplement l’essai, et Tom King arrive à retomber sur ses pieds grâce à un récit absolument prenant, mais il peine à convaincre de la pertinence de certains passages narrés par Ruthye.

Monde brisé

Si le récit est prenant, c’est parce que King ne cesse de s’améliorer et de grandir dans son approche de ses thématiques fétiches. La figure de l’héros·ïne, d’abord, qui était au centre de Strange Adventures et qu’il raconte avec encore plus de justesse ici, grâce à une Supergirl bouleversante et peut-être moins ambiguë que son Strange. Mais aussi le thème du traumatisme qui résiderait en chaque personnage, celle-ci apparaissant brisée, pleine de doute, et en souffrance face à des planètes qui ne lui rappellent que la violence et la désolation ressentie à la destruction de Krypton. Enfin c’est la guerre, fondatrice dans la construction de l’auteur qu’est devenu Tom King, qui alimente de nombreux chapitres où Ruthye et Supergirl ne cesse de constater les massacres successifs auxquels s’adonne Krem partout où il passe. Et pour sublimer le tout le dessin de Bilquis Evely est une réussite, toujours inventif, grâce également aux couleurs de Matheus Lopes qui donnent au comics une force assez magistrale avec des tons chauds qui tranchent avec la tristesse ressentie au cours de la lecture.

Difficile alors de conclure sur ce comics. Fascinant à la fois pour l’exploration des thématiques chères à l’auteur, pour la beauté de son histoire et pour la représentation du mythe de Supergirl, qui est absolument bouleversant. Mais aussi décevant pour son incapacité à pleinement tirer parti de son écriture plus littéraire, où la réussite se limite à la bonne idée d’emprunter au registre de l’éloge et de l’épique, référençant Homère, sans pour convaincre sur la qualité de sa prose. On sent que le récit est terriblement ambitieux et qu’il aurait, ainsi, pu faire beaucoup mieux, mais il n’en reste pas moins une idée atypique dans le paysage de DC Comics qui mérite que l’on s’y attarde, d’autant que cela reste l’une des plus belles adaptations de Supergirl que j’ai pu lire jusqu’à maintenant.

  • Supergirl : Woman of Tomorrow est disponible en librairie aux éditions Urban Comics depuis le 8 juillet 2022.
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