Les survival horror suivent mais ne se ressemblent pas toujours. The Chant, produit par Brass Token, petite équipe canadienne d’une vingtaine de personnes, a le mérite de tenter un premier jeu d’horreur sortant de l’ordinaire. Il y a quelques semaines, c’était le titre Cult of the lamb qui proposait une histoire tournant autour des sectes ; voyons voir si la retraite spirituelle de The Chant se révèle tout aussi horrifique…

Le test du jeu a été réalisé sur Xbox Series S, grâce à une clé numérique fournie par l’éditeur.

Bienvenue dans l’île

Jess Briars est une jeune femme on ne peut plus ordinaire, sceptique dans l’âme. Cependant, elle a vécu un traumatisme personnel en la mort accidentelle de sa sœur, quelques années auparavant. Un drame qui continue à la hanter, au point d’avoir des hallucinations de sa sœur ou encore des crises de panique violentes. Après une vision de trop, Jess décide de rejoindre Kim, sa meilleure amie (un peu perdue de vue depuis la tragédie) sur l’île où cette dernière poursuit une retraite spirituelle.

Méfiante, Jess accepte néanmoins de se plier aux contraintes de l’île : pas de technologie, pas de chaussures, une tenue blanche, et le partage de vie d’une communauté guidée par un gourou nommé Tyler. Parmi les autres adhérents de la retraite spirituelle, on trouve trois autres personnages : Hannah, Maya et Sonny. Hélas, les choses commencent à se gâter, lorsqu’au cours d’une innocente (non) cérémonie de thé aux champignons, une Kim prise de colère brise le cercle spirituel. Jess s’évanouit. A son réveil, elle est la seule assez courageuse pour partir à la recherche de Kim, visiblement possédée, et des autres membres de la communauté.

New Age, Prismologie et retraite spirituelle aux accents de secte

© The Chant, Brass Token, 2022

Comme on l’a dit en introduction, The Chant se démarque des autres jeux d’horreur habituellement par sa thématique. Au Canada, pays d’origine de l’équipe du jeu, les retraites spirituelles sont nombreuses : l’idée de départ de The Chant se tient là, avec une inspiration des sectes New Age prônant l’éveil à la spiritualité et à l’élévation de soi. Dans le jeu, Tyler met en application une pratique créée spécifiquement pour l’intrigue, la Prismologie, mêlant science et spiritualité, avec une forte connexion à la nature. On découvre dès le prologue de The Chant que la Prismologie date des années 70, et qu’elle n’a pas forcément été de bon augure pour la communauté précédente… Autant dire que Jess a fort à faire pour essayer de survivre et de sauver les autres membres de la retraite spirituelle actuelle.

Tout au long du titre, des collectibles seront dissimulés, permettant d’en savoir plus sur le lore du jeu au travers de schémas, de bobines de films et de notes laissées par d’anciens habitants. Non seulement l’île est immense – abritant des mines, une conserverie, un phare, etc. – mais elle possède un lourd passé empli d’événements étranges, à l’instar des protagonistes qui ont chacun une bonne raison d’être ici : tourner la page d’un événement traumatique ou de mauvaises habitudes de vie. Bien des énigmes présentées durant le jeu auront ainsi un lien avec la Prismologie ou la spiritualité, faisant intervenir des formes géométriques qu’on devine sacrées, des prismes très New Age, ou des potions basées sur le mélange d’ingrédients naturels – plus ou moins hallucinogènes ou dangereux, comme le fameux thé aux champignons.

Par ailleurs, la musique du jeu, composée par Paul Ruskay, contribue tout à fait à donner une atmosphère New Age, entre mélodies inquiétantes et planantes. La tranquillité apparente de l’île est contrebalancée par des sons aux accents synthétiques, évoquant un peu les bandes originales des films et gialli des années 70 qui ont aussi inspiré The Chant.

Un gameplay en écho avec la spiritualité

© The Chant, Brass Token, 2022

The Chant, non content d’avoir proposé une intrigue assez inhabituelle, étend son thème jusqu’au gameplay du jeu. Jess est une jeune femme ordinaire : elle ne sait donc pas manier une arme à feu, ce qui aurait détonné dans l’histoire. Elle va vite apprendre à se servir de ce qu’elle trouve sur l’île pour se défendre contre les monstres apparus suite au rituel du thé. Sauge, lavande, huile, brindilles, ficelles : autant de plantes ou éléments naturels qu’elle peut utiliser pour confectionner des armes ou des remèdes. Un inventaire très ésotérique, allant des bâtons de sorcière enflammés aux lancers de sel purificateur, qui n’est pas sans rappeler les objets traditionnels pour purifier des maisons hantées ou repousser les mauvais esprits. On reste parfaitement dans le thème du jeu, de façon plutôt originale et rafraîchissante. La maniabilité des combats n’est pas formidable, entre attaques et esquives, mais on s’y fait – tant qu’on mémorise le pattern des ennemis, assez facilement.

Et comme le rituel semble avoir permis à des créatures d’un autre monde (nommé l’Obscurité) de pénétrer dans l’île, le côté spirituel de l’aventure n’est pas à nier. Jess devrait faire non seulement attention à sa jauge de force/corps pour éviter la mort, mais également à sa jauge de mental. En cas d’événements surnaturels brusques ou d’attaques psychiques d’ennemis, le mental de la jeune femme diminue, au point de la faire subir des crises de panique. La seule solution sera alors d’atténuer son état avec une plante, ou bien de l’éloigner du lieu dangereux pour lui éviter la mort. Une troisième jauge existe, celle de la spiritualité. Au fur et à mesure des six chapitres du jeu, Jess récupère les prismes (cristaux de diverses couleurs) des autres personnages : en libérant leur énergie négative, Jess peut alors utiliser des pouvoirs psychiques : un cri pour repousser les ennemis, les immobiliser au moyen de créatures venant de l’Obscurité… Il est d’autant plus intéressant que le prisme et le pouvoir relié reflète en partie la personnalité de son propriétaire : par exemple, les piquants sortant du sol évoquent l’agressivité et la colère envers les autres d’un des protagonistes.

Du rêve spirituel au cauchemar lovecraftien

© The Chant, Brass Token, 2022

Le jeu fonctionne en hub, avec le petit village de la communauté servant comme nœud central entre les différentes zones de l’île. On se perd parfois un peu dans certaines zones, le jeu ne proposant pas de cartes mais plutôt de se repérer grâce à des panneaux indicateurs et à la mémoire du joueur. Cependant, chaque lieu a son identité et peut exploiter des énigmes différentes, même si celles-ci ne sont pas forcément très poussées. Chaque endroit est également relié au psyché d’un des protagonistes : l’Obscurité, en se répandant sur l’île, a créé des zones de brumes différentes, où l’ont peut entendre des échos du tourment de chacun. Les monstres même qu’on y trouve varient d’un lieu à l’autre, dans un bestiaire reflétant là encore les thématiques du jeu. Ces créatures évoquent des anciens habitants de l’île, des aspects du lieu où on les trouve (crapauds pour les marais, hommes-chevaux pour d’anciennes écuries), avec un aspect végétalisé très organique, ou bien des masques d’animaux utilisés dans d’anciens rituels sectaires. Quant au boss de fin… il a tout d’une innommable entité horrifique digne de Lovecraft débarquant d’un autre monde par un portail, tout en utilisant intelligemment ce qu’on a vu en terme d’ennemis tout au long du jeu.

The Chant a une ambiance au début paisible, proposant le cadre d’une île très boisée tranquille, mais qui bascule très vite dans l’étrangeté ésotérique. La lumière du jour disparaît, laissant place à une très longue nuit aux couleurs vives et flamboyantes, témoignant d’une direction artistique qui change un peu de l’horreur habituelle (même si des bâtisses et éléments du décor ont un petit air de Resident Evil). Et, peu à peu, le surnaturel empreint de mauvais esprits laisse penser à une horreur cosmique, face aux ennemis, face aux étranges végétaux marins présents, et encore une fois grâce aux tonalités de lumières et couleurs, qui permettent aux joueurs et joueuses d’avoir une atmosphère très originale.

Un Chant sans fausses notes ?

L’originalité du jeu suffit-elle à le rendre excellent ? Visuellement, The Chant est très joli et témoigne d’une direction artistique vraiment travaillée, avec un gameplay parfaitement cohérent avec l’univers du jeu. Mais si les personnalités des personnages trouvent aussi leur écho dans les différents aspects de l’île, on peut regretter qu’ils restent juste des stéréotypes, sans être davantage poussés, ou que le gourou Tyler manque par exemple de véritable ambiguïté pour passer pour un véritable antagoniste. Même Jess, notre héroïne, ne parvient pas forcément à susciter de l’attachement malgré son passé difficile. Les personnages auraient sans aucun doute mérité plus de développement et de caractérisation.

Par ailleurs, il existe trois fins au jeu, selon l’état des trois jauges : mental, corps, spiritualité. Ces jauges évoluent selon le soin que le joueur ou la joueuse y accorde, mais aussi en fonction des réponses à certaines discussions avec les personnages (sans autre conséquence véritable). La fin Spiritualité que j’ai obtenu manquait, à mon sens, de profondeur et de véritable conclusion au jeu ; seule la fin Corps (vue sur Youtube) me paraît un peu plus satisfaisante. Même si l’ambiance est travaillée et prenante, elle manque également pour moi de véritables frissons horrifiques, échouant à effrayer. Cela n’en demeure pas moins un premier jeu équilibré, à l’ambiance et au lore travaillés, et qui permet de voir un nouvel aspect du jeu d’horreur, dans la lignée de la peur cosmique et du folk horror. A découvrir donc, si vous avez envie de sortir un peu des titres horrifiques habituels ! Et espérons que le prochain jeu de Brass Token saura faire preuve de la même inventivité, tout en améliorant les quelques défauts de ce premier titre.

  • The Chant est disponible sur  PS5, Xbox Series et PC depuis le 3 novembre 2022.
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Il y a quatre ans, la saga God of War revenait sur le devant de la scène, avec une nouvelle formule fort encensée. Si le Ragnarök était redouté par les dieux nordiques, il était fort attendu par les joueuses et les joueurs munis de la console de Sony. God of War Ragnarök, développé par Santa Monica Studio, est sorti sur PlayStation 4 et 5 le 9 novembre 2022

Cette critique vous est proposée grâce à l’envoi d’un code PlayStation 5, par l’éditeur.

Quelques années se sont écoulées depuis les événements narrés dans God of War (2018). Atreus est un adolescent qui passe le plus clair de son temps à chasser et à s’entraîner avec son père : Kratos. Père et fils vivent à Midgard, en compagnie de la tête loquace de Mímir. Ils mènent une existence paisible, si l’on omet les tentatives fréquentes d’assassinat de la part d’une certaine Freya. Malgré tout, suite aux découvertes faites sur son identité, Atreus a soif de réponses. Kratos essaie de freiner sa curiosité, de crainte que cela ne déclenche une guerre contre les dieux Ases. Mais rien n’échappe bien longtemps à Thor et surtout à son père : Odin.

Un esthétisme et un gameplay bien rôdés

« Moi, j’aime la bagarre, » dirent Kratos et Thor. © Sony, 2022

Bien que les joueurs et joueuses aient désormais la possibilité d’explorer les neuf royaumes, ils ne seront guère dépaysés. Même sur PlayStation 5, l’esthétisme de God of War Ragnarök n’est pas révolutionnaire et ne donne pas forcément l’impression d’être sur next-gen. Après tout, le titre est également disponible sur la console précédente. Il tirera son épingle du jeu grâce à sa direction artistique qui coupe régulièrement le souffle, et ce, sans que Kratos n’ait à nous porter le moindre coup de hache. Le précédent opus avait été salué pour son plan-séquence intégral. Ce procédé de mise en scène est préservé et atteint peut-être même son paroxysme, car le montage ne souffre d’aucune coupure, en dépit de la durée du périple ou de changement fréquent de personnage jouable. Il s’agit certainement de la nouveauté la plus frappante proposée par le gameplay. Si Kratos demeure le protagoniste de l’odyssée, plusieurs séquences permettent d’incarner Atreus. De manière générale, père et fils sont accompagnés de personnages de soutien, plus ou moins connus. Il semble improbable de parler du dieu de la guerre sans évoquer les séquences de combat. Le guerrier taciturne alterne toujours entre sa hache et ses fidèles Lames du Chaos. Une nouvelle arme viendra se greffer à son arsenal mais nous préserverons le mystère, pour des raisons évidentes. Kratos fait preuve de la délicatesse habituelle et force est de constater qu’on en est soulagée, tant les adversaires proposent du défi, y compris dans un niveau de difficulté amoindri. On aurait pu redouter la vulnérabilité d’Atreus mais son style de combat s’avère plaisant, manette en mains. Le fils de Kratos est plus agile et a désormais – sans mauvais jeu de mots – plusieurs cordes à son arc. Il peut se battre au corps à corps et possède des capacités insoupçonnées qu’il lui faut apprendre à contrôler. Outre les séquences de baston, le périple des dieux est ponctué de beaucoup d’exploration et de plusieurs énigmes. Kratos lui-même devra réfléchir afin d’ouvrir des passages improbables, (mais n’exagérons rien, chaque énigme sera malgré tout résolue à coup de hache). Comme toute suite, Ragnarök est privé de la sensation de surprise. En 2018, je me souviens avoir été subjuguée par l’exploration du lac de Midgard, d’autant que les zones explorables se multipliaient, au fur et à mesure que le niveau de l’eau changeait. Certaines cartes de Ragnarök proposent tout de même ce genre d’émerveillement. Bien que cette critique ait été écrite après la fin de la quête principale, il ne faut pas douter que le post-game fourmille de mystères à résoudre. S’il fallait pointer du doigt un bémol, ce serait l’ergonomie des menus, qui, en plus de sembler archaïques, ne sont pas instinctifs. Heureusement, quelques heures de jeu suffisent à se familiariser avec.

Une narration qui s’emmêle

« Je t’ai à l’œil », répliqua Odin. © Sony, 2022

Mais le principal bémol de God of War Ragnarök se trouve dans la narration. Kratos et Atreus ont connaissance de la prophétie qui les lie à la guerre et au Ragnarök. Avec Mímir, ils se demandent souvent si le destin est tracé ou si chacun reste maître de ses décisions. Par ailleurs, si la fatalité existe, faut-il l’embrasser ou – au contraire – tenter de la contrarier ? Celles et ceux voulant éviter le destin ne se précipitent-ils pas davantage dans ses bras funestes ? Ce débat sempiternel aurait pu être intéressant si le scénario, comme les personnages, ne s’embourbaient pas à ce point dedans. Entendons-nous bien, les différentes phases de l’histoire sont intéressantes, séparément, mais on peine à se laisser convaincre par leur fil rouge. Pourquoi les personnages font-ils cela s’ils savent qu’il faut se méfier des prophéties, et peut-on vraiment prétendre changer le destin en clamant simplement qu’on a décidé d’agir par choix, et non par devoir ? Quoi, je vous ai embrouillés ? C’est normal. C’est à l’image du questionnement philosophique de God of War. Heureusement, le nœud se dénoue de façon plus claire, quand vient la conclusion. En dépit de ce fil rouge qui s’emmêle tout seul, aussi sûrement que si le serpent géant Jörmungand essayait de se mordre la queue ; l’histoire demeure très plaisante à suivre. Il est grisant de découvrir ou redécouvrir les neuf royaumes de la mythologie nordique. Certains sont méconnaissables à cause du grand hiver qui s’est installé, en prévision du Ragnarök. A ce propos, le jeu propose désormais de progresser sur différentes montures. Enfin, si God of War tire parfois en longueur et dispose d’un rythme en dents de scie, qui pourrait en lasser plus d’un ; l’aventure se fait aisément pardonner grâce à un dernier arc à la fois épique et touchant, et d’autant plus mémorable qu’il est escorté par une bande originale des plus marquantes et somptueuses. En dépit de quelques défauts, on quitte donc avec regret les univers et surtout les personnages de God of War.

Des dieux emblématiques

Atreus a deux pères. Ou un et demi. © Sony, 2022

Les personnages constituent l’âme du jeu, car ils sont tous exceptionnellement attachants. Kratos (Frédéric Souterelle) peut sembler fidèle à lui-même mais se voit doter d’une prodigieuse évolution, grâce à Atreus qui a gagné en maturité et qui, maintenant qu’il a mué, est incarné par Enzo Ratsito. Il est aussi enivrant de retrouver les récits instructifs ou humoristiques de Mímir (Yann Guillemot, VF de Mads Mikkelsen) que de boire un verre d’hydromel. On retrouve également Freya, interprétée par Rafaèle Moutier. Du côté des nouvelles têtes, on rencontre un Thor délicieusement différent du MCU (Gilles Morvan) et un Odin merveilleusement sournois, incarné par Christian Gonon, VF de Colin Firth. Les personnages sont parfaitement bien construits et s’offrent, de surcroît, des comédiens et comédiennes de talent. Les plus anciens fans du dieu de la guerre (dont je ne fais pas partie) regretteront peut-être le manque de gigantisme des situations ou des ennemis. Certains boss n’en sont pas moins impressionnants et redoutables. Et puis, cela s’explique certainement par le changement de contexte. Les récits de la mythologie nordique sont plus facétieux, sans oublier que Kratos lui-même se remet en question. Le dieu de la guerre cherche à se repentir et à accéder à la rédemption. Il comprend, peu à peu, que la solution n’est pas de fermer son cœur à la douleur, ni de rabrouer Atreus sans arrêt. Kratos décide d’appliquer ses propres maximes, en ne cherchant pas à s’excuser, mais en devenant meilleur. Ou devrais-je dire plus humain. Je n’en dirai pas plus sur cette histoire qui revisite les moments clés du Ragnarök, à sa manière, et réservant, de fait, quelques surprises. Je vous recommande plutôt de chausser vos bottes et de saisir votre hache, afin de vous lancer dans l’hiver nordique. C’est la promesse d’une aventure riche en défi mais aussi en émotion.

Conclusion

Aussi étonnant que cela puisse sembler, le Ragnarök était fort attendu par les joueurs et joueuses de Sony. Les dernières aventures de Kratos n’évoquent en rien la next-gen mais proposent toutefois une mise en scène et une direction artistique rêvées. Le plan-séquence est fidèle à son poste, à l’instar d’un gameplay désormais bien rôdé. Ce nouvel opus permet toutefois d’incarner Atreus ou de se déplacer plus rapidement, notamment grâce au traîneau tiré par les loups. Côté narration, God of War Ragnarök tire parfois en longueur et se prend les pieds dans son propre piège, ne sachant comment jongler avec la question d’une prophétie contournable, ou non. On lui pardonne malgré tout, car c’est un réel plaisir d’explorer les neuf royaumes de la mythologie nordique, de retrouver des personnages que nous chérissons, mais aussi des créatures et divinités aussi attendues qu’inédites. On se demande, désormais, quels sont les plans de Sony pour la suite de la saga, car Ragnarök ressemble finalement plus à un épisode intermédiaire qu’à un réel dénouement. Au reste, il fait voyager, réfléchir et ressentir une belle palettes d’émotions. Accessoirement, il permet aussi d’étriper des ennemis variés et de couper moult bras et têtes. Et je ne parle pas de celle de Mímir. Si vous fêtez Noël, il est recommandé de glisser God of War Ragnarök, au pied du sapin. 

  • God of War Ragnarök est disponible depuis le 9 novembre 2022, sur PlayStation 4 et 5.
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Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre de Vincent Mondiot est présentée sur Pod’culture : Reblys a eu l’occasion de s’entretenir par deux fois avec l’auteur, et vous avait déjà parlé de Toute entrée est définitive. C’est cette fois au genre du roman graphique que Vincent Mondiot s’essaye avec Emergence 7, en collaboration avec l’illustratrice Enora Saby. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Emergence 7 frappe fort, et avec une profonde émotion.

« I drove through my old neighbour / And resurrected memories from ashes »

Tout débute avec l’image d’un bateau avançant vers une île, dans une atmosphère emplie de brume, sur un mer d’un émeraude sombre – si l’on se fie à l’image. Et tout débute par le retour de Léon sur l’île bretonne où il a grandi, il y a vingt ans auparavant, vingt ans de souvenirs – si l’on se fie au texte. Une parfaite union entre les talents des deux auteurs, pour nous raconter l’histoire de Léon, revenant sur le lieu de son enfance, (presque) enfin prêt à faire face à son passé et à la tragédie qui a frappé l’île.

Vingt ans auparavant, il attendait au port le bateau prêt à l’emmener au collège sur le continent, lui et six autres camarades. Il y a Joachim, son meilleur ami, maniaque et empreint de TOCs, mais aussi son partenaire pour la création d’une bande dessinée, Marshall Atlas. On trouve Romane, la grande sœur de Joachim, faussement méprisante comme toute adolescente de son âge envers les garçons. Nina, onze ans, la plus jeune, adorable et gentille de la bande. Il y a Priscille, la plus autoritaire, Elliott, la petite brute de la classe, et Alex, l’ado cool et rebelle dont Joachim est amoureux. Un petit groupe de sept adolescents, chacun touchant à sa manière, chacun avec son caractère, ses amitiés et inimités, parfois des amourettes secrètes.

© Emergence 7, Actes Sud junior, Vincent Mondiot et Enora Saby

Un petit groupe hétéroclite qui attend le bateau scolaire, qui prend une photo dans la lumière étincelante de ce matin-là. Et c’est alors que tout bascule : un monstre géant surgit de l’océan, dévastant le port, dévastant l’île. La journée ordinaire se transforme en catastrophe inexpliquée (au lecteur et à la lectrice de faire ses hypothèses) dont chacun se souviendra le reste de sa vie, hantant les cauchemars des enfants devenus adultes, des années plus tard.

Tout au long du récit, Léon fait des allers-retours entre passé et présent, relatant cette journée terrible, parlant de sa vie actuelle, ou encore du mémorial érigé en mémoire de la tragédie, qu’il visite lorsqu’il raconte son histoire. Un effet de décalage qui rend l’histoire encore plus puissante, les souvenirs amers et désabusés de l’adulte contrastant avec les souvenirs plus légers ou empreints de gravité, de l’enfant qu’il était alors.

« The relics of remembrance are just like shipwrecks »

Il n’y a pas un mot de superflu dans le texte d’Emergence 7. L’auteur utilise à chaque fois les mots justes, les bonnes images, les bonnes répliques, les bons gestes, pour nous aider à visualiser un personnage, pour se rendre compte de la dévastation du village détruit, pour évoquer le sentiment d’un protagoniste. Il est d’autant plus frappant, à la lecture d’une phrase précise (« C’est l’une des images qui me reviennent le plus souvent la nuit. Cet homme immobile, en train de brûler. »), de constater à quel point l’image en parallèle de l’illustratrice correspond et marque notre esprit. Ainsi, le roman graphique est ponctué de ces images et de ces phrases qui frappent, qui nous restent en tête, comme une image qui revient aussi nous hanter, à l’instar des souvenirs du protagoniste.

L’alliance avec les illustrations de Enora Saby n’en est que plus forte, d’autant que le texte se superpose à ces images, loin d’un accompagnement traditionnel du récit sur une page à part. Les illustrations sont parfois cinématographiques, parfois empreintes de nostalgie, parfois jouant sur l’implicite, pour nous faire voir la destruction de l’île et les morts causées par le monstre, pour nous immerger dans les chambres des enfants avec tout l’éclat et les couleurs d’un souvenir heureux.

Les illustrations oscillent entre le bleu-vert sombre de la mer et du ciel, le marron de la boue, le gris de la fumée ou le rouge des flammes, pour nous faire vivre la tragédie vécue par le petit groupe. Les nuances, plus lumineuses, orangées, jaunes, qui nous font pénétrer dans la chambre des adolescents, pour évoquer leur personnalité, n’en sont que plus fortes. Entre la noirceur et le sang de la tragédie, on trouve ces bulles d’espoir, ces fragments de souvenir, qui nous donnent à apprécier encore plus chaque personnage, comme une fenêtre ouverte vers leur univers intérieur.

C’est un de ces romans graphiques où le texte de Vincent Mondiot se marie avec justesse et merveille à l’image d’Enora Saby. C’est un parfait mariage entre les images et les mots, plutôt que d’une illustration du texte, chaque style s’appuyant sur l’autre pour éveiller notre imagination et nous faire ressentir l’émotion du texte.

« We’ll still have our stories of battle scars, pirate ships and wounded hearts / Broken bones and all the best of friendship »

Mais au fond, de quoi parle Emergence 7, et pourquoi résonne-t-il si fort ? C’est l’histoire d’un groupe d’amis face à une tragédie surnaturelle, chacun et chacune avec des réactions différentes, où l’une se révèle plus forte qu’on ne le croyait, où l’autre laisse la colère prendre le dessus. Mais, à travers cette catastrophe, c’est surtout l’histoire de la fin de l’enfance, du passage à l’âge adulte, lors d’un face à face à la mort et à la perte de tout ce qui est familier. Emergence 7 parle du deuil et des regrets, des adultes qui regardent en arrière et qui ont l’impression que parfois, enfants, ils étaient de meilleures personnes qu’à l’heure actuelle. Le récit est fantastique et empli d’action par une fuite éperdue pour survivre, mais il est aussi profondément intimiste. Il nous donne à ressentir toute la tristesse et la panique de cette nuit-là, ainsi que la colère du narrateur qui ne parvient pas à faire son deuil et qui, traumatisé, ne sait plus comment avancer dans sa vie.

Il nous évoque les espoirs d’un futur qui ne fut jamais, à cause d’une catastrophe ; il nous rappelle un passé nostalgique et d’une enfance où tout était possible. Il est émouvant, mais il ne manque pas d’humour noir par moments, salvateur et marqueur du jeune âge des héros. Il parle des rébellions envers un gouvernement qui ferme les yeux sur une telle tragédie, il évoque les souvenirs qui nous construisent et qui continuent à nous marquer, comme des guides de vie, bien qu’ils soient enfouis des années en arrière. Emergence 7 porte en son cœur les amitiés perdues, les liens qui se nouent et se dénouent, de la fragilité de chacun de ses héros et ses héroïnes, de leur manière de continuer à vivre, ou à essayer de vivre, après une telle catastrophe.

Les citations en anglais proviennent de la chanson « So long, Astoria » de The Ataris, évoquée à plusieurs reprises dans le roman graphique – et si magnifiquement choisie dans ses paroles mélancoliques sur les souvenirs et le regret, tout comme dans l’atmosphère rock et déchaînée d’une adolescence enflammée.

  • Emergence 7, publié chez Actes Sud junior (208 pages) est disponible en librairies depuis le 7 septembre 2022.
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Licence phare du petit monde des J-RPG, Star Ocean n’a peut-être pas la renommée de quelques autres de ses congénères, mais il en a indéniablement l’histoire. Née sur PlayStation en 1996, la saga créée par tri-Ace pour le compte d’Enix (puis Square-Enix) a su capter son public avec quelques succès d’estime, notamment son troisième épisode sorti en 2003 sur PlayStation 2. Et le temps passe vite, à tel point que l’on en est rendu aujourd’hui au sixième opus avec Star Ocean : The Divine Force, un titre qui promet plus de liberté que jamais, pour une saga qui a toujours eu des accents d’exploration spatiale avec des mondes très variés.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire PlayStation 5 par l’éditeur.

Choc des civilisations

© 2022 SQUARE ENIX CO., LTD. Tous droits réservés.

L’histoire de ce nouveau Star Ocean débute par une rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu : Raymond Lawrence, en pleine mission de transport dans l’espace, est attaqué et s’écrase avec son vaisseau sur une planète qu’il ne connaissait pas. Une planète qui apparaît sous-développée, avec ses princesses et chevaliers, sa magie et ses villages de fermier·ères. Il y rencontre la Princesse Laeticia, en quête d’allié·e·s pour protéger son peuple de l’Empire, une force du mal incarnée par un camp dont on ne sait trop rien pendant plusieurs heures mais qui, selon les dires des personnages, pourrait avoir un impact sur l’équilibre du monde. À leurs côtés, Albaird, un proche de la Princesse et plus tard, d’autres compagnons que l’on se fait en chemin, comme l’androïde Helena que l’on retrouve et qui était initialement du voyage avec Raymond, ou encore Nina et Midas, qui apportent leur magie au groupe. Petite particularité qui ressemble à un hommage au deuxième opus de la saga, Star Ocean : The Second Story, le jeu propose de suivre l’histoire soit sous l’angle de Raymond, soit celui de Laeticia. Si cela n’a pas d’impact sur les combats et l’exploration notamment où l’on peut incarner indifféremment n’importe quel personnage de notre groupe, le choix initial détermine quelques scènes cinématiques mais aussi quelques bouts de jeu où les deux protagonistes sont séparés. Notamment au tout début avec la séquence introductive qui diffère, mais aussi quelques passages par la suite. Heureusement, l’essentiel de l’aventure reste identique, les variations relevant plutôt d’une différence de point de vue sur certains évènements. Mais le jeu ne manque jamais de dire quelques mots sur ce qui est arrivé à l’autre personnage quand il n’est pas avec nous, évitant ainsi de devoir parcourir le jeu deux fois pour tout comprendre.

Raymond et Laeticia viennent de milieux très différents et ont donc aussi des caractères et des ambitions qui diffèrent, et si les deux sont caricaturaux, c’est quand même des personnages assez attachants. Laeticia est dévouée à son peuple et prête à tout pour éviter la guerre à venir, tandis que Raymond est un aventurier un peu tête brûlée, les deux formant un duo plutôt sympathique dans un monde qui ne manque pas de mettre en exergue les particularités de ses protagonistes, mais aussi de les confronter à leurs propres histoires, leurs hésitations et leurs contradictions. Il y a notamment tout un arc sur l’appartenance royale de Laeticia et ce que cela implique comme impact sur sa vie et son action vis-à-vis du peuple, ainsi que de nombreux moments où Raymond est confronté à des us et coutumes qui ne correspondent en rien à la société futuriste et hyper-technologique à laquelle il est habitué. Quant aux autres membres du casting qui nous rejoignent au fil de l’aventure, on reste dans quelque chose de très archétypal, entre le magicien mystérieux et la jeune fille très enfantine qui dispose des sorts de soin. Plus encore, c’est le chara design qui semble tout droit sorti d’un J-RPG d’il y a quinze ou vingt ans avec un aspect très « plastique » au visage des personnages, et qui rappelle le côté très hors du temps et kitsch des Star Ocean (tel un Star Ocean : The Last Hope). Difficile toutefois de juger le jeu là-dessus, car cet élément relève purement d’une appréciation personnelle. N’ayant aucune attache particulière à la licence Star Ocean, et pour être tout à fait honnête ayant un avis plutôt négatif dessus, il peut être compliqué d’y voir cette sorte de Madeleine de Proust que ce chara design daté évoque à nombre de ses fans. Mais cela existe bien et se comprend, d’autant plus que ce nouvel épisode a parfois un ton nostalgique, comme s’il regrettait l’époque où la série est née, où les J-RPG foisonnaient d’idées et ne s’imposaient aucune limite.

Cette note d’intention clairement identifiée dès le début de l’aventure ne l’empêche toutefois pas d’échouer à captiver aux premiers instants de son aventure. Avec un rythme fastidieux pour sa narration, le jeu prend un temps fou à se lancer et à dévoiler ses intentions, avec une histoire qui ne commence à prendre de l’épaisseur qu’au bout d’une dizaine d’heures, soit un bon tiers du jeu complet (puisqu’il faut compter une trentaine d’heures pour en voir le bout). Avant cela l’essentiel de l’histoire se conte au travers de dialogues entre les personnages lors de phases d’exploration, des dialogues auxquels on ne comprend pas toujours grand chose tant le jeu a tendance à balancer des noms de personnages et de lieux avant même de les avoir introduit. Mais il échoue aussi à expliquer de manière convaincante ses enjeux, en nous mettant dans la peau d’un explorateur de l’espace et d’une princesse qui sont habité·e·s par une forme d’urgence face à la situation, sans que l’on ne comprenne trop ce qui les pousse à répéter aussi souvent que le temps est compté. Et on va pas se le cacher, cela risque de pousser beaucoup de joueur·euses à lâcher le jeu après une poignée d’heures, alors que le titre arrive par la suite à offrir quelques grands moments. Grâce à des personnages qui se livrent enfin et qui attisent une certaine sympathie, tandis que l’aventure prend une nouvelle envergure dans la seconde moitié du jeu, rappelant les origines de la saga avec son goût certain pour la liberté (que l’on ressent assez vite grâce à l’immensité de quelques zones) et pour l’exploration de mondes et de zones complètement différentes. Et puis si l’exploration c’est pas votre truc, découvrir de nouvelles villes est toujours une bonne occasion d’une partie de Es’owa contre habitants que l’on croise, un jeu de stratégie assez rigolo qui se joue avec des pions qui disposent chacun de leurs propres capacités, sur une zone quadrillée où il faut contourner et bloquer les pions adverses. Un mini-jeu secondaire dans la plus pure tradition des J-RPG.

Le combat, la force habituelle de Star Ocean

© 2022 SQUARE ENIX CO., LTD. Tous droits réservés.

Le système de combat, sur lequel on attend évidemment le jeu compte tenu de l’histoire de la saga (qui n’a que très rarement déçue sur ce point), est heureusement une réussite : extrêmement nerveux, il offre de  nombreuses variations de combos à régler soi-même avec les aptitudes et coups débloqués que l’on assemble dans un menu pour créer nos propres enchaînements sur trois boutons de la manette (sur PS5, on assigne des combos différents sur carré, rond et triangle). De quoi permettre au gameplay d’évoluer sensiblement à mesure que l’on avance dans l’aventure, évitant de tomber dans la platitude des combats d’un Star Ocean : The Last Hope par exemple, qui peinait à se renouveler sur la durée. L’action est d’autant plus frénétique que les combats se font aussi dans les airs, avec la possibilité de réaliser des dash vers les ennemis volants. Certes l’action est limitée par des points d’action qui se rechargent lorsque l’on arrête de frapper et de courir, mais ceux-ci se régénèrent suffisamment vite pour rester dans une approche très typée action, avec une forte orientation sur l’observation des patterns ennemis pour les éviter. Sachant qu’il est également possible de sauter et de réaliser des combos plus aériens, ou encore d’augmenter le nombre de points d’actions disponibles en frappant des ennemis lorsqu’ils sont en état de stun, on peut dire que les combats apportent toujours une petite dose de folie à une exploration assez plate par ailleurs. La faute à des donjons assez répétitifs et sans trop de grands moments.

Il faut ainsi construire son équipe pour que l’alchimie prenne avec les différents combos, ce qui est parfois fastidieux : l’approche initiale est assez brute, le système de création de combos obligeant à se balader dans un menu pas franchement accueillant où rien n’est trop expliqué. Ca prend un peu de temps, mais une fois trouvé les bons sorts et coups, on prend un plaisir certain à voir nos allié·e·s s’en donner à cœur joie pour démonter un peu tous les monstres que l’on croise, même si l’IA manque souvent de jugeote. Elle peine notamment à aborder l’importance de chaque action, comme la magie de support de Nina qui sort un peu n’importe quand, puisqu’elle décide de soigner quand c’est pas vraiment nécessaire ou de booster l’attaque quand on a clairement besoin de vie. Mais la petite originalité du titre sur ses combats est le système D.U.M.A., un robot volant qui nous accompagne et qui nous permet soit de nous protéger des coups avec un bouclier plutôt utile, soit de faire des dash lors de l’exploration pour monter en hauteur ou en combat pour surprendre des ennemis. C’est aussi ce petit robot qui permet de réaliser une attaque dévastatrice quand une barre d’ultime est pleinement chargée. Malheureusement, la barre ne se charge que pour le personnage que l’on contrôle, nos compagnons n’en profitant pas, sauf si l’on change de personnage à la volée régulièrement au sein des combats afin de faire charger les autres.

La présence du robot est d’autant plus salvatrice que l’exploration est cette fois-ci plus verticale que d’habitude, en explorant de grands donjons et plaines où l’on n’hésite jamais à s’envoler ici et là pour trouver des trésors ou réussir de minuscules puzzles rarement bien compliqués. Cela apporte un vrai plus à un titre où tri-Ace a bien compris que l’exploration dans les précédents titres de la saga pouvait parfois pénible. Ici, tout va assez vite, entre la vitesse de déplacement des personnages qui est extrêmement rapide et le dash avec le robot qui permet de s’envoler brièvement pour mieux aborder les alentours. Ce qui plaît surtout sur ces phases d’exploration, c’est que le jeu est très généreux en ambiances diverses, en mondes aux couleurs variées et en zones qui savent enchanter malgré les graphismes assez pauvres. La promesse initiale de la licence, celle de l’exploration spatiale avec tout ce que l’univers pourrait offrir est relativement bien remplie. Même si cela ne gomme pas tous ses errements narratifs souvent franchement pénibles, empêchant le jeu de dépasser ce stade un peu trop attendu du « jeu moyen » qui est souvent allé de paire avec la licence.

Du tri-Ace tout craché

D’autant plus que Star Ocean : The Divine Force surprend assez peu sur le plan artistique, en faisant exactement ce que l’on attend de la part de tri-Ace. J’ai évoqué plus tôt son chara design extrêmement daté et très proche de ses prédécesseurs, mais il y a aussi son univers très généreux. Foisonnant d’idées avec une immersion immédiate dans un mélange de cultures et de civilisations, un élément propre à la saga, où l’exploration spatiale a toujours amenée ses personnages vers des mondes parfois à la limite du croyable. Et c’est incarné ici avec l’opposition surprenante entre Raymond, sa technologie de pointe, et le côté très médiéval de la planète où il atterrit et rencontre Laeticia. Mais tri-Ace c’est aussi des mauvais côtés, dont un en particulier auquel n’échappe pas ce nouvel épisode : le design sexiste de ses personnages féminins. Si Laeticia s’en sort pas trop mal, même si l’on reste dans quelque chose d’assez moyen, je pense surtout à Helena et Nina qui sont hyper-sexualisées avec une combinaison ultra-moulante au design douteux pour Helena, et un décolleté très plongeant pour Nina, sur lequel la caméra s’attarde souvent alors qu’elle est décrite comme n’ayant que quinze ans. L’écriture souffre aussi de problèmes inhérents à la licence, avec une naïveté très classique pour celle-ci, qui tente souvent de se maquiller en innocence, mais qui apparaît comme trop enfantin compte tenu des enjeux, notamment dans la deuxième moitié du jeu où certaines thématiques plus graves sont traitées avec une légèreté mal dosée.

Le jeu peut toutefois au moins compter sur la musique de Motoi Sakuraba qui, sans faire de miracles, propose une bande originale tout à fait agréable, qui accompagne plutôt bien l’exploration d’un monde somme toute sympathique, avec des zones très diverses et quelques jolies architectures. Celles-ci ne sauraient toutefois faire oublier le déficit technique d’un jeu qui semble tout droit sorti d’une autre époque. On est en effet face à un jeu très faible visuellement, avec un moteur 3D qui n’aurait rien eu d’impressionnant sur la génération précédente, mais qui se permet quand même de ramer sévèrement dans certaines zones sur PlayStation 5. Un élément difficilement compréhensible, d’autant plus que ces chutes de framerate interviennent essentiellement sur des combats où les ennemis sont nombreux et les dangers, par conséquent, plus grands que d’habitude.

Alors oui, sans trop de surprise, Star Ocean : The Divine Force est le jeu moyen que l’on attendait après avoir vu les nombreux trailers depuis son annonce initiale. Parce que depuis longtemps, la licence Star Ocean végète dans un état qui lui permet de maintenir une certaine base de fans, offrant des jeux sympathiques tout au plus, mais ne parvient jamais à proposer quelque chose de véritablement marquant. Certes son système de combat est abouti, son exploration sympathique et ses personnages attachants, mais son écriture reste dépassée, son rythme complètement raté et pire encore, le jeu s’appuie encore et toujours sur des archétypes dépassés et un chara design que l’on n’a plus vraiment envie de voir en 2022. Mais… Il y a du cœur. Et n’est-ce pas là l’essentiel ? Star Ocean : The Divine Force incarne une autre époque, une naïveté assez évidente face à l’industrie où un studio propose sa vision du J-RPG sans même prendre le temps de jeter un œil aux améliorations apportées à leur propre formule par d’autres jeux qui l’ont reprise pour la sublimer.  Et pour ces raisons, bizarrement, ce jeu ne serait-il pas, au fond, mon jeu de l’année ? Parce que j’ai habituellement assez peu d’amour pour Star Ocean, parfois même un peu de haine (on me rendra jamais les heures passées à souffrir sur The Last Hope) et pourtant, et bien, je me suis bien amusé, et j’ai de la tendresse pour ce jeu qui sait parfois être surprenant malgré lui, attachant sans trop le vouloir, et attendrissant pour sa nostalgie d’une époque qu’il est le seul à regretter.

  • Star Ocean : The Divine Force est disponible depuis le 27 octobre 2022 sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S.
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce neuvième épisode, j’ai de nouveau cédé les commandes à l’ami Reblys qui nous offre aujourd’hui un second round avec Vincent Mondiot. Après un premier contact, en février dernier, autour de la série Colonie Kitej, l’auteur a rempilé pour une deuxième discussion autour d’une autre partie de son œuvre, avec au programme une fresque adolescente, une saga de fantasy et un saisissant roman illustré.

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Persona 5 Royal, sorti initialement en 2020, venait agrémenter le Persona 5 de 2017 d’une sorte de Director’s Cut où le studio venait ajouter tout ce qu’il manquait au jeu original. Une traduction Française, un mode spécial supplémentaire, mais aussi un personnage en plus avec son récit et le donjon qui l’accompagne, ou encore un quartier supplémentaire à visiter. Une version étendue donc, qui enfonçait le clou d’un truc sur lequel à peu près tout le monde était d’accord à la sortie : Persona 5 est l’un des tous meilleurs J-RPG de l’histoire. Quelques années après, en cette fin 2022, le roi revient en se proposant à plus de monde encore : s’il était cantonné à la PS3 et la PS4 en son temps, le jeu débarque enfin sur les Xbox One et Xbox Series X|S, sur PC, PlayStation 5 et Switch.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du jeu par l’éditeur. Le jeu a été exploré sur Switch après avoir été terminé en son temps sur PS4. 

Monde dramatique

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La série des Persona a très vite acquis une bonne base de fans parmi les amateur·ice·s de J-RPG. Mais il faut bien avouer que son cinquième épisode a été un tournant : à la sortie de Persona 5, une certaine hype s’est créée et celle-ci permettait de toucher un public plus large. Et ce n’est pas étonnant, car si les précédents épisodes possédaient déjà quelques uns des ingrédients qui ont mené leur successeur au succès, Persona 5 est celui qui était le plus proche de notre monde. Ses thématiques touchent en effet facilement, notamment la jeunesse, entre le harcèlement, les violences sexuelles, la difficulté d’exister quand on ne nous accorde pas d’attention, etc. Des thématiques déjà esquissées dans d’autres épisodes, comme Persona 4, mais avec probablement moins d’éclat. C’est ainsi que le jeu nous embarquait dans son monde du lycée, où une bande de potes, qui se forme un peu par la force des choses, se trouve affublée d’un pouvoir qui leur permet d’accéder à un simili-Surmoi de Freud, une sorte d’instance morale et inconsciente symbolisée par des donjons où l’on peut explorer l’âme et les pensées de personnes qui font du mal à leur entourage. Tout commence d’ailleurs avec un prof de sport au lycée, coupable de harcèlement physique et sexuel, démontrant dès le départ la volonté du jeu d’aborder une certaine rage adolescente contre l’autorité, contre un vieux monde fait de violence, où l’adulte représente un abus d’autorité menant aux violences physiques et sexuelles. Ce premier arc du jeu est un exemple de narration et une superbe introduction à la manière dont fonctionne ensuite l’histoire : la découverte d’un personnage, souvent investi d’une position d’autorité, la recherche de son point faible, et puis l’exploration de son âme jusqu’à un combat final qui se conclut par une forme de catharsis.

Extrêmement fin et malin narrativement, le jeu multiplie les thématiques propres à notre monde, entre le harcèlement déjà décrit, mais aussi les thèmes du suicide, de l’abus de pouvoir ou encore du racisme. Et c’est le plus souvent abordé au travers de ses personnages jouables qui, tous, portent un lourd passé qui sonne souvent comme un cri du cœur, une alerte sur la condition de la jeunesse au Japon, mais aussi partout dans le monde. Parce que ces thèmes sont universels et voir cette bande de jeunes, déterminée à punir les personnes responsables de ces malheurs en incarnant les « Phantom Thieves », sorte de voleur·euse·s de l’âme et du cœur, a quelque chose de transcendant. C’est un véritable acte de rébellion que les développeur·euse·s de Persona 5 Royal racontent, contre l’autorité d’un professeur, d’un maître, d’adultes, de la police ou encore d’un gouvernement qui ne fait rien pour aider. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : on sait depuis que Persona 5 devait, à l’origine, raconter un roadtrip d’adolescents (qui a finalement fait l’objet de l’histoire du spin-off Persona 5 Strikers). Mais le studio avait décidé de réécrire l’histoire et, probablement, d’être encore plus acerbe sur l’autorité suite au tsunami qui a touché le Japon en 2011, où l’après-catastrophe a plus que jamais exposé l’inutilité et la corruption des têtes dirigeantes au Japon. Alors voir cette bande, qui est composée de gamin·e·s imparfait·e·s, tentant de bien faire, a quelque chose de touchant, avec des personnages attachants et bouleversants.

La bonne réforme de l’éducation

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Le jeu se décompose en deux parties : la vie et les donjons. Une vie où l’on progresse sur le calendrier scolaire, de jour en jour, en accomplissant divers quêtes narratives, en invitant nos potes pour augmenter nos liens d’amitié (et donc débloquer plus de choses sur la fin du jeu) mais aussi en allant explorer les différents quartiers. Il y a même des moments imposés au lycée, où l’on va être confronté à des tests et devoirs en tout genre qu’il faut, au moins tenter, de valider (mais les réponses sont souvent difficiles à avoir : ça parle beaucoup d’histoire japonaise, pas facile pour un public occidental). Et puis, quand on identifie la menace qui plane, tout se met doucement en place. On observe des personnages qui se comportent bizarrement, ou bien les protagonistes ont vent de crimes commis sans être élucidés, la troupe se transformant alors en Phantom Thieves, des voleurs fantômes qui, grâce au pouvoir que l’on vous laissera découvrir, et leurs costumes de voleur·euse·s se métamorphosent, cherchent à sauver les victimes en entrant dans le psyché de grand·e·s méchant·e·s pour y affronter le boss qui emprisonne leur cœur. Il y a évidemment quelque chose de très métaphorique, de très planant même, mais c’est une mise en scène très maline qui permet d’aborder sans filtre les pensées de personnages qui seraient autrement balayés comme de simples mauvaises personnes, sans trop chercher à aller plus loin. Si Persona 5 Royal n’excuse jamais pleinement ses antagonistes, on découvre tout de même des personnages brisés, souvent intéressants. Ce qui permet d’ailleurs d’alimenter toute la narration hors-donjon, avec des discussions entre les protagonistes sur le comportement des méchant·e·s. Tandis que dans d’autres moments, on s’attache plutôt vite aux personnages grâce à des sorties entre ami·e·s ou des SMS envoyés ici et là qui permettent de découvrir le quotidien, les goûts et les rêves de chacun·e. Il y a un côté de trop plein parfois avec un contenu absolument démesuré qui nous submerge, avec la peur de manquer des choses, notamment à cause du calendrier qui avance après un certain nombre d’actions par jour. Mais c’est aussi ce qui fait le charme du jeu : on est là pour prendre ce qu’il nous offre, avec toute la diversité d’actions et d’occasions qui se présentent, et il faut accepter l’idée que l’on ne verra pas tout.

Sur son système de jeu, Persona 5 Royal utilise pleinement ses thématiques pour servir son gameplay : chaque affrontement contre un boss est un exutoire, une rage déversée suite à l’accumulation d’émotions dramatiques autour d’un ou plusieurs personnages. Cela s’incarne à l’écran, avec quelque chose de très dynamique, de très bien mis en scène et de très intense malgré les combats au tour par tour. Jamais lent, jamais ennuyeux, très agile dans sa mise en scène et avec une interface d’une beauté sans pareil, le titre parvient à faire oublier la répétitivité de ses donjons. Et pourtant, ses combats sont extrêmement classiques pour la série : on récupère des Persona, ces espèces de démons qui nous filent un coup de main moyennant une bonne réponse à une question lors de la capture, ou en les soudoyant avec de l’argent ou des objets. Une fois équipé, le démon nous permet de balancer les sorts qu’il connaît, avec la possibilité également de les fusionner entre eux pour en obtenir de plus puissants. On y retrouve la plupart de ces entités déjà connues dans les autres jeux de la saga Persona et de Shin Megami Tensei, mais c’est toujours un plaisir de les redécouvrir en exploitant leurs forces et faiblesses élémentaires, ce qui constitue le cœur du gameplay. Ces combats interviennent dans des donjons assez grands, souvent répétitifs, mais qui tentent d’alterner entre les combats et des phases d’infiltration plus ou moins ratées. On cherche surtout à jouer sur l’effet de surprise en tapant un ennemi dans le dos afin d’obtenir l’avantage du premier tour. Et ça fonctionne pas trop mal, pour un jeu qui peut se révéler très difficile mais qui offre plusieurs modes de difficulté, y compris un mode histoire, permettant à chacun·e de pouvoir profiter de son histoire sans souffrir sur ses combats. Notons d’ailleurs que le portage sur Switch, qui fait l’objet de ce test, se comporte de la meilleure des manières et ne ralentit jamais, y compris en face d’exploration de donjons ou dans les combats contre les ennemis les plus impressionnants visuellement.

Une œuvre d’art

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Si Persona 5 a marqué sa génération, en plus de parfaitement tenir la route aujourd’hui avec le portage sur de nouvelles plateformes, c’est avant tout pour son art. Sa direction visuelle, son character design, sa musique et plus généralement son ambiance. Visuellement éclatant, très coloré mais extrêmement harmonieux, toujours sur des tons qui jouent sur le noir et les ombres, en opposition à un rouge très vif présent dans l’interface, le jeu s’est créé une image et un style que l’on n’oublie pas une fois terminé. À tel point que d’autres ont tenté de s’en inspirer par la suite, donnant à la saga quelque chose qui lui manquait peut-être encore un peu : une identité visuelle remarquable (et remarquée). D’autant plus que le titre peut compter sur ses très belles cinématiques façon série d’animation, qui insiste encore un peu plus sur la proximité de son monde à celui de l’animation Japonaise, notamment celle qui se déroule dans les lycées. Avec un monde lycéen aussi fantasmé que réel : des thématiques bien actuelles, très réalistes, opposées à une conception visuelle du lycée très fantaisiste et fantasmée. Et le jeu n’en est que plus beau grâce à son excellent character design, avec sa galerie de personnages aux personnalités identifiables au premier coup d’œil, sans pour autant tout dévoiler puisque tous·tes arrivent à nous surprendre au fil des heures. C’est de beaux personnages, aussi bien pour leur aspect visuel très familier, agréable et attachant, que leur écriture pointue et intelligente.

Enfin, ce serait un affront de ne pas mentionner ce qui a aussi participé à faire du titre l’un des plus plébiscités de ces dernières années : la bande originale. Probablement l’une des meilleures OST de jeux vidéo, ses airs d’acid jazz surprennent mais s’incorporent étonnamment bien chaque fois que l’on déboule dans les différents quartiers de Tokyo, explorant une ville aussi actuelle que nostalgique, comme une carte postale qui a sa part d’ombre, avec le cri de liberté et d’émancipation qu’incarne l’histoire du jazz. Et c’est d’autant plus impressionnant que la bande-son ne lasse jamais vraiment, malgré la répétition de certains thèmes, un tour de force pour un jeu excessivement long qui a pourtant tout le temps de nous lasser de ses thèmes musicaux. Et c’est d’ailleurs cette longueur qui constitue peut-être le plus grand défaut du jeu que l’on pourrait mettre ici en avant. Il faut en effet compter une bonne centaine d’heures pour en voir le bout (ou, en mode histoire avec des combats anecdotiques, au moins 70 heures). Pourtant, cette longueur se justifie parfaitement par un jeu qui n’est jamais artificiellement rallongé, avec une histoire qui avance sans arrêt et ne prend pas tant son temps que cela. Mais pour beaucoup de monde, ça peut être un frein, et ça se comprend parfaitement quand l’on n’a pas autant de temps à consacrer à un unique jeu.

Des années après, je ne cache pas que le plaisir était intense en me replongeant dans ce jeu que j’avais beaucoup aimé à la sortie, mais dont je n’avais peut-être pas pleinement savouré le génie. Certes c’était déjà un coup de cœur en son époque, mais je réalise en y rejouant sur Switch cinq ans après que l’originalité et la folie du jeu était quelque chose d’assez unique. Si, dans mon cœur, Persona 4 Golden reste l’élu de la série, Persona 5 Royal a une manière d’oser, de dire des choses, de s’intéresser à des thématiques si actuelles, de taper là où ça fait mal et de nous plonger dans son univers parfois quasi psychédélique qu’il en devient absolument indispensable. Un très grand jeu, qui ne cessera de se bonifier avec le temps, à mesure que l’on réalise à la fois son impact sur l’industrie du J-RPG, mais aussi l’intelligence dont il a fait preuve en abordant des thématiques de front, sans pincettes, parvenant à libérer des cœurs, comme ceux de ses boss.

  • Le portage de Persona 5 Royal sur PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S, Switch et PC est sorti le 21 octobre 2022.
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Salut tout le monde ! Ici Reblys pour un nouvel épisode de la Rébliothèque.

Quand on vous recommande un livre avec insistance, et qu’en plus il est noté en coup de cœur dans toutes les librairies où vous mettez les pieds, c’est peut-être qu’il est temps de s’y intéresser. En ce qui me concerne, « L’Homme qui savait la langue des serpents » faisait partie de ces livres…et ce fut un véritable régal. Foisonnante et fantastique, cette fable médiévale pourrait très bien être une histoire sans âge, tant ses thèmes sont modernes et sa narration intemporelle. Un roman proprement génial

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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Les mois passent et ne se ressemblent pas trop. Si l’on peut admirer quelque chose sur l’ère Infinite de DC Comics, c’est que les différentes séries arrivent à se renouveler d’un mois à l’autre, même si l’ensemble manque pour le moment d’un grand récit marquant. Est-ce que l’on va, ce mois-ci, enfin trouver la perle rare, celle qui nous fera comprendre que Infinite est un véritable renouveau pour un éditeur qui a tendance à se répéter ces dernières années ? Peut-être, parce qu’on trouve notamment au programme la fin du travail de James Tynion IV sur Joker Infinite, après avoir terminé son run sur Batman Infinite, et avec l’arrivée, justement, de Joshua Williamson sur le Chevalier noir.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Infinite – Tome 4, le renouveau signé Williamson

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Joshua Williamson, grand architecte du récit général d’Infinite et Jorge Molina succèdent à James Tynion IV et Jorge Jimenez. Le run de James Tynion IV, dont on a largement parlé ces dernières mois au cours des précédents numéros de notre chronique mensuelle, a eu quelques bonnes idées. Avec son ambiance quasi-cyberpunk, on a eu droit à quelque chose qui arrivait à être assez frais à certains moments, même si l’auteur n’a jamais réellement su proposer de grande aventure pour le Chevalier noir. Toute l’intrigue autour du Magistrat a d’ailleurs fini par tomber à plat (malgré l’excellent premier tome au ton horrifique) alors la reprise par Williamson laisse espérer quelque chose de différent. Et très vite, l’auteur star de DC Comics qui chapeaute depuis le début l’ère Infinite met de côté le ton cyberpunk pour revenir à quelque chose de plus gothique, plus habituel pour Batman, en racontant les suites de l’état de terreur, l’arc autour du Magistrat, avec une Gotham qui tente de se relever et de revivre, cherchant plus de liberté, même si tout le monde se doute que ce n’est qu’un état passager avant l’arrivée d’une nouvelle menace. Batman se remet en retrait, il s’éloigne (littéralement) de Gotham dans une intrigue qui l’envoie en « Badhnisie », État fictif en Asie. Il y retrouve la Batman Incorporated, une équipe de super-héro·ïne·s qui désigné·e·s comme responsables d’un meurtre. Une intrigue vite expédiée mais plutôt sympathique, où l’on trouve le vilain nommé Abyss, très réussi, offrant un tome super rythmé. On peut toutefois s’interroger sur ce pays fictif, éternel écueil des comics où, quand les héro·ïne·s quittent les États-Unis pour un pays d’Asie, c’est toujours un pays décrit comme plein de criminalité, de violences, avec un peuple sans foi ni loi, un peu comme Madripoor chez Marvel. Facile et un tantinet raciste, les héro·ïne·s viennent mettre sur la gueule des méchants et donnent la leçon aux locaux avant de rentrer à la maison (où l’on trouve les mêmes problèmes de criminalité, sans étranger pour venir faire la leçon).

Plus généralement cette intrigue sert de grande introduction à Batman Shadow War qui débarque bientôt, un évènement censé mettre Batman face au retour de Deathstroke. On est face à un tome de transition donc, où Williamson se pose tranquillement le temps de mettre ses billes en place. Pourtant, c’est une lecture agréable, qui manque peut-être d’impact, mais qui a le mérite d’être rythmée. D’autant plus que le style visuel de Jorge Molina est très beau, un vrai plaisir pour les yeux après les précédents tomes plus classiques chapeautés par Jorge Jimenez. Avec un style plus authentique, plus pictural, il donne à l’image un cachet agréable, offrant de très belles choses pour les yeux. Enfin, un dernier chapitre conclut le tome en guise de « backup » (présent en VO à la fin du Batman #119), hors-continuité, où une gamine nommée Mia Mizoguchi se retrouve à aider Batman face à des Kappa, créatures mythologiques japonaises. Une narration dans le style d’un « livre dont vous êtes le héros » qui offre un ton résolument enfantin mais accrocheur, très original, qui rappelle à quel point la densité de l’univers de Batman permet d’imaginer de choses inattendues. Une belle leçon pour la plupart des personnes qui bossent sur le personnage depuis des années sans vraiment sortir des clous de récits efficaces mais sans folie.

Joker Infinite – Tome 3, une dernière traque

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Juste après la conclusion du run de James Tynion IV sur Batman, c’est son Joker qui prend fin. Plus intéressé par Jim Gordon, le commissaire le plus célèbre de Gotham, que par le clown, Tynion IV avait réussi à, plus ou moins habilement, raconter les limites morales auxquelles se soumet le flic face à son ennemi ultime, celui qui est responsable du délitement de sa famille, du traumatisme de sa fille et des horreurs traversées par Gotham depuis des décennies. Ce troisième et ultime tome vient donc mettre un point final à la chasse au Joker par Gordon, trouvant enfin la réponse à la question en suspend depuis le premier tome : peut-il, lui qui est droit dans ses bottes, tuer le Joker de sang froid ? Une question pas vraiment finaude mais qui a le mérite de remettre en question la droiture du personnage de Gordon, toujours présenté comme un flic modèle au milieu d’une police pourtant corrompue et capable des pires crimes. Plus que jamais c’est ses valeurs, ses croyances d’antan (que Gotham peut s’améliorer) qui disparaissent, alors que l’espoir laisse place à une réalité bien sordide. Notamment avec une histoire qui se conclut sur les déboires de la famille Sampson, une famille de cannibales, où se termine mal un récit qui ne pouvait pas faire autrement.

Quand je dis mal, c’est évidemment parce que ce final est horrible : glauque au possible, il permet toutefois d’apporter une certaine grandeur à Gordon après deux tomes où il semblait oublier qui il est. Dessiné par Giuseppe Camuncoli, ce grand final manque toutefois de finesse visuelle, pour un artiste qui peine à trouver l’équilibre entre la folie incarnée du Joker et le rationnel espéré par le héros. C’est, toutefois, un tome qui offre une belle conclusion à cette histoire à laquelle je ne croyais pas tant que ça avant la lecture, mais qui s’est avérée finalement plutôt sympathique. Une lecture détente qui permet, en partie, de tirer un trait sur les traumatismes de la famille Gordon, en espérant que ses membres (Jim et Barbara) pourront exister au travers d’autres thématiques à l’avenir. Notons enfin que ce troisième tome s’ouvre sur un premier chapitre dessiné par le fantastique Francesco Francavilla (ce qui est d’un autre niveau que les chapitres de Camuncoli), et se termine sur un chapitre de l’anthologie Batman Black & White écrit par Lee Weeks, où, dans quelques pages sublimes visuellement, il raconte le rapport de Gordon au fameux Batsignal qui lui permet de faire appel au Chevalier Noir. Un chapitre très malin avec une narration solide.

Nightwing Infinite – Tome 2, la pépite

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Déjà très emballé à la sortie du premier tome de Nightwing, pour un personnage qui m’inspire assez peu d’intérêt d’habitude, je dois bien avouer que cette suite tape encore plus fort. Et cette première bonne impression est due à une chose en particulier : le brillant épisode #87 qui ouvre le livre, un numéro nommé aux Eisner Awards. Un moment où le duo formé par Tom Taylor (à l’écriture) et Bruno Redondo (au dessin) montre leur héros, Nightwing/Dick Grayson, averti par Barbara Gordon d’une menace qui plane sur lui. En effet, suite au premier tome où Dick avait déclaré à visage découvert vouloir utiliser sa fortune fraîchement acquise pour les plus pauvres, une cabale s’engage contre lui par des puissants qui n’aiment pas trop le projet. Averti donc de l’arrivée de meurtriers, il s’échappe dans une succession de scènes qui forment un grand tout, une unique (très longue) page où le dessin ne s’arrête jamais. Véritable œuvre d’art qui est ici découpée en une vingtaine de pages, nécessaire compte tenu du format de publication, Urban Comics a eu la bonne idée d’y inclure un QR Code qui mène à la page complète, sans coupure. Non seulement c’est une prouesse visuelle, mais c’est en plus d’une qualité assez folle en matière de rythme et d’action, avec une élégance qui n’a d’égal que la finesse du trait de Bruno Redondo.

Passé cette introduction très impressionnante, on retrouve l’intrigue autour du refuge aidant les gamins de Blüdhaven, que Nightwing souhaite créer pour aider les plus pauvres. L’occasion aussi d’humaniser le personnage en le rapprochant de son vieil ami, Wally West (Flash), qui fait son apparition, mais aussi avec des moments plutôt touchants où Dick retrouve Jon, le fils de Superman. Chargé de le protéger lorsque Superman a quitté la Terre, on le voit là le traiter plutôt d’égal à égal, dans quelques moments intéressants qui permettent d’appuyer sur la maturité trouvée pour un personnage qui assume enfin pleinement sa différence de Batman, après avoir eu du mal à vivre dans son ombre. Dans l’ensemble tous ces ingrédients, qu’il s’agisse du talent de Redondo sur le plan visuel ou la qualité de l’écriture de Tom Taylor qui mélange autant l’action aux relations amicales et intimes du héros, forment un récit-blockbuster terriblement excitant. On voit là toutes les qualités d’un auteur qui pioche des bonnes idées ailleurs, tandis que le dessinateur est toujours formidable d’inventivité et de vivacité dans ses dessins, avec une vraie personnalité qui lui permet de s’affranchir de la proximité avec David Aja que j’avais remarqué dans le premier tome. Pour couronner le tout un numéro bienveillant où apparaissent les Titans dans une super mise en scène, ainsi que deux chapitres bonus, Nightwing 2021 Annual #1 et Batman : Urban Legends #10, ce dernier étant plus léger et réussi, sur le thème de Noël. Bref, j’aimerais en dire encore beaucoup, mais je vais me contenter de vous dire que s’il y a bien une série à lire ce mois-ci, c’est Nightwing.

Wonder Woman Infinite – Tome 3, le procès des Amazones

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Les Amazones de Themyscira retrouvent d’anciennes alliées et rivales : des Amazones de Bana-Mighdall, un groupe plus violent mais aussi plus exposées (elles ne se cachent pas sur l’île de Themyscira sans pouvoir être vues des hommes, par exemple) ainsi que les Esquecidas, une tribu Amazone d’où vient Yara Flor, une nouvelle amazone sur laquelle DC compte visiblement beaucoup, à l’origine sud-américaine. Un moyen aussi de montrer la diversité des amazones, qui ne sont pas incarnées que par Diana Prince. On pense par exemple à celles qui l’entourent, comme Nubia qui a une importance capitale, mais aussi Faruka de la tribu des Bana-Mighdall dont la forte personnalité apporte quelque chose d’intéressant à ce tome. Et c’est un récit fleuve qui concentre plusieurs séries (Wonder Woman, Trial of the Amazons, Trial of the Amazons : Wonder Girl, Nubia & The Amazons…) avec une multitude d’auteurs et autrices, bien que Becky Cloonan et Michael W. Conrad chapeautent le tout pour garder une cohérence globale. Plutôt réussi, ce troisième offre une vision globale sur les événements annoncés ces derniers mois, avec un tournoi organisé pour trouverles nouvelles championnes parmi les trois tribus d’amazones. Au-delà des guerres politiques internes, loin du monde des Hommes, c’est un événement qui va catalyser les tensions, et paradoxalement le rapprochement des tribus : la mort d’Hippolyte.

La mère de Diana est en effet assassinée au début du tome, empoisonnée, poussant toutes les guerrières à se suspecter entre elles. Cassie, l’ancienne Wonder Girl, est alors nommée pour enquêter sur ce drame, tournant la narration vers un simili-whodunit plutôt fun et bien mené, sur fond d’une mythologie grecque mise à rude épreuve face à la volonté de moderniser l’histoire et l’environnement de Wonder Woman. Cela fonctionne bien dans l’ensemble, et j’ai pris un plaisir certain à suivre cette enquête, d’autant plus que le nouveau visage de DC, Yara Flor, a une forte personnalité qui accompagne plutôt bien Wonder Woman. C’est plutôt du côté visuel que j’ai été déçu, avec certes beaucoup de bonnes choses, mais aussi deux ou trois numéros moins réussis, la faute à ce mélange de plusieurs séries centrées sur les amazones (des séries qui se répondent toutes et forment un tout, cela dit), des séries aux artistes divers et varié·e·s. Il y a à boire et à manger, avec parfois peu de cohérence visuelle, au contraire du récit qui se tient parfaitement d’un bout à l’autre.

Superman Infinite – Tome 3, abandonné de tous·tes

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Enfin, pour conclure ce nouveau tour d’horizon des derniers comics sortis du côté des DC Infinite en VF, voilà le troisième tome d’une série qui n’a cessé de m’étonner, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Et ce tome est la parfaite illustration de cette étonnante dualité que l’on trouve dans le Superman de Phillip Kennedy Johnson. Toute la première moitié du comics peine en effet à convaincre. Loin de la Terre, Superman atteint enfin le Warworld où il a juré de détruire Mongul, suite aux évènements des deux tomes précédents, et notamment de la découverte des Phaelosiens. Ces membres d’une colonie scientifique bannie de Krypton il y a bien longtemps est ce qu’il reste de plus proche de qui il est, depuis la destruction de sa planète natale et la quasi-fin de son espèce. Superman ne peut donc pas s’empêcher d’aller à leur sauvetage, après avoir recrutés les membres de The Authority, le groupe un peu brut de décoffrage. Mais voilà, la confrontation immédiate avec Mongul manque de coeur et d’idées, la grande confrontation sonne un peu creux alors que les ficelles sont grosses (comme l’utilisation classique du soleil rouge qui permet d’affaiblir Superman). Pire encore, c’est les dessins de Daniel Sampere puis de Miguel Mendonça sur les premiers numéros qui souffrent d’un manque d’inventivité, n’apportant rien à un récit faiblard, avec des visuels très gentils qui exploitent assez peu l’horreur et la violence du Warworld qui devrait pourtant permettre quelques folies.

Mais heureusement, dans sa deuxième moitié, le récit s’emballe et apporte des choses plus intéressantes. D’abord parce que Phillip Kennedy Johnson rappelle son héros à ses valeurs, celles de l’espoir et de la bienveillance, mais aussi parce qu’il se sert de sa faiblesse momentanée pour le montrer asservi au Warworld et à Mongul. De quoi rappeler la part d’humanité qui sommeille en Clark Kent, et d’apporter de la sensibilité à un récit qui échouait complètement sur sa volonté de proposer beaucoup d’action dans les premiers chapitres de ce tome. Enfin, il y a une vraie amélioration sur les dessins avec les deux derniers chapitres dessinés par Riccardo Federici qui sont très réussis visuellement, bien plus intéressant que ce que font ses compères juste avant. Le mélange d’un récit plus intimiste et de dessins qui lorgnent presque vers la peinture offrent une vision plutôt somptueuse du quotidien d’un monde pourtant fait de désolation. Notamment sur le conditionnement des esclaves du Warworld à qui Mongul parvient à faire croire, avec le temps, qu’il est un héros et que la violence fait la valeur du quotidien alors que l’entraide est une faiblesse. Cette exploitation des thématiques des régimes fascistes est plutôt bien vue, montrant que Phillip Kennedy Johnson est aussi capable d’aborder Superman, personnage pourtant très difficile à manier, sous un angle plus politique et actuel que sa tentative de grande bataille de blockbuster sur laquelle il se rate complètement dans la première moitié du tome.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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J’ai toujours été fasciné par les histoires sur les voyages dans le temps. Déjà tout petit je me repassais en boucle la trilogie de Retour vers le futur, car au-delà d’apprécier les personnages, et tout particulièrement Doc’, je trouvais l’histoire passionnante. Cette idée d’avoir plusieurs lignes temporelles sur lesquels nous pouvons influer en fonction de nos choix, que rien n’est foncièrement gravé dans le marbre a été l’un des moteurs de ma vie. C’est peut-être un peu gros dit comme ça, mais il est clair que cela m’a influencer un minimum sur mes choix de vie. Depuis lors, dès que l’occasion se présente de découvrir des œuvres sur ce thème précis, je saute dessus, tout en ayant conscience que je puisse être déçu, car écrire sur des paradoxes temporels est un exercice extrêmement difficile.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Un bug dans la matrice

© 2020 by Kenji Ichima, Tsunehiro Date/SHUEISHA Inc.

Time Paradox Ghostwriter, écrit par Kenji Ichima et dessiné par Tsunehiro Date est un shonen édité en France chez Crunchyroll (anciennement Kazé France) et nous conte l’histoire de Teppei Sasaki, un jeune mangaka qui a pour rêve d’être publié dans le Weekly Shonen Jump (le magazine de prépublication de manga, le plus célèbre au Japon). Cependant, toutes ses histoires sont refusées. Au bout du rouleau, Sasaki s’apprête à jeter l’éponge, il n’est peut être pas fait pour être auteur. Mais le sort en décide autrement, un soir d’orage, un éclair frappe son appartement, et plus précisément son micro-onde, duquel en sortira un magazine du Jump, censé paraître dix ans plus tard. En effet, son électroménager est devenu une capsule temporelle, et toutes les semaines il y aura un numéro du magazine, avec une histoire qui ne le laisse pas indifférent tant cette dernière semble incroyable. Il décide alors de copier cette histoire qui n’est censé paraître que dans dix ans.

C’est ainsi que débute notre histoire, pour le plaisir de la découverte, je vous laisserai le soin de lire la suite de ce manga, tant il y a de chouettes passages, cependant le manga n’est pas sans défauts… J’ai ressenti lors de la lecture une certaine lassitude, beaucoup de choses tournent autour d’un sujet précis, et j’ai eu l’impression que l’on faisait que se répéter durant les chapitres. Heureusement le scénariste, Kenji Ichima prend vite une décision assez extrême, afin de changer le style du shonen classique, vers une enquête qui mènera le héros de l’histoire plus loin qu’il ne le pensait au préalable. Toujours dans un souci de ne pas vous spoiler l’histoire, je ne souhaite pas en dire plus, car c’est surtout ce point du scénario que j’ai trouvé le plus important lors de ma lecture. Un pivot dramatique, qui est suffisamment important et intéressant, qui me poussera à lire la suite et fin de cette aventure. Car en effet, Time Paradox Ghostwriter est un manga très court, avec seulement deux tomes. Cependant, je reste très curieux de savoir comment le scénariste va réussir à conclure son histoire, tant celle-ci a pu tourné en rond lors du premier tome.

Et c’est tout le problème de ce manga, et qui m’a empêcher d’apprécier pleinement ma lecture. On sent qu’une histoire intéressante peut se cacher derrière le synopsis du titre, cependant, l’exécution est maladroite, et le personnage principale, tout comme ce qu’on lui reproche entant que mangaka, est un peu creux. Heureusement que le cliffhanger de ce tome est intéressant, et nous pousse à vouloir continuer et finir cette histoire, sinon, j’aurai usé de ma Dolorean, pour m’empêcher de lire ce premier tome.

  • Le tome 1 de Time Paradox Ghostwriter est disponible en librairie depuis le 12 octobre 2022
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Cela fait maintenant plus d’un an que Chiruran est publié en France aux éditions Mangetsu. De ses débuts tonitruants à quelques passages un peu moins en vue, l’œuvre n’a cependant jamais déçue. Et ce grâce notamment à une narration toujours maîtrisée, même dans les moments moins palpitants, avec une volonté toujours de placer ses pions avant une grande confrontation. Et ça arrive enfin : ces tomes 9 et 10 racontent une dernière grande bataille pour l’arc des dix premiers tomes.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

L’heure du money shot

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX Approved Number ZCW-08F All rights reserved

Le tome 9 marque l’arrivée d’un nouveau groupe d’ennemis : les sept démons du Mito Tengu-to, alliés de Serizawa, pour aider celui-ci dans ses plans de conquête du Shinsen gumi, à la place du camp de Kondo (celui du héros). Si l’on peut reprocher à Chiruran d’avoir, parfois, amené beaucoup de personnages sans leur accorder trop de temps d’exposition, c’est chose faite cette fois-ci puisque l’auteur Shinya Umemura prend son temps pour raconter d’où viennent ces nouveaux ennemis, pourquoi ils sont là, et de quelle manière ils peuvent bien constituer un obstacle pour la progression du héros. Mais surtout, comme d’habitude avec Chiruran, c’est de vraies gueules de méchants, bien marquants comme il faut, même si l’on aimerait que la galerie de personnages commence à se féminiser. Parce que là, on reste dans la pure testostérone. Heureusement, Chiruran reste toujours efficace chaque fois qu’il évoque ce qui a mené ses personnages, bons ou mauvais, sur cette envoie entre crime et honneur, à l’image des quelques pages réservées à Niimi. Si le personnage était initialement présenté comme sanguinaire et foncièrement mauvais, son histoire se révèle très touchante et surprenante, offrant une dimension nouvelle à un personnage bien plus profond qu’on ne l’imaginait initialement. Et cela contribue au propos de Umemura, qui n’a jamais eu une approche très manichéenne de son histoire, préférant plutôt raconter ses personnages au travers des horreurs provoquées par le contexte politique dans lequel ils évoluent plutôt que de s’interroger sur un quelconque alignement, qu’il soit bon ou mauvais.

Mais ce qui marque fondamentalement dans ces deux tomes, c’est l’approche du dénouement de l’arc de cette longue première partie du manga. Depuis le tome 1 ou presque, tout a mené à une seule confrontation : l’opposition des camps de Isami Kondo, celui auquel appartient le héros Toshizo Hijikata, et le clan de Kamo Serizawa, les frères ennemis. Lancés dans une guerre fratricide qui ne s’assumait pas encore, les deux camps s’opposent enfin frontalement alors que Kondo et Serizawa sont, à la fin du tome 9, sommés de se battre une bonne fois pour toutes afin qu’il n’y ai plus qu’un leader désigné du Shinsen gumi, la milice. De quoi emmener le manga sur ce que l’on attendait tous et toutes depuis le début, mais aussi d’annoncer une suite explosive. L’ouverture du tome 10 avec les prémices d’un duel entre Toshizo Hijikata, héros de l’histoire du Japon, et Kamo Serizawa, son ennemi, est superbe : le trait est fin et juste, et c’est l’occasion aussi d’une réflexion pertinente sur le sens d’une vie par le sabre à une époque où l’on commençait à ne plus vouloir d’eux, samouraïs, au Japon : leur vie ne se résumait elle pas qu’à trouver le bon moment de mourir, avec leurs idées ?

Et la suite, alors ?

C’est d’autant plus passionnant que l’auteur maîtrise plus que jamais sa narration. Et surtout, il montre que Chiruran est capable de bien plus que son premier arc autour de la guerre fratricide entre Kamo Serizawa et Isamo Kondo. On sent une œuvre monumentale qui dépasse tout ce que l’on imaginait jusque là : ces dix premiers tomes n’étaient, en réalité, que le début d’une très grande aventure qu’il nous reste à découvrir ces prochains mois. Mais l’auteur n’est pas le seul à saluer, puisqu’il doit beaucoup à Eiji Hashimoto qui n’a cessé de s’améliorer côté dessins, à tel point qu’il continue d’offrir des planches assez folles, comme l’opposition entre Saito et Niimi. Terrible de beauté, dans une ambiance un peu crade, dans la boue et sous la flotte, incarnant visuellement les parcours foireux de Niimi et Saito et un dénouement inévitable pour leur rivalité circonstancielle.

On a longtemps salué Chiruran pour sa mise en place d’événements futurs qui s’annonçaient exceptionnels, et on y est enfin. Les tomes sortis ces derniers mois visaient tous à une chose, mettre en place la confrontation finale entre les deux clans qui alimentent l’histoire depuis les débuts. Grâce à une mise en scène qui ne cesse de surprendre et une narration toujours plus fine et maîtrisée, Chiruran laisse pour la première fois apercevoir son orientation pour la suite. On craignait que le manga ne puisse pas survivre à la fin de cette guerre qui a constitué l’essentiel de l’intrigue jusque là, mais on comprend enfin que c’est une œuvre majeure qui pourra amener ses protagonistes sur de nouveaux terrains, avec une qualité toujours croissante. Impressionnant.

  • Les tomes 9 et 10 de Chiruran sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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