Alors que je restais méfiant sur la fin du premier tome de Time Paradox Ghostwriter, ce second et dernier tome de la série a su me convaincre et proposer une histoire avec des messages et une fin vraiment intéressante. Cependant tout n’est pas exempt de défauts et cela est dû au fait que la série a été tout bonnement annulée très rapidement, ce qui ont poussé les auteurs à rapidement terminer leur histoire. On pourra tout de même noter un point positif, le fait qu’ils aient eu l’opportunité de conclure ce récit fantastique.

Une course contre la montre

© 2020 by Kenji Ichima, Tsunehiro Date/SHUEISHA Inc.

Autant pour le premier article que j’ai écrit sur ce manga, je vous préservais de spoil, autant ici, afin de pouvoir parler pleinement de cette histoire et exprimer aussi bien ce que j’ai apprécié que de ce que j’ai moins aimé, je vais devoir spoiler, à vos risques et périls donc.

Le compte à rebours est lancé pour Teppei Sasaki. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour sauver Itsuki Aino, la mangaka à qui il a volé l’histoire de White Knight, qui était censé paraître dix ans plus tard. Tout le récit de ce second tome repose là-dessus, et au vu de ce que j’expliquais au-dessus, il ne restait aux auteurs que quelques chapitres afin de terminer leur histoire. Ce qui a un impact flagrant dans le récit, car au-delà d’être une course contre la montre pour notre héros, il en est de même pour le lecteur. Une frénésie complète s’empare de nous tant on sent l’urgence de la situation. Ce qui rend ce tome deux bien plus agréable à lire, il ne tourne plus en rond comme je pouvais critiquer du premier tome. Malgré le plaisir à la lecture, c’est aussi son défaut principal. Une sensation de rush constant, où par moment l’utilisation du « deus ex machina » vient nous sauter à la gorge. Cependant, tout est sauvé par l’écriture du héros. On s’attache énormément à celui-ci, car ce qui importe le plus pour lui, ce n’est pas l’amour du manga en tant que tel, mais plus ce qu’il va faire pour sauver son amie. Il va être prêt à tout, même arrêter le cours du temps, afin d’écrire le manga ultime. Tout porte à croire qu’il fait ça pour surpasser Itsuki, afin de lui faire prendre conscience qu’elle ne peut pas être numéro 1 du classement, et qu’elle puisse ainsi ralentir le rythme, et prendre soin d’elle. Mais le scénariste, Kenji Ichima, est bien plus intelligent que ça, et nous apprenons très vite que Teppei ne veut pas écrire le meilleur manga pour son lectorat, mais la meilleure œuvre pour Itsuki. Ce qui remet en perspective beaucoup d’aspects de la psychologie du personnage principal, et la nôtre par la même occasion.

Je pense que c’est avant tout pour cette fin extrêmement touchante, et à la limite d’un miroir d’un créateur de contenus que nous pouvons être sur internet, qui fait que Time Paradox Ghostwriter est un bon manga. Ce que nous pouvons écrire avec nos articles via Pod’Culture est avant tout, ce que nous souhaiterions pouvoir lire sur d’autres sites, des avis personnels, où l’on sent toute la personnalité de l’auteur et ses propres sensibilités. Et c’est le message principal de cette œuvre, ce que l’on souhaite délivrer à certaines personnes, sans pour autant être le meilleur en tout point, c’est d’ailleurs sur ce point que se termine le manga, et surtout les prochains écrits du héros. Il ne cherche plus à être dans le top du Jump, mais avant réussir à parler à un certain lectorat.

Je dois bien l’avouer, je me suis vraiment réconcilié avec ce manga maintenant que j’ai le fin mot de l’histoire. La où le premier tome me laissait un goût un peu amer en bouche, c’est grâce à sa conclusion que j’ai pu enfin comprendre ce que voulaient transmettre les mangakas. Une œuvre touchante, qui saura trouver son lectorat mais qui n’est pas à la portée de tous, tant le message qu’il renvoie est spécifiquement tourné vers les personnes qui aiment délivrer des messages à travers ce qu’ils peuvent créer.

  • Les tomes 1 & 2 de Time Paradox Ghostwriter sont disponibles en librairie.
2 Twitter

Ed Brubaker et Sean Phillips n’ont plus rien à prouver, plus encore quand on parle de polar. On ne compte plus les grands comics créés par le duo, Brubaker et son écriture ciselée profitant des dessins de Phillips pour donner vie à ses gueules cassées. Chacun de leurs projets attire évidemment mon attention, mais je n’avais pas encore eu la chance de me pencher sur la dernière série de comics qui les occupe : Reckless. Trois tomes sont parus en France pour le moment (et cinq en VO), me poussant enfin à découvrir le premier d’entre eux. Et c’est un coup de cœur.

Polar au soleil

© & ™ 2020 Basement Gang, LLC. Tous droits réservés. © 2021 Éditions Delcourt.

Brubaker prend un vieux mythe américain, entre nostalgie et amertume, celui des années 1980 au lendemain du fantasme hippie. Entre désillusion et espoir, une époque où tout semble possible mais paradoxalement où tout est plus contrôlé, où la drogue autrefois omniprésente laisse place à une police plus violente, et la liberté sexuelle s’oppose à plus de puritanisme. Un entre deux donc, que l’auteur amateur de polars décrit sans idées mal placées, sans nostalgie faussement naïve qui clamerait que « c’était mieux avant » mais plutôt un regard tendre sur l’époque, qui s’oppose à une critique parfois acerbe. Un cocktail parfait pour un récit noir, teinté du soleil de Californie, où une ambiance réputée chaude laisse place au quotidien de Ethan Reckless, une gueule cassée qui passe plus de temps dans les méandres d’une âme humaine pourrie que sur la plage. Pourtant, l’un de ses seuls passe-temps plutôt sains relève de sa pratique du surf, mais ça ne paie pas les factures. Son habitation : un vieux cinéma abandonné, où il diffuse quelques classiques, tandis qu’il reste joignable sur un numéro mystérieux où des gens lui laissent des messages pour l’appeler à l’aide. Il se mue en homme à tout faire, se faisant payer pour accomplir ce qu’on n’ose pas faire soi-même : le job d’un détective privé pour débusquer un adultère, réclamer la dette d’un gars paumé, ou encore casser les genoux d’un rival. Ethan est tombé dans une vie de crime après avoir travaillé pour le FBI pendant des années, jusqu’à un évènement décisif qui l’a définitivement détourné du système.

Car ce premier tome raconte la manière dont le personnage est tombé dans un milieu qu’il était, autrefois, censé pourchasser. Au milieu de ses études, il est recruté par le FBI qui lui demande d’observer ses camarades étudiants afin de débusquer les envies de révolution, entre le mouvement des Black Panthers et les hippies qui s’opposent au système et à la guerre du Vietnam. Lui accepte, peu importe, tant que cela lui permette de ne pas aller au Vietnam pour faire la guerre, justement. Pas parce qu’il était fondamentalement pacifiste, mais plutôt parce qu’il avait conscience de la violence de la guerre, au-delà de la propagande nationaliste américaine qui disait aux gamins qu’ils allaient être des héros en envahissant un autre pays.  Un discours assez classique donc pour raconter cette époque, mais Brubaker l’exécute avec le talent que l’on lui connaît. Si son Reckless peut évoquer sa série Criminal sur la forme, avec ce récit de malfrats teinté d’une image amère de l’Amérique. Mais si à l’époque, le duo formé par Brubaker et Phillips s’intéressait au destin d’une famille qui beignait dans la criminalité, c’est désormais l’individualité de l’acte qui intéresse, avec la solitude d’un homme confronté sans arrêt à ses propres choix et ses propres erreurs.

La virtuosité du tandem

© & ™ 2020 Basement Gang, LLC. Tous droits réservés. © 2021 Éditions Delcourt.

Ed Brubaker écrit un récit « à l’ancienne », avec sa dose de bulles d’exposition où il raconte, comme un témoignage, l’ambiance et le ton d’une époque, où l’on retrouve la gueule cassée tout droit sortie d’un vieux film, le gars qui a un jour tout perdu et qui n’a aujourd’hui plus rien à perdre, tandis qu’il fantasme le souvenir d’une femme qui incarne le sexy d’une époque aux mœurs légères et à la drogue qui libère celles et ceux qui avaient encore un peu de pudeur. À certains égards, cela évoque parfois le ton d’Un après midi de chien de Sidney Lumet, où de pauvres êtres paumés font ce qu’ils peuvent pour survivre dans un monde pourri. Mais pas que, puisque l’auteur se révèle aussi très critique de cette époque et de sa vision du monde, racontant la manière avec laquelle certain·e·s ont profité de mouvements étudiants pour dominer, incarner un pouvoir et écraser les autres, tandis que le FBI et autres joyeusetés gouvernementales tiraient les ficelles en fond. Les dessins de Sean Phillips quant à eux sont inévitablement les points forts du comics, d’une beauté habituelle pour lui mais dont on ne se lasse jamais, plus encore avec la colorisation de son fils Jacob Phillips qui saisit parfaitement l’essence de l’époque racontée avec des couleurs chaudes qui subliment la mise en scène.

C’est presque une remise en cause de ce vieux fantasme cinématographique américain, qui ne cesse de dépeindre les années 1980 comme l’époque où tout était possible, Brubaker remettant en cause à sa manière les mécanismes de domination qui se mettaient en place dans certains mouvements prétendument opposés au système, jusqu’à ce que les digues explosent et que la réalité rattrapait celles et ceux qui ont voulu y croire. Mais il ne condamne pas tout, montrant notamment au travers d’un personnage la pureté d’un certain engagement politique, une véritable incarnation d’un idéal qui a trop peu longtemps survécu. Tout cela faisant de ce premier tome de Reckless quelque chose d’assez formidable, plein de nuances, en guise de remise en cause d’un rêve américain des années 80 qui n’a pas souffert de suffisamment de critique au fil des années.

  • Reckless est disponible en librairie aux éditions Delcourt depuis le 6 octobre 2021. Deux suites sont sorties depuis, intitulées L’envoyé du diable et Éliminer les monstres, et au moins deux autres devraient suivre.
1 Twitter

Il a quelques semaines, je prenais un énorme choc dans le coin de la figure à la lecture du premier tome de la mythique saga Hokuto no Ken. Le mélange si old-school mais également tellement maîtrisé proposé par les aventures de Kenshiro, artiste martial sans attaches, force de la nature sans peur et sans reproches, m’avait mis dans un enthousiasme rarement atteint. J’avais terriblement envie de découvrir la suite, et cela n’a pas échappé à Crunchyroll, qui m’a fait parvenir tout de go la suite de l’extrême edition, avec les tomes 2 et 3 de cette épopée post-apocalyptique. Verdict après une nouvelle session de lecture effreinée : Alors qu’il était difficile d’atteindre à nouveau l’intensité des débuts, car les ficelles narratives et visuelles présentées dès le premier tome sont conservées et réutilisées, Hokuto no Ken va tout de même de l’avant, en dévoilant un nouveau pan de sa mythologie et de sa philosophie, pour notre plus grand plaisir.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur, Crunchyroll

Une dimension mystique et des enjeux préservés

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Dès le départ, la dynamique scénaristique d’Hokuto no Ken était posée, et ne va pas pour l’instant être remise en question : Accompagné de ses deux jeunes compagnons, Kenshiro arrive dans un lieu tourmenté par un gang de vilains. Ému par le sort de ses habitants, le maître du Hokuto shinken s’en va payer une petite visite aux fauteurs de troubles et raye leur troupe de la carte, rendant toute sa quiétude aux habitants des environs. A partir du volume 2, les petits arcs salvateurs de ce type vont se multiplier, toujours avec un Kenshiro intouchable et immaculé sur le plan moral. A tel point qu’il commence à se dégager de Ken une véritable aura messianique. Ses exploits de « One Man Army » sont de plus en plus connus à travers le pays, et sa réputation va commencer à le précéder partout où il passe. Lorsqu’il a accompli son sauvetage, certaines planches lui donnent carrément une aura christique, celle d’un envoyé des cieux, d’un enfant divin, auréolé d’une force supérieure capable de délivrer son prochain des forces du mal. Cette dimension mystique, pour ne pas dire clairement religieuse, est par ailleurs renforcée par l’emploi très commun du champ lexical du démoniaque. Ainsi il n’est pas rare que les différents ennemis rencontrés, voire Kenshiro lui-même, soient comparés à des démons ou au Diable lui même. De même l’apparence parfois hideuse, et souvent disproportionnée des méchants, dont on parlait déjà dans le premier tome, leur donne souvent un physique bestial, voire démoniaque. Par ce biais, Hokuto no Ken s’apparente parfois littéralement à une lutte du bien contre le mal, incarnée par une opposition entre le divin et le diabolique. C’est particulièrement visible à travers le regard que portent sur lui les villageois qui viennent d’être délivrés. Le plus souvent un enfant ou une vieille personne qui, ébloui.e.s par la vigueur de leur sauveur, donnent à la scène un goût de vignette biblique.

Cela permet d’ailleurs de lutter contre un problème scénaristique que j’ai paradoxalement identifié dans une œuvre bien plus récente, et que j’appelle « l’effet One-Punch Man ». En effet, Saitama comme Kenshiro possèdent la caractristique de ne jamais être inquiétés en combat, et d’en finir la plupart du temps en un seul coup. Dans ces conditions, comment parvenir à créer un enjeu pour l’intrigue, dont la tension repose bien souvent sur la manière dont son protagoniste va être mis en difficulté et devra faire face à l’adversité ? La réponse apportée à cet enjeu est la même pour les deux mangas : On crée de l’enjeu via les autres personnages. Car si Kenshiro est virtuellement invincible, ce n’est pas le cas de chacun et chacune des habitant.es de ce monde en ruines, où la mort est à tous les coins de rue. Si les gangs de loubards sanguinaires sont à ce point craints et redoutés, c’est parce qu’ils ne reculent devant rien. Bien souvent l’arrivée de Kenshiro se fait a posteriori d’une première intervention de sbires énervés. Interventions qui se soldent quasiment à coup sur par quelques corps découpés, qui peuvent inclure femmes et enfants si le cœur leur en dit. Ainsi exactement comme dans One-Punch Man, la question n’est pas « Est-ce que Kenshiro va s’en sortir ? », mais plutôt « Va-t’il arriver à temps ? » ou « Va-t’il réussir à empêcher l’ennemi de perpétrer un nouveau massacre ? ». Notre empathie se focalise sur les pauvres bougres qui n’ont rien demandé et qui vont subir le fléau de la violence aveugle sans pouvoir rien y faire. Certains de ces personnages sont d’ailleurs mis en avant par leur héroïsme ordinaire, leur opiniâtreté à défendre leur petit bout de territoire et leurs ressources faces aux assauts incessants des voleurs et des tortionnaires dont cet immense désert regorge. C’est bien souvent inspiré par leur courage que Kenshiro va se décider à faire une pause dans son voyage pour leur porter assistance. Cela donne à son périple un petit goût utopiste. A son échelle, Ken ne peut pas véritablement changer la donne, et le monde restera un endroit aussi dangereux que désespéré. Mais il diffuse de l’espoir à petite échelle par son action. Il laisse partout où il passe a minima l’illusion que la vie sera un peu moins dure qu’avant son arrivée. Cela renforce son côté messianique dont nous parlions plus haut, mais cela contribue également à prendre de la hauteur par rapport au seul personnage de Ken, et d’aborder l’œuvre sur un plan plus philosophique qu’il n’y parait.

Nous ne sommes que des hommes

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Et c’est finalement cet aspect philosophique qui m’a le plus intéressé à la lecture du troisième tome de cette « Extrême edition », car celui-ci va pour la première fois introduire de nouveaux personnages adultes, qui vont être traités comme de véritables compagnons de Kenshiro. Jusqu’à maintenant les personnages qui accompagnent Ken, Batt et Lynn, n’étaient que des personnages fonctionnels, dépourvus de véritables développements. Cette dynamique change avec l’introduction de Rei, nouvel artiste martial auprès duquel Ken va pouvoir trouver un compagnon autant qu’un rival, et surtout Mamiya, premier personnage féminin d’envergure depuis Julia, la dulcinée perdue de Kenshiro. Avec le développement de ces personnages se créent de nouveaux enjeux, et une dynamique qui va parcourir tout l’arc introductif de ces deux personnages : Pour vaincre des gens si forts, il faut exploiter leurs faiblesses, car ils ne sont au final que des êtres humains. Les antagonistes de cet arc, le gang des crocs, jouent un rôle intéressant au service de cette stratégie, qu’ils décident eux-mêmes d’employer. Ils décident en effet de s’attaquer à l’entourage des deux héros, car leur propre « famille » a été attaquée par eux. Dans les faits cela crée une situation superbement patriarcale, puisque ce sont la sœur de Rei et Mamiya qui joueront le rôle des demoiselles en détresse que Ken et Rei vont devoir secourir. On est dans les années 80, on ne pourra pas y changer grand chose, mais philosophiquement, la situation est tout de même intéressante. Après un volume 2 dans lequel Ken était présenté comme une figure quasi divine et intouchable, ce tome 3 tente de réhumaniser Kenshiro, en lui faisant tisser des liens avec d’autres personnes, et le mettant dans une situation délicate où celles-ci risquent d’y passer s’il ne trouve pas comment leur venir en aide. Une nouvelle manière de créer de l’enjeu malgré le caractère toujours assez monolithique de notre protagoniste. A la suite de ces péripéties, l’arrivée d’un nouvel antagoniste principal, qui s’annonce d’une dimension assez supérieure à ceux qu’on a connus durant ces tomes 2 et 3, va peut-être permettre de relancer l’intrigue et de développer une nouvelle dimension narrative de l’œuvre.

Car ce qu’il ressort de ces volumes, c’est qu’une fois passé l’exaltation de la découverte, il va falloir à Hokuto no Ken réinventer régulièrement sa formule et ses approches pour pouvoir continuer à titiller mon intérêt. La lecture de ces nouveaux chapitres de l’épopée de Ken a été très agréable et tout à fait prenante, mais a déjà laissé s’échapper un peu de son intensité par rapport au premier volume, perte de l’effet de surprise oblige. Je suis toujours aussi curieux de voir jusqu’où cette série peut nous emmener, mais j’espère également qu’elle continuera sur cette lancée, en élargissant le cadre et la portée philosophique de l’histoire au delà de Kenshiro, ou en le faisant évoluer de manière plus directe et spectaculaire. Car tout stylé qu’il soit, un personnage aussi unidimensionnel risque très vite d’atteindre ses limites s’il reste l’unique pierre angulaire de ce récit. Ainsi c’est toujours avec beaucoup de curiosité que j’attends la suite de cette série, qui n’a je l’espère pas fini de me surprendre !

  • Les tomes 2 et 3 de l’Extrême Edition de Hokuto no Ken, sont édités chez Crunchyroll, et sont disponible en librairies novembre et décembre 2022.
2 Twitter

« Le blues du businessman, Un garçon pas comme les autres, SOS d’un terrien en détresse » ou encore « Le monde est stone »… Qui n’a jamais entendu ces chansons érigées, depuis les années 70, au rang de mythes ? En dépit de cela, beaucoup ignorent que ces titres appartiennent à une seule et même tragédie musicale ; si bien que les paroles sont souvent détachées de leur sens originel. Mais voilà que, après de longues années d’attente, Starmania est de retour sur scène.

Starmania est un opéra-rock, vu à la Seine Musicale, près de Paris, le 12 novembre 2022, à 15h. Ainsi, les artistes mentionnés sont celles et ceux aperçus lors de cette représentation.

Dans un univers futuriste, une présentatrice vedette répondant au nom de Cristal est kidnappée par un groupe terroriste, dirigé par Johnny Rockfort : les Étoiles Noires. Jamais l’actualité n’a été aussi sombre, à l’aube de l’élection présidentielle de l’Occident. Deux candidats se déchirent : le Gourou Marabout, un écologiste véhément et Zéro Janvier, partisan de l’extrême droite. Dans ce climat politique dangereux, les uns tentent de se faire connaître, quand d’autres essaient de rester accrochés au pouvoir. Marie-Jeanne, simple serveuse, assiste avec mélancolie aux destins tragiques de ces stars montantes et descendantes.

Cristal : La genèse de Starmania

Le nouveau logo de Starmania © 2022

Doté de cheveux bouclés, le pianiste fait raisonner ses premières notes, dos au public. Aussitôt, les danseurs et danseuses automates se dirigent, sans rompre la chaîne, vers la métropole de Monopolis. La cité est symbolisée par le building doré qui pivote sur scène, présentant les huit protagonistes de l’opéra-rock. Dans cette métaphore de l’échelle sociale, les uns gravitent dans les souterrains et les premiers étages, tandis que d’autres arpentent les sommets. Monopolis est présentée par Cristal, une jeune muse blonde à la voix… cristalline. Ce personnage incarnée par Lilya Adad, est la présentatrice vedette de Starmania, une émission destinée à faire connaître de futurs artistes. Elle fut autrefois incarnée par France Gall. Car oui, Starmania est avant tout un immense succès des années 70, écrit par Luc Plamondon et composé par Michel Berger. L’idée même du projet naît en même temps que le personnage de Cristal, puisque Michel Berger voulait tout d’abord créer une comédie musicale s’inspirant de la vie de Patricia Hearts. Il s’agit de l’héritière d’un riche magnat de la presse qui, en 1974, fut enlevée par un groupe terroriste d’extrême-gauche américain. Contre toute attente, elle rejoignit leur cause et prit part à leurs actions. Bien que Luc Plamondon préféra se focaliser sur une histoire et des personnages fictifs, le destin de Cristal était tout tracé. Starmania, c’est aussi le tout premier opéra-rock francophone, dont les représentations commencèrent en avril 1979, suite au succès retentissant de l’album. Mais que serait Starmania sans un certain Balavoine ?

Johnny Rockfort : Retour d’une dystopie

Johnny Rockfort et Sadia sont prêts à en découdre © Starmania, 2022

Un zonard au look androgyne se déchaîne sur scène, où il détruit des voitures et brutalise des passants. Beaucoup ignorent que derrière les tubes de Balavoine « Quand on arrive en ville » ou « SOS d’un terrien d’un détresse » se cache le personnage de Johnny Rockfort. En 2022, Johnny est incarné par Côme. Starmania n’avait pas été représenté sur scène depuis de longues années, avant que Raphael Hamburger, (fils de Michel Berger et de France Gall), ne décide de faire revivre le spectacle. Le projet fut malgré tout paralysé deux années de plus, à cause de la situation sanitaire. Il a donc fallu attendre le 8 novembre 2022, pour voir Johnny Rockfort clamer un nouveau SOS. Starmania est à l’image de Johnny. C’est une dystopie dans laquelle les personnages – noyés dans la mélancolie, l’angoisse du temps qui passe et la violence – sont broyés par un destin inexorable. Anarchiste et nihiliste, Johnny saccage tout ce qui est autour de lui pour faire entendre son cri de désespoir. Néanmoins, lorsque son groupuscule, les Étoiles Noires, kidnappe Cristal ; le zonard tombe amoureux et accepte d’apporter une dimension politique à ses actes. On peut regretter que le personnage, aussi important soit-il, reste en retrait, par rapport à d’autres rôles plus secondaires. Loin de s’efforcer d’imiter Balavoine, Côme apporte un souffle sauvage à son chant, devenu plus abrupt. Cela ne l’empêche pas de se permettre des envolées lyriques poussant au respect, durant le « SOS d’un terrien en détresse », l’une des chansons les plus difficiles, techniquement parlant.

Marie-Jeanne et Sadia : Ode à la diversité

Un aperçu mystérieux du casting de Starmania © 2022

Starmania n’est pas une simple romance entre deux anarchistes, loin s’en faut. Il s’agit d’une dystopie visionnaire, à la mise en scène orwellienne, et qui n’hésite pas à briser le quatrième mur. Elle le fait par l’intermédiaire de Roger Roger, un présentateur de télévision qui n’est plus qu’une voix désincarnée, dans cette version 2022. Incarné par Thomas Jolly, (le metteur en scène), Roger Roger fait part de l’actualité, à travers des vidéos oppressantes dont nous sommes les spectateurs et spectatrices impuissants. Mais il y a une autre spectatrice, Marie-Jeanne, qui travaille dans l’Underground Café. Il s’agit de la serveuse automate dont on ne présente même plus les chansons : « Un garçon pas comme les autres, Le monde est stone… » Starmania était, à l’époque, un spectacle avant-gardiste et visionnaire, y compris sur les questions du genre et de la sexualité, comme en témoigne la diversité des personnages. Il est heureux que le casting de 2022 reflète cette diversité. Ainsi, le rôle de Marie-Jeanne est-il confié à Alex Montembault, un chanteur non-binaire à la voix angélique. Dans le programme du spectacle, Alex confie avoir hésité à accepter un rôle féminin, avant de reconnaître la dimension neutre et universelle de Marie-Jeanne. La serveuse automate subit ce qui se passe dans ce monde où chacun s’efforce d’aller plus haut, au risque de s’effondrer. La voix d’Alex Montembault rend honneur à la beauté des chansons d’une Marie-Jeanne plus mélancolique que jamais, surtout lorsqu’elle se retrouve seule sur scène, avec sa guitare. Tout juste peut-on regretter le manque d’évolution de cette interprétation, que l’on pourrait presque mettre sur le compte de la timidité. En dépit de sa noirceur, Starmania est un opéra-rock prônant l’acceptation de la différence. Outre l’interprète de Marie-Jeanne, on retrouve d’autres personnages queers, comme Ziggy, aimant les garçons, ou Sadia, qui explique ne pas être une femme mais un « travesti ». A la fin des années 70, on se doute que la confusion était présente entre travestis et personnes transgenres. Le personnage de Sadia n’en était pas moins juste, respectueux et traditionnellement incarné par une femme, à la voix certes éraillée. C’est dire combien Starmania est visionnaire. Incarnée par Ambriel, Sadia n’est pas seulement un « travesti » parce qu’elle met le doute sur son genre, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit d’un personnage double, tenté par la trahison pour parvenir à ses fins.

Zéro Janvier et le Gourou : Une prémonition funeste

Zéro Janvier est terrifiant avec cette mise en scène orwellienne © Starmania, 2022

Mais que serait une tragédie sans antagoniste ? Zéro Janvier est un ancien militaire devenu fortuné, qui se présente aux élections présidentielles, pour défendre ses idées d’extrême droite. La mise en scène n’a jamais cherché à nuancer la tyrannie de Zéro Janvier. Comme si son nom polaire ne suffisait pas, le politicien n’hésite pas à arborer des brassards rouges ou à baptiser sa boîte de nuit : Naziland. Incarné par Aurel Fabrègues, Zéro Janvier paraît plus jeune que d’habitude, et d’autant plus moderne qu’il porte un col roulé et un costume contemporain. Le politicien est effrayant dans la manière dont il est représenté. Il est aussi la preuve la plus probante de l’aspect prémonitoire de Starmania. Le spectacle a beau avoir été écrit à la fin des années 70, il décrit les années 2000 (et surtout 2020), avec une justesse déroutante. Les angoisses des années 70 se sont concrétisées, qu’il s’agisse de la mondialisation, de l’obsession de la célébrité ou de la montée du radicalisme. D’une part, les Étoiles Noires commettent des actes terroristes, de l’autre, le politicien Zéro Janvier obtient un contrôle presque total des médias. L’homme politique est l’interprète du « Blues du Businessman ». Si la plupart des gens chantent « J’aurais voulu être un artiste » avec naïveté et rêverie, cela est contradictoire avec le sens original de la chanson. Celle-ci fait partie de la campagne électorale de Zéro Janvier, prêt à tous les mensonges afin d’émouvoir et séduire le public. Il incarne la montée au pouvoir de l’extrême droite, qui fait par ailleurs face à un autre extrême. Si le Gourou Marabout semble avoir des idées plus pacifiques, reposant essentiellement sur l’écologie ; il cache lui aussi une autre facette. Aussi n’hésite-t-il pas à dénoncer une ère de paranoïa, où les gens tomberaient malades après avoir consommé des médicaments. Une fois encore, il est difficile de ne pas faire le parallèle avec l’actualité, et plus précisément la crise sanitaire des deux dernières années. (Notons que le Gourou est incarné alternativement par un homme et une femme, laquelle j’ai pu voir sur scène : Malaïka Lacy.) Déjà, dans les années 70, les personnages de Starmania craignaient d’être réduits à des numéros, avant même que ne survienne l’existence du QR Code. Ils étaient obsédés par la gloire et la célébrité, avant que n’apparaissent la télé-réalité, Instagram ou TikTok. Le livret de Starmania reflète si bien la société actuelle qu’on peine à croire qu’il ait été rédigé il y a plus de quarante ans. De fait, si certaines paroles sont adaptées, les changements restent très mineurs. Certains costumes ultra-contemporains suffisent à transposer l’histoire au XXIe siècle.

Ziggy et Stella Spotlight : Nostalgie et quête de fulgurance

Un aperçu des décors de Starmania © 2022

J’en viens à évoquer quelques bémols. Bien que certains costumes et paroles sous-entendent que le spectacle est transposé à notre époque ; la plupart des costumes et accessoires rendent hommage aux années 70. Si les créateurs de la version 2022 se défendent d’avoir cédé à l’élan de la nostalgie, je ne suis pas d’accord avec eux. La mise en scène fait parfois tellement penser aux années 70 que cela instaure une confusion par rapport au contexte ; et encore, je n’évoque pas les hommages plus ou moins explicites qui apparaissent, ici et là. On pourrait aussi regretter que les artistes de Starmania soient munis de micros qui les privent d’une de leurs mains et qui réduisent leur mobilité. Ainsi, Starmania fait quelquefois plus penser à un concert doté d’une stupéfiante mise en scène, qu’à une réelle comédie musicale. Ce sentiment est toutefois rare. La plupart des tableaux et des morceaux sont somptueux. Je pense tout particulièrement à la scène de ménage entre Zéro Janvier et sa fiancée, Stella, dans « Ego Trip » ou encore à « La chanson de Ziggy ». Le jeune homme gay, incarné par Adrien Fruit, rêve de devenir le premier danseur de rock au monde. Pour illustrer ce propos, il se met à danser, rapidement rejoint par ses multiples clones, lesquels disparaissent et réapparaissent au rythme des notes et des lumières. Il ne faut pas douter que la mise en scène et la chorégraphie ont des fulgurances. Stella est le dernier personnage que nous n’avons pas évoqué. Incarnée par Jeanne Jerosme, il s’agit de l’ancienne idole des jeunes, qui arrive à la fin de sa gloire. Bien qu’elle soit consciente que la célébrité l’ait privée de sa vie ou de sa santé mentale, la comédienne s’accroche désespérément au pouvoir, quitte à accepter les avances de Zéro Janvier. Stella est prête à tout pour demeurer sur le devant de la scène, y compris à épouser un homme dont les idées la rebutent. Bien entendu, cela ne fera que la précipiter vers un destin funeste. Je n’ai jamais vu une Stella aussi utilisée, usée et désespérée. Starmania est après tout la dénonciation de la noirceur et du désespoir dissimulés sous les néons et les paillettes.

Épilogue

Que doit-on retenir du retour de Starmania ? C’est l’occasion rêvée pour celles et ceux qui ont grandi avec ces chansons mythiques, de découvrir leur dramaturgie, ou l’envers du décor. L’opéra-rock de Michel Berger et de Luc Plamondon est une tragédie puissante, mettant en scène des personnages portés par le désespoir. Une dystopie consiste à imaginer le pire avenir possible. En ce sens, Starmania était une prémonition aussi exacte qu’inquiétante de la société actuelle. L’obsession de la célébrité, la menace du terrorisme, la montée de l’extrême droite ou encore la paranoïa propres à notre époque sont montrées avec une telle exactitude, qu’on peine à croire que le livret date de la fin des années 70. Malgré cette noirceur et ce nihilisme, Starmania demeure un spectacle prônant la diversité et l’ouverture aux autres, et surtout doté d’une mise en scène très spectaculaire. Il est malheureusement rare, en France, qu’une comédie musicale ait suffisamment de succès pour entreprendre une tournée. Je ne peux donc que vous conseiller de vous munir de votre propre billet, qui vous ouvrira non pas les portes de Naziland, mais celles d’un spectacle aussi unique que visionnaire.

  • Starmania est un opéra-rock représenté à la Seine Musicale, depuis le 8 novembre 2022. Une tournée est prévue dans toute la France (ainsi qu’à Bruxelles et Genève), du 10 février au 18 juin 2023.
3 Twitter

Série star depuis le lancement des éditions Mangetsu, Ao Ashi a rarement déçu. Le manga de Yugo Kobayashi n’a cessé de se renouveler pour toujours viser plus haut, avec une vraie envie de raconter sa propre vision du football, avec son aspect aussi bien sportif qu’humain et familial. Une formule que l’on a bien souvent plébiscité sur Pod’culture, alors chaque nouvelle sortie est une belle occasion de se replonger dans son œuvre. Après les superbes tomes 9 et 10, place à la suite, avec deux tomes qui révèlent une maturité nouvelle pour son héros.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Le génie ne suffit plus

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Ashito, le héros du manga, a souvent incarné ce petit génie symptomatique des shonen qui valorisent une forme de talent inné, qui se révèle à des moments fatidiques. Mais si le manga est aussi intéressant, c’est aussi parce que l’écriture de Yugo Kobayashi lui a d’autres fois opposé la réalité du monde dans lequel il vit, et notamment plusieurs obstacles qui venaient lui montrer qu’il n’est pas si « spécial », du moins, pas plus que d’autres. Et ces tomes 11 et 12 confirment que tout reste à faire pour le prodige. Dans un ultime effort pour la fin du match contre Musashino, club rival où l’on retrouvait Kaneda, une tête brûlée qui n’avait pas été retenue aux détections de l’Esperion, Ashito se découvre un véritable plaisir à jouer dans une position défensive. Lui qui a vu ses rêves de devenir un buteur génial voler en éclats, au moment où son entraîneur a décidé d’en faire un défenseur latéral pour profiter de sa vision de jeu (plutôt que de sa maladresse balle au pied), a eu du mal à se motiver et à accepter la réalité. Mais depuis un certain temps et encore plus avec le tome 11, le manga insiste sur sa remise en cause, son questionnement interne et finalement, la manière dont il met à exécution une maturité trouvée pour continuer à progresser malgré tout. Son influence grandissante sur le jeu et le respect qu’il gagne de ses coéquipiers a un impact immédiat sur une narration qui gagne elle aussi en maturité. Elle est plus posée, plus calme, on sent que le gamin des débuts devient peu à peu un professionnel, un joueur de football qui comprend les sacrifices qu’il doit faire pour atteindre ses rêves. Et c’est d’autant plus évocateur pour les amateur·ice·s de football qui, dans la réalité, peuvent voir chaque année des gamin·e·s talentueux·euses trouver leur place dans des équipes professionnelles avec une maturité soudaine.

Cela donne donc deux tomes très intenses, avec un rythme soutenu et efficace qui profite du match de football pour donner des réponses au questionnement intérieur d’Ashito. On sent le personnage évoluer de page en page, comprenant soudainement tout ce qui lui a été enseigné par le passé, comme si le puzzle s’assemblait enfin. Et très sincèrement, ça fait sacrément plaisir : cela ressemble à l’aboutissement des dix premiers tomes où Ashito apprenait toujours quelques détails ici et là, avant d’avoir enfin l’occasion d’appliquer tout ce qu’il a appris. L’histoire gagne aussi en importance à mesure que les pages avancent, notamment dans le 12ème tome où Ashito rejoint l’équipe A des U18, son objectif principal depuis son arrivée dans l’équipe B. L’occasion pour le récit de lui mettre de nouveaux obstacles en vue, mais surtout pour montrer que le jeune joueur est enfin prêt à entrer dans un monde qui ne lui fera plus aucun cadeau, avec une mise en scène réjouissante. Jamais lassante, celle-ci continue de saisir les moments clés des duels sur le terrain et excelle à chaque fois qu’il faut accélérer l’action. Sauf peut-être sur les moments où la narration, tant écrite que visuelle, redevient trop didactique, avec une multitude d’explications sur le football qui transforment certaines planches en manuel de football. C’est pas inutile, loin de là, mais je reste toujours circonspect face à la manière de faire qui manque d’idée, avec des explications qui auraient pu être incorporées de manière plus fluide.

Destins croisés

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Ce que j’ai particulièrement aimé sur ces deux tomes, le tome 12 notamment, c’est le parallèle intéressant qui est fait par l’auteur entre Kuribayashi, une star de l’équipe A qui a su impressionner tout le monde à ses débuts, avec Ashito, alors que ce dernier est enfin promu en équipe A. Le parallèle se fait sous la forme d’un destin croisé, Kuribayashi étant remis en cause suite à des performances moins en vue en équipe première en J-League (le niveau professionnel), qui ont rappelé qu’il a encore beaucoup de choses à apprendre avant de pouvoir s’installer définitivement chez les professionnels. Tandis que Ashito, de son côté, et malgré ses lacunes, montre rapidement qu’il a faim et qu’il est capable de réaliser de très belles choses grâce à sa détermination et sa capacité à apprendre et assimiler en un temps record. Les deux se retrouvent alors au même stade : en équipe A des U18, alors que l’un est rétrogradé de l’équipe pro, et l’autre est promu de l’équipe B. Probablement le moyen aussi pour l’auteur de façonner la rivalité qui devrait naître entre les deux joueurs, une rivalité longtemps annoncée, alors que Kuribayashi incarnait par sa réussite le rêve encore lointain d’Ashito au début du manga. Et toutes ces scènes de doute sont mises en scène avec beaucoup de justesse, grâce aux dessins qui savent saisir les émotions, autant les peurs que les joies, de personnages qui sont spontanés, expressifs, des jeunes qui rêvent de grandes choses et qui font tout pour y arriver.

Décidément l’une des meilleures séries de mangas sorties ces dernières années, Ao Ashi est toujours là pour mettre du baume au cœur quand tout va mal. À l’heure où l’on pleure une finale de Coupe du Monde perdue, le manga de Yugo Kobayashi est là pour nous raconter les valeurs qui nous ont fait tomber amoureux de ce sport dans notre jeunesse. Et puis, même si l’on n’aime pas le football, Ao Ashi reste une superbe célébration de la détermination d’un gamin prêt à tout pour réussir, sauf à écraser ses ami·e·s. Joyeux et d’un bon esprit à toute épreuve, le manga fait grandir son héros en lui inculquant de belles valeurs, décidé à faire de lui un personnage dont la présence rend meilleurs celles et ceux qui l’entourent.

  • Les tomes 11 et 12 de Ao Ashi sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
1 Twitter

Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce dixième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Marine Macq. Autrice, conférencière, archiviste art. Nous avons discuté de son livre, paru en 2021, Imaginaires du jeu vidéo: les concepts artists français, coédité par Third Éditions et les éditions du Cercle d’art ainsi que de GAMMA, galerie d’art française entièrement dédiée au jeu vidéo dont elle est la directrice et au travers de laquelle Marine propose des services toujours plus diversifiés.

0 Twitter

Un des derniers effets de mode dans le monde du jeu vidéo est le retour à la science-fiction spatiale. Ces derniers temps, on a pu ainsi voir paraître Returnal, Chorus, entendre parler du remake de Dead Space, ou de l’arrivée future de Starfield et The Invincible. C’est justement le co-créateur de la licence Dead Space, Glen Shofield, qui est à l’origine de The Callisto Protocol, produit par le studio Striking Distance. Dès le premier trailer, The Callisto Protocol évoquait l’ambiance et les combats de la trilogie Dead Space, offrant une filiation reconnaissable au premier coup d’oeil. Outre l’hommage évident, le titre parvient-il à prendre malgré tout son propre envol (spatial), détaché de son prédécesseur ?

Cette critique du jeu a été rédigée après une partie sur Playstation 5, permise par l’envoi d’une clé numérique de l’éditeur.

Prisonnier dans l’espace

Un dernier transport de marchandises, juste un dernier avant d’être tranquille – tu parles ! © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

2320. L’humanité s’est répandue dans le système solaire. Jacob Lee n’est qu’un simple transporteur de marchandises (pas toujours très légales) sur son cargo Charon (du nom du fameux passeur d’âmes dans la mythologie grecque). Malheureusement, lors de son trajet entre Europe et la prison de Black Iron, il se fait aborder par Dani Nakamura, leader d’un groupe terroriste, et ses troupes. La situation dégénère et le vaisseau s’écrase sur Callisto, lune de glaces et de roches du système jovien. Sans ménagement ni explication, le directeur de la prison Black Iron les fait tous deux prisonniers. Jacob se rend compte qu’il est plus qu’au mauvais moment, au mauvais endroit, quand les prisonniers commencent à se transformer en monstres mutants, créant la panique et semant la destruction dans les cellules….

Commençant in media res en nous mettant dans le feu de l’action, The Callisto Protocol se rapproche plus de l’expérience du train fantôme horrifique que de l’angoisse lancinante d’un vaisseau fantôme. Jacob ne cesse d’être propulsé au cœur de l’aventure, entre les couloirs linéaires segmentant le jeu et les séquences de poursuite ou de chute à multiple QTE. Évidemment, on ne peut s’empêcher de penser à Dead Space (dont je n’ai fait que quelques chapitres du premier opus), mais au final, outre l’hommage évident au niveau du gameplay et l’ambiance similaire, les titres n’ont pas tant en commun que cela.

Bienvenue dans le couloir de la mort (et des monstres)

The Callisto Protocol est avant tout un pur jeu d’action et d’adrénaline. Jacob Lee n’est qu’un homme (pas très subtil), et il devra vite apprendre à maîtriser les armes pour survivre au milieu des monstres infestant la prison. Jeté en prison sans explication (on l’a arrêté, empêché de parler pour se défendre, et basta, c’est simple de mettre quelqu’un en prison dites donc), il se retrouve avec un indicateur électronique, à la nuque, témoignant de son numéro de prisonnier mais aussi de sa santé. Au fil du jeu, il récupère plusieurs armes : matraque électrique, divers pistolets (fusil d’assaut, Riot Gun, Skank Gun) dont il pourra user contre ses adversaires. A l’instar du protagoniste de Dead Space, il possède également une sorte de pouvoir de télékinésie, permettant de projeter les ennemis au loin après les avoir attirés à lui. Mais pas de chaussures anti-gravité, ne cherchez pas. Bref, la panoplie d’armes, agrémentés de gels de santé, ne sera pas de trop face aux nombreuses mutations errant dans la prison et sur la lune Callisto.

Des imprimantes 3D laissent régulièrement la possibilité d’améliorer les armes au cours du jeu. Un aspect bienvenu, comme la difficulté se fait croissante, et les mini-boss plus présents au fur et à mesure de l’histoire. Le joueur ou la joueuse, en parcourant les couloirs linéaires du jeu, n’aura en effet guère le choix que de se coltiner des combats acharnés et particulièrement brutaux. Il est impérativement nécessaire de maîtriser l’esquive et la projection télékinétique, ainsi que de mémoriser les patterns des ennemis, s’il ou elle veut avoir une chance de s’en sortir face aux horreurs de Black Iron. Si parfois, une possibilité d’autre chemin s’offre à Jacob, c’est pour mieux aller récupérer des données audio sur le lore du jeu, ou des éléments pour crafter les armes, moyennant quelques mauvaises rencontres en chemin. Mais il est tellement essentiel d’améliorer ses armes, qu’on ne peut qu’emprunter ces corridors secondaires avant de revenir au couloir principal.

Mourir, recommencer, beaucoup trop de fois, avec un sens du démembrement marqué © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Car, disons-le clairement, The Callisto Protocol est un jeu de survival horror : chaque balle est comptée. Les combats sont brutaux et particulièrement gores, notamment dans les nombreuses scènes de morts où Jacob se fait démembrer. Et pour mourir, vous allez mourir ! La difficulté des combats est corsée, tant il est compliqué d’affronter plusieurs vagues d’ennemis, tant certains boss peuvent vous tuer en un seul coup si vous vous approchez trop près. La difficulté ne vient pas tant des monstres, qu’également du héros qui se déplace comme un tank et prend un temps réaliste pour changer d’armes et se soigner : autant dire que changer d’arme, car vous êtes à court de balles sur celle actuelle, peut vous coûter la vie.

Si certain(e)s peuvent apprécier ce genre de défi sadique dans un jeu vidéo, cela a été loin d’être mon cas, après (trop) de morts frustrantes qui m’ont fait passer en mode facile, puis un certain mini-boss (le mutant à deux têtes) sur lequel j’ai persisté beaucoup trop de temps à mon goût. Au point d’actionner toutes les aides à la visée et même le mode d’accessibilité en contraste élevé (pour les personnes daltoniennes) afin de me faciliter la tâche. Le boss final étant étrangement plus facile… Et malheureusement, ce n’était pas l’intérêt de l’intrigue qui me donnait envie de persévérer.

Bref, The Callisto Protocol ne fait dans la dentelle en proposant de l’adrénaline pure, des combats viscéraux dans le sens où ils sont particulièrement graphiques et gores. Et c’est bien là son problème : se contenter, au final, d’être brut(e).

Hors de la lune, point de salut

Des tentacules et des oeufs partout, ces mutants n’ont aucun savoir-vivre et aucune hygiène © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Le scénario est convenu, rappelant de multiples films de science-fiction utilisant ses tropes : le héros coincé dans un vaisseau spatial empli de monstres, la lune recouverte de glaces, les révélations de l’origine des monstres, la vérité sur la cargaison du Charon, la rébellion incarnée par Dani Nakamura contre le système en place… Rien n’est surprenant ni particulièrement original. Le fait que tout soit convenu sert finalement de prétexte à un jeu empli d’action, où l’on fonce plutôt que de prendre le temps de décortiquer le lore (pas bien passionnant non plus, d’ailleurs), grâce à des données audio à collecter ici et là et aux cinématiques parcourant le jeu. Encore aurait-il fallu que le gameplay soit un peu plus fun et moins punitif pour y prendre vraiment plaisir.

Ce n’est pas pour son histoire qu’il faut découvrir The Callisto Protocol, ni pour ses personnages, trop peu caractérisés et établis pour être attachants ou pour que le joueur ou la joueuse s’y identifie – et ce, malgré l’excellente capture des visages des différents acteurs. Les expressions de Josh Duhamel à Karen Fukuhara sont ainsi fidèlement retranscrites, jusque dans les détails de sueur et de sang. Dommage que la synchronisation labiale médiocre et les erreurs de mixage (amenant des répliques en anglais dans la version française) gâchent l’immersion.

Non, si on vient vers The Callisto Protocol, d’après les trailers et aperçus du jeu, c’est plutôt pour son ambiance et l’envergure de son aventure spatiale. Les premières images du titre transpiraient l’hommage et l’inspiration à Dead Space, et étaient probablement un argument de vente. Force est de constater que si Black Iron est une prison spatiale aux détails soignés – jeux de lumière magnifiques, couloirs désertés empreints de bruits inquiétants – elle n’a pas pour autant le charme des décors de Dead Space. L’audio n’est pas aussi immersif ni aussi anxiogène que dans Dead Space ; si le plaisir d’exploration est là au début du jeu, il s’émousse tant tout devient répétitif. Un couloir, des monstres (lorgnant du côté d’Alien, parfois, autant que du côté The Last of Us) ; un couloir secondaire, des monstres avec jumpscare après avoir récupéré de quoi crafter des armes ; quelques plans-séquences à QTE mêlant adresse et sensations fortes, à la manière de certaines séquences d’Uncharted. Et bis repetita. Après tout, l’enfer, c’est la répétition.

Et puis on voit les clins d’oeil à Dead Space, entre le « Restez silencieux, tirez sur les tentacules » qui remplacent les « Coupez les membres » écrits en sang sur les murs, l’indicateur de santé ou de pouvoir de télékinésie du personnage, le côté tank. Le jeu cite trop (tout en l’assumant) Dead Space pour son propre bien, sans vraiment jouer dans la même cour.

On ne peut nier un immense travail sur les effets de lumière, sur l’exiguïté de certains couloirs ou sur le côté organique dégueulasse à souhait des mutants, ni nier la qualité de certains bruits d’ambiance où on entend les ennemis se déplacer en parallèle de votre couloir. Mais parfois, on les aperçoit du coin de l’oeil ou passer au loin, comme un classique cliché de l’horreur vu et revu. La bande-son peine à nous immerger et à faire planer un sentiment d’angoisse durant notre partie, se contentant de donner l’impression de montagnes russes de l’espace, sans véritable saveur ni effroi. Pourtant, le jeu utilise avec intelligence les manettes haptiques de la Playstation 5, s’en servant pour nous faire ressentir les coups lors des combats, ou les vibrations des ventilateurs géants dans les couloirs de la prison.

Un rare moment de contemplation au milieu d’une course effrénée © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Les seuls moments où le jeu parvient à susciter un sentiment, c’est en découvrant l’immensité froide et enneigée de Callisto, lorsque le jeu nous autorise à sortir de la prison. Là, on a un sentiment de solitude glaçant, d’admiration aussi devant cette grandeur neigeuse désolée. Enfin, on se sent minuscule et impuissant dans l’espace, où personne ne vous entend, personne ne viendra à notre secours. Le seul autre moment témoignant d’une idée inventive et moins répétitive, est lors de la plongée de Jacob dans les souvenirs de Dani, vers la fin du jeu. Le passage sème pendant un instant le trouble en nous projetant dans un tout autre décor, au look et aux couleurs cyberpunk séduisants. Hélas, ce passage, tranchant avec la répétitivité des couloirs spatiaux, est bien trop court. Le jeu a des qualités, et un grand travail a été fourni par le studio, à n’en pas douter au vu de la qualité graphique ou de certaines ambiances, pour un premier titre. Mais cela ne suffit pas à contre-balancer ses défauts.

Conclusion

Que retenir de The Callisto Protocol ? Si vous aimez les défis corsés, les combats difficiles et gores, certains films de science-fiction où l’histoire sommaire ne sert que de prétexte à l’action, sans doute que le jeu vous plaira. A condition que la rigidité du gameplay ne vous donne pas envie d’envoyer le jeu valser. Mais si vous recherchez un héritier dans l’âme de Dead Space, ou un jeu de survival horror dans l’espace empreint d’une vraie angoisse, alors il vaudra mieux attendre le remake ou se tourner vers un Alien : Isolation.

  • The Callisto Protocol est disponible depuis le 2 décembre 2022 sur PC, Xbox Series et Playtation 4 et 5.
3 Twitter

Quand on parle des Tortues Ninja, le plus grand public pense souvent à l’enfance et au dessin animé, pourtant les tortues mutantes imaginées à la fin des années 80 sont un peu plus que cela. Au-delà des différentes itérations animées, c’est du côté des comics, leur medium d’origine, que quelques-unes des meilleures histoires des tortues ont été créées, grâce à ses cocréateurs Kevin Eastman et Peter Laird. Et on peut d’ailleurs en France en profiter dans les meilleures conditions grâce à l’excellent travail d’édition de Hi Comics sur la licence depuis quelques années. Mais on n’est pas là pour parler de la série principale, au contraire : ce qui nous occupe, c’est The Last Ronin, un projet né dans l’esprit de Eastman et Laird à la fin des années 80, qui n’a finalement pu voir le jour que l’année dernière, marquant d’ailleurs le retour de Laird sur la licence après plusieurs années d’absence. Allez, une fois admirée la superbe couverture de Santolouco et lu la sympathique préface du cinéaste Robert Rodriguez, on attaque la lecture de l’histoire et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne s’attendait pas à cela.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Le dernier survivant

© Hi Comics 2022 – © Eastman, Laird, Waltz, Escorza, Bishop, Delgado

Dans un futur plus ou moins proche, le monde tel qu’on le connaît a été pratiquement détruit. Par les hommes face à une terre qui se rebelle, comme en atteste l’une des premières planches qui suggère fortement les impacts du réchauffement climatique. Le centre-ville est en effet entouré d’une muraille gigantesque pour empêcher l’eau de la submerger. New York n’est plus ce qu’elle était, pas plus que son quotidien désormais rythmé par les décisions d’un tyran, Oroku Hiroto, petit-fils de Shredder. Oui, The Last Ronin imagine le futur, une sorte de conclusion avant l’heure à la longue histoire (qui continue encore) des Tortues Ninja. Et c’est une conclusion amère, faite de souffrance, où seule une tortue a survécu, tandis que les autres ont péri face à leur ennemi de toujours. Celles-ci n’apparaissent que comme des fantômes dans le dos de la tortue survivante, l’épaulant parfois pour la guider, mais lui reprochant aussi d’autres fois leur propre mort. C’est un récit sombre, qui évacue la nostalgie de l’œuvre pour montrer plutôt une facette rédemptrice, où la tortue ninja survivante (qui n’est pas immédiatement nommée, le récit gardant le suspense autour du survivant) cherche la vengeance autant pour l’honneur de ses frères et de Splinter, que pour trouver la paix. Parce que ce récit aborde le douloureux syndrome de culpabilité du survivant, qui doit trouver le moyen d’aller de l’avant sans se laisser tétaniser par les peurs, les regrets et la honte irrationnelle d’être le seul rescapé. Pour trouver vengeance, la tortue décide de s’infiltrer dans le quartier où se trouve une immense tour au dernier étage de laquelle trône Oroku Hiroto, dont le vice et la tyrannie ferait passer Shredder pour un gars sympa. Une mission suicide qui doit autant lui permettre de trouver la paix que de tirer un trait sur le passé.

L’histoire se raconte sur plusieurs époques, de manière non-linéaire, selon les souvenirs et récits des un·es et des autres. Il y a le présent, avec la quête de vengeance de la tortue, mais aussi un évènement décisif du passé où le clan Foot, celui de Shredder, a proposé la paix aux Tortues Ninja et à Splinter pour mettre un terme à des siècles d’affrontement. Et puis il y a la mort des tortues, et le destin des différents personnages habituels de la licence comme April et Casey Jones. Comme un hommage à l’univers des Tortues Ninja, The Last Ronin a pour lui un récit terriblement bien écrit chaque fois qu’il évoque le passé, les rivalités et affrontements clés contre le clan Foot et Shredder ou encore l’importance de Splinter et d’April. C’est un véritable cadeau fait aux fans de la licence, et c’est en plus très référencé par plusieurs décennies d’histoires des tortues, avec même un arrière-goût de Frank Miller tant pour son The Dark Knight Returns (avec son héros vieillissant, en perte de souffle et de repères, qui doit livrer une dernière bataille) que son Ronin. Malheureusement, et parce que rien n’est parfait, le récit perd un peu de sa superbe dans son dernier tiers, avec une écriture moins pertinente et une patte visuelle plus consensuelle quand on tombe dans la confrontation, le combat et le siège de la tour de Oroku Hiroto.

L’avenir comme hommage au passé

© Hi Comics 2022 – © Eastman, Laird, Waltz, Escorza, Bishop, Delgado

Difficile tout de même de lui en tenir pleinement rigueur tant l’ensemble tient très bien debout. Visuellement d’abord, avec de belles réussites. d’ambiance et quelques bonbons offerts avec une poignée de planches de Peter Laird chaque fois que la narration aborde le passé, comme pour marquer un retour aux sources. Le mélange des genres, avec deux styles graphiques différents selon l’époque racontée, marque bien la rencontre entre la « nouvelle » génération qui travaille sur les Tortues Ninja, incarnée par Tom Waltz, et « l’ancienne » génération incarnée par les créateurs de la licence, Kevin Eastman et Peter Laird. D’autant plus que l’on retrouve l’esprit visuel un peu punk des origines, avec une représentation de ce New York futuriste à la manière d’un futur punk que l’on imaginait dans beaucoup d’œuvres des années 1980. Ce côté un peu « old-school » s’accompagne toutefois aussi d’une narration qui va directement à l’essentiel, sans fioritures, à la manière dont on écrivait les comics à l’époque. Mais c’est peut-être aussi ce que l’on vient chercher dans cette imaginaire d’une conclusion qui renvoie aux origines.

The Last Ronin souffre peut-être d’un manque de spontanéité et de surprises, avec un récit cousu de fil blanc qui se déroule face à nous avec moins de subtilité qu’il n’y paraît. Mais est-ce bien un mal ? Le comics raconte exactement ce qu’il faut et met les bons mots sur l’amour que se portent les tortues depuis toujours, un amour fraternel qui s’est souvent vu opposé à la violence d’un monde qu’ils doivent sauver tout en se cachant. Tantôt génial, tantôt émouvant, on lui pardonne son petit coup de mou dans le dernier tiers et on se laisse prendre au jeu d’un hommage qui révèle un amour profond pour un univers qui a accompagné, et continuer d’accompagner beaucoup de monde.

  • The Last Ronin est disponible en librairie aux éditions Hi Comics depuis le 16 novembre 2022
0 Twitter

Peu importe que l’on soit né.e dans les années 80 ou après l’an 2000, il y a des personnages qui sont connus de tout un chacun, car ils se sont, au fil des générations, installés au panthéon de la pop-culture, devenant de véritables légendes, incarnant toute l’essence de leur œuvre, et même parfois au delà. C’est le cas de Kenshiro, plus connu sous le nom de Ken le survivant chez nous, car son arrivée en France s’est faite sous ce nom francisé, titre de l’animé qui a fait découvrir au plus grand nombre les aventures du maître du Hokuto shinken à la fin des années 80 (à travers une adaptation jugée honteuse ou savoureuse, selon les points de vue).

A mon humble niveau, je connaissais bien entendu Hokuto no Ken, manga dessiné par Tetsuo Hara et écrit par Buronson, publié dans le mythique Weekly Shonen Jump entre 1983 et 1988, mais seulement de nom, via quelques répliques nanardesques de la VF d’origine évoquée plus haut, et surtout à travers son héritage, qu’on retrouve éparpillé dans toute l’Histoire moderne du manga de bagarre. Il fait partie de ces incontournables classiques qui ont de plus toujours été faciles d’accès. Depuis vingt ans, les éditions et rééditions de l’œuvre culte se sont succédé, et la dernière en date nous est proposée par Crunchyroll depuis le mois d’octobre 2022. Baptisée « Extrême Edition », son arrivée a sonné pour moi l’heure de découvrir l’histoire de Kenshiro. Cela avec un plaisir non dissimulé, car j’étais très curieux de faire enfin connaissance avec le maître du Hokuto, et de voir si, presque 40 ans après le début de sa publication, le manga en avait encore dans le ventre.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur, Crunchyroll

Parangon de masculinité…et de vertu

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX

Nous voici donc projeté.es en 199X, année uchronique qui a vu l’humanité s’entre-déchirer à grand renfort d’arme atomique. La planète est en ruines, transformée en un immense désert dans lequel les ressources se font de plus en plus rares, et où la loi du plus fort s’est imposée comme la seule option pour survivre. C’est dans cet univers à la Mad Max que l’on découvre Kenshiro, armoire à glace taciturne à la saillante musculature, errant dans un but inconnu, mais ne ratant aucune occasion de défendre la veuve et l’orphelin face aux gangs les plus violents et déchaînés que le monde ait jamais porté. Celui-ci fait littéralement exploser ses adversaires de l’intérieur, via un mystérieux art martial : le Hokuto shinken, ou Poing divin de la Grande Ourse. Kenshiro se révèle être un véritable maître en la matière, ne trouvant jamais son égal en combat, terrassant chacun de ses adversaires en l’espace de quelques secondes, mais jamais sans avoir distillé une petite phrase des plus stylées au dernier moment, pour bien appuyer sa supériorité.

Initialement présenté comme le mâle alpha par excellence, supérieur physiquement et dénué d’émotions, le personnage de Kenshiro est néanmoins rapidement étoffé. Ce premier volume (qui nous laisse tout de même près de 300 pages pour faire connaissance avec son protagoniste) nous montre d’autres aspects du caractère du Monsieur. L’arrivée du personnage de Lynn va réveiller chez lui un instinct paternel et protecteur, tandis que ses retrouvailles avec un certain personnage féminin vont permettre à l’œuvre de développer une dimension romantique et tragique qu’on n’imaginerait pas vraiment au vu du nombre de têtes explosées au cours des premiers chapitres. Ainsi le ton de l’œuvre, bien que largement guerrier, ne lésine pas sur des moments à l’ambiance à fleur de peau. Non seulement pour nous faire verser nos plus belles manly tears de série B, mais aussi pour donner une dimension épique à l’histoire qui nous est contée… Et force est de constater que ça fonctionne du tonnerre.

Une intensité surhumaine

Car si ce premier volume maîtrise son propos avec des situations simples, mais terriblement efficaces, c’est surtout la forme qui foudroie lors de la première lecture. C’est bien simple : Hokuto no Ken suinte le charisme par tous ses pores. Tout d’abord à travers le trait de Buronson. Old-school à souhait et faisant la part belle aux corps disproportionnés de ses combattants, il est cependant d’une précision proprement hallucinante, et d’un niveau de détail qui force le respect lorsqu’on se souvient qu’il s’agissait d’un manga à publication hebdomadaire. Lors des combats, dont la quasi-totalité n’a aucun enjeu lorsqu’on voit à quel point Kenshiro les domine, tous les efforts de mise en scène déployés permettent tout de même de se régaler à chaque instant : les plans en contre-plongée sont légion pour mettre en valeur le danger auquel le héros fait face (que ce soit par la taille complètement démesurée de son adversaire, ou le nombre inquiétant d’opposants), les coups sont assénés à grand renforts de visages complètement déformés, de corps brisés et de membres qui explosent pour en saisir toute l’intensité, et les mises à mort sont accompagnées de pleines pages débordant d’une classe sans nom, dans lesquelles Kenshiro prend les poses les plus viriles de l’univers, parcouru d’un fluide brûlant, celui de son sang mis en ébullition par l’affrontement. Le grotesque et la sur-exagération de ces batailles, pourtant assumées au premier degré, fait rejaillir sur nous une joie immense : celle que l’on ressent quand une œuvre réussit à la perfection ce qu’elle entreprend pour nous donner ce qu’on mérite. Ni plus, ni moins.

Et alors qu’est introduit le personnage de Shin, qui est intimement relié à Kenshiro, je ne peux m’empêcher de voir ce qui a tant inspiré Hirohiko Araki pour créer le premier arc de Jojo’s Bizarre Adventure. Le brun contre le blond, frères ennemis qui s’affrontent grâce à un art martial mythique aux effets surnaturels… Et comme je l’ai compris ! Pour le premier grand affrontement de la série, on nous offre un duel au sommet comme si nous étions déjà à la fin d’une épopée de plusieurs dizaines de volumes. Tous les enjeux sont posés à la vitesse de l’éclair. Les motivations de nos gladiateurs tiennent sur une feuille A4, mais elles n’en sont pas moins belles. Elles n’en sont pas moins de parfaits leviers dramatiques pour nous attirer et nous inclure dans leur opposition, où même le plus sanguinaire des deux révèle toute sa faiblesse face au grand drame de son existence. Un combat dont on se dit qu’il ne peut pas se terminer ainsi, alors que ce miroir entre protagoniste et antagoniste en or massif qu’on nous offre semble expédié en quelques chapitres. La suite nous le dira, mais avec un tel sommet atteint en moins de dix épisodes, j’attends avec frénésie la suite de ce manga, dont la publication a duré cinq ans de plus !

Il ne le sait pas encore, mais il est déjà fort

Peut-être n’ai-je pas besoin de le préciser, mais me voici rentré de plein pied dans une œuvre hors du commun. Le fait de découvrir Hokuto no Ken quarante ans après permet non seulement de profiter d’une œuvre dont la puissance n’a pas pris une ride, mais également de la découvrir en sachant ce qu’il est advenu après elle, et de repérer de ce fait tous les codes qu’elle a posé, et à quel point elle fut précurseure en son temps. L’expérience de lecture s’en est trouvée pour ma part encore améliorée grâce à la qualité du livre que j’avais entre les mains. En effet côté édition, on a affaire à un produit très solide. Esthétiquement superbe et très confortable à la lecture de par son format et la qualité des matériaux utilisés, elle vaut sans doute en grande partie son tarif à 15 euros le tome. Une édition plutôt onéreuse donc, mais qui fait honneur au monument qu’elle nous présente une nouvelle fois.

En bref, sans le moindre doute, Hokuto No Ken est déjà le chef d’œuvre qui m’était annoncé, et il reste encore 17 tomes que j’ai envie de découvrir avec une rare excitation !

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

  • Hokuto no Ken, édité chez Crunchyroll, est disponible en librairies depuis octobre 2022. Les tomes 2 et 3 de l’Extrême Edition sont également parus, respectivement en novembre et décembre 2022.
0 Twitter

En janvier 2022 sortaient les premiers tomes de l’ère Infinite, énième relance de l’univers DC Comics chapeauté par un Joshua Williamson tout puissant. Le temps passe vite et nous voilà à la fin de l’année, après une année à couvrir sur Pod’culture les sorties mensuelles de cet univers. Avec des hauts et des bas, il en est quand même ressorti pour l’essentiel de bonnes choses, même si le nombre de récits marquants reste très limité. Et il est temps de conclure cette première année avec quatre tomes des différentes séries déjà commencées plus tôt dans l’année, en plus du tome consacré à Shadow War, évènement réunissant la Bat-family qui a été annoncé dans les séries Robin Infinite et Batman Infinite dernièrement.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Detective Infinite – Tome 3, la tour infernale

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Suggérée dans de précédents comics, l’intrigue sur la Tour d’Arkham, qui remplace l’Asile d’Arkham détruite au début de l’ère Infinite, se lance enfin. Cette immense tour post-moderne apparaît vite comme une bombe à retardement. Sans surprise, c’est l’aura malfaisante d’Arkham qui plane sur la tour, avec un étrange personnage nommé Dr. Wear, déterminé à prouver que les super-vilain·es peuvent se repentir. Une promesse d’une rédemption quasiment religieuse qui permet à celui-ci de se voir promettre un financement considérable pour son institut au sein de la Tour d’Arkham par la ville de Gotham, à condition qu’il puisse prouver l’efficacité de sa méthode pour remettre les criminel·les sur le droit chemin. Et ça semble fonctionner puisque l’on découvre des ennemi·es célèbres de l’univers de Batman qui sont métamorphosé·es. Pourtant quelque chose semble clocher, et c’est ce qui pousse la Bat-family, menée notamment par Batwoman et Batgirl (dans son rôle d’Oracle) à infiltrer la Tour. On réalise vite que tous les pensionnaires parlent de films, ce qui génère une multitude de questions, mais surtout ce comics remet vite en scène le malaise que créé l’histoire d’Arkham. Tout en cherchant à découvrir la vérité sur le traitement miraculeux du Dr. Wear, qui pourrait ou non être une machination, le comics pose peu à peu une ambiance malsaine qui remet peu à peu en cause les certitudes initiales sur la Tour. C’est une progression extrêmement efficace de la narration qui le permet, avec une écriture toujours aussi précise d’une Mariko Tamaki qui fait encore et toujours un bien fou à Detective Comics.

Et cela offre un comics absolument succulent. Le malaise laisse place à la peur, une horreur prégnante dans de nombreuses scènes où l’on découvre un « mal absolu » inhérent à l’héritage d’Arkham, que la Tour ne peut effacer. Particulièrement maline, la mise en scène touche autant qu’elle effraie, profitant de l’imaginaire que Mariko Tamaki a mis en place autour de cette Tour, des fantasmes qu’elle génère, confondant réalité et imaginaire, jusqu’à un dénouement peut-être un peu moins réussi mais qui est somme toute logique au regard du développement de son histoire. Visuellement, c’est également une réussite, avec les différentes ambiances (espoir, déni de réalité, horreur…) mises en valeur à mesure que les protagonistes découvrent la vérité sur la Tour. Enfin, le tome s’agrémente d’un épisode back-up qui raconte le destin d’un gamin, victime du Joker, qui s’est retrouvé à l’asile d’Arkham il y a de nombreuses années. Un récit qui met un point final pertinent à cet arc autour de la Tour, puisqu’il permet de raconter l’enfer que représentait Arkham (que ce soit sous la forme d’un asile loin de la ville ou d’une tour) et son rôle dans la « fabrication » de criminel·les. Sans forcément tomber dans un propos politique, on sent tout de même que le comics a dans un coin de la tête les débats et critiques contre le système carcéral américain qui transforme des innocent·es en criminel·les.

Harley Quinn Infinite – Tome 3, la cerise sur le gâteau

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Alors qu’elle est toujours sur la voie de la rédemption, Harley est accusée à tort d’un assassinat sordide et se retrouve jetée à Blackgate. Ce qui apparaît comme un échec pour celle qui tente de rejoindre le camp des « héros » depuis quelques années dans l’univers DC n’est en réalité qu’une occasion pour Stephanie Phillips d’aborder, de manière frontale, le business carcéral américain où l’on n’a aucun scrupule à jeter des innocent·es en prison afin de faire fructifier un business qui rapporte chaque année beaucoup d’argent. Un milieu où se confond gestion publique et privée, et où ses gestionnaires génèrent un « pognon de dingue » à condition de remplir ses locaux. Harley apparaît ici comme un victime, victime d’une machination qui tente de la ramener à ses origines criminel·les sans lui laisser le temps de s’expliquer. Et c’est un choix narratif malin, pour un troisième tome qui a tout d’une conclusion d’un long premier arc débuté dans le premier tome, où Harley Quinn tire un trait sur son passé, s’extirpant de ce nouveau séjour en prison en incarnant ce qu’elle est aujourd’hui : une bonne personne. Sous forme d’un récit où elle évoque tout ce qu’elle a traversé depuis qu’elle a fait le souhait de passer du bon côté, le comics nous mène doucement vers une conclusion émouvante, où quelques paroles font du bien et laissent espérer le meilleur pour un personnage devenu terriblement attachant. Si Harley Quinn a été souvent maltraitée par la pop culture avec ses nombreuses évocations en comics, dans des produits dérivés ou au cinéma, le personnage est aujourd’hui célébré sous une forme plus humaine, moins objectifié et raconté sous un angle plus intéressant.

Sorte d’apothéose à un récit déjà très accrocheur sur les deux premiers tomes, ce troisième, qui conclut un premier arc en attendant la suite, est excellent du début à la fin. Très bien écrit et rythmé par Stephanie Phillips dont le style a gagné en précision et en pertinence au fil des numéros, le comics inspire une certaine tendresse, pas uniquement pour Harley, mais aussi pour tous les autres personnages qui ont rencontré sa route jusque là et qui continuent de la soutenir en dépit d’une situation compliquée où tout l’accuse de crimes ignobles. Cette tendresse est aussi due au travail de Riley Rossmo, dont la patte graphique est l’une des meilleures choses du comics, avec son air très cartoony qui met en valeur l’univers coloré de Harley tout en constituant un contraste avec la dureté des thèmes abordés. Mais le comics impressionne aussi pour son découpage très intéressant, qui s’affranchit des limites des cases classiques pour réaliser quelque chose de plus atypique, plus osé, qui célèbre autant l’inventivité du duo formé par Stephanie Phillips et Riley Rossmo que l’univers chaotique et un peu foutraque de Harley Quinn. Car le personnage n’a jamais été dénaturé : malgré son envie et sa détermination à changer de camp, Harley reste bien le personnage haut en couleurs et un peu foufou que tant de monde a appris à aimer.

Superman Son of Kal-El – Tome 2, des choses à prouver

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Superman Son of Kal-El était avec son premier tome une bonne surprise. Il y avait quelque chose de rafraîchissant dans les aventures de Jon Kent, fils de Superman, qui avait bien grandi depuis l’ère Rebirth de DC Comics. Très intéressé par des problématiques modernes, notamment celle du réchauffement climatique, ainsi que questionné sur son identité et son homosexualité, le personnage se démarque à sa manière de ce que représente son père. Et cette suite continue d’évoquer les questions posées aujourd’hui par la jeunesse, notamment et encore une fois celle du réchauffement climatique; qui frappe Metropolis de plein fouet en ouverture de ce tome avec une immense créature des profondeurs de l’océan qui débarque alors que son habitat naturel est désormais invivable. Sa manière d’aborder des problèmes contemporains avec la fougue de la jeunesse de Jon Kent et de son compagnon Jay Nakamura est rafraîchissante, le comics montre une vraie détermination à faire le liant entre les valeurs d’un héros « d’hier » (Superman) et celles d’un héros « d’aujourd’hui » (Jon Kent, devenu lui aussi Superman). Il récupère de son propre père des valeurs intemporelles, et y incorpore des considérations plus actuelles, encore plus avec l’histoire de Jay, son compagnon, qui se révèle être un réfugié politique, souvent maltraité par le pays qui l’accueille. Tom Taylor est un super scénariste alors on pourrait être plus exigeant sur sa manière d’aborder c’est sujet, car il le fait avec facilité et parfois sans grande subtilité, mais c’est toujours fait de manière pertinente, et cela sert pleinement une intrigue très rythmée, qui se mêle à l’occasion de deux chapitres à celle de l’excellent Nightwing Infinite.

La quête de pouvoir de Jon Kent, qui passe par l’acceptation de ses propres capacités face à l’héritage de son père est un véritable miroir pour sa propre identité. Certes, l’homosexualité de Jon Kent n’est pas traitée comme un sujet à débat, comme le montre son coming out auprès de sa mère qui se contente de lui faire comprendre qu’elle s’en doutait avant de vite passer au sujet suivant, mais elle constitue tout de même une part de son identité qui motive son comportement et qui lui donne une force supplémentaire au moment d’affronter un simili-Lex Luthor dans une mise à l’épreuve intéressante. Sorte d’émanation du passé, ce nouveau grand méchant tout à fait quelconque incarne un mal absolu comme le faisait l’ennemi traditionnel de Superman, mais Jon Kent lui oppose l’incarnation de valeurs modernes, dans la continuité de son père, sans rupture. On comprend vite que Tom Taylor veut raconter son personnage comme une suite logique du père, avec simplement des priorités, des sujets et des valeurs qui ne sont plus celles d’un super-héros né en 1938. Sans être aussi bon que le premier tome, cette suite a le mérite d’assumer pleinement un personnage qui doute un peu plus que son père, qui se cherche, et qui trouve finalement ses propres raisons de se battre pour voler de ses propres ailes et ne plus rester dans l’ombre de son père. Un bémol toutefois pour les dessins qui, dans l’ensemble, sont trop classiques et souffrent de la comparaison avec les deux épisodes de Nightwing Infinite inclus dans l’histoire.

Swamp Thing Infinite – Tome 2, l’enfer technologique

© 2022 DC Comics / Urban Comics

La créature du marais, après les événements du premier tome la liant à l’Inde, se trouve opposée à des émanations des erreurs de l’humanité, des entités qui incarnent le pire. Très métaphysique, le Swamp Thing de Ram V nous emmène dans une sorte de confrontation entre la nature, incarnée par la créature du marais, et la technologie, incarnée par une entité mystérieuse. On y trouve tout un propos sur les machines de l’homme, la consommation et l’industrie qui le mènent à sa perte et pousse la nature, autant la créature du marais que d’autres créatures croisées dans le comics à cette occasion, à se rebeller pour reprendre ses droits. Cette opposition entre la nature et la construction humaine n’a rien de nouveau, mais Ram V l’aborde avec sa propre sensibilité, entre un caractère horrifique évident et un mysticisme quasi religieux. Parfois difficile à suivre, sa réflexion apporte toutefois à Swamp Thing un caractère novateur, qui pioche dans l’imaginaire de ses prédécesseurs tout en lui apportant son propre univers. Très beau et contemplatif, son récit manque parfois d’un petit quelque chose en plus. De rythme peut-être, pour une œuvre qui prend largement son temps en étant très bavarde autour de concepts parfois alambiqués. Si j’ai été considérablement charmé par le premier tome à sa sortie, cette suite m’a fait un effet différent : plus beau encore visuellement, mais moins accrocheur. La faute à un auteur qui se perd parfois dans des idées très diverses lâchées comme un cheveu sur la soupe sans toutefois en dire grand chose, avec quelques dialogues qui relèvent plus de l’exercice de style qu’autre chose. Ce qui est surprenant pour lui, alors qu’il a déjà montré maintes fois sa capacité à raconter des concepts métaphysiques avec pertinence.

Pourtant on se laisse prendre à la lecture car son personnage, Levi Kamei, est très bien écrit. Plus qu’une personnalité, celui-ci incarne une idée qui motive et qui alimente la créature du marais. Ram V s’attarde assez peu sur l’homme qu’est Levi Kamei, lui qui ne fait qu’incarner l’avatar de la nature. Il le raconte plutôt au travers de ce qu’il peut faire avec son pouvoir et ce qu’il veut réellement en faire. Toujours imprégné de ses origines indiennes, notamment avec le conflit esquissé dans le premier tome sur le village d’origine du héros aux prises avec ceux qui s’en prennent à la nature, ce deuxième tome fait un parallèle entre sa terre natale devenue « impure » par les profanations de ceux qui détruisent la nature, et ceux qui propagent les constructions humaines (avec des villes bétonnées, des usines désaffectées…) au mépris de l’environnement. Si le fond de la réflexion est terriblement intéressante, il manque toujours ce petit supplément d’âme pour en faire une œuvre référence. Pourtant Mike Perkins se déchire au dessin, offrant au récit de Ram V quelques unes des plus belles planches de ces dernières années sur la continuité de DC Comics. Son dessin est presque vivant, organique, fouillé et bourré de détails, donnant corps à l’imaginaire de l’auteur. Il y a donc une petite pointe de déception face au Swamp Thing de Ram V que j’attendais si impatiemment. Déjà terminé avec ce deuxième tome qui sert de conclusion, il a parfois esquissé tout le talent qu’on lui connaît, tandis que Perkins a pleinement tenu son rôle sur la patte visuelle. Mais j’en espérais un peu plus, quelque chose de plus marquant et décisif, pour un personnage de DC qui correspond parfaitement à l’imaginaire de l’auteur. C’est très bien, mais j’espérais peut-être un chef d’œuvre.

Batman : Shadow War, thérapie familiale

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Nous y voilà enfin. Pour conclure l’année, Urban Comics cale le grand évènement chapeauté par Joshua Williamson, qui a été annoncé dans les précédents tomes de Robin Infinite et Batman Infinite. On parle de Shadow War, une guerre opposante la Ligue des Ombres de Ra’s al Ghul à Deathstroke. Dès le début, Ra’s est assassiné, vraisemblablement par Deathstroke, mais en réalité il s’agit en réalité d’une autre personne, vêtue d’un ancien uniforme du tueur à gages qui était presque à la retraite. Malheureusement, Talia al Ghul n’a pas encore cette information, elle déchaîne alors les forces de la Ligue des Ombres pour retrouver Deathstroke et l’assassiner, ainsi que toutes celles et ceux qui tenteraient de le défendre. Derrière cette entrée en matière très bateau se cache en réalité une histoire familiale, où Talia se rapproche de Robin (Damian Wayne), son fils né de son union passée avec Batman. Les deux partent en chasse pour venger le père de Talia, et donc grand père de Damian, tandis que Deathstroke va tenter de prouver son innocence avec l’aide de Respawn puis Ravager, son fils et sa fille aperçus dans les précédents tomes de Robin Infinite. Ce côté familial, avec l’opposition des deux camps, amène quelques scènes franchement intéressantes qui abordent les relations compliquées de Damian avec son père et sa mère, ainsi que la douleur de Deathstroke (Slade Wilson) qui n’est jamais parvenu à trouver une véritable relation familiale avec ses enfants. Véritable miroir de la haine que porte Damian à son père Bruce Wayne, le ressentiment des enfants de Slade Wilson (notamment sa fille Ravager) pour leur père est un moteur à l’histoire, qui parvient à trouver un bon équilibre entre les scènes d’action plus classiques où la Ligue des Ombres met le bordel un peu partout pour débusquer celui qui constitue le coupable idéal, et des scènes plus intimistes où Joshua Williamson fait ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire raconter le socle familial qui permet à ces héros·ïnes de tenir dans les moments les plus sombres.

Et il offre un récit super rythmé mais surtout très agréable à lire, où ce super équilibre trouvé lui permet de développer son Shadow War sur l’ensemble du tome sans superflu, même si la toute fin est moins réussie à cause d’un dénouement un peu facile (mais qui a le mérite d’ouvrir sur autre chose). Il parvient à s’intéresser à la plupart des acteurs·ices de cette histoire sans traîner dans un récit à rallonge (qui fait quand même 280 pages), avec une tendresse certaine pour l’ensemble des personnages, y compris les antagonistes qui apparaissent souvent sous un lumière très humaine. Il n’y a d’ailleurs pas nécessairement besoin d’avoir lu les précédents comics de l’ère Infinite pour lire ce Shadow War : si avoir lu le reste (notamment les Robin Infinite) est un plus pour l’intérêt que l’on porte aux personnages, cela reste un récit type « blockbuster » qui se lit bien tout seul avec un début, un milieu et une fin. Le seul bémol que je poserai à ce comics est relatif plutôt aux dessins. Comme souvent avec ce type d’évènement, chaque épisode est dessiné par un·e artiste différent·e, avec son lot de styles et de sensibilités qui peuvent ou non nous plaire. Ainsi, certains chapitres paraissent inévitablement plus faibles que d’autres, même s’il y a une belle cohérence de ton et de couleurs qui est maintenue d’un bout à l’autre, ce qui n’est pas toujours une évidence pour ce type de projet. Bref, Batman Shadow War est une œuvre « popcorn » qui se lit avec plaisir sur ce mois de décembre pour conclure une première année de publications DC Infinite. On attend maintenant avec une impatience non dissimulée la suite en espérant une année 2023 aussi riche.

  • Les comics DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
0 Twitter