Hokuto no Ken – Tomes 2 et 3 | Des dieux et des hommes

par Reblys

Il a quelques semaines, je prenais un énorme choc dans le coin de la figure à la lecture du premier tome de la mythique saga Hokuto no Ken. Le mélange si old-school mais également tellement maîtrisé proposé par les aventures de Kenshiro, artiste martial sans attaches, force de la nature sans peur et sans reproches, m’avait mis dans un enthousiasme rarement atteint. J’avais terriblement envie de découvrir la suite, et cela n’a pas échappé à Crunchyroll, qui m’a fait parvenir tout de go la suite de l’extrême edition, avec les tomes 2 et 3 de cette épopée post-apocalyptique. Verdict après une nouvelle session de lecture effreinée : Alors qu’il était difficile d’atteindre à nouveau l’intensité des débuts, car les ficelles narratives et visuelles présentées dès le premier tome sont conservées et réutilisées, Hokuto no Ken va tout de même de l’avant, en dévoilant un nouveau pan de sa mythologie et de sa philosophie, pour notre plus grand plaisir.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur, Crunchyroll

Une dimension mystique et des enjeux préservés

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Dès le départ, la dynamique scénaristique d’Hokuto no Ken était posée, et ne va pas pour l’instant être remise en question : Accompagné de ses deux jeunes compagnons, Kenshiro arrive dans un lieu tourmenté par un gang de vilains. Ému par le sort de ses habitants, le maître du Hokuto shinken s’en va payer une petite visite aux fauteurs de troubles et raye leur troupe de la carte, rendant toute sa quiétude aux habitants des environs. A partir du volume 2, les petits arcs salvateurs de ce type vont se multiplier, toujours avec un Kenshiro intouchable et immaculé sur le plan moral. A tel point qu’il commence à se dégager de Ken une véritable aura messianique. Ses exploits de « One Man Army » sont de plus en plus connus à travers le pays, et sa réputation va commencer à le précéder partout où il passe. Lorsqu’il a accompli son sauvetage, certaines planches lui donnent carrément une aura christique, celle d’un envoyé des cieux, d’un enfant divin, auréolé d’une force supérieure capable de délivrer son prochain des forces du mal. Cette dimension mystique, pour ne pas dire clairement religieuse, est par ailleurs renforcée par l’emploi très commun du champ lexical du démoniaque. Ainsi il n’est pas rare que les différents ennemis rencontrés, voire Kenshiro lui-même, soient comparés à des démons ou au Diable lui même. De même l’apparence parfois hideuse, et souvent disproportionnée des méchants, dont on parlait déjà dans le premier tome, leur donne souvent un physique bestial, voire démoniaque. Par ce biais, Hokuto no Ken s’apparente parfois littéralement à une lutte du bien contre le mal, incarnée par une opposition entre le divin et le diabolique. C’est particulièrement visible à travers le regard que portent sur lui les villageois qui viennent d’être délivrés. Le plus souvent un enfant ou une vieille personne qui, ébloui.e.s par la vigueur de leur sauveur, donnent à la scène un goût de vignette biblique.

Cela permet d’ailleurs de lutter contre un problème scénaristique que j’ai paradoxalement identifié dans une œuvre bien plus récente, et que j’appelle « l’effet One-Punch Man ». En effet, Saitama comme Kenshiro possèdent la caractristique de ne jamais être inquiétés en combat, et d’en finir la plupart du temps en un seul coup. Dans ces conditions, comment parvenir à créer un enjeu pour l’intrigue, dont la tension repose bien souvent sur la manière dont son protagoniste va être mis en difficulté et devra faire face à l’adversité ? La réponse apportée à cet enjeu est la même pour les deux mangas : On crée de l’enjeu via les autres personnages. Car si Kenshiro est virtuellement invincible, ce n’est pas le cas de chacun et chacune des habitant.es de ce monde en ruines, où la mort est à tous les coins de rue. Si les gangs de loubards sanguinaires sont à ce point craints et redoutés, c’est parce qu’ils ne reculent devant rien. Bien souvent l’arrivée de Kenshiro se fait a posteriori d’une première intervention de sbires énervés. Interventions qui se soldent quasiment à coup sur par quelques corps découpés, qui peuvent inclure femmes et enfants si le cœur leur en dit. Ainsi exactement comme dans One-Punch Man, la question n’est pas « Est-ce que Kenshiro va s’en sortir ? », mais plutôt « Va-t’il arriver à temps ? » ou « Va-t’il réussir à empêcher l’ennemi de perpétrer un nouveau massacre ? ». Notre empathie se focalise sur les pauvres bougres qui n’ont rien demandé et qui vont subir le fléau de la violence aveugle sans pouvoir rien y faire. Certains de ces personnages sont d’ailleurs mis en avant par leur héroïsme ordinaire, leur opiniâtreté à défendre leur petit bout de territoire et leurs ressources faces aux assauts incessants des voleurs et des tortionnaires dont cet immense désert regorge. C’est bien souvent inspiré par leur courage que Kenshiro va se décider à faire une pause dans son voyage pour leur porter assistance. Cela donne à son périple un petit goût utopiste. A son échelle, Ken ne peut pas véritablement changer la donne, et le monde restera un endroit aussi dangereux que désespéré. Mais il diffuse de l’espoir à petite échelle par son action. Il laisse partout où il passe a minima l’illusion que la vie sera un peu moins dure qu’avant son arrivée. Cela renforce son côté messianique dont nous parlions plus haut, mais cela contribue également à prendre de la hauteur par rapport au seul personnage de Ken, et d’aborder l’œuvre sur un plan plus philosophique qu’il n’y parait.

Nous ne sommes que des hommes

© 1983 BURONSON and TETSUO HARA / COAMIX, ©2022 Crunchyroll

Et c’est finalement cet aspect philosophique qui m’a le plus intéressé à la lecture du troisième tome de cette « Extrême edition », car celui-ci va pour la première fois introduire de nouveaux personnages adultes, qui vont être traités comme de véritables compagnons de Kenshiro. Jusqu’à maintenant les personnages qui accompagnent Ken, Batt et Lynn, n’étaient que des personnages fonctionnels, dépourvus de véritables développements. Cette dynamique change avec l’introduction de Rei, nouvel artiste martial auprès duquel Ken va pouvoir trouver un compagnon autant qu’un rival, et surtout Mamiya, premier personnage féminin d’envergure depuis Julia, la dulcinée perdue de Kenshiro. Avec le développement de ces personnages se créent de nouveaux enjeux, et une dynamique qui va parcourir tout l’arc introductif de ces deux personnages : Pour vaincre des gens si forts, il faut exploiter leurs faiblesses, car ils ne sont au final que des êtres humains. Les antagonistes de cet arc, le gang des crocs, jouent un rôle intéressant au service de cette stratégie, qu’ils décident eux-mêmes d’employer. Ils décident en effet de s’attaquer à l’entourage des deux héros, car leur propre « famille » a été attaquée par eux. Dans les faits cela crée une situation superbement patriarcale, puisque ce sont la sœur de Rei et Mamiya qui joueront le rôle des demoiselles en détresse que Ken et Rei vont devoir secourir. On est dans les années 80, on ne pourra pas y changer grand chose, mais philosophiquement, la situation est tout de même intéressante. Après un volume 2 dans lequel Ken était présenté comme une figure quasi divine et intouchable, ce tome 3 tente de réhumaniser Kenshiro, en lui faisant tisser des liens avec d’autres personnes, et le mettant dans une situation délicate où celles-ci risquent d’y passer s’il ne trouve pas comment leur venir en aide. Une nouvelle manière de créer de l’enjeu malgré le caractère toujours assez monolithique de notre protagoniste. A la suite de ces péripéties, l’arrivée d’un nouvel antagoniste principal, qui s’annonce d’une dimension assez supérieure à ceux qu’on a connus durant ces tomes 2 et 3, va peut-être permettre de relancer l’intrigue et de développer une nouvelle dimension narrative de l’œuvre.

Car ce qu’il ressort de ces volumes, c’est qu’une fois passé l’exaltation de la découverte, il va falloir à Hokuto no Ken réinventer régulièrement sa formule et ses approches pour pouvoir continuer à titiller mon intérêt. La lecture de ces nouveaux chapitres de l’épopée de Ken a été très agréable et tout à fait prenante, mais a déjà laissé s’échapper un peu de son intensité par rapport au premier volume, perte de l’effet de surprise oblige. Je suis toujours aussi curieux de voir jusqu’où cette série peut nous emmener, mais j’espère également qu’elle continuera sur cette lancée, en élargissant le cadre et la portée philosophique de l’histoire au delà de Kenshiro, ou en le faisant évoluer de manière plus directe et spectaculaire. Car tout stylé qu’il soit, un personnage aussi unidimensionnel risque très vite d’atteindre ses limites s’il reste l’unique pierre angulaire de ce récit. Ainsi c’est toujours avec beaucoup de curiosité que j’attends la suite de cette série, qui n’a je l’espère pas fini de me surprendre !

  • Les tomes 2 et 3 de l’Extrême Edition de Hokuto no Ken, sont édités chez Crunchyroll, et sont disponible en librairies novembre et décembre 2022.

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