Salut tout le monde ! Ici Reblys pour un nouvel épisode de la Rébliothèque.

Parfois des recommandations inattendues peuvent survenir de la part de personnes qu’on croyait pourtant bien connaître. ça a été le cas pour le livre dont je vais vous parler aujourd’hui, car c’est ma petite cousine, de presque 15 ans ma cadette qui me l’a suggéré. Le Maître des Illusions est un roman froid, et sombre, mais hypnotisant. Un thriller psychologique insondable qui se joue de nous avec une ambiance faussement banale. Une lecture des plus surprenantes, qui a donné lieu à de riches discussions a posteriori avec ma cousine !

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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Mashle a été une des bonnes surprises de 2021, et a continué en 2022 à distribuer quelques bons moments de rigolade dans un pastiche de Harry Potter (mais l’autrice transphobe) qui a su créer son propre univers et dépasser, donc, ce « simple » statut de pastiche. Il y a eu des coups de mous aussi, souvent sauvés par un humour toujours salvateur, mais à l’approche du dénouement du manga, l’auteur ayant annoncé à la fin du tome 11 que le manga entrait dans son arc final, on reste curieux par la manière dont le manga se trouvera une fin. Si celle-ci n’est, à ce jour, toujours pas annoncée, c’est avec le sentiment d’un dénouement proche à venir que je me suis lancé dans les tomes 9 et 10 de Mashle.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Origines, élus et maux de l’univers

MASHLE © 2020 by Hajime Komoto/SHUEISHA Inc.

Pour débuter le tome 9, on repart sur un arc à base de tournoi, cette fois-ci non pas interne à l’académie Easton mais en confrontant les deux autres académies de magie qui composent le monde magique de Mashle. Le statut d’élu divin, que convoitent tou·tes les étudiant·es, se joue sur l’épreuve qui oppose les trois académies. Un défi conséquent pour le héros puisqu’il va falloir les battre, jusqu’à l’épreuve ultime qui se déroule dans le tome 10 au Manoir Grief, où chacun s’affronte en espérant devenir l’élu divin. Sorte de manoir labyrinthique duquel il semble impossible de s’échapper. Mais ce qui nous intéresse plus clairement que cet énième tournoi (dont le principe narratif commence à lasser, pour être honnête), c’est la nouvelle dynamique qui s’installe : on sait désormais que Mash Burnedead est l’enfant de Innocent Zero, et il va devoir affronter Domina, un autre enfant du grand méchant, dans un combat qui devrait être le plus difficile de sa vie. Une nouvelle tendance pour le manga et le récit, qui prend enfin un peu plus de hauteur sur le quotidien de l’académie. D’autant que pendant ce temps-là, les citoyen·nes apprennent qu’un·e candidat·e pour devenir élu divin n’a pas de pouvoirs magiques, s’ensuit une révolte dans ce monde qui ne tolère pas celles et ceux qui n’ont pas de pouvoirs, faisant de Mash une cible facile.

Et ce qui fonctionne particulièrement c’est le groupe, les amis que Mash s’est créés en chemin, alors qu’ils en arrivent à un point où ils et elles sont pratiquement prêt·es à mourir pour le voir réussir, dans un moment où un adversaire de taille, plutôt bien écrit et raconté, arrive au tome 10. C’est pas un mal pour un manga qui, jusque là, peinait à offrir des antagonistes vraiment marquants et mémorables. Mais à l’heure où l’auteur commence à songer à la fin de son manga, il était certainement important de combler ces lacunes observées au fil du temps. Certes, Mashle est avant tout une comédie, un shonen bourré d’humour, à tel point qu’on lui a souvent pardonné son intrigue étriquée et son absence de grands moments. Mais après dix tomes, on en espère bien mieux.

L’humour en berne

D’autant plus que ces tomes 9 et 10 mettent souvent de côté la nature humoristique du manga. Le manga manquant à côté de consistance sur sa narration, la lassitude prend le pas sur la fraîcheur initiale de Mashle qui m’a tant conquis à l’époque. La faute à un énième tournoi sur une dynamique similaire, sans grande inventivité ni dans les combats ni les adversaires (interchangeables, sans grande personnalité), à l’exception de l’ennemi évoqué plus tôt qui n’arrive qu’au dixième tome. Un dixième tome qui, tout de même, donne un peu d’espoir pour la suite, tant il arrive à renouveler certains moments de mise en scène, notamment lors d’affrontements au sein de salles du manoir où le groupe peut acquérir les étoiles qui leur permettront d’arriver à la fin de l’épreuve, une avancée par niveau qui ressemble à un jeu vidéo et qui fonctionne bien. C’est aussi un tome qui ramène un tantinet d’humour, avec un adversaire dont la faculté est de débiter les pires jeux de mots pendant qu’il se bat. C’est con, mais ça fonctionne.

Difficile quand même d’être toujours aussi accroché à Mashle. Le manga m’a longtemps fait rire, et il le fait encore, mais l’absence de moments mémorables, d’antagonistes intéressants et d’un fil rouge plus imaginatif fait peu à peu tomber le manga dans la case de ceux qui peinent à tenir leur promesse initiale. Hajime Komoto a dépassé le simple pastiche avec un univers bien à lui, mais il lui manque encore l’essence qui fait les grands shonen : de grands enjeux. La quête de l’élu divin reste trop convenue, trop attendue, pour pouvoir se suffire à elle-même. Il lui manque des moments marquants, des antagonistes intrigants et des personnages plus fouillés. Si le groupe de potes qui entoure Mash est sympathique, c’est malheureusement souvent des personnages unidimensionnels qui ne servent que de fonction pour des vannes qui sont, certes, souvent bien placées.

  • Les tomes 9 et 10 de Mashle sont disponibles en librairie aux éditions Crunchyroll.
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Come True (rebaptisé Bad Dreams pour sa sortie française) est un film canadien réalisé par Anthony Scott Burns et sorti en 2021, présenté notamment au Festival international du fantastique de Gérardmer. Je ne serais sans doute jamais tombée sur ce petit film indépendant, malgré ma passion pour le genre de l’horreur, sans quelques tweets le décrivant comme un film sur la paralysie du sommeil. Cette dernière est un très désagréable moment entre rêve et éveil où le corps est endormi et immobile, mais où l’esprit voit des hallucinations visuelles et auditives. Spoiler, Bad Dreams n’est pas tant que cela un film sur la paralysie du sommeil, mais plutôt une étrange invitation à une exploration onirique.

Vers un monde de rêves

Sarah (jouée par la magnétique Julia Sarah Stone) est une jeune lycéenne en rupture avec sa famille. Cela fait en tout cas plusieurs nuits qu’elle passe dehors, emmitouflée dans un sac de couchage sur un toboggan au jardin d’enfants – quand elle ne réussit pas à s’incruster la nuit chez une copine. On sait qu’elle évite sciemment sa mère et sa maison, mais on n’en sait guère plus et ce ne sera pas le sujet du film. Troublée par de mauvais rêves où toutes les nuits, elle avance dans des couleurs sombres et glauques pour rencontrer une silhouette noire aux yeux lumineux, elle finit par se résigner… à aller servir de cobaye pour une expérimentation scientifique autour du sommeil, pour avoir au moins un endroit où dormir au chaud. Mais les observations scientifiques ne font que rendre ses cauchemars encore plus sombres et immersifs…

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Come True/Bad Dreams, Anthony Scott Burns, IFC Midnight, 2021 ©

Le film est d’abord remarquable par son atmosphère. Bad Dreams se teinte d’une nuance bleutée, prompte à évoquer l’onirisme dans lequel baigne Sarah, comme si le monde des rêves ne cessait de se mêler et de s’infiltrer dans la réalité. Tout du long, on baigne dans cette ambiance qui envoûte, qui pose un étrange cadre, comme si le spectateur lui-même était invité à définir la frontière entre le réel et le sommeil. Un sentiment renforcé par ces scènes qui dévoilent des tranches de vie de Sarah, souvent en silence, seulement bercées par la musique de Electric Youth. Le duo canadien de synthpop y est pour beaucoup dans le charme du film, la bande-son électro restant douce et entêtante, teintée de sons métalliques, d’une teneur qui plonge dans un certain malaise en même temps que dans cette irréalité obsédante du rêve. Assurément, le film serait beaucoup moins percutant sans cette musique planante et synthwave. Au point, en l’écoutant, de se rappeler que rares sont les films aujourd’hui dont on se souvient de la bande-son, et où celle-ci contribue véritablement à plonger dans l’histoire d’un film.

Plongeon vers l’inconscient

Bad Dreams n’est pas qu’un simple film où l’héroïne se retrouve confrontée à ses rêves. Séparée en plusieurs parties par des intertitres, l’histoire se veut aussi une réflexion sur l’inconscient de son personnage principal, évoquant les concepts créés par le psychanalyste Carl Gustav Jung. La première partie du film, où l’on voit le quotidien de Sarah et ses relations distantes avec les autres, est ainsi intitulée Persona (le rôle social face à l’autre), puis suivent d’autres concepts : Animus et Anima (part masculine de la femme et part féminine de l’homme), le Soi (l’individu) ou encore l’Ombre (refoulements subconscients de la personne), qui dans le film sera également là pour désigner la silhouette noire aux yeux lumineux, présente dans chaque rêve de Sarah et des autres cobayes de l’expérience scientifique.

L’utilisation des termes psychologiques n’est pas là simplement pour offrir une réflexion de surface : ils permettent un autre sens de lecture au film, incitant au visionnage à voir cela comme une analyse de la psyché et des rêves de Sarah, selon les événements qui se déroulent dans la réalité. Cela permet également de rappeler le concept d’inconscient collectif décrit par Jung, car chaque rêveur sujet à l’expérience termine ses rêves par l’apparition de la fameuse ombre, comme un élément de rêve collectif, que les scientifiques cherchent à expliquer. Le monde des rêves et des cauchemars n’est alors pas propre à chacun, mais devient un univers séparé, où tout le monde peut retrouver certains éléments et certaines figures.

Cauchemars

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Come True/Bad Dreams, Anthony Scott Burns, IFC Midnight, 2021 ©

Bad Dreams dévoile alors son véritable sujet : les rêves, et ce qu’ils disent de nous, de nos désirs et de nos peurs. Durant le film, on est amené à voir sur des écrans cathodiques – dans une ambiance très années 80 – les rêves des personnages du film. Si certains révèlent la vulnérabilité de certains désirs, notamment amoureux, ils sont le plus souvent montrés comme un long plan-séquence, passant de l’écran cathodique à une véritable scène. Alors, le film révèle des longs couloirs tortueux et sombres, en noir et blanc parasité, où les murs semblent organiques ou composés d’os, où l’on croise des silhouettes d’ombre composées de corps difformes, avant de toujours terminer sur cette mystérieuse et terrifiante silhouette aux yeux lumineux. Il y a bien une origine à cette créature : cette fameuse silhouette drapée de noir, dont on ne voit aucun trait à part les yeux, est la vision généralement décrite par ceux et celles victimes de la paralysie du sommeil (votre narratrice comprise). Ils dégagent une aura particulièrement terrifiante et peuvent se rapprocher de la personne endormie, pour créer des sensations d’étouffement ou tenir des discours menaçants et déformés.

Aux lumières bleutées de la réalité se mêlent alors ces chemins suivis par un travelling avant, sans pause ni possibilité de se retourner, comme lorsqu’on est obligé d’avancer en rêve. Cette manière de représenter les cauchemars est particulièrement saisissante et glace le sang, faisant penser tant aux peintures du polonais Zdzisław Beksiński qu’aux monstres de Silent Hill. C’est là une vision des rêves, bien loin du surréalisme qu’on leur donne dans la plupart des films.

A l’image du sujet des rêves, toujours énigmatiques et parfois absurdes, mais révélateurs de l’inconscient d’une personne, Bad Dreams nous laisse interpréter ce que l’on voit à l’écran, tout en nous donnant quelques clés de lecture comme les concepts jungiens. On prend plaisir à observer les séquences de rêves, tout comme on est envoûté par l’atmosphère bleutée et onirique du réel de Sarah, de plus en plus tendu tout au long du film, maintenant une ambiance planante digne d’un véritable rêve. Il est dommage que la fin tranche autant avec le mystère de l’intrigue, proposant un twist trop vu pour véritablement ébranler, même s’il offre une autre possibilité de lecture, et c’est là sans doute la principale frustration du film.

Bad Dreams n’est pas forcément une perle ou un chef d’œuvre : il a les défauts d’un film indépendant sans doute à petit budget (même s’il s’en sort très bien), et la fin peut paraître téléphonée. Mais, si l’on accepte de se laisser porter par son ambiance envoûtante, on peut en ressortir avec quelques images en tête et avec une musique irréelle qui hante pendant encore des jours après le visionnage. J’ai vu Bad Dreams sans véritablement rien en attendre, en pensant d’ailleurs qu’il allait parler d’un autre sujet, et j’en ai eu une agréable surprise au visionnage. J’ai apprécié le voyage hypnotisant qu’il m’a proposé, guidée par une jeune actrice inconnue au charme magnétique et qui porte tout sur ses épaules avec justesse et une certaine mélancolie. Je ne regrette pas ce détour singulier dans le monde des rêves, qui m’aura proposé une autre vision du fantastique et du cauchemar, juste par son ambiance, là où bien des films d’horreur peinent simplement à avoir un scénario et des protagonistes cohérents.

  • Le film est disponible à la location et achat VOD sur Google Play, Amazon, Youtube, etc.
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Forspoken déchaîne les passions, de son annonce il y a deux ans jusqu’à sa sortie. Celui que l’on connaissait initialement sous le titre Project Athia incarnait la volonté pour Square Enix de jouer avec les codes de l’isekai dans un jeu d’aventure qui se voulait ambitieux. Mais depuis sa sortie le 24 janvier 2023, le titre développé par Luminous Productions (qui exploite le Luminous Engine de Final Fantasy XV) a généré de nombreuses critiques à son égard, ce qui m’intrigue d’autant plus : Forspoken est-il aussi scandaleux que le laissent suggérer des réseaux sociaux qui n’ont fait que de se moquer du jeu ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire PlayStation 5 par son éditeur. Le jeu a été terminé en un peu moins de 14 heures.

Un cauchemar d’outre-monde

© 2023 Luminous Productions Co., Ltd. All Rights Reserved.

Il serait bon tout d’abord de définir l’isekai et ce que le jeu entend en faire. Isekai est un sous-genre de la fantasy Japonaise où le récit tourne essentiellement autour d’un personnage transporté (volontairement ou non) dans un autre monde. Un monde alternatif de fantasy, où le héros ou l’héroïne doit apprendre de nouveaux codes pour survivre, faisant face le plus souvent à une menace grandissante. Dans Forspoken l’isekai s’incarne par Frey, une jeune new-yorkaise vivant seule, sans parents, et qui en échappant à des personnes qui lui veulent du mal tombe par hasard sur un curieux bracelet qui s’agrippe à son bras, faisant apparaître un portail qui la transporte dans un autre monde, Athia. Ce monde de fantasy ressemble vite à un cauchemar : elle atterrit dans un château en ruine, puis se trouve vite poursuivie par un dragon. Cela fait beaucoup de choses à assimiler pour le personnage, alors qu’elle doit apprendre rapidement à combattre des animaux transformés en bêtes féroces et une population zombifiée, tandis que le bracelet se met à lui parler avec un certain dédain. Un bracelet magique donc, qui lui confère des pouvoirs afin d’avoir une chance de survivre. Et la narration joue largement sur le décalage entre la personnalité du bracelet, à la voix de vieux gars sarcastique et particulièrement antipathique, et celle de Frey, qui est relativement enjouée malgré les horreurs qui se présentent à elle. L’héroïne est interprétée par l’actrice Ella Balinska (Charlie’s Angels), lui prêtant à la fois ses traits et sa voix. Une interprétation très réussie pour une héroïne que l’on découvre vite attachante, plutôt bien écrite, dans un pur rôle d’héroïne d’isekai, c’est-à-dire décontenancée, mais aussi excitée à l’idée de découvrir qu’elle a des pouvoirs dans un monde alternatif qui ressemble, parfois, à un échappatoire des difficultés auxquelles elle fait face dans son propre monde. D’abord innocente, la narration prend ensuite une tournure plus dramatique à mesure que l’histoire se dévoile, racontant un monde où les « Tannta », les héroïnes et dirigeantes de ce monde matriarcal, semblent être devenues les pires ennemies du peuple. Celles qui le défendaient autrefois sont aujourd’hui des guerrières sanguinaires, qui tiennent un peuple oppressé par une « brume » qui envahit les terres, tue et zombifie, et oblige les citoyen·nes à se cloîtrer dans une ville entourée de remparts sans jamais pouvoir en sortir.

Une approche qui se révèle assez intéressante, notamment dans la deuxième partie du jeu, où les enjeux dramatiques autour du destin des Tannta prennent une tournure bien plus mature et touchante que le jeu ne le suggère initialement. C’est d’ailleurs peut-être la plus grande faute narrative du jeu : pour en voir quelque chose d’intéressant, il faut subir quelques cinq ou six heures (soit pratiquement la moitié du jeu) de worldbuilding hasardeux, peu convaincant, où l’héroïne semble risquer sa vie sans trop savoir pourquoi, si ce n’est la volonté de rentrer chez elle en suivant les ordres d’un bracelet qu’elle décide de suivre aveuglément. C’est aussi une première moitié de jeu où les personnages secondaires sont au mieux dispensables, assez mal racontés, avant qu’un tournant s’opère dans l’histoire à mi-chemin où tout commence à prendre corps, avec une profondeur bienvenue pour l’histoire mais également pour certains personnages secondaires. Pourtant je n’ai pas lâché la manette, bien décidé à en voir le bout, et pas seulement parce qu’il fallait que j’écrive cette critique au bout du compte. Si j’ai persévéré, c’est surtout parce que Ella Balinska donne beaucoup de cœur à son héroïne, tenant le jeu à bout de bras dans sa partie la plus pénible, car elle incarne avec sérieux un personnage ambigu, Frey étant partagée entre son besoin d’évasion et la volonté de retrouver son monde où, elle le sait, personne ne l’attend vraiment (à part son chat). Et ce qui a attiré l’ire de nombreux clampins sur les réseaux sociaux, c’est sa manière d’être et de parler : grossière, familière, Frey est pourtant témoin de son époque, convaincante et authentique, c’est une jeune new-yorkaise qui parle comme n’importe quelle autre personne qui aurait été à sa place. Le décalage avec le monde de fantasy dans lequel elle évolue est naturelle et nécessaire pour faire fonctionner l’isekai, et cela rend encore plus sympathique quelques dialogues où ce décalage est mis en avant (comme sa relation avec Auden, principal personnage secondaire qui l’accompagne).

© 2023 Luminous Productions Co., Ltd. All Rights Reserved.

Le monde d’Athia offre même de très belles idées, avec plusieurs personnages féminins intéressants qui composent ce monde matriarcal, mais l’écriture peine à trouver son rythme. S’il y a bien un tournant sur la deuxième moitié du jeu, cette partie n’est pas parfaite non plus, et souffre quand même d’un gros problème narratif. Le jeu peine ainsi à trouver la juste mesure entre l’urgence de la quête qui se pose à Frey, face à un monde en perdition, et l’irrépressible besoin des jeux en monde ouvert de notre époque qui n’imaginent pas exister sans une multitude de points d’intérêts et de quêtes secondaires mal racontées pour gonfler un contenu qui n’en a pas franchement besoin. L’histore peine donc à accrocher, car elle est parasitée par de nombreux à-côtés peu intéressants (et pourtant quasi-obligatoires pour obtenir de l’équipement et plus d’expérience afin de gagner en puissance), et ce malgré un monde sous-exploité, qui ne ressemble qu’à une coquille vide. Si le déplacement sur la map est agréable grâce à la fonction de « parkour magique » qui permet à Frey de se mouvoir à peu près partout sans grande difficulté et avec rapidité, l’exploration n’est jamais rémunératrice car tout se ressemble. Tout est identique, qu’il s’agisse de bouts de villages abandonnés et détruits ou de « labyrinthes scellés » qui permettent d’obtenir de l’équipement puissant en affrontant quelques ennemis et un boss, le jeu peine à se renouveler. Pire encore, c’est ses différentes zones qui ont du mal à nous emporter, avec quelques différences visuelles assez mineures où l’on n’a jamais vraiment envie de se balader. Et c’est d’autant plus dommage que c’est ce qui pourrait pousser certaines personnes à abandonner le jeu trop vite, alors que la dimension tragique de son histoire dans sa deuxième moitié est plutôt bien amenée et racontée, avec quelques cinématiques et dialogues bien interprétés. D’autant plus que la bande originale de Bear McCreary et Garry Schyman laisse entendre quelques uns de ses plus beaux thèmes sur le dernier tiers du jeu.

L’exploration d’une coquille vide

© 2023 Luminous Productions Co., Ltd. All Rights Reserved.

Avec tous ses décors qui se ressemblent un peu, le monde de dark fantasy de Forspoken peine à trouver son identité et ressemble souvent à une zone un peu ratée de Final Fantasy XV, auquel il emprunte le moteur graphique. La faute à de grandes étendues de vides, de bâtiments qui se répètent, de « refuges » tous absolument identiques (ces refuges sont des bâtiments qui permettent de se reposer pour récupérer de la vie et crafter quelques éléments). S’il y a beaucoup de choses à faire sur la carte, qu’il s’agisse de récupérer de l’équipement, d’affronter des mini-boss ou de récupérer des chats magiques qui nous tiennent compagnie dans les refuges, tout semble un peu artificiel, comme si le jeu n’arrivait jamais vraiment à donner vie à son monde. Certes, tout le monde est mort et les animaux sauvages sont zombifiés, mais cela ne justifie pas non plus d’offrir un monde aussi pénible à arpenter. Heureusement comme je le disais plus tôt, les déplacements sont agréables grâce au « parkour magique » qui s’active en appuyant simplement sur la touche rond de la manette (ou l’équivalent si vous jouez sur PC), une fonction qui utilise de l’endurance et qui permet à Frey de se mouvoir en courant plus vite, mais aussi en sautant automatiquement par-dessus la plupart des obstacles ou en grimpant aux murs. Si ce mode de déplacement est relativement limité dans un premier temps, il s’étoffe de nouvelles fonctions (grimper plus haut, augmenter l’endurance, se mouvoir sur l’eau…) à mesure que l’on avance dans l’histoire principale, jusqu’à devenir absolument excellent. C’est certainement l’une des plus grandes réussites du gameplay de Forspoken, qui a trouvé là quelque chose de très convaincant pour arpenter son monde. On se met presque à rêver d’un futur jeu qui exploiterait ce même mode de déplacement, mais cette fois-ci, dans un monde qui nous donne envie d’explorer.

Un bon point également pour son bestiaire, si les ennemis de base sont assez rébarbatifs et peu inspirés (des zombies, des zombies en armure, des animaux vaguement modifiés pour paraître plus féroces…), c’est ses boss et mini-boss qui offrent de bien belles choses, avec une forte inspiration visuelle du côté de Bloodborne ou encore de Elden Ring, tant par leur démesure que leurs caractéristiques visuelles. C’est en effet l’allure effrayante de ces boss et la fluidité de leurs animations qui sont du plus bel effet à l’écran, et qui rendent les combats très appréciables et fortement attendus pour sortir du petit train-train de l’exploration et des combats contre des ennemis peu passionnants. Ces monstres, qui peuvent offrir parfois un sacré challenge (mais le jeu propose suffisamment de modes de difficultés différents pour s’en sortir selon nos compétences), poussent parfois Frey dans ses derniers retranchement alors que l’esquive, qui s’utilise en activant le mode parkour avec rond, est conditionnée à une endurance qui descend vite selon le mode de difficulté. Heureusement, cela n’a pas d’impact sur la fluidité des combats puisque l’on apprend vite à gérer à la fois l’esquive, et la bonne distance à mettre entre Frey et les ennemis, alors que ses pouvoirs magiques sont essentiellement des attaques à distance (sauf quelques pouvoirs débloqués plus tard). C’est d’ailleurs un peu désarçonnant, car dans un premier temps, les combats se font uniquement à distance alors que les ennemis ont tendance à nous courir dessus, obligeant à utiliser l’espace et à se déplacer constamment pour ne pas prendre trop de mandales.

La bonne idée de mise en scène : sa magie

© 2023 Luminous Productions Co., Ltd. All Rights Reserved.

Les pouvoirs de Frey passent en effet essentiellement par des sorts à distance, avec lesquels elle harcèle les ennemis en utilisant divers propriétés (la terre uniquement au début du jeu) pour profiter des vulnérabilités. Au début, seul un coup spécial qui sert de « finisher » que l’on peut déclencher quand un ennemi est à terre se fait au corps à corps. Puis, en avançant dans le jeu, d’autres sorts permettent de taper dans le lard, à l’image des pouvoirs de feu qui font sacrément plaisir quand l’on peut enfin se mettre à taper à coup d’épée magique et de poings enflammés, je ne vous le cache pas. La seule limite à tous ces pouvoirs c’est le temps de recharge de certains sorts, mais il n’y a pas de mana, ce qui fait sens dans un récit où la magique émane directement du bracelet de Frey, et n’est pas conditionné au rechargement d’un quelconque point de mana (de toute manière, il n’existe aucune attaque sans magie). À cela s’ajoute un équipement assez limité : des capes, colliers et des vernis équipés qui confèrent des bonus divers aux différentes propriétés magiques. Et c’est aussi et surtout visuellement que la magie apporte une vraie fraicheur sur la mise en scène : les effets de particules sont nombreux, ça éclate à l’écran, c’est un plaisir visuel quitte parfois à perdre en lisibilité. Mais cela permet au jeu d’offrir quelques combats qui sont impressionnants, avec des éléments qui s’entrechoquent et une magie qui devient actrice principale des chorégraphies. Cela rattrape en partie les errements techniques du jeu, car si la mise en scène des cinématiques a (très occasionnellement) de bonnes idées et les visages des protagonistes sont plutôt bien modélisés, le reste à l’écran est baveux. Les textures sont d’un autre temps, la distance d’affichage est ridicule et le jeu souffre même de quelques baisses de framerate dans son mode « performance ». Techniquement, Forspoken n’est pas à la hauteur,

Forspoken est-il alors, réellement, le jeu à éviter de ce début d’année ? Pas vraiment. Pas du tout même. Il est toutefois vrai qu’il n’est pas à la hauteur des annonces. Celui qui ressemblait presque à une démo technique lors de sa première annonce est en réalité très faible sur ce point, tandis que les espoirs que l’on avait pour son histoire de type isekai trouve ses limites dans un récit qui peine à se lancer. Il n’est pas plus difficile non plus d’admettre que son monde est trop vide pour donner envie de l’explorer. Mais pourtant, Forspoken a quelque chose d’attirant et d’attachant grâce à son héroïne, qui est super, et qui donne envie de continuer le jeu en sa compagnie avec l’espoir que les choses s’améliorent. Et on finit par être récompensé pour ça, avec une histoire qui trouve enfin son intérêt quand le monde d’Athia accepte enfin de dévoiler ses forces et faiblesses, un passé tortueux qui amène peu à peu vers un grand final plutôt réussi. Je suis sorti de Forspoken après quatorze heures de jeu en me disant qu’il y avait quelque chose d’assez injuste dans la manière dont le titre a été reçu, les critiques à son égard mais aussi contre une Ella Balinska qui est la vraie bonne surprise du jeu, comme s’il fallait absolument que le jeu soit désigné comme un échec et une erreur. Mais paradoxalement, je comprends aussi la déception, car le titre n’est pas à la hauteur des attentes, encore plus pour des personnes qui ont souvent d’autres choses à faire que de persévérer plusieurs heures dans un jeu avant qu’il offre enfin quelque chose d’intéressant. On ne peut toutefois pas lui reprocher son cœur, et la bonne volonté que le jeu met à quelques moments clés de sa narration.

  • Forspoken est disponible sur PlayStation 5 et PC depuis le 24 janvier 2023.
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Los Angeles, demeure luxueuse, grand salon. La mégastar du cinéma muet Jack Conrad travaille, sous la supervision de sa cinquième épouse, la diction et l’intention à donner à son texte. Il s’agit d’un exercice nouveau pour lui, car ce sera son premier film parlant. Durant cette scène en apparence anodine, les évènements l’amènent à se lever et à asséner, de manière aussi brutale qu’émue, des mots qui viennent cristalliser la raison d’être de cet homme en apparence si frivole :
« Ce n’est pas un art mineur. Ce qu’on fait compte pour des millions de gens. Pour des millions de gens normaux ça veut dire quelque chose, « It means something. » A ce moment là on a déjà passé les deux heures de film et j’étais complètement happé dans ce vortex extravagant, vulgaire, sublime et magique qu’est Babylon. Après un First Man qui m’avait un peu moins convaincu, le 5ème long métrage de Damien Chazelle signe un retour monumental du cinéaste qui avait tout cassé avec Whiplash puis La La Land. Difficile de choisir le mot juste pour rendre justice à ce concentré de passion et de violence en ébullition. Chef-d’œuvre ? Opus Magnum ? Film somme ? En sortant de la séance je n’avais pas la réponse, et je ne l’ai toujours pas. Ce dont je suis sur néanmoins, c’est qu’au delà des mots, il y a ce que j’ai ressenti.

Il était une fois le 7ème Art

©Paramount Pictures, 2022

Manuel Torres, jeune immigré mexicain, travaille comme valet pour le compte de l’immense producteur de cinéma Don Wallach. Celui-ci organise des fêtes démesurées au sein de son immense propriété, et Manuel doit à la fois satisfaire les demandes les plus excentriques de son patron, mais également gérer un certain nombre de problématiques survenant pendant lesdites fêtes. C’est lors d’une de ces bacchanales aux dimensions gargantuesques qu’il va croiser la route de Nellie LaRoy. Alors illustre inconnue rêvant du métier d’actrice et du statut de star, Nellie va pourtant, armée d’un bagout et d’une attitude aussi décomplexée que déconcertante, se faire repérer sur un coup du sort qui va la propulser sur son premier plateau de cinéma. Manny quant à lui, va, également sur un coup du sort, être pris sous l’aile d’une des plus grandes superstars du moment, Jack Conrad, qui va le débarquer sur le tournage de son film le plus récent. Ainsi comme dans La La Land, on nous présente un duo de jeunes gens pleins de rêves, qui s’efforcent d’accéder à leur graal. Et à travers leur ascension (ou leur chute), c’est toute une époque qui nous est contée. Tout un pan de l’histoire du cinéma, dont Damien Chazelle avouera lors de la promotion du film qu’il s’agit de la période qui le fascine le plus. Celle qui, selon lui a donné naissance à tant de chefs-d’œuvre, via un medium (le cinéma muet) qui était déjà en train de mourir.

Le film s’impose dès le départ comme une œuvre de cinéma, qui parle de cinéma, et se drape, au milieu des péripéties dépeintes, de tout un cadre, au mieux historico-romancé, d’histoire de ce medium. En témoignent les vastes séquences durant lesquelles on fait partie des plateaux de tournage et des complexes les réunissant, qui nous placent en témoins d’un véritable univers en constante expansion et en permanente évolution. Le film parle de films, montre des films en train d’être créés, et emprunte de nombreuses références à tout un tas d’autres, réels ou fictifs, afin de mieux nous immerger dans ce petit monde en vase clos de la production cinématographique. On y découvre ou redécouvre tout un tas de métiers, dans des conditions d’exercice qui pourront, selon les connaissances ou la sensibilité des spectateurs et spectatrices, donner le sentiment d’avoir tantôt profondément évolué, tantôt pas du tout. En traçant un pont entre présent et passé, Babylon nous démontre une idée simple : qu’on soit en 1920 ou en 2020, le cinéma n’a jamais perdu ce qui fait toujours son essence, la volonté de fabriquer des histoires, assez vraisemblables pour nous donner envie de nous y projeter.

Un kaléidoscope narratif

©Paramount Pictures, 2022

Et Dieu sait que Babylon regorge d’histoires à nous conter ! Le terme de fresque est celui qui m’est directement venu en sortant de ma séance, car ce qui impressionne par dessus tout avec ce film, c’est sa capacité à nous emmener dans des cadres et genres si différents et variés à la fois, et de nous les faire vivre via des points de vue aussi divers que nombreux. Manny nous offre un regard novice, mais de plus en plus lucide sur l’envers du décor de la production de films. Il offre également une évolution de personnage bien sentie, qui va du naïf au cador, sans pour autant, on s’en rendra compte, perdre ce côté romantique qu’il a toujours eu en lui. Nellie sera un exemple, également incarné par Jack, de trajectoire en rise and fall, mais avec des amplitudes différentes, et des subtilités importantes. Nellie est aveuglée par le statut de star, et son talent naturel rend son ascension fulgurante, tandis que son excentricité lui brûlera les ailes. Alors que Jack doit affronter le fait de vieillir, de ne plus être à la page dans un monde qui a décidé d’avancer sans lui, alors qu’il lui a tout donné. Nellie est un produit du star system, dont on se demande si elle aimait autant les films que l’idée d’être célèbre, tandis que Jack, sous ses airs précieux et superficiels, est avant tout un amoureux du cinéma, qui ne se voit pas vivre sans lui. Le personnage de Sidney Palmer (inspiré du musicien Curtis Mosby ayant réellement existé) bien que disposant d’un temps d’écran un peu moindre, va permettre de mettre le focus sur tout un pan musical du film (que serait un film de Damien Chazelle sans un rapport intime à la musique !), en plus de relayer quelques messages forts sur le racisme de l’époque, au détour d’une scène au symbole d’une puissance inouïe, qui s’est imprimée au fer rouge dans ma mémoire. Rendons hommage à Diego Calva, Margot Robbie, Brad Pitt et Jovan Adepo pour leurs prestations au sommet, à tel point que j’ai failli oublier de les citer tant ils et elle s’effacent derrière leur personnage.

Chacune et chacun amène des variations de ton, mais ce qui fait la richesse du film ce sont surtout ses ambiances, créées à la fois par la variété des décors, des couleurs et des atmosphères sonores, mais aussi par les jeux de mise en scène en constant renouvellement. C’est très clair : Le réalisateur se régale. Des mouvements de caméra audacieux succèdent à des plans séquences virtuoses, surchargés de détails et d’effervescence. Et surtout les jeux de rythme, de tensions et relâchements, ainsi que la variété des situations dépeintes ne laissent que peu de doutes sur la volonté du film de nous faire voyager dans un délire de surenchère un peu méta, pour mieux joindre la forme au fond, en nous montrant de manière extensive tout ce que le cinéma a à offrir, alors que les personnages du film nous répètent à l’envi qu’il s’agit d’un univers merveilleux où tout est possible, y compris l’inattendu. Mention spéciale à deux séquences auxquelles j’étais à mille lieux de m’attendre : Une en pleine nuit dans le désert californien, que je peux clairement hisser parmi mes scènes préférées de tous les temps, tant il s’agit pour moi d’un moment de cinéma en or massif, et une autre intervenant plutôt vers la fin du film, dont le changement de registre absolument stupéfiant m’a presque fait crier au génie, tant je n’imaginais pas Damien Chazelle nous emmener si loin dans le genre du « freak show ».

Une passion dévorante

Mais cette débauche de moyens et d’évènements ne se fait pas sans heurts : Personne n’est épargné, de chaque côté de l’écran. Nous spectateurs et spectatrices, sommes régulièrement abreuvés de fluides des plus triviaux, allant de la sueur au sang, en passant par des interludes de vomi et de copieuse chiasse pachydermique. Babylon est sale, et non seulement le film le revendique, mais il adore ça, à l’image de Nellie LaRoy, que l’on considère vulgaire et odieuse, et pourtant si irrésistiblement attirante et talentueuse. On pourrait presque faire un parallèle entre la tentative de Manny de lisser l’image de l’actrice pour mieux relancer sa carrière (ce qui sera un échec retentissant) et l’uniformisation d’une partie de la production cinématographique, qui rentre dans un moule où la nouveauté et le renouvellement peinent à s’imposer. A l’opposé de cette frilosité palpable dans l’industrie hollywoodienne, Babylon va au bout de son excentricité, quitte à faire lever les yeux au ciel ou mettre mal à l’aise les personnes un peu trop puritaines. Celles-ci trouveront volontiers au film une dimension ouvertement grotesque, matinée de mauvais goût et de tape à l’œil. Tandis que j’y ai trouvé la représentation extrême d’un monde qui l’est tout autant. Où la démesure dévore tout sur son passage : Le matériel comme les personnes, dont certaines y laissent la peau de manière brutale, pour recracher un produit unique et magique, capable de nous projeter dans une fiction qui nous renvoie le réel à travers le prisme de nos propres yeux. Les esprits sont brisés, les colères pleuvent, à tel point qu’on se demande si qui que ce soit sort indemne de ce système, à part les chefs-d’œuvre qui en émergent. La fascination ambivalente de Damien Chazelle pour le cinéma s’exprime ainsi tout au long du film. Cet hommage permanent est sans cesse mâtiné d’éléments de critique, que ce soit envers la violence de ce milieu, qu’on qualifierait volontiers de décadent à bien des égards, ou son rythme effréné, qui n’hésite pas à laisser beaucoup de monde sur le côté, la tête dans le caniveau.

©Paramount Pictures, 2022

Et puis, le film assume également le parti pris de jouer les prolongations avec une durée de plus de trois heures. Là encore, Damien Chazelle explique en interview qu’il a souhaité créer une atmosphère, un ressenti particulier, qui ne peut advenir que sur le temps long, avec un film qui demande de s’y immerger pleinement. A la lumière de ces intentions, on remarque volontiers que le film n’hésite pas à prendre son temps pour poser l’ambiance de ses différentes séquences, et nous permettre de passer de l’une à l’autre en nous laissant le temps de nous adapter à des ruptures de ton et de genre parfois assez abruptes. Et surtout, cet allongement de la durée du métrage a pour effet, au lieu de créer des longueurs comme on pourrait le craindre, de laisser au réalisateur l’opportunité d’en mettre encore plus, partout, tout le temps, plus de détails, plus de richesse, plus d’idées, plus de profondeur. Le fait que Babylon nous montre autant de choses pendant une durée volontairement plus longue que la moyenne permet effectivement, si l’on s’y abandonne pleinement, de nous faire rentrer dans cet état hypnotique que recherchait Damien Chazelle, plus de trois heures où les besoins du corps n’ont plus cours, et où l’on est plus qu’une âme face à une œuvre, produit du travail de centaines de personnes visibles et invisibles.

On a parfois tendance à nous survendre les émotions que l’on peut éprouver devant un film, nous montrant une ribambelle de visages aux réactions intenses dans les salles de cinéma. J’ai moi même l’habitude de regarder ces spots de propagande avec un petit rictus railleur, en me disant qu’ils grossissent quand même un peu le trait. Et pourtant, Babylon m’a exalté. Il m’a injecté de sa folie, de son hyperactivité et surtout un sacré cocktail de sa passion en intraveineuse. Ce film est un hymne à tous les autres. Un panégyrique à la gloire du 7ème Art, qui non content de lui rendre un hommage continu, nous embarque dans sa démesure pour nous montrer tout ce qu’un film peut offrir de grand spectacle, de fulgurances de mise en scène, de créativité et, il faut bien l’admettre, d’émotions. Pas vraiment l’émotion issue de la tristesse ou du tragique, mais plutôt l’euphorie de redécouvrir toute la puissance que l’image animée peut véhiculer. C’est un film qui rend fou de joie, qui ravive une flamme qui ne demande qu’à se consumer, et qui donne envie de bouffer du cinéma jusqu’à en crever.

  • Babylon, de Damien Chazelle, est sorti en salles le 18 janvier 2023.
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Ram V commence à être un scénariste dont on parle beaucoup sur Pod’Culture : Mystic Falco avait découvert The Swamp et Anthony F. avait parlé de Toutes les morts de Laila Starr. C’est aussi la preuve que l’artiste sait se réinventer pour proposer des histoires aux genres différents et aux scénarios décidément convaincants. Aujourd’hui, c’est de Blue In Green, sorti chez HiComics, qui est à l’honneur. Merci aux éditions HiComics pour l’envoi de ce comics, version papier !

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Le pacte faustien : une histoire vieille comme le monde

Blue In Green (référence au morceau de musique de jazz de Miles Davis), c’est l’histoire de Erik Dieter, saxophoniste passionné de jazz, qui enseigne la musique à des élèves qui le dépassent parfois. Il n’a jamais été le prodige musical dont il rêvait et se cantonne à une existence moyenne, sans ambition. Quand il retourne dans la maison familiale, suite au décès de sa mère avec laquelle il entretenait une relation difficile, deux événements décisifs se produisent. Il tombe sur la photo d’un saxophoniste inconnu dans les affaires de sa mère, et il croise un terrible fantôme qui lui proposera le génie musical qu’il n’a jamais eu, tel Méphistophélès avec Faust. D’ailleurs, autre référence musicale, un autre Erik célèbre et fictif dans la musique n’est autre que le Fantôme de l’Opéra, génie musical maudit.

Blue In Green propose une histoire d’abord solidement ancrée dans la réalité avant de basculer dans un fantastique prenant. On voit Erik comme un homme banal, doué pour la musique, mais pas au point d’être une star ; aimant sa sœur, mais incapable de le lui prouver réellement ; amoureux d’une femme, sans avoir jamais osé le lui avouer. Alors, à la quarantaine, la vie d’Erik est en demi-mesure, ni brillante, ni ennuyeuse, toujours cantonnée à un entre-deux qui lui donne l’amer sentiment d’être passé à côté de son existence sur Terre. De ne jamais en avoir fait assez.

« Tu es musicien ? Souffres-tu pour ton art ? Pour atteindre ce scintillement musical ? Le comprends-tu seulement ? »

© Blue In Green, Anand RK & Ram V, HiComics, 2023

Le comics propose une revisite du pacte faustien, du fait de donner son âme au diable pour atteindre un idéal, un don parfait, ici, de musique. Le fantôme croisé par Erik Dieter, avec son visage blanc et grimaçant, n’en est que plus frappant. C’est aussi une référence à deux autres guitaristes et chanteurs, Robert et Tommy Johnson (non apparentés et ayant vécu à des périodes légèrement différentes), qui auraient croisé le diable à un carrefour, ce dernier leur ayant appris des notes divines de jazz. Et puis, il n’est pas rare de croiser cette figure de l’artiste maudit ayant tout sacrifié pour et par son art. C’est ce qui va arriver au protagoniste de Blue In Green, qui va devenir le prodige qu’il a toujours rêvé d’être. Mais à quel prix ? Jusqu’à se perdre lui-même ? Car tout miracle a un prix, particulièrement quand il est offert par le diable en personne.

Au-delà de ce pacte infernal, Ram V évoque aussi la désillusion musicale et les sacrifices faits pour un art tel que le jazz. La musique requiert évidemment un apprentissage difficile et rigoureux, mais pour combien d’élus qui connaîtront véritablement le succès ? Combien de chanteurs doués, qui doivent se cantonner, comme Erik, à une carrière de professeur, à écrire des articles sur le jazz, à défaut de devenir une légende musicale ? Le comics effleure ainsi le sujet d’une musique pour laquelle on sacrifie tout, y compris sa vie personnelle, pour se retrouver parfois face à une existence dépourvue de sens, parce qu’on n’est pas l’heureux élu sur scène, seulement une ombre en arrière-plan, les « doués », mais pas assez, tout en étant supérieurs aux débutants et aux médiocres.

Un récit sur la filiation et l’identité

© Blue In Green, Anand RK & Ram V, HiComics, 2023

Mais le pacte avec cette figure fantastique n’est pas le seul axe du comics. Durant quatre chapitres, Erik suit aussi une quête identitaire, liée à la photo retrouvée chez sa mère. Qui est l’inconnu sur la photo ? Cette enquête le pousse à replonger des souvenirs d’une enfance rude et maltraitante, auprès d’une mère difficile et complexe. Mais par cette quête, il pourra également trouver quelques réponses sur lui-même, ainsi que des éclaircissements sur sa propre situation.

Car le comics est aussi un récit très personnel et intimiste, sur certains points. Il parle d’un âge de la vie où plusieurs choses ne sont pas accomplies : réaliser le rêve d’être un prodige musical, fonder un foyer, trouver l’amour, avoir plus largement un sens à sa vie. Au fil des réflexions d’Erik et des apparitions des autres personnages, eux-mêmes pris dans un entre-deux de vie : Vera, la femme dont il est amoureux, est par exemple galeriste pour assurer un revenu fixe à sa famille, mais a renoncé à ses rêves d’artiste. Les personnages ont une vie inachevée, qu’ils ne regrettent pas forcément, mais loin des idéaux d’antan, laissant un sentiment d’inachevé et d’attente.

Parler davantage de la quête identitaire d’Erik Dieter serait divulgâcher une bonne partie de l’intrigue, mais c’est un axe amené de façon émouvante, utilisant les flash-backs pour parler également des années 60 et de l’âge d’or du jazz, mentionnant Miles Davis ou des chansons emblématiques du genre.

« Chaque nouvel accord m’ouvre les vannes des semaines égarées. Je me rappelle le glissement du temps, les visages dressés vers moi dans la rue, en adoration, en aberration. En mon souffle, le pouvoir jusqu’alors inédit d’imprimer aux notes une grammaire de l’âme, de les étreindre et de les contraindre jusqu’à ne laisser d’elles qu’une enveloppe ne vivant que pour et par la musique. »

Une véritable identité graphique

En-dehors de l’histoire prenante – même si on n’est pas particulièrement connaisseur ou amateur de jazz – Blue In Green se démarque également par ses graphismes. C’est à Anand RK à qui on doit des planches particulièrement saisissantes, et qui attribue des couleurs spécifiques selon le moment du récit : le jaune pour les souvenirs d’Erik Dieter avec sa mère, un rose devenant de plus en plus couleur sang pour l’existence d’Erik, le violet et le noir s’invitent avec le fantôme et le fantastique… Chaque double page est soigneusement travaillée. Si le texte est parfois bavard, il reste toujours lisible, tandis que les graphismes, avec leur côté crayonné, parfois flou, semblent témoigner de l’intensité d’une histoire qui doit vite s’écrire avant d’être oubliée ou de disparaître. C’est aussi probablement un écho du travail du scénariste et du dessinateur, qui ont œuvré en suivant leur inspiration au fur et à mesure, sans plan prédéfini.

On peut ne pas être totalement fan du dessin choisi, mais il se démarque totalement d’autres bandes dessinées et donne un véritable caractère au comics. Les décors n’en sont que plus beaux, emplis de tonalités violettes, oranges, pastel, qui évoquent aussi les lumières des clubs de jazz de l’époque des années 60. Le crayon renforce aussi, quand il le faut, le fantastique voire l’horreur qui se mêle à l’histoire. Même certains motifs récurrents – les spirales d’escaliers, les notes de musique – contribuent à donner une impression de musicalité, à faire entendre la musique qui parcourt les pages. Le comics n’en est que plus impressionnant au niveau visuel, le rendant unique jusqu’à la fin, magnifiquement menée. La récompense Eisner Awards du meilleur artiste multimédia, attribuée à Anand RK pour cette œuvre, est clairement méritée !

  • Blue In Green est publié par HiComics depuis le 18 janvier 2023.
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Nous connaissons tous la fameuse phrase ; « le cinéma est un art et une industrie ». Une citation on ne peut plus vraie lorsque l’on voit tous les moyens mis en place pour créer un film. Cependant, j’aime surtout retenir que c’est un art, qui provoque des émotions au travers des histoires, des personnages, des dialogues etc… Nous sommes sans doute beaucoup à voir le septième art de la sorte, malheureusement peu d’élus peuvent se targuer de pouvoir réaliser un film. Et dans le milieu de la pop-culture, beaucoup sont ceux qui ont utilisé d’autres médias pour pouvoir partager leurs histoires et leurs émotions. L’exemple le plus connu selon moi est Hideo Kojima et cela se ressent énormément au travers de ses œuvres vidéoludiques. Mais le monde du manga n’est pas en reste. Cela fait maintenant plusieurs mois que je vous parle de cet auteur que j’ai découvert grâce Chainsaw Man et à Fire Punch. Dans ce dernier, il mettait déjà en lumière une fascination pour le cinéma, avec un personnage excentrique voulant par-dessus tout réaliser le film parfait.

Lors de la pause qu’a pris Tatsuki Fujimoto entre la première et deuxième partie de Chainsaw Man, il en a profité pour écrire et dessiner des one-shot dont je vous ai déjà parlé. Il en restait cependant un qui n’était pas encore publié en France, et voila qui est chose faite, édité par Crunchyroll nous pouvons ainsi découvrir son amour ultime pour le cinéma avec Adieu Eri.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

De l’amateurisme à l’amour familial

SAYONARA ERI © 2022 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Yûta, le personnage principal de cette histoire est un cinéphile, son rêve et but ultimes étant de réaliser des films. Cependant tout ne va pas se passer comme prévu, car le premier métrage qu’il réalise est à la demande de sa mère mourante. Elle souhaite qu’il immortalise ses derniers instants, et la filme jusqu’à sa mort. Chose qu’il fera avec beaucoup d’attention et d’amour envers sa mère, au point d’en réaliser un court-métrage qui sera reçu d’une terrible façon et détruira les espoirs et les rêves du jeune homme, de devenir réalisateur. Dépité et au fond du trou, il décide d’en finir, c’est à ce moment précis qu’il fera la rencontre d’Eri. Une jeune femme, cinéphile tout comme lui, qui a adoré son court-métrage. Cette rencontre changera ainsi la vie de Yûta, et les deux jeunes gens vont s’inspirer l’un l’autre, pour réaliser un nouveau film.

Comme toutes les œuvres de Fujimoto, la frontière entre le réel et la fiction est toujours très floue, cependant il ressort d’Adieu Eri, une certaine mélancolie. Un amour certes pour le cinéma, mais avant tout un amour à la vie. Même si nos personnages sont très clairement dépressifs, il se dégage de ce manga des lueurs d’espoirs. Que ce soit dans le choix de réalisation d’un nouveau film, d’une rencontre qui change la vie, et surtout d’une amitié qui se crée, aussi belle et forte que ce que la vie peut nous offrir. Malgré les difficultés de celle-ci, Fujimoto s’amuse très clairement à nous montrer tous les aspects que peut nous réserver la vie. Par ailleurs, lui qui parait extrêmement fan de cinéma, le découpage des planches de ce nouveau manga ressemble à s’y méprendre à un storyboard. Il n’est clairement pas difficile pour le lecteur d’y voir des plans qui auraient pu être filmés. Ce qui crée une double lecture des plus appréciables pour un manga qui utilise ce sujet afin de nous offrir l’une des plus belles histoires de l’auteur.

J’ai été particulièrement touché par ce que voulait nous transmettre Fujimoto. Déjà pour le sujet qu’est le cinéma. Je suis moi-même un cinéphile averti, j’ai fait mes études dans ce sens, et selon mon point de vue, le cinéma est l’art ultime. Il peut rassembler toutes les formes d’art en une seule et même œuvre. Mais s’il n’y avait que ça, le manga n’aurait pas grand-chose à raconter de plus. C’est avant tout pour son histoire de vie, de mort, d’amour, de dépression, d’amitié, et d’optimisme qu’Adieu Eri m’a marqué. Cela fait maintenant plusieurs jours que j’ai fini ce manga, et son histoire me hante encore aujourd’hui. Le tout étant appuyé à cause de ses personnages auquel on peut s’identifier si facilement.

J’aurais voulu, tout comme Yûta, terminer cet article de façon explosive. En vous tirant les larmes, comme j’ai pu pleurer moi-même lors de ma lecture, tant les émotions que j’ai ressenti au travers de ce manga ont été fortes. Mais je me contenterai simplement de vous conseiller une nouvelle fois de vous plonger allègrement dans ce que peut créer Tatsuki Fujimoto. Tout n’est pas parfait, mais on ressent la sincérité, l’émotion et une frontière très fine entre fascination et déconcertation.

  • Adieu Eri est disponible en librairie depuis le 18 janvier 2023.
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Au vu de certaines de mes chroniques, il est palpable que je suis passionnée de musicals. Depuis quelques années, on préfère le terme de musicals à celui de comédies musicales. En effet, bien que le mot « comédie » soit à comprendre au sens large du terme, les musicals peuvent être des plus tragiques. La comédie musicale est une expression que j’utilise encore moi-même, mais qu’il faut pourtant employer avec précaution, car ce genre est supposé obéir à des règles strictes. Un musical mêle la comédie au chant et à la danse, mais de manière cohérente. Les chansons doivent être liées par une continuité dramatique, et destinées à faire avancer l’action ou la psychologie des personnages. C’est pourquoi, à mon sens et à titre d’exemple, A star is born est un film musical, mais pas une comédie musicale. Il y a de la musique car les personnages sont des chanteurs, mais pas parce qu’ils décident de ranger leur chambre ou de boire un médicament, en chantant. Pour mon plus grand malheur, la majorité du public français n’a jamais vraiment adhéré aux comédies musicales. La plupart des gens s’imaginent que l’intrigue n’avance plus lorsqu’il y a une chanson et sortent du film, au point d’en être ennuyés. Ce préjugé est complètement faux mais est expliqué par la construction du spectacle musical francophone, qui s’avère très différente. Mais nous y reviendrons plus tard. Maintenant que nous avons reposé les bases, retournons dans le temps afin d’expliquer les origines et l’évolution des musicals. L’objectif final de cet article étant, bien entendu, de vous faire part des comédies musicales les plus incontournables et marquantes, à mes yeux.

De la scène aux salles obscures

West Side Story, de R. Wise et J. Robbins © 1961

Aussi étonnant que cela puisse sembler, la comédie musicale est un genre assez récent. En allant loin, au peut lui trouver des origines au XVIIIe siècle, en Italie. Jusqu’au XIXe siècle, en France, on se contente tout juste de parler « d’opérette légères ». Certains considèrent que le premier musical date de 1866. Il s’agirait de Black Crook, de C. M. Barras, une œuvre inspirée de plusieurs classiques, à commencer par Faust de Goethe. Mais la comédie musicale commence réellement à émerger dans les années 1930, grâce au cinéma, et plus particulièrement au cinéma parlant. En effet, celui-ci força les créateurs et créatrices à développer plus de cohérence, entre leurs tableaux.

Bien que la comédie musicale soit plutôt un genre théâtral, il doit beaucoup au cinéma. Aux États-Unis surtout, de nombreux musicals marquent les années 40 et 50, quand bien même les règles du genre ne sont pas encore délimitées. On peut mentionner Carmen Jones (1943), inspiré de l’opéra Carmen, Chantons sous la pluie (1952), My Fair Lady (1956) ou encore La Mélodie du Bonheur (1959). C’est en 1957 qu’un musical fige les codes du genre. Inspiré de Roméo et Juliette de William Shakespeare, West Side Story rencontre un succès retentissant, au point d’être considéré (aujourd’hui encore), comme un chef-d’œuvre. La comédie musicale a d’ailleurs été remise au goût du jour par un remake signé Stephen Spielberg, en 2021. De fait, les années 60 verront naître d’autres classiques, comme Hello Dolly (1964) ou Man of the Mancha (1965). Ce musical revisitant les aventures de Don Quichotte sera d’ailleurs popularisé en français, par Jacques Brel. (Retrouvez la chronique de L’homme de la Mancha, sur Pod’Culture).

Entre Broadway et West End of London

Andrew Lloyd Webber est le créateur de Phantom of the Opera

Le genre rencontre un tournant à la fin des années 60 et dans les années 70, avec la révolution hippie. Certaines comédies musicales, comme Hair (1967) se veulent plus subversives. Par-dessus tout, de nombreuses salles de spectacles commencent à accueillir des musicals, dans le même quartier de New York… Vous l’aurez compris, Broadway se développe. Je pourrais mentionner d’autres musicals, comme Rocky Horror Show (1973), Grease (1978) ou Sweeney Todd (1979) mais nous allons nous intéresser à un homme qui a révolutionné le genre. Il s’agit d’Andrew Lloyd Webber.

Andrew Lloyd Webber rencontre un succès retentissant avec un musical particulièrement provocateur baptisé Jésus-Christ Superstar, en 1971. Alors que les comédies musicales ne se renouvellent plus, aux États-Unis ; le West End of London voit naître de nombreux chef-d’œuvres de Webber, comme Evita (1978), Cats (1981) et bien sûr The Phantom of the Opera (1986), l’une des comédies musicales les plus représentées au monde. Pour vous donner une idée, Le Fantôme de l’Opéra est, aujourd’hui encore, joué presque quotidiennement à Londres, et continue à faire des salles combles. L’autre grand succès de la comédie musicale, tout autant joué depuis 1985, voit le jour grâce aux français. C’est toutefois l’adaptation londonienne qui popularise le spectacle. Je parle cette fois-ci des Misérables, adapté du roman de Victor Hugo. Avec ces deux monstres de la comédie musicale, on peut sans problème parler d’âge d’or des musicals, dans les années 80. De nombreuses comédies musicales sortent au cinéma ou au théâtre, depuis. On peut mentionner les long-métrages Disney, le film Moulin Rouge (2001) ou le musical le plus récompensé, Les Producteurs, sorti la même année. Mais d’un point de vue historique, le Fantôme de l’opéra et Jean Valjean ont de bonnes chances de demeurer sur leur trône.

La vision francophone du genre

D. Balavoine et F. Gall dans Starmania © 1979

J’ai beaucoup parlé des États-Unis et de l’Angleterre, où la comédie musicale a trouvé ses origines et ses lettres de noblesse. Le genre est populaire dans beaucoup d’autres pays du monde, comme en Inde ou en Corée, mais moins dans les pays francophones. Il y a pourtant un développement à part entière et quelques beaux succès. Je pense essentiellement à Starmania (1979) et Notre-Dame de Paris (1998). Leur conception est différente d’une comédie musicale traditionnelle. Les anglophones élaborent une réelle continuité dramatique entre les chansons. Les spectacles sont représentés sur scène avant qu’on envisage de sortir un album. Les budgets peuvent être colossaux et les salles sont tellement aménagées pour la mise en scène qu’une comédie musicale anglophone est supposée demeurer longtemps à l’affiche du même théâtre. Les pays francophones n’ont pas la même démarche. On imagine d’abord un album, dont les tubes vont être liés avec moins de continuité dramatique. Le spectacle musical est ensuite représenté sur scène, à travers divers tableaux. Pour finir, on accorde plus de place au chant, mais moins à la danse. Si Starmania et Notre-Dame de Paris sont de très belles œuvres, elles ont montré le chemin à toute une flopée de spectacles musicaux français qui n’ont, malheureusement, ni queue ni tête et qui contribuent à faner la popularité du genre, chez nous. Heureusement, plusieurs comédies musicales anglophones sont adaptées en français, au théâtre Mogador de Paris, notamment.

Maintenant que nous en savons plus sur le genre des musicals, laissez-moi vous initier à dix œuvres à (re)découvrir, d’après moi.

Jésus-Christ Superstar (1970)

Confrontation entre un Judas et un Jésus modernes © Jésus-Christ Superstar, Live à l’Arena Tour, 2012

Jésus-Christ Superstar est un opéra-rock composé par Andrew Lloyd Webber en 1970. Il s’agit ni plus ni moins d’une réécriture moderne et relativement provocatrice d’un passage de la Bible. L’histoire se concentre sur la popularité montante du Christ, qui sera sacrifié, notamment à cause de la trahison de l’un de ses proches, Judas, ou de l’amoralité de Pilate. Dit comme ça, le musical ne donne pas forcément envie, et pourtant les personnages sont touchants, les chansons entraînantes, et le contraste entre l’époque moderne et la fondation du christianisme fonctionne très bien. Bien sûr, tout dépend de la version du musical que l’on regarde. Les premières versions appartiennent plus au mouvement hippie qu’au rock. Les personnages nécessitant des voix bien particulières, certains castings sont ridicules. Je conseille, sans l’ombre d’une hésitation, le Live à l’Arena Tour de 2012. Tim Minchin y est assez incroyable dans le rôle de Judas. Sa prestation de Superstar est particulièrement satirique vis-à-vis de la religion, mise en parallèle avec le monde du show-business. Mention honorable pour Alexander Hanson, incarnant un Ponce Pilate terriblement doucereux et manipulateur, comme en témoigne sa version de Pilate’s Dream.

Starmania (1979)

Starmania est de retour en tournée, en 2023

Starmania est aussi un opéra-rock, mais francophone. Le spectacle musical naît en 1979 grâce à la plume de Luc Plamondon et aux compositions de Michel Berger. Starmania, c’est tout d’abord un album contenant des tubes légendaires, comme SOS d’un Terrien en Détresse ou le Blues du Businessman. Ces chansons sont tellement connues que leur dramaturgie échappe à la plupart des gens. Starmania est une dystopie critiquant le monde du show-business et la recherche insatiable de la gloire. Une présentatrice vedette nommée Cristal est kidnappée par un groupe terroriste d’extrême gauche, les Étoiles Noires. Contre toute attente, elle va se joindre à leur cause afin de tenir tête à Zéro Janvier, un politicien fasciste n’ayant rien à envier à Big Brother. Je ne peux que conseiller l’écoute de l’album original, si vous souhaitez entendre de belles voix, à commencer par celle de Balavoine. Si vous désirez voir le spectacle, il existe une version filmée de 1989, qui a vieilli, certes, mais où les frères Groulx proposent des prestations mémorables, dans les rôles de Johnny Rockfort et Zéro Janvier. Enfin, Starmania va être en tournée dans toute la France, en 2023. (Retrouvez la critique de Starmania (2022) sur Pod’Culture).

Les Misérables (1980)

Valjean et Javert, rivaux éternels © Les Misérables

Les Misérables est l’un des musicals les plus populaires au monde. Le spectacle naît en France, en 1980, grâce à Claude-Michel Schönberg, Alain Boublil et Jean-Marc Natel. Il ne devient légendaire que cinq ans plus tard, via son adaptation anglophone. Comme dans Jésus-Christ Superstar ou Starmania, d’ailleurs, les chansons ne sont pas entrecoupées de dialogues. Il s’agit tout simplement d’une adaptation du roman mythique de Victor Hugo. Au XIXe siècle, un ancien forçat du nom de Jean Valjean essaie de se racheter, en veillant sur une fillette nommée Cosette, et en tentant d’échapper à la cruauté de l’inspecteur Javert. Il est impossible de résumer l’intrigue des Misérables car les destins de nombreux personnages s’entrecroisent, à travers plusieurs générations, afin de dépeindre les mœurs et les crises de la France du XIXe siècle. On peut notamment évoquer la malheureuse Fantine ou les effroyables Thénardier. C’est une œuvre profondément humaniste et bouleversante. Si vous n’avez ni l’énergie ni le temps de lire le pavé de Victor Hugo, je ne peux que conseiller ce musical qui en synthétise l’essence et l’émotion, en lui rendant honneur. Il existe une adaptation cinématographique du musical, avec Hugh Jackman dans le rôle de Jean Valjean, mais je suggère plutôt le visionnage du Live du 10e anniversaire, sorti en 1995. Il s’agit d’un concert, aussi n’y a-t-il que peu d’éléments de mise en scène, mais Colm Wilkinson et Philip Quast incarnent parfaitement Jean Valjean et Javert. Leur version de The Confrontation est vraiment intense, et si vous souhaitez un aperçu de tout le casting, il y a toujours One Day More.

Nine (1982)

Sophia Loren dans Nine © 2009

J’ai hésité à conseiller Nine, qui n’est objectivement pas l’une des meilleures comédies musicales. D’autres auraient pu la remplacer dans ce classement, comme Sweeney Tood, Moulin Rouge ou même éventuellement Le Petit Prince. Mais j’ai une affection étrange et très personnelle pour ce musical, que je ne connais qu’à travers le film réalisé par Rob Marshall en 2009.

Le long-métrage n’est pas exempt de défauts, Daniel-Day Lewis n’est pas crédible en dandy italien, et la mise en scène est un enchaînement de clips mettant en scène des comédiennes glorifiées sous un regard décidément bien masculin. Et pourtant… Pourtant… Nine est une réécriture du film Otto e Mezzo, de Federico Fellini. Il rend non seulement hommage au cinéaste italien, mais aussi à Marcello Mastroianni, à travers le personnage principal, et Sophia Loren, puisqu’elle interprète la mère de celui-ci. Autant dire que Nine touche la corde sensible et me rend nostalgique. Et puis, mine de rien, les chansons sont marquantes, à commencer par Be Italian, ici interprétée par Fergie.

The Phantom of the Opera (1986) & Love Never Dies (2010)

Ben Lewis et Anna O’Byrne © Love Never Dies, 2012

The Phantom of the Opera est, au même titre que Les Misérables, un mastodonte de la comédie musicale. Le musical naît en 1986 grâce au génie d’Andrew Lloyd Webber. Il s’agit d’une adaptation du roman de Gaston Leroux, dans lequel un être mystérieux commence à hanter l’opéra Garnier, avant de tomber sous le charme d’une cantatrice nommée Christine. Le long-métrage de 2004, réalisé par Joel Schumacher, donne un bon aperçu de la mise en scène gothique du musical. Si toutes les chansons du livret ne sont pas marquantes, The Phantom of the Opera est un son ni plus ni moins mythique et inoubliable. Le Fantôme de l’Opéra est un être atteint de folie et auto-destructeur. Il est aussi énigmatique et mélancolique. Mon interprète favori du Fantôme est certainement Ben Lewis, qui a d’ailleurs aussi été la tête d’affiche de Lover Never Dies, suite du musical. L’histoire se passe des années après et certains éléments semblent sortir du chapeau, mais la narration, les chansons et la mise en scène sont tellement beaux qu’on le pardonne aisément. La version filmée de Love Never Dies, datant de 2012, est incontournable, d’autant que Ben Lewis et Anna O’Byrne incarnent un Fantôme et une Christine liés par une alchimie inégalée à ce jour. Vous pouvez le constater par vous-même avec Beneath a Moonless Sky. Si vous préférez le rock, ou l’univers des freaks show, je suggère The Beauty Underneath.

Le Roi Lion (1997) & Autres classiques Disney

Scar menace Mufasa © The Lion King

Et oui, la plupart des classiques Disney sont des comédies musicales. Le Roi Lion, sorti en 1994, est l’un de mes films préférés de tous les temps. Il est donc bien naturel que j’évoque la comédie musicale inspirée du long-métrage, et datant de 1997. Le musical apporte une vraie plus-value au film, car l’histoire et les personnages sont développés. On y trouve une chanson du Roi Lion 2, mais aussi des chansons inédites. De plus, les costumes donnant vie aux animaux, sans effacer les comédiens et comédiennes, sont révolutionnaires. Il s’agit d’un musical destiné à toute la famille. Il est certainement moins déprimant que tout ce que j’ai pu citer, auparavant. Certains passages sont même humoristiques. Cela n’empêche pas l’histoire de se révéler aussi émouvante que dans le long-métrage. Je sais ce que vous allez dire, j’ai un sérieux problème avec les personnages de méchants, mais Scar est assez incroyable dans ce musical, notamment grâce à l’étoffement de Soyez Prêtes ou l’intégration de La Folie du Roi Scar. J’ai aussi beaucoup d’affection pour Nala, chantant notamment Terre d’Ombre. Si je devais mentionner d’autres comédies musicales signées Disney, Mary Poppins (1964), L’étrange Noël de Monsieur Jack (1993) et Le Bossu de Notre-Dame (1996) me semblent assez incontournables. (Retrouvez la chronique du Roi Lion, sur Pod’Culture).

Notre-Dame de Paris (1998)

Daniel Lavoie incarne Frollo © Notre-Dame de Paris, 2016

Diantre, il faut tout de même bien citer quelques spectacles musicaux francophones. Comme Starmania, Notre-Dame de Paris de Richard Cocciante et Luc Plamondon, est plus une succession de tableaux qu’une comédie musicale au sens propre du terme. Au reste, on ne présente plus les chansons qui commettent l’exploit de résumer, comme Les Misérables, l’essence et l’émotion d’un pavé de Victor Hugo. Contrairement aux Miz, Notre-Dame de Paris est une œuvre romantique où les personnages se font broyer par leurs sentiments ainsi que par la fatalité. Le titre le plus connu du spectacle est certainement Belle, mettant en exergue les sentiments qu’éprouvent le bossu Quasimodo, le prêtre Frollo et le soldat Phoebus, pour une bohémienne nommée Esmeralda. Le premier est habité par de nobles sentiments mais il est monstrueux aux yeux du peuple médiéval. La gitane se laisse plutôt séduire par le soldat, agréable à regarder, mais pourtant infidèle. Au milieu de cette tragédie, il y a Frollo qui, loin d’être le méchant caricatural de Disney, est le protagoniste du roman. Il s’agit d’un prêtre qui perd la raison et devient monstrueux, à force d’être tiraillé entre son amour et sa foi. Oui, Notre-Dame de Paris est, entre autres choses, une dénonciation du dogme religieux. Si je ne suis pas forcément fan du casting original, la prestation de Daniel Lavoie est très proche du Frollo du livre, comme en témoignent Tu vas me détruire ou Être prête et aimer une femme. Et pour cela, je l’aimerai toujours.

Mamma Mia (1999)

C. Baranski, M. Streep et J. Walters © Mamma Mia, 2008

Comme on a le droit d’avoir des plaisirs coupables, ou de rire, tout simplement, je confesse que j’adore Mamma Mia. Il s’agit d’un musical particulier dans la mesure où, en 1999, l’histoire a été écrite à partir des tubes du groupe ABBA. L’exercice n’est, mine de rien, pas si aisé, et bien qu’il s’agisse d’une intrigue typique de comédie, pleine de quiproquos, on se laisse aisément entraîner par l’histoire et la dramaturgie nouvelle des chansons.

J’ai de l’affection pour le film de 2008, réalisé par Phyllida Llyod et avec Meryl Streep, dans le rôle titre. Comme si être une actrice de génie ne lui suffisait pas, la comédienne se révèle également être une chanteuse talentueuse, comme le démontre Money Money Money. Le reste du casting est aussi alléchant, puisque ses prétendants sont incarnés par Pierce Brosnan, Colin Firth et Stellan Skarsgård, lesquels poussent la chansonnette à l’unisson dans Our Last Summer.

Les Producteurs (2001)

Nathan Lane et Matthew Broderick © Les Producteurs, 2005

Les Producteurs est un musical de 2001, inspiré d’un film de Mel Brooks, datant des années 60. Il s’agit d’une satire de Broadway, dans laquelle Max et Leo décident de produire le pire musical jamais créé, afin de gagner de l’argent, grâce à une faille dans le système. Les personnages sont tous plus hauts en couleurs les uns que les autres et l’humour très irrévérencieux voire provocateur. En dépit d’un début un peu longuet et théâtral, je conseille vivement le film de 2005. Il s’avère prenant et terriblement drôle. De plus, on retrouve dans les rôles titres, les acteurs originaux de Max et Leo : Nathan Lane et Matthew Broderick. J’ai beaucoup d’affection pour Max qui, bien qu’il semble véreux et manipulateur, désespère simplement de trouver un réel ami, voire un frère, dans le milieu où il évolue. Bien qu’elle ait été coupée de la version cinématographique, la chanson The King of Broadway est certainement ma favorite. Notons que Les Producteurs ont, pour la première fois, été traduits et interprétés, en France, il y a très peu de temps. La pièce a d’ailleurs remporté pas moins de deux Molières, en 2022. (Retrouvez la critique des Producteurs, sur Pod’Culture).

The Greatest Showman (2018)

Hugh Jackman joue Barnum © The Greatest Showman, 2018

Et non, je n’aurai pas seulement parlé de vieux coucous. The Greatest Showman est une comédie musicale réalisée par Michael Gracey et sortie, exclusivement au cinéma, en 2018. Force est de constater que j’avais pris une claque, dans les salles obscures, tant les chansons et la mise en scène sont prenantes.

Il s’agit d’un biopic assez libre et édulcoré de Phineas Taylor Barnum, alors incarné par Hugh Jackman. Celui-ci décide de fonder un spectacle de freaks, afin de rencontrer le succès. Malgré cette thématique délicate, il s’agit d’un feel-good movie, transmettant des valeurs sur l’acceptation de soi ou de la différence. Une mention honorable pour la chanson d’introduction : The Greatest Show.

Maintenant que vous savez tout – ou presque – sur les musicals, il ne vous reste plus qu’à vous laisser entraîner par toutes ces chansons pourvues d’une dramaturgie précise, et souvent illustrées par des mises en scènes ingénieuses. The show must go on.

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Comme je pouvais en parler dans ma critique sur les deux premiers tomes, Dandadan possède ce vent de fraicheur dans l’univers du shonen qui fait beaucoup de bien. Fort heureusement pour nous, il garde quand même les gimmicks du genre en proposant une aventure haletante, bourrée d’humour et avec des personnages hauts en couleur. Cependant s’il y a bien une émotion dont je ne me doutais pas de ressentir à la lecture de ce manga, c’est bien de la tristesse.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Un flash-back émouvant

DANDADAN © 2021 by Yukinobu Tatsu/SHUEISHA Inc.

Nous retrouvons nos héros, Momo et Okarun dans une bien mauvaise posture face au yokaï « L’acrobate à la chevelure soyeuse » qui a pris pour cible Aira, une camarade de classe de nos deux protagonistes. Elle s’est mise en tête qu’ils sont tous deux des démons, et qu’ils souhaitent détruire la Terre. C’est pour cette raison qu’elle s’est alliée avec le yokaï afin de pouvoir les battre.

Je vous passe évidemment toute la scène de combat qui s’ensuit, bien que celle-ci soit incroyablement illustrée et surtout la mise en scène y est magnifique. Ce qui m’a particulièrement marqué dans ce troisième tome, c’est surtout l’origin-story de ce yokaï. Je ne m’attendais absolument pas être ému à ce point face à l’histoire de cette démone qui était une femme. Entre les violences physiques et morales qu’elle a subies, les abus sexuels, et vivre dans la pauvreté, cette pauvre personne a accepté de vivre ainsi pour subvenir aux besoins de sa fille.  Pour autant, même si elle faisait tout pour elle, des hommes malhonnêtes ont fini par débarquer chez elle, lui voler tout ce qu’elle avait, et kidnapper sa fille. Ayant perdu tout ce qu’elle avait, elle finit par se suicider… Clairement, ces pages de flash-back m’ont profondément touché, je ne saurais pas dire exactement pourquoi, parce qu’en prenant du recul c’est une origin-story assez « basique », mais la mise en scène de Yukinobu Tatsu est tellement soignée, avec des planches sans ou très peu de dialogue, il arrive à transmettre une émotion telle, qu’il est étonnant de voir cela dans un tel manga.

D’autant que toute cette histoire est importante pour la suite de l’aventure de nos deux héros, car le yokaï finit par se sacrifier (de nouveau), afin de sauver Aira, qui était en train de mourir dû au combat qui vient de se passer. En se sacrifiant, la démone transmet son aura à l’adolescente, et évidement en faisant cela, Aira survit, mais pas seulement. Elle se retrouve avec les pouvoirs de « L’acrobate à la chevelure soyeuse » tout comme notre héros Okarun avec Mémé-Turbo. Une nouvelle protagoniste vient s’ajouter à notre duo, ce qui promet de nouvelles scènes d’humour et de quiproquos, le tout tournant évidement autour de l’entre-jambe, pour notre plus grand plaisir.

  • Le tome 3 de Dandadan est disponible en librairie depuis le 7 décembre 2022.
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Il y a tout juste un an, en janvier dernier, Urban Comics lançait en France la collection Infinite de DC Comics. Nouvelle ère avec un « Omnivers » qui visait à ne plus poser aucune limite à la création, permettant aux auteur·ice·s de pouvoir raconter des histoires sans nécessairement être contraint·e·s par la temporalité de la continuité. Cela a par exemple été très largement exploité par Ram V avec son Swamp Thing, et ce mois-ci par Mark Waid avec l’excellent Batman / Superman World’s Finest dont je parlerai plus bas. Après une année complète au sein de ce nouvel univers, on s’est laissé prendre au jeu et on commence à en comprendre les tenants et aboutissants, mais ce premier anniversaire marque aussi et surtout l’arrivée d’un premier tome de Dark Crisis on Infinite Earths. Un premier grand évènement pour cette nouvelle continuité, où DC Comics reprend sa tradition des grandes « crises » traversées par ses héros et héroïnes dans des affrontements épiques qui mettent en jeu leur avenir.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Robin Infinite – Tome 3, loin des parents, près du cœur

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Après les événements de Shadow War, où le jeune Damian Wayne a vu ses parents Batman et Talia Al Ghul se traquer, décide se s’éloigner d’eux pour se forger son propre avenir et se construire seul. Un énième moyen pour Robin de rejeter l’autorité, comme le personnage l’a toujours fait. Un jeune héros en rupture avec les autres personnages qui incarnaient le rôle de Robin, souvent comme simple sidekick de Batman, la faute à une relation extrêmement compliquée avec son père biologique. Son besoin de s’éloigner le renvoie vers l’île de Lazare où il retrouve ses compères du tournoi raconté dans le premier tome, avec une nouvelle intrigue qui se lance avec un Lord Death Man, grand méchant presque parodique, qui arrive avec des airs de catastrophe en disant que Flatline, avec qui Robin flirtait dans les tomes précédents, tente de l’assassiner. Plutôt léger malgré une intrigue en toile de fond qui devrait avoir une importance assez capitale pour son univers (comme ce sera suggéré dans Batman / Superman World’s Finest, sans trop en dire), ce troisième tome de Robin Infinite profite d’un léger temps de « pause » post-Shadow War pour raconter ses personnages avec un peu plus d’humour, plus de bonne humeur, même si cela lui accole l’image d’un récit plus dispensable que les deux précédents. En effet, les deux premiers tomes profitaient d’une montée en intensité au fil des numéros pour mettre en place les enjeux de l’évènement Shadow War. Tandis que ce troisième tome, comme une sorte de sas de décompression, ramène ses héros et héroïnes à un quotidien plus léger, sans urgence ni grande bataille, où un nouveau mystère épaissit en toile de fond sans provoquer encore de grand bouleversement. On n’en gardera probablement pas grand chose, mais ça reste une lecture agréable qui permet au récit de respirer, mais aussi d’apporter plus d’humanité à un Damian Wayne qui souffre parfois de son air renfrogné.

Certes Joshua Williamson est sur des rails, mais on sent bien l’amour qu’il porte au personnage et son envie d’en faire un protagoniste essentiel dans l’univers Infinite qu’il chapeaute depuis le début. Cependant j’ai plus de mal avec les dessins de Roger Cruz, dont le style peine souvent à me convaincre avec des visages pas toujours réussis, tandis que la colorisation manque de relief. Côté contenu, Urban Comics en profite pour proposer à la fin un numéro spécial où Peter Tomasi et Viktor Bogdanovic réunissent à nouveau Damian Wayne et Jon Kent, en souvenir de l’excellent Super Sons de l’ère précédente. Un numéro sympathique teinté de nostalgie, qui rappelle d’autant plus les regrets que l’on a que la série n’existe plus car la dynamique entre les deux personnages est si facile à mettre en place. Ce numéro prouve que la recette fonctionne encore, même avec un Jon qui est soudainement devenu adulte tandis que Damian est encore un enfant. Malheureusement, DC Comics ne semble pas avoir l’intention de faire revivre ce duo, autrement que dans ce type de numéro bonus. 

Batman / Superman World’s Finest – Tome 1, une amitié qui date

© 2023 DC Comics / Urban Comics

On va pas se leurrer, quand DC Comics a annoncé son ère Infinite avec la promesse de laisser une certaine liberté créative à ses auteur·ice·s, leur permettant d’imaginer des récits sans tenir compte de marqueurs temporels de la continuité principale, on espérait des prises de risque avec des comics qui exploreraient autant le passé que le futur des personnages. Si Ram V l’a pleinement exploité avec son Swamp Thing, d’autres ont été plus timides, mais ce n’est pas le cas de Mark Waid qui, en débarquant avec une série réunissant les deux plus grands super-héros de DC, décide de placer son histoire dans un passé lointain. Batman / Superman World’s Finest raconte en effet les origines de l’amitié forte, même si parfois remise en cause, qui lie Batman et Superman. Sans indiquer exactement à quelle époque se déroule le récit, l’auteur donne tout de même de sérieux indices avec une mise en scène, une écriture et un ton qui évoquent très largement l’âge d’argent des comics, c’est-à-dire aux alentours des années 1960-1970. Cela se remarque d’abord par le style des personnages, avec des costumes assez vintage, mais aussi un ton initialement plus enjoué, moins dramatique que le DC Comics moderne, des méchants un peu foufous et des personnages hauts en couleur. A l’image de la Doom Patrol qui joue un rôle central dans le récit. Cela passe aussi par la narration avec ses bulles qui expliquent largement ce qui se passe dans les différentes cases, comme à l’époque où les bulles servaient souvent à insister et mettre en valeur chaque faits et gestes des personnages. Le personnage de Robin (ici Dick Grayson avant qu’il ne devienne Nightwing), aussi, fleure bon le comics d’antan, tant il occupe le rôle de celui qui n’est là que pour constater les talents de Batman et Superman avec des répliques bien senties. Un rôle qui, toutefois, évolue à mesure que le récit retrouve une forme de modernité.

Car Mark Waid ne s’est pas limité à un hommage facile à l’âge d’argent, décidant de lier l’époque à quelque chose de plus contemporain. Une modernité que l’on trouve par exemple dans les scènes réunissant Supergirl et Robin, obligé·e·s de faire équipe alors que les deux n’en ont clairement pas envie. L’occasion de quelques répliques assez drôle, accentué par les dessins de Dan Mora qui offre des expressions comiques à ses personnages. La modernité passe aussi par le rythme de l’histoire qui s’étale sur plusieurs numéros tandis qu’à l’époque, les histoires étaient plus courtes. Avec ici un dénouement dans un ton de notre époque, qui rappelle toute l’intensité dramatique à laquelle tient tout particulièrement DC Comics dans ses récits depuis un bon bout de temps. Mais c’est fait avec un aspect visuelle qui reprend aussi les couleurs d’antan, un peu kitsch, avec une colorisation de Tamra Bonvillain aux couleurs chaudes qui évoquent l’impression des années 1960-1970. Batman / Superman World’s Finest est un super comics, ce premier tome frappe assez fort en offrant une belle fraîcheur aux histoires des deux héros les plus populaires de DC, leur offrant un ton plus léger avant de faire plonger l’histoire vers quelques scènes dramatiques très réussies. Le comics séduit par sa manière d’essayer quelque chose de différent, sans se soucier de l’ambiance habituelle et quelque peu lassante des comics DC.

Dark Crisis on Infinite Earths – Tome 1, le grand évènement

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Chez DC, les « crises » sont des grands événements intervenus plusieurs fois, qui venaient remettre en cause tout l’univers : Crisis on Infinite Earths, Infinite Crisis, 52Multiversity, Flashpoint, ou encore plus récemment Doomsday Clock, Metal et Death Metal (qui ont mené à cette ère Infinite). À ce titre, l’annonce d’un nouvel évènement génère toujours de l’espoir de voir quelque chose d’important et de monumental, même si certains évènements ont déçu (qui a dit Death Metal ?). Avec l’ère Infinite et sa promesse, celle de rétablir l’ensemble des univers alternatifs depuis la création de DC pour former un « omnivers » où cohabitent toutes les histoires, sans que ne soient posées de limites, Joshua Williamson, qui chapeaute le grand récit de cette ère, a fait un choix important. Dark Crisis on Infinite Earths s’ouvre sur d’autres crises, à commencer par la toute première, Crisis on Infinite Earths dans les années 1980. En se rappelant à ces anciennes crises, le récit admet, et affirme même, que ces évènements du passé ont un rôle à jouer pour le futur de nos super-héros et super-héroïnes. Est-ce une bonne idée ? Peut-être, parce qu’on prend mine de rien un malin plaisir à voir toutes les références à ces évènements qui ont forgé l’histoire de DC, notamment dans un premier numéro qui opère un bref rappel historique de ces précédentes crises, notamment avec le rôle de Paria dans la crise originelle qui, on le comprend vite, joue également un rôle central dans cette nouvelle crise. Tout débute quand la Ligue de Justice est convoquée à la maison des héros (sorte de sanctuaire où réside la Ligue de Justice Incarnée qui veille sur l’omnivers) par le Président Superman (le Superman de Terre-23, vous suivez ?). Soudainement tués par une menace incarnée par les « grandes ténèbres », sorte d’émanation d’un mal qui tente de détruire le monde, les membres de Ligue de Justice (Batman, Superman, Wonder Woman, Aquaman, etc…) laissent alors orpheline une Terre-0 qui n’a plus que ses jeunes héros et héroïnes, à la tête desquels Jon Kent (le fils de Superman) et Nightwing, pour tenir le coup. Et il y a fort à faire, parce qu’outre les dangers annoncés par Paria et l’espoir très mince de voir renaître les plus puissant·es du monde, Slade Wilson (Deathstroke) en profite pour tenter de s’accaparer le pouvoir un peu partout dans le monde.

Le récit prend alors une tournure plutôt réussie, dans un premier tome qui se concentre essentiellement sur l’apprentissage de jeunes héros et héroïnes qui doivent incarner plus que jamais les rôles de protecteur·ices de la Terre-0, apprenant que Paria la vise pour la détruire et, peut-être, faire revivre son propre monde, détruit lors de la crise originelle des années 1980.  Plus que ces considérations d’omnivers, le récit fait fort en ce qu’il aborde ces questions de responsabilités qui pèsent sur des personnages qui étaient habitués à être de seconds couteaux, toujours dans l’ombre des « stars » de la Ligue de Justice. C’est ainsi que Nightwing doit assumer le rôle protecteur de Gotham, Jon Kent doit plus que jamais être le Superman de la Terre, tandis que Yara Flor doit être la nouvelle Wonder Woman, à sa manière. Les Teen Titans jouent aussi un rôle central, dans un évènement qui ne manque pas d’offrir à tous ces personnages un rôle plus important qu’auparavant. Un bémol peut-être, sur le personnage de Paria, réduit à l’image de « savant fou » alors que son histoire semble tout particulièrement dramatique. Alors qu’il a tout perdu lors de l’évènement Crisis on Infinite Earths dans les années 1980, il raconte avoir été condamné à vivre et revivre des crises et catastrophes sous ses yeux depuis des décennies, alimentant la violence qu’il déchaîne aujourd’hui en se servant des mystérieuses « grandes ténèbres » qui lui confèrent un pouvoir démentiel sur quelques uns des vilains les plus importants de cet univers (comme Arès, Darkseid et Doomsday). Mais ça promet, et ce premier tome offre une approche intéressante sur ces « crises » qui ont généré quelques uns des plus grands moments de DC depuis 40 ans, avec beaucoup d’émotions, une belle intensité dramatique et des enjeux qui se placent très bien. Alors on espère que la suite sera d’aussi bonne facture.

  • Robin Infinite T.3, Batman / Superman World’s Finest T.1 et Dark Crisis on Infinite Earths T.1 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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