DC Infinite #01 | Révolution du multivers

par Anthony F.

Parfois jugée difficile à suivre, la continuité DC (comme Marvel, à la concurrence) tente de se relancer régulièrement via des « crises majeures », celles-ci servant d’excuse à des relances des univers pour pouvoir attraper un nouveau public. Derrière les logiques marketing et l’ambition de faire exploser les ventes, ces relaunch servent aussi à faire le point sur le passé et mieux envisager l’avenir. On se souvient par exemple de la crise Flashpoint, œuvre monumentale qui a redonné une belle jeunesse à DC Comics. Après une ère Rebirth, on en arrive désormais à l’ère Infinite, dont les premiers numéros sortent ce mois-ci en version Française chez Urban Comics et que l’on va tenter, mois après mois, de raconter au travers des différents albums proposés. Pour ce mois de janvier, on commence avec l’anthologie DC Infinite Frontier, ainsi que les premiers tomes de Batman Infinite et de Wonder Woman Infinite.

Cet article a été rédigé suite à l’envoi de copies des tomes par Urban Comics.

Pour bien comprendre où nous en sommes à l’aube de Infinite, il faut se remémorer les derniers instants de l’ère Rebirth. On doit la conclusion puis la transition à trois hommes : les auteurs Scott Snyder et James Tynion IV sur Batman Death Metal, et Joshua Williamson sur DC Future State.  Deux événements qui remettaient en cause l’état du monde de DC Comics, notamment avec la guerre contre le Batman qui rit dans Death Metal qui a permis d’établir une nouvelle vérité : la Terre fait partie du multivers, ou plutôt « l’omnivers », où le monde de DC s’émancipe des 52 réalités parallèles précédemment établies pour en arriver à une infinité de réalités. Pirouette scénaristique assez improbable certes, mais qui permet désormais aux auteur·ice·s de DC de pouvoir considérer comme canon à peu près n’importe quoi, et de pouvoir raconter des histoires très différentes sans être lié·e·s par la considération du multivers. Sorte d’éclatement favorable à la création, cela implique aussi une intellectualisation du multivers qui dirige l’anthologie DC Infinite Frontier vers une difficile quête d’explications qui pourrait (déjà) mettre des lecteur·ice·s sur la touche. D’autant plus que, contrairement à l’ère de New 52 (lancée en 2011 après la crise Flashpoint), ce relaunch ne fait pas table rase du passé, et implique de nombreuses références à l’ère précédente.

DC Infinite Frontier, les bases d’un nouvel univers

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

En effet, cette anthologie DC Infinite Frontier se distingue par une première approche ardue, mêlant de nombreux personnages de multivers qui ne sont pas parmi les plus connus de l’univers DC. Entre le Président Superman et l’histoire de La Quintessence, qui en larguera plus d’un·e, le comics puise la source de son récit dans une intrigue qui intervient entre deux grands événements. La guerre contre le Batman qui rit (Death Metal) et la découverte de l’omnivers, alors que Wonder Woman s’est sacrifiée pour sauver le monde, allant dans l’au-delà, devenue déesse. Le monde entier a appris l’existence d’un multivers, certain·e·s civil·e·s ayant même des souvenirs des événements de Death Metal et de la destruction du multivers, tandis que d’autres prétendent que tout ça n’est que foutaises et que les super-héro·ïne·s ne sont qu’une invention servant à contrôler la population. On sent d’ailleurs là que Joshua Williamson a été très inspiré par notre monde actuel avec les mouvements politiques, lobbys et politicien·ne·s qui aiment prétendre que le ciel n’est pas bleu. Le Trumpisme n’est pas près de cesser d’inspirer les auteur·ice·s de comics.

Devenue déesse, Wonder Woman explore le monde de DC tel qu’il était sous l’ère Rebirth, comme pour en tirer une conclusion et voir la nécessité de faire émerger de nouveaux mondes. Elle incarne une figure quasi-messianique qui survole ces mondes, observant tour à tour Batman, Superman, Flash ou encore d’autres personnages moins populaires, en portant une forme de jugement sur leurs actions, cherchant la faille ou ce qui les anime. Aussi fascinant que difficile à suivre pour des néophytes, il faut entrer dans cette lecture en se disant qu’elle distille simplement des bouts d’histoire qui seront exploités (ou non, d’ailleurs) par les séries Infinite, accepter qu’il y a une part d’ombre et d’incompréhension. Ce qui est d’autant plus normal pour un multivers, pardon, un omnivers, aux possibilités littéralement infinies. Mais ne disparaissez pas pour autant : cette anthologie DC Infinite Frontier finit par retomber sur ses pattes en racontant une histoire familiale, sorte de quête pour sauver le multivers (ou ce qu’il en reste), avec quelques numéros assez palpitants. Si Joshua Williamson semble parfois s’embourber dans des explications qu’il ne maîtrise pas lui-même, le comics sait aussi proposer de grands moments, faisant de lui une belle introduction au nouvel univers DC.

Est-il, pour autant, indispensable à la lecture des différentes continuités, à commencer par Batman Infinite et Wonder Woman Infinite qui sortent également ce mois-ci, et dont on parlera un peu plus bas ? Oui et non, car si le Batman de James Tynion IV ignore pour le moment assez largement les événements cosmiques et considérations diverses autour du multivers, cela pourrait changer à l’avenir. Tandis que la Wonder Woman de Becky Cloonan et Michael W. Conrad est elle cette divinité apparue dans Infinite Frontier, dans l’au-delà, suite directe des événements de l’anthologie. Toutefois, l’écriture est suffisamment maline pour éviter des références trop inexpliquées à cette fameuse crise, rendant la lecture pertinente sans même avoir ces événements en tête. Alors bien que l’anthologie DC Infinite Frontier n’est pas (encore) indispensable, j’ai plutôt tendance à en conseiller la lecture. Non pas pour la compréhension des séries Batman et Wonder Woman, mais plutôt parce que les numéros concoctés par Joshua Williamson sont, bien qu’imparfaits, plutôt captivants à suivre, malgré un premier contact austère qu’il faut savoir surmonter.

Batman Infinite – Tome 1, la peur de l’épouvantail

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Batman Infinite est, très certainement, le comics le plus emballant de ce lancement en VF de l’ère Infinite. Toujours écrit par James Tynion IV, son Batman est redevenu une sorte de rebut aux yeux du nouveau maire de Gotham, l’ancien agent de police Christopher Nakano. Ce dernier, au contraire du regretté Commissaire Gordon, n’a jamais vraiment porté l’homme chauve-souris dans son cœur, et tente de le mettre sur la touche. La police est ainsi confrontée à Batman, qui agit plus que jamais en dehors des clous alors que Bruce Wayne est dépossédé de sa fortune. Un sentiment anti-super-héro·ïne·s renforcé par une attaque terroriste sur l’asile d’Arkham, où un gaz tueur s’est répandu et a tué la plupart des pensionnaires. Personne n’y a survécu, si ce n’est une poignée de soignant·e·s et un garde qui va nourrir un fort ressentiment à l’égard de Batman et des super-vilains qu’il engendre. Nommée le « Jour A », cette triste date de l’histoire de Gotham va permettre au maire, associé à d’autres personnes peu recommandables, de faire la chasse aux « supers », tandis qu’un collectif nommé Unsanity sème la terreur dans Gotham, soupçonné d’être allié d’un certain… Épouvantail. Comme à son habitude donc, l’Épouvantail se nourrit de la peur des habitant·e·s de Gotham, une peur qui se matérialise là encore dans une inspiration de notre monde. On y parle de confinement (non pas pour échapper à un virus certes, mais à un gaz tueur), les gens achètent des masques en prévision d’une future attaque et les magasins sont pris d’assaut en vue de pénuries. On sent, ainsi, que l’auteur a été fortement inspiré par les événements vécus par notre monde depuis près de deux ans.

Et très sincèrement : ça fonctionne, et ça fonctionne même très bien. Parfois horrifiques, les planches de Jorge Jimenez, chaque fois qu’il montre l’Épouvantail, sont capables d’instiller la peur propre au personnage, en jouant sur la déformation de la réalité, les ombres et les mirages. Le Batman de James Tynion IV en apparaît prisonnier, contraint d’agir sous la peur, tandis que le collectif Unsanity vient mettre un peu de couleur dans un style presque cyberpunk qui tranche avec l’obscurité propre à l’homme chauve-souris. A cela on ajoute le Ghost-Maker (qui défend Gotham depuis Joker War) et Harley Quinn qui forment un duo inattendu, mais plutôt sympathique à suivre. Brillant tant par son ambiance que par son histoire, mêlant complot d’une corporation à sentiment de peur, ce premier tome s’avère toutefois plus faible sur ses scènes d’action, vite expédiées et jamais vraiment intéressantes. Mais ce n’est pas nécessairement cela qu’on vient chercher dans Batman, qui reste une œuvre d’enquête, un point sur lequel excelle l’écriture de James Tynion IV.

Wonder Woman Infinite – Tome 1, Diana l’immortelle

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Alors qu’elle s’est sacrifiée à la fin de Batman Death Metal pour tuer le Batman qui rit, la faisant accéder au statut de divinité, hors du temps et de la réalité, on retrouve Diana dans l’au-delà. Et elle se réveille à Asgard, terre des vikings où règne Odin, alors que Thor et Siegfried livrent des batailles incessantes où les guerrier·re·s renaissent jour après jour dans le Valhalla. Sorte de paradis de la guerre, où le temps n’a plus aucune prise et où l’immortalité est un bien acquis à tous·tes. Jusqu’au jour où, pour une mystérieuse raison, l’arbre Yggdrasil, au centre du monde, se met à dépérir, tandis que les Walkyries ne ramènent plus les morts à la vie. L’ordre des choses se voit chamboulé et, fidèle à elle-même, Diana ne peut s’empêcher de leur porter assistance. Pourtant son sacrifice lui a fait perdre ses pouvoirs, sa mémoire, mais aussi ses armes et son invincibilité d’antan. Le personnage est, paradoxalement à son accession au statut de divinité, plus fragile que jamais. Elle est capable de mourir sur le champ de bataille, bien qu’elle soit ramenée à chaque fois à la vie en Asgard, de subir des coups et d’être blessée. Le tout dans un récit aux accents mythologique que Becky Cloonan et Michael W. Conrad racontent plutôt bien. On y découvre une Diana qui, au-delà d’Asgard, explore des mondes faits de Dieux et Déesses, avec la légèreté et la puissance qui caractérise le personnage. Plus épique encore que les événements de Infinite Frontier, ce premier tome est une superbe aventure qui vise à replacer Wonder Woman dans ce qui la rend unique au sein de la Justice League, c’est-à-dire ce lien qu’elle crée entre notre réalité et la mythologie grecque.

Ce tome est, par ailleurs, un vrai terrain d’expérimentations avec de nombreux styles visuels différents. D’abord Travis Moore, puis Andy McDonald, Jill Thompson et Becky Cloonan, le tome multiplie les ambiances et change radicalement de style chaque fois que Diana arrive dans une mythologie différente. De l’Asgard très belle, où la plastique des Dieux et Déesses est mise en avant dans un monde coloré, à l’aspect féérique d’un conte pour enfants dans le monde des Fées de Elfhame, ce Wonder Woman Infinite T.1 ne cesse de se renouveler. Si l’exercice n’est pas évident, notamment en matière de cohérence visuelle, il est néanmoins réussi grâce à des artistes qui sont capables à chaque fois de réinventer Wonder Woman, tandis que la narration s’en amuse quand l’écureuil qui l’accompagne, Ratatosk, fait une remarque sur ses changements de style vestimentaire. Il y a quelque chose de vraiment malin dans la narration, malgré une histoire somme toute attendue que l’on pourrait résumer à une course poursuite pour rattraper une Déesse devenue meurtrière. Mais cette simplicité de l’histoire, très classique, permet de se faire plaisir par ailleurs avec une vraie prise de risque sur l’aspect visuel, pour mieux sublimer cette sorte de quête d’identité dans laquelle se lance une Wonder Woman qui dispose désormais d’un nouveau statut. C’est une belle réussite.

L’omnivers a de beaux jours devant lui

Ces trois premiers titres de l’ère Infinite ont le mérite de lancer les événements avec panache. Si DC Infinite Frontier se perd parfois dans des explications difficiles à suivre, et franchement austères pour les personnes qui voudraient se lancer dans les comics DC à l’occasion de ce relaunch, les séries Batman et Wonder Woman commencent de fort belle manière. Dans deux styles très opposés certes, puisque Batman Infinite recherche inlassablement une certaine noirceur propre au personnage, mais il le fait plutôt bien grâce à la mise en scène horrifique de l’Épouvantail qui tranche avec les couleurs étincelantes de certains personnages. Quant à Wonder Woman Infinite, c’est une quête d’identité qui se cache derrière une aventure aux forts accents mythologiques, dans l’au-delà. Une aventure que les auteur·ice·s racontent avec beaucoup de malice, en jouant sur les attitudes de Dieux et Déesses qui n’ont pas grand chose à voir avec leur image habituelle. Ces trois premiers tomes de l’ère Infinite donnent l’occasion aussi d’explorer des ambiances et mondes très différents, faisant de belles promesses pour la suite, tant sur l’état de la production DC Comics que les histoires qui sont désormais bien entamées.

  • DC Infinite Frontier est sorti le 21 janvier 2022 en librairie aux éditions Urban Comics, tandis que les premiers tomes de Batman Infinite et Wonder Woman Infinite sortent le 28 janvier 2022.

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