Bad Dreams | Un cauchemar hypnotisant

par Hauntya

Come True (rebaptisé Bad Dreams pour sa sortie française) est un film canadien réalisé par Anthony Scott Burns et sorti en 2021, présenté notamment au Festival international du fantastique de Gérardmer. Je ne serais sans doute jamais tombée sur ce petit film indépendant, malgré ma passion pour le genre de l’horreur, sans quelques tweets le décrivant comme un film sur la paralysie du sommeil. Cette dernière est un très désagréable moment entre rêve et éveil où le corps est endormi et immobile, mais où l’esprit voit des hallucinations visuelles et auditives. Spoiler, Bad Dreams n’est pas tant que cela un film sur la paralysie du sommeil, mais plutôt une étrange invitation à une exploration onirique.

Vers un monde de rêves

Sarah (jouée par la magnétique Julia Sarah Stone) est une jeune lycéenne en rupture avec sa famille. Cela fait en tout cas plusieurs nuits qu’elle passe dehors, emmitouflée dans un sac de couchage sur un toboggan au jardin d’enfants – quand elle ne réussit pas à s’incruster la nuit chez une copine. On sait qu’elle évite sciemment sa mère et sa maison, mais on n’en sait guère plus et ce ne sera pas le sujet du film. Troublée par de mauvais rêves où toutes les nuits, elle avance dans des couleurs sombres et glauques pour rencontrer une silhouette noire aux yeux lumineux, elle finit par se résigner… à aller servir de cobaye pour une expérimentation scientifique autour du sommeil, pour avoir au moins un endroit où dormir au chaud. Mais les observations scientifiques ne font que rendre ses cauchemars encore plus sombres et immersifs…

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Come True/Bad Dreams, Anthony Scott Burns, IFC Midnight, 2021 ©

Le film est d’abord remarquable par son atmosphère. Bad Dreams se teinte d’une nuance bleutée, prompte à évoquer l’onirisme dans lequel baigne Sarah, comme si le monde des rêves ne cessait de se mêler et de s’infiltrer dans la réalité. Tout du long, on baigne dans cette ambiance qui envoûte, qui pose un étrange cadre, comme si le spectateur lui-même était invité à définir la frontière entre le réel et le sommeil. Un sentiment renforcé par ces scènes qui dévoilent des tranches de vie de Sarah, souvent en silence, seulement bercées par la musique de Electric Youth. Le duo canadien de synthpop y est pour beaucoup dans le charme du film, la bande-son électro restant douce et entêtante, teintée de sons métalliques, d’une teneur qui plonge dans un certain malaise en même temps que dans cette irréalité obsédante du rêve. Assurément, le film serait beaucoup moins percutant sans cette musique planante et synthwave. Au point, en l’écoutant, de se rappeler que rares sont les films aujourd’hui dont on se souvient de la bande-son, et où celle-ci contribue véritablement à plonger dans l’histoire d’un film.

Plongeon vers l’inconscient

Bad Dreams n’est pas qu’un simple film où l’héroïne se retrouve confrontée à ses rêves. Séparée en plusieurs parties par des intertitres, l’histoire se veut aussi une réflexion sur l’inconscient de son personnage principal, évoquant les concepts créés par le psychanalyste Carl Gustav Jung. La première partie du film, où l’on voit le quotidien de Sarah et ses relations distantes avec les autres, est ainsi intitulée Persona (le rôle social face à l’autre), puis suivent d’autres concepts : Animus et Anima (part masculine de la femme et part féminine de l’homme), le Soi (l’individu) ou encore l’Ombre (refoulements subconscients de la personne), qui dans le film sera également là pour désigner la silhouette noire aux yeux lumineux, présente dans chaque rêve de Sarah et des autres cobayes de l’expérience scientifique.

L’utilisation des termes psychologiques n’est pas là simplement pour offrir une réflexion de surface : ils permettent un autre sens de lecture au film, incitant au visionnage à voir cela comme une analyse de la psyché et des rêves de Sarah, selon les événements qui se déroulent dans la réalité. Cela permet également de rappeler le concept d’inconscient collectif décrit par Jung, car chaque rêveur sujet à l’expérience termine ses rêves par l’apparition de la fameuse ombre, comme un élément de rêve collectif, que les scientifiques cherchent à expliquer. Le monde des rêves et des cauchemars n’est alors pas propre à chacun, mais devient un univers séparé, où tout le monde peut retrouver certains éléments et certaines figures.

Cauchemars

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Come True/Bad Dreams, Anthony Scott Burns, IFC Midnight, 2021 ©

Bad Dreams dévoile alors son véritable sujet : les rêves, et ce qu’ils disent de nous, de nos désirs et de nos peurs. Durant le film, on est amené à voir sur des écrans cathodiques – dans une ambiance très années 80 – les rêves des personnages du film. Si certains révèlent la vulnérabilité de certains désirs, notamment amoureux, ils sont le plus souvent montrés comme un long plan-séquence, passant de l’écran cathodique à une véritable scène. Alors, le film révèle des longs couloirs tortueux et sombres, en noir et blanc parasité, où les murs semblent organiques ou composés d’os, où l’on croise des silhouettes d’ombre composées de corps difformes, avant de toujours terminer sur cette mystérieuse et terrifiante silhouette aux yeux lumineux. Il y a bien une origine à cette créature : cette fameuse silhouette drapée de noir, dont on ne voit aucun trait à part les yeux, est la vision généralement décrite par ceux et celles victimes de la paralysie du sommeil (votre narratrice comprise). Ils dégagent une aura particulièrement terrifiante et peuvent se rapprocher de la personne endormie, pour créer des sensations d’étouffement ou tenir des discours menaçants et déformés.

Aux lumières bleutées de la réalité se mêlent alors ces chemins suivis par un travelling avant, sans pause ni possibilité de se retourner, comme lorsqu’on est obligé d’avancer en rêve. Cette manière de représenter les cauchemars est particulièrement saisissante et glace le sang, faisant penser tant aux peintures du polonais Zdzisław Beksiński qu’aux monstres de Silent Hill. C’est là une vision des rêves, bien loin du surréalisme qu’on leur donne dans la plupart des films.

A l’image du sujet des rêves, toujours énigmatiques et parfois absurdes, mais révélateurs de l’inconscient d’une personne, Bad Dreams nous laisse interpréter ce que l’on voit à l’écran, tout en nous donnant quelques clés de lecture comme les concepts jungiens. On prend plaisir à observer les séquences de rêves, tout comme on est envoûté par l’atmosphère bleutée et onirique du réel de Sarah, de plus en plus tendu tout au long du film, maintenant une ambiance planante digne d’un véritable rêve. Il est dommage que la fin tranche autant avec le mystère de l’intrigue, proposant un twist trop vu pour véritablement ébranler, même s’il offre une autre possibilité de lecture, et c’est là sans doute la principale frustration du film.

Bad Dreams n’est pas forcément une perle ou un chef d’œuvre : il a les défauts d’un film indépendant sans doute à petit budget (même s’il s’en sort très bien), et la fin peut paraître téléphonée. Mais, si l’on accepte de se laisser porter par son ambiance envoûtante, on peut en ressortir avec quelques images en tête et avec une musique irréelle qui hante pendant encore des jours après le visionnage. J’ai vu Bad Dreams sans véritablement rien en attendre, en pensant d’ailleurs qu’il allait parler d’un autre sujet, et j’en ai eu une agréable surprise au visionnage. J’ai apprécié le voyage hypnotisant qu’il m’a proposé, guidée par une jeune actrice inconnue au charme magnétique et qui porte tout sur ses épaules avec justesse et une certaine mélancolie. Je ne regrette pas ce détour singulier dans le monde des rêves, qui m’aura proposé une autre vision du fantastique et du cauchemar, juste par son ambiance, là où bien des films d’horreur peinent simplement à avoir un scénario et des protagonistes cohérents.

  • Le film est disponible à la location et achat VOD sur Google Play, Amazon, Youtube, etc.

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