Les débuts de Golden Guy étaient plutôt convaincants. On y découvrait un manga de gangsters aux bonnes références, avec une galerie de personnages plutôt intrigante et un fil conducteur autour d’un trésor caché qui donnait très clairement envie d’en savoir plus. Mais alors, est-ce que Jun Watanabe continue sur la même voie avec ces deux nouveaux tomes ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du tome 3 par l’éditeur.

Une traque sans lendemain

© Jun Watanabe (NIHONBUNGEISHA)

Une chose est sûre, c’est que Jun Watanabe a des idées. Il ne faut pas attendre bien longtemps pour déjà trouver un grand moment pour Golden Guy, puisque dès le tome 3 on assiste à une vraie maîtrise sur sa narration qui fait considérablement progresser la qualité du manga. Si les deux premiers tomes étaient tout à fait sympathiques, ils n’avaient pas encore ce petit plus qui distingue les lectures tout juste agréables et les vrais bons moments. Dans ce tome, l’auteur raconte la folie tueuse d’un yakuza qui, prêt à tout perdre, se met en route pour tuer un à un chaque chef de clan afin de pouvoir débusquer le parrain de l’organisation. Une quête sanguinaire qui l’amène à des exécutions sommaires, jusqu’à un grand final au milieu de la foule qui s’avère particulièrement réussi. Entre la tension ambiante du tome qui se lit à toute vitesse pour vite découvrir la suite et le dénouement, mais aussi grâce à sa narration très intense, sans concession, avec une mise en scène qui comprend tout l’intérêt d’une telle traque, l’auteur fait entrer son récit dans l’urgence avec beaucoup de talent. Et ce après deux premiers tomes qui ont pu, de manière plus posée, expliquer les enjeux et les ambitions des différents personnages.

Mais malheureusement, l’intrigue se perd un peu plus dans le tome 4. Avec quelque chose de plus étriqué, moins ambitieux, plus terre à terre mais aussi moins captivant. Le manga tente de jouer une partition plus émotive sans se laisser le temps de raconter ses personnages, cherchant à choquer et à émouvoir avec la disparition de certains personnages secondaires qu’on n’a pas eu le temps de connaître, de comprendre et d’apprécier pour ressentir quoique ce soit face à leur mort. C’est un peu comme si Jun Watanabe avait abordé trop vite et trop tôt un arc de vengeance pour le héros sans donner aux lecteur·ices les clés nécessaires à la compréhension de ses choix. Comme s’il abordait son récit et sa narration sous un angle purement technique en oubliant que Golden Guy, comme tout récit dramatique, a besoin de créer un lien entre nous et ses personnages et leur destin pour que l’on ai la moindre réaction face à leurs échecs et leur perte. Cela n’en fait pas une mauvaise lecture pour autant, mais

Yakuza ramolli

© Jun Watanabe (NIHONBUNGEISHA)

Ce quatrième tome interroge sur les ambitions narratives de Jun Watanabe, qui s’approche de la conclusion de son premier arc (qui devrait prendre fin au tome 5) mais qui, pourtant, peine à trouver son rythme malgré le coup d’éclat du troisième tome. On ne va pas enterrer Golden Guy dès maintenant, parce que malgré tout, ça reste une lecture assez agréable pour peu qu’on le prenne pour ce qu’il est, quelque chose d’assez léger et sans prétention. Néanmoins, si le manga doit durer dans le temps, il faudra qu’il trouve le point de rupture pour le faire entrer dans quelque chose de plus ambitieux, plus précis aussi dans ses intentions. Chose qu’il tente quand même mine de rien avec le quatrième tome qui insiste sur l’urgence de la situation, la vengeance du héros et le côté « désespéré » de la situation. Mais il ne parvient pas encore à capter l’humanité sous-jacente de telles situations, rendant l’urgence et l’inquiétude assez secondaire, m’empêchant de me sentir véritablement concerné par ce que le manga me raconte. Et c’est pas faute d’avoir eu un avis tout à fait positif dès le début du manga.

C’est toujours un peu compliqué d’écrire la critique d’un manga comme Golden Guy. D’un côté, la lecture n’a pas été désagréable, bien au contraire, néanmoins quand on en lit beaucoup et qu’on commence à être habitué aux codes du genre auquel le récit appartient (celui des mangas de gangster) on finit par espérer un peu mieux qu’une lecture « pas désagréable ». Les deux premiers tomes de Golden Guy laissaient espérer quelque chose d’assez solide, et le tome 3 est même superbement réalisé. Mais quand on regarde l’ensemble de ces quatre premiers tomes, on s’aperçoit assez aisément qu’il manque un supplément d’âme, un petit quelque chose en plus qui puisse pleinement nous emmener avec lui émotionnellement, et ce pour enfin pouvoir offrir de grands moments. Alors je vais évidemment persévérer en espérant que la suite trouve enfin sa voie, mais Jun Watanabe a encore beaucoup à faire pour permettre à son manga d’entrer dans la cour des grands.

  • Les tomes 3 et 4 de Golden Guy sont disponibles aux éditions Mangetsu.
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Fort d’un début d’année plutôt satisfaisant, la collection Infinite est sur de bons rails et continue de proposer mois après mois des choses assez intéressantes. Pas toujours parfaite, l’ère actuelle des comics DC a le mérite de tenter des choses, et a même accouché d’une excellente série qu’on retrouve à nouveau ce mois-ci : Nightwing Infinite. Après deux excellents premiers tomes, l’arc de Tom Taylor continue son bout de chemin, tandis que ce mois de mars est aussi marqué par la sortie de Flashpoint Beyond, où Geoff Johns reprend un personnage qu’il n’avait plus écrit depuis 2011.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Nightwing Infinite – Tome 3, confusion des identités

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Les élites corrompues de Blüdhaven, ville historique de Nightwing, mettent des bâtons dans les roues de Dick Grayson/Nightwing et de son refuge pour des enfants désœuvrés. Une attaque a été commise et on réalise vite, sans surprise, que la police en est responsable. À la solde de Blockbuster, le mafieux qui contrôle la ville, des agents de police mettent en effet en scène une attaque pour attirer l’attention sur les gamins défavorisés et abandonnés de la ville recueillis par Dick, afin que la population pense que leur présence attire la délinquance. Dans la pleine continuité des deux précédents tomes, cette suite amène son héros à jouer sur plusieurs tableaux, d’abord celui où il se met dans la peau de Dick Grayson, mécène qui cherche à régler quelques problèmes de sa ville au moyen de la fortune dont il a hérité, et puis dans la peau de Nightwing, collaborant avec la nouvelle maire de Blüdhaven pour la défaire de l’influence Blockbuster et de ses malfrats. Surtout, en toile de fond se joue une autre question, celle du Sans-cœur, étonnant vilain qui a fait son apparition dans le premier tome, qui tire son surnom d’une arme qu’il utilise et lui permet de voler (littéralement) le coeur de ses victimes. On en apprend enfin un peu plus sur son identité, alors qu’il met au défi Blockbuster en lui annonçant qu’il allait lui prendre sa ville. Pris entre deux feux, Nightwing doit se dépêtrer de tout ça avec l’aide de ses ami·e·s, à commencer par Barbara Gordon/Oracle, avec qui il partage une relation amoureuse qui leur permet enfin de s’épanouir. Les deux forment d’ailleurs un couple attachant, alors que leur relation trouve enfin une certaine paix.

Et sans surprise, ce troisième tome continue de régaler pour sa mise en scène. Entre son action très inspirée par le cinéma hollywoodien et sa faculté à s’amuser des codes de la BD, jouant sur le découpage et les limites de ce que peuvent raconter les images (grâce aux gestes à l’impression de mouvement plutôt que par les textes et les onomatopées), Nightwing Infinite est un plaisir aussi bien narratif que visuel. Le duo formé par Tom Taylor et Bruno Redondo fonctionne parfaitement, en effectuant un énorme travail pour apporter une telle fluidité aux planches que l’on a toujours l’impression que c’est trop court. Avec son rythme effréné mais surtout, la beauté des dessins de Redondo, ce troisième tome montre que Nightwing Infinite reste l’une des meilleures séries de l’ère Infinite, et peut-être même la meilleure. D’abord pour sa maîtrise de la narration (aussi bien écrite que visuelle), mais aussi parce que son histoire s’émancipe des grandes considérations de l’univers DC pour raconter quelque chose de plus terre à terre, plus ancré dans le quartier et la ville de Dick Grayson, plus proche du quotidien. Certain·es pourraient y voir un récit qui manque d’ambitions dans la grande continuité DC, mais j’y vois plutôt une vraie volonté de rappeler que les super-héros et héroïnes DC peuvent aussi exister au travers du quotidien, et pas seulement dans les grandes considérations de l’omnivers.

Flashpoint Beyond, le retour d’une réalité interdite

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Geoff Johns reprend le personnage de Thomas Wayne de son Flashpoint de 2011, dont la survie et l’existence a été suggérée dans DC Infinite Frontier – Justice Incarnée. On retrouve donc le monde alternatif de FlashpointThomas Wayne, père de Bruce, est celui qui a survécu à l’agression, où est son fils à sa place par rapport à l’histoire habituelle. Mais là où les réalités se rejoignent, c’est que Thomas a aussi fini par devenir Batman. Mais un Batman différent, moins détective, plus violent, plus impulsif, avide d’une vengeance aveugle, utilisant des armes à feu et n’hésitant pas vraiment à tuer ses ennemis. Une réalité alternative où Martha, la mère de Bruce, est devenue le Joker. Un monde qui est donc empreint d’un véritable sens tragique, où l’espoir n’est plus permis. Et Thomas a pleinement conscience des évènements de Flashpoint, il s’interroge alors sur le sens de son retour à la vie, sur le retour de cette réalité alternative dont il est le fruit : pourquoi celle-ci existe à nouveau, qui en est responsable ? Ce Flashpoint Beyond se lance donc dans un grand récit d’enquête où Thomas Wayne cherche à trouver le ou la responsable, sur fond de réflexions un peu déprimantes pour un Batman alternatif qui a conscience de n’être qu’une erreur de l’histoire, une erreur commise à l’origine par Barry Allen/Flash qui revenait dans le passé pour sauver sa mère, déclenchant l’apparition d’une réalité alternative de laquelle émergeait Thomas Wayne (évènements du Flashpoint de 2011). Alors il s’imagine évidemment que Barry Allen est à nouveau responsable, mais les choses apparaissent plus compliquées.

Compliqué comme le récit : bien que l’idée de retrouver cette version de Batman est intéressante, Geoff Johns repart dans ses considérations cosmico-tragiques qui font perdre au récit en intelligibilité. Compliqué de se prendre de passion pour un récit qui parle d’hypertemps et de grandes ténèbres à tout bout de champ comme si cela avait du sens pour les lecteur·ices lambda. Au lieu de ça, Flashpoint Beyond semble vouloir parler qu’une petite fraction d’un lectorat qui se passionne pour des théories farfelues autour de l’omnivers, à l’occasion de quelques scènes où, dans la continuité principale, Bruce Wayne s’interroge sur ce qui semble se passer en toile de fond. Certes on sent que le récit tente de raccrocher les wagons de l’énigmatique intrigue de DC Infinite Frontier, mais ces quelques scènes sont pénibles à suivre. Heureusement toute la partie « enquête » du récit, où Thomas Wayne agit presque contre-nature, lui qui est habitué à taper plutôt qu’à parler, se révèle assez passionnante grâce à une histoire qui convoque de nombreuses références du Flashpoint originel sans manquer de les expliquer pour les personnes qui prendraient les choses en cours de route. Il y a donc vraiment deux faces à ce Flashpoint Beyond, l’une plutôt réussie, l’autre plutôt pénible, pour un ensemble qui peine tout de même à récompenser l’attente que suscitait le retour de Geoff Johns avec ce personnage longtemps disparu.

  • Le tome 3 de Nightwing Infinite et Flashpoint Beyond sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Film réalisé par Ryota Nakano, méconnu dans nos contrées malgré déjà quelques films à son actif, La famille Asada sort un peu de nulle part. Initialement sorti à la fin 2020 au Japon, le film a eu un certain retentissement là-bas en racontant une histoire qui a su toucher le public en s’appropriant un drame ressenti par l’ensemble des Japonais. Mais il a fallu attendre ce mois de février 2023 pour que le film franchisse enfin nos frontières, avec une sortie cinéma où l’on a enfin pu essayer de comprendre pourquoi ce film a tant ému. Et j’ai vite compris.

Un besoin de se souvenir

© 2020 “THE ASADAS” FILM PARTNERS

La famille Asada n’a pas l’air comme ça, mais elle est spéciale. Ou plutôt, elle a été rendue spéciale par Masashi, le fils cadet qui rêvait d’être photographe. Un destin surprenant pour une famille qui a toujours vécu dans son coin et qui n’imaginait pas être un jour sous le feu des projecteurs, mais Masashi avait une autre idée : celle de profiter de l’amour qui unit ses proches pour en faire un grand album photo, un grand livre de souvenirs qui lui permettrait de réaliser ses rêves, mais aussi ceux de ses proches. Masashi Asada n’est pas que le héros d’une fiction, c’est un véritable photographe, un homme dont l’album familial est sorti il y a quelques années, une histoire étonnante et un destin inattendu que Ryota Nakano sublime dans un film biographique où il raconte son étrange quête. Celle-ci consistait en effet pour Masashi à photographier sa famille dans des situations étonnantes, d’abord pour réaliser leurs rêves : son père rêvait d’être pompier, alors lui et sa famille ont convaincus un vieil ami de leur prêter des uniformes, un camion et la caserne l’espace d’un petit instant pour immortaliser le rêve. Son frère aurait aimé faire de la course automobile, alors ils sont allés se photographier dans les stands du circuit de Suzuka. Autant de grands rêves parfois oubliés auxquels il donne vie dans une simple photo, un simple souvenir, pour appuyer un peu plus sur les liens forts qui unissent sa famille. On découvre ainsi des gens très aimants, qui trouvent un sens à leur vie ensemble au travers de la photo, se soutenant les uns et les autres dans des rêves parfois invraisemblables, comme c’est le cas pour Masashi qui veut faire de la photo une véritable carrière. Mais qu’il s’agisse de photographier sa famille en yakuzas, en gens bourrés à la sortie d’un bar ou en super-héros de sentai, il y a toujours un élément essentiel pour Masashi : rendre honneur à une famille qui le soutient envers et contre tous.

C’est, ainsi, une sorte de comédie feel good qui se dévoile devant nous, où le rêve de Masashi est vécu par procuration par sa famille qui ne cesse de croire en lui, jusqu’à l’aboutissement d’une vie : une éditrice lui propose de publier ses photos après les avoir vues en exposition, faisant rapidement du livre un énorme succès qui lui permet de remporter un prix prestigieux. L’occasion de révéler les pensées profondes de son père, notamment, dans un moment plein d’émotion lors de la remise du prix, mais aussi un nouveau point de départ pour le photographe qui se met à sillonner les routes du Japon pour offrir ses services à d’autres familles qui rêvent également d’avoir l’un de ces souvenirs impérissables, l’une de ces photos qui représentent l’amour de leur propre famille. Et puis tout disparaît. Le film prend une tournure dramatique et absolument déchirante. C’est le mois de mars 2011, le Japon est frappé par un gigantesque séisme provoquant un tsunami meurtrier, enlevant plus de 15 000 vies. Un traumatisme encore aujourd’hui pour le Japon, où Masashi se met soudainement à réfléchir sur le sens des photos, leur importance et leur nécessité face à l’horreur. Si les photos de famille traduisent l’amour qui peut unir certaines personnes, alors peut-on les laisser disparaître sous les décombres ? Le photographe décide alors, avec d’autres personnes rencontrées sur le chemin, de se mettre en quête de l’impossible : retrouver les photos perdues au milieu des maisons détruites, pour les nettoyer, les protéger et les stocker avec l’espoir qu’un jour elles puissent retrouver les familles auxquelles elles appartiennent, ou bien pour rendre hommage aux disparu·es. Toujours d’une bienveillance formidable, La famille Asada devient alors un drame, un film qui aborde avec énormément de justesse et d’espoir une situation traumatisante, un souvenir collectif et douloureux où la photographie devient une forme de thérapie pour bon nombre de personnes qui veulent aller de l’avant tout en gardant de précieux souvenirs des personnes qui n’ont pas survécu.

La beauté d’une aventure

© 2020 “THE ASADAS” FILM PARTNERS

C’est une autre manière de raconter ce désastre, au-delà de films catastrophes qui l’ont fait depuis, c’est l’humanité qui prime et le besoin de se reconnecter à des moments heureux du passé, immortalisés grâce à des photos que Ryota Nakano tente de raconter. Et il le fait avec un grand talent, avec une sensibilité qui permet à La famille Asada d’être beaucoup de choses à la fois. D’abord un film feel good, puis un drame, mais toujours avec une bienveillance et une volonté de regarder les souvenirs du passé avec le sourire, le film raconte le deuil avec une intelligence bouleversante. Et ce grâce tout particulièrement à une réalisation chaleureuse et intimiste, aux couleurs chaudes qui expriment les caractères différents des personnages, mais aussi et surtout la prestation de Kazunari Ninomiya, terriblement touchant dans le rôle de Masashi. Aussi drôle que bouleversant, d’une sensibilité exquise, l’acteur porte avec brio un rôle difficile à interpréter, où il parvient à nous faire rire et à pleurer. Il joue avec nos coeurs tout en se focalisant toujours sur l’essentiel : l’humanité du photographe qu’il incarne.

Quelle belle surprise, quel bonheur de pouvoir découvrir de telles œuvres. Comme je le disais au tout début, La Famille Asada sortait un peu de nulle part : mis à part les aficionados du cinéma japonais et les personnes qui l’avaient découvert aux Saisons Hanabi l’année dernière, le film faisait assez peu de bruit. En allant le voir par hasard, je ne m’attendais à rien de plus qu’un film familial assez doux, comme le laissait présager l’affiche. Et puis me voilà rapidement embarqué dans une aventure inoubliable, deux heures où le duo de cinéaste et d’acteur Ryota Nakano et Kazunari Ninomiya ont pris mon cœur et ont en fait ce qu’ils voulaient. Deux heures où la joie et la douceur laissent place au drame et aux larmes, mais surtout, deux heures d’un véritable bonheur, où je me suis rappelé pourquoi j’aime autant le cinéma.

  • La famille Asada de Ryota Nakano est sorti en salles le 25 janvier 2023.
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Premier manga du duo Orval (scénario) et Macchiro (dessin), présenté comme une réécriture d’Alice au pays des merveilles, Bibliomania débarque chez nous dans un écrin absolument somptueux, conçu avec amour par les éditions Mangetsu, dont on ne cesse de vanter les mérites ici. Ce mystérieux one-shot ne dispose ni de noms connus, ni d’illustres références pour s’assurer d’être vendu, et pourtant l’éditeur prend le pari d’en faire un superbe objet-livre au prix de 23 euros sonnants et trébuchants. C’est ce qui m’a en premier lieu intrigué avec Bibliomania. Cette luxueuse proposition pour un titre inconnu semblait traduire une certaine ambition : Celle de faire ressentir que nous avons affaire à une œuvre d’exception. Après ma lecture, je suis forcé de le reconnaître : Ce conte tentaculaire et protéiforme, infusé de niveaux de lecture entremêlés et parsemé de prouesses visuelles ne ressemble à aucun autre.

Cette critique a été écrite à partir d’un exemplaire envoyé par l’éditeur.

Voyage au centre de l’Envers

© by MACCHIRO / Creative Entertainment

Lorsqu’Alice se réveille dans la « chambre 431 », c’est dans une pièce entièrement blanche que nous nous trouvons. Ophis, créature entre le serpent et l’humanoïde lui apprend qu’il s’agit de sa nouvelle maison, et qu’elle n’a qu’à attendre la grande fête en satisfaisant l’ensemble de ses désirs. Mais Alice ne l’entend pas de cette oreille, et décide de remonter l’ensemble des chambres du « Manoir », jusqu’à la porte 000 qui donnerait sur le monde extérieur. Problème : Plus elle s’éloignera de la chambre 431, plus son corps sera soumis à la corruption et à la putréfaction. Ainsi débute une fable dont la construction permet à Orval et Macchiro de déplier toute une galerie de scènes et de portraits. Chacune des chambres comporte en effet un habitant ou une habitante, et l’on se rend compte très vite que tous ces personnages auront quelque chose en commun : Ils sont exclus du monde. Que leur exil soit volontaire ou non, ces figures permettent d’explorer de nombreuses variations autour de tout aussi nombreuses thématiques, mais qui aboutissent toutes à construire un pont entre la solitude, les peurs, l’ego, les souffrances, les traumatismes, et toutes les émotions qui en découlent. Un véritable voyage psychologique ou chaque séquence de quelques pages vient apporter son lot d’idées de mise en scène, renouvelant continuellement le propos et l’esthétique de l’œuvre.

Car il suffit de quelques pages pour se rendre compte que Bibliomania est un concentré de pure créativité, et se trouve être le produit d’un travail colossal de la part de ses auteurs. Chaque séquence dispose de son propre rythme, de son propre découpage, de son propre vocabulaire, de sa propre atmosphère. Nombre d’outils narratifs de la bande dessinée sont mobilisés et essorés pour en tirer le maximum, et les dessins de Macchiro, d’une densité et d’un niveau de détail par moments étourdissants, viennent appuyer une lecture déjà lourde de sens multiples. Ceci alors que le scenario comme les dessins laissent la part belle aux effusions émotionnelles et à la déformation des corps et des visages. Une véritables galerie de créatures, tantôt à forme humaine, souvent cauchemardesques, nous est présentée au fil des chambres traversées par Alice, alors que l’on découvre en parallèle le contenu des quelques jours qui précèdent son arrivée au sein du Manoir, dont la porte d’entrée se trouve être…un livre ressemblant trait pour trait à celui que nous tenons nous-mêmes en main…

Tout n’est qu’interprétation

© by MACCHIRO / Creative Entertainment

Alors que le récit progresse et que le corps d’Alice continue de se détériorer à un rythme alarmant, il semble quasiment certain qu’elle ne pourra pas arriver au bout de son projet d’évasion. Ophis entame un cycle de révélations qui font basculer le récit dans une nouvelle dimension. Une nouvelle étape que je vais m’efforcer de ne pas décrire, car dès lors chaque élément n’est plus à prendre au pied de la lettre, mais comme une bribe de sens (ou de non-sens) à interpréter. La première partie de Bibliomania est assez linéaire, et propose des thématiques claires, visibles, et donne assez d’indices pour que la lecture soit fluide. Mais lorsqu’arrive la seconde moitié de l’œuvre, c’est désormais à vous lecteur, lectrice, de faire le travail. Tout n’est plus que métaphore. Tout n’est plus que pistes nébuleuses qui, si on tend assez l’oreille, viennent en écho à d’autres qui étaient ouvertes sous nos yeux depuis le début. L’interprétation de ce qui nous est montré devient une absolue nécessité, sous peine de sortir d’un récit qui ne semble plus avoir ni queue ni tête. Plusieurs jours après avoir moi-même terminé ma lecture, je pense avoir trouvé une théorie qui me convient, mais celle-ci est intimement liée à ma vision du monde et à celle de son futur. Aussi, même si j’aime à penser qu’Orval a souhaité dépeindre certains pressentiments que je partage avec lui, il ne s’agit que de mon prisme de lecture, que je projette peut-être sur une toile blanche. Mais cela veut au moins dire que Bibliomania est un livre assez riche, assez puissant, assez évocateur et assez audacieux pour nous laisser seul.es face à lui. Alors qu’il décrit un voyage dans certains tréfonds de l’humanité, il nous invite en même temps à une certaine introspection. Les sensations que provoqueront l’épopée d’Alice sur vous dépendront de ce que vous êtes. Sa lecture révèlera peut-être de choses en vous, dont certaines que ne voulez pas voir, ou que vous ne comprendrez pas.

Car je n’ai évoqué ici que la métaphore principale, celle qui court du début à la fin du manga. Mais Bibliomania regorge de sous-intrigues, de sens cachés, de portes dérobées. A la manière d’un code qu’il faut décrypter, il ne révèlera tous ses secrets qu’à celles et ceux qui prendront le temps de le parcourir longuement et plusieurs fois. Sa dimension énigmatique est à nouveau sujette à beaucoup d’interprétation, demande de formuler des hypothèses à vérifier à partir de chaque détail contenu dans les 336 pages de ce grimoire. Le rapport au réel, à la fiction et plus particulièrement au livre et aux mots sont par exemple autant de thèmes sous-jacents qu’il m’a semblé percevoir parmi tous les autres. Mais au delà des interrogations que l’histoire laisse en suspens, préférant volontairement ne pas y répondre, il reste à Bibliomania une époustouflante direction artistique. Gothique, baroque, saisissante à bien des égards. Celle-ci, en symbiose parfaite avec le propos foisonnant son histoire laisse le sentiment d’avoir jeté un coup d’œil fugace dans une abîme insondable, peuplé de forces qui nous dépassent, desquelles nous sommes victimes, et qui auront sans doute notre peau. Une lecture profonde, puissante, dérangeante aussi. Qui m’a laissé comme orphelin de quelque chose dont je n’étais même pas conscient, seulement accompagné du sentiment qu’il s’agit effectivement d’une histoire qui ne ressemble à aucune autre, mais qui, en même temps, semble avoir été construite à notre image.

  • Bibliomania sera disponible en librairie le 29 mars aux éditions Mangetsu.
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Est-ce bien nécessaire de présenter Breaking Bad, l’une des séries les plus encensées par la critique et le public, depuis sa diffusion entre 2008 et 2013 ? Cette création de Vince Gilligan se déroule au Nouveau Mexique, où un professeur de chimie surqualifié, Walter White (Bryan Cranston), apprend qu’il souffre d’un cancer du poumon en phase terminale. L’enseignant décide alors de se plonger dans le business de la méthamphétamine, épaulé par son ancien élève : Jesse Pinkman (Aaron Paul). Parfois burlesque, la série dépeint – comme son nom l’indique – la descente aux enfers de ce professeur maladroit. Progressivement, Walter White s’efface, laissant sa place à Heisenberg, un baron de la drogue dénué de tout scrupule.

Le préquel de Breaking Bad

Le casting de Better Call Saul © AMC (2015-2022)

Passer après Breaking Bad était un pari risqué. Vince Gilligan et Peter Gould ont tout de même tenté de relever le défi en créant la série préquelle : Better Call Saul. L’avocat corrompu de Walter White, Saul Goodman, reprend du service au cours de six saisons sorties entre 2015 et août 2022. L’histoire prend place quelques années avant les événements relatés dans Breaking Bad. Le ton de la série se veut – au cours des premières saisons tout du moins – plus comique. Bien qu’il ne soit pas indispensable d’avoir vu Breaking Bad pour visionner Better Call Saul, il est plus que conseillé de l’avoir fait, et d’en avoir des souvenirs précis, afin de pouvoir savourer toutes les subtilités du spin off. Dans la mesure où il s’agit d’une série dérivée, et même préquelle, il paraît improbable de ne pas faire la comparaison. L’intrigue de Breaking Bad comporte certainement des enjeux plus intenses, alors que Better Call Saul reste à une échelle plus humaine et intime. L’autre inquiétude que l’on peut nourrir vis-à-vis d’un préquel, c’est son absence supposée de suspense, notamment vis-à-vis du sort des protagonistes. Better Call Saul se soustrait à ce problème de deux façons : d’une part, en intégrant des personnages inédits extrêmement charismatiques ou attachants ; de l’autre, en proposant une sous-intrigue parallèle, se déroulant après le dénouement de Breaking Bad. En deux mots, Better Call Saul permet de faire le tour du personnage de Saul Goodman, de sa genèse à sa fin.

Le « Saint-Patron des médiocres »

Bob Odenkirk incarne Jimmy McGill © Better Call Saul, AMC (2015-2022)

Suivre Saul Goodman de sa genèse à sa fin ferait presque passer Better Call Saul pour une série de justicier masqué. C’était, d’une certaine façon, aussi le cas dans Breaking Bad. Walter White s’effaçait peu à peu sous les traits et la personnalité d’Heisenberg. Tout l’enjeu de la série consistait à montrer comment un homme lambda, poussé dans ses derniers retranchements, se muait en monstre, ou devrais-je dire en vilain. Pour poursuivre l’analogie, Better Call Saul a presque tout d’une origin story du Joker. On connaît l’avocat Saul Goodman pour ses costumes colorés, son absence de scrupule et son caractère totalement déluré. Il s’agit de l’un des personnages les plus comiques de Breaking Bad. Comme en témoigne son exubérance toute caricaturale, Saul Goodman n’est qu’un rôle ; et sous le masque du clown résident les vestiges d’une âme en peine. Better Call Saul permet ainsi donc de suivre le cheminement de Jimmy McGill, incarné par Bob Odenkirk. Bien qu’il soit déjà doté d’un tempérament haut en couleurs, Jimmy est un avocat de bas étage, condamné aux affaires peu reluisantes. Il est poursuivi par son passé d’escroc et vit constamment dans l’ombre de son frère, Chuck, un très brillant avocat. Si Jimmy souhaite faire carrière dans le droit, c’est plus pour s’attirer les faveurs de son aîné que par véritable conviction. Cela se confirme d’ailleurs par ses facultés étonnantes à jouer avec les failles du système. Au fil des saisons, Jimmy perfectionne ses manigances et multiplie les faux semblants au point de finir par emprunter le pseudonyme de Saul Goodman. Malgré tout, l’avocat est toujours sur le fil du rasoir, hésitant entre la volonté de faire honneur à son frère et celle de faire fortune. Jimmy McGill doit-il faire allégeance à la loi, ou Saul Goodman doit-il s’épanouir dans le monde du crime ? C’est tout le dilemme du protagoniste, qui se reflète d’ailleurs dans la manière dont est narrée la série, alternant entre des intrigues judiciaires et d’autres purement criminelles. Enfin, ce qui rend Jimmy si complexe, c’est le jeu extrêmement ambivalent de Bob Odenkirk, capable de passer du burlesque au tragique avec une facilité déconcertante. Il berne non seulement les autres personnages, mais aussi les spectateurs et spectatrices ; car oui, au fur et à mesure que Jimmy fusionne avec le rôle de Saul Goodman, il devient difficile de savoir quand il est sincère ou non.

Folie à deux

Rhea Seehorn incarne Kim Wexler © Better Call Saul, AMC (2015-2022)

Mais Jimmy n’est pas la seule vedette de Better Call Saul, loin s’en faut. Le deuxième rôle principal revient à Rhea Seehorn, qui incarne Kim Wexler. Kim est, à bien des égards, l’opposée de Jimmy. C’est une avocate calme, réfléchie et redoutablement intelligente. Elle est motivée par un sens profond de la justice, ainsi que le désir de venir en aide à ses clients et clientes. Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, Kim est la compagne de Jimmy. Au cours des premiers épisodes, j’ai craint que leur relation ne mime celle de Walter et Skyler dans Breaking Bad, dans le sens où les combines de Jimmy auraient très bien pu pousser Kim à devenir une antagoniste. Il est vrai que l’apparition de Saul Goodman va mettre en péril leur relation. Better Call Saul a toutefois l’intelligence de reprendre les thématiques de Breaking Bad, sans jamais chercher à les singer. La série préquelle se révèle même assez surprenante. Ainsi, Kim cache plutôt bien son jeu, et possède en elle une douce folie, qui ne demande qu’à être exacerbée par celle de Jimmy. Le couple incarne alors un duo redoutable, et d’autant plus marquant qu’il est sublimé par l’alchimie résidant entre Rhea Seehorn et Bob Odenkirk. Certes, la distance entre Walter et Skyler était voulue. Celle-ci incarnait d’ailleurs le personnage le plus banal de Breaking Bad. Que diable aurions-nous fait dans sa situation ? Je n’ai toutefois jamais cru une seule seconde au couple Walter-Skyler. Et j’ai plus d’une fois été déconcertée par les réactions totalement illogiques de Skyler. L’écriture de Breaking Bad ne brillait pas toujours par le développement de ses personnages féminins. Better Call Saul fait clairement amende honorable en faisant de Kim Wexler un personnage marquant, aux antipodes de l’exubérance de Jimmy, mais tout aussi complexe et surprenant. Rhea Seehorn vole presque la vedette à Bob Odenkirk, ce qui était très loin d’être une mince affaire. Et au risque de me répéter, quelle alchimie entre les deux comédiens… Cette relation est tout simplement un must-see.

Une guerre fratricide

Jimmy (Bob Odenkirk) et Chuck (Michael McKean) © Better Call Saul, AMC (2015-2022)

Comme je le disais plus tôt et il fallait s’y attendre, nombre d’intrigues de Better Call Saul prennent place dans le milieu juridique. En ce sens, certain(e)s trouveront la série moins passionnante que Breaking Bad, surtout durant les premières saisons. Je n’aurais alors qu’un seul conseil : celui de persévérer, car la tension de la série monte inlassablement en crescendo. De plus, il est particulièrement prenant de voir Jimmy et Kim élaborer des manigances de plus en plus sophistiquées pour arriver à leurs fins. Le milieu juridique voit apparaître plusieurs personnages inédits comme Howard (Patrick Fabian) et surtout Chuck (Michael McKean), le frère aîné de Jimmy. Bien qu’il ait été un brillant avocat, Chuck souffre désormais d’une prétendue hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, le forçant à rester cloîtré chez lui. Jimmy fait alors de son mieux pour veiller sur celui qu’il considère comme un modèle. Chuck connaît toutefois les faiblesses de son frère, sans compter qu’il est extrêmement exigeant. Better Call Saul explore la rivalité entre deux frères, dans ce qui risque de devenir une guerre fratricide. Une fois encore, cette thématique n’est pas sans rappeler la relation ambiguë entre Walter et son beau-frère Hank, dans Breaking Bad. Mais là encore, la préquelle explore le thème de manière totalement innovante, si bien que l’on se prend au jeu et que l’on attend avec impatience de connaître le dénouement de l’intrigue. Alors que Hank est un obstacle à l’évolution de Walter ; Chuck est l’un des éléments qui façonneront la personnalité de Saul Goodman. Il est malheureusement difficile d’en dire plus sans divulgâcher des points clés de l’histoire.

Un premier pas dans la Pègre

Mike (Jonathan Banks) et Jimmy (Bob Odenkirk) © Better Call Saul, AMC (2015-2022)

Better Call Saul explore aussi le milieu du crime et de la drogue, qui apparaît de plus en plus au fil des saisons. Cela est notamment dû au troisième personnage principal, déjà apparu dans Breaking Bad. Il s’agit de Mike, incarné par Jonathan Banks. Mike est d’un naturel extrêmement impassible et pragmatique. Cela ne nous empêche pas d’en apprendre davantage sur son passé et sur ses motivations. Mike connaissait bien mieux Saul Goodman que nous ne l’imaginions, sans pour autant que cela n’engendre d’incohérences avec la série originale. Comme on s’en doute, les deux hommes sont tellement différents que certaines scènes semblent extraites d’un buddy movie particulièrement savoureux. Le point de vue de Mike permet d’en apprendre d’avantage sur le conflit qui règne entre la famille Salamanca, dirigée par Don Hector (Mark Margolis) et l’entreprise de Gus Fring (Giancarlo Esposito). Cela s’opère par l’apparition de personnages inédits, comme Nacho Varga (Michael Mondo) mais aussi du retour plus ou moins récurrent de figures déjà connues. En ce sens, le préquel fourmille de références. Better Call Saul est, selon moi, une leçon d’écriture, car la série part parfois de détails infimes de Breaking Bad, pour construire un arc entier. La première fois que Saul rencontre Walter et Jesse, il craint d’avoir été kidnappé par un certain Lalo Salamanca. Or, il s’agit d’un antagoniste assez mémorable de Better Call Saul, interprété par Tony Dalton. Le préquel répond à de nombreuses questions que l’on ne se posait pas forcément, mais il le fait de façon tellement pertinente que cela en devient passionnant. Ainsi, l’état de santé d’Hector Salamanca ou la construction du laboratoire secret de méthamphétamine abritent des intrigues plus sombres que nous ne l’imaginions.

Épilogue

Bob Odenkirk incarne… Saul Goodman © Better Call Saul, AMC (2015-2022)

La dernière force de Better Call Saul réside dans le fait qu’il ne s’agit pas simplement d’un préquel. Le prologue de chaque saison, et les derniers épisodes de la saison 6 racontent ni plus ni moins la suite de Breaking Bad. Il s’agit de passages en noir et blanc, où Saul n’est plus que l’ombre de lui-même. Il serait criminel de parler du dénouement. Saul Goodman lui-même ne parviendrait pas à m’innocenter pour cela. Tout ce que je peux dire, c’est que l’épilogue est idéal et extrêmement poignant. J’ai beau adorer Breaking Bad, et reconnaître que l’intrigue de la série est plus palpitante ; j’ai une légère préférence pour Better Call Saul. Je n’ai pas adoré le préquel dès les premiers épisodes ni même les premières saisons, et pourtant, il a si bien réussi à me faire sourire ou à m’émouvoir que j’ai beaucoup plus d’affect pour lui. La montée en tension de Better Call Saul est plus lente, mais tout aussi puissante. Bob Odenkirk donne vie à un personnage entier, versatile, parfois glorieux, souvent pathétique ; mais que l’on se surprend à adorer. Rhea Seehorn incarne Kim, qui assiste à l’ascension de Saul Goodman, tout en suivant son propre bout de chemin. La guerre fratricide avec Chuck (Michael McKean) est passionnante, et ne parlons pas des arcs narratifs de Mike (Jonathan Banks), qui permettent de renouer avec le milieu de la pègre ; en découvrant les secrets cachés derrière certains éléments narratifs de Breaking Bad, tout en retrouvant quelques visages familiers. Better Call Saul est extrêmement aboutie en terme d’écriture, mais aussi en terme de cinématographie. A ce niveau, la série est sans hésitation supérieure à Breaking Bad. La photographie et le montage sont d’une telle beauté et maîtrise que chaque épisode déborde de transitions ingénieuses et de plans saisissants. Better Call Saul a rencontré un tel succès qu’il existe des produits dérivés, comme la mini-série animée Slippin’ Jimmy, qui a d’ailleurs très mauvaise réputation. Quoiqu’il en soit, ce succès est amplement mérité. Plus j’y réfléchis, plus Better Call Saul me semble, à bien des égards, plus aboutie que Breaking Bad. Bien entendu, il ne tient qu’à vous de vous forger votre propre opinion ; mais une fois l’intégralité des saisons visionnée, il n’est pas impossible que vous considériez cette série comme un chef-d’œuvre.

  • Better Call Saul est disponible en DVD et Blu-Ray, ainsi que sur Netflix. 
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La période du bakumatsu est, dans l’histoire du Japon, quelque chose de passionnant. Un moment où le shogunat, régime féodal d’antan subissait au sein d’un chaos ambiant de grands bouleversements pour l’avenir du pays. Au milieu, le shinsen gumi que raconte Chiruran, groupe de samouraïs qui allait être chargé de la protection du pouvoir en place au milieu des nombreuses conspirations. Un contexte parfait pour Eiji Hashimoto et Shinya Umemura et leur bande de guerriers hargneux, avec deux nouveaux tomes qui racontent la guerre totale entre les héros et le Mito tengu-to, des mercenaires envoyés par leur frère ennemi Kamo Serizawa.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi du tome 11 par l’éditeur.

Un duel pour l’avenir du Japon ?

Shinya Umemura propose deux tomes à l’écriture très rythmée. L’opposition débutée dans le tome 10 entre le clan de Isami Kondo, et celui de Kamo Serizawa, déclenche enfin la guerre attendue. Le Shinsen gumi règle ses comptes avec les « sept démons » du Mito tengu-to (une bande de mercenaires) en tentant de s’approcher de Serizawa, ce qui donne lieu à un feu d’artifice de scènes d’action et de combats tendus, où l’écriture brille tout particulièrement dans l’humanisation des « démons ». En effet, on découvre page après page les origines de ces personnages initialement présentés comme des guerriers sanguinaires, sans foi ni loi, des origines souvent tragiques où des gamins qui n’avaient pas un rond ni aucune famille finissent par rejoindre des bandes mercenaires en espérant faire quelque chose de leur vie. L’auteur raconte ainsi la misère du Japon à l’époque du bakumatsu où, derrière les guerres fratricides pour le pouvoir se cachaient souvent des guerriers qui prenaient part aux combats parce qu’ils n’avaient rien d’autre, aucun espoir ni aucun futur. Et plus que jamais, Chiruran est terriblement juste dans cette humanisation. Chaque rencontre, chaque mise à mort (souvent cruelle) donne un nouveau regard sur un peuple qui souffre, évitant de faire tomber ces personnages dans une simple fonction d’obstacle pour la quête d’ascension du héros, Toshizo Hijikata.

La narration se place à plusieurs endroits en même temps, les membres du clan étant séparés pour faire face à la menace qui vient de partout : cela donne quelques oppositions assez géniales, comme celles d’un maître contre son élève, où se révèle un passé tragique où le maître a abandonné son élève pour ne pas céder à l’amour qu’il éprouvait pour lui, mais aussi une opposition contre un ancien membre de l’armée française qui semble être devenu un redoutable mercenaire. Comme à leur habitude, Shinya Umemura et Eiji Hashimoto imaginent des personnages à l’allure imposante, parfois effrayante, des vraies « gueules » sorties d’un imaginaire qui emprunte beaucoup au cinéma. Certes, Chiruran n’apporte pas beaucoup d’originalité dans son récit du bakumatsu, qui a déjà inspiré un paquet d’œuvres. Mais c’est son rythme, sa manière de raconter les individualités plus que les grands plans politiques, et le quotidien de celles et ceux qui sont tout en bas de l’échelle qui font de Chiruran une œuvre tout à fait passionnante. Plus que des combats très stylisés, c’est une véritable opposition entre le pouvoir et le peuple qui se met à l’œuvre, où le héros n’est pas forcément du côté du peuple. En effet, les ambitions de Toshizo Hijikata et du Shinsen gumi lorgnent plutôt du côté de la politique et du pouvoir.

Un destin scellé

Depuis ses débuts et le tout premier tome dont je parlais déjà à l’époque sur Pod’culture, Chiruran s’illustrait tout particulièrement pour sa représentation visuelle des affrontements. Des dessins grandiloquents, des effets de style, un découpage extrêmement rythmé et des combats qui restent toujours lisibles. Autant de qualités que l’on retrouve évidemment dans ces tomes 11 et 12, les combats ne perdant rien de leur beauté. Ces duels sont nombreux mais la lassitude n’arrive jamais, car rien ne se ressemble. Il y a toujours un petit truc, une astuce, qui modifie le cours des évènements et qui permet à l’auteur de raconter ses combats différemment, et au dessinateur de les mettre en image sans se répéter. C’est très honnêtement un vrai tour de force pour un manga qui se repose autant sur ses combats. Après 12 tomes, je n’ai jamais eu l’impression de revoir la même chose, le duo de mangaka ayant une vraie faculté à se renouveler et surtout, à apporter toujours une belle note tragique aux affrontements, lorgnant souvent du côté du cinéma de samouraï en y incorporant une certaine modernité.

Toujours l’un des meilleurs mangas sortis ces dernières années à mes yeux, Chiruran continue d’être un vrai ravissement dans son approche du bakumatsu, une ère décisive de l’histoire japonaise qui a attirée de nombreux·euses créateur·ices (autant au cinéma qu’en manga, en roman, ou même du côté des jeux vidéo). Sa manière d’aborder cette époque se fait évidemment sous l’angle des guerres fratricides qui l’ont marquée, mais aussi avec une belle humanité, proche d’un peuple pris en tenaille pour qui la voie du sabre, avec des gamins qui finissent par rejoindre des bandes de ronins, samouraïs et autres mercenaires faute de pouvoir aspirer à autre chose. Deux excellents tomes encore une fois, sans aucun sur la capacité du duo composé par Shinya Umemura et Eiji Hashimoto à maintenir le même niveau pour les tomes à venir.

  • Les tomes 11 et 12 de Chiruran sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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La clinique pédiatrique du Docteur Goro Suzukake fourmille de vie, de destins qui auraient pu basculer et de parcours qui cherchent à se construire ou se reconstruire. Alors que l’on arrive aux 5ème et 6ème tomes des Enfants d’Hippocrate, chaque nouveau moment de lecture avec cette série s’apparente de plus en plus à un nouveau moment de vie, où l’on partage le quotidien en apparence anodin du personnel de cette clinique et des patients qui la visitent. Pour ce qui sera peut-être ma dernière chronique dans le monde médical dépeint par Toshiya Higashimoto, laissez-moi une nouvelle fois vous conter les joies et les peines de cette famille recomposée de professionnels de santé.

Le volume 5 des Enfants D’Hippocrate, à partir duquel cette chronique a été en partie écrite, a été envoyé par l’éditeur

Destins brisés / Vies à reconstruire

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Tomorin est sortie d’affaire. L’intervention chirurgicale réalisée par Hideki a permis d’enrayer la nécrose de l’entérocolite contractée par la jeune fille. Alors que le premier lui rappelle que son insouciance aurait pu lui coûter la vie, la seconde lui assène qu’il doit bien se moquer de ce qu’elle endure, lui qui est en bonne santé. Le jeune chirurgien, qui a vu tant de patient mourir se contente de répondre qu’il n’y a rien de plus précieux que la vie, puis quitte la pièce. Une conclusion qui met une nouvelle fois en lumière le caractère ambivalent et insaisissable d’Hideki, sans doute le personnage le plus complexe de cette histoire.

Avec la fin de cet arc concernant Tomorin, une nouvelle personnalité émerge de la foule de professionnels qui travaillent au sein de la clinique Suzukake : Iku Aoba, jeune femme exerçant la profession de Child Life Specialist, ou C.L.S . Il s’agit d’un métier neuf, encore peu reconnu dans de nombreux pays. A mi-chemin entre la psychologue, la thérapeute et l’auxiliaire de vie, Aoba accompagne les enfants au quotidien, afin de les aider à exprimer leurs émotions, gérer leur stress, et améliorer la communication avec le corps médical. A nos yeux profanes, ces fonctions semblent tout à fait avoir leur place au sein d’une clinique pédiatrique, d’autant que le manga met souvent l’accent sur la difficulté pour l’enfant et le médecin de se comprendre. Pourtant cela ne semble pas évident pour tout le monde. Une mère en désaccord avec l’approche thérapeutique d’Aoba vis à vis de son fils remet en cause son professionnalisme, alors qu’Hideki (encore lui), lui signifie de la plus froide des manières que son utilité au sein de la clinique est franchement contestable. Ébranlée dans ce qu’elle a de plus précieux, dans le sens qu’elle met dans son action, la jeune C.L.S va devoir faire un choix : Abandonner cette voie et suivre son compagnon dans une autre région afin de se marier et repartir de zéro, ou rester et faire valoir la spécificité de son rôle auprès des enfants. D’autant que Ren, le jeune garçon qu’Aoba prend en charge, fait de visibles progrès au fil de leurs séances…

Du poids d’être parent / De la douleur d’être enfant

Je l’ai déjà noté plusieurs fois au fur et à mesure de l’avancement de cette série, mais Hideki Suzukake, frère ainé du protagoniste est un personnage fascinant, à la fois criblé de failles et d’une force de caractère épatante. En parallèle de l’histoire d’Aoba, de nouveaux éléments nous parviennent concernant le passé de la famille Suzukake. On pensait jusqu’alors que c’était le décès de la mère des deux frères Hideki et Maco qui constituait le trauma à l’origine de la césure ayant eu lieu entre les frères, ainsi qu’entre les frères et leur père. Pourtant cette séparation est arrivée plus tôt encore, avec celle de leurs parents. Lorsque le couple rompt, Hideki doit partir vivre avec son père, et Maco reste vivre avec sa mère. Le choix n’est pas donné à Hideki, qui devra désormais suivre la route que Goro a tracée pour lui. Il deviendra médecin, alors que son rêve était plutôt…de jouer au base-ball.

Le plus déchirant dans l’histoire est qu’Hideki a non seulement renoncé à son rêve, mais l’a fait par amour pour son père, ou peut-être pour ne pas le décevoir. Ayant ainsi embrassé une vocation pour laquelle il n’avait aucune appétence, il achève d’accentuer le miroir inversé qu’il construit avec son frère. Car Maco lui, n’a pas de remords à avoir prêté le serment d’Hippocrate. Au contraire, il est pleinement en accord avec le chemin qu’il s’est tracé, et cela lui a permis de pardonner à son père. Goro Suzukake s’en trouve soulagé, mais il aurait préféré que cela se passe aussi facilement avec son fils ainé. Au cours d’un échange d’une grande âpreté, Hideki expose toutes ses contradictions, avec d’un côté les efforts qu’il met au service de son métier de chirurgien, comme pour se tenir au contrat qu’il a lié avec son père, et de l’autre le fait que tous ces effort n’auront au final aucune chance de réconcilier les deux hommes. Une colère froide s’empare d’Hideki, car il prend pleinement conscience que sa rancœur le consume, et l’infériorise par rapport à son père et son frère.

Car Goro s’emploie à plein temps pour réparer ses erreurs et demander pardon, pour faire tourner une clinique pédiatrique comme il l’avait promis à son ex-femme, et renouer un lien avec ses fils. Maco quant à lui, apparait comme apaisé, en pleine possession de ses moyens et renforcé dans sa vocation. Les doutes qui l’avaient saisi lors de la prise en charge de Tomorin sont derrière lui, car ses collègues au sein de la cliniques l’entourent et l’encouragent à progresser, chacune et chacun à leur manière. Il a su puiser les ressources dont il avait besoin en lui et auprès de son entourage. Il est désormais plus stable, plus fort que son frère.

Et pour la suite ?

Le focus de l’histoire semble maintenant se diriger vers Hideki et ses démons. Cela m’a surpris de voir Maco arriver aussi vite à une maturité qui laisse à penser que son développement est pour ainsi dire terminé. Le rythme de l’œuvre me laisse également à penser que Les Enfants d’Hippocrate ne sera peut-être pas une longue série. Le manga s’est installé dans un système narratif où deux arcs cohabitent en permanence : L’un concernant la famille Suzukake, et l’autre développant l’un des membres du personnel de la clinique. Dans le 6ème volume commence ainsi l’arc de Sonoko, infirmière au sein de la clinique et mère de deux adolescents. L’occasion de retrouver l’un des thèmes majeurs de l’œuvre, celui de la parentalité, mais aussi de laisser poindre l’idée qu’il ne reste que quelques variations sur les thématiques que Toshiya Higashimoto souhaite aborder avant de conclure son histoire. A moins d’un rebondissement majeur et d’une réinvention de ses enjeux narratifs, Les Enfants d’Hippocrate semble s’être engagé sur un chemin bien balisé jusqu’à son dénouement. Le Bateau de Thésée, précédente série de l’auteur, s’était conclue en dix volumes. Les Enfants d’Hippocrate suivront peut-être un chemin comparable, si l’arc d’Hideki parvient à sa conclusion d’ici là.

C’est en partie pour cela que je pense arrêter là mes chroniques régulières sur ce manga. Non pas que l’œuvre soit devenue ennuyeuse, au contraire, mais il m’apparaît que poursuivre cette série d’articles m’amènerait principalement à résumer son histoire, plutôt que de l’aborder sous le prisme analytique qui m’intéresse tant. Maintenant qu’elle est bien installée, il me semble que cette série mérite simplement d’être vécue plutôt que décortiquée. Que les émotions et les questionnements de ses personnages doivent se frayer un chemin jusqu’à vous sans que je n’aie à jouer un rôle d’intermédiaire qui pourrait, malgré moi, biaiser ou filtrer votre ressenti.

Merci à celles et ceux qui auront suivi cette série d’articles. J’espère qu’elle vous aura donné envie de découvrir Les Enfants d’Hippocrate, dans toute son humanité et sa sincérité. Je sais désormais que quoi qu’il arrivé, j’irai au bout de cette histoire, car elle a su me toucher, et m’inspirer. Et puis lorsqu’elle sera terminée, j’attendrai avec impatience le prochain manga de Toshiya Higashimoto, définitivement un auteur à part, et déjà une grande voix de ce medium.

  • Les tomes 5 et 6 des Enfants d’Hippocrate sont disponibles en librairie.
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Lors de ses derniers tomes, Ao Ashi a connu un tournant : l’histoire du jeune prodige du football imaginée par Yugo Kobayashi l’emmène un échelon au-dessus au sein de son club, avec l’équipe première des U18 où il découvre l’une des dernières étapes avant le monde professionnel. Une excuse pour lui offrir de nouveaux défis, mais aussi la preuve que l’auteur est capable, sans cesse, de renforcer les enjeux de son récit. Suite de cette nouvelle ère avec les tomes 13 et 14.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi du tome 13 par son éditeur.

Un caractère, faute d’une technique

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Ces derniers mois, on a vu dans Ao Ashi l’évolution rapide de Ashito. Son héros à la détermination sans faille s’est vu opposer de nombreux obstacles dont il est à chaque fois sorti grand gagnant, mais jamais sans gagner en maturité. C’est même devenu d’une certaine manière la thématique principale des derniers tomes, racontant un monde de jeunes footballeurs où la maturité des uns et des autres est essentielle pour se démarquer du lot. Si le talent joue, c’est le travail et la capacité à admettre ses faiblesses qui a permis à Ashito de passer outre les limites qui lui semblaient imposées. Désormais promu en équipe première des U18 (joueurs de moins de 18 ans), le graal avant d’espérer intégrer l’équipe professionnelle, le jeune joueur ne peut et ne doit compter que sur sa force de caractère, sa détermination et sa capacité à comprendre le jeu pour survivre. Parce qu’il découvre un monde où même le moins bon de l’équipe reste infiniment supérieur à lui, tant physiquement que techniquement. S’il est là pour apprendre, paradoxalement, ces deux tomes racontent aussi quelque chose d’étonnant : par sa fraîcheur et sa conception du football qui sort de l’ordinaire, Ashito finit par attirer le respect de ses nouveaux coéquipiers, qui réalisent finalement qu’eux-mêmes peuvent et doivent toujours se remettre en cause afin d’accepter leurs propres lacunes pour progresser, l’équipe première U18 n’étant pas un simple but à atteindre mais une étape. Ashito quitte vite son image de mouton noir du groupe, permettant au récit de ne pas s’embourber à nouveau dans un schéma qui a été vu et exploré il y a quelques tomes, où le héros tombe sur un obstacle et apprend doucement à le surmonter. Au contraire, on découvre un personnage plus sûr de lui, capable d’assimiler les choses assez rapidement et de tirer partie des compétences acquises précédemment pour s’en sortir.

Cela pousse d’ailleurs son entraîneur à remettre en place Akutsu, censé être un leader de la défense de l’équipe première, qui était irrité par Ashito. Une scène forte montre Fukuda, le coach, à lui remonter les bretelles en plein match, insistant un peu plus sur la nouvelle dynamique qui se met en place, où Ashito est désormais suffisamment bon et malin pour que les autres, y compris ceux qui jouent à un niveau supérieur, aient quelque chose à apprendre de lui. Cela offre un récit plus intense, bardé de scènes puissantes et parfois même touchantes, où le match qui y est raconté devient vite secondaire pour que l’on ne se concentre que sur le lien qui se forme entre le héros et ses nouveaux coéquipiers. Un lien qui passe cette fois-ci plus par l’entente footballistique que les liens d’amitié (au contraire des précédents tomes avec ses camarades habituels), poussant le personnage à mettre un premier pied dans ce qu’est réellement le football à haut niveau : un sport où l’entente est absolument indispensable sur le terrain, en jouant sur les qualités de chaque coéquipier, peu importe les relations en dehors du terrain. Akutsu, le patron de la défense, et Ashito n’ont rien de grands amis, mais cela ne doit pas les empêcher de jouer ensemble. C’est probablement une vision un peu cynique, mais qui trouve une réalité alors que l’histoire du football a été faite par de nombreux joueurs et joueuses qui n’ont jamais pu s’entendre en dehors du terrain (et qui se sont parfois fait de sacrés crasses) mais qui trouvaient une véritable entente, décisive pour leurs équipes, une fois les crampons et le maillot enfilés.

L’effort de groupe

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Et puis tous ces efforts laissent parfois place à de belles scènes de camaraderie avec ses potes du centre de formation, mais aussi et surtout des liens plus forts qui se forment entre certains d’entre eux, comme Togashi (toujours l’un des meilleurs personnages du manga) qui ravale sa fierté pour progresser en demandant des conseils à Ashito. Un personnage super intéressant qui convoque l’image du « délinquant » à la japonaise, espèce de biker sorti des années 1980 avec une banane improbable, mais qui s’était vite révélé comme un personnage sensible et profond. Ao Ashi n’est d’ailleurs jamais plus fort que lorsque son auteur y raconte cette bande de gamins aux rêves sans limites, soudés par la force des choses, alors que leurs personnalités atypiques les ont toujours mis en marge de leurs milieux respectifs. Et c’est pour ça que le manga brille une nouvelle fois sur les scènes du quotidien, hors-terrain, où la vie personnelle des jeunes joueurs est racontée. Un gros plus enfin pour les dessins de Yugo Kobayashi qui s’affinent de tome en tome, plus que jamais éclatants grâce à une mise en scène talentueuse. Il alterne avec une facilité déconcertante l’intensité des matchs et les scènes dramatiques du quotidien, toujours avide de quelques plans forts qui donnent plus de hauteur à sa narration.

Comme toujours, Yugo Kobayashi parvient à amener son manga sur de nouveaux terrains, de nouveaux enjeux avec la même soif de qualité. Ao Ashi est l’un des grands mangas de ces dernières années, grâce à sa bande de personnages terriblement attachants, et ses enjeux qui se renouvellent régulièrement pour éviter de tomber dans une routine qui ferait du mal à sa narration. Chaque nouvelle sortie est un petit plaisir, et ces deux derniers tomes en date ne dérogent pas à la règle. Si vous n’avez pas encore sauté le pas, foncez et découvrez Ao Ashi.

  • Les tomes 13 et 14 de Ao Ashi sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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Au Moyen-Âge, quand les moines scriptes s’ennuyaient lors des copies de livres médiévaux, il leur arrivait de glisser des mots ou des enluminures en marges des manuscrits. On pouvait trouver ainsi, à côté de textes très sérieux, une petite main dessinée pour désigner un passage important, une annotation du style « j’ai faim », des jeux de mots ou encore de nombreux dessins représentant des animaux communs ou fantastiques, des scènes de chasses… Ces ajouts s’appelaient « marginalia » ou « drôlerie » en raison de leur caractère souvent comique et satirique. Qui aurait pensé qu’un jour, ces marginalia inspireraient un jeu vidéo, créé par Yaza Games ?

C’est en réfléchissant à un prototype de jeu pour la fin d’études à la GameDev School de Pologne que les cinq étudiants du futur studio découvrent les enluminures médiévales, présentées par leur directrice artistique Dorota Halicka. C’est le déclic pour lancer la création du jeu Inkulinati, financé sur Kickstarter en 2020, et qui sort enfin sur Steam, GOG et Xbox.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé numérique du jeu sur Xbox Series S.

Un jeu de stratégie au tour par tour

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Victoire sur le champ de bataille !

Inkulinati se présente comme un jeu de stratégie, un peu similaire en esprit à un jeu d’échecs. La tactique avec plusieurs coups d’avance est largement de mise ! Les Inkulinati sont des enlumineurs capables d’utiliser une Encre vivante, donnant vie aux différents animaux et créatures sur les parchemins : lapins, renards, démons, têtes de lions, ânes… C’est également votre avatar en jeu, puisque vous pouvez choisir personnaliser votre Inkulinati avec trois modèles de personnages et quelques variables de couleurs.

Une fois la cinématique d’entrée (à mi-chemin entre l’esprit parodique des Monthy Python et le souvenir de la cinématique originelle de Resident Evil) passée, débutent les choses sérieuses. Un tutoriel, quelque peu laborieux, explique les différentes règles du jeu avant de vous permettre de jouer en duel local/en ligne ou de commencer l’aventure solo.

Chaque combat se présente sous la forme d’un parchemin en 2D, avec des lignes représentant différents niveaux (à l’instar du fameux jeu d’enfant avec les serpents et les échelles). Sur chaque ligne, quelques obstacles (armoires de vêtements, tonneaux pouvant exploser, feux…) et des taches d’encre, qui vous permettent de récupérer de l’Encre vivante afin de de dessiner vos personnages. Sur chaque niveau, les ennemis peuvent se présenter : des bêtes sauvages, ou encore l’Inkulinati adverse et ses personnages. A vous ensuite de lancer votre propre armée pour gagner le combat ! Mais encore une fois, tout est stratégie dans Inkulinati, et mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de lancer la moindre action.

Une armée de renards, de gargouilles, de squelettes et de démons

Votre mini-Inkulinati peut dessiner des personnages qui seront votre armée, mais peut également casser le 4e mur en se joignant au combat. Vous verrez alors la main de votre avatar apparaître pour déplacer le mini-Inkulinati, frapper un adversaire, soigner un de vos soldats, plonger l’ennemi dans le soleil… autant d’actions supplémentaires qui peuvent marquer le tournant d’une bataille. Mais attention, l’Inkulinati en face peut aussi vous jouer de sales tours avec ces capacités !

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – J’ai quand même un personnage qui s’appelle Choucroute.

L’armée à votre disposition, elle, peut se composer d’un nombre limité de personnages en même temps, à choisir parmi la quarantaine de personnages disponibles et débloqués au fur et à mesure du jeu. Chaque petit personnage a ses capacités : un lapin pourra péter pour étourdir l’ennemi, l’évêque soigner un allié, un renard archer attaquer plus loin qu’un simple chien chevalier cantonné à frapper d’un côté ou de l’autre de sa position, un démon pourra brûler ou faire saigner un adversaire… autant de possibilités et de subtilités à maîtriser pour sortir votre meilleur jeu face à l’ennemi. Et ce, sans oublier d’utiliser les décors, puisque vous pouvez vous protéger des tirs archers avec les armoires et portes, ou faire exploser des vasques enflammées.

Vous pensiez avoir toutes les cartes en main pour gagner un combat tranquillement ? Que nenni, puisqu’il faudra aussi composer avec des Apocalypses surgissant au bout de quelques Chapitres (les tours du jeu) qui peuvent brûler vos personnages à chaque extrémité des niveaux, gagnant de la place au fur et à mesure. Sans oublier les Crocs de l’enfer qui poursuivent vos personnages pour les tuer, les apparitions aléatoires d’objets et de taches d’encre, ou encore une dernière subtilité : vous pouvez pousser un adversaire – ou vous faire pousser – hors des marges du niveau, provoquant automatiquement la mort du personnage.

Une tactique exigeante, mais fun

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Illustration de l’humour du jeu

Comme je l’ai dit, le tutoriel est un peu rébarbatif et complexe à prendre en main. Car si le jeu se présente sous une apparence mignonne et drôle, il n’en est pas moins complexe à appréhender au début, pour mémoriser toutes les actions possibles. Les capacités propres à chaque ennemi peuvent être redoutables, surtout quand on le croise la première fois en jeu sans avoir eu d’informations sur lui. Les duels peuvent proposer des combats contre des bêtes sauvages : seule votre armée sera présente, pas votre Inkulinati, et il faudra alors tuer toutes les bêtes adversaires. Sinon, face à d’autres Inkulinati et boss, vous pourrez essayer de tuer directement l’Inkulinati adverse, ce qui vous fera gagner automatiquement le duel, même si son armée est encore présente.

Chaque combat gagné vous permet de récupérer un peu de vie et surtout des récompenses : pièces d’or, estime auprès du peuple, taches d’Encre vivante, ainsi que le fait de débloquer de nouveaux animaux et de nouvelles bêtes fantastiques pour votre armée, ou des nouvelles capacités pour vos Inkulinati. En cas d’échec, il faudra compter sur vos plumes restantes qui symbolisent votre vie : quand vous n’en avez plus, vous recommencez votre épopée à zéro. Mais vous débloquerez de nouvelles créatures et capacités vous permettant de recommencer avec plus de chances de gagner. Une raison de plus pour souligner à quel point la stratégie ne doit pas être prise à la légère pour arriver à passer les quelques niveaux qui composent le jeu.

Un humour et une direction artistiques franchement réussis

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Un exemple des références historiques pour créer les lapins en jeu

Au-delà du gameplay et des mécanismes des combats, Inkulinati a sa petite histoire. Le mini-Inkulinati que vous jouez aspire à être un Maître Enlumineur, mais le Maître qui vous sert de mentor meurt brutalement. Ni une ni deux, vous décidez de partir défier la Mort pour le ressusciter, ce qui n’est possible qu’à condition de vaincre d’autres Maîtres Inkulinati et la Mort elle-même. En chemin, vous aurez droit à l’humour potache, un peu absurde et surtout très moyenâgeux du jeu, avec quelques choix de répliques bien placées. Honnêtement, elles prêtent beaucoup à sourire, tout comme certaines lignes de dialogues de combat, telles que « Pour les mânes perdus en enfer ! » « Que trépasse si je faiblis ! ». La traduction française est très fidèle et vous retransmettra parfaitement l’esprit médiéval et un peu barré du jeu.

Le plus savoureux étant que tout cela est vraiment inspiré des croyances de l’époque médiévale et reposent sur des recherches historiques rigoureuses, afin de retransmettre l’esprit des marginalia déjà satiriques en elles-mêmes. Oui, on pouvait vraiment trouver des combats entre animaux et êtres humains, des escargots menaçants, des lapins péteurs (ou pire…) dans les enluminures du Moyen-Age. L’imagination des copistes était très fantasque !

Autant dire qu’entre la direction artistique très fidèle qui fait vivre les enluminures de l’époque, et le côté addictif des combats stratégiques dès qu’on les maîtrise bien, Inkulinati propose vraiment un jeu indépendant drôle et charmant, où l’apparence mignonne dissimule des combats plus meurtriers et acharnés qu’on ne pourrait le croire. Un autre aspect bien pensé est l’écriture qui parcourt le manuscrit en arrière-plan, au fur et à mesure du combat : si vous lisez l’anglais, vous verrez que le texte commente votre combat en cours, nommant vos personnages aux noms d’un gothique suranné.

Conclusion

Inkulinati est le premier jeu du studio polonais Yaza Games, et c’est une réussite artistique. Les seuls reproches que l’on pourrait donner, concernant la lisibilité du jeu et la difficulté. Le titre a été pensé sur PC avant tout, et sur console, où on est généralement plus loin de l’écran, il est parfois difficile de lire clairement les nombreux textes de description qui parcourent le jeu. Le champ de bataille aurait aussi gagné à être plus lisible et clair, tant il peut y avoir d’éléments sur le terrain. Quant à la difficulté, même en facile, elle reste corsée. J’ai fait plusieurs runs et ne suis parvenue qu’une fois à Mortis, boss final de la Mort, et je me demande encore comment il est possible de la vaincre ! Il faut donc aimer le côté stratégique et maîtriser chaque aspect du jeu.

Outre ces quelques aspects plus négatifs, Inkulinati vaut vraiment le détour par son originalité, à condition de ne pas être rebuté par le côté stratégie au tour par tour. Alors, si vous êtes curieux, si vous avez envie de voir des enluminures vivre sous vos yeux, des lapins s’affronter à coups d’é(pet) ou être avalés par des escargots, ou jurer quand votre adversaire vous pousse dans les flammes de l’Apocalypse, foncez découvrir Inkulinati !

  • Inkulinati est disponible sur Steam, GOG et Xbox One et Series depuis le 31 janvier 2023.

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Le mois dernier, les sorties DC Infinite chez Urban Comics s’illustraient notamment pour l’arrivée enfin du premier tome de Dark Crisis on Infinite Earths, la première grande crise suite à l’arrivée de l’ère Infinite. Et si j’attends avec impatience la suite, il y a en ce mois de février quelque chose d’encore plus intéressant : la suite du Batman Detective Infinite de Mariko Tamaki, qui est jusque là l’une des meilleures séries actuelles de DC, et l’arrivée de Chip Zdarsky sur la série principale Batman, renommée pour l’occasion Batman Dark City, qui reprend la main après Joshua Williamson.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Detective Infinite – Tome 4, tour abandonnée

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Suite et fin de l’arc sur la Tour d’Arkham, Mariko Tamaki abat ses dernières cartes dans un arc qui aura poussé son récit à multiplier les situations complexes pour ses personnages. Jouant parfois sur les codes de l’horreur, l’autrice en remet une couche dans un dénouement où la supercherie du Dr Wear est révélée. Pour rappel, cette intrigue tournait autour d’une Tour créée pour remplacée l’Asile d’Arkham qui a été détruit au début de l’ère Infinite (cf. Batman Infinite T1) où un médecin un peu sorti de nulle part prétendait avoir trouvé un remède miracle pour « sauver » les vilain·nes les plus terrifiant·es de Gotham. Au-delà de l’aspect très problématique du rapport de ce médecin aux troubles mentaux, c’était vite révélé comme une grande arnaque fomentée par un homme en quête d’argent public, décidé à convaincre la ville d’y investir des fonds conséquents avant de pouvoir se faire la malle avec l’argent. Mais les choses ont évidemment mal tourné, tout s’enflamme, Huntress et Nightwing se retrouvent piégé·es au sein de la Tour tandis que les pensionnaires les plus dangereux·euses d’Arkham retrouvent toutes leurs facultés pour terroriser celles et ceux qui sont encore présentes. L’ambiance horrifique est contrebalancée par le drame vécu par le maire Nakano, dont la femme est enfermée également à la Tour, alors qu’elle était aussi présente quand tout a déraillé, apportant une touche dramatique, presque tragique où les intérêts personnels priment soudainement et empêchent l’intrigue de tomber dans l’écueil d’une énième et simple histoire où tout part en sucette à Arkham. Plus que jamais, il y a quelque chose d’authentique et de personnel au récit, où les pensionnaires d’Arkham ne sont pas vus que comme de simples criminel·les dont on peut disposer sans mal, la plupart des résident·es étant terrorisé·es par une poignée de vilain·nes auxquel·les ils·elles n’auraient jamais dû être mêlé·es. C’est une conclusion satisfaisante qui convoque la plupart des personnages de la Bat-family, avec quelques très jolies scènes et une vraie réussite sur l’aspect horrifique.

Et puis, comme un baroud d’honneur alors que Mariko Tamaki conclut son run sur Detective Comics, avant de passer la main à Ram V pour la suite, elle enchaîne sur une histoire courte en trois numéros où le Sphinx (le Riddler) réapparaît et se met à poser des questions autour de la notion de criminel. Des questions pertinentes après tous les évènements de la Tour d’Arkham, avec ce que cela implique sur le concept de criminalité et sur la capacité de chacun·e à, du jour au lendemain, commettre des crimes sous la pression d’autres personnes. Si la réflexion ne va pas très loin, elle a le mérite de confronter les héros et héroïnes à des « criminel·les » atypiques, des personnes insoupçonné·es, qui les emmènent loin des éternels combats contre des vilain·nes aux intentions évidentes. Plus léger narrativement que la Tour d’Arkham, ces trois numéros constituent toutefois une bonne conclusion à un run de Mariko Tamaki sur Detective Comics où elle n’a cessé de jouer avec les limites entre innocence et criminalité, sincérité et mensonge. C’est plutôt dommage qu’elle quitte déjà la série, car elle avait en parallèle initié des choses intrigantes avec Huntress, mais difficile de ne pas être curieux avec l’arrivée de Ram V à l’écriture.

Batman Dark City – Tome 1, le danger Batman

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Derrière son sous-titre Dark City, on trouve en réalité la suite de la continuité principale de la série Batman (qui aurait donc pu se nommer Batman Infinite T5), alors que Chip Zdarsky en a récupéré l’écriture en compagnie de Jorge Jimenez aux dessins.  Et tout commence évidemment mal pour son Batman : il est accusé du meurtre de Cobblepot, le Pingouin. Ce dernier, en fin de vie, piège effectivement Batman pour qu’il soit trouvé par un témoin sur le lieu de sa mort, comme un dernier « cadeau » à son ennemi de toujours qui devient aux yeux du monde un meurtrier. Et Batman n’a pas beaucoup de temps pour prouver son innocence car il est rapidement pris en chasse par Failsafe, sorte de robot à l’intelligence artificielle redoutable qui a été créée par Batman lui-même pour être capable de le neutraliser au cas où il perdrait la tête et utiliserait ses capacités à mauvais escient. Plus exactement, c’est son subconscient incarné par Batman Zur-en-arrh, une émanation de sa personnalité qu’il s’est forgé pour résister aux tortures mentales, qui a créé Failsafe. C’était sa réponse à l’époque quand, au travers de flashbacks, on voit que Superman découvrait que Bruce Wayne avait des dossiers sur tous les membres de la Justice League avec des explications sur leurs faiblesses et la manière de les neutraliser si nécessaire. Sorte de dossiers paranoïaques où Bruce Wayne, qui n’a jamais eu pleinement confiance dans les personnes dotées de pouvoirs, imaginait des solutions au cas où ces héros et héroïnes se retournaient contre leurs allié·es. En réponse, le subconscient de Bruce Wayne/Batman a imaginé une manière de se neutraliser lui-même. Batman Zur-en-arrh est une émanation très froide de sa personnalité, dépourvue d’émotions et de faiblesses, qui a ainsi créé un robot pratiquement increvable.

C’est donc une opposition intéressante : Batman est confronté au fruit de sa propre ingéniosité, un ennemi potentiellement même plus fort que lui, puisqu’il a son intelligence sans ses limites physiques. Si la structure de l’opposition n’invente rien de très novateur, elle offre tout de même un combat assez épique qui emmène Batman jusque dans l’espace, une longue traque où Batman, la Justice League et la Bat-family y laissent des plumes. Le récit est également entrecoupé de quelques épisodes de Batman Back-upChip Zdarsky imagine la manière dont Bruce Wayne s’est créé cette conscience alternative de « Batman Zur-en-arrh » qui incarne une colère froide, sans compassion. Un cheminement personnel et douloureux où l’auteur s’amuse à jouer avec les intentions et le psyché du héros, éclaircissant largement l’intrigue principale et les difficultés de Batman à trouver des solutions face à son robot. Le tome se termine d’ailleurs sur un cliffhanger monumental qui donne très envie de lire la suite. Et au milieu de tout ça se glissent d’autres Batman Back-up, cette fois-ci centrés sur une Catwoman qui enquête sur la famille du Pingouin/Cobblepot suite à sa mort. Un récit bien mené qui offre un second regard sur les évènements de Dark City.

  • Batman Detective Infinite T4 et Batman Dark City T1 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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