Inkulinati | Quand les enluminures s’animent

par Hauntya

Au Moyen-Âge, quand les moines scriptes s’ennuyaient lors des copies de livres médiévaux, il leur arrivait de glisser des mots ou des enluminures en marges des manuscrits. On pouvait trouver ainsi, à côté de textes très sérieux, une petite main dessinée pour désigner un passage important, une annotation du style « j’ai faim », des jeux de mots ou encore de nombreux dessins représentant des animaux communs ou fantastiques, des scènes de chasses… Ces ajouts s’appelaient « marginalia » ou « drôlerie » en raison de leur caractère souvent comique et satirique. Qui aurait pensé qu’un jour, ces marginalia inspireraient un jeu vidéo, créé par Yaza Games ?

C’est en réfléchissant à un prototype de jeu pour la fin d’études à la GameDev School de Pologne que les cinq étudiants du futur studio découvrent les enluminures médiévales, présentées par leur directrice artistique Dorota Halicka. C’est le déclic pour lancer la création du jeu Inkulinati, financé sur Kickstarter en 2020, et qui sort enfin sur Steam, GOG et Xbox.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé numérique du jeu sur Xbox Series S.

Un jeu de stratégie au tour par tour

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Victoire sur le champ de bataille !

Inkulinati se présente comme un jeu de stratégie, un peu similaire en esprit à un jeu d’échecs. La tactique avec plusieurs coups d’avance est largement de mise ! Les Inkulinati sont des enlumineurs capables d’utiliser une Encre vivante, donnant vie aux différents animaux et créatures sur les parchemins : lapins, renards, démons, têtes de lions, ânes… C’est également votre avatar en jeu, puisque vous pouvez choisir personnaliser votre Inkulinati avec trois modèles de personnages et quelques variables de couleurs.

Une fois la cinématique d’entrée (à mi-chemin entre l’esprit parodique des Monthy Python et le souvenir de la cinématique originelle de Resident Evil) passée, débutent les choses sérieuses. Un tutoriel, quelque peu laborieux, explique les différentes règles du jeu avant de vous permettre de jouer en duel local/en ligne ou de commencer l’aventure solo.

Chaque combat se présente sous la forme d’un parchemin en 2D, avec des lignes représentant différents niveaux (à l’instar du fameux jeu d’enfant avec les serpents et les échelles). Sur chaque ligne, quelques obstacles (armoires de vêtements, tonneaux pouvant exploser, feux…) et des taches d’encre, qui vous permettent de récupérer de l’Encre vivante afin de de dessiner vos personnages. Sur chaque niveau, les ennemis peuvent se présenter : des bêtes sauvages, ou encore l’Inkulinati adverse et ses personnages. A vous ensuite de lancer votre propre armée pour gagner le combat ! Mais encore une fois, tout est stratégie dans Inkulinati, et mieux vaut y réfléchir à deux fois avant de lancer la moindre action.

Une armée de renards, de gargouilles, de squelettes et de démons

Votre mini-Inkulinati peut dessiner des personnages qui seront votre armée, mais peut également casser le 4e mur en se joignant au combat. Vous verrez alors la main de votre avatar apparaître pour déplacer le mini-Inkulinati, frapper un adversaire, soigner un de vos soldats, plonger l’ennemi dans le soleil… autant d’actions supplémentaires qui peuvent marquer le tournant d’une bataille. Mais attention, l’Inkulinati en face peut aussi vous jouer de sales tours avec ces capacités !

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – J’ai quand même un personnage qui s’appelle Choucroute.

L’armée à votre disposition, elle, peut se composer d’un nombre limité de personnages en même temps, à choisir parmi la quarantaine de personnages disponibles et débloqués au fur et à mesure du jeu. Chaque petit personnage a ses capacités : un lapin pourra péter pour étourdir l’ennemi, l’évêque soigner un allié, un renard archer attaquer plus loin qu’un simple chien chevalier cantonné à frapper d’un côté ou de l’autre de sa position, un démon pourra brûler ou faire saigner un adversaire… autant de possibilités et de subtilités à maîtriser pour sortir votre meilleur jeu face à l’ennemi. Et ce, sans oublier d’utiliser les décors, puisque vous pouvez vous protéger des tirs archers avec les armoires et portes, ou faire exploser des vasques enflammées.

Vous pensiez avoir toutes les cartes en main pour gagner un combat tranquillement ? Que nenni, puisqu’il faudra aussi composer avec des Apocalypses surgissant au bout de quelques Chapitres (les tours du jeu) qui peuvent brûler vos personnages à chaque extrémité des niveaux, gagnant de la place au fur et à mesure. Sans oublier les Crocs de l’enfer qui poursuivent vos personnages pour les tuer, les apparitions aléatoires d’objets et de taches d’encre, ou encore une dernière subtilité : vous pouvez pousser un adversaire – ou vous faire pousser – hors des marges du niveau, provoquant automatiquement la mort du personnage.

Une tactique exigeante, mais fun

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Illustration de l’humour du jeu

Comme je l’ai dit, le tutoriel est un peu rébarbatif et complexe à prendre en main. Car si le jeu se présente sous une apparence mignonne et drôle, il n’en est pas moins complexe à appréhender au début, pour mémoriser toutes les actions possibles. Les capacités propres à chaque ennemi peuvent être redoutables, surtout quand on le croise la première fois en jeu sans avoir eu d’informations sur lui. Les duels peuvent proposer des combats contre des bêtes sauvages : seule votre armée sera présente, pas votre Inkulinati, et il faudra alors tuer toutes les bêtes adversaires. Sinon, face à d’autres Inkulinati et boss, vous pourrez essayer de tuer directement l’Inkulinati adverse, ce qui vous fera gagner automatiquement le duel, même si son armée est encore présente.

Chaque combat gagné vous permet de récupérer un peu de vie et surtout des récompenses : pièces d’or, estime auprès du peuple, taches d’Encre vivante, ainsi que le fait de débloquer de nouveaux animaux et de nouvelles bêtes fantastiques pour votre armée, ou des nouvelles capacités pour vos Inkulinati. En cas d’échec, il faudra compter sur vos plumes restantes qui symbolisent votre vie : quand vous n’en avez plus, vous recommencez votre épopée à zéro. Mais vous débloquerez de nouvelles créatures et capacités vous permettant de recommencer avec plus de chances de gagner. Une raison de plus pour souligner à quel point la stratégie ne doit pas être prise à la légère pour arriver à passer les quelques niveaux qui composent le jeu.

Un humour et une direction artistiques franchement réussis

© Inkulinati, Yaza Games, 2023 – Un exemple des références historiques pour créer les lapins en jeu

Au-delà du gameplay et des mécanismes des combats, Inkulinati a sa petite histoire. Le mini-Inkulinati que vous jouez aspire à être un Maître Enlumineur, mais le Maître qui vous sert de mentor meurt brutalement. Ni une ni deux, vous décidez de partir défier la Mort pour le ressusciter, ce qui n’est possible qu’à condition de vaincre d’autres Maîtres Inkulinati et la Mort elle-même. En chemin, vous aurez droit à l’humour potache, un peu absurde et surtout très moyenâgeux du jeu, avec quelques choix de répliques bien placées. Honnêtement, elles prêtent beaucoup à sourire, tout comme certaines lignes de dialogues de combat, telles que « Pour les mânes perdus en enfer ! » « Que trépasse si je faiblis ! ». La traduction française est très fidèle et vous retransmettra parfaitement l’esprit médiéval et un peu barré du jeu.

Le plus savoureux étant que tout cela est vraiment inspiré des croyances de l’époque médiévale et reposent sur des recherches historiques rigoureuses, afin de retransmettre l’esprit des marginalia déjà satiriques en elles-mêmes. Oui, on pouvait vraiment trouver des combats entre animaux et êtres humains, des escargots menaçants, des lapins péteurs (ou pire…) dans les enluminures du Moyen-Age. L’imagination des copistes était très fantasque !

Autant dire qu’entre la direction artistique très fidèle qui fait vivre les enluminures de l’époque, et le côté addictif des combats stratégiques dès qu’on les maîtrise bien, Inkulinati propose vraiment un jeu indépendant drôle et charmant, où l’apparence mignonne dissimule des combats plus meurtriers et acharnés qu’on ne pourrait le croire. Un autre aspect bien pensé est l’écriture qui parcourt le manuscrit en arrière-plan, au fur et à mesure du combat : si vous lisez l’anglais, vous verrez que le texte commente votre combat en cours, nommant vos personnages aux noms d’un gothique suranné.

Conclusion

Inkulinati est le premier jeu du studio polonais Yaza Games, et c’est une réussite artistique. Les seuls reproches que l’on pourrait donner, concernant la lisibilité du jeu et la difficulté. Le titre a été pensé sur PC avant tout, et sur console, où on est généralement plus loin de l’écran, il est parfois difficile de lire clairement les nombreux textes de description qui parcourent le jeu. Le champ de bataille aurait aussi gagné à être plus lisible et clair, tant il peut y avoir d’éléments sur le terrain. Quant à la difficulté, même en facile, elle reste corsée. J’ai fait plusieurs runs et ne suis parvenue qu’une fois à Mortis, boss final de la Mort, et je me demande encore comment il est possible de la vaincre ! Il faut donc aimer le côté stratégique et maîtriser chaque aspect du jeu.

Outre ces quelques aspects plus négatifs, Inkulinati vaut vraiment le détour par son originalité, à condition de ne pas être rebuté par le côté stratégie au tour par tour. Alors, si vous êtes curieux, si vous avez envie de voir des enluminures vivre sous vos yeux, des lapins s’affronter à coups d’é(pet) ou être avalés par des escargots, ou jurer quand votre adversaire vous pousse dans les flammes de l’Apocalypse, foncez découvrir Inkulinati !

  • Inkulinati est disponible sur Steam, GOG et Xbox One et Series depuis le 31 janvier 2023.

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