Chiruran – Tomes 11 et 12 | L’histoire de grands duels

par Anthony F.

La période du bakumatsu est, dans l’histoire du Japon, quelque chose de passionnant. Un moment où le shogunat, régime féodal d’antan subissait au sein d’un chaos ambiant de grands bouleversements pour l’avenir du pays. Au milieu, le shinsen gumi que raconte Chiruran, groupe de samouraïs qui allait être chargé de la protection du pouvoir en place au milieu des nombreuses conspirations. Un contexte parfait pour Eiji Hashimoto et Shinya Umemura et leur bande de guerriers hargneux, avec deux nouveaux tomes qui racontent la guerre totale entre les héros et le Mito tengu-to, des mercenaires envoyés par leur frère ennemi Kamo Serizawa.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi du tome 11 par l’éditeur.

Un duel pour l’avenir du Japon ?

Shinya Umemura propose deux tomes à l’écriture très rythmée. L’opposition débutée dans le tome 10 entre le clan de Isami Kondo, et celui de Kamo Serizawa, déclenche enfin la guerre attendue. Le Shinsen gumi règle ses comptes avec les « sept démons » du Mito tengu-to (une bande de mercenaires) en tentant de s’approcher de Serizawa, ce qui donne lieu à un feu d’artifice de scènes d’action et de combats tendus, où l’écriture brille tout particulièrement dans l’humanisation des « démons ». En effet, on découvre page après page les origines de ces personnages initialement présentés comme des guerriers sanguinaires, sans foi ni loi, des origines souvent tragiques où des gamins qui n’avaient pas un rond ni aucune famille finissent par rejoindre des bandes mercenaires en espérant faire quelque chose de leur vie. L’auteur raconte ainsi la misère du Japon à l’époque du bakumatsu où, derrière les guerres fratricides pour le pouvoir se cachaient souvent des guerriers qui prenaient part aux combats parce qu’ils n’avaient rien d’autre, aucun espoir ni aucun futur. Et plus que jamais, Chiruran est terriblement juste dans cette humanisation. Chaque rencontre, chaque mise à mort (souvent cruelle) donne un nouveau regard sur un peuple qui souffre, évitant de faire tomber ces personnages dans une simple fonction d’obstacle pour la quête d’ascension du héros, Toshizo Hijikata.

La narration se place à plusieurs endroits en même temps, les membres du clan étant séparés pour faire face à la menace qui vient de partout : cela donne quelques oppositions assez géniales, comme celles d’un maître contre son élève, où se révèle un passé tragique où le maître a abandonné son élève pour ne pas céder à l’amour qu’il éprouvait pour lui, mais aussi une opposition contre un ancien membre de l’armée française qui semble être devenu un redoutable mercenaire. Comme à leur habitude, Shinya Umemura et Eiji Hashimoto imaginent des personnages à l’allure imposante, parfois effrayante, des vraies « gueules » sorties d’un imaginaire qui emprunte beaucoup au cinéma. Certes, Chiruran n’apporte pas beaucoup d’originalité dans son récit du bakumatsu, qui a déjà inspiré un paquet d’œuvres. Mais c’est son rythme, sa manière de raconter les individualités plus que les grands plans politiques, et le quotidien de celles et ceux qui sont tout en bas de l’échelle qui font de Chiruran une œuvre tout à fait passionnante. Plus que des combats très stylisés, c’est une véritable opposition entre le pouvoir et le peuple qui se met à l’œuvre, où le héros n’est pas forcément du côté du peuple. En effet, les ambitions de Toshizo Hijikata et du Shinsen gumi lorgnent plutôt du côté de la politique et du pouvoir.

Un destin scellé

Depuis ses débuts et le tout premier tome dont je parlais déjà à l’époque sur Pod’culture, Chiruran s’illustrait tout particulièrement pour sa représentation visuelle des affrontements. Des dessins grandiloquents, des effets de style, un découpage extrêmement rythmé et des combats qui restent toujours lisibles. Autant de qualités que l’on retrouve évidemment dans ces tomes 11 et 12, les combats ne perdant rien de leur beauté. Ces duels sont nombreux mais la lassitude n’arrive jamais, car rien ne se ressemble. Il y a toujours un petit truc, une astuce, qui modifie le cours des évènements et qui permet à l’auteur de raconter ses combats différemment, et au dessinateur de les mettre en image sans se répéter. C’est très honnêtement un vrai tour de force pour un manga qui se repose autant sur ses combats. Après 12 tomes, je n’ai jamais eu l’impression de revoir la même chose, le duo de mangaka ayant une vraie faculté à se renouveler et surtout, à apporter toujours une belle note tragique aux affrontements, lorgnant souvent du côté du cinéma de samouraï en y incorporant une certaine modernité.

Toujours l’un des meilleurs mangas sortis ces dernières années à mes yeux, Chiruran continue d’être un vrai ravissement dans son approche du bakumatsu, une ère décisive de l’histoire japonaise qui a attirée de nombreux·euses créateur·ices (autant au cinéma qu’en manga, en roman, ou même du côté des jeux vidéo). Sa manière d’aborder cette époque se fait évidemment sous l’angle des guerres fratricides qui l’ont marquée, mais aussi avec une belle humanité, proche d’un peuple pris en tenaille pour qui la voie du sabre, avec des gamins qui finissent par rejoindre des bandes de ronins, samouraïs et autres mercenaires faute de pouvoir aspirer à autre chose. Deux excellents tomes encore une fois, sans aucun sur la capacité du duo composé par Shinya Umemura et Eiji Hashimoto à maintenir le même niveau pour les tomes à venir.

  • Les tomes 11 et 12 de Chiruran sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.

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