DC Infinite #08 | En voie de renouveau ?

par Anthony F.

Les mois passent et ne se ressemblent pas trop. Si l’on peut admirer quelque chose sur l’ère Infinite de DC Comics, c’est que les différentes séries arrivent à se renouveler d’un mois à l’autre, même si l’ensemble manque pour le moment d’un grand récit marquant. Est-ce que l’on va, ce mois-ci, enfin trouver la perle rare, celle qui nous fera comprendre que Infinite est un véritable renouveau pour un éditeur qui a tendance à se répéter ces dernières années ? Peut-être, parce qu’on trouve notamment au programme la fin du travail de James Tynion IV sur Joker Infinite, après avoir terminé son run sur Batman Infinite, et avec l’arrivée, justement, de Joshua Williamson sur le Chevalier noir.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Infinite – Tome 4, le renouveau signé Williamson

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Joshua Williamson, grand architecte du récit général d’Infinite et Jorge Molina succèdent à James Tynion IV et Jorge Jimenez. Le run de James Tynion IV, dont on a largement parlé ces dernières mois au cours des précédents numéros de notre chronique mensuelle, a eu quelques bonnes idées. Avec son ambiance quasi-cyberpunk, on a eu droit à quelque chose qui arrivait à être assez frais à certains moments, même si l’auteur n’a jamais réellement su proposer de grande aventure pour le Chevalier noir. Toute l’intrigue autour du Magistrat a d’ailleurs fini par tomber à plat (malgré l’excellent premier tome au ton horrifique) alors la reprise par Williamson laisse espérer quelque chose de différent. Et très vite, l’auteur star de DC Comics qui chapeaute depuis le début l’ère Infinite met de côté le ton cyberpunk pour revenir à quelque chose de plus gothique, plus habituel pour Batman, en racontant les suites de l’état de terreur, l’arc autour du Magistrat, avec une Gotham qui tente de se relever et de revivre, cherchant plus de liberté, même si tout le monde se doute que ce n’est qu’un état passager avant l’arrivée d’une nouvelle menace. Batman se remet en retrait, il s’éloigne (littéralement) de Gotham dans une intrigue qui l’envoie en « Badhnisie », État fictif en Asie. Il y retrouve la Batman Incorporated, une équipe de super-héro·ïne·s qui désigné·e·s comme responsables d’un meurtre. Une intrigue vite expédiée mais plutôt sympathique, où l’on trouve le vilain nommé Abyss, très réussi, offrant un tome super rythmé. On peut toutefois s’interroger sur ce pays fictif, éternel écueil des comics où, quand les héro·ïne·s quittent les États-Unis pour un pays d’Asie, c’est toujours un pays décrit comme plein de criminalité, de violences, avec un peuple sans foi ni loi, un peu comme Madripoor chez Marvel. Facile et un tantinet raciste, les héro·ïne·s viennent mettre sur la gueule des méchants et donnent la leçon aux locaux avant de rentrer à la maison (où l’on trouve les mêmes problèmes de criminalité, sans étranger pour venir faire la leçon).

Plus généralement cette intrigue sert de grande introduction à Batman Shadow War qui débarque bientôt, un évènement censé mettre Batman face au retour de Deathstroke. On est face à un tome de transition donc, où Williamson se pose tranquillement le temps de mettre ses billes en place. Pourtant, c’est une lecture agréable, qui manque peut-être d’impact, mais qui a le mérite d’être rythmée. D’autant plus que le style visuel de Jorge Molina est très beau, un vrai plaisir pour les yeux après les précédents tomes plus classiques chapeautés par Jorge Jimenez. Avec un style plus authentique, plus pictural, il donne à l’image un cachet agréable, offrant de très belles choses pour les yeux. Enfin, un dernier chapitre conclut le tome en guise de « backup » (présent en VO à la fin du Batman #119), hors-continuité, où une gamine nommée Mia Mizoguchi se retrouve à aider Batman face à des Kappa, créatures mythologiques japonaises. Une narration dans le style d’un « livre dont vous êtes le héros » qui offre un ton résolument enfantin mais accrocheur, très original, qui rappelle à quel point la densité de l’univers de Batman permet d’imaginer de choses inattendues. Une belle leçon pour la plupart des personnes qui bossent sur le personnage depuis des années sans vraiment sortir des clous de récits efficaces mais sans folie.

Joker Infinite – Tome 3, une dernière traque

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Juste après la conclusion du run de James Tynion IV sur Batman, c’est son Joker qui prend fin. Plus intéressé par Jim Gordon, le commissaire le plus célèbre de Gotham, que par le clown, Tynion IV avait réussi à, plus ou moins habilement, raconter les limites morales auxquelles se soumet le flic face à son ennemi ultime, celui qui est responsable du délitement de sa famille, du traumatisme de sa fille et des horreurs traversées par Gotham depuis des décennies. Ce troisième et ultime tome vient donc mettre un point final à la chasse au Joker par Gordon, trouvant enfin la réponse à la question en suspend depuis le premier tome : peut-il, lui qui est droit dans ses bottes, tuer le Joker de sang froid ? Une question pas vraiment finaude mais qui a le mérite de remettre en question la droiture du personnage de Gordon, toujours présenté comme un flic modèle au milieu d’une police pourtant corrompue et capable des pires crimes. Plus que jamais c’est ses valeurs, ses croyances d’antan (que Gotham peut s’améliorer) qui disparaissent, alors que l’espoir laisse place à une réalité bien sordide. Notamment avec une histoire qui se conclut sur les déboires de la famille Sampson, une famille de cannibales, où se termine mal un récit qui ne pouvait pas faire autrement.

Quand je dis mal, c’est évidemment parce que ce final est horrible : glauque au possible, il permet toutefois d’apporter une certaine grandeur à Gordon après deux tomes où il semblait oublier qui il est. Dessiné par Giuseppe Camuncoli, ce grand final manque toutefois de finesse visuelle, pour un artiste qui peine à trouver l’équilibre entre la folie incarnée du Joker et le rationnel espéré par le héros. C’est, toutefois, un tome qui offre une belle conclusion à cette histoire à laquelle je ne croyais pas tant que ça avant la lecture, mais qui s’est avérée finalement plutôt sympathique. Une lecture détente qui permet, en partie, de tirer un trait sur les traumatismes de la famille Gordon, en espérant que ses membres (Jim et Barbara) pourront exister au travers d’autres thématiques à l’avenir. Notons enfin que ce troisième tome s’ouvre sur un premier chapitre dessiné par le fantastique Francesco Francavilla (ce qui est d’un autre niveau que les chapitres de Camuncoli), et se termine sur un chapitre de l’anthologie Batman Black & White écrit par Lee Weeks, où, dans quelques pages sublimes visuellement, il raconte le rapport de Gordon au fameux Batsignal qui lui permet de faire appel au Chevalier Noir. Un chapitre très malin avec une narration solide.

Nightwing Infinite – Tome 2, la pépite

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Déjà très emballé à la sortie du premier tome de Nightwing, pour un personnage qui m’inspire assez peu d’intérêt d’habitude, je dois bien avouer que cette suite tape encore plus fort. Et cette première bonne impression est due à une chose en particulier : le brillant épisode #87 qui ouvre le livre, un numéro nommé aux Eisner Awards. Un moment où le duo formé par Tom Taylor (à l’écriture) et Bruno Redondo (au dessin) montre leur héros, Nightwing/Dick Grayson, averti par Barbara Gordon d’une menace qui plane sur lui. En effet, suite au premier tome où Dick avait déclaré à visage découvert vouloir utiliser sa fortune fraîchement acquise pour les plus pauvres, une cabale s’engage contre lui par des puissants qui n’aiment pas trop le projet. Averti donc de l’arrivée de meurtriers, il s’échappe dans une succession de scènes qui forment un grand tout, une unique (très longue) page où le dessin ne s’arrête jamais. Véritable œuvre d’art qui est ici découpée en une vingtaine de pages, nécessaire compte tenu du format de publication, Urban Comics a eu la bonne idée d’y inclure un QR Code qui mène à la page complète, sans coupure. Non seulement c’est une prouesse visuelle, mais c’est en plus d’une qualité assez folle en matière de rythme et d’action, avec une élégance qui n’a d’égal que la finesse du trait de Bruno Redondo.

Passé cette introduction très impressionnante, on retrouve l’intrigue autour du refuge aidant les gamins de Blüdhaven, que Nightwing souhaite créer pour aider les plus pauvres. L’occasion aussi d’humaniser le personnage en le rapprochant de son vieil ami, Wally West (Flash), qui fait son apparition, mais aussi avec des moments plutôt touchants où Dick retrouve Jon, le fils de Superman. Chargé de le protéger lorsque Superman a quitté la Terre, on le voit là le traiter plutôt d’égal à égal, dans quelques moments intéressants qui permettent d’appuyer sur la maturité trouvée pour un personnage qui assume enfin pleinement sa différence de Batman, après avoir eu du mal à vivre dans son ombre. Dans l’ensemble tous ces ingrédients, qu’il s’agisse du talent de Redondo sur le plan visuel ou la qualité de l’écriture de Tom Taylor qui mélange autant l’action aux relations amicales et intimes du héros, forment un récit-blockbuster terriblement excitant. On voit là toutes les qualités d’un auteur qui pioche des bonnes idées ailleurs, tandis que le dessinateur est toujours formidable d’inventivité et de vivacité dans ses dessins, avec une vraie personnalité qui lui permet de s’affranchir de la proximité avec David Aja que j’avais remarqué dans le premier tome. Pour couronner le tout un numéro bienveillant où apparaissent les Titans dans une super mise en scène, ainsi que deux chapitres bonus, Nightwing 2021 Annual #1 et Batman : Urban Legends #10, ce dernier étant plus léger et réussi, sur le thème de Noël. Bref, j’aimerais en dire encore beaucoup, mais je vais me contenter de vous dire que s’il y a bien une série à lire ce mois-ci, c’est Nightwing.

Wonder Woman Infinite – Tome 3, le procès des Amazones

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Les Amazones de Themyscira retrouvent d’anciennes alliées et rivales : des Amazones de Bana-Mighdall, un groupe plus violent mais aussi plus exposées (elles ne se cachent pas sur l’île de Themyscira sans pouvoir être vues des hommes, par exemple) ainsi que les Esquecidas, une tribu Amazone d’où vient Yara Flor, une nouvelle amazone sur laquelle DC compte visiblement beaucoup, à l’origine sud-américaine. Un moyen aussi de montrer la diversité des amazones, qui ne sont pas incarnées que par Diana Prince. On pense par exemple à celles qui l’entourent, comme Nubia qui a une importance capitale, mais aussi Faruka de la tribu des Bana-Mighdall dont la forte personnalité apporte quelque chose d’intéressant à ce tome. Et c’est un récit fleuve qui concentre plusieurs séries (Wonder Woman, Trial of the Amazons, Trial of the Amazons : Wonder Girl, Nubia & The Amazons…) avec une multitude d’auteurs et autrices, bien que Becky Cloonan et Michael W. Conrad chapeautent le tout pour garder une cohérence globale. Plutôt réussi, ce troisième offre une vision globale sur les événements annoncés ces derniers mois, avec un tournoi organisé pour trouverles nouvelles championnes parmi les trois tribus d’amazones. Au-delà des guerres politiques internes, loin du monde des Hommes, c’est un événement qui va catalyser les tensions, et paradoxalement le rapprochement des tribus : la mort d’Hippolyte.

La mère de Diana est en effet assassinée au début du tome, empoisonnée, poussant toutes les guerrières à se suspecter entre elles. Cassie, l’ancienne Wonder Girl, est alors nommée pour enquêter sur ce drame, tournant la narration vers un simili-whodunit plutôt fun et bien mené, sur fond d’une mythologie grecque mise à rude épreuve face à la volonté de moderniser l’histoire et l’environnement de Wonder Woman. Cela fonctionne bien dans l’ensemble, et j’ai pris un plaisir certain à suivre cette enquête, d’autant plus que le nouveau visage de DC, Yara Flor, a une forte personnalité qui accompagne plutôt bien Wonder Woman. C’est plutôt du côté visuel que j’ai été déçu, avec certes beaucoup de bonnes choses, mais aussi deux ou trois numéros moins réussis, la faute à ce mélange de plusieurs séries centrées sur les amazones (des séries qui se répondent toutes et forment un tout, cela dit), des séries aux artistes divers et varié·e·s. Il y a à boire et à manger, avec parfois peu de cohérence visuelle, au contraire du récit qui se tient parfaitement d’un bout à l’autre.

Superman Infinite – Tome 3, abandonné de tous·tes

© 2022 DC Comics / Urban Comics

Enfin, pour conclure ce nouveau tour d’horizon des derniers comics sortis du côté des DC Infinite en VF, voilà le troisième tome d’une série qui n’a cessé de m’étonner, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Et ce tome est la parfaite illustration de cette étonnante dualité que l’on trouve dans le Superman de Phillip Kennedy Johnson. Toute la première moitié du comics peine en effet à convaincre. Loin de la Terre, Superman atteint enfin le Warworld où il a juré de détruire Mongul, suite aux évènements des deux tomes précédents, et notamment de la découverte des Phaelosiens. Ces membres d’une colonie scientifique bannie de Krypton il y a bien longtemps est ce qu’il reste de plus proche de qui il est, depuis la destruction de sa planète natale et la quasi-fin de son espèce. Superman ne peut donc pas s’empêcher d’aller à leur sauvetage, après avoir recrutés les membres de The Authority, le groupe un peu brut de décoffrage. Mais voilà, la confrontation immédiate avec Mongul manque de coeur et d’idées, la grande confrontation sonne un peu creux alors que les ficelles sont grosses (comme l’utilisation classique du soleil rouge qui permet d’affaiblir Superman). Pire encore, c’est les dessins de Daniel Sampere puis de Miguel Mendonça sur les premiers numéros qui souffrent d’un manque d’inventivité, n’apportant rien à un récit faiblard, avec des visuels très gentils qui exploitent assez peu l’horreur et la violence du Warworld qui devrait pourtant permettre quelques folies.

Mais heureusement, dans sa deuxième moitié, le récit s’emballe et apporte des choses plus intéressantes. D’abord parce que Phillip Kennedy Johnson rappelle son héros à ses valeurs, celles de l’espoir et de la bienveillance, mais aussi parce qu’il se sert de sa faiblesse momentanée pour le montrer asservi au Warworld et à Mongul. De quoi rappeler la part d’humanité qui sommeille en Clark Kent, et d’apporter de la sensibilité à un récit qui échouait complètement sur sa volonté de proposer beaucoup d’action dans les premiers chapitres de ce tome. Enfin, il y a une vraie amélioration sur les dessins avec les deux derniers chapitres dessinés par Riccardo Federici qui sont très réussis visuellement, bien plus intéressant que ce que font ses compères juste avant. Le mélange d’un récit plus intimiste et de dessins qui lorgnent presque vers la peinture offrent une vision plutôt somptueuse du quotidien d’un monde pourtant fait de désolation. Notamment sur le conditionnement des esclaves du Warworld à qui Mongul parvient à faire croire, avec le temps, qu’il est un héros et que la violence fait la valeur du quotidien alors que l’entraide est une faiblesse. Cette exploitation des thématiques des régimes fascistes est plutôt bien vue, montrant que Phillip Kennedy Johnson est aussi capable d’aborder Superman, personnage pourtant très difficile à manier, sous un angle plus politique et actuel que sa tentative de grande bataille de blockbuster sur laquelle il se rate complètement dans la première moitié du tome.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.

Ces articles peuvent vous intéresser