Deep 3 – Tomes 1 et 2 | Un corps incontrôlable

par Anthony F.

Le basket est courant dans les mangas, étant un sport particulièrement pratique sur la mise en scène tant les gestes et mouvements initiés par les basketteur·euse·s dans la vraie vie sont impressionnants. Des dunks où l’on se réjouit de « postériser » son adversaire, à l’intensité d’un sport d’équipe qui se joue sur un terrain plutôt petit (favorisant l’action et l’exploit individuel), toutes les composantes du basket favorisent une mise en scène spectaculaire. Slam Dunk, Real, Kuroko’s Basket… Autant d’œuvres qui ont su capter leur public, et qui en inspirent d’autres, comme le duo Mitsuhiro Mizuno (scénariste) et Ryosuke Tobimatsu (dessinateur) qui se lancent avec Deep 3, un manga qui tente d’aborder le monde du basket sous un angle différent de leurs illustres prédécesseurs.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Conquête de la NBA

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Le manga prend à contrepied les shonen de sport habituels : son héros, Damian Kawai, est certes un prodige, mais il est atteint de « yips », une condition physique qui provoque paralysies et convulsions à des moments clés, sur certains gestes pourtant répétés sans arrêt. Cela devrait provoquer la fin de sa carrière, à peine commencée, alors qu’il se fait peu à peu remarquer au niveau national lycéen. Mais fort d’abnégation et convaincu par des coéquipiers qui continuent de croire en lui, Damian finit par trouver sa voie : son « yips » l’empêche de dunker et de jouer près du panier, où son corps se paralyse à chaque moment décisif, alors il se concentrera sur les tirs de loin, à trois points. Et c’est là que le manga se rattache à la réalité, car si cette « limitation » pour le joueur qui ne peut pas aller marquer au panier semble le condamner pour le basket, on sait qu’en NBA de nos jours, l’essentiel du jeu offensif passe par le shoot à trois points. Depuis une dizaine d’années et l’avènement d’extraterrestres comme Stephen Curry, ce type de tir qui s’effectue depuis l’extérieur de la ligne de trois points est en effet devenu une compétence particulièrement recherchée parmi les jeunes joueurs de NBA. Alors Damian tente de trouver sa place en jouant là-dessus, avec une action qui se déplace dès la fin du premier tome vers les États-Unis. Et c’est un vrai plaisir tant on sent l’amour du mangaka pour le basket américain et toute la culture populaire qui l’entoure. Au-delà de la performance sportive, ce qui le fascine et qu’il traduit dans le manga c’est les personnalités, la culture de la gagne mais aussi celle de l’humiliation, notamment quand il aborde le fait de « postériser » quelqu’un, c’est-à-dire réaliser un dunk si spectaculaire au-dessus d’un adversaire que l’image va devenir un poster. Un élément particulièrement humiliant pour le défenseur, mais absolument savoureux pour celui qui est parvenu à dunker.

Car à la différence des autres mangas cités plus haut, Deep 3 parle de basketball sous l’angle d’une culture très américaine. Damian est lui-même métis, sa mère est Japonaise et son père est Afro-américain. S’il ne se souvient que très peu de son père qui a disparu quand il était plus jeune, il n’en reste pas moins attaché à une culture à laquelle il s’identifie, encore plus en sachant qu’il rêve d’intégrer la NBA (ou ici « NBO ») afin de briser tous les records. Mais c’est un chemin semé d’embûches qui se dresse face à celui qui était jadis l’un des meilleurs du basket au lycée, avant de perdre de sa popularité, devenu un poids mort à cause de son yips. En emmenant le personnage aux Etats-Unis dès son deuxième tome, Deep 3 se place donc dans un contexte unique, en complète opposition d’un Slam Dunk par exemple qui se focalisait sur le Japon, et c’est très finement raconté. Sans jamais être caricatural, le manga raconte plutôt bien l’importance du basket d’un point de vue culturel, en espérant que les prochains tomes continuent là-dessus car c’est un angle plutôt inattendu.

Folie visuelle

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Il y a évidemment une dimension sociale inévitable dans un contexte Japonais, avec un héros moitié afro-américain, dans alors que l’on voit des personnages peu enclins à accepter les personnes d’origine étrangère. Il y a par exemple un moment bouleversant qui raconte l’enfance de Damian où, lassé du harcèlement, il tente de se blanchir la peau au maquillage. Il y a aussi une réflexion autour d’un club de basket japonais qui attire des lycéens d’origine africaine, club détesté de tous car ses joueurs sont vus comme des ennemis, déshumanisés et considérés comme des délinquants. Sans forcément s’y attarder plus d’un chapitre, c’est un point intéressant qui montre toute l’ambiguïté du basket au Japon, pays peu ouvert sur le monde bien qu’il est fasciné par un sport foncièrement empreint d’une culture afro-américaine. Et visuellement, le manga ne cesse d’impressionner. Absolument folle, sa mise en scène rappelle quelques actions emblématiques de NBA (une planche, juste à côté de ce texte, rappelle par exemple un poster de Kobe Bryant). Et au-delà de ça il y a une telle finesse du trait et du mouvement, une intensité qui se traduit à la fois par les corps, fluides, et la sueur qui virevolte à chaque geste. Les expressions en disent beaucoup, notamment sur le visage de Damian Kawai, particulièrement expressif et touchant pour sa manière d’aborder ses difficultés, d’abord en cachant sa peine aux autres, puis en affirmant peu à peu sa personnalité. Si l’écriture est une réussite, le manga doit aussi beaucoup aux dessins de Ryosuke Tobimatsu qui poussent à tourner les pages sans jamais s’arrêter afin de pouvoir découvrir la prochaine planche qui va nous laisser bouche bée.

C’est un véritable coup de cœur. Deep 3 est déjà quelque chose de grand et d’unique, avec une approche extrêmement humaine et réaliste du basket qui évoque toutes les ambiguïtés d’un sport business très marqué par la culture populaire qu’il engendre autour de ses matchs. Mitsuhiro Mizuno est un passionné, c’est indéniable, il le raconte d’ailleurs en conclusion des tomes en abordant son rapport au basket depuis son plus jeune âge, et ça se ressent à chaque page. Pourtant, Deep 3 ne s’adresse pas qu’aux amateur·ice·s de basket : c’est un manga très émouvant avec comme thématiques la détermination et la résistance face à l’adversité, des obstacles d’abord matérialisés par le yips du héros, puis par sa découverte d’un monde différent quand il part aux Etats-Unis.

  • Les deux premiers tomes de Deep 3 sont disponibles en librairie à partir du 19 octobre 2022 aux éditions Mangetsu.

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