Supergirl : Woman of Tomorrow | L’Odyssée de King

par Anthony F.

On commence à le connaître le Tom King. Auteur très en vue depuis plusieurs années, il prend un malin plaisir à s’emparer de héros DC pour les réinventer à sa manière, en y insufflant des thématiques qui sont récurrentes dans son travail. Il y a eu Mister Miracle, puis Strange Adventures, et voilà qu’il s’attaque à un autre mythe : Supergirl. Et comme les précédents personnages, ce choix n’est pas innocent, car dans sa mythologie, Supergirl coche toutes les cases des thèmes chers à Tom King, à commencer par un traumatisme originel, elle qui a vu sa planète natale et son entourage mourir sous ses yeux. C’et ainsi qu’est né Supergirl : Woman of Tomorrow, un comics qui explore le mythe de l’héroïne.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Une épopée classique

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Le comics s’ouvre sur ce qui ressemble à un conte, narré par une jeune femme nommée Ruthye, habitante d’une planète lointaine qui voit son père être assassiné sous ses yeux par l’horrible Krem. Un acte barbare raconté comme une fatalité, comme un évènement inévitable qui va forger la personnalité de cette femme. Parce qu’elle décide vite de vouer sa vie à une seule chose : se venger. Une vengeance qui paraît presque impossible, jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de l’héroïne que l’on attendait, Supergirl. Inconnue de Ruthye, c’est pourtant une légende vivante qu’elle a face à elle, et c’est en la côtoyant qu’elle comprend peu à peu la stature de celle-ci. Car Tom King est malin sur ce coup, en racontant le mythe non pas au travers de récits d’exploits passés, mais dans les yeux d’une femme qui va être témoin de nouveaux exploits de Supergirl, qui justifient à ses yeux le mythe qu’elle incarne et dont elle finit par entendre parler au cours de leur voyage. Car elles se retrouvent toutes les deux à embarquer pour l’espace, en chasse de Krem, l’héroïne refusant de laisser cette jeune femme se lancer dans une vengeance personnelle sans en avoir les armes. L’auteur y raconte alors une épopée épique, traversant les planètes à la manière d’Ulysse qui découvre les îles. La référence à l’Odyssée d’Homère n’étant pas innocente, avec une narration qui prend une forme très littéraire, sur le registre de l’épique et de l’éloge du héros, qui apparaît comme une figure de courage, de bonté, de moralité, un exemple à suivre pour Ruthye, perdue face à la violence du monde.

En se lançant à l’aventure, les deux femmes affrontent de nombreuses épreuves racontées par Ruthye, rapportant ces moments qui, on le devine vite, ont eu lieu il y a bien longtemps. Et c’est réussi sur ce point, très réussi, Tom King se réappropriant le personnage pour mieux l’adapter sur le registre de l’éloge, sans tomber dans une admiration béate pour une héroïne qui, on le voit rapidement, a des faiblesses. Mais c’est ses faiblesses qui fondent sa détermination. Malheureusement, c’est aussi un point faible pour le comics, qui ne peut s’empêcher de se raconter sous une forme de récit à l’écriture très littéraire et soutenue, rendant la lecture plutôt surprenante à certains moments, avec de très longues bulles qui semblent sortir d’un roman. Et un roman un peu lourdaud, avec des tournures de phrases inutilement alambiquées, bien qu’il soit difficile de déterminer si la faute revient à l’auteur et son texte original, ou à la traduction. Et ça pose question : est-ce que ce mélange d’une narration très littéraire au comics convient réellement au medium ? On se souvient d’Alan Moore, en son époque, qui n’hésitait pas à laisser aller sa verve dans Watchmen, mais Supergirl : Woman of Tomorrow manque de précision pour atteindre ses ambitions. Je salue amplement l’essai, et Tom King arrive à retomber sur ses pieds grâce à un récit absolument prenant, mais il peine à convaincre de la pertinence de certains passages narrés par Ruthye.

Monde brisé

Si le récit est prenant, c’est parce que King ne cesse de s’améliorer et de grandir dans son approche de ses thématiques fétiches. La figure de l’héros·ïne, d’abord, qui était au centre de Strange Adventures et qu’il raconte avec encore plus de justesse ici, grâce à une Supergirl bouleversante et peut-être moins ambiguë que son Strange. Mais aussi le thème du traumatisme qui résiderait en chaque personnage, celle-ci apparaissant brisée, pleine de doute, et en souffrance face à des planètes qui ne lui rappellent que la violence et la désolation ressentie à la destruction de Krypton. Enfin c’est la guerre, fondatrice dans la construction de l’auteur qu’est devenu Tom King, qui alimente de nombreux chapitres où Ruthye et Supergirl ne cesse de constater les massacres successifs auxquels s’adonne Krem partout où il passe. Et pour sublimer le tout le dessin de Bilquis Evely est une réussite, toujours inventif, grâce également aux couleurs de Matheus Lopes qui donnent au comics une force assez magistrale avec des tons chauds qui tranchent avec la tristesse ressentie au cours de la lecture.

Difficile alors de conclure sur ce comics. Fascinant à la fois pour l’exploration des thématiques chères à l’auteur, pour la beauté de son histoire et pour la représentation du mythe de Supergirl, qui est absolument bouleversant. Mais aussi décevant pour son incapacité à pleinement tirer parti de son écriture plus littéraire, où la réussite se limite à la bonne idée d’emprunter au registre de l’éloge et de l’épique, référençant Homère, sans pour convaincre sur la qualité de sa prose. On sent que le récit est terriblement ambitieux et qu’il aurait, ainsi, pu faire beaucoup mieux, mais il n’en reste pas moins une idée atypique dans le paysage de DC Comics qui mérite que l’on s’y attarde, d’autant que cela reste l’une des plus belles adaptations de Supergirl que j’ai pu lire jusqu’à maintenant.

  • Supergirl : Woman of Tomorrow est disponible en librairie aux éditions Urban Comics depuis le 8 juillet 2022.

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