Développé par Visai Studios, basé à Toronto au Canada, Venba est l’une des curiosités de la scène indépendante en 2023. Avec sa promesse de mêler l’histoire d’une famille indienne immigrée au Canada à la cuisine de quelques recettes tamoules, le titre peut déjà se targuer d’avoir un style bien à lui. Et les choses deviennent plus passionnantes encore lorsque l’on se lance dedans, manette en main, et que l’on y découvre un titre à la narration terriblement intelligente, portée sur les notions d’identité et d’appartenance à un pays que l’on a quitté.

Crise d’identité

© 2023 Visai Studios

Venba est un jeu personnel, écrit et imaginé par des développeurs·euses canadien·ne·s d’origine indienne, qui y racontent les tiraillements, les frayeurs et le phénomène de déracinement parfois ressentis par des personnes qui vivent et grandissent loin de leur pays. L’histoire commence au milieu des années 1980, Venba et son mari Paalavan quittent l’Inde du sud et leur communauté tamoule pour s’installer au Canada. Une immigration soudaine pour deux personnes qui aimaient vivre dans leur pays, mais qui avaient besoin de s’installer ailleurs pour vivre leur amour paisiblement. Déraciné, le couple fait face aux difficultés inhérentes à ce changement : la découverte d’un pays et d’une vie complètement différente de celle vécue jusqu’alors, le sentiment de ne pas appartenir à la communauté qui les entoure désormais, et la difficulté de faire valoir son expérience professionnelle indienne pour décrocher des jobs au Canada, où les employeurs n’ont aucune considération pour l’expérience acquise dans ce qu’ils considèrent comme le tiers monde. Plus encore, la barrière de la langue et le racisme sont abordés par le jeu, dont l’audace se trouve dans le mode narratif choisi. Le titre est essentiellement similaire à ce que l’on qualifie habituellement de « visual novel », avec une histoire qui se déroule sous nos yeux sans grande intervention de notre part, mais le studio y ajoute des séquences fondamentales à sa narration autour de la cuisine. Des moments où l’on prend le contrôle du jeu pour réaliser des plats familiaux, grâce au livre de recettes de la mère de Venba. Mais ce livre est en bonne partie déchiré et tâché, poussant la mère de famille, et les joueurs·euses par extension, à déduire les ingrédients et leur mode de cuisson à partir de quelques indices et souvenirs disséminés ici et là. La mécanique fonctionne extrêmement bien, et n’a rien d’un gimmick car le jeu s’appuie sur ces moments pour raconter les souvenirs d’un autre pays, la nostalgie qui en découle, mais aussi la nourriture comme un pilier de l’identité que l’on veut conserver et transmettre.

C’est sur ce point que Venba m’a ému. Le titre de Visai Studios parle avec beaucoup d’intelligence et d’honnêteté de la difficulté de forger son identité, de la comprendre et de l’assumer quand les concepts de pays et de communauté n’ont plus beaucoup de sens. Dans cette histoire, Venba et son mari parlent avec fierté de leur origine tamoule, alors que l’Inde du sud leur manque terriblement. Et le couple souhaite transmettre cette fierté à leur fils Kavin, né quelques années après leur arrivée au Canada. Mais ce dernier n’y est pas vraiment réceptif, lui qui grandit dans un environnement canadien, loin de la culture que lui enseignent ses parents, jusqu’à parfois la renier avec le désir d’être comme les autres. C’est un sentiment auquel il est facile de s’identifier quand on a grandi et vécu ailleurs, sans véritable intérêt pour son pays d’origine, alors que les traditions familiales n’ont pas beaucoup de sens quand amis et quotidien sont régis par des règles et coutumes complètement différentes. Le sentiment d’appartenance devient une véritable question, parfois un problème, parce qu’il est toujours admis comme « normal » qu’il faut se sentir Indien, Canadien, Français ou que sais-je encore. L’origine et l’appartenance à celle-ci restent un marqueur d’identité fort, mais qui n’est pourtant pas une évidence comme le raconte très justement Venba au travers du fils du couple.

Les souvenirs, piliers de l’identité

© 2023 Visai Studios

À défaut d’avoir pu y rester, pour le couple, et de le connaître, pour le fils, ce pays d’origine reste néanmoins omniprésent à la maison grâce à la cuisine. Si le jeu aborde aussi la question du langage, c’est la nourriture qui occupe l’essentiel de sa narration avec les multiples recettes que l’on est amené à reproduire. L’occasion non seulement de faire une jolie liste de plats tamoules (attention, jouer le ventre vide est un véritable défi), mais aussi de glisser une bande-originale assez fabuleuse. Venba ayant l’habitude de mettre quelques chansons de chez elle sur son radiocassette au moment de cuisiner, on se trouve plongé·e·s en Inde l’espace de quelques instants à réaliser des idlis, dosas, du riz biriyani et autres joyeusetés. Le jeu raconte aussi cette identité par son aspect visuel, avec des couleurs caractéristiques de l’Inde, les tenues de Venba, la tonalité nostalgique de son ambiance visuelle, mais aussi la beauté de plats où chaque épice apporte sa propre couleur. Tout cela contribue à raconter les souvenirs de cette mère de famille qui n’a jamais vraiment voulu quitter l’Inde, et qui souhaite aujourd’hui transmettre cette identité à son fils pour faire perpétuer ses traditions, même déracinée. Parce que la cuisine est un outil formidable pour évoquer les origines au travers de nos sens.

Très court avec environ une heure pour en voir le bout, Venba est expérience assez exceptionnelle. Sa direction artistique est d’une belle délicatesse, et son histoire résonne avec beaucoup d’émotion quand l’on a été soi-même confronté·e à des interrogations sur notre identité et notre appartenance à une culture ou à un pays, grandissant loin de ce que l’on nous apprends à appeler « maison ». L’intelligence de son écriture et la douceur de sa narration font que le jeu peut toutefois être parcouru sans mal par des personnes qui n’auraient pas cette expérience, car c’est aussi et avant tout une très belle histoire, empreinte de nostalgie et d’envie de bien faire. Le jeu raconte avec justesse la nostalgie de ce pays lointain et la transmission de ses traditions à un enfant qui ne l’a pas connu. Au-delà de son histoire, c’est aussi un jeu vidéo très malin, faisant de la mécanique des recettes un élément fondamental de sa narration. L’utilisation du gameplay comme composante de cette narration permet d’impliquer pleinement les joueurs·euses à celle-ci, renforçant de facto un peu plus l’impact émotionnel du jeu.

  • Venba est disponible depuis le 31 juillet 2023 sur PC, Nintendo Switch, PlayStation 5 et Xbox Series X|S.
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Bonjour à toutes et à tous ! Ici Reblys, et bienvenue dans cette saison 2024 de La Rébliothèque !

Pour ouvrir cette troisième saison, je vous propose pour la première fois de revenir dans l’œuvre d’un auteur qui a déjà été abordé dans ce format. Je vais à nouveau vous parler de Vincent Mondiot, car le troisième volume de sa saga de fantasy Les Mondes-Miroirs, est paru en fin d’année 2023, en auto-édition. Cette série, un peu trop confidentielle à mon goût, mérite qu’on s’y consacre, et j’espère vous donner envie de la découvrir avec cette chronique. Bonne écoute !

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Nommé dans quelques festivals du Moyen-orient en 2017 avec son court métrage The Crossing, qui racontait les insupportables checkpoints installés par Israël en Cisjordanie, le cinéaste palestinien Ameen Nayfeh s’en est servi pour finalement imaginer son premier long métrage intitulé 200 mètres. Tourné en Cisjordanie, le film nous mène dans le quotidien d’un père de famille, séparé de sa femme et de son fils, par le mur construit par Israël. Un film hautement social et politique, alors que la Palestine perd de plus en plus de soutien au fil des années dans la région comme on le voit en ce moment même avec la violence déchaînée par Israël à Gaza. Mais plus que les enjeux géopolitiques, c’est un film très émouvant sur la notion d’identité et sur la famille, avec ce que la colonisation peut avoir d’impact horrifiant sur le quotidien de personnes qui ne veulent rien d’autre que d’avoir le droit de vivre dignement.

La plus grande prison du monde

© Shellac

Mustafa, joué par Ali Suliman, acteur formidable, vit en Cisjordanie, sa femme et son fils en Israël. Il pourrait les rejoindre et vivre avec eux, mais cela impliquerait d’obtenir la nationalité israélienne et de renier son identité palestinienne, ce qu’il refuse. Il n’est pourtant pas présenté comme un militant, il ne manifeste pas et plus tard dans le film va même reprocher à un jeune de réagir aux provocations de colons israéliens. Mais son identité n’en reste pas moins un élément fondamental de sa vie : même sans militer face à l’oppresseur, il n’en reste pas moins attaché à son essence, à la Palestine. Parce qu’il n’a pas le choix, il traverse la frontière tous les jours pour aller travailler en Israël et en profiter pour voir sa femme et son fils. Séparée seulement par 200 mètres, la petite famille est en réalité séparée par des heures et des heures d’attente. Car le trajet est interminable. Au quotidien, Mustafa doit traverser les checkpoints officiels mis en place par Israël, qui consistent en de longues allées encagées, similaires à un abattoir, où les palestinien·nes passent dans des couloirs exigus jusqu’à arrivée à un contrôle des papiers. Un contrôle redouté, le moindre détail ne convenant pas à l’officier israélien suffisant à les refouler. Cette image des cages qui servent de points de passage est très forte et reste en mémoire de beaucoup de monde dans les pays du Moyen-Orient où l’oppression de la Palestine est souvent mieux documentée que dans nos contrées. C’est l’incarnation de la domination israélienne sur les personnes d’origine et de culture arabe. Et c’est ce qui en pousse certain·es à n’avoir d’autre choix que de braver l’illégalité. C’est ce qui arrive un jour à Mustafa, le jour même où son fils a un accident. L’obligeant à emprunter un autre chemin : celui de l’illégalité, avec un passeur qui l’emmène lui et quelques autres personnes par un chemin détourné afin d’entrer en Israël sans s’approcher du checkpoint.

Quitte à risquer sa vie, il embarque dans un voyage qui semble sans fin. Une longue route faite de détours afin d’éviter les contrôles et patrouilles. Une longue route qu’il partage avec un gamin de 17 ans qui rêve de vite pouvoir trouver un travail, peu importe ce qu’il peut trouver, ainsi qu’un palestinien plutôt militant, et une journaliste allemande que certains soupçonnent d’être en réalité une agente du Mossad, les services secrets israéliens. Cette petite bande qui n’aurait jamais dû se rencontrer finit par sympathiser, et tente parfois de s’unir face à l’humiliation devenue plus que jamais présente. Il y a sur la route des colons israéliens qui célèbrent et les insultent à leur passage drapeaux à la main, des gens devenus paranoïaques qui voient le danger là où il n’y en a pas forcément, et plus encore, un sentiment d’être des fugitifs alors que leur voiture ne fait que circuler sur leurs propres terres, celle de la Palestine, avant d’arriver vers Israël. Il y a quelque chose de presque surréaliste dans la mise en scène de Ameen Nayfeh. Quelque chose même d’absurde, certaines scènes évoquent des disputes familiales sur la route des vacances, alors que ces personnes tentent juste d’arriver à destination sans se faire emprisonner, ou se faire tuer. C’est une bande devenue criminelle aux yeux d’un Etat alors que leur seul méfait est d’avoir voulu aller travailler ou voir leur famille. Le réalisateur fait très fort avec son film, chargé en émotions et en tension. Parfois irrespirable, souvent touchant, il est difficile de ne pas se laisser emporter par ce film qui raconte l’impossible quotidien auquel sont soumis les palestiniens depuis plus de soixante dix ans et avec un espoir toujours plus difficile à trouver.

Une lutte pour sa propre humanité

© Shellac

Un quotidien fait de déshumanisation des palestiniens par les autorités israéliennes, un quotidien où la vie ne tient qu’à un fil, où les familles sont séparées. Parce que tout est bon pour humilier, tout le système a été créé dans un seul but : mettre toute une population dans une grande prison et lui nier les droits les plus élémentaires. 200 mètres ne raconte pas des combattants, des révolutionnaires, ce ne sont que des gens qui tentent de s’en sortir et de trouver une certaine paix au quotidien. Pourtant, cela n’empêche pas la séparation d’une famille, la soumission à une procédure déshumanisante dans des cages qui servent de points de passage inévitables, d’être harcelé par les autorités lors d’un contrôle, ou de devoir subir des comportements de colons qui grignotent des terres année après année, réduisant de fait la surface sur laquelle les palestiniens ont encore le droit d’habiter. Et le film revêt une tension assez folle, la traversée clandestine étant hautement dangereuse, mais il est doté aussi d’une vraie humanité : on y découvre les rêves d’un gamin autour du football, on y voit des gens qui veulent raconter au monde leur quotidien, un père qui risque sa vie pour quelques heures aux côtés de sa famille…

Humain, pertinent et extrêmement intelligent, 200 mètres de Ameen Nayfeh est aussi un très bel objet de cinéma. Il aurait pu n’être qu’un propos, qu’un message, qu’un discours sur le quotidien vécu par les palestiniens. Mais il est aussi film à la mise en scène élégante, proche de ses personnages tout en gardant un certain recul sur la situation. Il tire partie de la folie haineuse qui entoure ce monde-là en la filmant avec sa caméra pour donner encore plus de corps à son film. Et puis il y a une photographie qui exploite pleinement toutes les particularités de son univers, qu’il s’agisse des nuits sombres où le père communique avec sa famille à 200 mètres de là au moyen de lumières, ou le sentiment d’être perdu dans les routes sinueuses de leur long périple, ou encore l’insupportable matinée dans une cage. Le film est une vraie réussite, et un beau témoignage d’un conflit qui ne connaîtra pas de fin tant que l’on méconnaîtra le droit à la dignité de la population palestinienne.

  • 200 mètres est sorti en salles le 9 juin 2021. Il est désormais disponible en VOD et DVD.
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Une fois n’est pas coutume, l’équipe de Pod’Culture revient sur l’année 2023, afin de vous conseiller tout un échantillon de films, de séries, de jeux vidéo et bien plus encore. Nous vous souhaitons non seulement le meilleur pour l’avenir, mais aussi de découvrir ces œuvres nous ayant marqué(e)s.

Du Frisson et de la Frénésie

Les recommandations de F. de l’O.

L’année 2023 tire sa révérence, tandis que 2024 pointe le bout de son nez. À l’instar de mes camarades, je vais donc revenir sur les œuvres pop-culturelles m’ayant le plus marquée. Si je suis allée un peu plus d’une dizaine de fois au cinéma, je dois reconnaître que même les films les plus populaires ont su me décevoir. En revanche, s’il y en a un qui m’a agréablement surprise, alors que je ne suis pas fan de Marvel, c’est bien le dernier épisode de la trilogie des Gardiens de la Galaxie. Il s’agit, à mes yeux, d’une conclusion très équilibrée, alliant action, humour mais aussi émotion, avec beaucoup de panache. La dénonciation de la maltraitance animale était particulièrement touchante, mais si vous souhaitez en savoir davantage, j’avais consacré tout un article à ce film sur Pod’Culture.

Passons au petit écran. Sans surprise, si vous connaissez mes goûts, ma série favorite de l’année demeure une production sortie très tôt  : The Last of Us (HBO). Certes, la série a des défauts au niveau du rythme ou surtout de l’absence manifeste d’infectés, mais il s’agit aussi et surtout de l’une des meilleures adaptations de jeux vidéo jamais réalisées. Non seulement la série est fidèle à l’œuvre originale, mais elle est aussi parvenue à s’en détacher ou à l’enrichir, sans oublier la prestation remarquable de l’ensemble du casting. En deux mots : il me tarde de voir la suite !

Pour un peu varier le plaisir, j’ai tout de même envie de glisser quelques mots sur The Bear, dont la deuxième saison est sortie cette année. La première dévoilait l’enfer et la frénésie des cuisines et, malgré tout le bien que j’en avais entendu, elle ne m’avait pas parfaitement convaincue. En revanche, la seconde saison est de la haute gastronomie. Elle est plus posée, plus contemplative, ce qui permet de savourer l’exécution des plats, aussi bien que le développement des personnages. Mais à vrai dire, mon cœur bat pour un épisode en particulier qui se suffit à lui-même. Il s’agit de l’épisode 6, où un flash-back montre un réveillon de Noël catastrophique dans la famille névrosée du protagoniste. C’est plein d’humour noir et en même temps cruellement réaliste. À condition d’être dans un bon mood, je vous conseille vivement de visionner ne serait-ce que cet épisode finement écrit. Il est d’autant plus marquant qu’on y retrouve des invité(e)s comme Jamie Lee Curtis, Bob Odenkirk ou Jon Bernthal.

Clôturons par les jeux vidéo. What else ? Sans surprise, une fois encore, car j’en avais déjà parlé sur Pod’Culture, mon Game of the year est Bramble : The Mountain King. Ce jeu d’horreur indépendant est un subtil mélange de tout ce que j’aime. Un petit garçon cherche sa sœur dans une forêt pleine de merveilles et d’horreurs épouvantables. Le jeu ne nie pas l’influence de Little Nightmares, mais il s’en démarque grâce au folklore scandinave ainsi qu’une direction artistique à couper le souffle. Mes choix s’avèrent finalement plus frissonnants que réellement festifs mais, si vous ne les avez pas encore découverts, je ne peux que vivement vous encourager à sauter le pas.


Le cœur, toujours le cœur

Les recommandations de Hauntya

Comme il peut être compliqué de choisir les œuvres qui ont fait l’année 2023 à mes yeux ! Je passe en effet pas mal de temps à découvrir des œuvres… qui datent d’avant ! Mais cela ne veut évidemment pas dire que 2023 n’a pas eu son lot de jolies surprises. Si j’ai du mal à extraire un film marquant, ce n’est toutefois pas le cas des séries. The Last of Us a été admirable dans son adaptation inventive du jeu vidéo homonyme, tout comme His Dark Materials (HBO) qui a proposé une belle troisième saison après une seconde de haute volée. Si elle n’est pas sans défauts au niveau de l’adaptation du 3e tome de À la croisée des mondes, elle a su en rendre le côté émotionnel intense, l’esthétique incroyable, les thèmes politiques, religieux et spirituels sans édulcoration. Et tout cela en se permettant encore des scènes inédites au roman, soutenues par un casting toujours aussi brillant. Cette adaptation que j’attendais depuis des années s’est conclue en beauté.

Dans un tout autre registre, la saison 2 de The Bear a été aussi une excellente surprise. Après une première saison frénétique, survoltée et attachante, la deuxième ne manque pas d’énergie et de chaos en cuisine, présentant la reconstruction d’un restaurant familial vers un de plus haute gamme, obligeant ses personnages à devenir meilleurs et à exiger davantage d’eux-mêmes. Mais si un certain verni peut s’acquérir, le naturel névrosé, conflictuel et contradictoire des protagonistes revient au galop dès que possible ! The Bear n’est pas qu’une histoire de gastronomie, mais aussi une série où les héros et héroïnes sont profondément réalistes et humains dans leurs rêves, leurs traumatismes et leurs relations. Quel plaisir de voir autant le jeu solide des acteurs et actrices que la précision et la qualité d’écriture des dialogues !

Côté jeux vidéo, cette année, la palme revient sans doute à The Wreck (The Pixel Hunt), dont j’avais proposé mon avis sur Pod’culture. Car des mois après, j’y repense encore, à cette histoire intense douée d’une réflexion et de paroles comme on en voit peu dans le jeu vidéo. Non seulement c’est rare de trouver en héroïne une femme de plus de trente ans, mais alors pouvoir, par elle, aborder autant de thèmes peu utilisés dans le monde vidéoludique ! Deuil, euthanasie, maternité, divorce, épuisement professionnel et artistique, relations entre mères et filles, entre soeurs, moments de vie universels comme tomber amoureux, avoir un enfant, se séparer de son partenaire… Quelle richesse et quel coup de poing tragique, en découvrant de manière déchronologique les souvenirs et la vie de Junon, son discours intérieur, sa vision sans fard du monde et d’elle-même. Il y a des moments où The Wreck frappe en plein cœur par son authenticité et son franc-parler, et ose surtout frapper là où ça fait mal, obligeant le joueur ou la joueuse à se regarder en face. Et cela, c’est assez unique pour être souligné.

Parlons musique ! En 2023 est sorti Anemoia, le deuxième album du Youtuber ALT236, spécialisé dans l’étrange sous toutes ses formes. En 14 titres, il nous plonge dans une ambiance électro / synthwave à la fois extrêmement mystérieuse et onirique, laissant libre cours à notre imagination durant l’écoute. Ce n’est pas simple à décrire : parfois on a le sentiment de plonger dans un donjon mystérieux, parfois de flirter avec un cyberpunk planant et mélancolique, quelquefois de plonger au fond d’un cosmos vertigineux. C’est assez unique, mais cela vaut la peine de l’écouter !

Enfin, côté lecture, la rentrée littéraire 2023 m’a permis de découvrir Demain et demain et demain de Gabrielle Zevin. On voit grandir ses deux héros, Sam et Sadie, de l’enfance à la trentaine, unis par un puissant lien d’amitié (voire plus) et leur passion pour les jeux vidéo. Les deux personnages fondent en effet un studio de jeu vidéo pour développer leur premier titre, puis un autre, et encore un autre… C’est d’abord original de trouver ce milieu de l’industrie vidéoludique en littérature, surtout que l’autrice n’édulcore pas les problèmes qui s’y nichent : sexisme, crunch, masculinité du milieu, etc… sans oublier l’amour pour ses personnages. À travers eux et leur fil de vie, ce sont de multiples thématiques qui apparaissent : l’identité, le tiraillement entre deux nationalités, le handicap, la santé mentale, les relations toxiques, et bien d’autres encore. Un roman riche, hommage aux jeux vidéo qui peuvent embellir et guérir une vie, tout en rendant ses personnages très attachants, parfois têtes à claques avec affection, et son histoire passionnante.


Au menu : salade de phalanges sauce poison, avec son supplément mousquetaire !

Les recommandations de Reblys

Chaque année est belle lorsqu’elle est remplie de découvertes, mais lorsque je repense à mon année culturelle 2023, je trouve qu’elle a été particulièrement généreuse.

© SHUEISHA, Mizuki YODA, JOUMYAKU

En termes de manga tout d’abord, avec la parution chez nous de deux véritables coups de cœur. Des séries que je suivais en direct de leur parution au Japon via l’application MangaPlus, mais qui sont finalement arrivées dans nos librairies. Je parle d‘Akane-Banashi et Marriage Toxin. Akane-Banashi nous emmène à la découverte du Rakugo. Un art théâtral traditionnel japonais dans lequel le ou la rakugoka interprète tous les personnages du récit sans quitter sa position assise en seiza. On y suit l’histoire d’Akane, jeune rakugoka pleine de potentiel et surtout de volonté, dans son ascension vers les sommets de cet art. C’est frais, inspirant, ça a du cœur et de l’âme, vraiment une superbe aventure dont je ne peux que vous inciter à découvrir les premiers tomes parus chez Ki-Oon. Mais ce n’est pas mon manga favori de 2023 ! Ce titre, je dois le décerner à Marriage Toxin, géniale fusion de la baston et de la comédie romantique.
Dans cette série, dont la parution a débuté en septembre chez Crunchyroll, on suit Gero, assassin virtuose du clan du poison, l’une des familles de tueurs les plus puissantes du Japon. Lorsque se pose la question de la descendance du clan, Gero n’a plus le choix : il doit trouver femme. Sa rencontre avec Kinosaki, escroc au genre incertain, mais expert·e dans l’art de la séduction va le convaincre de rentrer dans le grand marché des célibataires. Pour rencontrer l’âme sœur, Gero doit utiliser ses compétences hors normes et les mettre au service d’un but simple : aider les demoiselles en détresse… Avec un pitch pareil, le risque serait que Marriage Toxin tombe dans des poncifs patriarcaux et s’enfonce dans un genre d’histoire de harem aussi cliché que malaisant. Heureusement, c’est tout le contraire. Le manga a l’intelligence de mettre en scène autant les injonctions sociétales qui pèsent sur Gero en tant qu’héritier d’un clan, que des personnages féminins qui sont tout sauf des objets attendant patiemment d’être secourus. Tout cela en nous gratifiant d’un graphisme somptueux et de scènes d’action à s’en décrocher la mâchoire. Il s’agit d’un digne représentant de ce genre hybride entre l’action et la comédie, mais aussi l’intime et le quotidien de la tranche de vie qui était jusqu’à lors principalement incarné par des mangas comme Spy x Family. Et on a besoin de plus d’histoires comme ça !

© 2023 PATHÉ, M6 Films, Radar Films, DeaPlaneta, Constantin Film Verleih

Niveau films on a également été gâté·e·s en 2023 ! J’ai consacré un article à Babylon, qui dès le mois de janvier s’est imposé comme mon film préféré de l’année. Mais la concurrence a été rude ! Au mois d’avril particulièrement, durant lequel se sont succédé le film Super Mario Bros., réussite artistique totale et véritable bonbon pour petits et grands, Suzume, le dernier film de Makoto Shinkai, toujours aussi fort lorsqu’il s’agit de déployer tout son univers et sa sensibilité, mais aussi, contre toute attente, la nouvelle adaptation du roman d’Alexandre Dumas réalisée par Martin Bourboulon : Les Trois Mousquetaires. Au-delà de l’intrigue, qui reprend celle de l’œuvre littéraire, j’ai été très agréablement surpris et même plutôt impressionné de découvrir un grand spectacle à la française. Extrêmement soigné, prenant, et brillamment exécuté par des acteurs et actrices qui proposent des partitions qui leur permettent de s’oublier derrière les personnages. Ce qui n’était pas gagné quand figurent au casting des « gueules » comme celles de Vincent Cassel ou Romain Duris. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne suis pas encore allé voir le deuxième volet qui est à l’affiche depuis le mercredi 13 décembre, mais le premier m’a emporté. Il fait de plus partie des films grand public qui me permettent d’emmener mes parents au cinéma et de profiter d’un moment avec eux, et c’est d’autant plus précieux que ces divertissements-là soient de qualité. Sinon je n’ai pas pu voir Anatomie d’une chute de Justine Triet, la sensation de cette année, palme d’Or au festival de Cannes. Il va falloir rattraper ça…

© 2023 Andy Brophy

Et enfin quelle année de Jeu Vidéo on a eu ! Baldur’s Gate 3 a tout cassé, il faudra que je m’y mette (sans doute avec la definitive edition qui sortira d’ici quelques années), mais j’ai vécu d’autres découvertes particulièrement marquantes, évidemment du côté de la scène indé, définitivement là où je vis désormais mes émotions de joueur. On pourrait bien sur parler de Sea of Stars, cette magnifique lettre d’amour au J-RPG postée par Sabotage Studio, ou d’Oxenfree 2, nouvelle expérience narrative au sommet de Night School Studio. On pourrait aussi revenir sur Wildfrost et Astral Ascent, deux merveilleux roguelike/roguelite que j’ai eu le bonheur de vous présenter en stream. Mais s’il y a bien un jeu qui m’a marqué, c’est le très étrange RPG d’Andy Brophy : Knuckle Sandwich. Cette expérience indescriptible, clairement inscrite dans une filiation avec la série Mother (vous savez les fameux jeux d’où sont issus les personnages de Ness et Lucas), nous met dans la peau d’un personnage paumé qui va se retrouver dans un vortex qui le dépasse, accompagné d’inoubliables personnages. L’enquête menée par ce petit groupe de bras cassés est servie dans un jeu conçu avec un amour et une générosité absolue, mais avec une réalisation très, très personnelle. Artistiquement, le jeu est unique. Dans ses graphismes, son univers musical et sonore (quelle OST !) dans son rythme, son gameplay et sa mise en scène, tout n’est que bizarrerie, au service d’un ton qui ne ressemble à aucun autre. Ce jeu me hante. Je l’ai terminé en un week-end et j’y repense encore tout le temps plus d’un mois après sa sortie. Je sais que j’y reviendrai tôt ou tard. Je sais que ce jeu là me parle, intimement. Il m’inspire, comme je pense qu’il peut inspirer tous les gens bizarres comme moi. C’est vraiment précieux de rencontrer des œuvres qui raisonnent fort en nous. Pour moi, Knuckle Sandwich en fait incontestablement partie.


Une fournée de films d’animations, et une année vidéoludique incroyable !

Les recommandations de Mystic Falco

Il y a des années plus marquantes que d’autres d’un point de vue découverte. Et pour autant, j’ai remarqué à plusieurs reprises à quel point je pouvais avoir du mal à me plonger dans ces œuvres qui sortent toujours plus rapidement. Cependant, cette année, je me suis ouvert à la nouveauté, et même si cela semble peu, j’ai tout de même une sacrée envie de partager avec vous ces quelques œuvres de 2023 qui m’ont marqué !

D’un point de vu cinématographique, et tout particulièrement du côté de l’animation, nous avons été sacrément gâtés ! Comme a pu le souligner ce cher Reblys, Suzume de Makoto Shinkai fait partie de ces sorties marquantes, à tel point que j’en ai écrit un article lors de sa sortie. Mais pour autant, après lui, il y a eu deux autres films d’animations qui ont su toucher mon petit cœur : à savoir Super Mario Bros., le film réalisé par Aaron Horvath et Michael Jelenic, et surtout Spider-man Across the Spiderverse réalisé par Joaquim Dos Santos, Justin K. Thompson & Kemp Powers.

Pour le premier, il est clair qu’une adaptation cinématographique d’un jeu tel que Super Mario Bros. pouvait sembler très compliquée. Mais le studio Illumination (McGuff) a su comprendre tout l’essence même de l’univers du plombier moustachu. Proposant ainsi la découverte d’un univers merveilleux et enchanté à deux petits gars de Brooklyn (une référence au film Super Mario Bros. des années 90 ?), le tout parsemé de tout un tas de clins d’œil à cet univers vidéoludique, sans que ce soit pour autant trop présent. L’humour bien connu du studio à su faire mouche auprès des spectateurices et, là encore, reste cohérent avec son univers. J’attendais beaucoup de cette adaptation, mais j’étais en même temps très craintif quant au résultat qui allait nous être proposé. Force est de constater qu’Illumination et bien évidemment Nintendo, qui était très présent lors de la réalisation de ce film, ont su entendre et comprendre les fans, pour leur proposer l’une des meilleures adaptations vidéoludique au cinéma !

États-Unis © 2023 Sony Pictures Animation Inc. All Rights Reserved.

De son côté, Spider-Man Across the Spiderverse a eu la difficile tâche de passer après un premier opus absolument incroyable. Que ce soit par son scénario ou son animation, Into the Spiderverse posait des bases extrêmement solides pour le « Spiderverse » (le multivers de Spider-Man), comme jamais le MCU ne saura vraiment le faire. Avec de telles attentes, le deuxième opus se devait d’être au moins au niveau du premier film, et autant le dire tout de suite sans ménager de suspense : Across the Spiderverse foudroie littéralement son prédécesseur. Encore plus ambitieux, plus dingue, avec un scénario plus sombre et plus mature, le tout avec une animation des plus impressionnantes et qui, je pense, marquera à jamais le monde de l’animation. Que dire à part : foncez ! Découvrez ces deux opus le plus vite possible et profitez de ce que l’animation a de plus beau à vous offrir au travers d’une histoire très bien écrite et d’une découverte du Spiderverse des plus accomplie.

Du côté vidéoludique, cette année a été assez intéressante même si je n’ai pas eu le temps de découvrir tout ce que je souhaitais. Toutefois, j’en ai profité pour vider un peu mon backlog et ainsi découvrir Super Mario Bros. Wonder, Storyteller ou encore Dredge.

Que dire de plus qui n’a pas été dit autour de Super Mario Bros. Wonder ? Plus de 40 ans, et pourtant la licence 2D la plus connue arrive encore à se renouveler ; proposant ainsi un gameplay extrêmement soigné, accompagné de son lots de nouveautés. D’une fraîcheur incroyable, ce nouvel opus 2D est déjà un classique à découvrir, que ce soit seul·e ou en multi. Il y a rien de mieux pour rapprocher les gens entre eux !

DREDGE © 2023 Black Salt Games Limited. Published under licence by Team17 Digital Limited.

Du côté indépendant, j’ai donc été marqué par Storyteller, lequel nous plonge au cœur de plusieurs petites histoires dont nous sommes le conteur. En résulte une chouette découverte, entre humour noir et satire, sertie de casse-têtes intelligents et bien pensés. Découverte que l’on a pu, qui plus est, vivre en live avec vous sur Twitch.

Et je termine l’année avec une autre découverte intrigante, au vu de mon appréciation de l’univers de Lovecraft : Dredge, du studio néo-zélandais Black Salt Games. Nous jouons le rôle d’un pêcheur amnésique après qu’une tempête qui ait fait chavirer son bateau. Le but du jeu ? Comprendre ce qui nous est arrivé en aidant les divers personnages que nous allons croiser durant notre périple ; le tout en pêchant des poissons, lesquels peuvent s’avérer être de créatures difformes appelées « anomalies ». Et c’est avec si peu d’informations que je me suis lancé dans cette aventure la plus plaisante de ma fin d’année. Pour son côté chill de pêche, et en même temps effrayant par son ambiance Lovecraftienne, Dredge est un jeu à découvrir. Que vous soyez passionné·e·s de pêche ou non, vous y trouverez votre bonheur, au travers des six îles à parcourir (DLC inclus), grâce à son excellent storytelling et son horreur présente tout au long de l’aventure.


Une année dense, généreuse, et pleine de surprises

Les recommandations d’Anthony

En voilà une sacré année. Le cinéma est plus ou moins retombé sur ses pieds (même si les salles souffrent toujours) après des productions altérées par ces dernières années sous la menace du Covid, poussant d’ailleurs à juste titre les travailleurs·euses du ciné américain à réclamer les sous que leur doivent les sociétés de production. Côté jeux vidéo, on sort de ce qui restera probablement l’une des plus grosses années de l’industrie, avec une quantité assez pharaonique de jeux dont la réception critique et des joueurs·euses a été excellente. Néanmoins, et à l’image d’une industrie du cinéma où une poignée veulent s’accaparer tous les gains, c’est aussi un milieu où les boîtes de développement ont multiplié les licenciements pour ne pas entacher les revenus destinés aux têtes dirigeantes. En bref, dans ces deux industries, il y a un paradoxe assez terrifiant entre le succès des productions et le traitement financier et moral insupportable infligé aux personnes qui participent à la création. Un constat désolant qui ne leur est malheureusement pas exclusif. Enfin, j’aurais peut-être un tantinet plus de mal à parler littérature, comics ou BD, et ce n’est pas faute d’avoir lu beaucoup d’excellentes choses cette année. Mais c’est souvent des choses pré-2023, les livres sortis cette année et qui m’intéressent rejoignant pour l’essentiel une pile de lecture où je les atteindrais… dans quelques années, avec un peu de chance. Néanmoins, quelques titres sortis cette année et que j’ai eu l’occasion de lire ont su retenir mon attention.

Venba © 2023 Visai Studios

S’il faut résumer 2023 à un medium, ce serait le Jeu vidéo. L’année a été assez folle, non seulement pour le nombre de sorties, mais surtout pour le nombre de jeux acclamés par joueurs·euses et critiques. Et cela s’est traduit sans mal dans mon année, avec un grand nombre de titres que j’ai absolument adorés. À commencer par Alan Wake 2, qui m’a terrifié mais complètement scotché pour le génie de sa mise en scène, de son écriture et son interprétation. À ses côtés, Assassin’s Creed Mirage, dans un tout autre style, m’a agréablement surpris pour sa manière de raconter les cultures arabes. Une civilisation qui n’est jamais abordée d’une telle manière dans les jeux vidéo grand public, et ce titre le fait avec brio. Pour continuer sur les cultures rares dans l’univers vidéoludique, Venba a été une vraie bouffée d’air frais, un jeu terriblement touchant pour ce qu’il dit du déracinement et de la transmission culturelle et familiale dans un pays lointain. Évidemment, je ne peux pas passer à côté de Marvel’s Spider-Man 2, que j’attendais beaucoup en tant que fan de l’homme-araignée, et j’étais forcément conquis avant même d’y jouer. Pourtant le jeu a su aller un peu plus loin que je ne l’espérais, avec une tonalité surprenante dans sa deuxième moitié et une histoire qui s’inspire de quelques comics auxquels je ne m’attendais franchement pas dans un titre tout public. Et pour finir, j’ai aimé que cette année 2023 soit aussi l’occasion de voir briller des jeux hauts en couleur comme l’excellent jeu d’aventure rythmique Hi-Fi Rush, l’arrivée sur PS5 de la collection Final Fantasy Pixel Remaster ou le superbe Super Mario Bros. Wonder et le non moins réussi remake de Super Mario RPG. Autant de jeux qui prouvent qu’aujourd’hui encore, au milieu de toutes les histoires terriblement tristes et sombres, des studios peuvent encore trouver le succès avec des titres colorés et optimistes, qui n’oublient pas que le Jeu vidéo sert aussi à s’amuser et à rire.

Reality © Mickey & Mina LLC

Le cinéma, quant à lui, avec une centaine de films vus de mon côté (parmi ceux sortis en 2023), a également été prolifique. À l’heure où chacun y va de son petit classement, il m’a été bien difficile d’y mettre de l’ordre et de trouver ce qui mérite d’être mis tout en haut. Pour une raison : les bons films n’ont pas manqué (les trucs un peu nuls aussi, il faut l’avouer). Mais s’il faut en citer une poignée, et sans être bien original, je peux commencer par Anatomie d’une chute et sa maîtrise du mystère. Le film de Justine Triet est à la hauteur de ce que l’on attend d’elle aujourd’hui compte tenu de son excellente filmographie, et va même un peu plus loin. Élégance de la mise en scène, sincérité des expressions, intelligence dans la manipulation d’un procès, tous ces éléments en font un film absolument captivant. À ses côtés, j’ai aussi absolument adoré Misanthrope, un film fort de son enquête, menée d’une main de maître par un Damian Szifron qui semble connaître le genre du polar sur le bout des doigts, et superbement interprété par son duo principal. J’ai aussi adoré Reality, qui aborde le genre du film d’espionnage sous un angle plus intense, presque claustrophobe, dans un huis clos haletant et, là encore, avec une grande interprétation de son actrice principale Sydney Sweeney. Et puis d’autres films sont évidemment à retenir, comme la douceur du film de SF The Creator, la beauté de La Famille Asada, la force de How to Have Sex, About Kim Sohee et Je verrai toujours vos visages, ou l’élégance de Past Lives. Il y a eu la folie de Shin Kamen Rider, ou mon petit plaisir du genre de l’espionnage à la coréenne avec Hunt. Des films très attendus n’ont pas déçu, comme The Fabelmans et Barbie, ou même Babylon. Bref, c’est une sacré année de cinéma. Pour les séries, j’en ai assez peu regardé en 2023. En vrac, quelques unes ont retenu mon attention : The Glory, The Diplomat, Big Bet, Hijack et la conclusion de Ted Lasso.

Côté lectures, l’année a été riche pour moi mais essentiellement d’œuvres sorties il y a bien plus longtemps. Néanmoins, quelques titres parus cette année m’ont particulièrement réjouis. À commencer par la sortie en « Perfect Edition » de Cat’s Eye de Tsukasa Hojo par Panini. Je triche un peu, on parle d’un manga de 1981, mais j’étais bien heureux de redécouvrir ses premiers tomes, en attendant de lire la suite que je n’ai jamais connu. Autre manga, plus récent, j’ai adoré Ocean Rush  de John Tarachine arrivé aux éditions Akata dans le courant de l’année. Avec son histoire de femme de 65 ans qui se prend d’amour pour le cinéma et participe à un ciné-club étudiant, il y a quelque chose d’atypique et de terriblement séduisant. En ce qui concerne les comics, il y a The Nice House on the Lake de James Tynion IV, un excellent récit d’horreur, en deux tomes, que j’ai dévoré à leur sortie. Sa belle mise en scène, ses personnages variés et sa situation inexplicable rend le mystère captivant, même si la fin sent un peu trop l’envie de laisser la porte ouverte à une suite. Dans un tout autre genre, côté roman, la sortie 2023 que j’ai le plus appréciée (mais compte tenu du faible nombre de romans de 2023 que j’ai lus, c’est un peu biaisé), c’est Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé de Marc Alexandre Oho Bambe. Un roman étonnant dans la forme, avec une écriture au rythme d’un son de jazz, confondant récit et paroles de chansons, références modernes et classiques. Un roman atypique qui parle d’héritage, d’identité et de transmission, avec l’élégance d’un chaos ordonné. Enfin, pour terminer l’année littéraire, une ultime œuvre dont j’ai lues les dernières pages le 30 décembre. Il s’agit du dernier livre en date de John Scalzi, spécialiste de la science-fiction, intitulé La Société Protectrice des Kaijus (ou Kaiju Preservation Society en VO), dans lequel l’auteur américain imagine un multiverse où existe une planète relativement similaire à la Terre, mais peuplée de kaijus de la taille de montagnes. On y suit les aventures d’un groupe de nerds embauchés par une société secrète chargée de protéger ces bêtes, pour la plupart bien heureux d’avoir enfin trouvé un boulot en pleine pandémie du Covid-19, début 2020. Outre ses nombreuses références à la licence Godzilla, aux jeux vidéo ou à Twilight (si, si), le livre alterne entre légèreté et action, entre humour et cynisme, dans ce qui ressemble à un cri du cœur, une envie de s’amuser après le Covid-19 et toutes ses implications. Et derrière la légèreté apparente se cache une écriture efficace des personnages, de leurs relations, et un rythme dantesque qui empêche de poser le livre. Un bon résumé de cette année culturelle probablement, où l’on a semblé retrouver l’allant et un peu de l’optimisme pré-2020.

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Le scénariste et illustrateur Jordi Lafebre s’est fait connaître auparavant pour sa bande dessinée Malgré tout, une romance antéchronologique et son illustration de la série Les beaux étés. Pour la deuxième fois donc, l’auteur espagnol propose une œuvre qu’il illustre et écrit à la fois avec Je suis leur silence, un titre assez original pour en devenir intrigant, dès qu’on pose les yeux sur la couverture de la BD.

Récits enchâssés sous un soleil hispanique

© Je suis leur silence, Dargaud, Jord Lefebre, 2023

Eva Rojas est une psychiatre au fort caractère, indépendante et emplie de vie. L’une de ses anciennes patientes devenue amie, Pénélope, lui demande alors d’être sa personne de confiance lors de la lecture du testament de sa grand-mère (encore vivante). En acceptant l’invitation, Eva se rend bien compte qu’elle va croiser une famille complexe et un peu toxique, mais ne s’attend pas à ce qu’un meurtre soit commis… Et sur lequel elle va s’empresser d’enquêter.

Plongée chez les Monturos, Eva découvre vite que cette famille doit sa richesse et son influence à la fabrication du cava, mousseux espagnol, et à ses vignes réputées. Un assassinat lors de la lecture de l’héritage est donc loin d’être anodin. Mais ce qui fait le charme et l’intérêt d’une enquête – somme toute déjà vue – c’est bien la manière dont Jordi Lafebre choisit de nous la conter. L’histoire nous est racontée de manière enchâssée : c’est Eva, chez son propre psychiatre, un certain docteur Llull aussi pince-sans-rire qu’intelligent, qui raconte son arrivée chez les Monturos et les différents événements écoulés.

Et dans ce propre temps de narration, certaines situations entraînent chez Eva des souvenirs des femmes de sa famille : des échos, des similarités dans des familles maltraitées, amenant des flash-backs pertinents pour asseoir la psychologie de l’héroïne.

Une tonalité jubilatoire et des graphismes expressifs

Outre l’enquête policière dont on a envie de savoir le dénouement, Je suis leur silence se lit très vite durant sa centaine de pages, grâce à son ton frais et drôle. L’héroïne ne manque pas d’humour, avec un franc-parler et un sens de l’ironie acérés, ainsi que son habitude – et métier – de cerner les gens à tout prix. Son tempérament est aussi pétillant que déterminé, au point de la rendre parfois tête brûlée au-delà du bon sens. Autour d’elle, son amie Pénélope fait preuve d’une discrétion et d’une timidité naturelles dans cette famille où chacun a son ego bien placé. Les hommes – oncles de la famille – ont le mauvais rôle, imbus de leur personne et désireux d’hériter de la richesse familiale, les rendant aussi hypocrites que dangereux. Même si on trouve aussi d’autres personnages masculins, comme le docteur Llull, bien plus positifs. Cette galerie de personnages est variée, finement mise en scène entre les dessins clairs et fluides, et les dialogues jamais superflus, révélateurs du protagoniste croisé.

© Je suis leur silence, Dargaud, Jord Lefebre, 2023

De même, les souvenirs d’Eva sur les femmes de sa famille sont tout aussi déterminants. On retrouve, par leur biais, d’autres femmes qui ont été mises dans l’ombre par des maris, maltraitées, mais qui ont ensuite œuvré pour se sortir de leur situation et surtout survivre. Le parallèle est clair avec la famille des Monturos, d’autant que ces flash-backs ont une toute autre utilité que je ne dévoilerai pas, pour vous en laisser la surprise, vous voyez !

Aux personnages contrastés répond également l’ambiance hispanique et colorée du dessin. Les graphismes sont vivants, expressifs : ils contribuent à l’immersion dans cette bande dessinée qui devient pétillante par son ton et ses couleurs. On se sent en Espagne, à suivre cette enquête policière, on profite de la même température et du même ciel bleu que l’héroïne, les lieux sont vivaces et chaleureux. C’est une vraie réussite niveau illustrations, rendant la lecture particulièrement agréable.

Au-delà de son enquête policière rondement menée, c’est aussi un récit sur les violences et relations familiales qui se dessine, particulièrement avec la domination d’un monde masculin sur les femmes. Avec une pointe de psychologie, un fil secondaire sur la bipolarité et beaucoup d’humour, Je suis leur silence est conduit tambour battant, sans temps mort, avec un réel plaisir communicatif de la part de l’auteur. Alors, n’hésitez pas à vous laisser vous aussi embarquer par le charme de son héroïne, pour profiter d’une histoire extrêmement sympathique et d’une ambiance qui ramène un peu de soleil au milieu de l’hiver.

  • Je suis leur silence est disponible en librairie depuis le 13 octobre 2023 aux éditions Dargaud.
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce onzième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Olivier Lussier, co-fondateur de Lowbirth Games, studio de développement québécois. Nous avons parlé en particulier de This Bed We Made,  leur premier titre, qui a débarqué sur PC et PS5 à l’automne dernier et tout récemment sur PS4 et Xbox X et S. Auteur et creative director du jeu, Olivier a dévoilé plus en détail les coulisses de sa création, avec notamment son approche sur l’ambiance, les personnages mais aussi les thèmes forts qui imprègnent cette passionnante aventure narrative.

 

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Nous sommes en décembre, il ne reste que peu de temps avant les fêtes de fin d’année. Que nous les célébrions ou non, le temps devient hivernal dans bien des régions, ce qui donne envie de se faufiler sous un plaid, non pas devant la cheminée, mais devant un jeu vidéo. (Certes, les deux ne sont pas incompatibles, à condition de ne pas placer la console trop près du feu). Le moment est donc venu de se concentrer sur un jeu indépendant relativement récent. Endling – Extinction is Forever est un jeu d’aventure et de survie développé par les espagnols de Herobeat Studios et édité par German HandyGames. Le titre est sorti, en 2022, sur toutes les plateformes.

The Last of Fox

« Gouzi, gouzi ! » © Endling, Extinction is Forever, 2022

Endling nous plonge tout de suite dans le feu de l’action, puisqu’une renarde tente d’échapper à une forêt incendiée. A peine s’est-elle mise à l’abri d’une tanière improvisée, qu’elle donne vie à quatre adorables renardeaux. La jeune mère devra s’aventurer, chaque jour, dans un monde post-apocalyptique, afin de leur trouver à manger. Malheureusement, très vite, l’un des petits sera kidnappé par un être humain. Dès que les trois autres renardeaux seront en mesure de marcher, leur mère se mettra à arpenter la région, afin de retrouver l’enfant perdu. Cela n’a rien à voir avec Peter Pan, mais peut rappeler Stray, où nous épousions le point de vue d’un chat errant, explorant un futur peu enviable. Endling est plus crédible, ce qui rend son message écologique à la fois plus implicite et plus fort. L’avenir semble beaucoup plus proche, et cela fait froid dans le dos. Ainsi, le changement brutal des saisons, la pollution mais aussi des Hommes masqués et haineux barreront la route de notre famille renarde. Endling ne vole pas son titre de jeu de survie. Les joueuses et joueurs doivent s’aventurer durant trente jours distincts hors de la tanière, mais toujours revenir avant la nuit. Il convient de suivre des pistes pour retrouver le renardeau volé, de chasser des proies mais aussi d’échapper à des prédateurs et autres dangers. Le jeu n’est pour autant pas très compliqué. Les renardeaux peuvent apprendre plusieurs compétences, pour soutenir leur mère. Cela n’empêche pas de rester vigilants, car un ou plusieurs petits peuvent périr, à cause de la famine ou d’un hibou mal luné.

Gotta feed ’em all !

Une direction artistique charmante © Endling, Extinction is Forever, 2022

Dans tous les cas, Endling demeure un jeu très doux, chill et presque addictif. Les quelques événements émergeant sur la carte donnent envie de découvrir ce qu’il se passera le jour d’après, ou comment finira cette histoire. Il y a peut-être aussi un effet Tamagotchi car l’on s’attache aux renardeaux, et on ne souhaite pas les voir dépérir. Le lien émotionnel entre la renarde et ses petits est fort bien tissé, car l’on se sent responsable d’eux. A ce titre, je ne peux que complimenter le gameplay à la fois simple et ingénieux. Il nous plonge vraiment dans le quotidien d’un animal sauvage, pour lequel il n’est pas aisé de survivre. Cette efficacité passe par de petits détails. Le jeu ne se contente pas de dissimuler des pièges à loup ici et là ; la renarde peut par exemple s’étrangler avec du plastique en cherchant de la nourriture dans les détritus. Mais Endling doit aussi énormément à sa direction artistique, qui le rend si doux et somptueux à arpenter. Herobeat Studios a choisi des graphismes empruntant leur style à la 2D, bien que les personnages évoluent de manière latérale dans un monde en 3D. Le résultat est assez original et dans tous les cas joli. Pour finir, Endling ne me semble pas répétitif, dans la mesure où sa durée de vie est assez brève. J’y ai joué environ 9 heures, et je l’ai fait trois fois ; non pas que j’ai des troubles de la mémoire immédiate, mais parce que j’espérais décrocher le Platine. Malheureusement, le trophée nécessitant de nourrir les renardeaux avec tous les aliments possibles du jeu comporte des bugs sur PS5. (Mais j’ai fini par l’avoir !). Passons.

Conclusion

Endling est, en ce qui me concerne, un véritable coup de cœur. C’est un jeu de survie doux, chill, efficace, étrangement addictif, et surtout extrêmement touchant. Bien que l’histoire soit assez conventionnelle, je ne cache pas avoir été émue par son dénouement. Aussi ne puis-je que vous conseiller de tenter l’aventure et – si vous fêtez Noël – de l’offrir à l’un de vos proches. Les jeux mettant en vedette des renards me semblent décidément gage de qualité, comme je l’avais évoqué dans un précédent article.

  • Endling – Extinction is Forever est disponible sur toutes les plateformes, depuis 2022.
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Joe Kelly et Ken Niimura restent dans le cœur des amateur·ices de comics pour une œuvre : I Kill Giants. Fabuleux comics sur le deuil, celui-ci avait coupé le souffle de ses lecteur·ices tant pour l’ingéniosité de sa mise en scène, que l’intelligence avec laquelle ils parlaient de la douleur. Ce n’est donc pas une surprise que leur nouveau projet, Immortal Sergeant, était très attendu. Le comics est sorti en VF le 8 novembre aux éditions Hi Comics.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Un flic comme les autres

© 2023 Image Comics / Hi Comics

Immortal Sergeant nous conte les derniers jours de la vie de flic de Jim Sargent. Celui qui porte plutôt bien son nom a dédié sa vie à la police, et incarne tout ce qu’on attend habituellement d’une telle personne : il est raciste, homophobe, violent et ne supporte pas toute manifestation de « faiblesse » chez un homme. Alors à l’heure de prendre sa retraite et face au retour à une vie civile qui a évolué sans lui, il a bien du mal à accepter les choses. Mais ce qu’il ne dit pas à grand-monde, c’est aussi qu’il a un goût d’inachevé dans la bouche, la faute à une affaire de meurtre quelques décennies plus tôt où le coupable n’a jamais été jeté en prison. Une affaire qui le hante depuis lors, et qui a eu un impact direct sur sa vie : devenu insupportable dans le privé, sa femme l’a quitté, tandis que son fils peine à lui pardonner son comportement violent et humiliant face à lui, tout au long de son enfance. Jusqu’à ce que tout ce beau monde se réunit pour un week-end en famille, son fils et ses enfants faisant leur retour, son ex-femme étant présente également, afin de fêter son départ en retraite, occasion pour laquelle son commissariat a organisé une cérémonie en grande pompe. Et inévitablement, les choses tournent mal : la famille en a assez du comportement de ce vieil homme ingrat, au mieux rustre, au pire franchement désagréable. Son racisme ne se cache plus, pas plus que son homophobie, alors que son ex-conjointe a refait sa vie avec une femme. Un homme détestable, avec lequel s’embarque son fils dans une aventure inattendue : le responsable du meurtre qui hante le flic a refait une apparition.

Course-poursuite contre le passé, Immortal Sergeant tente de raconter à sa manière le deuil, celui d’une vie passée, et une relation père-fils aux épreuves de la toxicité d’un père. Jim Sargent est l’archétype même d’un homme du passé, refusant tout changement, humiliant son fils qui ressemble à un homme plus moderne, même si celui-ci n’a jamais eu le courage de confronter son père sur sa toxicité. La poursuite du meurtrier est l’occasion de tenter de renouer le dialogue entre les deux hommes, mais le conflit se heurte vite à l’antipathie qu’inspire son héros, rarement confronté à ses propres erreurs. Le récit, à la différence de la subtilité de I Kill Giants, manque à mon sens de remise en question, et peine à montrer cet homme, à la xénophobie profonde, comme autre chose qu’une victime. Ses actes sont rarement dénoncés et sa famille paraît même comme celle qui ne fait pas assez d’efforts pour le comprendre. Si le comics offre quelques moments assez émouvants où l’on finit par comprendre ce qui a rendu si aigri ce vieil homme, le récit ne montre chez lui aucune évolution, aucune envie de faire attention à ses proches ou de les écouter. Et c’est dommage, car cette antipathie, et la complaisance du récit avec le personnage, fait parfois oublier les superbes qualités narratives et de mise en scène que l’on connaît au duo formé par Joe Kelly et Ken Niimura.

Course-poursuite sans concession

© 2023 Image Comics / Hi Comics

La mise en scène est effectivement la plus grande force du comics qui, en neuf chapitres, montre un vrai sens du découpage qui permet aux cases de s’enchaîner avec un rythme succulent, plus encore lors des scènes sans dialogues où le vieux flic, sa vieille voiture à laquelle il voue un véritable culte, et son fils apeuré, se trouvent propulsés dans une enquête express qui les emmène loin dans les méandres de la criminalité. Mais surtout, la qualité de l’écriture fait que les dialogues font mouche à chaque fois. On y ressent les insécurités d’un fils mal-aimé, la violence d’un père qui n’a jamais su communiquer son amour à cause d’une masculinité exacerbée, mais aussi les difficultés d’une famille qui subit cette confrontation depuis des années sans savoir comment l’aborder. Immortal Sergeant a parfois les qualités d’une grande histoire d’introspection de la relation entre un père et son fils, et on le sent d’autant mieux lors des scènes les plus intimes où Jim sort enfin de cette incarnation du vieux flic raciste pour montrer qu’il est, lui aussi, vulnérable. Mais il lui manque, au comics, certainement une petite dose de compassion pour les victimes de cet homme.

C’est une occasion manquée, celle du grand retour d’un duo qui a su nous enchanter il y a quelques années, et qui là n’arrive pas à trouver l’équilibre de I Kill Giants. En abordant une nouvelle fois le deuil, mais cette fois-ci sous un angle complètement différent, Joe Kelly et Ken Niimura trouvent un protagoniste détestable, dont les torts sont si rarement remis en cause que les intentions du comics deviennent floues. Difficile de dire s’il faut compatir avec ce flic ou s’il faut le critiquer, Immortal Sergeant tentant de mettre en avant la complexité des situations familiales pour dire que rien n’est tout blanc ou tout noir. Mais à trop vouloir chercher la nuance, le récit se perd sur ce point et finit par se limiter à trouver des circonstances atténuantes à la toxicité d’un père, sans jamais vraiment le confronter aux conséquences immédiates de son comportement. Et cela à tel point que son fils, aux traumas nombreux, n’est rien d’autre qu’un moyen d’explorer les excuses que l’on finit par trouver au père. Heureusement, les dialogues sont formidablement bien écrits et la mise en scène si rythmée, si maline, que la lecture est très plaisante. Et ce, à condition d’accepter les relents un peu amers que le récit laisse une fois la dernière page refermée.

  • Immortal Sergeant est disponible en librairie aux éditions Hi Comics depuis le 8 novembre 2023.
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Comme si elle voulait contester son image, la saga des Assassin’s Creed a considérablement évolué ces dernières années. Après une décennie reposant sur un système quasi identique, brouillon dans son premier jeu en 2007 puis révélé et abouti dès son deuxième épisode, la saga a fait sa petite révolution en 2017 avec Origins, un épisode qui lorgnait vers un peu plus de « liberté » avec une taille décuplée pour la carte à explorer, ainsi qu’un système de progression de personnage et de combat qui empruntait à ce que l’on trouve habituellement dans les RPG (niveaux et compétences qui conditionnent la faculté à battre certains ennemis). Un choix plutôt bien accueilli compte tenu de la réception commerciale des épisodes suivants, jusqu’à ce qu’une certaine lassitude pointe le bout de son nez. C’est alors que Assassin’s Creed Mirage, confié au studio de Ubisoft Bordeaux (dont c’est le premier jeu AAA après quelques années de développement en soutien sur d’autres titres) marque une nouvelle rupture. Ce choix, symbolisé par un retour aux sources, donne un jeu à l’envergure plus réduite, mais qui étonne par le soin apporté à son univers.

Au tournant des cultures arabes

© 2023 Ubisoft Entertainment. All Rights Reserved.

Il y a une chose qui frappe assez rapidement et qui fait un bien fou quand on s’intéresse, comme c’est mon cas, à cette période et aux civilisations arabes, c’est l’envie qu’a Assassin’s Creed Mirage de bien faire lorsqu’il aborde la Bagdad des Abbassides, au IXe siècle. En plein âge d’or de l’islam, où Bagdad devenait une place incontournable pour le commerce (étant une étape de la route de la soie), mais aussi pour les recherches des théologiens, des philosophes, et plus encore avec un art devenu étendard d’une ville terriblement vivante. La poésie y occupait une place fondamentale, comme plus généralement la littérature, ainsi que les sciences, mathématiques et la sociologie. Une civilisation en pleine expansion, à l’aube des croisades et plus tard, des invasions mongoles. Région fascinante, elle est de manière tout à fait étonnante racontée avec beaucoup d’intelligence dans un jeu qui montre un intérêt sincère pour celle-ci, un choix que l’on doit très certainement aux présences de trois employé·es d’Ubisoft, Mohammed Alemam, Malek Teffaha et Maya Loréal, sollicité·es par le studio de Bordeaux pour apporter leur expertise et leur expérience personnelle des cultures du Moyen-orient. Et ce afin que le jeu représente au mieux une région que la culture populaire limite trop souvent à des idées préconçues -quand elle n’ignore tout simplement pas l’existence du Moyen-orient et de son importance historique. C’est ainsi qu’on y découvre une Bagdad où il fait bon découvrir des lieux terriblement importants pour raconter la dynamique locale, qu’il s’agisse des mosquées plus ou moins grandes, des monastères qui existent avec la présence de communautés chrétiennes, les caravansérails où les marchands font étape, les bimaristans où l’on découvre les ancêtres de la médecine moderne, le hammam comme lieu de rencontre sociale importante, le harem où le jeu dépasse les mythes en racontant l’importance des femmes et concubines du souverain dans l’activité sociale et économique (celles-ci occupant des places importantes). On y découvre aussi le souk, lieu ô combien important pour l’économie locale, qui est aussi un lieu de brassage ethnique considérable, avec des rencontres de peuples lointains et l’importation, déjà à l’époque, de produits venus de plusieurs milliers de kilomètres. Tandis que résonne en fond, chaque jour, l’Adhan, l’appel à la prière, qui finit d’apporter la dernière couche d’authenticité.

Cette représentation de Bagdad, fidèle à ce qu’était la ville à l’époque (et ce qu’elle a longtemps été), se mêle à un enrobage extrêmement maîtrisé, qu’il s’agisse du doublage du jeu intégral en arabe (une première pour la série) ou des efforts réalisés sur l’aspect visuel. Si le jeu repose sur un moteur graphique déjà éprouvé et vieillissant, auquel se greffent des animations qui commencent à être dépassées, c’est sa direction artistique qui fait tout le sel et le plaisir d’explorer la ville et ses environs, petits villages et lieux de rencontre en dehors des remparts. On succombe aisément aux charmes d’un lieux très animés, de petites rues qui ne se ressemblent jamais, le jeu jouant sur l’architecture d’époque avec des ruelles étroites qui protègent du soleil et de la chaleur, tout en y ajoutant quelques très grandes places où trônent des lieux emblématiques. Loin de se limiter à des tons jaunâtres hérités du sable, le jeu offre des couleurs vives quand on explore le souk et les abords du harem, les dômes des mosquées sont bleus et verts, et les pétales de roses se baladent dans de nombreuses rues. De quoi rappeler, là aussi, l’omniprésence d’une fleur qui est aujourd’hui encore un élément indispensable de la cuisine de l’Irak et du Levant (sous la forme d’eau de rose, le plus souvent), des parfums et des bains. Enfin à cette réussite visuelle s’ajoute la direction musicale, avec une large participation de Layth Sidiq, qui puise dans ses origines jordaniennes et irakiennes pour offrir des compositions assez exceptionnelles, où l’orientalisme habituel de ce type de production laisse place à une indispensable authenticité.

Les complots d’un monde ambigu

© 2023 Ubisoft Entertainment. All Rights Reserved.

Pourtant, tout n’est pas une réussite dans Assassin’s Creed Mirage, la faute à une histoire qui ne trouve jamais vraiment les qualités du monde qu’elle raconte pourtant très bien. Dans un équilibre précaire où l’on s’émerveille autant que l’on se frustre, le jeu nous conte l’aventure tortueuse de Basim Ibn Ishaq, petit voleur des rues, qui se trouve malgré lui impliqué dans quelque chose de bien plus important. Il fait la connaissance de Roshan, une membre de « Ceux qu’on ne voit pas », sortes d’ancêtres des Hashashin (qui allaient plus tard devenir les assassins de la saga), dont les motivations poussent à poursuivre les dirigeants de « l’Ordre », une secte qui semble entretenir des liens étroits avec le califat Abbasside. Pas vraiment glorieux sur cette facette de son histoire, le jeu tente de raconter des complots avec une qualité variable, offrant quelques moments franchement réussis, avec des missions hautement scénarisées et menées d’une main de maître, mais aussi beaucoup d’autres missions assez pénibles où l’on fait la rencontre de personnages oubliés aussitôt leur quête terminée. Dans ses meilleurs moments, l’histoire principale est néanmoins l’occasion de raconter encore un peu plus de chose sur le contexte social et économique du jeu, avec quelques instants de grâce, comme une mission au harem, une autre au bureau de poste, ou encore à des ventes aux enchères ou lors de récitals de poésie. Des moments où la culture que raconte le jeu se mêle habilement à l’aventure de Basim, devenu sorte de guide touristique d’une région qui ne cesse de déployer ses charmes et ses spécificités. C’est d’ailleurs sur ce point quelque chose qui m’a étonné en bien, alors que de nombreux titres de la saga auxquels j’ai joué par le passé (Unity, Syndicate ou Origins par exemple) avaient toutes les peines du monde à mêler leur quête principale au contexte qu’ils tentaient de racontaient. On se souvient par exemple de la Révolution française, dans Unity, qui n’existaient qu’en toile de fond et sans trop d’impact sur la quête du héros, ou encore les relations historiques et humaines dans Origins, les monuments égyptiens les plus emblématiques, qui n’étaient qu’un décor (plutôt très beau) à une histoire quelconque.

Alors on se lasse un peu parfois de cinématiques pas tout à fait captivantes au sein des différents bureaux des assassins que l’on explore, où l’on récupère nos missions et faisons la rencontre de personnages divers. Quelques moments d’émotions tombent à l’eau tant le destin de ces assassins ne nous concernent guère. Mais soudain lorsque le jeu nous emmène sur un lieu précis comme une mosquée, une prison, une bibliothèque ou encore le souk, c’est l’occasion pour lui de dévoiler ses meilleures forces. On y enquête, on découvre des échanges épistolaires dans des bureaux bien gardés, on écoute des conversations qui rendent compte du quotidien, on fait la rencontre de personnages qui incarnent des éléments culturels et religieux de Bagdad, et d’un coup, le charme opère. Quel plaisir de pouvoir suivre et découvrir les aventures d’une poétesse proche du pouvoir, d’un écrivain qui ne sait plus quoi écrire, d’une servante à l’envie de vengeance ou même de se poser deux secondes et d’écouter un musicien jouer du Oud. On en ressort quand même avec un certain regret, que l’histoire n’ai pas su se détacher pleinement de ce que la saga se traîne comme une tare depuis un certain nombre de titres comme l’obligation de lier les épisodes les uns aux autres ou sa méta-histoire. Il y a aussi un vrai manque d’originalité dans l’approche des « assassins », alors que cet épisode était l’occasion de revoir les fondements de cette faction tant ses activités étaient diverses à l’époque. Mais on ne peut pas tout avoir.

Retour d’une vieille formule

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D’autant que Assassin’s Creed Mirage fait un choix controversé, celui de revenir quelques années en arrière. Plutôt que de faire évoluer la formule née dans Origins, puis appuyée et développée dans Odyssey et Valhalla, le jeu revient à une époque où la licence recherchait un peu moins de démesure. La carte, d’abord, est considérablement réduite par rapport à ses prédécesseurs, avec une seule ville (Bagdad) et quelques bourgades aux alentours, que l’on traverse assez rapidement. Ce qui permet, notamment, de mieux affiner chaque quartier et d’y apporter un soin plus important. Il est rare, par exemple, de croiser deux ruelles identiques, tandis que chaque quartier et chaque bourgade (villages, campements, fermes, caravansérails…) occupe une place particulière et existe pour une raison. La quête principale nous fait d’ailleurs traverser pratiquement l’intégralité de la carte avec au moins une mission dans chaque lieu. A certains égards, Mirage m’évoque l’époque de Assassin’s Creed 2, où la volonté était avant tout de donner vie à l’époque et aux villes racontées, qui n’étaient pas que des décors et terrains de jeux, mais plutôt des éléments décisifs de l’histoire racontée, qui n’aurait pas pu être racontée dans d’autres lieux. Le retour en arrière s’incarne aussi par le système de jeu, qui met fin aux niveaux d’ennemis empêchant des assassinats sans en avoir les bonnes compétences et le bon niveau (chose que je n’aimais pas, à titre personnel) pour revenir à l’essentiel : l’enquête et l’assassinat d’une cible. C’est ainsi que chaque cible est abordée d’abord sous la forme d’une enquête, pour dévoiler soit son identité soit son lieu de vie, ainsi que ses objectifs. Une fois les « indices » découverts et tous les liens faits entre ses différentes activités, il est temps de l’éliminer. Un moment où le jeu laisse pratiquement toujours la possibilité de s’infiltrer sans tuer personne, jusqu’à atteindre la cible et lui porter un coup fatal. Un coup unique, à la suite duquel il est temps de s’échapper. C’est, à mon sens, ce qui fait l’essence même de la saga et ce qui avait capté mon intérêt à ses débuts. Si le premier titre en 2007 était rébarbatif, il était sublimé dès le deuxième épisode dans une formule idéale où l’on incarnait véritablement cet assassin de l’ombre, qui élimine sa cible et se fond dans la foule.

Mirage revient sur cette époque, et ça marche plutôt bien, même si l’on se rend compte qu’en 16 ans la licence n’a pas règle ses problèmes de pathfinding, rendant le parkour parfois un peu comique quand le personnage ne comprend pas comment grimper ou se jette là où on ne le souhaite pas. De même pour les ennemis pas tout à fait malins et la surpuissance de quelques accessoires (comme les bombes fumigènes et les fléchettes) qui rendent l’infiltration complètement dérisoire tant elle est facilitée. Quant à l’aspect technique du jeu, on retrouve les mêmes tares habituelles avec quelques gros problèmes de collision et des textures à la qualité variable (mais sauvées par la direction artistique). Le souci des collisions est d’autant plus visible dans certains lieux avec des foules compactes, comme le souk ou certaines rues marchandes, tandis que la caméra de son côté a toutes les peines du monde à comprendre ce qu’il se passe dès que l’on évolue dans un lieu clos. Ce qui est tout à fait dommage dans une ville où les ruelles étroites sont nombreuses, et les missions en intérieur quasi-systématiques dans la quête principale.

Quelle belle surprise, néanmoins, que ce Assassin’s Creed Mirage. Si l’on ne peut pas l’exonérer intégralement de ses manqués, à commencer par son histoire inégale et ses tares techniques et de gameplay qui restent les mêmes épisode après épisode, le jeu a un charme qui suffit à m’emporter. Plutôt court en comparaison des mastodontes de durée de vie que sont Valhalla et Odyssey, les seize heures passées en compagnie du titre m’ont absolument fascinées. En étant moi-même originaire du Moyen-orient et fasciné par ses civilisations culturelles, j’ai trouvé dans le titre toute la beauté de cultures que le jeu vidéo, et par extension même le cinéma, n’a jamais vraiment compris (ou voulu comprendre). Ubisoft Bordeaux a fait un travail monumental pour rendre compte de l’importance culturelle et religieuse de Bagdad et des régions environnantes, avec un respect et une envie de bien faire qui se remarque sans mal. Le titre est une merveille visuelle, une invitation à s’intéresser et se passionner pour le Moyen-orient, pour sa poésie, pour sa littérature, sa musique et ses beautés. C’est un tour de force, et quelque chose que je trouve particulièrement osé à une époque où les cultures arabes, en occident, sont encore et toujours caricaturées. C’est, sans trop de mal, ce que la culture populaire fait de mieux pour parler des cultures du Moyen-orient, région si chère à mon coeur. C’est, je pense, l’un des meilleurs titres de la saga, et peut-être même le meilleur aux côtés de ses titres les plus illustres.

  • Assassin’s Creed Mirage est disponible depuis le le 5 octobre sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S.
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L’automne s’installe, avec Halloween et l’envie des soirs cosy. L’envie de regarder quelques films d’horreur revient, pour mieux accompagner les soirées qui se rallongent, à l’abri d’un plaid ou derrière un chocolat chaud. A cette occasion, je reviens sur quelques films récemment vus, qui semblent propices à ce type d’ambiance et au souhait de passer peut-être quelques nuits blanches (clin d’oeil au film italien de Luchino Visconti), ou de prolonger la soirée en frissonnant !

The Card Counter (2021) | Errances dans la nuit

© The Card Counter, Paul Schrader, HanWay Films, 2021

Réalisé par Paul Schrader, The Card Counter est peut-être le plus inhabituel pour commencer une liste de films pour une nuit blanche. Il relève de l’étude de portrait psychologique, bien plus que de l’horreur ou du thriller. Et pourtant, le film évoque implacablement les fantômes et l’obscurité d’une existence solitaire. Oscar Isaac y incarne William Tell, un ancien militaire qui ne vit désormais que pour le poker et le black-jack. Il erre d’un casino et d’une table de jeu à l’autre, se contentant de paris sans éclats. Ses chambres d’hôtel sont vides : il les recouvre de draps blancs, pour retrouver un espace neutre et dénué de confort, des chambres toujours temporaires, où il ne fait que passer. Mutique et absent, ses contacts avec le reste de l’humanité sont réduits au strict minimum. Jusqu’au jour où La Linda essaye de le recruter pour ses talents de compteur de cartes, et où Cirk, un jeune homme, le convainc de l’aider à se venger d’un colonel issu du passé de William…

The Card Counter est inattendu et déploie toute une ambiance fantomatique, à l’image de son personnage principal. Entre ses silences et ses regards déshumanisés, Oscar Isaac campe un antihéros élégant et hanté par son propre passé militaire, incapable d’aller de l’avant, incapable de se pardonner, incapable de mourir. Son existence, réduite à des paris et des jeux de cartes, semble dénuée du moindre sens, comme s’il ne faisait que survivre pour passer d’un jour à l’autre, sans attente, sans espoir. Le film vit de toute l’intériorité du personnage, de ses souvenirs, de son quotidien répétitif et terne, jusqu’à l’évocation d’un secret militaire horrible, né dans la prison d’Abou Ghraib. L’intrigue n’est pas complètement dénuée d’espoir, grâce à une histoire d’amour naissante, mais elle est indéniablement hantée.

Fall (2022) | Survie à pic

© Fall, Scott Mann, Tea Shop Productions & Capstone Studios, 2022

La tension d’un film ne tient pas toujours à un côté horrifique ou fantastique. Dans Fall de Scott Mann, Becky est une grimpeuse d’escalade confirmée, mais qui a vu son mari mourir sous ses yeux lors d’une expédition. Sa meilleure amie Hunter la convainc alors de vaincre sa peur, en l’entraînant dans l’escalade de la tour de transmission télévisée B67 TV, située en plein désert, à 600 mètres de hauteur. Évidemment, la montée ne se passe pas comme prévu et elles se retrouvent alors bloquées en haut de la tour.

Fall n’est pas plus que ce qu’il vend par rapport à son synopsis : un film de série B honnête et sans prétention, et c’est pourquoi il fonctionne relativement bien tant qu’on n’a pas d’attente au-delà. Des films de survie en divers milieux extrêmes, il y en a eu beaucoup et il y en aura encore, avec souvent toujours la même curiosité de voir comment les personnages s’en sortent, de manière plus ou moins abracadabrante. Ici, l’originalité tient bien sûr au décor proposé, en plein désert, à plus de 600 mètres de hauteur. Cela permet de très beaux plans aériens qui permettent de rendre compte de l’isolement des héroïnes et de la chaleur écrasante autour d’elles, dans une mise en scène qui parvient à ne pas lasser pour ce huis-clos. L’impression de vertige et de chute sont d’ailleurs très bien rendues, avec un effet assez réaliste et effrayant. Comme pour tout film de série B, on trouvera sans aucun doute des incohérences, et la psychologie des personnages n’est pas folle. Mais certains twists sont bien amenés, maintenant la tension de l’histoire, et Fall se laisse donc regarder agréablement pour son côté spectaculaire et « plaisir coupable ».

Midnight Silence (2021) | Silence absolu

© Midnight Silence, Kwon Oh-seung, Peppermint & Company, 2021

Passons du côté des thrillers slashers. Midnight Silence, premier film du coréen Kwon Oh-seung, met en scène une jeune femme, Kyung Mi, et sa mère, toutes deux sourdes-muettes. En passant par un quartier en travaux et quasiment abandonné, elles croisent la route d’un serial killer, Do-shik, toujours à la recherche d’une nouvelle proie. Un jeu du chat et de la souris mortel s’engage alors entre eux…

Un peu dans la lignée du film précédent, Midnight Silence est honnête dans son intrigue et c’est surtout son efficacité nerveuse qui retient l’attention. En choisissant de mettre en scène une héroïne sourde-muette, le réalisateur se permet ainsi des mécanismes un peu originaux et inhabituels : détecteurs de sons, impossibilité ou presque pour l’héroïne d’appeler à l’aide quiconque, utilisation du silence pour mieux surprendre les victimes… sans compter que Wi Ha-joon s’amuse dans le rôle du tueur et cela se voit. L’acteur passe d’un comportement à l’autre, se faisant caméléon pour berner les témoins et sadique pour ce qui est de pourchasser ses victimes. Bref, c’est efficace, parfois invraisemblable bien qu’empli d’idées nouvelles, rendues possibles par le handicap de l’héroïne ; tout en se permettant une critique très en filigrane de la société coréenne, qui fait peu d’efforts pour apprendre la langue des signes ou s’adapter à la vie quotidienne des sourds-muets.

Méandre (2020) | Un tube infernal

© Méandre, Mathieu Turi, Full Time Films & Cinefrance Studios, 2020

Reconnaissons tout de suite la filiation : Méandre, c’est Cube, mais avec une seule femme pour héroïne et des tuyaux emplis de pièges mortels au lieu d’un cube. Une fois passé cet héritage évident, on peut alors savourer ce film de Mathieu Turi, un cinéaste français visiblement amoureux des films de genre. Une jeune femme est kidnappée par un serial killer. A son réveil, elle se retrouve enfermée dans un labyrinthe de tubes, chacun pourvu d’un piège qui peut se révéler fatal. Armée d’un bracelet lumineux avec compte à rebours, la jeune femme va devoir trouver son chemin et survivre…

Les claustrophobes peuvent s’abstenir, tant les décors sont impeccablement réalisés malgré leur petit budget : l’enfermement de l’héroïne fait plus vrai que nature, et la dangerosité des pièges n’en est que renforcée. Et s’il n’y avait encore que les pièges, puisque le labyrinthe offre plusieurs embranchements, et que des anciennes victimes rôdent aussi dans les tuyaux, toutes aussi déterminées que l’héroïne à se sortir de ce piège mortel… Malgré une fin légèrement convenue, le film de Mathieu Turi est assez anxiogène et surtout très efficace dans son propos, utilisant son concept avec intelligence et une mise en scène aussi digne de science-fiction que d’horreur.

Affamés (2021) | Horreur naturaliste

© Affamés, Scott Cooper, Double Dare You Productions, Phantom Four & Mirada Studio, 2021

Cette fois, on part vers le fantastique sombre avec Affamés (Antlers en VO) de Scott Cooper. Julia est une institutrice fraîchement revenue dans sa ville natale, dans la maison de son frère Paul. Tous deux sont taiseux et hantés par un passé familial (et un paternel) violent. Julia repère alors dans sa classe le jeune Lucas, taciturne, mélancolique, visiblement négligé par sa famille. L’enquête du frère et de la sœur vont les mener à des secrets enracinés dans la noirceur de la ville.

Dans ce film produit par Guillermo del Toro, on trouve une intrigue de monstre, mais de façon inhabituelle. Le fantastique et l’horreur sont ici les symboles du mal qui gangrène la ville, entre les violences familiales, la négligence des parents, l’alcoolisme ou la misère sociale. Si bien que pendant un certain temps, le film hésite entre un réalisme sanglant et un fantastique révélateur d’une cité américaine corrompue et délaissée. Il est dommage que le film n’ait pas davantage maintenu cet équilibre tout en nuances, soutenu par un trio de très bons acteurs : Keri Russell, Jesse Plemons et Jeremy T. Thomas. Car le propos de Affamés et de sa légende amérindienne est très intéressant, le monstre du film naissant de toutes ces familles et enfances brisées par le mal humain. Il n’en demeure pas moins une ambiance pesante, volontairement lente, qui joue sur ses effets, mais qui manque parfois de subtilité dans ce qu’Affamés veut démontrer.

The Innocents (2021) | Une enfance dérangeante

© The Innocents, Eskil Vogt, Mer Film A/S, 2021

Issu de Norvège et réalisé par Eskil Vogt, The Innocents nous plonge dans l’été d’un groupe de quatre enfants : Ida, qui vient d’emménager avec sa sœur autiste Anna, et Ben et Aisha, deux enfants vivant dans ce même groupement d’immeubles. Les jours s’écoulent, et certains des enfants du groupe se révèlent avoir des pouvoirs surnaturels…

The Innocents possède une mise en place lente et sobre, toute scandinave, avec une minutie totale d’effets spéciaux, préférant se concentrer sur les regards et attitudes de ses jeunes héros. Les quatre enfants ne sont que des enfants : Ida martyrise au début sa sœur Anna à cause de son autisme non verbal, celui-ci étant superbement interprété par Alva Brynsmo Ramstad, tandis que Ben torture un chat, simplement pour voir ce qui arrive. Aisha, la plus gentille du groupe, sera celle qui permettra la compréhension et le dialogue pour Anna. Des adultes en devenir qui démontrent gentillesse et méchanceté, sans véritable repère moral, dans l’innocence sans cœur dont les enfants sont capables. The Innocents n’est pas parfait, ni même plaisant (on ne peut pas dire cela de ce film), manquant de sous-texte. Mais il donne à voir de manière glaçante et réaliste ce qu’il advient quand des enfants héritent de pouvoirs surnaturels, sans boussole morale pour les guider, surtout quand certains sont déjà des graines de psychopathes, dans un quotidien délaissé par les adultes.

Les bonnes manières (2017) | Conte entre humanité et animalité

© Les bonnes manières, Macro Dutra et Juliana Rojas,Dezenove, Som e Imagens, Urban Factory, Good Fortune Films & Globo Filmes, 2017

Le film brésilien de Marco Dutra et Juliana Rojas s’attaque au mythe du loup-garou avec un regard propre à leur civilisation, où les phénomènes fantastiques font encore partie de certaines croyances. Ici, Clara obtient le rôle d’infirmière à domicile pour Ana, une jeune femme enceinte et isolée. Les deux femmes finissent par tomber amoureuses l’une de l’autre. Mais les événements étranges commencent à apparaître : Ana fait du somnambulisme durant les nuits de pleine lune… car l’enfant qu’elle attend est en vérité un loup-garou.

Cohabitation entre une femme humaine et un petit enfant loup, Les bonnes manières étonne, jusque dans sa manière quasi  quotidienne d’intégrer le surnaturel. L’histoire s’apparente ainsi à un conte de fées, malgré des moments sanglants et parfois crus. Un amour onirique entre deux femmes éloignées l’une de l’autre, au début ; puis la confrontation à la réalité d’un quotidien qui ne sait que faire face à un louveteau-garou, adorable le jour, bestial la nuit. Il raconte aussi, quelque part, l’exclusion sociale, l’acceptation de la différence, l’impossibilité d’une société à s’adapter. Dans un style assez détonnant et différent de ce qu’on trouve dans un film de loup-garou habituellement, Les bonnes manières a tout du conte cruel avec son beau récit, et on ne peut que regretter sa fin un peu abrupte.

 

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