Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce douzième épisode animé par l’ami Reblys, nous partons à la rencontre de Tangi Tabuteau, producer au studio de jeu vidéo Lightbulb Crew. L’occasion de parler de Nova Hearts, leur dernier projet, et de sa composante inclusive marquée, mais aussi du métier de producer dans un studio qui fonctionne à 100% en télétravail depuis la fin du covid.

 

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Au début de l’année 2011 commençait ce qui allait devenir une guerre sans fin. L’histoire d’un soulèvement populaire contre son gouvernement suite à l’arrestation arbitraire et la torture d’adolescents pour un tag dans une petite ville du sud-ouest de la Syrie. Treize ans plus tard, le pays est en partie détruit à cause d’une répression sans précédent : le pilonnage de villes résistantes par les armées syrienne et russe, la destruction de nombre de ses ruines antiques et de ses plus beaux monuments. La population en a payé un lourd tribut, mais n’a pas perdu ses rêves de liberté. Alors la jeune autrice Zoulfa Katouh, canadienne d’origine syrienne, a décidé de raconter sa vision d’un peuple résilient, en faisant le choix atypique d’aborder le difficile sujet de la guerre sous l’angle d’un roman young adult, avec ce que cela implique d’histoire d’amour et de jeunes protagonistes plein de rêves. Une lecture surprenante mais terriblement captivante. Le livre est sorti en fin d’année dernière aux éditions Nathan.

Destin d’une jeunesse qui rêve encore

Zoulfa Katouh écrit l’histoire fictionnelle, mais forcément inspirée des récits de survivant·e·s et de réfugié·e·s, de Salama, une jeune femme de 18 ans qui était en plein dans ses études de médecine lorsque la guerre est arrivée aux portes de sa ville, Homs, au début de l’année 2012 lors du siège de la ville par l’armée. Autrefois épicentre marchand, symbolisé par ses citronniers, mais aussi religieux avec de nombreuses cathédrales et mosquées, dont l’histoire remonte à l’antiquité, Homs n’est rapidement plus qu’une ville en ruines. Détruite par les bombes de l’armée, ses habitants se réfugient en partie dans la vieille ville. La faute aux circonstances, Salama se retrouve propulsée apprentie-chirurgienne à l’hôpital du coin, guidée par le Docteur Ziad qui manque sérieusement de bras. Elle se destinait pourtant à devenir pharmacienne, passionnée par les plantes et leurs propriétés médicinales, mais la guerre fait qu’elle doit donner un coup de main pour tenter de traiter, ou a minima soulager, les douleurs de personnes qui ont tout perdu. Elle-même a perdu sa mère dans une attaque, tandis que son père et son frère Hamza sont disparus, arrêtés par la police et probablement jetés en prison. Il ne lui reste plus que Layla, son amie d’enfance devenue sa belle-sœur alors qu’elle venait d’épouser Hamza. Autre intervenant, un certain Khawf, personnalité que seule Salama peut voir. Sorte d’hallucination venue de son esprit, de ses traumatismes ou bien manifestation d’un djinn, le mystère est entier. Là où les choses se compliquent d’autant plus, c’est que Layla est enceinte, et c’est sa grossesse qui va rythmer le livre : la chronologie des évènements s’étend en effet sur le temps de la grossesse, quelques mois où les circonstances s’enveniment d’autant plus que la guerre redouble d’intensité au terme de la première année. Une chronologie qui ne suit pas entièrement les évènements réels, au sens où comme s’en explique l’autrice dans ses notes de fin, elle a volontairement rapproché quelques évènements qui ont réellement eu lieu afin de les faire tenir dans l’espace chronologique de son récit, et ce afin de renforcer l’intensité de l’histoire, mais aussi de pouvoir mentionner quelques-uns des éléments marquants des deux ou trois premières années de la guerre civile syrienne.

Ce petit « arrangement » avec la réalité ne dénature en rien la sincérité du récit, qui n’en rajoute pas sur la violence des évènements tels qu’ils ont été rapportés par des personnes courageuses qui sont parvenues à faire sortir du pays des images et des témoignages à l’époque. Le récit est violent, parfois graphique, chose qui peut surprendre compte tenu du fait que le livre est labellisé young adult, mais il ne perd pas de vue ses intentions premières. Car il n’est pas question ici d’en faire une histoire documentaire, mais plutôt d’inscrire les rêves d’une jeunesse violentée -mais pas complètement abattue- dont les idées se propagent d’une personne à l’autre, avec un rêve commun de trouver la liberté. Ces rêves se traduisent en Salama dans le besoin de protéger sa belle-sœur enceinte, mais également de vivre une vie à laquelle elle ose parfois rêver. Une vie de paix, où elle peut écrire des petites histoires pour enfants, inspirée par le Studio Ghibli, une vie où elle peut faire pousser des fleurs dans son jardin et se balader en profitant des couleurs chatoyantes que les marchés de son pays offraient autrefois. Parce que l’autrice montre de manière très juste que ces victimes de guerre n’ont pas grand chose de différent des personnes du même âge qui vivent en sécurité en occident. Il s’agit de personnes qui partagent des référentiels communs, et cet élément est important dans le cadre du récit puisqu’il permet à son public, supposément jeune adulte, de s’identifier. Le livre parle aussi beaucoup de l’innocence gâchée et perdue, mettant en scène bon nombre d’enfants directement touchés par la guerre, par la perte d’êtres proches et la nécessité d’agir comme des grands alors qu’ils et elles devraient être à l’école. L’autrice est très pertinente, plus encore quand elle écrit avec douceur le quotidien simple de ces quelques personnes qui tentent de trouver un peu de joie et de bonheur au milieu des bombes, des rencontres fortuites et des relations qui se créent.

Un amour inespéré

Parce que l’espoir passe aussi parfois par les relations humaines, et parce que l’autrice voulait raconter les craintes et les envies d’une jeune femme de 18 ans comme les autres, malgré la guerre, une histoire d’amour occupe évidemment une partie très importante du récit. Cette histoire tourne autour de Salama et de Kenan, dont elle fait la rencontre lors d’une situation d’urgence, et auquel elle réalise être liée depuis longtemps, sans qu’elle ne le sache vraiment initialement. Leur passé commun les emporte dans une relation pleine d’innocence, mais qui touche et bouleverse aisément tant Zoulfa Katouh sait écrire les petites choses du quotidien, les petites attentions qui ancrent la relation dans le réel. Avec ses personnages, elle raconte aussi l’amour sincère porté à la Syrie, pour ce qu’elle représente, ce qu’elle était autrefois et ce qu’elle pourrait être à nouveau sans le joug d’un régime tyrannique. Le mélange des genres, entre récit de guerre, fait d’horreur et de violence, et celui d’un roman young adult plus classique avec sa gentillette histoire d’amour est étonnamment pertinent. D’abord parce que l’écriture de l’autrice est fluide, très référencée sur la culture syrienne (sans exclure les personnes qui n’ont aucun lien avec le pays), mais aussi parce que ce mélange avec le young adult permet d’aborder le sujet de cette guerre, ses conséquences et la violence subie par son peuple à un public plus jeune qui n’était pas nécessairement en âge de connaître ou de comprendre le conflit il y a treize ans.

Sur un plan personnel c’est un livre qui m’a ému, parfois aux larmes, puisque j’y retrouvais la résilience d’un peuple, de ma famille, en partie restée en Syrie, avec le même espoir de lendemains meilleurs. Avec le même attachement à une culture qui mérite de survivre à ces horreurs, une culture malmenée par des personnes qui n’ont plus aucune conscience des réalités et des beautés d’un pays à l’histoire bien plus importante que leurs intérêts personnels. La lecture est parfois difficile malgré son envie, essentiellement, de raconter une histoire d’amour, mais Tant que fleuriront les citronniers est une lecture marquante, qui interroge sans cesse sur l’âme de ses personnages, sur le courage, sur la peur, sur le besoin d’appartenance mais aussi sur les causes qui poussent des personnes à braver les plus grands dangers pour tenter de trouver un peu de sécurité à plusieurs milliers de kilomètres de leur pays. Un roman dense et intelligent, écrit à la première personne, dans les yeux d’une jeune femme qui n’était pas destinée à vivre tout ça.

  • Tant que fleuriront les citronniers est disponible en librairie depuis le 7 septembre 2023 aux éditions Nathan.
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L’affaire du col Dyatlov ne vous sera peut-être pas inconnue si vous vous intéressez aux true crimes ou aux événements mystérieux jamais totalement expliqués. Le mystère du col Dyatlov, c’est la mort étrange de neuf alpinistes russes dans le nord de l’Oural (Russie mais ex-URSS à l’époque), dans la nuit du 1er au 2 février 1959. Partis pour une randonnée assez difficile, les jeunes gens (tous étudiants, entre 20 et 30 ans), n’atteignent jamais la montagne de l’Otorten, leur destination finale. Ceux-ci sont retrouvés, probablement morts de froid, en partie dévêtus, séparés en plusieurs groupes à plusieurs dizaines de mètres les uns des autres, et avec leur tente déchirée de l’intérieur.

Suite à ces événements, la première enquête russe se révèle insatisfaisante, voire bâclée, car aucune théorie ne permet d’expliquer précisément ce qui est arrivé au groupe de randonneurs. Si bien que les enquêteurs de l’époque ne peuvent conclure leur rapport que par ces mots : qu’une « force irrésistible » a entraîné la mort des jeunes gens. De ces mots coulent depuis lors plus de 70 théories sur l’affaire, allant de l’avalanche aux expériences militaires russes, en passant par les extraterrestres, une jalousie mortelle entre les randonneurs ou encore un complot de l’URSS pour réduire ces victimes au silence. Et c’est de ce mystère jamais complètement explicité que naît la bande dessinée écrite par Cédric Mayen et illustrée par Alejandro Gonzalez.

Une plongée dans l’Histoire et dans la vie des randonneurs

© Le mystère du Col Dyatlov, Gonzalez et Meyen, Le Lombard, 2023

Loin de vouloir forcément proposer leur théorie sur l’affaire du col Dyatlov et de l’imposer dans leur BD, les deux auteurs choisissent un autre angle pour raconter cette histoire moult fois décortiquée : une vision factuelle et humaine à la fois des événements.

Ainsi, la bande dessinée se compose en deux alternances de point de vue : celui de l’enquêteur chargé de résoudre l’affaire, dans des tons verts sombres et froids, reflétant une froideur toute soviétique et déshumanisante ; et le récit de voyage des jeunes gens, tel qu’on le connaît par le journal de bord tenu par l’un d’eux, jusqu’à la nuit fatale. Cet aspect-là de l’histoire est dominé par un ton sépia, plus ancien, mais aussi en hommage aux photos prises par les randonneurs, certaines cases étant d’ailleurs des transcriptions illustratives de ces clichés.

Par le biais de l’enquêteur, on comprend mieux le deuil des familles, les multiples interrogations et inquiétudes suscitées par l’accident à l’époque, dans la presse et chez la population. On perçoit aussi la pression du KGB pour étouffer l’affaire et la résoudre aussi vite que possible, ou la façon dont on cherche à cacher certaines informations. Il faut bien entendu garder à l’esprit que le récit est légèrement romancé, même s’il est basé sur une solide documentation et de nombreuses recherches.

Les deux auteurs choisissent de ne mettre aucun parti en avant durant le récit, pour déterminer si telle théorie est ou non la bonne pour expliquer cette étrange affaire. Au contraire, ils choisissent plutôt d’en laisser les portes ouvertes, parsemant l’enquête et la randonnée ici et là d’indices possibles : une attaque d’animal, d’une tribu nomade ? Une volonté de l’URSS de se débarrasser de neuf futures personnalités politiques ou rebelles ? Une tempête de neige, une météorite ? Une bagarre qui aurait tourné au drame ? Toutes ces théories sont évoquées ou mentionnées rapidement, invitant la·le lecteurice à se faire sa propre idée de l’accident.

Une autre nouveauté bienvenue dans la chronologie du récit est de donner un peu plus vie et corps aux neuf randonneurs, le dixième ayant abandonné l’expédition au début à cause d’une sciatique. Bien que l’on se concentre aussi sur les faits, on a un plus grand aperçu des relations entre les neuf victimes. S’il n’est pas aisé de ne pas mélanger les noms russes, on distingue des dynamiques : une des jeunes femmes, anciennement sortie avec l’un des membres du groupe, qui se prend d’affection pour un autre ; le chef d’expédition, plus âgé, dont on se demande s’il n’est pas une taupe chargée de surveiller les étudiants… Certains sont vantards, sensibles, déterminés, ou prennent soin les uns des autres. Plutôt que de les cantonner à des noms de victimes, les neuf randonneurs sont présents, vivants, se taquinent, se chamaillent, parfois se disputent ; de quoi rendre leur disparition plus émouvante, quand on atteint le moment de la nuit fatidique sur le col Kholat Syakhl (montagne morte d’après le surnom donné à cette montagne par la tribu mansi locale).

Une parfaite introduction au mystère du col Dyatlov

Même si, quand on connaît déjà un peu cette affaire mystérieuse, on n’apprend rien de spécifiquement nouveau, ce qui peut se révéler frustrant et laisser sur sa faim, cela est contrebalancé par le fait de s’intéresser aux personnages et à la façon dont la narration permet d’évoquer toutes les théories sur ces morts « irrésistibles ».

Par ailleurs, la bande dessinée s’accompagne à la fin d’un dossier, assez court mais intéressant, permettant d’avoir des témoignages de diverses personnalités ayant enquêté sur cette affaire, de la webmastrice du site Dyatlov Pass, reconnu pour être la référence pour toutes les informations officielles et photographiques sur ce sujet, à Johan Gaume, chercheur français ayant tenté d’expliqué le phénomène d’avalanche grâce à des calculs mathématiques et un logiciel de simulation de coulée de neige. Autant de points de vue qui permettent d’enrichir ce mystère et d’en donner des clés, bien qu’aucune, à ce jour, n’ait complètement élucidé l’affaire.

Photo du mémorial sur l’ancien Kholat Syakhd, renomé Col Dyatlov après l’événement, du nom du chef d’expédition. Photo issue du site Dyatlov Pass ©

Car c’est bien ce qui continue de fasciner, 60 ans après : comment un tel événement a-t-il pu se produire, alors que les neuf randonneurs étaient prêts et entraînés pour une telle expédition ? Pourquoi certains avaient-ils des fractures et blessures? Pourquoi étaient-ils presque entièrement déshabillés, séparés les uns des autres par de grandes distances ? Pourquoi ne pas avoir trouvé refuge dans la forêt après que leur tente ait été lacérée de l’intérieur ? Si aujourd’hui, l’explication de l’avalanche, de l’hypothermie, de puissants vents empêchant d’avancer, semblent être la plus cohérente, des détails restent toujours troubles, et il est difficile d’oublier les nombreuses théories aussi réalistes que complotistes qui se font fomentées pendant des années.

Mais il faut aussi garder en mémoire, avant tout, que l’affaire du col Dyatlov est un mystère certes fascinant, mais surtout tragique et triste, ayant coûté la vie à neuf jeunes gens qui avaient encore toute la vie devant eux. C’est ce que la bande dessinée Le Mystère du Col Dyatlov réussit à nous faire passer, avec une dernière page émouvante.

  • La BD est sortie le 29 septembre 2023 aux éditions Le Lombard.
  • Le jeu vidéo Kholat par le studio IMGN.PRO, sorti en 2015, se base sur le mystère du col Dyatlov et en propose sa version des événements.
  • Le roman-documentaire Le Mystère Dyatlov de Anna Matveeva demeure le seul ouvrage français sur cette affaire.
  • La chaîne Youtube La séance de Minuit propose une interview passionnante sur la création de la BD avec Cédric Mayen.
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Au terme d’une année riche en bon cinéma, une dernière sortie mérite que l’on en parle : Polite Society de Nida Manzoor, sorti directement en VOD le 31 décembre 2023. Si le film n’a malheureusement pas eu droit à une sortie sur grand écran, contrairement à d’autres pays, il n’en reste pas moins une des belles surprises de l’année. Et ce serait une erreur de ne pas lui donner sa chance, tant la réalisatrice sert un film drôle, généreux et grisant sur fond de mariage et d’arts martiaux.

Folie maîtrisée

© 2023 FOCUS FEATURES LLC. ALL RIGHTS RESERVED

Petite sœur, grands problèmes. Ria voit sa grande sœur Lena accepter la demande en mariage express de Salim, un homme pratiquement sorti de nulle part. Certaine que cela cache quelque chose, elle se met en quête d’une seule et unique mission : faire échouer le mariage. Et pour ce faire, elle requiert l’aide de ses deux meilleures amies, tout en tirant partie de l’un de ses talents, son goût pour les arts martiaux. Plein d’enthousiasme, le premier long métrage de Nida Manzoor nous prend par les tripes dès ses premiers instants et nous relâche 1h45 plus tard avec le sentiment de sortir de montagnes russes absolument folles. On y découvre une belle histoire de sororité, de doutes, de vies empreintes d’une culture anglo-pakistanaise, d’une envie de laisser aller sa folie et de vivre l’instant présent. Polite Society est d’une terrible intelligence, d’une douceur sans pareil et d’une beauté qui reste en mémoire. On doit celle-ci à la mise en scène de Nida Manzoor qui met aussi bien en valeur des scènes de combats au rythme dantesque, s’inspirant parfois du cinéma d’arts martiaux asiatique avec une touche de couleurs pakistanaises, que des scènes plus légères où Ria, convaincue que Salim est mauvais, relâche sa frustration d’autres manières. Et c’est superbement interprété par Priya Kansara et Ritu Arya, qui semblent par exemple prendre un malin plaisir dans une scène qui fera sourire toutes les fratries tant elle symbolise bien la violence qui s’en déchaîne parfois quand l’on est gosses. Mais leur alchimie va au-delà de ça, incarnant toutes les deux une jeunesse anglo-pakistanaise tiraillée entre certaines traditions (avec un mariage qui semble arranger les deux familles) et l’envie de poursuivre sa propre voie, comme Ria qui se rêve en cascadeuse.

Derrière la folie du film se cache surtout beaucoup d’humour, où les scènes d’action s’enchaînent entre cris et coups en douce. Mais aussi un amour omniprésent, rappelé sans cesse, au travers de ces deux sœurs où la jalousie semble initialement être un vecteur de leur relation mais qui se révèle rapidement être un attachement fusionnel l’une à l’autre, rêvant simplement que chacune puisse avoir le meilleur, et ne pas se contenter d’un homme médiocre qui sort de nulle part. Il sera, d’ailleurs, difficile dans les mois à venir de trouver une meilleure scène de mariage que celle que nous offre Polite Society. Comme beaucoup d’autres scènes, la réalisatrice y mêle un goût certain pour les couleurs et l’envie de proposer un vrai film d’aventure. C’est flamboyant. La cinéaste va au bout des choses et ne s’impose aucune limite, pour offrir finalement un long métrage dense et généreux, imparfait, mais plein d’une énergie qui fait du bien. Et ce en dépit de quelques erreurs ici et là, avec des scènes plus émouvantes qui auraient pu gagner en épaisseur, mais ces petits errements s’expliquent aisément par l’innocence d’un premier long métrage qui fait déjà beaucoup d’excellentes choses.

Le cœur a ses raisons

© 2023 FOCUS FEATURES LLC. ALL RIGHTS RESERVED

On sent d’autant plus le plaisir pris par la cinéaste et ses actrices dans cette aventure improbable, tournant parfois à une pointe de fantastique, dans une communauté pakistanaise où la plus jeune des sœurs se rêve en cascadeuse. Un univers hautement improbable tant la cinéaste y mélange les genres, des arts martiaux à la comédie familiale, saupoudrée de drame et d’aventure fantastique, mais le charme y est. Le film a pour lui l’innocence et la naïveté des débuts, quitte à en faire un peu trop de temps en temps. Toutefois Nida Manzoor ne perd jamais de vue une intrigue bien menée, pleine d’interrogations et de rebondissements, jusqu’à un final réjouissant et l’envie de vite revoir la réalisatrice et ses actrices dans d’autres projets. Le seul tort c’est finalement d’avoir dû se limiter, en France, à une sortie VOD, alors qu’aucun distributeur ne s’est malheureusement risqué à proposer une sortie cinéma. C’est d’autant plus dommage que de nombreuses scènes gagneraient à être vues sur grand écran, rien que pour rendre honneur aux jolies images qu’elles proposent.

Plein de panache, Polite Society est tout ce que l’on n’attendait pas. Un film déroutant, généreux, à la mise en scène souvent osée et à la beauté de couleurs envoûtantes. Le duo formé par Priya Kansara et Ritu Arya est tordant, le film multiplie des thématiques intéressantes et la réalisatrice Nida Manzoor ne manque jamais de finesse quand elle les aborde. Parfois trop généreuse, la cinéaste propose beaucoup de choses pour un film relativement court, mais il est difficile de lui reprocher son enthousiasme tant il sert son long métrage. C’est cette volonté de se dépasser, de ne se fixer aucune limite, qui lui donne un style si emballant, et qui émule parfaitement l’aventure hors du commun des deux sœurs.

  • Polite Society est disponible en VOD depuis le 31 décembre 2023.
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Cicatrices est un seinen édité par Vega Dupuis, dont le premier tome est sorti le 19 janvier 2024. C’est un manga particulier dans la mesure où son auteur est de nationalité chilienne. Il s’agit d’Arias Brandon, un jeune homme né en 1997, qui a appris l’art décrire et de dessiner des mangas, de façon autodidacte. Il s’agit de sa première série professionnelle, et l’on peut dire sans trop s’avancer, qu’il débute fort, en abordant des sujets délicats.

Romance difficile entre collégiens

Première de couverture de Cicatrices © 2023, Vega Dupuis

L’édition proposée par Vega Dupuis est plutôt agréable, dotée d’une couverture souple et de premières pages en couleurs. Les illustrations d’Arias Brandon le sont tout autant, et changent de l’ordinaire. Certaines vignettes possèdent un style presque cartoonesque – ce qui n’est en aucun cas péjoratif – mais s’explique peut-être par le fait que ce manga ne soit pas japonais.

Quant à l’histoire, elle est généralement catégorisée dans le genre « romance », pourtant elle n’est pas dénuée de violence. En effet, les deux protagonistes sont en marge de la société conservatrice du Japon. Kyonosuke est un collégien dont le visage est barré par une cicatrice très visible. Ses parents n’ayant plus assez d’argent, il est contraint de renoncer à ses cours à domicile, afin d’intégrer l’école. Il croisera très vite la route de son harceleur : un garçon violent nommé Kenta. Mais une collégienne, du nom d’Akira, viendra prendre sa défense. Des sentiments naîtront très rapidement entre Kyonosuke et Akira. Cependant, celle-ci possède aussi un secret : il s’agit d’une jeune fille transgenre.

Quelques raccourcis malheureux

Comme je le disais plus tôt, il s’agit du premier tome d’un nouvel auteur, qui doit encore faire ses preuves. C’est peut-être pour cela que l’évolution de l’intrigue ou des relations entre les personnages avance très vite, au risque de sembler cousue de fil blanc. À titre d’exemple, dès son premier jour d’école, Kyonosuke se fait insulter, frapper et même racketter. Je déplore ce manque de subtilité qui rend le harcèlement un peu caricatural. On peut aussi mentionner des rencontres hasardeuses qui rendent un peu trop service à l’intrigue. Ne nous leurrons pas, le collège et le lycée ne sont pas un contexte facile pour des personnes comme Kyonosuke ou Akira, mais l’accumulation de clichés, qui ne leur laisse que peu d’instants de répit, dessert quelquefois le plaisir de la lecture.

Un premier tome empli de force

En dépit de ces légères erreurs de parcours, Cicatrices est un tome plaisant. Il porte d’ailleurs bien son nom, puisqu’il établit un parallèle entre les blessures visibles et invisibles. Les violences ne sont pas seulement physiques mais morales. Les cicatrices que l’on porte ne se voient pas toujours et, d’ailleurs, on les retrouve parfois chez celles et ceux où on les attendait le moins. Ce premier tome apprend à ne pas se fier aux apparences : j’ai moi-même été agréablement surprise par le développement de l’un des personnages secondaires. En dépit de quelques raccourcis et facilités scénaristiques, il dépeint aussi de manière crédible la mentalité conservatrice du Japon. Kyonosuke est sévèrement jugé à cause de son apparence physique ; quant à Akira, elle est considérée par certaines personnes, à commencer par son père, comme un garçon homosexuel. La différence entre le fait d’être gay ou transgenre n’est pas comprise par les autres, qui se montrent à la fois transphobes et homophobes. C’est une double peine pour Akira mais aussi pour Kyonosuke, dont l’amour s’annonce impossible. Ces deux personnages sont attachants et on désire en apprendre davantage sur eux. D’ailleurs, un flash-back assez mystérieux, à propos de Kyonosuke, attise le mystère. La fin, bien qu’elle soit rapidement amenée, annonce une suite prometteuse.

Conclusion

Cicatrices est le premier tome d’une série proposée par un auteur chilien. Il aborde des thèmes forts comme le harcèlement, la transphobie, mais aussi l’amour naissant, la tolérance et l’espoir. À plusieurs moments, les personnages montrent que de petites intentions peuvent faire la différence. Ce premier tome n’est pas dénué de défauts, comme une narration trop directe et expéditive, mais il possède aussi un certain charme et une représentation juste des minorités. J’ai envie d’encourager la première série professionnelle d’un auteur chilien qui semble y avoir mis tout son cœur. Je le souhaite d’autant plus que les protagonistes sont un garçon exclu à cause de sa cicatrice et une jeune fille transgenre, également mise en marge de la société japonaise. Son traitement n’est malheureusement pas très différent en France, quand on voit les messages de haine émis sur les réseaux sociaux, lors de la parution du manga, le 19 janvier dernier. Cela ne fait que prouver combien ces œuvres sont d’utilité publique et méritent de la force.

  • Le premier tome de Cicatrices, édité par Vega Dupuis, est sorti le 19 janvier 2024.
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Nouvelle année, nouveaux univers à découvrir dans la collection DC Infinite actuellement en cours du côté d’Urban Comics. Une collection lancée en janvier 2022, que l’on a suivie depuis lors sur Pod’culture au rythme des sorties. C’était un point d’entrée intéressant pour les néophytes d’un univers en perpétuelle évolution, qui a souvent été rendu difficile d’accès aux personnes qui n’auraient pas des heures à perdre sur de nombreux wiki pour en connaître les tenants et aboutissants. Depuis, cette nouvelle ère de DC s’est considérablement étoffée et retombe probablement dans quelques travers de difficulté de compréhension, mais comme le montre cette nouvelle fournée de janvier 2024, on trouve aussi plusieurs titres qui se suivent parfaitement sans avoir à tout connaître de DC. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce mois de janvier est généreux en nombre, après des mois de novembre et de décembre qui n’ont compté qu’une seule sortie. À noter que parmi les sorties, quelques personnages connaissent la conclusion de leur série principale à cette occasion : Harley Quinn, Superman Son of Kal El et Flash.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of Justice Society of America – Tome 1, un retour à l’âge d’or

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Bon, on commence plutôt mal avec Dawn of JSA en matière de récit accessible aux néophytes. C’est là plutôt tout l’inverse, même si le récit s’efforce d’expliquer de nombreuses choses, quitte à empiéter sur son rythme. On y fait la rencontre de plusieurs personnages dont le destin se croise autour d’une même idée : celle de l’âge d’or comics (années 1940-1950). D’abord avec un récit centré sur Stargirl, intitulé « Les enfants perdus », où elle tente de retrouver de jeunes acolytes de super-héros·ïnes de cette époque là, puis avec des histoires autour de la destinée de Doctor Fate, dont la mort a toujours précédé les nombreuses chutes de la Société de Justice d’Amérique (la JSA, au centre du récit). L’histoire en six chapitres sur Stargirl est une jolie réussite. Geoff Johns y explore un personnage au courage débordant, déterminé à faire ses preuves face aux Sept soldats de la victoire, une bande de héros et d’héroïnes, alors que ces derniers la mettent de côté pour la protéger. Agréable à suivre, cette histoire qui met en scène une sympathique Stargirl, alliée à Red Arrow (dans la peau d’Emiko Queen, sœur du Green Arrow) multiplie ses références à l’âge d’or et va même chercher du côté de Peter Pan. Effectivement, l’histoire nous amène vite sur une île mystérieuse où vivent ensemble des enfants abandonnés ; un monde fait de magie et d’une menace effrayante, au style certes kitsch mais franchement bien amené. Cette bande de gamin·e·s, autrefois acolytes de supers en collants, expriment leur mal-être mais aussi leur espoir quant à leur avenir, tranchant avec l’aspect hors du temps et sans issue d’une île qui semble les empêcher de repartir.

Plus tard, le comics part sur « Le nouvel âge d’or », une autre histoire qui, dans la continuité de celle de Stargirl (avec un lien bien établi entre les deux), va s’intéresser aux cycles du temps, aux morts successives de Doctor Fate à travers les âges et l’apparition de nouvelles personnes reprenant son fameux casque et son identité, lui permettant de voir l’avenir. Racontée du point de vue de Helena, une nouvelle Huntress du futur (qui s’avère être la fille de Catwoman et Batman), l’histoire montre de bonnes choses pour le moment mais ne constitue qu’une introduction aux événements qui seront racontés dans un tome 2. Dans l’ensemble on sent que Dawn of JSA tente de retrouver l’aura des anthologies que l’on trouvait en kiosque à une autre époque, avec une pagination désormais plus importante mais la même volonté de proposer plusieurs histoires autour d’un fil rouge commun. Ce n’est pas une mauvaise idée, mais à 30 euros le tome, j’ai tendance à m’interroger sur la cible visée : j’aurais bien du mal à le recommander pour la simple qualité de ses histoires, même si j’ai passé un bon moment, et il est difficile à l’heure actuelle de savoir si ce tome présentera un intérêt particulier pour les autres comics à venir.

Dawn of Superman – Tome 1, l’ennemi de mon ennemi est mon ami

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Animé par la même volonté de proposer plusieurs histoires autour d’un thème commun, le premier tome de Dawn of Superman qui sort ce mois-ci raconte quant à lui la relation pour le moins difficile entre Superman, boyscout optimiste de tout son être, et son némésis Lex Luthor, génie pragmatique aux tendances autoritaires. Deux visions du monde qui s’opposent depuis toujours, et qui trouvent là un point d’apogée à l’heure où Joshua Williamson reprend la suite des aventures de Superman. Dans cette anthologie, on trouve également des Action Comics de Phillip Kennedy Johnson, qui écrit Superman depuis le lancement de l’ère Infinite, et deux épisodes de Knight Terrors : Superman, l’évènement principal dont il est question ce mois-ci dans le comics Justice League Knight Terrors dont je parlerai plus bas dans cet article. Pour ce qui est de ce premier tome, on découvre un récit étonnamment plutôt léger dans le ton et l’ambiance où Superman, de retour sur Terre, retrouve son job au Daily Planet tout en continuant ses activités de héros. Et face à une invasion de parasites sur la ville qui transforment les habitants en créatures affamées, il se retrouve allié à Lex Luthor par la force des choses. Un éternel antagoniste qui semble vouloir s’allier à lui pour de bon, mais aussi pour se débarrasser d’une plus grande menace. Un partenariat (certainement temporaire) qui fonctionne sacrément bien, d’autant plus que l’écriture de Williamson fonctionne plutôt bien avec l’univers du kryptonien. Le comics apparaît même comme une bouffée d’air frais après un précédent run de Phillip Kennedy Johnson qui était moins satisfaisant dans l’ensemble, s’éparpillant un peu partout sans satisfaire ses ambitions initiales. Celui-ci, initié dans les Superman Infinite (en cinq tomes) connaît sa suite dans les épisodes de la dernière partie de l’anthologie Dawn of Superman.

Et c’est très joli grâce au super travail notamment de Jamal Campbell, qui joue beaucoup sur les lumières et le côté horrifique tout en restant assez léger et tout public. Rafa Sandoval fait aussi de belles choses sur les épisodes d’Action Comics. Agréable à lire et à suivre, faisant intervenir Lois Lane et Jimmy Olsen au quotidien du Daily Planet, en y ajoutant l’alliance à Lex et à sa société devenue Supercorp (en remplacement de Lexcorp) dans le récit de Williamson, et Lex en antagoniste dans celui de Johnson, on y trouve tous les ingrédients et personnages qui font l’essence même de cet univers. Quitte à en faire un peu trop et à ressembler parfois à un grand récit fan service, mais on ne lui en veut pas. Surtout que les récits suivants, un Superman Annual et les deux Knight Terrors : Superman, maintiennent un niveau de qualité similaire pour former un tout cohérent, avec même quelques belles idées de mise en scène dans Knight Terrors : Superman. Si Dawn of JSA manque un peu son coup malgré quelques bonnes choses, Dawn of Superman est quant à lui une belle réussite en plus d’être facilement accessible sans avoir lu les histoires précédentes. Cela dit, à 35 euros le ticket d’entrée, il vaut mieux déjà avoir un certain intérêt pour le personnage.

Superman Son of Kal El Infinite – Tome 3, à l’assaut de la tyrannie

© 2024 DC Comics / Urban Comics

On découvrait il y a près de deux ans en VF les aventures de Jon, fils de Superman, qui reprenait le rôle de son père alors que ce dernier avait quitté la Terre dans sa quête contre le Warworld (encore une fois, les évènements de Superman Infinite). Trois tomes plus tard, la publication en VF connaît un ultime tome qui sort ce mois-ci, avec en point d’orgue la conclusion des aventures de Jon (devenu Superman) et de son petit ami Jay Nakamura contre la tyrannie de Gamorra, l’île fictive dont est originaire Jay. Un lieu où un certain président Bendix règne en dictateur, soumettant une partie de la population à l’esclavage. Pleine d’action, comme à l’habitude des comics de Tom Taylor, cette conclusion nous offre quelque chose de très dynamique visuellement avec une écriture plutôt agréable et fidèle à ses personnages, profitant de leur bienveillance pour raconter des choses aux valeurs similaires à celles du Superman historique. Le bon côté, c’est que l’aspect « blockbuster » avec ses scènes d’action et ses grands discours de méchants très méchants n’empêche pas l’auteur de prendre du temps à certains endroits pour ancrer ses personnages dans leur réalité. La relation entre Jon et Jay est toujours géniale, et leur entourage joue un rôle important, même si le récit ne peut s’empêcher de tirer vers des choses très caricaturales, notamment dans les derniers chapitres.

Passé l’histoire de Gamorra, le comics nous embarque dans les numéros de Adventures of Superman : Jon Kent, une autre aventure où le fils de Superman part affronter Ultraman, celui qui l’a asservi des années (dans les évènements de l’ère précédente de l’univers DC). Là aussi, on tombe sur quelque chose d’assez peu porté sur l’originalité, Ultraman étant l’un de ces méchants qui n’a d’autre objectif que de tuer les gentils (sans que l’on s’attarde trop à lui demander pourquoi), mais encore une fois, ça marche bien. Et ce grâce aux qualités d’écriture de Tom Taylor quand il raconte les traumas de son personnage qui retrouve son oppresseur, mais également parce qu’il a la bonne idée d’emmener le récit dans un autre univers, celui de Injustice. Et ce n’est pas un hasard : d’abord, parce que Injustice est la série de comics qui a fait exploser la carrière de Tom Taylor, mais aussi parce qu’en l’envoyant là-bas, il confronte Jon Kent à une version maléfique de son père. Là encore la conclusion de l’histoire est plutôt facile, et laisse la porte ouverte à une suite, mais je ne boude pas mon plaisir, c’est toujours un plaisir à lire.

Flash Infinite – Tome 4, le voyage dans le temps, on appelle ça un lundi à Central City

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Pour la série Flash Infinite également, ce mois de janvier marque la fin de la publication VF (en attendant une suite sous un autre titre). Pour l’occasion, ce volume s’ouvre sur la « guerre d’une minute« , un arc où Central City, la ville qui accueille Flash et ses comparses, est envahie par une nation extraterrestre nommée la « Fraction ». Une nation génocidaire qui tente de s’emparer des ressources naturelles de chaque planète que leur vaisseau croise. La particularité toutefois, c’est que ces nouveaux ennemis ont été capables d’absorber les capacités des « bolides » comme Flash, en exploitant la force véloce pour mener des guerres… d’une minute, les populations locales n’ayant même pas le temps de les voir arriver et agir. Tout commence d’ailleurs quand la population se trouve figée, à l’exception évidemment des bolides, capables d’aller à la même vitesse que ces extraterrestres. L’idée n’est pas mauvaise, et ça exploite plutôt bien les spécificités de l’univers de Flash, mais l’aventure se perd assez vite en tournant encore et toujours autour de questions de passé, de futur et de voyage dans le temps. La résolution se devine dès les premières pages, et l’auteur Jeremy Adams est absolument incapable de surprendre avec ses idées. Il balance dans le tas quelques morts pour tenter de choquer, mais il est bien difficile de s’emparer d’une quelconque émotion quand l’on sait que vingt pages plus tard, il va se passer la même chose que d’habitude. On ne peut pas complètement le lui reprocher non plus, ça fait longtemps que l’univers DC a établi que les Flash sont capables de remonter le temps (grâce à la force véloce, en courant très vite), mais peut-être qu’il faudrait envisager les récits et les cliffhangers différemment. Surtout qu’il y parvenait plutôt bien dans le premier tome de Flash Infinite.

Cette conclusion a quand même pour elle l’écriture des personnages, toujours sympathiques, avec une petite bande de bolides qui se serrent les coudes pour vaincre l’ennemi. Mais s’il faut trouver un véritable intérêt à l’achat, ce serait plutôt à chercher du côté de la présence d’extraits du numéro 800 de The Flash, publié l’année dernière aux Etats-Unis, et qui vient conclure le tome (qui réunit les épisodes 790 à 799). La particularité de ce numéro 800 est qu’il multiplie les hommages aux différents personnages, en guise de célébration. Alors ces extraits sont plutôt courts, mais ils ont le mérite d’être là et sonnent plutôt bien après l’aventure principale, celle-ci ayant mis en scène de nombreux personnages qui apparaissent ensuite dans le numéro 800. De manière générale, cet ultime volume est à l’image de l’ensemble du run de Jeremy Adams : quelques bonnes choses ici et là, des bonnes surprises occasionnelles, mais un ensemble oubliable.

Harley Quinn Infinite – Tome 4, Harley était la gentille de l’histoire

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dernière série du mois qui connaît une fin, la Harley Quinn Infinite de Stephanie Phillips. L’autrice racontait depuis le premier tome le difficile arc de rédemption de Harley Quinn, qui s’est définitivement coupée de l’influence du Joker (qui est de toute manière mort/disparu depuis longtemps dans l’univers DC Infinite) et avait décidé de faire le bien, avec l’espoir peut-être vain de se racheter aux yeux d’une ville qu’elle a elle-même martyrisé. Cet arc, parfois drôle, souvent émouvant, nous emmenait dans le psyché d’une vilaine devenue héroïne, couronnée d’une force morale -et mentale- impressionnante, malgré les nombreux obstacles mis sur sa route. Entre celles et ceux qui ne croient pas à sa rédemption, mais aussi avec ses comparses d’autrefois qui espèrent la ramener du mauvais côté. Et parmi eux, on découvrait dans le tome précédent Verdict, une ancienne flic devenue vilaine, qui avait tenté de mettre sur le dos de Harley Quinn un crime qu’elle n’a pas commis pour se venger d’elle. Tentant de prouver son innocence, elle avait dû refaire des trucs pas très légaux. Depuis, avec cette suite, Harley se trouve embarquée dans un nouvel arc par Luke Fox (fils de Lucius) pour ce qu’il lui présente comme une mission sur la lune fortement rémunérée, afin de récupérer un artefact disparu. Comme la réalité colle rarement aux offres d’emploi, elle découvre rapidement que la mission est plutôt du genre mission suicide, qu’elle est embarquée avec une bande de vilain·e·s (dont Verdict) et qu’en plus, l’artefact est plutôt une créature extraterrestre aux envies de meurtre de masse. Ce qui était initialement une mission d’équipe devient vite une catastrophe, alors que le comics part dans une ambiance de SF assez classique avec une créature immonde qui hante un centre de recherche abandonné sur la Lune, une créature qui tente d’éliminer un à un les compagnons de route de Harley.

Bon, Harley oblige, tout ça est raconté sous un angle assez drôle, avec un second degré omniprésent et des bonnes blagues qui lui permettent d’ignorer le drame qui se joue. L’humour grinçant de Stephanie Phillips fonctionne toujours du tonnerre, offrant à sa Harley quelque chose d’extrêmement attachant. Elle n’hésite pas à montrer le personnage sous tous les angles, quitte à ce qu’elle soit imparfaite, et ce afin de l’humaniser. À tel point qu’aujourd’hui Harley Quinn est sans nul doute l’une des meilleures « héroïnes » de l’univers DC, puisque son ambiguïté, ses difficultés à ne faire que le bien sans que rien ne dérape lui confèrent quelque chose d’infiniment plus humain que d’autres personnages qui prennent constamment les bonnes décisions. C’est cette difficulté à toujours être du bon côté, à ne pas faire d’erreur, qui fait tout le sel d’une héroïne qui tente de faire oublier le mal qu’elle a fait dans le passé, quand elle était sous l’emprise du Joker. En bref, et à l’image du reste des Harley Quinn Infinite, ce quatrième tome est excellent, et j’espère que le personnage reviendra très vite dans une autre série.

Nightwing Infinite – Tome 5, un grand pouvoir implique de grandes…

© 2024 DC Comics / Urban Comics

De plus lourdes responsabilités pèsent sur les épaules de Nightwing depuis les évènements du précédent tome. Superman et les autres grand·e·s de ce monde lui ont en effet confié la responsabilité de porter une nouvelle Justice League, alors que l’ancienne a volé en éclats et ne représente plus vraiment la jeunesse qui pousse pour se faire une place. Responsable d’une équipe de héros et d’héroïnes de demain, Nightwing était retourné voir les Titans pour avoir un coup de main. C’est ainsi que le héros masqué et les Titans se retrouvent dans une escapade en enfer pour prendre Néron à son propre jeu. Divinité des enfers, celui-ci avait semble-t-il marchandé l’âme d’Olivia, une toute petite fille dont le père, Blockbuster, a été tué. La gamine, traquée par Néron, est alors protégée par les Titans qui vont tenter de trouver une solution pour se débarrasser de la menace. Un arc plutôt sympathique, très court, mais qui reste dans l’esprit des derniers tomes : dynamique, avec un rythme soutenu, fort d’un personnage qui a gagné en épaisseur et en charisme au fil du temps. La série Nightwing Infinite est, comme la série consacrée à Harley Quinn, l’une de mes préférées sur de l’ère DC actuelle, et ce cinquième tome n’ébranle en rien le plaisir de lire ses aventures. D’autant plus que le duo Tom Taylor à l’écriture et Bruno Redondo au dessin montrent encore tout son savoir-faire dans un épisode introduisant l’arc suivant, où Nightwing et Batgirl tentent d’aider deux « vilaines » poursuivies par une corporation. Si je mentionne cet épisode, c’est parce qu’il a été mis en scène intégralement à la première personne, dans les yeux de Nightwing. Comme si nous étions dans un jeu vidéo, on vit les cascades et le quotidien du héros dans sa peau, et ça marche sacrément bien. Cela ne pourrait être qu’un gimmick, mais le duo auteur-dessinateur est suffisamment malin pour utiliser le concept comme moyen narratif et non comme un simple effet de style. C’est fin, malin et drôle, parfois même émouvant, et d’une vraie beauté visuelle. Encore une réussite.

Et puis le tome termine sur deux épisodes de Knight Terrors : Nightwing, cette fois-ci écrits par Becky Cloonan et Michael W. Conrad (à qui l’on doit les Wonder Woman Infinite), en introduction du Justice League Knight Terrors que j’aborde plus bas. Deux épisodes psychédéliques dans l’esprit de Nightwing, alors que le monde est plongé dans un puissant sommeil à la faute d’un nouveau vilain. On y découvre ses peurs, emprisonné avec les pires ennemis de Gotham dans une Arkham où les gardes ont des visages d’animaux. C’est barré et pas désagréable du tout à lire, même si le ton change évidemment beaucoup de la série de Tom Taylor qui est habituellement moins fantaisiste (à part l’histoire de la visite en enfers avec Néron, certes). Dans tous les cas, je ne peux que vous inciter à acheter ce tome, et si ce n’est pas le cas, découvrir cette excellente série de comics depuis le premier volume.

Justice League Knight Terrors, les cauchemars ont un nom

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Courte histoire en un tome, Justice League Knight Terrors nous plonge dans les cauchemars les plus sombres de nos héros et héroïnes. La faute à Insomnia, un nouveau super-vilain dont les pouvoirs se sont révélés à cause de la pluie verte causée par l’explosion des puits de Lazare lors des évènements de Planète Lazarus. Des pouvoirs qui lui permettent désormais de plonger toute la planète dans un profond sommeil, au cours duquel chacun·e se trouve confronté·e à ses pires cauchemars. Évidemment, les super ne sont pas exempts, à l’exception de celles et ceux dont l’existence dépasse la simple enveloppe corporelle, comme Deadman. Le plus mort des héros se trouve être le protagoniste de l’histoire, lui qui est un des rares à ne pas être atteint par Insomnia. Pour l’arrêter, il se lance dans une enquête afin de comprendre la nature et la portée de ses pouvoirs, mais aussi dans une course contre la montre, des créatures venant des cauchemars se matérialisant visiblement dans la réalité. Plutôt fun dans la forme, ce récit aux tendances horrifiques (mais pas franchement flippant) sort peut-être un peu trop tard tant son ambiance rejoint celle d’Halloween, mais cela ne l’empêche pas d’offrir une petite lecture sympathique pour quiconque souhaiterait s’essayer à un récit complet qui ne nécessite pas vraiment de connaître les évènements du reste de l’univers DC. Si son lien avec Planète Lazarus est bien direct, il résume le nécessaire en quelques cases, juste de quoi expliquer d’où sort le vilain du jour. L’autre chose plutôt fun du récit, c’est que Deadman doit s’accomoder de sa forme physique, celle de l’âme d’un homme mort, pour influencer un monde qu’il ne peut toucher directement. Il s’amuse donc à prendre possession de Batman, soudainement mis dans la position d’un pantin, chose qu’il ne goûte guère et qui pourrait refroidir leurs relations.

De manière générale, on sent que Joshua Williamson, qui chapeaute le comics, prend beaucoup de plaisir dans un récit horrifique qui ne s’embarrasse que de peu de contraintes. Et il en est de même pour les artistes qui passent dessus, comme le numéro de Howard Potter dont le trait déstructuré sied parfaitement à la mise en place d’un univers foutraque, tandis que Giuseppe Camuncoli apporte ensuite un style moins dilué mais plus sombre. L’efficacité visuelle est maximale, ce qui permet à Knight Terrors de rejoindre bon nombre d’évènements popcorn qui sont proposés régulièrement par DC Comics, avec une facilité d’accès et de mise en scène qui permet probablement de s’adresser à un public plus large. Au passage, les artistes prennent du plaisir en imaginant une histoire courte sans contrainte de la série principale de chaque personnage convoqué. Bref, c’est un bon moyen de finir le mois.

  • L’ensemble des comics de la collection Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Insomniac Games a pris tout son monde par surprise en 2018 sur PlayStation 4 en proposant Marvel’s Spider-Man, leur premier jeu adapté d’une licence de super-héros. Un titre qui a su convaincre autant le public que les critiques, alors que la licence Spider-Man avait connu beaucoup de ratés côté jeux vidéo. C’est en proposant une histoire solide, pleine d’émotions, mais aussi un gameplay grisant, que le titre s’était fait une belle place dans le cœur des fans. Puis un opus sous-titré Miles Morales avait pointé le bout de son nez au lancement de la PS5, mettant en scène le héros du même nom. Un titre moins ambitieux, plus condensé, mais pas moins sympathique, qui faisait office de transition en attendant le prochain grand jeu, sorti finalement le 20 octobre dernier. Alors Marvel’s Spider-Man 2 est-il capable de sublimer la formule initiée par son aîné ?

La force de l’amitié… sans clichés

© 2023 Marvel’s Spider-Man 2 / Insomniac Games

Le premier jeu sorti en 2018 nous faisait découvrir un Peter Parker qui tentait d’entrer dans la vie active, aux côtés d’un scientifique qu’il admirait, Otto Octavius. Les choses ont évidemment mal tourné, celui-ci finissant par devenir Dr. Octopus, mais c’est dans cette proximité avec l’humain derrière le masque que les têtes pensantes de Insomniac Games trouvaient de très belles choses à dire sur Spider-Man et son univers. Il pourrait pourtant paraître éculé, le super-héros ayant connu un nombre incalculable d’adaptations, sans même parler des milliers de numéros de comics où il apparaît. Plus encore, le premier jeu prenait assez peu de risque en abordant le héros sous un angle déjà bien connu, celui du jeune premier, et de son éternelle confrontation avec Octopus. Mais cela a parfaitement fonctionné grâce à deux ingrédients : d’abord, le héros étant ancré dans son quotidien, entre les interventions de son amour de toujours Mary Jane, celles de sa tante May, et les nombreuses missions qui ne visaient à rien d’autre qu’à aider les habitant·e·s des quartiers qu’il traversait. L’autre ingrédient, c’était celui d’une amitié formée avec le grand méchant, dans le privé, jusqu’à ce que celui-ci devienne le « vilain » que l’on connaît si bien. Ces deux éléments étaient fondamentaux dans la réussite narrative du premier titre, et cette suite les reprend évidemment. Mais avec des subtilités supplémentaires, car on n’incarne plus uniquement Peter Parker, puisqu’il est rejoint ici par Miles Morales. Ce dernier a d’autres préoccupations. Il vient d’un milieu différent et il est plutôt en fin de lycée, en vue d’intégrer une université. Son entourage est différent, moins mature, mais cela n’empêche pas Insomniac Games d’y remettre les mêmes ingrédients, en racontant un héros proche de son quartier, de sa communauté, même s’il doit apprendre à jongler entre ses impératifs personnels et sa nouvelle vie de super-héros. Tout ce qu’a déjà appris à faire il y a longtemps son mentor Peter Parker.

En s’inspirant de nombreux comics comme La Dernière Chasse de Kraven ou King in Black, ce nouveau jeu embarque néanmoins, à la différence du premier, ses héros dans un ton infiniment plus sombre. Il y a Kraven d’abord, un vilain redoutable qui incarne à lui seul l’essentiel de la violence que l’on trouve dans l’univers de Spider-Man. Il ne semble obéir à aucune règle, n’hésitant pas à tuer (alors que le Spider-verse est habituellement plus doux sur ce point là), cherchant à éliminer tout le monde, jusqu’à isoler et traquer le héros. Et puis il y a le symbiote, l’incarnation de Venom, dont la brutalité n’est un secret pour personne, et que le jeu retranscrit plutôt très bien, poussant ses héros vers un gouffre qui semble sans fond. Toute la deuxième partie du jeu ressemble à une descente aux enfers, et ça a été une sacré surprise. Car c’est presque inattendu, Insomniac Games ayant tenté de rester plutôt « tout public » dans son premier jeu et qui là, sans que ce soit d’une violence insupportable, n’hésite pas à surprendre, voire à choquer, à l’occasion de quelques scènes où le symbiote montre son vrai visage. Et ce changement d’orientation fonctionne d’autant mieux que le jeu s’est attaché dans toute sa première partie à raconter les amitiés qui unissent les protagonistes concernés par ces évènements dramatiques. Il y a l’amitié de Peter Parker et Harry Osborn, que les précédents jeux ont suggéré, mais aussi l’amour qui unit le premier à Mary Jane. Enfin, la relation naissante – mais terriblement mignonne – entre Miles Morales et Hailey Cooper fonctionne très bien, donnant même l’occasion d’offrir de très nombreuses scènes en langage des signes, un point d’attention remarquable et un risque narratif maîtrisé : c’est une autre manière de livrer des dialogues, malheureusement rare dans les jeux vidéo, et celui-ci s’en sort très bien.

© 2023 Marvel’s Spider-Man 2 / Insomniac Games

Il y a peut-être quelques reproches à lui faire, la place notamment de Miles Morales qui apparaît parfois en retrait, l’essentiel des scènes les plus importantes tournant autour de Peter Parker. Mais c’est peut-être aussi parce que l’histoire se raconte comme une passation de pouvoir, entre l’ancien et le nouvel héros. Car Miles Morales incarne un certain renouveau, entouré de sujets plus modernes, de soucis similaires à ceux des jeunes d’aujourd’hui. Il incarne la volonté de parler d’inclusivité et de diversité, de résilience de communautés mises à l’écart, de la nécessité de tendre la main à celleux qui n’ont pas eu la même chance au départ de leur vie. Et cela répond très bien à ce qu’incarne Peter Parker, qui est raconté dès le premier jeu comme très investi dans le volontariat (aux côtés des plus pauvres notamment), tandis que ce second jeu a un sous texte écologique plutôt intéressant. De manière plus générale on sent que Insomniac Games, qui s’est entouré de plusieurs jeunes auteurices venu·e·s des comics ou des romans young adult, avait envie de raconter des choses différentes, déjà esquissées dans le jeu Marvel’s Spider-Man : Miles Morales, quitte à déplaire aux franges les plus réactionnaires du jeu vidéo. Et cela a le mérite en plus d’interroger ses héros sur le sens de leur action, sur leur impact pour leurs communautés, mais aussi l’intérêt d’une action individuelle au regard du collectif. Cela se ressent notamment du côté de Miles qui est tiraillé entre son action et celle de sa mère élue au conseil municipal.

« More of the same », mais il le fait bien

© 2023 Marvel’s Spider-Man 2 / Insomniac Games

En dépit d’une structure très similaire à celle de son aîné, le monde ouvert de Marvel’s Spider-Man 2 gagne en profondeur. Et ce grâce à une ville considérablement agrandie, quasiment doublée, avec l’arrivée du quartier de Brooklyn en complément du Manhattan du premier jeu. Il y a un plaisir certain à enfin pouvoir franchir le fameux pont de Brooklyn, d’autant plus que tous les jeux Spider-Man sortis depuis vingt ans se limitaient à Manhattan, mais en plus ce nouveau quartier apporte une nouvelle manière de jouer. Car à la différence des gratte-ciels de la part la plus bourgeoise de New York, Brooklyn (qui n’a pas évité la gentrification, et ça se voit d’ailleurs dans le jeu) est composé de plus petits immeubles, et même d’un quartier pavillonnaire où il est évidemment plus difficile de se déplacer dans les airs. Et c’est là qu’une nouvelle manière de se mouvoir prend tout son sens : le « delta-toiles ». Inspiré par ce que l’on a vu dans plusieurs comics, les deux Spider-Man bénéficient sur leurs tenues de toiles déployées sur leurs flancs, sous les bras, afin de pouvoir planer dans les airs. Si ce système ne permet pas de voler de manière infinie et la distance parcourue dépend de l’élan pris initialement, il permet toutefois d’emprunter des « couloirs » d’air qui donnent un boost sur une certaine distance, tandis qu’en dehors des couloirs, cela permet de planer sur de longues distances en attendant de pouvoir atteindre un immeuble, une grue ou encore un hélicoptère de passage qui pourraient être utilisés pour se balancer à l’aide des toiles plus classiques.

Quant à sa forme, Brooklyn est plutôt sympathique à l’oeil, et offre de nouveaux lieux et références à l’univers de Spidey, à commencer par le lycée Brooklyn Visions où étudie Miles Morales. Un lieu où l’on peut réaliser quelques quêtes secondaires assez sympathiques, marquant narrativement la proximité de Miles avec ses camarades, loin des considérations plus adultes d’un Peter Parker. Il est d’ailleurs possible de passer d’un personnage à l’autre à tout moment dans les séquences libres en monde ouvert, mais la plupart des missions exigent de jouer un personnage en particulier, même si certaines missions à deux nous montrent les deux araignées se battre ensemble. Quant à la progression, chacun dispose de son propre arbre de compétences à maximiser, bien qu’un troisième arbre, en commun, permet d’obtenir des compétences valables pour les deux. Mais c’est côté combat qu’il y a le plus de similarités avec le premier jeu.

© 2023 Marvel’s Spider-Man 2 / Insomniac Games

Certes les combats bénéficient de quelques ajouts, notamment de nouveaux pouvoirs pour les deux personnages, à commencer par ceux du Symbiote pour Peter Parker, et un « filin de toile » à utiliser dans les phases d’infiltration pour se mouvoir en hauteur de manière plus libre, permettant d’installer une longue toile d’un mur à l’autre pour s’y balader et choper les ennemis en contrebas. Mais dans l’ensemble, on retrouve les mêmes dynamiques de combat, le même type d’ennemis, et des objectifs secondaires quasiment identiques entre les bases d’ennemis à nettoyer et les courses poursuites avec des malfrats à arrêter. Heureusement, c’est l’enrobage qui fait la différence, avec un jeu jamais avare en dialogues bien sentis et plein d’humour, qu’il s’agisse des podcasts réactionnaires de JJJ diffusés dans les oreilles de Spidey, ou les rencontres avec divers personnages. Mais aussi, chaque mission, aussi banale soit-elle, est souvent une bonne occasion pour le jeu de nous rappeler quelques références à son univers, à faire du fan service et des clins d’œil à des choses qu’on n’imaginait pas trouver là. C’est probablement facile, mais pour un fan de cet univers comme je le suis, ça fait mouche. À l’image du premier jeu, on sent que le titre a été pensé par des fans de Spider-Man, et c’est toujours plaisant.

Une réussite artistique, un univers savoureux

© 2023 Marvel’s Spider-Man 2 / Insomniac Games

Le fait d’être imaginé par des fans n’est pas toujours gage de qualité, mais on sentait dès le premier épisode, son extension Miles Morales et maintenant avec ce second épisode, que Insomniac Games et ses auteurices, artistes et développeurs·euses ont toujours voulu aborder la licence en gardant une proximité importante avec les comics qui ont fondés ces personnages. Si le jeu n’hésite pas à prendre des libertés, que cela soit à cause de contraintes de structure vidéoludique ou pour offrir leur propre conception des personnages, le titre ne cesse de référencer quelques aventures les plus populaires et, quand il réinvente son univers, il le fait toujours dans le respect des valeurs des originaux qu’il référence. Cela se sent par exemple dans la création de leur Venom, différente des matériaux dont iels s’inspirent, mais qui reste dans le ton très similaire à ce que les auteurices de comics voulaient raconter initialement. Cette envie de bien faire l’empêche parfois de prendre des risques, n’allant pas toujours au bout de ses idées pour rester assez conventionnel. À l’exception évidemment de la quête principale, qui prend une tournure surprenante dans sa deuxième partie, et son insistance autour de l’inclusivité et de la diversité qui donne une place importante à des thématiques qu’on voit rarement dans les jeux vidéo AAA.

Le jeu profite en plus, artistiquement, de la beauté d’un monde ouvert où le plaisir de se balader reste toujours l’un des meilleurs arguments de la licence. Le premier jeu avait su convaincre pour le plaisir procuré et les sensations de liberté au moment de se balancer avec ses toiles entre les gratte-ciels de Manhattan, et cette suite reprend entièrement ces sensations. En y ajoutant une touche supplémentaire avec un delta-toiles qui fonctionne très bien, mais surtout un sentiment de pouvoir explorer sans limites grâce à l’agrandissement de la carte. Plus encore, ce sont les effets de lumière, les reflets plus réalistes, les intérieurs des appartements que l’on aperçoit en se baladant le long d’un immeuble, qui donnent beaucoup de vie à la ville. De la même manière, les voitures et les piétons sont plus nombreux dans les rues, la distance d’affichage accrue par rapport au premier sur PS4, et les effets de particules plus solides. Sans pour autant révolutionner l’aspect visuel du jeu, celui-ci est plus organique, plus vivant, plus agréable à parcourir.

Je n’avais que peu de doutes sur le fait que cette suite saurait m’emporter et me séduire, en tant que fan de Spider-Man, mais aussi après avoir adoré les deux précédents jeux. Mais je ne m’attendais pas à ce que la narration ose autant dans la deuxième moitié de la quête principale, ce qui ajoute une jolie surprise à un ensemble qui peine parfois, sur ses autres éléments, à apporter de la nouveauté. Mais parfois, une recette qui fonctionne est aussi satisfaisant, Marvel’s Spider-Man 2 étant la garantie de retrouver toutes les bonnes choses de ses prédécesseurs. Insomniac Games avait trouvé la bonne formule en 2018 et l’agrémente cette année de quelques détails en plus pour qu’elle ne perde rien de sa fraîcheur, pour offrir dans l’ensemble un jeu capable de séduire autant pour le plaisir qu’il procure quand on explore son univers, que pour les émotions qu’il sait transmettre à quelques moments clés de son histoire. Une belle réussite.

  • Marvel’s Spider-Man 2 est disponible sur PlayStation 5 depuis le 20 octobre 2023.
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Il est certainement inutile de présenter La Casa de Papel, une série espagnole qui connut un succès international, dès qu’elle parut sur Netflix, en 2017. Force est de constater que les deux premières parties, initialement produites par Antena 3, étaient d’excellente facture. Les trois parties suivantes, conçues par Netflix, l’étaient un peu moins. Et pourtant, le succès était toujours au rendez-vous ; si bien qu’un remake coréen sortit en 2022. On en entendit déjà moins parler. De l’eau avait coulé sous les ponts… La popularité des braqueurs·euses portant le masque de Dali s’était bel et bien essoufflée. Netflix choisit pourtant de faire renaître la série de ses cendres ; ou du moins un personnage en particulier. Il s’agit d’Andrés de Fonollosa, aka Berlin, incarné par Pedro Alonso. Le braqueur à la personnalité fortement controversée, et malgré tout populaire auprès des fans, s’est vu offrir un spin-off faisant office de préquel. Cette série, constituée de huit épisodes, est sortie le 29 décembre 2023, sur Netflix. Il ne reste plus qu’à se demander si c’était un beau cadeau de Noël…

Un monstre à Paris

Berlin a fondé sa propre équipe © 2023, Netflix

Réaliser un spin-off et un préquel n’est pas chose aisée. Cela nécessite de trouver un équilibre délicat entre la fidélité à la série originelle et la nécessité de se renouveler. Le personnage principal est – par définition – intouchable, ce qui peut empêcher d’insérer de la tension ou des enjeux. C’est peut-être pour cette raison que Berlin prend le contre-pied de La Casa de Papel. Vous pouvez dire adieu au huis-clos qui a fait le succès de la série originale, puisque de nombreuses scènes se déroulent en extérieur, à Paris. Si les plus chauvin·e·s d’entre nous en seront heureux·.euses, cela a un revers de la médaille. Le braquage, pourtant prometteur puisqu’il est question de dérober 400 millions d’euros de bijoux, en une nuit, n’occupe même pas la moitié de la saison, ou à peine. Le reste de l’intrigue se concentrera sur la fuite des braqueurs·euses et sur – il faut le reconnaître – pas mal de remplissage. Berlin tâche aussi d’être beaucoup plus léger que La Casa de Papel, pour ne pas dire que la série verse dans la comédie romantique. Il est vrai que les relations amoureuses ou conflictuelles avaient une place prépondérante dans la série de base, mais cela fonctionnait car ça n’empiétait pas de manière démesurée sur l’intrigue principale, sans compter que les personnages étaient bien écrits et attachants. Ce n’est malheureusement pas le cas des personnages inédits de Berlin. Bien qu’ils semblent sympathiques, de prime abord, ils ne s’avèrent être que de sombres caricatures de ce qu’on a pu connaître auparavant. Malgré de bonnes intentions, comme le fait de nous aérer l’esprit, Berlin échoue donc à proposer de véritables enjeux, et surtout de nouveaux personnages captivants.

Le club des cinq

Une belle équipe de bras cassés © 2023, Netflix

L’équipe de braqueurs·euses est constituée de cinq nouveaux membres. La plus intéressante d’entre eux est probablement Keila, interprétée par Michelle Jenner. On aurait pu craindre qu’elle incarnerait tous les clichés de la geek, mais ce n’est pas vraiment le cas. Keila, peu coutumière des relations amoureuses, a l’habitude de se réfugier dans sa propre réalité virtuelle. Mais le casse lui permet de faire la rencontre de Bruce, et de prouver qu’elle a plus d’une corde à son arc, puisqu’elle n’a pas froid aux yeux quand il faut passer à l’action. Damian, le vétéran de l’équipe, joué par Tristan Ulloa, est aussi plutôt sympathique. Il offre un parallèle intéressant avec Berlin, dont il est l’opposé. Il est plus posé, en couple depuis longtemps, et ne supporte pas de voir son leader papillonner à droite et à gauche. Les deux hommes finiront malgré tout par se comprendre mutuellement et, paradoxalement, c’est là que Damian perd tout son intérêt narratif. L’équipe compte également Cameron, incarnée par Begona Vargas. Son rôle dans le casse est déjà un peu plus flou. On cerne vaguement un mélange entre Tokyo et Nairobi, mais malheureusement, sa seule caractéristique est de ne s’être jamais remise de la rupture avec son ex. Roi (Julio Pena), quant à lui, avait du potentiel. Il s’imaginait être le fils spirituel de Berlin, alors que celui-ci ne le considère que comme un chien bien dressé. Malheureusement, ce lien ne sera jamais vraiment exploité, tant Berlin a peu d’interactions avec les membres de sa propre équipe. D’abord sérieux et concentré sur le casse, Roi va tout à coup péter les plombs et faire n’importe quoi, au risque de compromettre tout le plan. Et ce, pour les beaux yeux de Cameron. Bref, le Rio du pauvre. Mais c’est avec Bruce (Joel Sanchez), une pâle copie de Denver, que l’on frise le ridicule. Je retiens une scène particulièrement gênante où, prisonnier d’une voiture de police, Bruce met en joue deux flics, avant de les contraindre à chanter à tue-tête, une chanson des Bee Gees ; et ce devant un hôpital plein de monde.

La chanson des vieux amants

Attendez-vous à la voir pleurer. Beaucoup. © 2023, Netflix

Le dernier personnage inédit dont j’aimerais parler est Camille, jouée par Samantha Siqueiros. Il s’agit de l’épouse (délaissée) par l’un des hommes que l’équipe s’apprête à arnaquer : François Polignac (Julien Paschal), le directeur des ventes de la Maison des Enchères. Or, Berlin tombe éperdument amoureux d’elle, au point que cela frise l’obsession. À ce propos, j’aurais dû compter combien de fois le mot « amour » est prononcé dans la série. Cette romance ne m’intéressait pas, si ce n’est pour me demander à quel moment Berlin allait devenir toxique et la pousser à prendre ses jambes à son cou, ou bien se venger. Or, Samantha est déchirée entre deux hommes, au point de changer constamment d’avis, mais aussi de prendre de bien mauvaises décisions. Un triangle amoureux consternant. On aurait pu se consoler avec le bref retour de deux actrices du casting original : Najwa Nimri (Alicia Sierra Montes) et surtout Itziar Ituno (Raquel Murillo Fuentes) mais celles-ci arrivent trop tard pour s’avérer utiles, sans compter qu’elles ne semblent soudainement guère prendre leur travail au sérieux. Dans Berlin, tout est devenu une parodie de La Casa de Papel, y compris les enquêtrices les plus redoutables d’Espagne.

Qui c’est qui est très gentil ? Les méchants

Pendant que son équipe bosse, Berlin vit sa meilleure vie © 2023, Netflix

Force est de constater que j’attendais tout autre chose de ce spin-off, concentré sur Berlin. J’aurais plus volontiers assisté à sa jeunesse, à sa relation avec son frère (Le Professeur) ou à des moments plus tragiques, comme lorsqu’il apprend qu’il est malade. Cela aurait été diablement plus intéressant que ses vacances amoureuses à Paris, car oui, Berlin se concentre bien plus sur Camille que sur le casse. On sait que Berlin peut rapidement devenir obsédé par une femme, mais pas au point de manquer à tous ses devoirs. J’ai beau adorer Pedro Alonso, son personnage est ici édulcoré, pour ne pas dire dénaturé. Soyons honnêtes : Berlin n’était pas le personnage le plus aimable de La Casa de Papel. Ses nombreux défauts étaient toutefois contrebalancés par des circonstances atténuantes et surtout un sens du devoir tel qu’il était prêt à se sacrifier pour mener à bien sa mission. Pour les un·e·s, Berlin était un « méchant » qu’iels aimaient détester, pour les autres, c’était un personnage gris et paradoxal qui ne manquait pas de charisme. Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans le spin-off qui lui est consacré. Certains passages laissent deviner que Berlin est un homme dangereux, prêt à tout pour parvenir à ses fins, mais cela renforce l’idée que c’est un choix de protagoniste bien curieux pour développer une espèce de comédie romantique. Pour que l’histoire ne soit pas trop malsaine, le personnage ne pouvait qu’être dénaturé. Berlin souffre du syndrome de Maléfique ou de Venom, car il n’est plus concevable de proposer une intrigue où le rôle principal est occupé par un personnage négatif. Je peux entendre que ce préquel se passe à une époque différente de la vie de Berlin, mais j’ai souvent peiné à reconnaître le personnage, ce qui rend la série mal écrite et forcément incohérente.

Conclusion

Berlin était certainement mon personnage préféré de La Casa de Papel. Il était si populaire qu’il est réapparu dans toutes les saisons, mais il s’agissait sans doute du retour de trop. Le spin-off de La Casa de Papel est doté d’un début prometteur, et de quelques qualités, mais il s’agit dans l’ensemble d’un naufrage. Le pire réside sans doute dans le fait que la fin est ouverte. Sait-on jamais, si la série a du succès, ils se risqueront à une saison 2. J’aurais – de loin – préféré une mini-série unique qui avait quelque chose à raconter et qui était en accord avec le personnage, plutôt que cette production tout juste destinée aux ados. Je ne regrette pas de l’avoir vue, dans la mesure où certaines scènes fonctionnent bien, et où Pedro Alonso conserve le charisme qu’on lui connaît. De la même manière, je ne peux que vous conseiller de la visionner par vous-mêmes, afin de vous forger votre propre avis. Mais le fait est que, même en en attendant très peu, je fus quand même déçue.

  • Berlin est disponible sur Netflix depuis le 29 décembre 2023.
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Décoré d’une Palme d’Or au mois de mai dernier et de nombreux prix internationaux ces dernières semaines, Anatomie d’une chute est certainement l’un des films français qui ont fait le plus de bruit cette année. Avec sa sortie en vidéo et VOD le 21 décembre 2023, c’est l’occasion de parler de ce nouveau long métrage de Justine Triet, dont le cinéma s’est fait une place importante au sein de la production française ces dernières années. Ce film, réalisé en partie en langue anglaise, raconte le périple d’un procès où se joue la culpabilité d’une femme que l’on accuse d’avoir tué son mari.

La théâtralité du procès

© 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

À bien des égards, Anatomie d’une chute m’a évoqué le très grand 12 hommes en colère de Sidney Lumet. Car Justine Triet aborde le procès pénal sous un angle similaire, celui de la manipulation des faits, des avis préconçus et des témoignages. C’est un peu provocateur dans le titre de cet article de dire que la vérité ne compte pas, mais c’est pourtant ce que l’on ressent face au film, et c’est un élément expliqué de manière un peu innocente par l’avocat de l’accusée à un moment clé du film. Le procès tel qu’il est décrit, ne sert qu’à influencer celleux qui vont devoir s’exprimer sur la culpabilité potentielle de Sandra, l’épouse du défunt. Ce dernier est mort consécutivement à une chute de leur chalet en montagne près de Grenoble, mais la justice s’interroge sur la nature de cette mort : a-t-il été poussé, déséquilibré, était-il mort avant même de subir cette chute, et si c’est le cas, son épouse, seule adulte présente dans la maison au moment des faits, en est-elle responsable. Des questions aux réponses loin d’être évidentes car, comme le montre rapidement le film, la notion même de culpabilité fait débat, les faits étant difficiles à établir, et le procès qui suit une enquête express ressemble à un grand débat théâtral où chacun des avocats multiplient les effets de manche pour favoriser leur propre théorie. Des idées souvent tirées par les cheveux, mais la vérité n’intéresse pas grand monde, tant que cela permet d’influencer d’une quelconque manière des juré·e·s qui doivent malgré tout rendre leur avis sur ce qui s’apparente à un drame familial. Et là où le film est d’autant plus juste, c’est qu’il aborde l’influence médiatique autour du procès, d’abord parce que le défunt et l’accusée sont un couple d’écrivain·e·s plus ou moins renommé·e·s, et ensuite parce que ces faits divers intéressent toujours un public avide d’histoires sordides. Des informations plus ou moins vérifiées sortent dans la presse, et finissent entre les mains de l’enfant du couple, pris dans une histoire qui le dépasse et qui l’empêche très certainement de pouvoir faire son deuil.

C’est d’ailleurs pour cela que le film ne s’intéresse jamais vraiment à la vérité, l’avocat de l’accusée ne l’interroge jamais sur sa potentielle culpabilité, pas plus au début qu’à la fin du procès. Le film ne montre d’ailleurs pas la scène menant à la chute du défunt, la seule image de cette scène n’étant que sa conclusion, son corps sans vie dans la neige, sous la fenêtre de laquelle il est supposément tombé. Le film explore plutôt plusieurs théories, comme celle d’un homme dépressif qui se serait suicidé, celle misogyne d’une femme manipulatrice et castratrice menant à la violence, ou même celle d’une dispute qui a mal tourné. Autant d’éventualités qui, mises bout à bout, montrent surtout que personne ne sait grand chose, entre une accusée qui clame son innocence et des preuves matérielles terriblement minces, faisant reposer le procès essentiellement sur des intuitions et des déductions hasardeuses. Le film s’en trouve d’autant plus fort que pendant deux heures et trente minutes, Justine Triet parvient à capter notre attention avec, justement, ce détachement du réel, ce moment suspendu où le procès tente de couvrir l’ensemble des théories via des avocats qui tentent tout pour défendre leur cause, avec l’espoir que l’une d’entre elles finisse par convaincre les jurés·e·. L’aspect théâtral de la chose juridique, incarnée essentiellement par l’avocat général, est joué par un excellent Antoine Reinartz, face à la non moins formidable Sandra Hüller dans la peau de l’accusée. Il ne faut pas oublier non plus Swann Arlaud, très convaincant en avocat de la défense et dans un rôle pourtant pas évident qui l’oblige à jouer en anglais, et dont la relation intime avec l’accusée rend sa présence plus forte encore.

L’enfance oubliée

© 2023 Les Films Pelléas/Les Films de Pierre

Justine Triet va encore un peu plus loin dans sa représentation du procès, lieu de dissection d’une relation de couple compliquée, en plaçant les spectateurices dans l’esprit de Daniel, enfant malvoyant du couple, qui est déterminé à assister aux débats. Plus certain de pouvoir croire sa mère, il est comme nous, spectateur d’un grand débat où le couple formé par ses parents est malmené, la mort de son père et le deuil qui s’en suit n’intéressant finalement pas grand monde. L’essentiel des débats se concentrant sur la relation de couple, parfois dépeinte comme toxique, où l’enfant découvre une facette de ses parents qu’il connaissait assez peu, entre violence et infidélité, sans que beaucoup de monde au sein de l’audience ne se soucie de l’impact de ces révélations sur un gamin qui a perdu son père et à qui on demande aujourd’hui si sa mère est une meurtrière. C’est un drame. Anatomie d’une chute raconte un véritable drame, celui d’une famille soudainement brisée, où la moindre petite dispute de couple prend des proportions gigantesques lorsqu’elle est rapportée aux oreilles de celleux chargé·e·s de juger, où le moindre écart, la moindre parole vient alimenter une presse avide de scandales.

Et c’est, je pense, toute la force du film de Justine Triet, qui a bien compris l’intérêt tout relatif de la recherche de la vérité dans son histoire. Très vite, on n’a plus vraiment envie de savoir ce qu’il s’est réellement passé, et comme la réalisatrice, on détricote plutôt les mécanismes du procès pénal. Car ce qui compte rapidement à l’écran c’est l’impression que l’on a des débats juridiques, des effets de manche d’avocats en quête d’une victoire qui ne dépend pas d’une quelconque vérité, ou encore de l’influence médiatique sur une affaire qui relève pourtant d’un drame familial. Anatomie d’une chute est un film exceptionnel parce qu’il capte l’absurdité d’un procès d’assise, dont l’importance revêt un caractère solennel, alors qu’il traite essentiellement d’un quotidien où les choses ont soudainement mal tourné, qu’il y ait un·e coupable ou non. Mais parce que l’on est dans une salle d’audience, on cherche la petite bête, la phrase de trop, le mot mal placé pour en tirer des conclusions. Et ces mots hasardeux sont nombreux dans un procès qui concerne une accusée dont le français n’est pas la langue maternelle, autre élément fondamental de l’affaire. On sent le désarroi d’une femme qui peine à exprimer ses idées de manière sûre et fidèle dans une langue qui n’est pas la sienne, tandis qu’en face, un avocat général est prêt à rebondir sur le moindre mot de travers pour démontrer sa culpabilité. C’est un film extrêmement fort, et certainement l’un des meilleurs films sortis en 2023. Le fait qu’il n’ait pas été sélectionné pour représenter la France aux Oscars, semble-t-il vengeance personnelle d’un Ministère de la culture qui n’a pas apprécié les commentaires de Justine Triet à la remise de sa Palme d’Or sur la politique culturelle de Macron et la réforme des retraites, est absolument incompréhensible. Mais force est de constater que l’égo du Président prime sur le cinéma.

  • Anatomie d’une chute est sorti en salles le 23 août 2023. Il est également disponible en VOD, DVD et Blu-ray depuis le 21 décembre 2023.
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Pour une bonne partie de la presse internationale, le combat féministe n’existe véritablement que depuis le mouvement #MeToo en 2017. Mais si celui-ci a pu offrir une portée médiatique gigantesque aux questions féministes, le combat est là depuis bien longtemps. Et c’est un an plus tôt qu’en Corée du Sud celui-ci a marqué les esprits, avec la parution de Kim Jiyoung, née en 1982 de Cho Nam-joo, traduit et publié en France ensuite en 2020 aux éditions Nil. Devenu fait de société en Corée, ce bouquin d’une puissance formidable a délié les langues, tout en s’attirant les foudres de tristes personnes attachées à la domination masculine dans un pays ultra-conservateur.

Les générations passent, les questions restent

Immense best-seller en Corée du Sud, le livre raconte toutefois une histoire qui dépasse les frontières, même s’il y a des spécificités à la société coréenne. Cho Nam-joo raconte une fiction, inspirée de sa vie mais aussi de celles de ses proches, où trois générations de femmes coréennes (la grand-mère, la mère et la fille) subissent de nombreux obstacles au cours de leur vie pour la simple raison qu’elles sont des femmes. Des obstacles différents, toujours en accord avec les évolutions de la société, mais toujours destinés à rabaisser celles qui tentent de sortir du moule. La grand-mère par exemple n’a jamais pu étudier, car les études étaient réservées aux hommes de la famille, tandis que la mère n’a jamais pu avoir la vie qu’elle souhaitait, car il fallait prioriser la réussite d’un frère dans une société coréenne en proie à une grave crise économique. Pour la plus jeune, les études étaient accessibles, mais c’est ensuite au travail que les inégalités se sont reproduites, avec un plafond de verre immédiatement mis en place pour empêcher l’ascension des femmes parfois plus compétentes, mais toujours considérées comme « moins fiables » car elles pourraient tomber enceinte et devoir s’absenter quelques mois. La place de l’enfant est centrale d’ailleurs dans le livre. Puisque l’héroïne finit par être enceinte et s’apercevoir que même à une époque plus moderne, alors que la Corée du Sud prétend offrir un confort et un style de vie similaire à ce que l’on peut attendre de l’un des pays les plus riches et développés, la société attend d’elle qu’elle reste à la maison et s’occupe de son enfant. L’arrivée d’un enfant dans le couple devient immédiatement un frein, un arrêt complet d’une carrière qu’on lui refuse désormais, sous prétexte que l’enfant a besoin de sa mère pour s’épanouir (alors que le père fait ce que bon lui semble).

Et c’est là que le livre abat toutes ses cartes, montre que malgré un choc économique qui a permis à la Corée du Sud de se développer extrêmement rapidement au début des années 2000 en s’ouvrant sur le monde, et en adoptant un rythme de vie similaire à l’occident (et très inspiré des États-Unis), quelques traditions ont la vie dure. Il y a un décalage total entre l’image renvoyée par le pays et l’aspect ultra-conservateur des relations familiales, à tel point que la plus jeune génération se voit vite renvoyée à un rôle prédéfini et en marge de la société pour le « bienfait » de la famille, avec des petites cases à remplir : maman à la maison, papa au boulot. L’autrice ne dénigre évidemment pas les mères au foyer, celles qui l’ont souhaité et qui le font de leur propre chef, mais fustige une société qui force ces femmes à abandonner leurs vies pour élever leurs enfants. Y compris dans des couples où les deux conjoints seraient d’accord pour faire garder l’enfant par une assistante maternelle ou l’envoyer à la crèche. Car la pression sociétale est directement exercée par les familles, les ami·e·s, conditionnée par des traditions (qu’elles soient religieuses ou culturelles) que les entreprises ont entièrement intégrées. De telle manière que même dans les rares cas où la famille ne fait pas pression, ce sont les entreprises directement et les collègues qui font comprendre aux femmes enceintes qu’elles sont en train de connaître leurs derniers jours de boulot, avant une longue vie à la maison.

Cela entraîne des difficultés à trouver sa place pour l’héroïne, qui a certes eu plus de « facilités » que sa mère et sa grand-mère, mais qui réalise vite que les obstacles qui se dressent face à elle ont les mêmes finalités, mais simplement des formes différentes. Si elle a eu le droit d’étudier, cela ne lui garantissait pas le droit de faire carrière, pas plus que pour sa mère et sa grand-mère qui ont dû sacrifier leur vie pour satisfaire celles de leurs frères, leurs parents et de leurs enfants. C’est un récit qui est absolument bouleversant car les trois générations finissent par se comprendre, par réaliser ce qu’il s’est passé, voyant leurs vies leur échapper sans qu’elles ne puissent rien faire. Cela occasionne des dialogues très forts émotionnellement, mais aussi d’autres dialogues très violents où les femmes sont « remises à leur place » dès qu’elles tentent de sortir du rôle que l’on a défini pour elles.

Une lecture accessible, un film pertinent et la haine

© LOTTE ENTERTAINMENT

Et c’est un livre qui se lit très bien, notamment grâce à la familiarité du langage qui donne un élément de proximité avec l’autrice, comme si nous lisions le récit de la vie d’une amie. Cette simplicité est d’autant plus sublimée par l’excellente traduction française de Choi Kyungran et Pierre Bisiou, d’une fluidité remarquable qui sied parfaitement à la volonté de l’autrice d’écrire le livre comme un billet d’humeur, comme quelque chose de réel, loin de rechercher des figures de style qui dénatureraient la proximité du récit avec la réalité. Cette idée a d’ailleurs été reprise avec brio dans le film Kim Jiyoung: Born 1982 qui adapte le livre. Pour émuler l’écriture familière, l’actrice et réalisatrice Kim Do-young (qui signait ici son premier film derrière et non devant la caméra) a choisi une mise en scène proche de son héroïne, à sa hauteur, en racontant les évènements avec simplicité et sans coller scène par scène au livre. Le film se contente en effet de s’en inspirer en reprenant quelques moments clés, mais préfère souvent jouer sur des flashbacks, des scènes marquantes qui façonnent le personnage. Malheureusement, le film n’a pas bénéficié de sortie française, à l’exception d’une diffusion exceptionnelle au Festival du film coréen de Paris.

Les réactions épidermiques et haineuses à l’encontre du livre, puis de son adaptation cinématographique, n’ont fait que confirmer la nécessité d’un telle œuvre. Je pense par exemple à un groupe masculiniste local qui a tenté une campagne de financement participatif pour la publication d’un roman-parodie qui parlait de « sexisme inversé subi par les hommes ». Mais aussi de campagnes de harcèlement subies par l’actrice principale de l’adaptation ciné, Jung Yu-mi, et une pétition lancée sur le site du gouvernement pour obtenir la censure du film (ce qui n’a finalement pas eu lieu, heureusement). Des célébrités ont aussi vivement été insultées pour avoir partagé leur intérêt pour le roman, notamment des actrices et chanteuses dont le seul « tort » a été de partager sur les réseaux sociaux qu’elles lisaient le livre. Si certaines personnes voudraient aujourd’hui se complaire dans l’idée que les avancées en matière d’égalité, mais aussi de respect des femmes, suffisent, les réactions à la sortie d’un tel livre, qui ne fait rien de plus que de raconter les difficultés rencontrées par trois générations de femmes dans leur vie, prouvent l’importance de ces témoignages, et la nécessité de les relayer.

Kim Jiyoung, née en 1982 n’a pas grand chose d’un livre didactique ou d’une grande réflexion sur le féminisme moderne, les inégalités et les pressions exercées par la société sur les femmes qui auraient l’outrecuidance de ne pas faire ce que les hommes attendent d’elles. Mais c’est un livre qui raconte avec beaucoup de cœur de nombreuses expériences, au travers de trois générations, des expériences qui traduisent un réel plus universel qu’il n’y paraît. Car si les problématiques sont différentes d’un pays à l’autre, elles trouvent souvent leur source au même endroit et pour les mêmes raisons, ainsi que des finalités similaires. Quand Cho Nam-joo décide de raconter trois générations, c’est aussi pour montrer que le but a toujours été le même : qu’il s’agisse d’empêcher la grand-mère d’étudier, d’empêcher la mère de choisir son métier ou la fille de travailler après avoir eu un enfant, le but reste quoiqu’il arrive de contrôler les vies et les corps des femmes. En tant qu’homme, je n’ai évidemment ni la légitimité ni l’audace de penser que je comprends ces obstacles que les femmes subissent. Mais une chose est sûre : le livre a été une lecture marquante et passionnante, pour observer et comprendre les mécanismes mis en œuvre consciemment ou non par les hommes afin de garder le pouvoir en toutes circonstances, ainsi que leur impact sur les femmes qui les entourent.

  • Kim Jiyoung, née en 1982 est disponible en librairie aux éditions Nil, ainsi qu’au format poche aux éditions 10/18.
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