Gerda : A Flame in Winter est un jeu indépendant développé par le studio danois PortalPlay. Ce titre, édité par DON’T NOD, est sorti en septembre 2022, sur Windows et Nintendo Switch. Il s’agit d’un jeu narratif empruntant des mécaniques de gameplay aux point and click et aux jeux de rôle. Gerda : A Flame in Winter est aussi injustement méconnu que le pan historique qu’il aborde : l’occupation allemande dans un village danois, mais aussi le rôle des femmes, au cours de la Seconde Guerre Mondiale.

Un jeu édité par DON’T NOD

© 2022 DON’T NOD

Développé par PortalPlay, Gerda : A Flame in Winter est aussi le tout premier jeu édité par DON’T NOD, le studio à l’origine de Life is Strange, connu pour ses histoires imprégnées de progressisme et de bienveillance.

Malheureusement, la réalité cachée dans les coulisses du studio est tout autre, car il n’échappe pas au climat toxique régnant dans le milieu. Au mois de février dernier, le compte Twitter (pardon… X) du Syndicat des Travailleurs·euses du Jeu vidéo a publié un thread dénonçant la maltraitance dont sont victimes les employé·e·s chez DON’T NOD. Pour ne citer que cela, l’équipe derrière Jusant a été supprimée, à peine deux mois après la sortie du jeu, sans justification aucune. Et la direction semble rester hermétique face aux revendications des salarié·e·s. Alors oui, DON’T NOD se diversifie, en développant et en éditant plus de jeux aux gameplays variés, mais cela a un prix. Même si ce rappel était nécessaire, il n’entache en rien le travail réalisé par le studio danois PortalPlay, car Gerda : A Flame in Winter est un jeu méritant d’être connu.

Un pan méconnu de la 2nde Guerre Mondiale

© 2022 DON’T NOD

Comme mentionné plus haut, Gerda : A Flame in Winter est inspiré d’une histoire vraie, que l’on mentionne trop peu lorsqu’il est question de la Seconde Guerre Mondiale. Le titre s’intéresse à l’occupation allemande, en 1945, dans un petit village danois frontalier du nom de Tinglev. Il permet d’incarner un protagoniste féminin : Gerda Larsen, une infirmière aux origines à la fois allemandes et danoises. Cette double nationalité lui permet de comprendre les deux langues entendues à Tinglev, mais inspire parfois la méfiance des Danois. Certes, le Danemark n’est, en 1945, pas au cœur de conflits dévastateurs, mais le peuple souffre de la misère due aux diverses pénuries, ainsi qu’à l’oppression des Nazis. De fait, il existe des groupes de Résistants, dont Anders, l’époux de Gerda, fait partie. L’infirmière l’ignorait jusqu’à ce que son mari soit emmené par la Gestapo. Or, il lui laisse des documents secrets, importants pour la Résistance. Très tôt, Gerda sera divisée entre sa compassion envers le peuple danois et son désir de tout faire pour délivrer son mari. La situation est d’autant plus complexe que son père, sans être corrompu par l’idéologie nazie, est un allemand soutenant l’occupation.

Rien n’est simple ni manichéen dans l’histoire de Gerda, comme c’est souvent le cas, dans les récits historiques. En ce sens, le jeu est remarquablement bien écrit. Le développeur, Shaley Moran, s’est exprimé à ce propos, dans le site The Loadout : « Nous ne cautionnons ou n’excusons jamais les actions du régime nazi, ni ceux de ses collaborateurs, ni même ceux des personnes qui ont plié les genoux pour tenter de survivre. Mais nous pensons qu’il est crucial de voir toutes ces personnes comme humaines, faute de quoi nous ne nous rendons pas nécessairement compte du mal que nous sommes susceptibles de commettre. » (Traduction réalisée par un article du journal Le Monde). La subtilité de l’écriture et les nuances des personnages sont effectivement l’un des grands points forts de Gerda : A Flame in Winter. Mais le jeu dévoile aussi le rôle de certaines femmes, durant la Seconde Guerre Mondiale, qu’il soit question de Gerda, ou bien de Liva, aka Le Moineau, la responsable d’un groupe de Résistants danois, ayant droit à son propre DLC. Le titre semble d’autant plus sincère et authentique que le directeur artistique, Hans von Knut Skovfoged, confie s’être inspiré de l’histoire de sa grand-mère, qui faisait de la contrebande d’armes pour la Résistance, durant l’occupation.

Des faiblesses sur le plan technique

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Là où le jeu pèche, c’est au niveau technique. J’ai joué à Gerda : A Flame in Winter sur Nintendo Switch, et le titre semble particulièrement daté, entre ses graphismes approximatifs, ses mouvements de caméra parfois laborieux et ses temps de chargement fréquents. C’est un parti pris, mais le jeu emploie des angles de caméra qui peuvent dérouter au sein de l’environnement vidéoludique actuel. Si les plans sont larges à l’extérieur, le titre favorise une vue du dessus pour les plans à l’intérieur, où les maisons semblent privées de leur toit et simplement découpées par leurs murs, comme dans Les Sims. Les personnages n’ont généralement pas de voix et les animations sont minimalistes, puisque le jeu favorisera des dialogues écrits, illustrés par l’avatar des personnages (contrairement à ce que laisse penser le trailer, le jeu est bien sous-titré en français). En dépit de ces partis pris, ou de mon manque d’affection très subjectif pour la direction artistique, Gerda : A Flame in Winter peut se targuer de proposer quelques panoramas de qualité, surtout notamment grâce à leurs jeux de lumières. Il faut dire que la DA s’inspire des Peintres de Skagen. Il s’agit d’un groupe d’artistes scandinaves de la fin du dix-neuvième siècle. Leurs peintures représentaient des paysages réalistes aux couleurs riches et aux jeux de lumière très particuliers.

Un gameplay au service des choix et des conséquences

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Malgré ces points faibles, il faut insister sur l’excellence de l’écriture de Gerda : A Flame in Winter, laquelle rend l’histoire passionnante et les personnages pleins de surprises. Les mécaniques de gameplay, certes minimalistes, sont entièrement au service de l’écriture. Ainsi, même si la durée de vie du jeu est assez faible (comptez moins de dix heures, DLC compris), la rejouabilité semble immense. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le sentiment que mes choix comptaient et pouvaient avoir un réel impact sur mes relations avec les autres personnages, la suite des événements et bien entendu le dénouement du récit. Gerda n’est pas seulement tiraillée entre ses origines danoises et allemandes, elle est prête à toute pour faire libérer son mari. Il est donc possible d’aider la Résistance menée par le Moineau, mais aussi d’essayer de manipuler les Nazis, voire de collaborer avec certains d’entre eux. Les choix moraux sont d’autant plus compliqués à prendre qu’il faut parfois faire preuve de stratégie. À la manière d’Anne Frank, Gerda remplit un journal intime, à la fin de chaque séquence. Selon ce qu’on choisit d’y écrire, l’infirmière obtient des points de perspicacité, de compassion ou d’intuition. Cette mécanique de gameplay a de l’importance car certaines situations peuvent être résolues par des jets de dés plus ou moins difficiles. Les compétences de Gerda ne constituent pas le seul élément pris en compte, puisque sa relation avec les autres personnages, et la confiance qu’ils placent en elle, sont tout aussi décisifs. Ce côté stratégique est stimulé par un sentiment d’urgence. En effet, Gerda a beaucoup d’opportunités à saisir ou de personnes à aider, mais les journées ne sont pas infinies. Ainsi, il faudra régulièrement choisir entre plusieurs lieux où aller, sachant que certains ne seront plus visitables par la suite. J’ai adoré l’ensemble de ces mécaniques de gameplay qui paraissent simples, mais qui nous rendent responsables de nos décisions, lesquelles ont une véritable conséquence sur la suite du déroulement de l’histoire. On est très loin de l’illusion de choix mise en place par de nombreux jeux narratifs, si bien que Gerda : A Flame in Winter doit proposer un nombre de cheminements et de fins assez important.

Conclusion

Gerda : A Flame in Winter est un jeu indépendant injustement méconnu, ayant le mérite de nous en apprendre beaucoup sur l’occupation allemande, au Danemark, durant la Seconde Guerre Mondiale. Le titre met en avant le rôle des femmes durant cette période obscure de l’Histoire, à travers le personnage de Gerda, infirmière, mais aussi celui de Liva, cheffe de la Résistance. Malgré des faiblesses techniques et une direction artistique qui peut diviser, le jeu compense largement par l’excellence de son écriture, tout en nuances et ne laissant que rarement deviner la suite des événements. Les tableaux fourmillent de détails qui ont tous leur utilité (pour l’anecdote, un PNJ mentionne des bouchers appelés Mikkelsen, et je gage que cela est une référence à une comédie danoise pleine d’humour noir : Les Bouchers Verts, d’Anders Thomas Jensen, avec naturellement Mads Mikkelsen dans l’un des rôles principaux). Gerda : A Flame in Winter est avant tout mémorable pour ses mécaniques de gameplay apportant un réel sens aux choix que l’on fait. Malgré sa faible durée de vie, le jeu dispose sans aucun doute d’une rejouabilité immense. Je ne peux que vous conseiller de vous ruer vers cette petite pépite indépendante qui s’avère pour moi un joli coup de cœur.

  • Gerda : A Flame in Winter est un jeu disponible sur Windows et sur Nintendo Switch, depuis septembre 2022.
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Un mois après l’autre, on continue notre chronique mensuelle des nouvelles sorties de la collection DC Infinite, petit nom donné à l’univers DC Comics en cours de publication depuis maintenant un peu plus de deux ans, en VF chez Urban Comics. L’univers de Batman, Wonder Woman et Superman a connu de nombreux bouleversements avec le temps et de nombreux auteurs et autrices tentent d’apporter leur pierre à l’édifice. Ce mois-ci, on retourne sur des publications très centrées sur Batman avec la suite de deux séries, le début d’une nouvelle, et un peu de diversité avec l’arrivée d’une série centrée sur Green Arrow et Black Canary.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Nocturne – Tome 3, Gotham en perdition

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Depuis les débuts de son run sur Detective Comics, sorti dans la série Batman Nocturne chez Urban Comics, l’auteur indien Ram V a emmené le Chevalier Noir dans ce qu’il aime le plus : des histoires au caractère mystique, interrogeant les origines de Gotham et l’influence de guerres d’autrefois sur le présent. C’est ainsi qu’on voyait arriver dans les précédents tomes l’héritier d’une famille qui pense avoir un droit sur l’avenir de la ville, s’infiltrant dans les hautes sphères de sa société pour mieux la manipuler. De son côté, Batman est victime de sortes de cauchemars et d’hallucinations où ses peurs, ses craintes et sa haine prennent la forme de Barbatos, entité démoniaque qui semble vouloir prendre le contrôle de son esprit. Si le récit manque un peu d’originalité en abordant encore et toujours le traumatisme originel de Bruce Wayne, c’est-à-dire le meurtre de ses parents dans une ruelle, Ram V a la finesse d’écriture nécessaire pour pouvoir surprendre à quelques moments. Notamment en montrant la fragilité et le côté solitaire de son personnage, l’isolant peu à peu de celles et ceux qui l’entourent, ainsi que l’impact de la mort d’Alfred dans l’univers DC, qui a précipité Batman dans les bras de ses peurs d’antan. Cette nouvelle perte a rouvert des blessures d’autrefois, et cela offre un boulevard à son nouvel ennemi qui tente de s’approprier Gotham en montrant les faiblesses de son héros de toujours. Le récit a ses défauts, notamment un rythme en dents de scie qui n’assimile pas toujours très bien l’étendue de ses idées. On sent que Ram V veut raconter beaucoup de choses sur le trauma du héros, la remise en cause de son statut, mais aussi sur les origines de Gotham et des guerres millénaires entre les familles qui ont fondé la ville. Mais en s’éparpillant, il manque parfois son coup, et dans ce troisième tome il faut attendre les deux ou trois derniers chapitres pour voir quelque chose de vraiment très maîtrisé, pile au moment où l’auteur recentre son histoire sur une thématique précise : les peurs de Batman.

Pour autant, Batman Nocturne reste une bonne série. Quand on aime l’univers de l’auteur, on en retrouve ici une bonne partie ; bien que ce ne soit pas son œuvre la plus marquante, la faute aux impératifs de DC et la nécessité d’ancrer Batman dans son monde habituel. Le récit ne manque pourtant pas de bons moments qui montrent tout le potentiel de cette collaboration entre Ram V et le héros le plus populaire du monde. Il doit aussi beaucoup au travail des artistes sur les dessins, plusieurs noms se relayant au fil des chapitres, avec notamment le brésilien Ivan Reis dont le style sied plutôt bien à l’aventure aux accents mystiques. Pour conclure le tome, on a aussi droit à deux numéros de l’évènement Knight Terrors avec les tie-in Detective Comics. Pour rappel, il s’agit d’un évènement sorti il y a quelques semaines (et dont on a parlé dans une chronique DC Infinite précédente) où un nouveau vilain, Insomnia, plongeait le monde dans ses propres cauchemars. Cette fois-ci, l’évènement est vu au travers des yeux de l’ancien commissaire Gordon, qui n’a cessé d’errer ces dernières années et de tenter de survivre à ses propres traumatismes après avoir quitté son boulot. Sans être transcendants, les deux numéros fonctionnent plutôt bien et s’insèrent sans mal dans l’ambiance générale du bouquin.

Batman & Robin Dynamic Duo – Tome 1, tel père, tel fils

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Comme souvent avec la collection DC Infinite, on retrouve l’éternel Joshua Williamson à la baguette d’une nouvelle série. Le grand manitou de l’ère Infinite s’est en effet lancé sur une autre série, celle réunissant Batman et Robin. Aux côtés de Simone di Meo qui lui prête son pinceau, l’auteur réunit le père et le fils dont les relations ont rarement été bien favorables, entre un Bruce Wayne qui n’est clairement pas le père de l’année, et Damian Wayne qui ne cesse de lui en vouloir pour ce qu’il incarne. Alors Williamson joue paradoxalement sur les points communs qui les rassemblent, comme leur goût pour les enquêtes, leur intelligence et capacité de réflexion face aux indices les plus tordus, ou leur besoin irrépressible de trouver des réponses à la violence qui s’abat sur Gotham. Le dynamic duo décide de faire équipe après s’être écharpés pendant des années, à un moment où ils doivent vivre ensemble par la force des choses, avant de se lancer sur les traces de Man-bat et de Soupir qui semblent avoir des plans plutôt dangereux pour l’avenir de Gotham. Plutôt classique dans son approche, le tome trouve son intérêt dans la dynamique qui s’installe entre les deux personnages, entre le père indigne et le fils aux tendances meurtrières.

En parallèle, on y découvre un Bruce qui souhaite convaincre Damian de retourner au lycée, alors que ce dernier est convaincu qu’il n’a rien à apprendre. La faute à son entraînement intensif auprès de la Ligue des assassin, avec sa mère Talia Al Ghul, qui lui a déjà permis d’acquérir des connaissances très vastes sur le monde, bien plus que ce que le lycée pourrait lui apporter. Mais c’est un moyen de replacer Damian dans un environnement plus réaliste, loin des considérations super-héroïques et sociétés secrètes à infiltrer. Enfin, les dessins de Simone di Meo jouent un rôle prépondérant dans l’identité du comics, entre son trait plein d’énergie, ses couleurs éclatantes et ses jeux de contraste. C’est somme toute un petit comics tout à fait honnête, avec ses bons moments, qui fait du bien au sein d’un univers de Batman qui a tendance à jouer une partition bien plus dramatique ces derniers temps.

Batman / Superman World’s Finest – Tome 3, la déception

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Depuis son lancement, la série Batman / Superman World’s Finest de Mark Waid et Dan Mora séduit pour son approche très « innocente » de ces deux personnages. Et ce en rendant hommage à l’âge d’or des comics, que ce soit dans la mise en scène, le choix des couleurs ou les costumes d’antan. Il y a le ton, aussi, plus léger, avec des dialogues toujours pleins d’humour (même parfois de la part de Batman !) et une envie d’inscrire les deux héros les plus populaires de DC Comics dans un monde moins sombre que les autres comics actuels. Néanmoins, ce troisième tome s’égare un peu, en racontant la mort de Simon Stagg, un riche homme d’affaires peu scrupuleux, victime d’un meurtre en chambre close. C’est-à-dire un meurtre qui semble impossible puisque personne n’est entré ni sorti de la pièce. Cela fait basculer le récit dans un whodunit où le meurtrier potentiel est vite désigné comme étant… Bruce Wayne. Malheureusement, cela entraîne le récit vers quelque chose de moins emballant que les deux tomes précédents, d’autant plus que l’auteur abandonne très vite l’idée de l’enquête sur le meurtre pour retomber sur quelque chose de trop classique : une bataille rangée qui oppose le duo de super-héros ainsi que Metamorpho, l’anti-héros capable de manipuler les éléments, à NewMazo, un androïde créé par des esprits fous. Celui-ci prend le contrôle des systèmes informatiques et des IA partout dans le monde pour le soumettre. Tout un programme.

Si on sent bien le côté kitsch recherché à la série dans ce plan invraisemblable d’une IA folle, cela devient vite très caricatural, chose que les deux tomes précédents avaient su éviter. En outre, la moitié des chapitres se focalisent sur des batailles où les personnages ont assez peu de place pour exister. Je comprends bien le besoin d’offrir un peu d’action occasionnellement, mais ce choix remet en cause toutes les jolies qualités qu’on pouvait apercevoir auparavant, pour retomber sur un rythme et une tonalité trop classique. Heureusement les dessins de Dan Mora ne manquent pas de caractère, de quoi donner envie de tourner les pages et aller au bout de l’aventure, mais avec l’espoir que les choses s’améliorent au prochain volume.

Dawn of Green Arrow & Black Canary – Tome 1, l’amour parfait

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Cela faisait un bout de temps qu’on n’avait pas vu passer Green Arrow dans les comics DC. Perdu dans le multivers, le milliardaire aux airs de Robin des Bois fait son retour dans cette anthologie avec une première histoire signée Joshua Williamson. On y retrouve ce bon vieux Oliver Queen perdu entre les mondes, mais refusant purement et simplement de revenir sur sa Terre, convaincu par une vision du futur qu’être près de ses proches provoquera la destruction de sa ville. Pas tout à fait convaincue, Lian, la fille d’Arsenal (Roy Harper, l’acolyte de Green Arrow) le retrouve par hasard et tente de le convaincre de trouver un moyen de rentrer. De leur côté, Arsenal et Black Canary, convaincu·e·s qu’il n’a pas définitivement disparu, se lancent dans la traque d’Amanda Waller, qu’ils soupçonnent d’être liée à toutes ces histoires. Mais si vous savez, Waller, celle qui colle des bombes dans la nuque de criminel·le·s pour gentiment les inciter à suivre ses ordres et former ses différentes Suicide Squad. Exit toutefois ces histoires de criminel·le·s puisque rapidement notre héros et héroïnes se retrouvent plutôt confronté·e·s à Peacemaker, qui leur met des bâtons dans les roues pendant que Waller tente certainement de gagner du temps. Les six premiers numéros de cette histoire, dessinés par un Sean Izaakse en bonne forme, jouent donc sur deux arcs plutôt intéressants, la narration mêlant les deux points de vue avec fluidité, tandis que la mise en scène ne manque pas de panache. Même si l’ensemble paraît pour le moment assez inconséquent, c’est le type de comics qui se lit facilement et qui se laisse apprécier pour son action et ses couleurs, ainsi que la sympathie inspirée par ses personnages.

Comme tous les comics titrés « Dawn of » que Urban Comics publie depuis le début de l’année, on passe ensuite à une deuxième histoire qui termine l’anthologie, avec les six premiers numéros du Birds of Prey de Kelly Thompson, à l’écriture, et Leonardo Romero, aux dessins. Une nouvelle série dont la publication a commencé en septembre dernier aux États-Unis, et qui met en scène une équipe des Birds of Prey composée de Batgirl (Cassandra Cain), Black Canary, Harley Quinn, Big Barda et Zélote. C’est Black Canary qui forme cette équipe, dans le dos de Oracle (Barbara Gordon, l’habituelle cheffe du groupe), pour une raison initialement obscure et dans le but de sauver Sin, sa propre sœur. La dynamique du groupe s’installe directement et offre une belle base narrative à une nouvelle série qui se distingue par son énergie ainsi que son style visuel très pulp, avec des couleurs et un crayon qui évoque des comics d’une autre époque. Ça fonctionne super bien dans ses premiers numéros, l’univers est original et on sent dès les premiers instants que Kelly Thompson et Leonardo Romero veulent réinventer les Birds of Prey à leur manière. Le récit peine toutefois à tenir la distance, avec deux derniers numéros (sur six) où le comics flanche au moment de mettre en scène une grosse bagarre qui manque d’intensité. Mais il y a de quoi avoir de bons espoirs pour la suite.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Bonjour à toutes et à tous ! Ici Reblys, et bienvenue dans ce nouvel épisode de La Rébliothèque !

Pour la première fois dans cette série, j’ai décidé de vous présenter non pas un livre mais toute une saga. La tétralogie de La Passe-Miroir, illustre série de romans de l’imaginaire méritait au moins ça, car il est je pense impossible de lui rendre hommage sans la considérer dans son entièreté. Il s’agit d’une formidable série, aussi inventive que maîtrisée, mais dont la progression opère une vraie césure entre les deux premiers tomes et les deux derniers, qui n’a pas été sans provoquer certaines réflexions chez moi. J’espère que cette chronique vous plaira si vous connaissez déjà La Passe-Miroir, et qu’elle vous donnera envie de lire ces livres si ce n’est pas déjà fait !

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Spécialisée dans les romans et novellas queer et inclusifs, YBY Éditions a lancé fin février sa nouvelle campagne Ulule proposant à la vente en avant-première ses nouveautés. Parmi celles-ci, Ainsi soient-illes, un étrange thriller de fantasy urbaine qui nous emmène au milieu… de l’apocalypse, catastrophe aux accents religieux où les anges censés sonner la fin des temps s’interrogent sur le bien fondé de leur rôle. Écrit par Auriane Velten, le roman est prévu pour mai 2024, et un peu plus tôt pour les contributeur·ice·s sur Ulule.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’une version presse par l’éditeur.

De la catastrophe à la réflexion

Tout commence très mal dans Ainsi soient-illes. Un attentat queerphobe a lieu, Récif y perd celle qu’elle aime. La violence et le choc qui s’ensuivent lui révèlent ce qui se cachait au fond d’elle : elle incarne en réalité l’ange Reshiel, qui doit sonner la première trompette de l’apocalypse. Une scène douloureuse et symbole d’un monde sur le point de disparaître, alors les autres anges de l’apocalypse s’éveillent et ne tardent pas à se rapprocher. Parmi ces anges Zach et Razika, qui doutent immédiatement de leur rôle dans l’apocalypse des écrits de Jean, se demandant plutôt si l’humanité ne mérite pas une seconde chance. Pourtant tous les signes avant-coureurs sont là : des pays qui sombrent dans le rejet et le fascisme, l’attentat queerphobe, la fin de l’IVG, ou encore l’existence de camps de décontamination LGBT, tandis que les guerres ne cessent de s’intensifier. L’humanité semble avoir provoqué sa propre perte, mais l’autrice s’engage dans une réflexion loin d’être inintéressante sur le sens d’un « apocalypse » qui viserait à punir une humanité qui a failli. Au travers de ses personnages, les trois anges, dont les origines diffèrent grandement (le geek parisien, la grand-mère algéroise…), mais aussi toute un galerie d’autres personnages que l’on découvre au fil de l’aventure, l’autrice montre les nombreuses facettes d’une question aussi spirituelle que très terre à terre. Parce que ça parle des conséquences de notre monde actuel, celui qui se laisse tenter par le rejet des autres, qui ne se soucie pas de l’avenir de la Terre, et encore moins de celleux qui seront là après nous. Les anges incarnent ce qu’il reste d’un progressisme férocement attaqué, des personnages queer aux origines diverses qui ne cadrent pas avec des sociétés réactionnaires.

La fin du monde a toutefois de forts accents occidentaux. L’apocalypse raconté est celui de Jean, avec une résonance chrétienne et un imaginaire qui oublie parfois de s’attarder sur ce qu’il se passe à l’est de notre monde. Si l’une des héroïnes, algérienne, référence sans cesse Allah ou encore le Dajjal, on sent malgré tout que l’inspiration principale du livre est à rechercher du côté de l’occident et de son rapport à la religion. Cela n’est pas forcément un problème, l’action se trouvant essentiellement du côté de l’Europe et de l’Amérique, avec une pointe d’Afrique du Nord (oui, le récit voyage beaucoup), néanmoins l’effort d’inclusivité du roman a tendance à se trouver limité par l’étendue géographique de son récit. Il aurait pu être intéressant d’aller un peu plus loin, par exemple à certains moments du récit où les anges s’interrogent pourtant sur un apocalypse qui s’éloigne des écrits de Jean. Mais en condensant son approche à une réécriture de l’apocalypse de Jean, Auriane Velten parvient à créer un ensemble très cohérent et un récit de fantasy qui ne manque pas d’intelligence. Les situations sont variées, très référencées, et sans chercher à choquer sans raison ; quelques scènes sont extrêmement violentes, psychologiquement (psychophobie, queerphobie, entre autres) mais aussi dans sa description très graphique de certains massacres. Cependant, l’autrice le fait à très bon escient, pour justifier le comportement et les réflexions de personnages en perpétuelle remise en question.

Déchéance de l’humanité

Ce qui m’a particulièrement accroché dans Ainsi soient-illes, c’est la capacité du livre à allier ses réflexions théologiques (et certainement blasphématoires, mais la religion ne relève pas de mon domaine d’expertise) à une véritable aventure. Derrière les nombreux dialogues où les anges se renvoient leurs craintes et leurs espoirs se cachent aussi de vrais moments de bravoure, des pages où l’autrice laisse aller son imagination à une action qui emprunte autant au thriller qu’au roman d’aventure, dans une espèce de grande enquête sur les véritables volontés divines. Certes, le style manque parfois de fluidité, la faute à des scènes d’action qui se racontent sur de très courtes phrases successives, plutôt hachées. Mais sa force réside dans l’écriture des dialogues, des émotions, des intérêts des personnages et de leur évolution au fil de l’histoire. L’ange duquel tout est parti, Reshiel, connaît un cheminement assez exceptionnel, du choc initial et du désespoir qu’il engendre jusqu’au final que je me garde de révéler. Il faut toutefois surmonter une première partie un peu moins prenante, à cause d’enjeux qui mettent du temps à s’installer.

Au-delà de l’aspect spirituel et religieux, Ainsi soient-illes est donc une aventure de fantasy plutôt bien rythmée, et tant pis pour les quelques réserves émises ici et là, parce que l’autrice trouve le juste équilibre en mélangeant son univers de fantasy et la religion à un travail d’enquête, dans un thriller où les anges se font enquêteur·ice·s, passant au crible des religions monothéistes suspectées d’avoir causé les malheurs du monde. Le roman monte crescendo, avec une belle intensité dans son dernier tiers qui laisse un très bon souvenir de la lecture. Pour son originalité et la défense de ses idées, sa capacité à adapter un texte religieux sous un angle capable de parler à plus de monde, et pour la sympathie inspirée par ses personnages.

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Avide de trouver un « jeu service » à succès pour son catalogue, Sony a réorienté sa stratégie vers ce type de jeu pour tenter de dénicher la perle rare. Si les échos médiatiques annoncent des difficultés sur certains projets, l’un d’eux pointe enfin le bout de son nez. Et c’est Helldivers 2, développé par le studio suédois Arrowhead Game Studios, qui a su rappeler son expertise en la matière. Un peu à l’image de la bonne surprise du premier jeu sorti en 2015, cette suite amène ses ingrédients à succès et y ajoute quelques petits éléments qui lui ont permis de capter une jolie communauté autour de ses missions à la tension permanente.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code PlayStation 5 par l’éditeur.

Pour la gloire de l’humanité

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Helldivers 2 nous emmène sur la Super-Terre, une planète où l’humanité tente de se défendre face à des espèces extraterrestres qui lui veulent du mal. Mais on n’est pas là pour se prendre au sérieux, alors le studio suédois raconte une humanité sous l’égide d’un gouvernement techno-démocrate qui fleure bon l’autoritarisme sous couvert de bons sentiments, dans un monde néo-libéral qui s’accommode bien du bruit des bottes. Très second degré et avec une cinématique d’ouverture savoureuse, le jeu montre toute l’absurdité de son monde dans un patriotisme exacerbé où l’on incite les jeunes gens à s’engager pour aller se faire trucider. C’est une satire très réussie, où l’hommage à Starship Troopers est une évidence, mais il est dommage de voir que cette dimension narrative se met plus en retrait par la suite. Les bons mots et les découvertes sur l’histoire et le lore se limitent en effet ensuite à quelques collectibles à découvrir aléatoirement lors des missions, une poignée de mots à chaque fois où l’on en profite pour apprendre la tragédie vécue par d’ancien·nes soldat·es dont on trouve les corps inanimés. Ce système narratif a le mérite de laisser la part belle aux missions, pour un jeu qui est entièrement tourné vers son gameplay et la coopération. Mais la cinématique d’ouverture est une telle réussite qu’il y a une part de moi qui rêvait d’en avoir un peu plus par la suite.

Sur la forme, le système de jeu de Helldivers 2 s’assimile rapidement. Tout tourne autour d’un hub central, une sorte de grand destroyer spatial dont on peut customiser le nom selon des mots prédéfinis qui fleurent bon le patriotisme (le mien s’appelle le « Marteau de la Démocratie », la faucille manque à l’appel), qui permet de choisir les missions à réaliser, débloquer des compétences passives, équiper des stratagèmes et choisir les armes à emmener en mission. Mais j’en parlerai un peu plus bas. Le hub est aussi le moment de découvrir notre personnage, dont le sexe n’est pas défini, avec pour seuls éléments de customisation la voix, la forme du corps et de l’armure. Une fois tout intégré, il est l’heure de se jeter dans un des « pods » prêts à envoyer les petit·e·s soldat·e·s de la démocratie vers une nouvelle planète à sauver d’invasions de méchants extraterrestres. Globalement, toutes les missions commencent de la même manière, en arrivant jusqu’à 4 joueurs et joueuses en coopération (et c’est indispensable passé un certain niveau de difficulté) sur une planète aux objectifs générés aléatoirement, où il s’agit d’accomplir quelques objectifs clés comme des bases à détruire, des objets à récupérer, des radars à refaire fonctionner ou des humains à sauver, le plus vite possible afin de pouvoir rejoindre le point d’extraction dans le temps imparti. Plus globalement, ces missions ont une influence sur un univers qui raconte une guerre galactique persistante, comme à la plus belle époque de certains jeux en ligne (des MMO, notamment) qui nécessitaient l’entraide de toutes leurs communautés. Puisque chaque nouvelle planète à sauver ne l’est réellement que lorsque suffisamment de personnes ont pu terminer des missions dessus, avec une jauge qui se met à jour en temps réel pour montrer le pourcentage de démocratie qu’il reste à jeter sur le coin de la gueule des insectes et robots qui nous servent d’ennemis. Ce système persistant est similaire à celui du premier jeu, et incite fortement à la coopération, ce qui facilite grandement les missions en matchmaking rapide où, en général, on tombe sur des personnes plutôt bien intentionnées qui poursuivent les mêmes objectifs que nous. Une fois une planète délivrée, rebelote, on nous propose un nouvel objectif global et on passe à la planète suivante, tandis que le studio a pour objectif de lancer des évènements réguliers pour faire découvrir de nouveaux lieux et planètes, mais aussi inciter sa communauté à revenir jouer et picorer de nouvelles choses à mesure que l’univers progresse pour tout le monde. Par exemple, deux semaines après la sortie du jeu où l’essentiel des missions se faisaient contre un envahisseur alien à l’aspect insectoïde, le jeu a embrayé sur un nouvel envahisseur fait d’androïdes, avec ce que cela implique de nouvelles spécificités de gameplay (armures plus résistantes aux balles, missiles et armes à feu pour certains ennemis…)

© 2024 Arrowhead Game Studios AB. All Rights Reserved.

La grande nouveauté de cette suite toutefois, et elle saute aux yeux dès le lancement de la première mission (un vaste tutoriel dans un camp d’entraînement pour bon patriote) : exit la vue du dessus du premier jeu, à la manière de twin-stick shooter d’antan, et place cette fois-ci à une vue type third person shooter, avec une caméra qui se place juste derrière notre personnage. C’est un changement de paradigme considérable pour le jeu puisque cette nouvelle vue redistribue entièrement la dynamique et l’approche des missions. Il y a la perspective d’abord, avec un terrain fait de dénivelés, plus vertical, avec ce que cela a d’impact sur la visée et les déplacements. Mais surtout, dans un jeu qui balance régulièrement des grandes vagues d’ennemis, il faut constamment jeter un coup d’oeil dans son propre dos pour éviter de se faire encercler. Bien que les ennemis tombent facilement sous les balles, sauf les mini-boss et quelques ennemis en armure, le personnage tombe aussi très rapidement sous les coups. Il y a bien moyen de se faire quelques injections dans le cou pour regagner un peu de vie, mais ces objets sont limités et le temps nécessaire pour les utiliser fait qu’il est presque impossible de survivre quand on est prix en sandwich. D’autant plus que les personnages sont plus lents, les déplacements parfois entravés par des marais ou autres joyeusetés qui ralentissent les pas, une barre d’endurance empêche de trop enchaîner les roulades, et ce afin de toujours maintenir une certaine vulnérabilité qui oblige à jouer en équipe pour aborder les différentes vagues d’ennemis.

Démocratie enflammée

© 2024 Arrowhead Game Studios AB. All Rights Reserved.

Et pour faciliter les choses, on retrouve le système de stratagèmes du premier, c’est-à-dire des colis que l’on peut demander à tout moment en réalisant une suite de touches, comme des codes de triche de jeu à l’ancienne. Des colis largués sur le champ de bataille pour se ravitailler en munitions, amener de nouvelles armes, drones, ou encore appeler des frappes orbitales et aériennes qui aident bien à faire le ménage. Les stratagèmes sont nombreux mais les meilleurs nécessitent d’être débloqués grâce à des ressources obtenues en mission, des ressources plutôt chiches qui nécessitent d’explorer chaque recoin, rendant la progression assez lente. Du côté des armes, elles se débloquent via un « battle pass » comme on en voit dans de nombreux jeux service et jeux mobile, c’est-à-dire un certain nombre d’objets à débloquer au fil du temps et qui se renouvellent au fil des saisons et évènements lancés par le studio. Le bon côté, c’est que le pass est gratuit et offre beaucoup de contenu, tandis que la version payante pour le moment n’offre rien de déterminant pour la progression. La vigilance reste de mise pour l’avenir, car compte tenu du succès immédiat du jeu, on ne doute pas qu’il sera maintenu avec du nouveau contenu pendant un bon bout de temps, et il faut espérer que le studio ne soit pas tenté au bout d’un moment de favoriser les joueurs et les joueuses qui rajoutent quelques pièces dans la machine avec quelques euros durement gagnés. Néanmoins les choses devraient être limitées par le fait que les armes et armures (dont l’impact n’est que cosmétique) du battle pass dit « premium » nécessitent de toute façon de débloquer des médailles, la monnaie d’échange acquise en mission. L’argent réel ne servant, finalement, qu’à débloquer la simple possibilité d’acheter ces armes et armures avec les médailles acquises en jeu.

© 2024 Arrowhead Game Studios AB. All Rights Reserved.

Mais là où Helldivers 2 a tendance à me décevoir, c’est sur son contenu global. Neuf ans après le premier jeu, on se retrouve là au lancement avec un titre moins généreux que son prédécesseur : il y a une faction ennemie en moins, il n’y a pas d’amélioration d’équipement, pas de mécha ni de véhicules, et pas de réelle possibilité de jouer en « heal » ou « support » non plus. Plus encore, il y a à mon sens un manque d’impact dans le gameplay, avec des tirs qui n’offrent pas trop de sensations, même si la tension permanente du fait du risque d’être submergé·e par des vagues ennemies est un de ses points forts. Le souci, c’est également que beaucoup des meilleurs stratagèmes, ceux qui offrent un vrai sentiment de puissance, mettent beaucoup de temps à se débloquer, puisqu’ils se cachent à la fois derrière des ressources à dépenser (qui sont elles aussi plutôt longues à rassembler) et un niveau global de personnage qui monte tranquillement. Il faut donc bien passer 5 à 6 heures dans des missions répétitives, comptant essentiellement sur nos partenaires de coopération pour nous sauver les miches, avant de pouvoir récupérer de quoi s’amuser. Heureusement, il est tout à fait possible de refiler ses armes (du moins, celles larguées dans les colis) à nos compagnons en pleine mission, ce qui peut occasionner de jolis moments, comme les fois où en étant à bas niveau j’ai croisé de parfait·e·s inconnu·e·s qui m’ont offert leurs armes pour me permettre d’être plus utile dans la mission en cours. Enfin, et sur un plan technique, le jeu est solide et tourne très bien sur PlayStation 5, même si ses serveurs ont connu de sévères difficultés lors des deux ou trois premières semaines d’exploitation. Aujourd’hui, il n’y a toutefois plus vraiment de difficulté à trouver une partie à rejoindre en coopération, de jour comme de nuit.

Dans l’ensemble, on aurait pu espérer que 9 ans après le premier jeu, Helldivers 2 proposerait a minima un contenu aussi généreux tout en promettant des éléments inédits. En réalité, à l’exception du changement de perspective (de la vue du dessus au TPS) qui renouvelle le gameplay et la manière d’approcher les missions, Helldivers 2 ampute son univers d’éléments importants du premier jeu et nous laisse espérer que ceux-ci reviennent dans une mise à jour à venir. Si cela n’empiète pas sur le plaisir immédiat d’un jeu service dont le modèle économique est, pour le moment, plutôt honnête, il y a une certaine déception sous-jacente en s’apercevant que les nombreuses années qui séparent les deux jeux n’ont pas permis à Arrowhead Game Studios d’aller au-delà de la proposition initiale. Aussi addictif que son aîné, il lui manque néanmoins le petit gimmick supplémentaire qui lui permettrait de s’affranchir de son héritage, se contentant pour le moment de proposer un contenu de base similaire, moins quelques éléments que l’on aurait aimé voir dès le lancement du jeu, et pas dans une éventuelle mise à jour à venir. Le potentiel est là, il y a moyen de passer d’excellents moments en coopération et les sentiment de tension est extrêmement prégnant, mais il lui reste tout à prouver. On attend notamment un contenu capable de faire vivre le jeu sur le long terme.

  • Helldivers 2 est disponible sur PlayStation 5 et PC depuis le 8 février 2024
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce treizième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Ana Zaharova, autrice de Tsé, être aimée, ça fait (tellement mal) du bien, novella paru chez YBY Éditions en 2023. L’occasion à travers ce texte fort et touchant narré dans un français québécois typiquement oral d’aborder la thématique des violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales, les traumas qui en découlent, ou encore les façons d’y survivre et de suivre un chemin de résilience.

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À peine le remake de The Last of Us Part I était-il sorti, en septembre 2022, qu’en novembre 2023, le remaster de The Last of Us Part II était annoncé. Sorti en janvier 2024, ce remaster a permis à celleux qui n’avaient pas encore testé cette suite, de s’y replonger – notamment peut-être poussé·e·s par le succès de la série HBO diffusée en 2023. Si peu de temps entre chaque « opus » de l’univers créé par Naughty Dog – et il ne fallait pas oublier que le jeu lui-même était sorti en 2020, ce qui n’est pas si loin. Surtout pour un jeu proposant une expérience vidéoludique aussi intense et éprouvante. Alors, ce remaster était-il nécessaire ?

Cet article a été écrit suite à un envoi du code du jeu en numérique sur PS5.

Une finesse graphique au service de l’histoire

C’est toujours aussi beau, tout simplement. © The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog, 2024

Pour les propriétaires de télé 4K, peut-être qu’une véritable différence graphique est visible quand on joue au jeu. Pour les autres – dont je fais partie – il est bien difficile de dire ce qu’apporte visuellement cette remasterisation, tant le jeu était déjà magnifique en 2020, repoussant les limites de la Playstation 4. Un jeu aussi détaillé dans les décors, les ombres, les lumières, les expressions des personnages, cette transition incroyablement fluide entre cinématiques et in-game, pouvait-il vraiment encore progresser ? Tout au plus peut-on déceler une meilleure finesse dans le rendu des jeux d’obscurité et de lumière, peut-être une fluidité encore plus marquée et précise sur les animations des personnages et dans les atmosphères. Mais rien qui ne soit transcendant, disons-le.

Comme l’indique même le terme de remaster, aucun autre changement que ce lissage n’est présent. Le gameplay ne change pas, pas plus que le système de jeu. Mais attardons-nous sur ce que représente The Last of Us Part II.

Après le premier jeu, où Joel affirmait à Ellie qu’elle n’était pas capable de fournir un vaccin contre l’épidémie des infectés, cinq ans s’écoulent. La relation père-fille entre les deux protagonistes s’est distendue suite à des conflits non-dits et à des soupçons de mensonge. Car comment vivre avec le poids d’un tel mensonge entre deux personnes ayant appris à se faire confiance et à s’aimer, dans un monde où la survie et la solitude priment ? Ellie est désormais une jeune femme redoutable, digne de confiance dans la ville de Jackson, amie avec plusieurs personnages secondaires, comme Jessie et Dina. Tout bascule avec l’arrivée des Wolf, un groupe militarisé. Commencera alors une quête de vengeance pour Ellie, où le sang appelle le sang et où chaque meurtre entraîne un peu plus vers la déshumanisation.

Vous savez comme moi ce qui arrive durant cette scène. Et ça fait toujours aussi mal pour les trois personnages concerné·e·s. © The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog, 2024

Le constat est radical : quatre ans après la sortie du jeu, The Last of Us Part II est toujours aussi puissant émotionnellement. Indéniablement incroyable à prendre en main, pour toutes les considérations techniques qui en font un excellent jeu : gameplay varié selon les personnages, mise en scène cinématographique, musique mémorable, beauté des graphismes, des combats aussi nerveux que frénétiques… Mais c’est avant tout une histoire avec des personnages intenses. Ce n’est pas le genre d’histoire qu’on a envie de refaire tous les ans, tant elle est dure émotionnellement, tant elle accumule des scènes difficiles et graphiques, des dilemmes et des conflits authentiques, viscéraux pour les personnages, tant son propos sur la vengeance s’ancre à la fois dans le gameplay et dans les cicatrices des personnages, dans les silences et les non-dits, dans les souvenirs et les hallucinations causés par la culpabilité.

Et toute cette intensité n’a pas vieilli. Refaire The Last of Us Part II, c’est refaire une incroyable expérience vidéoludique, avec un recul de quelques années qui rend certaines scènes encore plus terribles, les personnages encore plus émouvants. On redécouvre d’autres finesses du scénario, d’autres détails qui nous avaient échappés. On revit The Last of Us Part II avec autant de cœur et d’impact que la première fois, avec la même colère, la même soif de justice, le même soulagement final.

Un contenu additionnel aussi maîtrisé que superflu

Outre les bonus originaux déblocables, comme les tenues, filtres de jeux et concept arts, que nous propose la version remaster du jeu ? Des nouveaux costumes supplémentaires, cette fois accessibles si l’on joue au mode « Sans retour » qui est la grande nouveauté de gameplay.

Grande est la déception d’Ellie devant l’existence du mode Sans retour. © The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog, 2024

Dans ce contenu additionnel, il nous est donné l’opportunité de jouer d’abord Ellie et Abby, puis d’autres personnages, une fois ceux-ci débloqués, dans des sessions générées de façon procédurale. On commencera ainsi généralement avec une session « d’attaque » où il faut se battre contre des vagues d’ennemis Wolf, infectés ou Séraphites. Deux chemins sont ensuite disponibles : outre les sessions de vagues d’ennemis – où l’on peut parfois être aidé·e par un personnage secondaire (Jessie, Manny, Lev…) – il y a aussi des sessions où on joue la « proie », et où on doit se défendre et survivre face à des ennemis sans cesse naissants. Autant dire que certaines sessions peuvent être rudes si l’on perd son sang-froid, d’autant qu’un boss nous attend à chaque fin de route : un infecté ou un Crotale plus fort que la moyenne (ou ce fabuleux monstre infecté à plusieurs têtes qui aura marqué tous·tes les joueur·euse·s à l’hôpital, avec Abby).

Au fur et à mesure des sessions jouées et des « paris » (se battre x fois au corps à corps, viser un ennemi en pleine tête, confectionner un certain nombre d’armes), on débloque la plupart des personnages secondaires du jeu, de Dina à Joel, en passant par Yara et Mel. Chacun a sa propre spécialité : confection d’armes, attaque à distance, écoute des ennemis approfondie… pour varier les possibilités de gameplay. On déverrouille aussi des simples bonus de skins, comme de multiples choix de tenues pour les personnages. Pour les amateurs de musique, un mode libre pour jouer de la guitare est également disponible, ce qui n’est pas le contenu supplémentaire le plus marquant.

Abby version années 90 dans la planque du mode Sans retour, prête à en découdre. © The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog, 2024

Autant dire que ce mode « Sans retour » fait la part belle au riche gameplay du jeu, nous permettant de jouer des mécanismes d’infiltration, du plaisir de foncer dans le tas, d’utiliser de multiples armes confectionnées, dans le but de survivre à chaque session. Mais était-ce nécessaire ? Si ce mode nous permet d’éprouver toute la nervosité d’un gameplay de combat réaliste et soigné, parfois jouissif dans son potentiel, il va néanmoins à l’encontre du message de The Last of Us Part II.

Là où l’histoire nous racontait le cycle de la violence et ses conséquences, le poids du sang sur les mains d’Ellie, marquée physiquement et mentalement par les massacres, il est plus qu’incongru de voir ce mode présent. Les traumatismes et la lassitude, la culpabilité de la violence et d’une quête aussi vaine que sans fin, tout cela ne se ressent plus dans le mode « Sans retour », qui devient un simple moment de gameplay « fun »… Si l’on peut dire. Quand on voit comment les meurtres et la spirale de la vengeance ont entraîné Ellie en enfer, l’amenant à se haïr et à se déshumaniser dans son obsession de revanche, il est plus qu’évident que « Sans retour » va à l’encontre des intentions du jeu.

Un plongeon plus que bienvenu en coulisses

Toutefois, là où le remaster se révèle très intéressant, c’est par ses bonus montrant les coulisses du jeu. Ainsi, nous pouvons explorer trois niveaux assez élaborés, mais supprimés du jeu final : une zone de discussions à la fête de Jackson (avant la scène de danse entre Dina et Ellie), un passage plus long dans les égouts de Seattle et la poursuite du sanglier avant la scène de chasse de la ferme. On peut ainsi arpenter des niveaux pas totalement finalisés, mais déjà assez beaux, qui nous montrent le long temps de travail de conception d’un jeu. Par des commentaires disséminés ici et là, les développeur·euse·s nous aident à comprendre comment on peut venir à en supprimer ces passages, que ce soit parce qu’ils ralentissent le rythme, parce qu’ils répètent inutilement une scène qui sera davantage élaborée ensuite, ou parce qu’ils relâchent trop longtemps la tension. Ils fourmillent néanmoins d’idées précises et de scènes qui auraient contribué à enrichir le jeu.

Outre cela, on a la possibilité d’écouter la version anglaise du podcast consacré au making-of de The Last of Us Part II (un podcast que vous avez peut-être déjà écouté en français). Une fois le jeu fini, on débloque également les commentaires de l’équipe sur les cinématiques : Laura Bailey (Abby), Neil Druckmann (réalisateur et scénariste), Ashley Johnson (Ellie), Troy Baker (Joel), Shannon Woodward (Dina) et Halley Gross (co-scénariste). À la manière des films commentés par les réalisateur·ice·s et les acteur·ice·s, on peut ainsi jouer toutes les cinématiques du jeu et profiter des anecdotes de la création. Saviez-vous que Yara et Lev devaient mourir tous les deux à l’origine ? Que Laura Bailey avait commencé un entraînement musculaire pour son personnage, mais s’était arrêtée suite à sa grossesse ? Qu’elle était à l’origine de la réplique « C’est toi mon groupe » ? Que l’une des choses les plus difficiles pour les concepteur·ice·s du jeu a été la transition entre les cinématiques et le passage in-game ? Autant d’anecdotes, entre le trivia et le côté technique, qui en apprennent long sur les tournages et itérations du jeu.

Un aperçu du niveau abandonné de la fête à Jackson, avant le bal. © The Last of Us Part II Remastered, Naughty Dog, 2024

Un autre bonus ravit également celleux qui sont friand·e·s des coulisses de production : « Grounded », un making-of de deux heures sur la production du jeu, de 2014 à 2020, interrompu durant la période Covid, et repris ensuite. Un précieux témoignage des prémices du jeu, des changements de scénario, des concepts abandonnés, du marketing effectué afin de donner des indices sur le jeu à venir pour le public… On passe dans les studios de Naughty Dog, par la réception presse et public des premiers trailers, ou encore sur le travail sur l’accessibilité du jeu, à destination des personnes souffrant de handicaps visuels. On croise le chemin d’un jeune concepteur ravi et consciencieux du travail qui lui est donné, on voit Troy Baker parler de sa réaction en apprenant un événement du scénario sur son personnage, on aperçoit des moments du tournage des scène en motion capture. C’est une véritable chance de découvrir ces coulisses !

Mais la partie la plus marquante de ce documentaire n’est peut-être pas celle-ci. Le studio ose montrer des images du crunch qui a eu lieu pour boucler le jeu, des témoignages de cette période acharnée pour faire sortir le jeu à temps, où on offrait des repas aux employés car ils restaient tard le soir, où certains vétérans de l’industrie commencent à comprendre qu’il ne leur est plus possible de tenir ce rythme. S’ensuit ensuite une démonstration des manœuvres et gestion de projets mises en place afin d’éviter le crunch à l’avenir, depuis le travail hybride (à distance et présentiel), à la délégation de tâches et un questionnaire bimensuel pour évaluer l’état de stress et tension des équipes. Espérons que les leçons de ce travail trop acharné, qui a tant fait parler de lui, porteront leurs fruits pour Naughty Dog et d’autres studios à l’avenir.

Quand on pense que la motion capture ressemble à ça à l’origine. © The Last of Us Part II, Naughty Dog, 2020

Suivant la partie du documentaire consacrée au crunch, un autre sujet important se dévoile : le harcèlement et le sexisme inhérents à l’industrie du jeu vidéo… et à une partie des joueurs. Halley Gross, co-scénariste, fait notamment part des critiques reçues sur l’écriture des personnages féminins du jeu, pas assez féminins selon les dires de certains, et sadiques dans la violence qui leur est administrée. Le comble pour un jeu où elle a assuré l’écriture avec Neil Druckmann, autant côté romance que violence ! Surtout, on nous fait part, images à l’appui, du harcèlement dont a été victime Laura Bailey, la voix et motion capture du personnage d’Abby, que ce soit pour les actes du personnage dans le jeu ou pour le côté musclé d’un protagoniste féminin jugé irréaliste. Injures, menaces de mort, harcèlement en ligne… Autant de rappels qui démontrent à quel point il reste un long travail à faire pour la place des femmes dans l’industrie du jeu vidéo, mais aussi concernant le harcèlement dont elles sont victimes, pour simplement être ce qu’elles sont… ou pour le simple travail pour lequel elles sont payées. Et c’est à la fois impressionnant et triste, de voir ces images et ces témoignages qui relatent à quel point ce harcèlement peut impacter des vies, alors que ces menaces et insultes viennent d’illustres inconnus déséquilibrés sur Internet.

Conclusion

Le remaster de The Last of Us Part II était-il nécessaire ? Probablement pas, considérant que le jeu était déjà exceptionnellement beau, fluide et détaillé à sa sortie. La différence graphique est presque infime, et le mode « Sans retour », ajout roguelike pour donner à utiliser pleinement les gameplay de combat, va à l’encontre du message prôné par l’histoire principale. Cela reste néanmoins la version à acquérir pour celleux découvrant le jeu sur Playstation 5, ne serait-ce que pour profiter des bonus et d’une finesse graphique supplémentaire.

Cependant, là où The Last of Us Part II Remastered brille, c’est par l’ajout de ses coulisses, par ses commentaires et vidéo making-of qui en apprennent énormément sur la conception du jeu, ses conditions de réalisation, les problématiques de leaks précoces du jeu, de crunch pour les employé·e·s et de sexisme envers les femmes de l’industrie, côté technique ou côté acting. Cet aspect « behind the scenes » rend hommage au travail de titan effectué par plusieurs dizaines et centaines de personnes sur plusieurs années, que ce soit en passant par la proposition de niveaux abandonnés ou par le récit des coulisses. Un bonus à ne certainement pas manquer en tant que fan du jeu, ou si vous souhaitez en savoir plus sur la production d’un jeu vidéo. Surtout, ce making-of nous montre frontalement des problématiques importantes du secteur et de son public ; inspirant, espérons-le, de meilleures méthodes de travail à l’avenir et une conscience de l’impact du harcèlement envers les femmes travaillant dans le monde vidéoludique.

  • Le jeu The Last of Us Part II Remastered est sorti sur PS5 en physique et numérique le 19 janvier 2024.
  • Le podcast sur The Last of Us Part I et Part II peut être écouté en français à cette adresse.
  • L’image de « tournage » de The Last of Us Part II (2020) vient de l’article de Sam White « Behind the scenes : one week on the set of the Last of Us Part II » pour le site VG247.
  • Aucun animal ni spectateur (ou presque) n’a été blessé durant le test du jeu.
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Pour le deuxième mois de publication de 2024, on revient à un rythme plus raisonnable du côté des sorties de la collection DC Infinite chez Urban Comics. Moitié moins de titres en février par rapport à janvier, mais pas moins de grands noms puisque c’est ce mois-ci que Batman revient dans le troisième tome du Dark City de Chip Zdarsky, tandis que Shazam et les Titans arrivent dans la nouvelle collection des « Dawn of » qui a été lancée le mois dernier avec les numéros de la Justice Society of America et de Superman. Pour rappel, l’objectif de ces gros volumes est de retrouver un peu l’esprit des kiosques d’antan, avec plusieurs histoires en un tome. Néanmoins pas au même tarif.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Dark City – Tome 3, la chute d’un modèle

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Le tome s’ouvre sur trois numéros de Batman Knight Terrors, les tie in (c’est-à-dire les histoires secondaires prenant place pendant le même arc) consacrés à Batman autour de l’évènement Justice League Knignt Terrors dont on a traité dans l’article DC Infinite #19, sorti en janvier. Cela aborde l’attaque de Insomnia, le vilain qui a plongé le monde dans ses propres cauchemars, sous l’angle de Batman. Ce dernier ayant longtemps été confronté à ses démons, il a essayé d’apprendre à vivre avec ses propres cauchemars qui ont débuté à la mort tragique de ses parents. Si le personnage de Batman paraît parfaitement indiqué vu les thématiques de cet évènement qui tourne autour des traumatismes, les épisodes écrits par Joshua Williamson sont trop attendus et bien peu captivants ; on a lu bien mieux dans des numéros consacrés à d’autres personnages. Les idées sont trop diluées dans un ensemble bien peu maîtrisé, à tel point que l’on passe vite à la suite. Heureusement c’est ensuite les numéros de l’histoire débutée par Chip Zdarsky deux tomes plus tôt qui prennent le relais, où il raconte un Bruce Wayne déboussolé après les évènements précédents. Ceux où il a vu Zur-en-Arrh, sorte d’alter ego qui a pris le dessus dans son esprit, quand il ne parvenait plus à se protéger de ses propres traumatismes, alors qu’il était accusé d’avoir tué le Pingouin. Un alter ego qui a créé Failsafe, un personnage robotique pratiquement indestructible qui n’avait qu’un but : éliminer Batman. Zdarsky raconte un personnage brisé, qui doit malgré tout faire bonne figure face à celles et ceux qui l’entourent. Les dessins de Belén Ortega ne cessent d’étonner par leur précision. Si la mise en scène de l’action n’est pas toujours aussi efficace que d’autres, sa manière de dessiner les personnages m’intéresse beaucoup. La dessinatrice espagnole sait parfaitement inscrire sur les visages les émotions qu’ils et elles traversent, plus encore dans ce tome où Bruce doit jongler entre l’image renvoyé à ses proches et la réalité de son état psychique. Son duo avec Chip Zdarsky fonctionne super bien et c’est l’un des principaux attraits de la série Batman Dark City.

Dans la continuité, ce tome se conclut autour de l’arc The Gotham War, un super arc où Catwoman a décidé de prendre sous son aile les sbires des super vilains pour les détourner des crimes violents en les formant plutôt au vol de biens de grande valeur des quelques riches privilégiés de Gotham. Un plan qui réduit de manière conséquente les crimes de rue que traque habituellement Batman, qui se retrouve là dépassé, réalisant que Catwoman est en train de réussir là où il a toujours échoué. Un postulat intéressant, qui ouvre une discussion autour de l’impact réel de Batman sur sa ville, sur l’idée d’une violence qui engendre toujours plus de violence, mais aussi sur ses héritiers. On y voit une « Bat-family » qui remet en cause son modèle, admet que ses méthodes pourraient être l’un des maux de Gotham, et tentent d’aller un peu plus loin. Cette succession d’histoires chapeautées par Chip Zdarsky s’emboîtent vraiment très bien, offrant une vision intéressante du personnage, bien aidé également par une histoire qui fait intervenir une Catwoman intrigante. C’est le meilleur tome sorti dans la série Dark City pour le moment, et ça donne sacrément envie de lire la suite.

Dawn of Titans – Tome 1,  le poids du renouveau

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Il faut avoir lu la série Nightwing Infinite pour comprendre comment on en est arrivé là. Avec une montée en puissance et en responsabilités de Nightwing, feu la Ligue de Justice a décidé de lui confier les rênes de leur mission d’antan, celle de protéger la Terre des menaces qui la gangrènent. Alors que la Ligue de Justice a été dissoute, Nightwing a décidé de rappeler ses copains et copines des Titans à la rescousse pour former cette nouvelle équipe. C’est alors que débute ce premier tome de Dawn of Titans, où l’équipe autrefois adolescente, désormais adulte, porte le poids de l’héritage laissé par Superman, Wonder Woman, Batman et compagnie. Dans les premiers numéros, c’est Tom Taylor à l’écriture et Nicola Scott aux dessins qui se chargent de mettre en place les premiers évènements de leur prise de pouvoir. Et cela commence dès l’inauguration de leur QG (toujours en forme de T), avec une découverte effroyable : Wally West (Flash) a été assassiné et…  une autre forme de lui, venue du passé, va les aider à déjouer sa propre mort. C’est un récit plutôt agréable, entre héritage et enquête, où les dessins de Nicola Scott rendent honneur à l’écriture toujours dynamique et plein de rebondissements de Tom Taylor.

Ce tome est aussi l’occasion, évidemment, de proposer les deux épisodes tie in des Titans autour de l’évènement Knight Terrors du mois dernier. Toujours une histoire de cauchemars provoqués par Insomnia, mais cette fois-ci on y découvre un cauchemar commun vécu par les Titans. Sans grande conséquence, le récit a le mérite de se lire facilement, dans une sorte de fuite en avant d’une tour devenue folle. Le récit manque toutefois de mettre un peu plus d’énergie et de détermination dans ses personnages, qui ressemblent parfois à des coquilles vides au cours des deux numéros. Enfin, ce premier tome se conclut sur la mini-série World’s Finest: Titans dans cinq épisodes qui, à la manière de l’excellente série Batman / Superman: World’s Finest raconte une histoire sous un angle et un ton similaire aux comics de l’âge d’argent et de bronze (pour rappel, les noms données aux comics sortis entre les années 1950 à 1980, environ). Une tonalité plus légère et enjouée, avec des Titans à l’allure plus kitsch et un dessin plus coloré. L’écriture de Mark Waid est solide, mais c’est surtout les dessins de l’artiste italienne Emanuela Lupacchino qui apportent un vrai plus à la mini-série. Dans l’ensemble Dawn of Titans est une réussite, entre ses personnages attachants, à l’exception de l’arc Knight Terrors, le rythme endiablé auquel nous habitue Tom Taylor et la beauté des dessins sur la plupart des numéros, qu’il s’agisse de ceux de Nicola Scott ou de Emanuela Lupacchino. Il y a une vraie bonne idée qui se cache derrière cette éditorialisation de DC dans des simili-anthologies avec les « Dawn of » mais, cela a un coût : 30 euros. On parle certes d’un comics de 304 pages, mais malgré un marché du comics en crise qui a toutes les peines du monde à séduire un public plus large, la lecture de supers en culottes devient un luxe qui n’incite pas les néophytes à s’y lancer.

Dawn of Shazam – Tome 1, une vie chamboulée

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Cela faisait un sacré bout de temps que l’univers de Shazam n’avait pas eu droit à de nouvelles publications du côté de Urban Comics. Si l’on a croisé Billy Batson, le héros qui en porte le pouvoir, ici et là, ce Dawn of Shazam apporte enfin des séries spécifiques au personnage et à sa nouvelle incarnation. Car si Billy Batson portait autrefois fièrement l’éclair magique sur son torse, il a depuis perdu les pouvoirs de Shazam et n’a pu que les confier à ses frères et sœurs adoptives, temporairement, jusqu’à ce que le pouvoir s’empare définitivement de l’une seule des sœurs : Mary. On est loin des films sortis au ciné ces dernières années, même si l’on y retrouve cette même histoire de famille adoptive un peu dysfonctionnelle mais pleine d’amour. Mais ces comics ont un petit truc en plus : une légèreté à laquelle s’oppose régulièrement la dangerosité d’un univers magique qui aide autant Shazam qu’il ne l’empêche d’avancer. Des difficultés que découvre vite Mary, qui n’a initialement pas vraiment envie de ces pouvoirs. Dans les épisodes de The New Champion of Shazam de Josie Campbell et Evan « Doc » Shaner qui ouvrent le bouquin, Mary est en train d’intégrer l’université de ses rêves, découvre ses colocataires au campus étudiant et s’imagine déjà vivre une nouvelle vie, loin des difficultés inhérentes à la vie d’une (large) famille recomposée. Mais les choses tournent vite au vinaigre, alors qu’elle récupère les pouvoirs de Shazam, envoyés par son frère Billy Batson disparu, et découvre immédiatement que leurs parents adoptifs ont été enlevés. Le récit est bien écrit, on sent la volonté de proposer une ambiance très estudiantine, qui rappelle à certains égards le Blue Beetle sorti dans la collection Infinite l’année dernière. Ce n’est probablement pas le récit le plus mémorable du mois, mais c’est une nouvelle introduction sympathique à cet univers là, facilement accessible aux personnes qui ne connaîtraient pas grand chose à Shazam.

Ensuite, la deuxième partie du tome est l’occasion de relancer la série principale Shazam, cette fois-ci dans les mains de Mark Waid au scénario et Dan Mora au dessin. Le duo réalise quelques très belles choses, en racontant cette fois-ci non pas Mary mais Billy Batson, qui possède ici bien ses pouvoirs, mais constate qu’il devient presque fou chaque fois qu’il les utilise. Curieuse ambiance et postulat qui envoient le personnage dans une quête de soi, recherche d’une réponse à des questions qu’il ne parvient pas vraiment à formuler. C’est créatif et, à l’image de la série précédente centrée sur Mary, très riche sur ce que ça dit de ses personnages et leur rapport au pouvoir. Victimes de leurs pouvoirs, thématique centrale de ce Dawn of Shazam dont les bonnes idées foisonnent et qui n’a probablement que comme seul raté les deux numéros de Knight Terrors: Shazam qui n’apportent pas grand chose à un évènement paru le mois dernier qui ne méritait pas d’être autant étiré. C’est tout de même une belle réussite pour l’ensemble de l’anthologie, qui profite d’artistes extrêmement talentueux et d’une écriture à la qualité constante, qu’il s’agisse des numéros de Josie Campbell ou de Mark Waid.

  • Les comics Batman Dark City,  Dawn of Titans et Dawn of Shazam sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Bonjour à toutes et à tous ! Ici Reblys, et bienvenue dans ce nouvel épisode de La Rébliothèque !

Cette fois j’ai eu envie de vous parler d’un livre qui m’a occupé pendant près de six mois. Le genre d’épopée littéraire qui demande une bonne dose d’investissement et de persévérance ! Alan Moore est un auteur connu et reconnu dans le monde des comics, mais lorsqu’il se met au roman, cela donne une univers d’une grande complexité, sur la forme comme sur le fond. Parcouru d’épique et de moments hors du commun, Jerusalem est également un récit souvent difficile d’accès, aux règles multiples et au style parfois abscons. C’est néanmoins un livre inoubliable, et c’est pour ça que, même si je ne le recommande qu’aux lecteurices les plus aguerri.es, j’avais tout de même envie de vous le présenter ! Bonne écoute !

 

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Le cap du deuxième titre, un exercice toujours compliqué alors qu’il faut affirmer les mécaniques initialement présentées afin de renouveler l’intérêt. Une étape que traversent beaucoup de studios, et que redécouvre bizarrement le Ryu ga Gotoku Studios avec sa licence Like a Dragon, autrefois Yakuza. Si Like a Dragon : Infinite Wealth n’est évidemment pas le deuxième jeu de la saga qui fêtera ses vingt ans l’année prochaine, il n’en reste pas moins le deuxième titre depuis que la série a opéré un virage vers un genre de jeu complètement différent, celui du J-RPG au tour par tour, avec son septième titre canonique intitulé sobrement Yakuza : Like a Dragon. À mi-chemin entre renouveau et soft reboot, la série n’avait plus pris tant de risques depuis longtemps, et cela s’est avéré payant tant sa popularité a été décuplée ces dernières années. Avec Like a Dragon : Infinite Wealth, le studio propose officiellement le huitième titre canonique de la saga, et surtout, emmène à cette occasion ses personnages à Hawaï dans un voyage empreint de nostalgie.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code de téléchargement sur PlayStation 5 par l’éditeur.

Espoirs d’une nouvelle vie

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Trois ans après les évènements de Yakuza : Like a Dragon, le nouveau héros que l’on avait découvert à cette occasion, Ichiban Kasuga, s’est reconverti en conseiller chez Hello Work, le Pôle Emploi (pardon, France Travail) local. Sauveur de Yokohama et reconnu comme tel par les passants, il est résolument décidé à aider sa ville d’une autre manière, en tentant comme il le peut de trouver un boulot aux personnes les plus démunies. Parmi ces gens, d’anciens yakuzas, comme lui, qui ont toutes les peines à retrouver un emploi honnête alors que les lois anti-yakuza au Japon mettent ces personnes au ban de la société, leur refusant même la possibilité d’accéder à des emplois afin d’empêcher leur réinsertion. Comme son aîné, Infinite Wealth accorde ainsi d’entrée une place prépondérante à la question sociale, toujours orientée vers les personnes démunies, souvent des quarante ou cinquantenaires. Et les choses se gâtent rapidement quand, un an plus tard, Ichiban est accusé à tort d’avoir replongé dans des activités illégales par une VTuber (sorte de youtubeuse à l’apparence incarnée par un personnage anime) dont l’influence est considérable. Une fois passée une cinématique au mieux maladroite sur la terrible cancel culture, le jeu retrouve ses esprits et s’intéresse plutôt à la difficulté à se réinsérer pour des personnes vaguement associées à des milieux douteux par le passé, et nous embarque à Hawaï. Équipé de sa plus belle chemise rouge à fleurs et d’un short en jean au goût relatif, Ichiban Kasuga, qui ressemble à s’y méprendre à la dégaine d’un Luffy dans One Piece (et ça ne semble pas être un hasard tant les personnages sont caractérisés par leur optimisme), part en effet sur les traces de celle qui serait sa mère biologique, qu’il pensait morte depuis bien longtemps et qu’il n’a jamais connu. Les indices la localisent à Hawaï, et il y trouve là un moyen de s’échapper d’une ville de Yokohama où ses intentions ont été remises en cause par la VTuber. Les prémices du jeu nous embarquent dans quelque chose de franchement différent de son prédécesseur, avec une approche plus intime, et le jeu l’affirme très rapidement. On y fait d’entrée la rencontre de Kazuma Kiryu, le héros des six premiers épisodes de la saga, clin d’œil nostalgique aux fans qui découvrent en même temps un Kazuma plus fébrile que jamais. Il apparaît plus faible, plus vieux, imparfait. Il n’est plus le héros qui sauve tout le monde et qui résiste à tout, tant physiquement que moralement. Ce n’est plus le super-héros d’antan, la force de la nature qui ne peut jamais être vaincue, et cela offre un regard surprenant sur le personnage mais qui tombe sous le sens.

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À l’heure où Like a Dragon a négocié son virage vers un nouveau genre et un nouveau héros, trouver une conclusion sous forme d’une passation de pouvoir entre Kazuma et Ichiban est pertinent. Certes, cela sent quand même le fanservice dans la mesure où Kazuma avait déjà connu une conclusion avec Yakuza 6, mais il est difficile de ne pas se laisser charmer par la facette plus humaine qu’il offre dans cet épisode, avec une émotion omniprésente, offrant au passage l’un des moments les plus importants et émouvants de la saga, pour peu que l’on ne se soit pas laissé spoiler par une des bandes-annonces du jeu qui a eu le mauvais goût de révéler cet élément. Le tandem qu’il forme avec Kasuga a une saveur soudainement différente, ce dernier endossant le rôle du leader face à un autre héros qui a toujours porté et protégé celleux qui l’entourent. Et comme bien souvent, les compagnons que l’on découvre au fil de l’aventure ne manquent pas d’épaisseur, entre l’arrivée de nouveaux personnages comme Tomizawa, un chauffeur de taxi paumé et Chitose, une héritière qui refuse son statut, qui  ont tous·tes leur moment de gloire et leur impact sur le développement de l’histoire. Cela a toujours été l’une des forces de la saga, et Infinite Wealth n’y échappe pas : c’est sa galerie de personnages qui fait l’intérêt de sa narration, chaque protagoniste jouant un rôle central à plusieurs instants de l’histoire, sans se laisser marcher dessus par le héros du jeu. Et ce n’était pourtant pas gagné tant le tandem Ichiban-Kazuma pourrait écraser le reste, mais l’équipe en charge de la narration du jeu a trouvé le bon équilibre pour raconter la recherche de la mère de Ichiban, les problèmes personnels de ses compagnons, ainsi que la nouvelle facette de Kazuma et les multiples références à l’ensemble de son œuvre. On remet sur notre route des personnages de jeux qui ont plus de dix ou quinze ans, on nous raconte la conséquence des évènements de l’époque, c’est fascinant à parcourir quand on connaît bien la saga. Le titre rend ainsi un hommage d’une jolie douceur à celui qui l’incarnait, quitte à rendre le jeu de facto moins accessible pour des personnes qui n’ont pas terminé les précédents jeux. Personnellement, je suis fan depuis le premier épisode, et j’y ai trouvé un plaisir formidable. La différence fondamentale entre Ichiban et Kazuma se trouve dans leur approche des situations, le premier faisant toujours preuve d’optimisme, même si sa personnalité va être remise en cause lors de certains évènements tant la violence de la réalité prend le pas sur ses idéaux, tandis que le second a toujours été caractérisé par sa force, son côté stoïque, sa capacité à tout encaisser et agir de manière très pragmatique.

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Un bémol peut-être sur Hawaï, avec une carte très agréable à explorer et qui multiplie les belles surprises, avec un dépaysement certain. Avec son mélange de gratte-ciels, de petits quartiers résidentiels, de quartiers mal famés et de plages paradisiaques, on y trouve une diversité de ton qui ne fait pas de mal et qui permet au jeu de multiplier ses ambiances. Mais on a parfois du mal à croire au fait que l’on est à Hawaï. Si les repères visuels nous le rappellent constamment, on a vite l’impression que la totalité des locaux parlent japonais, ce qui a tendance à faire perdre en crédibilité. Certes, l’île américaine compte une communauté d’origine japonaise considérable, néanmoins là, afin d’éviter de proposer trop peu de dialogues japonais, la très grande majorité des locaux que l’on entend parler le font en japonais. L’autre petit souci, c’est le moteur de jeu vieillissant, qui ne rend pas honneur à une direction artistique toujours solide, entre la beauté de certains lieux, les couchers de soleil en bord de mer et l’ambiance insulaire extrêmement réussie (en dehors de la langue). Mais le moteur reste celui qui était proposé à l’époque sur PlayStation 4 avec le sixième épisode canonique, avec ce que cela implique de retard sur la gestion des textures qui peuvent mettre un peu de temps à apparaître, la distance d’affichage compliquée, et la rigidité d’animation des personnages en dehors des cinématiques précalculées. Des cinématiques qui restent fidèles au standard de la série, avec des visages toujours convaincants et une mise en scène propre à la licence dont on ne se lasse toujours pas. Cette mise en scène, qui ne parle pas à tout le monde, s’est longtemps inspirée du cinéma de Takeshi Kitano, avec en point d’orgue le sixième épisode où il prêtait ses traits et sa voix à un personnage. Mais depuis, on sent une vraie influence des dramas japonais, avec tout le côté sentimental où chacun·e livre ses sentiments autour d’un verre ou d’une balade en bord de mer, ce qui offre un contrepoids intéressant aux histoires de gros muscles et de gangsters tatoués.

Découverte de Hawaï sur toutes les coutures

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Avec un terrain de jeu plus grand que jamais, entre un Hawaï entièrement inédit et le retour du Yokohama de Ichiban, les plaisirs sont divers et les activités se multiplient. Généreux en contenu, d’une densité qui rappelle parfois Yakuza 5 (en plus grand, encore), ce Infinite Wealth pousse les potards de la série à fond, quitte parfois à devenir une caricature d’elle-même. Chaque rencontre, chaque détour au coin d’un quartier est prétexte à la découverte d’une nouvelle activité et de mini-jeux associés : on a les jeux d’argent habituels (comme le mahjong), les éternels bars à hôtesses au Japon et strip-clubs à Hawaï, le karaoké où l’on ne se lasse jamais de lancer notre meilleur Baka Mitai aux côtés de quelques titres de City pop bien sentis, ou encore les centres de baseball, les fléchettes et salles d’arcades. Mais plus encore le titre apporte à ces mini-jeux habituels de la saga de nouveaux éléments, comme la possibilité de jouer le rôle d’un livreur de repas dans une parodie à mi-chemin entre application de livraison et Crazy Taxi, le retour du « Sujidex » en hommage à Pokémon où l’on note chaque rencontre avec un nouvel ennemi jusqu’à compléter l’entièreté du bestiaire, une application de rencontres où l’on cherche son âme sœur dans un mini-jeu consistant à choisir les bons dialogues pour séduire nos matchs, ou enfin l’existence d’un réseau social qui nécessite de sortir un « Aloha » à chaque ami·e potentiel·le croisé·e dans la rue. Cette recrudescence d’activités, sorte de trop-plein d’éléments secondaires, peut s’avérer parfois un peu intimidant. Il n’est pas rare même après quarante heures de jeu de réaliser que l’on avait complètement oublié l’existence d’un mini-jeu présenté une vingtaine d’heures plus tôt, alors même que celui-ci pourrait donner accès en la complétant à divers bonus et armes bien utiles pour s’en sortir dans la quête principale. De la même manière, cette générosité en contenu fait que Hawaï et Yokohama ressemblent plus à de grands parcs d’attraction que des villes, chaque rencontre n’étant qu’une excuse pour introduire un nouveau système. Mais étonnamment, l’ensemble parvient à tenir la route, les activités indispensables à la progression étant plutôt rares et, de manière générale, la plupart de ces activités secondaires peuvant être mises de côté quand elles ne nous passionnent guère. Car à vouloir trop en faire, il est difficile d’exceller dans tous les domaines. Si Infinite Wealth est génial sur bien des points, il n’en reste pas moins plus contestable sur certains mini-jeux, certains moments plus pénibles, à l’image de ses donjons secondaires dont l’intérêt ludique est assez limité tant ils sont répétitifs, ou son mini-jeu de livraison qui reste trop basique pour captiver notre intérêt plus d’une fois ou deux pour l’essayer.

D’autant que d’autres systèmes méritent que l’on s’y attarde. Comme le système d’amitié à développer avec les compagnons, indispensable pour se renforcer en combat grâce aux combos et attaques spéciales que cela débloque. Un système d’amitié qui se renforce au travers de dialogues à découvrir dans certains coins de la ville, autour d’un verre au bar qui sert de QG au groupe, ou en offrant des cadeaux. Plus encore, il y a l’ensemble du mini-jeu autour d’une île anciennement paradisiaque à laquelle il faut rendre sa gloire d’antan, un jeu dans le jeu aux inspirations proches d’un Animal Crossing où l’on s’amuse à capturer des insectes, meubler sa maison et construire des habitations et activités pour attirer les touristes. Complètement secondaire mais plutôt bien senti, ce mini-jeu joue sur une longue tradition de la saga où dans chaque titre il existe un mini-jeu de gestion qui permet d’accumuler suffisamment d’argent pour forger et acheter les armes et équipements les plus puissants. Plus fouillé qu’à l’accoutumée, ce jeu de gestion a ses bons et mauvais côtés, entre une ambiance sympathique et un système addictif, mais qui s’avère aussi chronophage et très répétitif. Je pourrais aussi citer tout l’écosystème autour des « Sujimon », petit nom donné par le héros aux ennemis affrontés, qu’il voit se transformer de manière plutôt loufoque à chaque combat. Car oui, comme dans le jeu précédent, le twist est qu’il a l’impression de vivre lui-même dans un jeu vidéo, avec de multiples références à Dragon Quest, chaque fois qu’un combat se déclenche. Cette fois-ci, au-delà du Sujidex à compléter que j’évoquais plus tôt, le jeu propose aussi un système proche de Pokémon avec des combats de Sujimon en arène contre des dresseurs croisés en ville, jusqu’à pouvoir aller défier les maîtres de la ligue. Pastiche de Pokémon, cela fonctionne plutôt bien et renforce le second degré déclaré autour de l’imaginaire de Ichiban Kasuga depuis le précédent titre où il devenait le héros de la saga.

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Enfin, et pour conclure sur les activités proposées à côté de la quête principale, le jeu n’est pas non plus avare en quêtes secondaires comme la saga en a l’habitude. Ces quêtes qui se terminent souvent en quelques minutes sont encore et toujours l’occasion de découvrir des personnes lambdas, à un moment souvent confus de leur vie, se confiant à Ichiban souvent après qu’il leur ait donné un coup de main. On rit souvent parce que les situations sont improbables, l’écriture prouve même son intelligence certaines fois avec des réflexions pas inintéressantes sur la condition de ces personnages. C’est le cas par exemple quand on croise des touristes japonais qui se font escroquer par des américains (jouant sur le cliché du riche touriste asiatique, cible des escrocs), tandis qu’une autre quête secondaire nous emmène dans l’intimité d’une mère de famille contrainte d’escroquer des gens pour nourrir son enfant faute de pouvoir trouver un travail honnête. D’autres fois on découvre des gens plus rigolos comme un photographe de gars musclés en slip (donnant lieu à un mini-jeu supplémentaire, d’ailleurs), un réalisateur de films d’action qui n’a que peu de considération pour la survie de son cascadeur, ou encore le retour de vieux yakuzas en couches culottes que les fans de la série connaissent bien. Et c’est là que Infinite Wealth trouve le formidable équilibre qui caractérise la série : l’histoire principale est toujours dramatique, pleine de rebondissements et d’une violence caractéristique des milieux de gangsters qu’elle raconte. Mais cette noirceur est contrebalancée par un quotidien plus léger, un rire facile et une autodérision qui est extrêmement rare dans ce genre de jeu. Si on adhère à la formule, Infinite Wealth est sans nul doute l’une des meilleures propositions du Ryu ga Gotoku Studios car il maîtrise parfaitement cet équilibre, même s’il nous submerge en contenu.

À la force des poings

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Ce qui tient tous ces éléments ensemble, l’histoire et les activités secondaires qui en découlent, c’est un cœur de jeu conçu autour de son système de combat et de progression. Ce n’est un secret pour personne, la majorité des problèmes dans les Like a Dragon se règlent à grands coups de tatanes dans la gueule, et si possible en chopant un vélo qui traîne par là pour l’écraser sur son ennemi agonisant au sol. Faute de mieux, un coin de table ou de distributeur automatique de boissons fonctionnent aussi bien, notamment pour Kazuma Kiryu. Mais avec l’arrivée de Ichiban Kasuga et le soft reboot de la saga à l’épisode précédent, le système de jeu avait été complètement revu pour passer d’un simili-beat them all à un RPG au tour par tour. La transition s’était effectuée sans grande difficulté et avait conquis son monde, et ce système fait également son retour aujourd’hui. Dans les grandes lignes, les combats sont similaires à son prédécesseur, avec un tour par tour dont l’ordre d’action dépend de l’agilité (vitesse) des personnages, avec la possibilité de se mouvoir sur un cercle de déplacement avant de réaliser son attaque. Une attaque dont la puissance dépend des caractéristiques du personnage, de l’aptitude utilisée (attaque simple, magie…) mais aussi et surtout du placement et des faiblesses adverses. Attaquer un ennemi dans le dos décuple les dégâts, tandis que l’envoyer valser vers un compagnon peut déclencher une frappe de sa part. Une fois bien avancés dans l’amitié avec ces mêmes compagnons, on se met même à déclencher des attaques en duo. Plutôt simple d’approche, le système s’étoffe au fil de l’aventure et l’on débloque même de nouvelles fonctionnalités après plus de trente à quarante heures de jeu tant le système est généreux et la boucle de gameplay se renouvelle régulièrement. On pourrait néanmoins lui reprocher une certaine paresse, tant les éléments nouveaux sont assez peu nombreux, mais il a au moins le mérite d’affirmer et de fignoler un système déjà prometteur initialement. Efficace et facile à prendre en main, il a le mérite d’être probablement plus accessible et moins déséquilibré que le système de combat type beat them all de la saga de Kazuma Kiryu, le tour par tour demandant moins d’attention aux joueur·euse·s qui préfèrent les jeux plus posés.

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Sortant des clous des J-RPG les plus classiques desquels le jeu s’inspire, les manières de gagner de l’expérience et de la puissance sont nombreuses et ne se limitent pas seulement aux combats. Bien sûr que l’expérience acquise en combat reste primordiale, mais celle-ci n’est pas la seule à juger de la capacité à vaincre dans des combats plus difficiles. Car cette progression repose sur plusieurs éléments externes aux : outre l’expérience acquise, on progresse grâce aux amitiés et aux activités secondaires, mais aussi le système de jobs qui fait son retour avec la possibilité d’assigner un job à chaque personnage pour en débloquer des compétences spécifiques (avec une barre d’expérience propre au job, qui se superpose au niveau global du personnage). Pour ce qui est des jobs, on est dans le pastiche de J-RPG le plus classique avec des équivalents aux éternels chevalier·ère·s et autres magicien·ne·s. Mais Like a Dragon : Infinite Wealth fait évidemment les choses à sa sauce en transposant les spécificités de telles classes de personnages en danseuses hawaiiennes, chefs de cuisine, hôtes de bars, dominatrices, plongeurs, femmes de ménage, joueuses de tennis et stars de films d’action. Et ce jusqu’à se retrouver avec un grand n’importe quoi en combats où notre héros se bat soudainement avec des personnages qui se transforment selon leur job attitré avec leur lot de compétences, comme la femme de ménage qui aspire les ennemis, l’hôte de club qui balance de l’alcool et le plongeur qui met des grands coups de planche de surf dans la tête des ennemis. La vraie nouveauté réside dans la possibilité, en passant d’un job à l’autre, de récupérer des compétences débloquées dans les précédents jobs pour en profiter sur le nouveau. De quoi inciter à découvrir et à changer de job régulièrement, d’autant plus que le niveau associé à celui-ci monte assez rapidement quand l’on atteint un certain niveau du jeu. Il y a toutefois et malheureusement une attribution des jobs par genre qui conserve une certaine misogynie dont la série n’arrive pas à se défaire complètement. Même si ce serait injuste de ne pas lui reconnaître les efforts considérables qui ont été faits depuis vingt ans, pour une saga qui a été capable d’aborder des thématiques autour du sexisme et de l’inclusivité, que d’autres jeux ignorent parfaitement. Le jeu a conscience de ce qu’il est, et s’en amuse beaucoup, paraissant parfois plutôt sexiste au regard des jobs attribués à ses personnage féminins, alors qu’il s’avère bien plus intelligent dans son traitement desdits personnages dans sa narration. Chitose, le nouveau personnage féminin, est aux côtés de Saeko et Seonhee (que l’on avait découvertes dans le précédent jeu) l’une des meilleures réussites de l’écriture.

Monumental, voilà ce qu’est Like a Dragon : Infinite Wealth. Il l’est pour plusieurs raisons. Au sens premier du terme d’abord, tant il déborde de contenu avec une proposition extrêmement dense, quitte à frôler plus d’une fois l’overdose. Heureusement un bon nombre de ce contenu est parfaitement secondaire, mais il est difficile de ne pas se sentir submergé·e, dans les quinze ou vingt premières heures notamment (pour un jeu qui en nécessite au moins soixante pour en voir le bout), tant le jeu nous fait découvrir de nouvelles fonctionnalités régulièrement. Même après quarante ou cinquante heures, de nouvelles choses restent à découvrir. Monumental également, sur l’aspect émotionnel, la deuxième moitié du jeu offrant, sans trop en dire, une grande rétrospective de ce qu’a été la saga et l’aventure de Kazuma Kiryu depuis ses débuts il y a presque vingt ans et ce qu’il est aujourd’hui. Bouleversante, la narration ne manque pas son hommage au personnage et prend beaucoup de hauteur sur ce que la saga était et doit devenir. Monumental enfin, pour son intelligence, pour sa galerie de personnages et pour la finesse de l’écriture de l’histoire de chaque protagoniste. Et tant pis si la quête principale, malgré d’excellents moments, est probablement moins passionnante que celle de Like a Dragon : Yakuza, la faute à un antagoniste peu mémorable. Rien n’est parfait, mais punaise, on n’en est quand même pas loin.

  • Like a Dragon : Infinite Wealth est disponible depuis le 25 janvier 2024 sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S.
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