Bonjour à toutes et à tous, ici Reblys pour un nouvel épisode de la Rébliothèque !

Pour ce nouvel épisode, je voulais vous parler d’un véritable choc de lecture. Je sais que l’on a tendance à employer cette expression à tort et à travers, mais il s’agit ici d’un livre qui m’a littéralement fait perdre le contrôle de mes émotions, et m’a plongé dans un état de tension comme jamais auparavant.

My Absolute Darling est un livre d’une puissance rare, mais qui n’hésite pas à nous tordre les boyaux et à nous mettre à mal. Même s’il n’est pas à mettre entre toutes les mains, j’ai voulu vous prévenir, et vous apprendre, si vous ne le connaissez pas déjà, l’existence de cet extraordinaire roman.

J’espère que cette chronique vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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L’été approche et ce mois de mai marque un léger ralentissement dans les publications mensuelles de la collection DC Infinite chez Urban Comics. Seuls deux titres ce mois-ci donc mais pas n’importe lesquels, puisque les Detective Comics de Ram V continuent leur bout de chemin dans le quatrième tome de Batman Nocturne, tandis que se lance la série Wonder Woman : Hors-la-loi, où Tom King nous raconte un monde dans lequel les Amazones sont soudainement pourchassées.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Nocturne – Tome 4, ascenseur pour l’échafaud

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Point culminant du Gotham aux airs gothiques, un tantinet mystique, de Ram V, ce quatrième tome dévoile les véritables intentions de la mystérieuse famille Orgham qui tente d’accaparer la ville et ses habitant·e·s : faire disparaître Batman. Après lui avoir mis sur le dos le dernier drame en date qui a touché la ville, Arzen Orgham et sa famille organisent quelque chose d’invraisemblable : la mise à mort du justicier. Considéré comme responsable de l’explosion qui a récemment touché la ville, il est devenu persona non grata, et l’opinion publique ne semble plus considérer comme impossible l’idée de rétablir… l’échafaud, en vue d’une pendaison publique du Chevalier Noir. Personne ne semble initialement y croire, ni l’ancien commissaire Gordon qui est averti par une Catwoman qui va tenter de le sauver, pas plus que la nouvelle commissaire Montoya qui avoue rapidement être pieds et poings liés par l’influence de la famille sur Gotham. L’auteur fait basculer le récit dans ce que l’on a entrevu depuis les débuts de la série, c’est-à-dire quelque chose de très sombre, avec une ambiance qui mélange les tonalités entre la modernité d’un récit ancré à notre époque, et les thématiques visuelles très gothiques. Evidemment, l’architecture gothique est partie intégrante de celle de Gotham, mais Ram V la traduit dans un récit aux forts accents médiévaux, et dans les dessins de Jason Shawn Alexander dont le trait aspire entièrement les idées de l’auteur pour mieux les servir. C’est, visuellement, l’un des plus jolis tomes de Batman Nocturne, comme s’il s’agissait de l’apogée des idées esquissées parfois maladroitement dans les numéros précédents.

Mise en scène comme un casse, la tentative de libération de Batman passe par l’élaboration d’un plan qui ferait pâlir n’importe quel film de braquage. On y voit une Catwoman recrutant son équipe pour réaliser l’impossible et délivrer celui qu’elle a toujours aimé, pourtant corrompu par un démon intérieur (au moyen d’une “drogue” administrée par les Orgham dans le tome précédent) qui l’empêche de pouvoir lutter lui-même. Croupissant dans sa cellule, il ne peut qu’attendre son exécution qui interviendra trois jours plus tard. Vraiment bien équilibré, appelant à de nombreuses références sur l’univers du Chevalier Noir, ce quatrième tome de Batman Nocturne trouve enfin ce qu’il manquait aux précédents pour véritablement donner corps à toute cette histoire autour des Orgham et des origines de Gotham. Le récit souffre encore de quelques longueurs occasionnelles, mais c’est moins visible qu’auparavant.

Wonder Woman : Hors-la-loi – Tome 1, Reine déchue

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dans le futur, Damian Wayne, devenu Batman, Jon Kent, qui est Superman, et Trinity, devenue Wonder Woman, vagabondent sur Themiscyra. Cette dernière est la fille de Diana, la Wonder Woman que l’on connaît, mais le monde semble avoir changé. Trinity fait la rencontre d’un vieil homme dans les geôles, et exige de lui des explications sur un évènement qui a vraisemblablement bouleversé le monde : la traque de Wonder Woman. Le vieil homme lui raconte alors un drame survenu une vingtaine d’années plus tôt, un moment qui a vu une mystérieuse Amazone commettre un massacre dans un bar aux Etats-Unis. Elle a assassiné une dizaine d’hommes et laissé vivre les rares femmes présentes. L’évènement idéal pour que ce vieil homme, qui semblait avoir la mainmise sur la politique et les médias locaux, lance une cabale contre les Amazones. Soudain, les médias américains et les politiques décrètent que celles-ci sont les ennemies du peuple, un « Amazon Safety Act » est signé et elles doivent toutes immédiatement se rendre aux autorités, sous peine d’être pourchassées. Un drame alors que Wonder Woman, l’une des plus grandes héroïnes de la Terre, est une Amazone, et qu’elle n’a aucune intention de se rendre de la sorte. Si elle ne cherche pas à s’opposer au pays qui l’a accueilli, elle n’en reste pas moins déterminée à trouver l’Amazone qui a commis un massacre pour comprendre ce qu’il s’est passé, mais aussi découvrir ceux qui tirent les ficelles. Le récit emprunte des thématiques très actuelles, on y voit notamment abordé le sujet de la xénophobie, les Amazones devenant bouc-émissaires de tous les problèmes sociaux et sécuritaires des Etats-Unis. La désinformation est un sujet également, les faits prenant une ampleur considérable et étant expliqués de manière très différentes alors qu’en réalité personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé. Et à cela s’ajoute une pointe de conspirationnisme, les Amazones étant prises dans les délires paranoïaques de certaines personnes. Plus importante encore et c’est une thématique que l’on trouve au centre du récit : la masculinité toxique. Les politiques jouent sur cette thématique pour rallier les jeunes hommes contre Wonder Woman, devenue égérie d’un féminisme « castrateur » et dont les intentions seraient soudainement hostiles aux hommes. On y découvre des discours aux tendances incel, et des leaders politiques qui affirment qu’en chassant les Amazones, il s’agit aussi et surtout de reconquérir une masculinité qui avait été mise au placard.

Surprenante, la narration aborde le personnage de Wonder Woman comme l’héroïne d’un roman, sorte de légende urbaine. Le narrateur de cette histoire étant le mystérieux vieil homme qui a joué un rôle prépondérant dans la chute de Diana, il se permet de raconter son histoire avec dédain, en provoquant Trinity alors qu’il lui raconte l’histoire de sa mère. Cette manière de faire donne un cachet non négligeable au récit, et montre que Tom King est toujours capable de reprendre ses thématiques préférées et les appliquer sans mal aux personnages de DC. Je parle évidemment de son intérêt pour la déconstruction de l’héroïsme, la remise en cause des symboles et de l’américanisme. Il interroge l’icône, mais aussi le personnage derrière le costume. La nature humaine, l’éternel recommencement guerrier, la toute puissance américaine qui ne sait rien faire d’autre que de balancer des bombes à ce qu’elle ne comprend pas. Comme il l’a fait avec beaucoup d’intelligence dans Mister Miracle, Strange Adventures, Supergirl : Woman of Tomorrow, l’auteur récidive et offre l’un des meilleurs comics consacrés à Wonder Woman depuis très longtemps. C’est une réussite assez folle, qui sait même parfois décrocher un sourire derrière la tragédie qui se joue, comme quand avec beaucoup de malice, il joue du vieux concept misogyne de l’hystérie quand il montre une Wonder Woman implacable face à un homme lancé dans une colère hystérique. Et ce faisant il tourne en dérision la vieille idée selon laquelle les femmes ne sauraient maîtriser leurs émotions, en opposition à des hommes à la maitrise de soi exemplaire. Plus encore, c’est un récit superbement mis en image par Daniel Sampere, au sommet de son art, qui se conclut même avec un numéro plutôt drôle où l’on découvre l’enfance de la fille de Diana, Trinity, créée à cette occasion par Tom King. Une enfance à rebondissements où Damian Wayne et Jon Kent doivent jouer les babysitters. Un bon moyen de conclure un tome aux accents tragiques, sans fausser un discours pertinent sur la figure iconique d’une héroïne qui a su rassembler les femmes à travers les âges. Tom King continue de nous ravir. Chaque fois qu’il reprend un personnage DC, il en fait quelque chose d’unique ; et même si les thèmes qu’il aborde sont récurrents, il parvient toujours à les aborder sous un angle nouveau. Wonder Woman n’échappe pas à la règle et s’offre l’une de ses meilleures histoires.

  • Le quatrième tome de Batman Nocturne et le premier tome de Wonder Woman : Hors-la-loi sont disponibles en librairie depuis le 24 mai 2024 aux éditions Urban Comics.
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On est à un peu près en avril 2019. Dans mon éternelle quête des jeux d’horreur (Silent Hill 2, Blair Witch, Observer…) je tombe par hasard en ligne sur le jeu Hellblade : Senua’s Sacrifice, créé par Ninja Theory. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu des critiques sur le jeu à l’époque. Je parcours le résumé, les termes de vikings, horreur, folie et héroïne m’attirent, tout comme l’évocation de la mythologique nordique que je connais fort peu. Mais surtout, c’est le visage de l’héroïne sur la jaquette qui achève de me convaincre. Ce regard perçant, d’une limpidité pure, empreint d’une détermination absolue, et en même temps… clairvoyant, comme s’il voyait bien au-delà des choses.

Finalement, croiser cette jaquette, croiser Senua, c’était ressentir cette drôle d’impression qui vous arrive peut-être de temps en temps : savoir, inconsciemment, que vous avez là une œuvre qui va vous plaire, vous marquer, qui est faite pour vous et qui vous attendait. Et franchir le pas. Aujourd’hui, alors que sort Hellblade II : Senua’s Saga, le 21 mai 2024, Hellblade est le jeu que j’ai fait le plus de fois, plus d’une demi-douzaine. Je n’ai jamais cessé d’être fascinée et d’y retourner, en dépit de sa dureté et de ses thèmes sombres, ou du fait qu’il ne soit pas foncièrement une expérience « ludique ». Alors, allons-y. Je vais vous raconter mon histoire avec Senua.

L’introduction du jeu fait toujours son effet sur moi. Cette longue séquence presque silencieuse, avec le sons de la rame plongeant dans l’eau, des voix murmurant et s’élevant peu à peu, cette voix narratrice qui commence à nous raconter la quête de Senua, et qui elle est. Une jeune femme guerrière, silencieuse et seule dans sa barque, dans l’immensité d’une eau grise, bientôt entourée de cadavres et de scènes de sacrifices. Une femme au regard limpide, presque transparent, qui exprime tout à la fois une puissante détermination et une vulnérabilité profonde. En dépit des voix menaçantes et moqueuses qui résonnent dans sa tête – dans les écouteurs de mon casque, tournoyant autour de moi – elle ne retourne pas sur ses pas, elle continue à avancer. Quand elle pose pied sur la terre ferme, on sait qu’elle est là pour une mission bien précise : descendre aux enfers nordiques, Helheim, pour sauver l’âme de son bien-aimé Dillion, sacrifié par des vikings en trophée de guerre. L’ampleur de la tâche paraît colossale, tant Senua paraît minuscule et fragile. Pourtant, elle renvoie la barque d’un coup de pied, s’interdisant tout retour en arrière, intensément résolue dans le regard qu’elle nous adresse.

© Hellblade : Senua’s Sacrifice, Ninja Theory, 2017

Une telle introduction, aussi longue soit-elle, permet de poser entièrement le décor. D’établir les paysages désolés de Helheim, le royaume des morts, où on peut distinguer au loin monts enneigés et fouler une mer déserte. Dans un tel endroit, les ruines des villages et des maisons traversées ne peuvent être que décrépies, abandonnées, hantées seulement par des hommes monstrueux, des vikings muets aux masques de ronces et d’os. Dans le ciel d’une pureté éclatante, on n’entend ni ne voit d’oiseau. Senua aussi s’offre aux yeux du joueur et de la joueuse, dévoilant déjà en partie son tempérament. Il est si peu commun de croiser dans le jeu vidéo un personnage atteint de psychose, une maladie mentale reflétée à ce point dans le gameplay, par des illusions, des énigmes, des déformations de l’image, l’obscurité des sens, la narration non linéaire, les bribes de souvenirs qui complètent peu à peu le puzzle de sa vie tourmentée. La jeune femme ne manque pas de courage, mais elle a ses propres démons ; contrairement à d’autres, ils sont visibles, à ses yeux du moins. Matérialisés par des hallucinations, par les voix entendues tout au long du jeu, parfois aidant notre progression et nos combats, parfois méprisant et humiliant l’héroïne.

Au cours de la petite dizaine d’heures nécessaires pour terminer le jeu, Senua traverse différents paysages, différentes épreuves. Elle affronte des dieux nordiques : Surt, divinité guerrière enflammée, et Valravn, maître des illusions. Elle croise Garmr, gardien sinistre de Helheim, remporte les épreuves d’Odin qui la plongent face à des souvenirs et des traumatismes : une mer de peste, une obscurité de monstres aveugles, une demeure faussement idyllique ou un labyrinthe d’illusions. Elle subit la traversée littérale d’un enfer de cadavres et de sang, lui rappelant à quel point elle a longtemps été rejetée et considérée comme coupable des malédictions s’abattant sur son village : maladie, raid viking, mort de ses proches…

Jusqu’à, au bout de tant d’épreuves, se retrouver face à Hel, la déesse des morts. Et là, pouvoir enfin accomplir sa quête, sa mission : marchander l’âme de Dillion pour le sauver, peu importe le prix à payer. Senua aux Enfers.

In this waking nightmare where all dreams come true, you searched for control. A way to pull through. When you were in love you left him in tears. To smother your furies and banish your fears. But in darkness they came, through stormy black seas they raided these shores. Do you still hear his screams? And now that you’re home he’s so far away. They’ve taken his soul. To these gods you cannot pray. They can break you, but not your promise. Even death wont keep you apart. Through this darkness you will find him. In your sword still beats a heart. You fought for love unspoiled. By your darkness within. You fought for your dreams, now there is no way to win. In the head of his corpse lies the seat of his soul. So you must carry his vessel and bring him back home.

Lorsque j’ai terminé le jeu pour la première fois, sans doute la fin m’a-t-elle arrachée une larme. Hellblade est un de ces jeux qui vous fait vivre intensément son histoire, au fil d’une direction artistique soignée jusque dans ses moindres détails, évoquant l’horreur, le folklore nordique, la rugosité de l’existence de Senua. Il est éprouvant dans ses combats et dans sa peur impétueuse d’une mort permanente, qui nous pousserait à recommencer le jeu. Il est profondément immersif, non seulement par le soin apporté au son binaural du jeu, mais surtout parce qu’il nous met dans l’esprit de Senua comme jamais aucun autre jeu ne l’a fait auparavant.

Les voix des Furies qu’elle entend, symptômes de sa psychose, c’est aussi à nous, joueurs et joueuses, qu’elles s’adressent, se répètent, formant un chaos pesant. Parfois, quand Senua nous offre un regard caméra, nous nous demandons si nous ne sommes pas une autre de ses hallucinations, et pourtant, nous avons l’impression de pouvoir l’aider, la guider. Guerrière et hardie, la jeune femme n’est pourtant pas avare en moments vulnérables. Nous la comprenons au fur et à mesure que sont découverts ses souvenirs : une enfance isolée, stigmatisée à cause de sa maladie, une enfance et une adolescence où son père, Zynbel, n’a cessé de la voir comme maudite, insinuant que les démons parlaient à travers elle, tout comme sa mère autrefois. Quand la peste se répand dans son village, c’est elle qu’on accuse, qu’on exile en forêt, une Gelt, une personne chargée d’expier ses péchés à l’écart des autres. Seul son fiancé, Dilion, la comprenait et acceptait sa vision du monde, sensible et clairvoyante à sa manière, au milieu des hallucinations et des moments de dépression traversés par Senua.

© Hellblade : Senua’s Sacrifice, Ninja Theory, 2017

Ninja Theory, le studio d’Hellblade, a créé le jeu avec un parti pris : celui de faire comprendre et ressentir l’esprit et le monde d’une personne atteinte de psychose. Le titre a entièrement réussi son pari, s’appuyant sur des témoignages de personnes concernées et de spécialistes des maladies mentales, rendant cette immersion aussi impressionnante que sombre. Senua, à son époque, est stigmatisée, aussi incomprise que peuvent l’être aujourd’hui d’autres personnes atteintes de maladie mentale, faute de représentation, faute de pouvoir démontrer à quoi cela peut ressembler, en toute subjectivité. En cela, le jeu délivre un message et une intention puissants, loin des stéréotypes et préjugés, donnant à vivre et éprouver un état mental et émotionnel, nous rendant empathiques de ce que ces personnes traversent.

Et on aurait tort de croire que le message du jeu s’arrête là. L’actrice de Senua, Melina Juergens, n’était pas spécialement destinée à incarner l’héroïne, servant au départ de simple modèle pour des essais de modélisation. Mais c’est elle, finalement, qui a interprété le personnage de bout en bout, s’appuyant sur ses propres ressentis et son anxiété pour donner la force viscérale du personnage. Car si tout le jeu est une métaphore de la maladie mentale, de la psychose de Senua – puisqu’on plonge totalement dans le fantastique, ne sachant jamais si l’enfer du jeu est réel ou transformé par l’esprit de l’héroïne – il touche au-delà. Qui n’a jamais éprouvé la solitude, qui ne s’est jamais senti plonger dans la noirceur d’une dépression, dans un gouffre où personne ne semble pouvoir vous atteindre ? Qui n’a jamais souffert d’angoisse, n’a jamais été rejeté(e) pour une différence ? Qui n’a jamais été soudainement compris(e) par quelqu’un qui acceptait et encourageait votre vision du monde ? Qui n’a jamais dû lutter pour avancer après un deuil, ou simplement pour évoluer, se pardonner à soi-même, à accepter la fin d’une période de sa vie et le début d’une autre ?

La voix narratrice du début du jeu nous raconte l’histoire de Senua, nous dit-elle. L’histoire d’une vie humaine, profondément marquée par la maladie mentale et ses symptômes, par la manière dont cela a pu la bannir de son village, d’une existence normale. Mais nous sommes plongé(e)s dans un monde mythologique, dès le début ; oui, nous sommes dans une histoire. L’épopée de Senua est semblable à une tragédie, aussi personnelle qu’universelle, elle s’inscrit dans le mythe et la légende. Les multiples niveaux de lecture nous permettent de faire notre propre interprétation selon notre sensibilité et notre vécu. Les épreuves de Senua sont initiatiques, les monstres qu’elle combat, autant de personnifications de ses démons, autant d’adversaires sur sa route, comme dans tout récit épique.

© Hellblade : Senua’s Sacrifice, Ninja Theory, 2017

Des alliés, elle en a aussi : Druth, un homme lui aussi blâmé pour sa clairvoyance, le souvenir de Dillion, roc dans l’esprit de son héroïne aux moments les plus sombres, ou encore les mots de sa mère, touchée elle aussi par la psychose. Au-delà de la maladie mentale, l’histoire de Senua s’inscrit dans l’universel et le sacrifice, mue par un des moteurs les plus puissants en fiction : l’amour de son bien-aimé, cet espoir de le sauver, quoiqu’il en coûte. Mais Hellblade enseigne aussi l’acceptation, le fait de dire au revoir, le deuil. Jamais cri de colère n’a été plus viscéral et plus déterminé que celui de Senua face au boss Garmr, quand elle l’affronte et lui reprend le crâne de son bien-aimé, vaisseau de l’âme de Dillion. Et jamais « Goodbye, my love » n’a eu de résonance aussi mélancolique que douce, que quand Senua dit au revoir à son amour, à la toute fin du jeu.

Hellblade : Senua’s Sacrifice a été une sacrée claque, la première fois que je l’ai terminé. Rarement un jeu aura été aussi engagé dans le sujet tabou de la maladie mentale, aura montré un protagoniste aussi humain, vulnérable, dans toute sa complexité, alternant les phases guerrières avec ces souvenirs plus mélancoliques et froids, empreints de l’émotion bouleversante de son interprète. J’y suis revenue, plusieurs fois. Parfois, pour le plaisir de retrouver le jeu, de le comprendre et de l’analyser davantage, pour admirer la beauté de ses graphismes et replonger dans la mythologie de son aventure. Parfois, parce que moi-même je ne me sentais pas bien, même si je ne souffrais pas des mêmes maux que Senua. La retrouver, revoir son parcours, sa lutte, avait quelque chose de réconfortant, d’apaisant et d’encourageant. Refaire le jeu à ces moments-là faisait écho à ma vie, à la détermination que je voulais avoir, aux tristesses qui nous font ressortir plus serein(e)s, à ce sentiment d’être compris(e) et légitime, de considérer que certains sentiments difficiles doivent exister pour ensuite être traversés. Je sais que Senua est là, dans cette œuvre, et que son histoire pourra toujours me suivre et m’inspirer, à certaines périodes de ma vie. N’est-ce pas le but cathartique de la fiction ?

Les batailles les plus importantes sont celles de l’esprit.

Évidemment, j’ai relancé le jeu encore une fois, cette année. Parce qu’Hellblade II : Senua’s Saga sort enfin, après des années d’attente. Mais avec ce run, j’ai ressenti non pas une lassitude (même si je commence à connaître ce jeu par cœur), mais une envie d’avancer. J’ai hâte de savoir la prochaine étape de vie de Senua, hâte de voir comment sa vie aura évolué après les événements du premier opus, après cette fin ouverte emplie d’espoir, tout en évitant le happy end facile et la guérison miraculeuse d’une maladie avec laquelle Senua est obligée de composer. J’ai hâte de voir à quoi elle sera confrontée, après avoir vécu une épopée aussi intime que tragique, qui l’a fait grandir, accepter sa maladie et son identité. Une nouvelle odyssée. Une nouvelle histoire.

Si vous avez envie d’en découvrir un peu plus sur Hellblade : Senua’s Sacrifice…

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S’il y a bien un jeu indépendant qui m’a captivé ces dernières années, c’est The Messenger en 2018. Un jeu d’action-plateforme, développé par le studio québécois Sabotage Studio, qui m’a conquis tant pour la qualité de son exécution, un vrai modèle du genre, que son univers, son twist et ses bonnes idées narratives. Cinq ans et un Kickstarter plus tard, sa préquelle Sea of Stars débarque sur toutes les consoles et sur PC. Exit l’action-plateforme et place à un RPG à l’inspiration japonaise, en hommage notamment aux titres 16 bits, allant chercher ses influences autant du côté de Chrono Trigger que de Super Mario RPG. Sorti en août dernier, c’est l’une des plus belles réussites de la riche année vidéoludique qu’était 2023.

Histoires de cœur

© 2023 Sabotage Studio. All Rights Reserved.

Sea of Stars commence comme beaucoup des J-RPG dont il s’inspire. On y raconte un monde au bord du précipice, une menace terrible qui plane sur les terres et une seule chance, celle qu’incarnent deux élu·e·s. Il s’agit de Valere et Zale, qui suivent depuis longtemps les enseignements dans leur village aux accents mystiques pour devenir un jour des guerriers du Solstice. Les deux, enfants devenus adolescent·e·s, possèdent les pouvoirs du Soleil pour l’un, les pouvoirs de la Lune pour l’autre. Ensemble, c’est la magie de l’Éclipse qui est à leur portée, seule forme de puissance capable de lutter contre l’entité, nommée l’Hôte, qui fait planer le danger. Mais petit twist, on trouve aussi à leurs côtés un certain Garl, l’image du bon pote très volontaire mais sans véritables pouvoirs, toujours empreint d’une bonne humeur contagieuse et d’un optimisme à toute épreuve. Un personnage absolument sublime, terriblement touchant, qui vient apporter un peu de surprise à une histoire qui a quelque chose d’honnêtement assez bateau. Les histoires d’élu·e·s, c’est à la limite de la caricature, mais Sea of Stars trouve son identité dans sa manière de raconter ce trio, l’amitié qui les lie, les envies de grandeur et d’aventure, leur détermination à accomplir leur quête et les sacrifices auxquels le groupe va inévitablement devoir faire face. Le monde est vivant, plein de petits villages où chacun·e tente de vivre sa propre vie, et où l’on fait la rencontre de personnages hauts en couleur dont le quotidien est bouleversé par la menace.

Dans l’ensemble, l’aventure parvient à maintenir un excellent rythme, en proposant des donjons souvent assez courts, en renouvelant constamment ses environnements et en sachant éviter les aller-retours intempestifs. Mais surtout, malgré son envie très conventionnelle de reprendre quelques codes les plus classiques du J-RPG, le jeu sait y insuffler une jolie modernité. Cela passe par sa mise en scène, qui malgré l’hommage aux gros pixels d’antan, s’offre de jolies animations à la hauteur de ce que l’on attend de notre époque. Mais aussi, il trouve un bon équilibre entre les intentions très classiques sur la narration et une envie de les mélanger à quelque chose de plus actuel. En réalité, Sea of Stars ressemble beaucoup à son prédécesseur, The Messenger. Comme lui, cela commence comme un hommage à un genre très populaire à l’ère 16 bits et puis, peu à peu, le jeu y ajoute quelques éléments visuels, de gameplay, des petites pastilles narratives, qui raccrochent le jeu à notre époque. Une très belle démonstration que l’on peut encore aujourd’hui trouver de nouvelles idées sans renier les jeux qui ont fait l’histoire, en jouant avec les codes d’antan et en les adaptant à une nouvelle manière de jouer et de raconter des aventures.

© 2023 Sabotage Studio. All Rights Reserved.

Mais surtout, les dialogues du jeu restent, à mes yeux, l’un de ses meilleurs arguments. Ils sont en effet dotés d’une belle intelligence. Pas au sens où le jeu tenterait faussement d’être complexe, mais plutôt, parce que les dialogues ont une approche assez « simple »  en montrant les objectifs de manière directe, avec des personnages qui comprennent vite ce qui les entourent, qui expliquent régulièrement ce qui se passe sous leurs yeux pour que tout soit plus facile à appréhender. L’intelligence se traduit ainsi dans cette simplicité, en assumant de ne pas rechercher la complexité, avec des dialogues courts et précis, qui apportent toujours un petit quelque chose, sans jamais se perdre dans des digressions qui s’oublient vite. C’est un choix vraiment atypique pour notre époque, alors que beaucoup de J-RPG sur cette génération veulent aller toujours un peu plus loin sans toujours disposer de la finesse d’écriture nécessaire. Cela n’empêche toutefois pas l’univers du jeu de s’étoffer d’heure en heure, en découvrant de nouvelles villes, et de nouveaux peuples qui ont des choses à dire. Des gens qui montrent une facette différente du monde dans lequel nos personnages évoluent, avec un petit côté Dragon Quest qui me fait nécessairement plaisir en tant que fan, qui se retrouve dans cette envie très propre à la série de Yuji Horii de raconter ses histoires sous l’angle du voyage, de la découverte du monde et de la manière dont les évènements racontés sont vécus par des gens d’horizons très différents.

Au rythme des éléments

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Également, le système de combat de Sea of Stars va chercher ce qui a fait l’histoire, en se basant sur un système au tour par tour. Très classique là encore dans son approche, le jeu offre des combats à trois personnages contre des bandes d’ennemis, dont les tours sont prédéterminés selon la vitesse de chacun·e. Mais le jeu y incorpore une subtilité avec son système de combo, traduit par une barre qui se charge (trois points de charge à remplir) afin de pouvoir déclencher des attaques en duo, coûtant un à trois points de charge à chaque fois. Mais surtout, pour expliquer le système de combat, il faut aller chercher vers l’une des autres inspirations du titre : Super Mario RPG. À l’appui d’un sens du rythme dément, le jeu offre la possibilité de bonifier certaines attaques en appuyant sur la touche d’action au bon moment, tant pour augmenter les dégâts que pour continuer une attaque. Comme la boule de feu de Zale qu’il faut charger en tapotant la touche, ou le boomerang magique de Valere qui peut enchaîner les coups un certain nombre de fois quand on parvient à appuyer sur la touche d’action au moment où l’arme touche l’ennemi. Ce système a fait ses preuves à l’époque et fonctionne très bien une fois adapté à Sea of Stars, d’autant qu’il permet de donner un peu de vie à des combats qui en manquent parfois cruellement.

© 2023 Sabotage Studio. All Rights Reserved.

Cherchant à jouer sur les propriétés des différentes attaques, le jeu pousse à varier constamment les compétences utilisées pour rythmer ses combats. Cela se traduit par des petites cases de faiblesse inscrites au-dessus de chaque ennemi pour désigner les attaques à réaliser afin de bloquer l’ennemi et l’empêcher de déclencher son attaque au prochain tour. Mais cela s’avère rapidement rébarbatif à cause du manque de diversité d’attaques, d’ennemis et de patterns. À tel point que les combats finissent par tous se ressembler, en réalisant souvent les mêmes successions d’attaques afin de bloquer un ennemi dont on connaît l’attaque dévastatrice, tout en chargeant les petites boules d’énergie qui apparaissent sur le terrain de combat à chaque attaque « simple » afin de les canaliser et bonifier le coup suivant. Cette critique de la répétitivité pourrait être récurrente et assez légitime sur de nombreux J-RPG, mais Sea of Stars paie probablement sa profusion de combats, beaucoup trop nombreux par rapport à l’échelle du jeu. Et c’est bien dommage parce qu’il est beaucoup plus malin à côté pour jouer avec ses propres limites et ne pas trop en faire. Heureusement, les reliques, des objets que l’on obtient en début de jeu et que l’on peut ensuite acheter dans des magasins permettent de moduler la difficulté : activables à notre guise, ces reliques vont permettre de doubler le niveau de points de vie, diminuer la puissance des ennemis ou encore faciliter la récupération de points de mana. À défaut de modes de difficulté (le jeu n’offrant aucun choix à ce niveau), ces reliques représentent un bon moyen de se débarrasser plus rapidement de combats qui perdent graduellement en intérêt, ou pour faire face à un équilibrage pas toujours idéal pour certains boss.

Les promesses d’un joli voyage

© 2023 Sabotage Studio. All Rights Reserved.

En revanche, il ne serait pas correct de limiter Sea of Stars à son système de combat brinquebalant. Parce qu’on venait pour le voyage et la beauté d’un jeu qui a su séduire dès ses premières bandes-annonces pour son ambiance. Et sur ce point, il n’y a aucune forme de déception. Avec un pixel art d’une beauté à la hauteur des attentes, le jeu modernise un style d’antan en y ajoutant une gestion de la lumière très actuelle, qui fait des exploits et qui devient même une des composante des rares puzzles à résoudre en cours d’aventure. De surcroît, le jeu profite d’animations de toute beauté qui insufflent une fluidité de mouvement terriblement agréable. À cet égard, on prend un malin plaisir à explorer les donjons et contrées qui s’offrent à notre petite groupe, d’autant que le jeu ravit par ses couleurs chatoyantes qui évoquent l’éclat de certains jeux dont le studio revendique l’inspiration comme Illusion of Gaia ou Chrono Trigger. À ce propos, le jeu profite d’ailleurs de la participation de Yasunori Mitsuda, compositeur sur Chrono Trigger, à l’occasion d’une dizaine de thèmes qui accompagnent l’aventure. La bande originale est l’une des grandes qualités du jeu et, même si l’on peut remarquer une certaine irrégularité des thèmes, certains sont si bons qu’on oublie rapidement les quelques titres moins réussis.

À trop vouloir s’approcher de ses idoles, Sea of Stars aurait pu se brûler les ailes, mais l’équipe québécoise a su proposer sa propre vision du J-RPG, entre un attachement à des codes hérités de l’époque 16 bits et une véritable volonté de forger sa propre identité. Une envie qui passe par la création d’un univers aux clins d’œil certes discrets mais tout de même présents à The Messenger, ainsi qu’une jolie manière de « jouer » avec les codes du J-RPG 16 bits pour y adosser une certaine modernité. Fort d’une narration enjolivée par des dialogues malins, attachant grâce à ses personnages, en particulier le fabuleux Garl qu’il est probablement impossible de détester, Sea of Stars est imparfait à cause de ses trop nombreux combats ou une vraie fin cachée derrière une quête fastidieuse, mais il a un tel cœur qu’on se laisse prendre au jeu avec beaucoup de plaisir.

  • Sea of Stars est disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S et Switch depuis le 29 août 2023.
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Annoncé en 2019 dans une bande-annonce mystérieuse sous le titre provisoire Project EVE, qui dévoilait les intentions d’un projet encore bien loin de son résultat final, le jeu Stellar Blade était finalement revenu un an plus tard et révélait à cette occasion un partenariat avec Sony Interactive Entertainment. Source de curiosité car développé par un studio coréen, Shift Up, plutôt habitué au mobile, le jeu a suscité une certaine attente. Quatre ans plus tard, le jeu est enfin là, et sa sortie ne s’est pas faite sans heurts. Source d’une polémique autour de la sexualisation de son héroïne, on se demandait si malgré tout, quelque chose de plus intéressant se cachait dans le jeu, derrière le choix un peu facile de vendre un titre essentiellement pour la plastique de son personnage. On a donc mis la main dessus suite à la sortie du jeu le 26 avril 2024 en exclusivité sur PlayStation 5, et il y a beaucoup de choses à en dire.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code du jeu par l’éditeur. L’aventure ainsi que la plupart des quêtes secondaires ont été terminées en une vingtaine d’heures.

Théories de l’évolution

© 2024 Shift Up. All rights reserved.

Les débuts de Stellar Blade sont énigmatiques. Une guerre, une ville en ruines, l’arrivée soudaine d’une capsule venue de l’espace de laquelle sort l’héroïne, sorte d’androïde. On n’en saura pas plus avant un bout de temps, si ce n’est qu’il y a des « naytibas » qui semblent en vouloir à l’humanité et qui ressemblent à des extraterrestres. Notre héroïne a été créée dans le cadre du Projet EVE, membre d’un escadron attendu sur Terre pour chasser l’oppresseur. Débutant comme bon nombre de récits de science-fiction, le jeu ne brille pas par son originalité. Très rapidement, on voit le jeu aller chercher son inspiration du côté de NieR: Automata. Sans spoiler de manière éhontée sur le jeu, ces éléments étant dévoilés assez rapidement, on sent que le jeu tente maladroitement d’interroger l’être humain, le sens d’une guerre livrée à une espèce inconnue, et les comportements immoraux dans le cadre de la survie d’une espèce. On trouve ces interrogations très tôt dans les collectibles laissés sur de nombreux corps sans vie jonchant d’anciens champs de bataille, mais aussi dans le cadre de quêtes secondaires dont l’intérêt narratif varie énormément d’une quête à l’autre. Si le jeu est avare en explications sur son monde dans le cadre de l’aventure principale jusqu’à son dernier tiers où tout se décante, il ne manque pas de livrer beaucoup d’informations sur son lore en guise de récompense de l’exploration, en allant chercher dans tous les recoins d’éventuels bouts d’explications sur ce qu’il a pu se passer sur Terre avant que EVE n’y arrive. Heureusement la quête principale retrouve un peu d’intérêt sur son dernier tiers, dès lors que les premières révélations (que l’on sent quand même venir de loin) arrivent enfin, et que l’héroïne commence enfin à prendre à son compte l’histoire des gens qui l’entourent. Parce qu’avant ça, elle est le plus souvent une coquille vide, jouant juste son rôle d’androïde programmé pour sauver l’humanité. Pas inintéressante à partir de là, l’histoire gagne soudainement en pertinence, mais cela arrive bien trop tard pour gommer les nombreuses heures passées à enchaîner les missions sans véritable motivation.

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L’intérêt des éléments narratifs retrouvés sur des corps sans vie n’est pas toujours évident, d’autant que le jeu se rate complètement sur sa narration environnementale, se contentant le plus souvent de disposer des corps au hasard dans les différentes zones pour qu’on y cherche un texte quelconque laissé par un soldat ou un civil avant sa mort. Les décors quant à eux racontent assez peu de choses, à l’exception d’une poignée de zones, la faute à des couloirs qui se ressemblent un peu tous, et des maps semi-ouvertes qui n’ont pour fonction que de nous faire courir d’une quête secondaire à l’autre. Dans la forme, le jeu mélange une structure entre des zones fermées, faites de couloirs, qui sont souvent les plus intéressantes, et zones plus ouvertes. Les zones fermées relèvent de la quête principale et permettent d’explorer souvent de nouveaux endroits, tout en faisant avancer une histoire qui met beaucoup de temps à se lancer. Et à côté, deux zones plus ouvertes, de grandes maps à l’intérêt visuel très limité, où se déroulent la plupart des quêtes secondaires. Des quêtes quasiment indispensables pour faire progresser au mieux notre personnage, mais aussi pour obtenir l’unique récompense véritable du jeu : les nombreux costumes pour personnaliser EVE. Pour le reste, l’exploration de ces zones se fait à pieds, en affrontant des montres peu diversifiés sur le chemin, et dans des quêtes qui, à l’exception peut-être d’une ou deux, consistent simplement à aller d’un point A à un point B pour récupérer un objet, tuer un monstre ou rencontrer un personnage secondaire. Autant dire que l’intérêt est relatif, mais cela permet dans de rares quêtes de pouvoir en apprendre un peu plus sur les survivants d’une grande guerre souvent évoquée par le jeu, sur la vie après la destruction du monde, et sur les raisons qui font que ces gens sont toujours sur Terre alors qu’une partie de l’humanité semble être partie dans l’espace dans ce qui est appelé « la colonie ». Et c’est le strict minimum pour compenser des personnages principaux assez vides malgré quelques bonnes choses, bien trop rares pour qu’on se souvienne encore de EVE et ses compagnons dans quelques temps. Au moins, les personnages sont plutôt bien incarnés avec des voix coréennes qui font un bon travail.

Ruines grisâtres

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La structure du jeu pèche ainsi par un excès d’envie, comme s’il était indispensable d’y inclure un certain nombre de choses pour que le studio, Shift Up, peu habitué aux AAA, prouve qu’il en est capable. On alterne alors d’abord sur des séquences en couloir où la mise en scène se veut plus grandiloquente, avec son lot de situations désespérées où l’on se rattrape sur le fil (comme la chute du train, empruntée à Uncharted 2). Et puis on passe à des zones ouvertes, où l’exploration est plutôt rémunératrice en ressources et costumes supplémentaires, mais où tout se ressemble un peu trop. Surtout que l’on reste cantonné à une zone assez limitée de la planète Terre, dans une ville non identifiée et ses abords, entre canyon et désert. Les enseignes visibles sur les immeubles en ruines font penser à du cyrillique, mais l’environnement très désert, bourré de sable, avec d’occasionnels palmiers, évoque aussi plutôt des pays du sud. Dans l’ensemble le jeu tombe dans l’écueil d’un monde trop gris, au prétexte qu’on est dans un univers post-apocalyptique. Et ce même en intérieur, dans certaines zones pourtant relativement épargnées par la destruction, qui n’en reste pas moins grises. À certains égards Stellar Blade me rappelle de nombreux jeux, depuis oubliés, de la génération PS360. Des jeux d’action qui étaient tous très ternes, tentant péniblement de raccrocher les wagons des leaders du genre en reprenant des mécaniques connues et des décors similaires mais sans inspiration. Difficile, en prime, de passer outre le sujet qui a affolé les débats avant la sortie du jeu : la sexualisation de l’héroïne.

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La démo sortie quelques semaines avant le jeu laissait malgré tout entrevoir qu’il pouvait exister un jeu derrière la plastique de EVE et la mise en scène attrape chaland par un studio qui ne s’est pas gêné de faire sa communication là-dessus. Et le jeu peine à remettre cela en cause, en atteste le cynisme autour des personnages masculins dont on ne voit étrangement aucun bout de peau (à part un seul moment précis du jeu), tandis que l’intégralité des personnages féminins dévoilent leur peau et leurs formes dans des tenues à la praticité certainement relative. Et ça en devient presque un gag tant Stellar Blade insiste lourdement là-dessus, avec des costumes tous plus sexy les uns que les autres en guise de seules véritables récompenses à aller chercher. Mais aussi la multiplication des plans de caméra serrés sur les formes avantageuses de EVE, qui existent non seulement dans les scènes cinématiques, mais aussi à chaque « finisher » contre les monstres. Les costumes, eux, offrent soit des combinaisons ultra moulantes, soit des jupes et robes extrêmement courtes qui dévoilent la petite culotte de l’héroïne dès qu’elle se met à courir. Même à l’échelle des titres qui ont joué sur la plastique de leur héroïne (pour de bonnes ou mauvaises raisons) et qui ont été souvent cités en exemple dans cette polémique, comme NieR: Automata et Bayonetta, il faut bien admettre que Stellar Blade fait bien pire sur le sujet. Est-ce que cela fait du titre de Shift Up un mauvais jeu ? Pas de manière absolue, ce point dépendant beaucoup des sensibilités et des attentes de chacun·e sur le sujet de la sexualisation des corps féminins dans le jeu vidéo. Mais même pour moi, qui ai tenté de ne pas condamner le titre à l’avance sur ce sujet, j’ai très rapidement fini par me lasser du déblocage de costumes assez grotesques et de plans de caméra qui frôlent souvent le ridicule. Ce qui est d’autant plus dommage que, occasionnellement, quand le titre se souvient qu’il peut être autre chose, la mise en scène se permet de très belles choses.

Limites d’une androïde

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Il y a, tout de même, des intentions intéressantes sur un point central du jeu : son système de combat. En bon jeu d’action, Stellar Blade multiplie les affrontements contre les « naytibas » dont les bonnes idées sont rapidement identifiées. À commencer par le choix de focaliser l’ensemble sur la gestion de la parade, qui, au premier abord, est assez surprenant. À cause d’un rythme de combat plus lent qu’attendu, il faut prendre le temps d’entrer dedans pour pouvoir opposer résistance à des ennemis qui, au début du jeu, tapent sacrément fort. Alors les combats se jouent essentiellement à la parade, attendant les coups de l’adversaire pour faire baisser son nombre de points de bouclier jusqu’à ce que, réduit à zéro, on puisse déclencher un « châtiment » qui consiste en un coup décisif, mis en scène avec de savants plans de caméra sur le corps de l’héroïne, alors qu’elle tourne autour de l’ennemi pour (souvent) le trancher en deux. Maîtriser cette parade est indispensable, y compris en mode de difficulté histoire (où le timing de parade est facilité par un ralentissement) pour survivre au jeu. Évidemment les choses sont facilitées par la suite avec le déblocage de compétences qui augmentent la puissance des pouvoirs et la rapidité avec laquelle ils se régénèrent (grâce à une barre d’énergie « bêta » qui permet de les déclencher), mais aussi en équipant quelques objets qui apportent des bonus passifs. Alors, dans la première moitié du jeu il faut bien admettre que ces équipements ont un impact tout relatif, mais dès lors qu’il est enfin possible d’en équiper plusieurs ensemble (jusqu’à quatre), on sent enfin un certain renforcement de l’héroïne et de sa capacité à se défaire des ennemis les plus basiques sans grand risque. Cela reste dans l’ensemble un jeu qui peut offrir quelques difficultés, notamment quand les ennemis attaquent en groupe, mais aussi parce que certains éléments de gameplay apparaissent comme de fausses bonnes idées dont il faut vite se séparer. Comme l’esquive, rarement utile, sauf sur certaines attaques mises en évidence.

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Les combats manquent de punch dans l’ensemble, la faute à son rythme lent. Mais ils peuvent être sacrément satisfaisants, notamment contre les boss où la prise de risque est souvent rémunératrice, dès lors que l’on a appris les patterns qui permettent de réaliser les bonnes parades au bon moment. Surtout que certains boss s’offrent un design assez dément, et une mise en scène grandiose avec des combats dans des zones souvent plus inspirées que le reste. Néanmoins, en dehors des rares moments d’éclats, les monstres de base se ressemblent un peu tous avec un visuel inintéressant qui lorgne du côté difforme à la Silent Hill ou Dead Space sans en avoir le génie. Il en est de même pour leurs attaques qui, pour l’essentiel, obéissent à des patterns similaires qui finissent par rendre le jeu terriblement lassant : tous les combats se ressemblent, tirent en longueur (à cause de la nécessité d’attendre les attaques pour les contrer) et présentent un intérêt ludique très limité. La faute aussi au fait qu’il n’existe que deux armes à utiliser, une épée au corps à corps et un canon à distance. Peu diversifié dans son approche, le système de combat s’offre quand même de nombreuses compétences à exploitées, des pouvoirs capables de mettre un peu plus de dégâts aux ennemis, mais même là on peine à voir la différence entre chaque pouvoir. Et pour mettre de l’ambiance là dedans, il ne faut malheureusement pas compter la musique, pourtant composée en partie par Oliver Good et Keita Inoue de MONACA (le groupe qui a composé sur les NieR notamment, et de nombreux anime japonais). Les compositions, souvent des titres chantés, reposent sur des boules musicales très courtes et entêtantes qui accompagnent assez mal les moments décisifs du jeu et ne donnent aucun rythme aux combats.

De manière générale, Stellar Blade a un goût d’inachevé. On sent les hésitations d’une équipe de développement qui s’essaie à son tout premier jeu d’une telle envergure. Si la curiosité est de mise parce que l’on est face à une production « AAA » développée en Corée du Sud, un pays plus habitué aux MMO et aux jeux mobile, le résultat n’en reste pas moins assez peu intéressant. La polémique autour de la sexualisation de l’héroïne avant la sortie du jeu a finalement visé plutôt juste tant le titre multiplie jusqu’à l’écœurement les plans serrés sur le postérieur de son héroïne, agrémenté de costumes très sexy en seule récompense de nos efforts pendant la partie. Et derrière cela, le jeu n’arrive pas à montrer grand chose. Son histoire relève d’un récit de science-fiction assez bateau et ne s’envole que dans un dernier tiers pourtant imparfait, tandis que ses combats, pourtant au cœur du jeu, deviennent trop vite répétitifs. Lassant, le jeu tente quand même des choses et multiplie les mécaniques, essayant de prouver qu’il est capable de jouer dans la cour des grands, mais son exécution tape souvent à côté, avec en seule perspective quelques rares bons moments de mise en scène, et des combats de boss qui restent plutôt plaisants.

  • Stellar Blade est disponible en exclusivité sur PlayStation 5 depuis le 26 avril 2024.
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Le mois d’avril dans la collection DC Infinite chez Urban Comics nous promet d’emblée de très belles choses. Avec les suites des séries Dawn of Superman et Dawn of Titans qui ont connu des débuts plutôt convaincants, l’arrivée de Dawn of Green Lantern (un univers qu’on n’avait pas vu depuis trop longtemps) et le troisième tome de Poison Ivy Infinite qui pointe enfin le bout de son nez, il y en a pour tous les goûts. À voir maintenant si tout ça est à la hauteur des espoirs.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of Superman – Tome 2, des fractures à soigner

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Comme pour le précédent, le deuxième tome de Dawn of Superman s’ouvre sur la série principale Superman désormais écrite par Joshua Williamson avec les numéros six à dix. Motivé par une quête de rédemption de Lex Luthor, le récit raconte les suites de l’accord étonnant passé entre les ennemis de toujours, l’un étant convaincu qu’il peut trouver une certaine volonté de bien faire dans son ancien némésis, et l’autre mettant à disposition ses moyens colossaux au travers de son entreprise, LexCorp, devenue SuperCorp. Mais les choses tournent au vinaigre assez vite quand une menace depuis longtemps enfouie sous les terres de la prison de Stryker refait surface, une menace créée de toute pièce par le Lex Luthor d’autrefois, le rappelant à ses erreurs du passé. Évitant l’écueil de la rédemption qui tourne court, l’auteur en profite plutôt pour raconter le difficile chemin vers un monde meilleur, avec des erreurs qu’il sera difficile de combler, mais qui permettent aussi d’insister sur la détermination de Lex à devenir quelqu’un d’autre. Difficile de dire si Joshua Williamson continuera là-dessus pour les prochains numéros ou si Lex redeviendra l’éternel grand méchant, mais pour le moment l’ambigüité du personnage est savamment mise en scène. Aussi inquiétant que touchant, notamment quand le récit se met à raconter sa famille, celui qui devient une sorte d’antihéros instaure une nouvelle dynamique, de quoi faire grandir également Superman qui apprend à gérer les menaces autrement, avec l’appui technologique et financier qu’il n’a pas toujours eu. On reste toutefois sur un récit assez inconséquent, qui manque cruellement de grandes scènes et de moments vraiment marquants, mais on sent quand même que Williamson s’amuse bien dessus et s’offre même quelques pages en mode « western » qui font plutôt plaisir.

Pour terminer ce deuxième tome, on passe aux Action Comics de Phillip Kennedy Johnson qui s’ouvrent sur un numéro dessiné par Rafa Sandoval en offrant un aspect très rétro. Avec son style qui rappelle les années 1980-1990, un peu punk, c’est une petite pépite où l’on voit dans les premières pages Superman discuter avec un ouvrier en pleine construction d’un gratte ciel à Metropolis, prenant sa pause déjeuner à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol. Hommage visuel à la célèbre photo « Lunch atop a Skyscraper » qui date des années 30, ces quelques pages rappellent la simplicité du héros et sa proximité avec les habitants de sa ville. Et ce avant d’embrayer sur une histoire à la tonalité très actuelle, où un groupe terroriste d’extrême droite nommé Terre Bleue vise l’immigration d’extraterrestres, avec les mêmes arguments d’invasion et d’identité, comme les idiots qui peuplent nos contrées. Dessinés ensuite par Eddy Barrows, ces numéros offrent une ambiance plus crade, plus violente, avec une pointe de mystique, qui tranche radicalement avec la série Superman de Williamson mais qui permet aussi à Dawn of Superman de montrer tout ce que peut offrir l’homme d’acier, un héros que l’on accuse parfois à tort d’être un simple boy-scout. Enfin, ce tome contient également les Knight Terrors : Action Comics qui, à l’image de la plupart des récits autour de l’événement Knight Terrors, sont oubliés juste après la lecture.

Dawn of Titans – Tome 2, à l’épreuve des responsabilités

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Maintenant que les Titans menés par Nightwing ont remplacé la Ligue de Justice de Batman, Wonder Woman et Superman en guise de gardien·ne·s de la Terre, il fallait bien qu’une terrible menace leur tombe sur un coin de la tête. Et quoi de mieux qu’un poulpe de la taille d’une planète qui est réveillé par une personne malintentionnée (tendance sectaire, qu’on a croisé dans le premier tome) pour mettre à l’épreuve la petite équipe dont les responsabilités ont récemment été décuplées. Et bien évidemment, ça tourne très mal, très vite. Aux origines du mal, un grand complot fomenté par Amanda Waller, la fameuse agente secrète américaine connue pour ses exploits à la tête de la Suicide Squad, mais qui profite là plutôt de son petit toutou, Peacemaker (dont les traits reprennent clairement ceux de John Cena, qui l’incarne au cinéma et à la télé), pour imaginer un moyen de faire tomber les Titans et, par extension, les super-héros et héroïnes qu’elle a en horreur. Et c’est comme ça qu’on se retrouve dans l’arc Beast World, une crise qui monopolise tous les collants de la Terre pour vaincre un espèce de conquérant stellaire, dont les parasites finissent par transformer les gens en bêtes féroces. Sortes d’animaux anthropomorphes, ces bêtes s’attaquent de manière indiscriminée à leurs proches et leurs voisins, et quelques super-héros et super-héroïnes font vite partie du lot, au moment où l’on s’aperçoit que les parasites cherchent toujours un hôte plus puissant.

Cette grande crise qui permet de jeter les Titans dans le bain, en leur confiant des responsabilités similaires à celles de la Ligue de Justice en son temps, est une jolie réussite. Tom Taylor est l’un des meilleurs scénaristes actuels du côté de DC, et il le prouve encore et encore. Amanda Waller est un personnage que l’on adore détester, Peacemaker offre toujours des apparitions sympathiques, mais surtout cela permet d’insister sur la dynamique et les choix assumés des Titans d’agir à leur manière, et pas nécessairement de la manière que souhaitent leurs prédécesseurs (ce qui offre une scène plutôt rigolote où Nightwing contredit Batman et ses potes). Au-delà de ça, c’est aussi un récit pas inintéressant avec quelques scènes plutôt malines, notamment celles qui évoquent la facilité avec laquelle le public déshumanise une population parce qu’elle est décrite comme barbare par ses dirigeants, justifiant à un moment donné une opération visant à éliminer les « bêtes » alors qu’il ne s’agit en réalité que d’humain·e·s victimes d’un parasite, qui pourraient être soigné·e·s. Bref, une bonne aventure, bien racontée du début à la fin, et qui s’offre même une jolie variété de planches avec un grand nombre d’excellent·e·s artistes qui se sont relayé·e· sur les nombreux numéros.

Dawn of Green Lantern – Tome 1, tombé en désuétude

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Cela faisait un bon bout de temps qu’on n’avait pas vu une nouvelle série principale sur le Corps des Green Lanterns, les super flics du cosmos. Très à l’écart depuis le lancement de l’ère Infinite, ils reviennent sur le devant de la scène avec l’arrivée ce mois-ci de Dawn of Green Lantern, un premier tome qui fait la part belle à la nouvelle série lancée par Jeremy Adams, précédemment sur The Flash Infinite (Flash fait d’ailleurs une apparition), et Xermánico, le tandem ayant visiblement à cœur de raconter un Green Lantern sous un angle très terre à terre. Le premier numéro nous emmène en effet dans la vie de Hal Jordan, l’un des Lanterns les plus populaires, qui s’est retrouvé exclu du Corps et qui tente de vivre sa vie péniblement, sans le sou, dans un coin reculé des États-Unis. Hébergé dans un vieux mobil-home, l’ancien pilote de chasse part quémander un travail à Carol Ferris, à la tête d’une société d’aviation, qui se trouve également être son ex. Le récit prend immédiatement une tournure romantique, entre un Jordan qui tente de reconquérir sa bien aimée et elle qui ne croît plus à rien de ce qu’il dit, et ça donne un nouveau sens à cet univers. Parfois rébarbatif à cause de son orientation vers l’espace et le développement de concepts mystico-cosmiques pas toujours bien racontés, l’univers des Green Lanterns est loin d’être ma came. Mais la volonté d’ancrer le récit dans quelque chose de plus humain est une bonne idée, d’autant plus qu’en ayant perdu ses pouvoirs (qu’il retrouve très vite, mais sous une autre forme), Hal Jordan gagne de suite une vulnérabilité qui donne plus de relief au combat qui se prépare.

Car inévitablement, les choses s’enveniment et notre brave héros se trouve confronté à une menace bien connue, Sinestro. Bien menée, fortes d’une mise en scène solide, ces séquences ne manquent pas de panache et s’associent même très bien à deux numéros de Knight Terrors, l’évènement dont on ne semble jamais pouvoir se défaire, avec les deux tie-in consacrés aux cauchemars de Hal Jordan, qui s’intercalent au milieu du récit. Plus inspirés que ceux de Action Comics présents dans le deuxième tome de Dawn of Superman, ils bénéficient d’une dynamique un tantinet différente de celle qui a été régurgitée à l’infini pour chaque personnage ces derniers mois de publication chez DC. Ici, la menace d’Insomnia, le grand méchant qui manipule les cauchemars, est vite balayée par un Green Lantern qui comprend vite ce à quoi il fait face et qui y répond de la meilleure des manières. Pas indispensables, ces numéros s’insèrent toutefois très bien dans le récit principal en plus d’offrir un bon délire à la House of the Dead. En complément, il y a un numéro consacré aux cauchemars de Sinestro, et là, c’est bien moins palpitant. Enfin à la toute fin du tome la suite se prépare déjà, avec quelques numéros de Philipp Kennedy Johnson qui s’empare des Green Lanterns avec le début d’un récit centré sur John Stewart, venu épauler sa mère mourante, et qui s’interroge sur le sens de ce qu’il fait et ses difficultés à revenir sur Terre après une vie à patrouiller l’espace. C’est pas inintéressant, reste à voir où ça ira pour le tome 2.

Poison Ivy Infinite – Tome 3, l’impossible rédemption

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La Poison Ivy de G. Willow Wilson avait marqué un grand coup dès le premier tome, en allant chercher un truc un peu mélancolique dans un personnage traumatisé par la violence d’une Gotham qui lui échappait et des évènements qui ont remis en cause sa personnalité. Déterminée à changer le monde, elle prenait la décision de déclencher une sorte d’épidémie qui allait permettre à la nature de reprendre ses droits. Mais cela s’est avéré être une erreur, et elle en paie les conséquences avec ce troisième tome. L’épidémie, qui évoque évidemment The Last of Us avec son champignon parasite qui prend possession des humain·e·s (et qui fait pousser ces mêmes champignons sur leurs corps), a transformé ses premières victimes en corps assoiffés de violence. Et ces personnes, elles sont en route pour Gotham. Alors on retrouve une Ivy contrainte de devoir retourner dans la ville qu’elle aurait aimé ne jamais revoir, en compagnie de Harley Quinn, l’amour de sa vie et Janet, l’employée des ressources humaines qu’elle a sauvée d’une corporation qu’elle avait attaquée dans le premier tome. Un trio qui tire le récit vers le haut tant l’autrice s’amuse à savourer la dynamique installée entre elles, dessinant les contours d’un triangle amoureux aussi drôle que touchant, grâce à une écriture subtile qui tire partie de ses personnages hauts en couleur. C’est aussi un moyen pour le comics d’opposer une certaine légèreté à un récit souvent plus lourd, avec des thématiques qui évoquent aussi bien un monde qui s’en fout du changement climatique que les traumas de sa vilaine aux tendances héroïques.

Une Ivy qui cherche à se repentir, à se racheter après avoir lancé l’épidémie, et qui concocte un antidote pour protéger la population. C’est ce qui compose l’essentiel des pages du comics, et qui emmène ses personnages dans les pas de quelques têtes connues, entre Batman, Killer Croc et Solomon Grundy, tandis que s’insèrent au milieu évidemment deux numéros des tie-in réservés à Poison Ivy autour de l’évènement Knight Terrors. Le cauchemar vécu par celle qui manipule les plantes et la nature est paradoxalement très artificiel : elle se trouve plongée dans un monde créé de toute pièce où le bonheur est maître mot, où tous ses voisins sourient sans arrêt, et où les couleurs pastels éclaboussent de bons sentiments. Plutôt rigolo, ce bout d’histoire a le mérite de nous proposer Batman en short qui prépare le barbecue pour ses voisins, autant dire quelque chose de pas très sérieux, mais qui a le mérite de trancher avec ce que vivent habituellement tous ces personnages. Dans l’ensemble ce troisième tome est plutôt bien équilibré, dans l’esprit de ses prédécesseurs, donnant même très envie de découvrir la suite grâce à un cliffhanger plutôt surprenant.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Jonathan Hickman est l’un des auteurs de comics les plus en vue de ces dernières années. Faiseur de mondes, il s’est notamment fait remarquer pour la qualité de ses univers, qu’il s’agisse d’œuvres indépendantes, comme East of West, ou plus récemment l’immense succès critique House of X/Powers of X chez Marvel où il réinventait à sa sauce l’univers des X-Men qui commençait à prendre la poussière. Alors chaque fois qu’il revient avec une œuvre originale, la curiosité est de mise, et le moins que l’on puisse dire c’est que Decorum, la série en deux tomes qu’il réalise avec le dessinateur Mike Huddleston dont il est question dans cette chronique, ne déroge pas à la règle : Hickman a une imagination débordante.

L’assassinat est-il un art ?

© 2021 Image Comics / Urban Comics

Hickman et Huddleston abordent Decorum avec une liberté totale. Le duo s’affranchit des contraintes habituelles des comics et livrent une œuvre atypique. Il y a des choix esthétiques forts, une audace qui fait plaisir et une volonté évidente de lier très fortement l’histoire aux nombreux styles visuels des planches. Car le comics est à la limite du surréalisme parfois, avec une esthétique difficile à appréhender, où rien ne semble faire sens. Les pages se suivent mais ne se ressemblent jamais, avec des dessins qui se réinventent sans cesse. Le comics joue avec ses couleurs, en gratifiant certains personnages de couleurs vives tandis que d’autres restent invariablement dans le noir et blanc. Et il joue aussi avec les lignes, entre des dessins crayonnés par ici, des peintures par là, du numérique moderne ailleurs. Parfois, c’est un papier vieilli en guise de fond à des dessins qui ne semblent être que des brouillons, tandis que d’autres pages ressemblent à des artworks que l’on pourrait parfaitement retrouver dans un travail de recherche visuel avant le tournage d’un film ou la création d’un jeu vidéo. Certaines scènes éblouissent par des couleurs vives, les décors alternent entre densité et minimalisme, à tel point que l’on s’y perd au premier abord, une conséquence recherchée par le duo qui ne manque pas de jouer avec une narration complexe, pleine d’embranchements qui ressemblent à un grand puzzle, des pièces balancées ici et là sans trop de liant avant de tout rassembler dans son deuxième tome.

Mais cette narration atypique et désordonnée ne provoque pourtant aucune lassitude. Car Decorum parvient à maintenir la curiosité, et arrive à provoquer un attachement presque immédiat à ses premiers personnages identifiables. C’est-à-dire deux femmes, l’une est une assassine accomplie qui travaille pour une drôle d’organisation d’assassines exclusivement féminines, l’autre devient vite son apprentie. Elles évoluent dans un monde qui ressemble finalement un peu à celui de toutes les dystopies de science-fiction : un futur où humain·e·s et aliens se côtoient, tandis que de grandes corporations s’assurent de maintenir les peuples sous leur contrôle. Un monde où les personnes malades sont cryogénisées afin de maintenir leurs corps tel quel le temps que l’on trouve un remède, un traitement qui les ramènera à la vie. Mais les maintenir dans cette forme est payant, un coût qui pèse sur les finances de la famille survivante, un montant démesuré entièrement dépendant du bon vouloir d’une corporation. Ce qui motive l’apprentie à se laisser guider vers cette organisation d’assassines afin de gagner de quoi faire subsister sa famille cryogénisée. Les motivations sont simples, avant de vite prendre une tournure qui dépasse tout le monde, mais je n’en dirai pas plus, tout est révélé dans le deuxième tome qui sert de conclusion à cette courte série de comics.

Le comics comme terrain d’essai

© 2021 Image Comics / Urban Comics

C’est évidemment un bon choix d’avoir recentré l’intrigue sur quelque chose de plus classique, dans la forme narrative, dans le deuxième tome afin de lever le voile sur les mystères du premier. Car cet univers a beaucoup de choses à offrir, en parlant de considérations religieuses d’un monde du futur partagé entre vie organique et IA, avec cette organisation d’assassines qui semble occuper une place prépondérante dans la société, et surtout le chemin parcouru par une apprentie assassine qui doit apprendre à faire corps avec sa mission. Cela permet de recentrer une narration qui ne s’embarrasse pas à tout expliquer, et qui le fait plutôt au travers d’images, d’interludes entre deux chapitres où l’auteur écrit quelques lignes pour expliquer l’objectif d’une organisation ou l’histoire d’une planète. Ce mode de récit offre une dynamique assez incroyable et rare pour le genre, prouvant que Jonathan Hickman avait avant tout l’intention de se servir de Decorum pour montrer, et se convaincre peut-être, qu’il reste encore énormément de choses à explorer et à essayer dans les comics. Rien n’est figé, et en poussant les potards de leur imagination et de leur créativité à fond, le duo formé par Hickman et Huddleston offre avec Decorum quelque chose d’assez unique, tant sur sa manière de raconter l’histoire que pour la beauté de ses planches. C’est une approche ambitieuse, captivante, à condition d’accepter de se laisser porter par la recherche d’un comics atypique, sans ossature, qui est capable de changer du tout au tout d’une page à l’autre.

Il y a des moments comme ça où tout semble s’aligner, où l’audace et l’ambition rencontrent une créativité qui parvient à trouver le bon équilibre. Decorum aurait pu n’être qu’un gloubi-boulga d’idées sans grand intérêt, mais Hickman et Huddleston arrivent à trouver une fine limite entre la réinvention de leur propre œuvre d’une page à l’autre et le liant invariablement nécessaire pour reconstituer le grand puzzle de leur histoire. C’est non seulement intéressant avec des dialogues réussis et un développement passionnant pour leurs héroïnes, mais aussi le comics se permet de montrer tout l’étendu des talents d’un Mike Huddleston qui alterne les styles de dessin, qui joue avec les couleurs et qui offre à Decorum sa plus grande qualité : son univers visuel. Pas nécessairement simple à aborder car il exige de ses lecteur·ice·s d’abandonner leurs idées préconçues sur la manière de raconter une histoire et de la mettre en image dans un comics, il se révèle toutefois, au long de ses deux tomes, d’une générosité assez géniale pour celleux qui se laisseraient tenter par cette curieuse expérience.

  • Les deux tomes de Decorum sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Vous avez sans doute déjà vécu ces moments où, en cherchant quoi regarder sur une plateforme de VOD, vous finissez par arriver dans les méandres les plus incongrus du catalogue de films proposés. Des titres improbables surgissent, des pitchs sortis d’un mouchoir de poche, des idées qui ne tiendraient même pas la route dans un rêve mais parfaitement lors d’un trip alcoolisé ou acide. C’est ainsi que dans le catalogue Amazon Prime, j’ai fini par atterrir dans les abysses du genre horrifique. Si ce soir-là, il n’a pas été décidé de regarder un de ces nanars, le défi a tout de même été relevé plus tard… ce n’est pas parce que le 1er avril est déjà passé qu’on ne peut pas rigoler de temps en temps !

Et puis, il y a tout de même une certaine curiosité en voyant défiler ces films plus bizarres les uns que les autres. Comment et pourquoi existent-ils ? Qui en a eu un jour l’idée et sous l’effet de quelle substance ou délire et combien d’argent a-t-il été gâché pour les faire ? Y a-t-il vraiment un public friand de ces nanars de mauvais goût et qui, d’ailleurs, ne font souvent même pas rire ? Il fallait en faire l’expérience. Pour la science, et pour Pod’Culture. C’est en se basant uniquement sur les titres les plus invraisemblables que j’ai fait ma sélection de quatre films. Bonne route vers les navets !

Les zombies font du ski de Dominik Hartl (2018)

Comme beaucoup de ces films série Z, le scénario des Zombies font du ski tient sur deux lignes. En Autriche, trois snowboardeurs·euses se retrouvent coincé·e·s dans une auberge en haut d’une montagne. Un scientifique y expérimente une neige expérimentale qui transforme les fêtard·e·s présent·e·s en zombies. Et voilà, tout tient en quelques mots !

© Ambiance mort-vivante en alpages autrichiens, Les zombies font du ski, Dominik Hartl, 2017

Première surprise, les acteurs et les actrices ne semblent pas si mauvais·es que cela au premier abord. C’est correct au niveau du jeu, même si la plupart des dialogues sont d’une banalité et d’une écriture sans nom. L’origine du virus zombie rappelle tout de suite les plus « beaux » jours de la science-fiction où n’importe quel mélange chimique suffit à transformer des gens en morts-vivants. En fait, c’est tout de même très poussif. Il faut subir une longue, longue première partie composée de conversations sans intérêt, d’une rupture amoureuse avec un couple absolument pas attachant, et de visions de skieurs et skieuses qui fêtent le dernier jour de la station de ski à grand renfort de Stiegl (bière autrichienne) en compagnie d’une tavernière en tenue traditionnelle (on pense à Heidi et au yodel, non sans raison).

Fort heureusement, les choses s’accélèrent quand les fêtard·e·s sont enfin toustes contaminé·e·s, mais continuent à tituber sur la piste de danse. Un reste de gueule de bois ? Non, mystérieusement, la musique continue à les faire danser, peut-être un vague souvenir humain de leur dernier instant. C’est là la seule chance qu’aura notre groupe des trois snowboardeurs·euses pour leur échapper, se réfugier au grenier, tenter de fuir en motoneige, et finalement décider de revenir pour sauver leur ami etc.

Tout cela, encore une fois, n’est pas hyper passionnant si on oublie le contexte « original » de la transformation zombie. Certain·e·s zombies sont ainsi un peu gelé·e·s et peinent à se mouvoir dans la poudreuse. Mais l’apothéose arrive à la fin et redonne un petit coup de peps au film, quand les survivant·e·s commencent à tuer les zombies un par un avec ce qu’ils ont sous la main. La tenancière du bar récupère des armes de la seconde guerre mondiale, les snowboardeurs·euses utilisant bâtons de skis et planches de snow pour décapiter ou couper en deux tout ce joli petit monde. Ça vire à un jeu de massacre relativement fun parce que les armes sont drôles, que les personnages se déplacent en snowboard pour glisser et tuer, le tout sur fond de petites musiques classiques enjouées.

Et petit détail sympathique, la tenancière de l’auberge, d’un certain âge (la cinquantaine ; ce qui n’est pas si vieux en soi, mais mortel dans le monde du cinéma pour les actrices), dont je n’aurais pas donné cher de sa peau, se retrouve parmi les survivant·e·s à tuer du zombie avec un certain entrain et une belle vigueur.

C’est presque drôle dans sa dernière partie, les Zombies font du ski, même si tout est facilement oubliable. Y a des zombies chevreuils, aussi, et ils ont la tête aussi ravagée que les humains quand ils se transforment.

Un peu d’histoire (1): d’où viennent les nanars et navets ?

La différence entre nanar et navet est en général assez connue. Un nanar est un film souvent réalisé avec les plus généreuses et loufoques intentions du monde, sérieusement pour son réalisateur, au point que cela en devient trop, surtout quand on y rajoute un petit budget, des mises en scène et acteurs·ices désastreux·ses. C’est tellement mauvais que cela en devient drôle, également parce qu’on sent une intention authentique derrière. Alors que les navets sont simplement de très mauvais films avec les mêmes défauts (faible budget, interprètes sonnant faux, etc.) et qui ne parviennent même pas à faire rire.

©. Evil Dead 2 en célèbre exemple de comédie horrifique, Sam Raimi, Renaissance Pictures 1987

En remontant un peu plus, les nanars semblent venir surtout des années 80, même si on trouvait déjà quelques films mêlant horreur et comédie auparavant (Une soirée étrange, J.Whale, 1932). Evil Dead 2 (Sam Raimi) semble lancer la vague de ces comédies horrifiques, à l’humour noir, qui comptent parmi les classiques du cinéma : Gremlins, Le bal des vampires, Chucky, Hurlements… Les cinéastes des années 80 et 90, d’après le livre Rendez-vous avec la peur (Olivier Bonnard et Olivier Bousquet) rendent hommage aux classiques d’horreur de la Hammer (ces fameux films de monstres des années 50 et 60) tout en y ajoutant une dose de comédie. Un hommage qui dédramatise l’horreur et en détourne les codes, donnant lieu à des productions certes parfois bas de gamme, cracra, sanglantes… Ainsi naît « l’économie du nanar », ces films au mauvais goût assumé, aux budgets ridicules et aux scénarios tenant sur deux lignes, mais divertissants pour peu qu’on se prête au délire. Et ils dérivent parfois jusqu’aux navets, surtout quand ils surfent sur la surexploitation d’un genre, comme les films de requins cannibales.

Hellitosis : la légende de la bouche puante de Robert J. Mulligan III (2017)

En revanche, j’aurais aimé davantage pouvoir oublier Hellitosis en me disant « c’est un nanar presque mignon » comme le précédent. Entre revoir Hellitosis ou revoir The Human Centipede, je crois préférer le second. Dans tous les cas, un seau pour vomir n’est pas de refus.

Hellitosis – qui est un jeu de mot sur la mauvaise haleine, halitose, qu’on peut avoir par la bouche et le nez – a aussi son scénario qui tient sur un mouchoir de poche, et sur 1h10 (dont dix minutes de générique). Autant dire que c’était là un scénario qui ne tenait même pas assez debout pour se rapprocher des 1h20.

Deux agent·e·s dans l’immobilier, accompagné·e·s de leurs clients, se rendent dans une maison délabrée et qui pue littéralement la merde. Coincé·e·s par une tempête à l’extérieur, ce petit monde se retrouve enfermé, s’alcoolise pour supporter l’odeur, avant de se trouver pourchassé par le monstre qui hante les lieux.

© Ma santé mentale en a pris un coup devant Hellitosis, Robert J. Mulligan III, 2017

En fait, c’est un peu traumatisant de parler de Hellitosis, parce que le·a lecteur·ice va forcément penser que j’ai un grain à avoir tenu bon pour regarder un tel film. Il a quand même fallu le faire en deux fois, tellement c’était dégoûtant. On se retrouve donc dans une maison absolument bordélique que personne ne voudrait acheter, même avec un couteau sous la gorge, avec des pastilles à la menthe dans les placards, des bâches dont on ne sait pas l’utilité, une absence totale de fenêtres qui rend l’éclairage d’un jaune sale épouvantable. Les agent·e·s sont les plus mauvais du monde, entre un jeu amateur qui sonne faux, des dialogues dits et écrits avec les pieds (sauf quand ça fait des jeux de mots sur le vomi et le caca). Quand débarque la créature, ce n’est pas mieux. Si la maison semble bâtie, décorée et parfumée aux excréments, c’est parce que le monstre des lieux a un anus à la place de la bouche, s’exprime en pétant, est couvert d’immondices, et sa grande passion est donc de tuer tout le monde en les étouffant (si possible à renfort de matières fécales), de leur tirer boyaux et tripes, voire de les violer après. Le pire est qu’on a même droit à quelques flash-backs pour expliquer comment il est arrivé là.

Tout ça est d’un immense mauvais goût qui ne donne qu’une envie : gerber ou fuir, ce qui est un peu la thématique du film, me direz-vous. Mais le concept d’Hellitosis, s’il peut faire rire au début par son aspect grotesque, devient trop rapidement d’un mauvais goût répétitif : mauvais jeu de tous les acteurs·ices, scènes de meurtres qui se ressemblent toutes (ça sent le petit budget) et que dire des acteurs qui en font des tonnes, ou qui jouent si mal qu’on voit parfaitement qu’ils ne se touchent même pas lors de bagarres. Même les maquillages de sang sont rajoutés… après hors-champ ou changement d’angle de caméra, pour ne pas avoir à donner l’impression de sang qui coule. Bref, Hellitosos, c’est une véritable immondice et insulte même au concept de nanar et des films série Z. Il y a des images que j’aimerais pouvoir effacer de ma mémoire.

Un peu d’histoire (2) : plaisir coupable des nanars, pulp et leçons de cinéma

© Un des films les plus nanardesques et célèbres : Plan from Outer Space d’Ed Wood

Interrogeons-nous encore un peu sur les nanars et navets. Comme on l’a dit auparavant, certains nanars font rire, sont « authentiques » car le réalisateur derrière la caméra y croit profondément. Films paranormaux, de monstres, d’action, science-fiction, etc, le nanar peut être à toutes les sauces mais il a évidemment un profond affect pour l’horreur. Quand il ridiculise acteurs et monstres en carton-pâte, animés péniblement (et on ne parle pas de CGI désastreuse), il ridiculise aussi la peur qu’on peut en avoir. Pas étonnant alors que ces films aient souvent été projetés dans des drive-in à une époque où il était facile d’emmener sa conquête pour avoir faussement peur, et plutôt rire : plus facile pour commencer un flirt !

Le nanar est aussi généreux dans ses… décors et ses déshabillés, notamment lorsqu’il lorgne du côté de la science-fiction. On peut penser alors, outre le male gaze de l’Histoire du cinéma, à tous ces romans pulp des années 50 et 60, promettant des histoires « sense of wonder », où on s’émerveille des mondes créés, même sans aucun fondement réaliste. On n’hésite pas aussi à mettre des femmes plus ou moins déshabillés sur les couvertures, serment d’exotisme tant dans le voyage que dans la découverte d’autres civilisations désinhibées. Et puis, ces couvertures de l’époque étaient aussi là pour faire vendre ces histoires à un public alors très masculin.

Un autre point commun des nanars et surtout navets, et qui explique certainement encore leurs succès dans des festivals de cinéma internationaux : la leçon de cinéma proposée. Dans ces films, on a tout ce qu’il faut éviter quand on veut tourner un long-métrage. Du jeu d’acteur surjoué ou inexistant aux décors carton-pâte, en passant les incohérences de scénario, de mise en scène, de lumières, de photographie, de rythme… On a tout, TOUT ce qu’il ne faut pas faire. Parfois, assumé ; d’autres fois, cela permet vraiment de saisir le langage du cinéma et se rendre compte à quel point il faut le maîtriser pour rendre un film agréable et regardable. Et ne pas perdre ses neurones devant.

Jurassic Shark de Brett Kelly (2012)

Des industriels font du forage illégal sur une île au milieu d’un lac et font fondre une couche de glace libérant un mégalodon, requin historique. Deux filles en bikini se font bouffer. Un groupe d’étudiant·e·s vient sur l’île pour enquêter sur l’usine désaffectée (spoiler : c’est juste un vieux garage, côté tournage) et rencontrent un groupe de braqueurs qui veulent échapper à la police. Le requin finit par manger les méchant·e·s et deux héroïnes sur quatre survivent. Fin. Scène post-générique : ah, mais le requin avait un bébé qui va lui aussi manger des gens.

© Vous êtes sûrs qu’il y a un requin dans votre film de requins préhistoriques ? Jurassic Shark, Brett Kelly, 2012

Les filles en bikini, souvent sans trop de logique : check.
Le gros requin méchant en images de synthèse absolument immonde qui ne peut même pas mâcher un humain correctement : check.
La chef de gang qui fait sa dure à cuire mais joue tellement mal qu’on aimerait qu’elle soit dévorée tout de suite : check.
Les dialogues du scénario qui n’ont AUCUN sens ni aucune logique : check.
Les personnages qui ne savent tellement pas jouer que lors de scènes émouvantes, ça se limite à regarder le sol et prendre la tête entre ses mains : check.
Les (trop) longs plan d’eau, de ciel et de forêt filmés sans aucun sens du mouvement ni de la géographie spatiale : check.

Peut-être que ce film est la quintessence même du film d’horreur navet. On se demande qui a écrit l’histoire de façon aussi invraisemblable, choisi les acteurs et actrices pour leur jeu non-existant, qui a filmé sans savoir manier une caméra ni gérer les lumières. Mais qui a bien pu y mettre de l’argent ? C’est même sorti en format physique !

Disons que Jurassic Shark coche toutes les cases du film horrifique qui a dégénéré. Oui, on va voir des filles en bikini, parce que les films d’horreur ont longtemps vécu avec le male gaze et le prétexte de voir des héroïnes vulnérables face à des tueurs ou des monstres. On a le syndrome de la grosse bébête monstrueuse disparue depuis des milliers d’années qui revient, affamée et prête à tout manger… dans un lac… parce que les requins vivent dans l’eau douce apparemment. On a les scientifiques (identifiables à des blouses blanches) qui se fichent des contaminations de leurs expériences tant que ça rapporte de l’argent. On a la bande de vilains menée par une soi-disant badass en cuir noir, car oui, elle s’habille tout en noir, c’est une méchante, au cas où on n’avait pas compris. À ses côtés, les hommes de son groupe roulent des mécaniques (merci les muscles gonflés à la salle) et sont aussi expressifs qu’une pierre, y compris quand l’un perd son frère.

Est-ce que j’ai parlé du requin préhistorique qui vit dans de l’eau douce et dont les héroïnes craignent qu’il s’échappe en mer… alors que c’est un lac fermé ? Est-ce que j’ai parlé des transitions jour-nuit qui n’ont aucun sens, quand ils vont dormir alors qu’il fait encore plein jour ? Ou encore du fait qu’ils dorment en forêt après avoir marché CINQ heures sur l’île, mais le lendemain, ils se réveillent près de la rive ?

Je dois aussi mentionner le fait qu’en ayant de l’eau jusqu’aux genoux, soit dans quarante centimètres de profondeur à deux mètres de la rive, le requin par ailleurs géant arrive quand même à se faufiler pour les bouffer. Et qu’ils ont du mal à remonter à la surface et font semblant de ne pas réussir à nager alors qu’ils avaient pied une seconde avant. Grâce à Jurassic Shark,je perds le peu de cerveau et/ou de santé mentale qui me restait après Hellitosis.

Un peu d’histoire (3) : l’horreur « analogique »

On connaît bien le sous-genre « Found footage », dont l’influence principale vient du film Blair Witch, où des jeunes filmaient leur recherche d’une sorcière en pleine forêt, la caméra étant le seul témoin de ces événements supposés véridiques. D’autres suivront : REC avec son histoire de zombies espagnols, Paranormal Activity et ses maisons hantées… Ce côté vidéo amateur permet à la fois de rendre une histoire plus proche de nous et théoriquement plus authentique, tout en jouant de ses contraintes (caméras fixes, par exemple) pour créer de la tension et de l’angoisse.

Mais vient ensuite, depuis les années 2010, un autre sous-genre qui prolonge ce mouvement : l’horreur analogique, diffusée via les nouvelles technologies numériques. On pense ainsi tout de suite aux creepy pastas, comme le célèbre Slender Man, mais également à tous ces projets effrayants issus de la culture Internet : la fondation SCP et ses entités étranges enfermées dans un immense centre de recherches, les backrooms, labyrinthe de niveaux déserts, angoissants et inhabitables…

© Il y a bien quelque chose de malaisant dans ce Skinamarink réalisé par Kyle Edward Ball, Mutiny PIctures et Ero Picture Company, 2022

L’horreur analogique est ainsi une forme d’horreur créée à la fois par la culture issue d’Internet et le retour à une imprécision technologique qui rend la peur plus angoissante, parfois reliée directement à nos peurs d’enfance. Les liminal spaces sont nés de ces photos en basse qualité qui nous évoquent des lieux familiers, universels, mais vides, nous mettant mal à l’aise par l’absence de vie. Le film Skinamarink (Kyle Edward Ball, 2022), tourné en extrême basse qualité, comme une VHS, à hauteur d’enfant et empêchant de voir en pleine clarté les détails d’une maison, génère un malaise rappelant nos peurs juvéniles. La volontaire pixellisation de ces films propose une forme de peur inédite, en contraste avec tous nos films 4K et nos jeux hyperréalistes, sans la moindre trace d’ombre. Également, l’horreur analogique est un terme utilisé pour ces long-métrages moins imprécis mais jouant des moyens technologiques que chacun possède chez soi : les caméras des ordinateurs et téléphones portables, l’usage des réseaux sociaux et des sites Internet. Un film représentatif du genre est Unfriended (Levan Gabriadze, 2014) qui utilise tantôt une discussion en vidéo, les pages Facebook et Youtube pour raconter son histoire. On peut aussi penser aux vidéos d’amateur sur Youtube et Tiktok proposant un contenu horrifique, comme les backrooms de Kane Pixels.

Untitled Horror Movie de Nick Simon (2021, uniquement en VO)

Ah, un autre de ces films qui surfent sur la vague pandémique ! Oh, j’ai quand même été un poil déçue : Untitled Horror Movie n’est ni un nanar ni un navet, mais un énième film d’horreur pour adolescents, simplement pas terrible. Les acteurs·ices d’une sitcom apprennent qu’iels sont virés du tournage, en plein confinement. Ils décident alors de continuer le projet fun déjà en cours : faire leur propre film d’horreur, chacun depuis son écran et avec les moyens du bord. Malheureusement, la cruche blonde du film invoque véritablement un esprit avec le pendule qu’elle possède. On suit leur possession et mort surnaturelle via les écrans split de chacun ou les visios sur téléphone.

© Énième flop horrifique avec Untitled Horror Movie, Bronwyn Cornelius Productions, Spectrum Studios, Anarchy Post, de Nick Simon, 2021

Énième histoire de possession, énième film pour ados destiné à faire peur et aussi un peu rire avec tous ces personnages qui prennent des décisions plus débiles les uns que les autres, chacun·e étant par ailleurs très stéréotypé·e. On ne se prend d’affection pour personne, l’humour tombe à plat, la chute est nulle au possible en jouant sur le côté comico-horrifique, mais n’est pas Evil Dead qui veut. Bien que soi-disant basé sur une histoire vraie et présenté comme un autre found footage parmi d’autres, des éléments extradiégétiques comme certaines musiques contrecarrent complètement le côté « véridique » du récit.

En fait, c’est triste car il n’y a pas grand-chose à en dire. Tout est cliché et prévisible au possible, le seul côté original appartenant à ce contexte de film tourné en plein confinement. Ce n’est pas le seul film à s’y être essayé, jouant avec les visuels type « Zoom », écrans splits, visio des téléphones, etc. pour créer un nouveau type d’horreur et renouveler le genre. Le plus drôle étant ici qu’il n’y a jamais la moindre véritable allusion au confinement. Le film s’affirmant comme comédie, il ne faudrait pas rappeler le contexte difficile de la pandémie et de son isolation au spectateur, alors que l’histoire en joue. Bref, ça fait partie de ces films surfant sur une vague et qui essayent de faire quelque chose, mais s’écrasent. Dans le même genre, je conseillerais plutôt Host (Rob Savage, 2020) qui assume pleinement son origine pandémique et réussit à faire un bon film d’horreur paranormal en 40 minutes à peine.

Conclusion

Que conclure de ce voyage au pays des nanars ? J’ai eu un léger aperçu de ce que pouvait être un nanar avec Les zombies font du ski, même si j’ai conscience que cela est bien loin derrière les films les plus cultes du genre. J’ai enchaîné deux navets pour lesquels j’aimerais pouvoir me rincer les yeux à l’eau de Javel, et terminé avec un de ces multiples films comico-horrifiques sans identité ni surprise dont le cinéma nous abreuve depuis des années. Je n’ai pas forcément plus de réponse sur qui (et pourquoi) en vient à faire des horreurs comme Hellitosis ou Jurassic Shark, à part pour espérer se faire de l’argent avec les fans de monstres absurdes et me dire que certaines personnes ont trop d’argent, tellement d’argent qu’ils tentent de faire un film sans même connaître un peu de langage cinématographique.

Cela m’a malgré tout permis de découvrir un peu les origines du genre, de trouver un nouveau seuil de tolérance pour les mauvais films, en découvrant un tout autre niveau abyssal de jeu navrant et de mise en scène à s’arracher les cheveux… et j’espère que cela vous aura fait un peu sourire !

Vous voulez en savoir plus sur les nanars ? Voici quelques ressources consultées pour écrire cet article :

  • Le site Nanarland.com, tenu par un groupe de passionné(e)s des films nanardesques, regroupant chroniques, glossaires, dossiers, etc.
  • L’article Survol d’un cinéma désastreux : le cas du nanar, de William Pépin, est une belle introduction au genre avec plusieurs exemples de films.
  • L’article L’émancipation par les monstres nanars de Christophe Mincke et Quentin Verreycken permet comprendre l’importance du monstre dans ce type de films.
  • Le livre Rendez-vous avec la peur : le cinéma d’horreur de Nosferatu le vampire à Get Out, propose une belle ressource sur le genre horrifique, écrit par Olivier Bonnard et Olivier Bousquet, éditions EPA (malheureusement en rupture de stock).
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Diffusée en deux parties distinctes par Netflix entre décembre 2022 et mars 2023, la série coréenne The Glory était l’une des excellentes surprises du début d’année dernière. Avec son histoire sombre et brutale autour de la thématique du harcèlement, la série écrite par Kim Eun-sook (qui enchaîne les succès depuis quinze ans) a proposé une histoire plutôt bien ficelée, sur le ton d’un thriller où son héroïne vengeresse s’avère aussi touchante qu’effrayante.

Une jeunesse pourrie

© 2023 Netflix

Harcelée, battue et torturée par ses camarades de classe au lycée, Dong-eun (interprétée par Song Hye-kyo) planifie sa vengeance. Après une jeunesse brisée par des gosses de riches qui s’arrogeaient un droit de vie et de mort au lycée, on redécouvre une femme qui a su gravir les échelons de la société en comprenant vite que c’était le seul moyen de pouvoir mettre sa vengeance à exécution. On la voit en effet s’immiscer dans la vie de ses bourreaux d’antan, décidée à tout leur prendre, à les voir perdre tout ce qu’iels ont. Cela va de la relation de travail qui tourne au drame, au futur mariage brisé, ou à la destruction de l’image publique d’une personne qui ne vit que de son rapport aux autres. Certes, les récits de vengeance sont légion dans le cinéma et dans les séries coréennes, la vengeance étant un genre que les cinéastes affectionnent tout particulièrement. Mais The Glory a quelque chose d’atypique, en ne cherchant pas la vengeance dans une violence pure et simple, mais plutôt dans le fait de briser les destins des coupables, de la même manière que la victime elle-même a vu son destin bouleversé par une rencontre malheureuse avec ses quelques personnes. Et cela fonctionne parfaitement car Song Hye-kyo est une excellente actrice, qui joue une partition solide, sans bévue, et avec la maîtrise qu’on lui connaît. Pourtant son personnage est compliqué, ambigu. C’est un personnage pour lequel on éprouve une certaine empathie mais qui nous questionne directement sur notre propre morale. Elle est froide, méthodique, parfois effrayante, et même si l’on a envie de compatir avec sa douleur, sa manière de mener sa vengeance est d’une cruauté assez terrible. Et pour maintenir l’équilibre et l’ambiguïté, le réalisateur Ahn Gil-ho ne manque jamais de dévoiler, tout au long de la première partie de la série (soit les huit premiers épisodes), de nouvelles scènes d’horreur vécues par son anti-héroïne.

Et c’est filmé avec beaucoup d’intelligence, le réalisateur parvenant à suggérer l’horreur dans les scènes de harcèlement. L’horreur au sens premier du terme, avec des bourreaux apparaissant comme des monstres assoiffés de violence. Puis, la série nous emmène sur le registre de l’émotion, la compassion pour sa victime, parfois même une certaine paix et une douceur qu’elle trouve dans sa relation avec une personne qui lui apporte une bienveillance qu’elle ne connaissait pas jusque là. Enfin, dernier registre, celui du thriller, quand elle met sa vengeance en action et qu’elle devient à son tour la source du mal. Par ailleurs, le réalisateur s’appuie sur une narration sous forme de voix-off, celle de son actrice principale, qui s’adresse directement à la principale instigatrice de son harcèlement. Comme si, tout au long de la série, elle lui expliquait ses choix, ses raisons et sa méthode de vengeance. Un peu comme une lettre explicative qu’elle lui laisse, c’est un excellent moyen de renforcer la tension tout au long de la série, la voix de l’héroïne venant presque « hanter » une narration qu’elle maîtrise d’un bout à l’autre, resserrant peu à peu l’étau autour de son bourreau devenu proie.

Déconstruire un modèle

© 2023 Netflix

Et si cela fonctionne c’est parce que la série arrive à jongler entre les différents registres sans jamais se confondre sur ses intentions. Mais aussi parce qu’elle déconstruit certaines idées sur les victimes, leur reconstruction et leurs réactions face à leurs bourreaux. Dong-eun n’est pas la victime idéale, elle pourrait même sans mal être poursuivie par la justice pour ses agissements qui ressemblent plus à la loi du talion qu’à autre chose. Mais The Glory tente d’apporter du sens à cette vengeance, sans nécessairement la cautionner, mais en racontant la douleur qui pousse une personne à planifier ses actes sur des dizaines d’années pour enfin se « libérer » de la violence de personnes qui l’ont oubliée et qui sont passées à autre chose dès que le lycée était terminé. Et c’est d’autant plus succulent que ces personnes sont des gosses de riches, aux vies futiles, qui n’ont jamais subi la moindre conséquence à la violence de leurs actes. Song Hye-kyo incarne aussi parfois l’image de la « femme fatale », un concept dépoussiéré pour être abordé autrement, sans la misogynie que le concept se traîne depuis longtemps. Ici c’est une femme fatale au sens le plus strict, celui d’une femme déterminée et prête à tout pour mener son objectif à bien. On pourrait peut-être reprocher à la série de déshumaniser son héroïne, surtout dans la première partie où elle apparaît extrêmement froide, mais heureusement la deuxième partie, pourtant globalement moins réussie, montre une humanité plutôt bienvenue. Cela participe à un propos global qui ne désigne jamais celle-ci comme nouveau bourreau : jusqu’au bout, elle reste la seule et unique victime de l’histoire.

Plutôt atypique dans son traitement de la vengeance, The Glory est bourré de bonnes idées pour mettre en scène le plan terriblement méthodique de sa victime en quête de réponses. Parfois effrayante par sa froideur, la série offre des sentiments mêlés mais ne perd en rien sa pertinence chaque fois qu’elle dénonce la violence que doivent affronter des lycéen·ne·s, harcelé·e·s au quotidien, avec la complaisance coupable des adultes qui les entourent en faveur des bourreaux. En plus de très bien gérer les ambiguïtés de son personnage, la série met les pieds dans le plat et interroge le concept de vengeance comme moyen de justice. Une vengeance qui revêt plusieurs visages : celle qui peut être physique ou qui peut être psychologique, qu’elle soit directe ou indirecte. On y voit une finesse d’écriture qui rappelle quelques excellents polars, où le « Bien » et le « Mal » s’entrechoquent jusqu’à ne plus véritablement avoir de signification. L’empathie inévitable pour l’héroïne, compte tenu de ses douleurs et du traumatismes du passé, deviennent de véritables armes pour justifier une vengeance cruelle, et c’est quelque chose qu’interprète très finement son actrice.

  • L’intégrale de The Glory est disponible sur Netflix.

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Square Enix s’est lancé dans une entreprise périlleuse il y a quelques années, en faisant le choix de donner vie à un vieux fantasme de fans de Final Fantasy VII : faire un remake en profitant des qualités techniques des consoles modernes. Parce que le jeu original sorti en 1997 n’en était qu’aux balbutiements de la 3D sur PlayStation 1 et a, sur ce point, terriblement mal vieilli, au contraire d’autres J-RPG de cette époque qui conservent un aspect visuel en 2D plus cohérent, ou une 3D plus aboutie (comme Final Fantasy VIII). Mais compte tenu de l’immensité du jeu qui tournait même sur trois CD à l’époque, le développeur japonais a fait le choix de découper son remake en trilogie. Le premier, intitulé Final Fantasy VII Remake, est sorti en 2020. Acclamé par la critique, c’est le deuxième épisode qui sort cette année, nommé cette fois-ci Final Fantasy VIII Rebirth, en exclusivité sur PlayStation 5.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé PlayStation 5 par l’éditeur.

Échappées belles

© SQUARE ENIX

Si vous lisez ces lignes, c’est parce que vous avez déjà terminé Final Fantasy VII Remake ou que le spoil de celui-ci ne vous dérange pas. Car il serait difficile de parler de Final Fantasy VII Rebirth sans raconter la fin de son prédécesseur. Celui-ci terminait par l’échappée du petit groupe formé de Cloud, Aerith, Tifa, Barret et Red XIII des mains de la Shinra, tout au bout d’une autoroute qui quittait Midgar. Après avoir porté un coup décisif à la Shinra, la dangereuse corporation qui pille le mako, une énergie fossile à l’impact écologie désastreux, le groupe qui s’est réuni un peu par hasard est désormais fugitif. Exit les allées sombres et la nuit quasi perpétuelle d’une ville à plusieurs niveaux qui cachent la lumière du jour, et place à d’immenses zones ouvertes où l’on peut enfin naviguer de manière relativement libre. Parti à la chasse de Sephiroth, l’antagoniste principal qui semble décidé à acquérir un pouvoir gigantesque qui lui permettrait de dominer le monde, le groupe d’aventurier·ères s’illustre pour la diversité de ses personnalités. Cloud est un ancien membre du SOLDAT, une force spéciale de la Shinra composée de guerriers aux capacités surhumaines, Aerith, pourchassée par la corporation pour ses capacités spéciale, Tifa et Barret, qui sont des membres d’Avalanche, un groupe d’opposition à la corporation et désignés comme « éco-terroristes » et enfin Red XIII, un animal d’une sorte de race canine qui était victime d’expériences douteuses dans un laboratoire de la Shinra. Bref, tous·tes ont été victimes à un moment ou un autre de cette corporation maléfique, et c’est ce point commun qui les rassemble. Mais là où le Remake sorti en 2020 agissait dans l’urgence face à une situation désespérée, Rebirth passe à la deuxième étape : celle où cette petite bande apprend à se connaître, à s’aimer et à se soutenir.

Si Cloud reste un héros assez unidimensionnel malgré quelques moments intéressants dans une poignée de scènes où ses origines et son ancien rôle de SOLDAT ont un nouvel impact, les autres s’offrent une épaisseur qui permet au jeu de marquer une certaine différence avec le titre original. Le jeu PS1 en 1997 était déjà très généreux en textes et en interrogations sur les personnalités de ses héros et héroïnes, néanmoins Rebirth va plus loin avec beaucoup plus de dialogues, d’échanges entre ses personnages, de moments où les émotions sont interrogées pour mieux se comprendre. On y découvre un Barret plus intéressant qu’à l’origine qui se détache un peu plus de l’image de brute qu’il avait pu avoir. Le jeu original lui offrait aussi cette opportunité, mais l’écriture gagne en qualité et devient moins caricaturale. Tifa également dépasse la fonction de « fantasme » dans lequel elle était malheureusement tombée. Quant à Aerith et Red XIII, leurs présences sont célébrées, les deux bénéficiant de moments très forts. Le groupe devient soudainement plus crédible, il ressemble moins au patchwork du premier jeu, l’urgence étant mise de côté pour au contraire prendre le temps de se connaître et de se découvrir. En se réappropriant le récit du jeu original, Rebirth remet en cause son héros, Cloud, dont la fiabilité en tant que narrateur est régulièrement remise en cause par les joueur·euse·s qui épousent son point de vue tout au long de l’aventure.

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L’autre force de FF VII Rebirth, c’est aussi sa capacité à sublimer les scènes les plus bouleversantes du jeu original afin d’y trouver une émotion certaine, même lorsque l’on sait très bien ce qui va arriver. Le jeu suit à la lettre l’ordre des évènements du jeu de 1997, mais y incorpore une mise en scène et des éléments narratifs supplémentaires qui permettent de renforcer l’attachement aux personnages et à leur destin. Ainsi, quand les scènes les plus fortes en émotions arrivent, on a bien du mal à ne pas se laisser aller et verser les quelques larmes d’usage. Sans spoiler sur le déroulement des évènements, même si les fans de FF VII savent très bien quelles sont les scènes les plus touchantes, on sent que l’équipe derrière ce Rebirth a abordé le titre avec un amour certain pour l’original. Il y a une vraie envie de dépasser les qualités d’antan et d’amener l’œuvre sur un terrain différent, plus humain encore, et le jeu y arrive parfaitement. Et ce grâce à une tonalité qui évolue régulièrement, le jeu s’offrant des moments plus légers pour contrebalancer les tragédies qui se jouent, sans manquer de laisser le temps à ses personnages de digérer les évènements les plus tragiques. Jusqu’à atteindre un point où l’emprise de Sephiroth, dont l’ombre plane tout au long de l’aventure, se matérialise dans quelque chose de monstrueux, comme une bête prête à surgir au moment opportun.

Résilience d’un monde à l’agonie

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Les thématiques écologistes de Final Fantasy VII en faisaient, à l’époque, un précurseur dans le monde du jeu vidéo. En racontant une corporation qui pille la planète et l’apparition d’un éco-terrorisme, le jeu avait pleinement conscience de l’état du monde dans les années 1990 (et les choses n’ont fait qu’empirer depuis). C’est pour cette raison que la découverte de son monde, victime de la Shinra et du pillage du mako, était l’une des choses les plus attendues avec Rebirth. Car le premier titre de la trilogie se cantonnait à raconter la toute première partie du jeu original, celle qui plaçait les personnages à Midgar, ville dystopique où les inégalités et les impacts de la pollution sont nombreuses. Cette fois-ci, les personnages se sont échappés de Midgar et découvrent le monde par-delà les murs. Ce monde, c’est une planète aux biomes nombreux, des collines et plaines qui souffrent de l’exploitation du mako aux forêts luxuriantes, les canyons désertiques et les villes côtières. Enfin, le jeu nous offre un vrai sentiment de liberté, même si ce n’est techniquement pas un monde ouvert à l’ancienne. On reste en effet cloisonné dans plusieurs grandes régions, passant de l’une à l’autre via des déplacements rapides, avec plusieurs séquences où le jeu nous empêche même de revenir en arrière afin de faire avancer son histoire. Néanmoins les zones sont suffisamment grandes et généreuses pour offrir ce sentiment de liberté qui manquait cruellement à Remake, lui qui était peut-être trop linéaire. Mais là où le jeu est très fort, c’est qu’en cloisonnant ainsi ses différentes zones, il en soigne chaque mètre carré pour donner un sens à l’entièreté de chaque map. Rares sont les endroits vides, l’exploration étant toujours rémunérée par la découverte d’une quête, d’une relique conférant divers avantages, d’un coffre ou de la découverte d’un combat de chasse à accomplir en guise d’objectif secondaire.

Plus encore, c’est la beauté de ses différentes zones qui donnent au jeu un charme probablement supérieur à celui de l’original sans pour autant manquer de lui rendre hommage. Il y a évidemment les qualités techniques d’un jeu résolument moderne et rarement pris en défaut tant il maîtrise sa direction artistique, ses couleurs et les variations de ton. Mais en offrant autant de diversité dans ses zones, en laissant le temps d’apprécier chacune d’entre elles et en poussant à l’exploration grâce aux nombreux objectifs à accomplir, Final Fantasy VII Rebirth fait une chose caractéristique des J-RPG d’antan, une des choses qui m’ont fait tomber amoureux du genre : il nous fait voyager. Littéralement, le petit groupe de héros et d’héroïnes donne le sentiment d’être en voyage, explorant les terres et les villes, quitte parfois à se perdre dans une multitude de mini-jeux et d’activités secondaires à l’intérêt relatif, souffrant de sa propre générosité. Qu’on aille à Costa Del Sol, une station balnéaire, au Gold Saucer, sorte de grand parc d’attraction, ou qu’on explore les abords de Junon, une des villes mémorables du jeu original, tout est une excuse pour offrir des scènes d’exploration qui évoquent une forme de tourisme. Certes, il y a la quête principale, la recherche de Sephiroth pour l’arrêter, la traque par la Shinra, les découvertes bouleversantes sur le monde et sur l’impact de l’énergie mako, mais plus que cela Rebirth donne sans cesse envie d’y retourner pour découvrir la prochaine étape du voyage, et ça, c’est ce qui le rend incontournable.

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Pourtant, l’exploration peut parfois être une plaie, à cause de déplacements qui ne prennent pas toujours la bonne mesure des impératifs d’un monde semi-ouvert. Très vertical, le monde qui nous entoure pousse souvent à escalader, mais l’animation d’escalade est d’une telle lenteur qu’elle en devient frustrante. D’autres fois, le chocobo est indispensable pour atteindre certaines zones, mais lui aussi manque d’agilité pour se balader plus simplement face à des zones souvent très rocailleuses. Mais, à l’exception d’une zone en particulier qui m’a complètement frustré, le reste du temps ces soucis sont oubliés grâce à la bonne ambiance qui règne. Grâce aux petites discussions entre des personnages tous attachants, mais aussi l’envie d’en voir et d’en savoir plus. De surcroît, le titre profite d’une bande originale réinterprétée, réorchestrée, sublimant la nostalgie inspirée par des musiques qui ont participé à faire grandir la légende autrefois. On pourrait aisément lui reprocher de donner une place parfois trop importante à la musique, celle-ci ne s’interrompant que trop rarement, recouvrant même parfois certains dialogues, mais difficile de ne pas se laisser charmer par la douceur des mélodies d’antan qui trouvent là une seconde jeunesse, dont la magie est intacte.

Cloud et sa grosse épée

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Pour l’essentiel, le système de combat de Rebirth est calqué sur celui de Remake. Encore une fois, on joue au maximum trois personnages durant les combats, avec de nombreuses séquences où ceux-ci sont imposés (selon l’évolution de l’histoire ou les membres qui se séparent pour explorer des lieux différents), dans des combats en temps réel « dans l’esprit » du jeu au tour par tour à base d’ATB du jeu original. L’ATB, ou Active Time Battle, est un système dynamique où plutôt que de limiter les tours de chaque personnage à un ordre défini arbitrairement comme c’était la tradition dans les J-RPG d’antan, leurs tours dépendent d’une barre ATB qui se remplit plus ou moins vite selon plusieurs facteurs. Depuis le Remake, cette barre se remplit essentiellement en frappant les ennemis avec des attaques de base, obligeant à jouer offensif. Si je parle d’un mélange entre des combats en temps réel et « l’esprit » de l’ATB, c’est parce que la gestion de cette barre est primordiale pour aborder les combats, y compris ceux contre les ennemis les plus quelconques. Les compétences, sorts, objets, compétences synchronisées (coups spéciaux à deux personnages), la transcendance (coup ultime) ou encore les invocations sont en effet dépendantes de barres d’ATB qui permettent de les déclencher, en dehors desquels il faut se contenter d’attaques simples ou chargées qui font assez peu de dégâts et servent plutôt à faire grimper les barres de fragilité et de choc des ennemis. Le mauvais point, plutôt frustrant, c’est que les personnages contrôlés par l’IA n’augmentent que très peu leurs barres ATB. Il faut ainsi constamment passer d’un personnage à l’autre pour augmenter tout le monde et pouvoir déclencher les bonnes attaques au bon moment afin d’agir sur les faiblesse de l’ennemi. Heureusement, le gameplay est plutôt bien taillé et il est très facile de changer de personnage, ou même de déclencher les compétences des autres sans les incarner directement.

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Car l’autre subtilité est là, même si elle est désormais plus classique : gérer la fragilité, c’est-à-dire l’exposition de l’ennemi à des coups et sorts qui lui sont faibles, de façon à rapidement faire monter la barre liée et déclencher une séquence de choc, où l’ennemi ne peut plus bouger et n’a plus aucune défense physique. Classique, car tous les J-RPG de notre époque jouent sur ce type de mécanique, que l’on désigne habituellement derrière le « stagger » et qui permet a minima de forcer l’utilisation d’un large éventail de compétences, et de personnages, selon les faiblesses adverses. Des fragilités exposées par une « analyse » bien placée, la compétence primordiale pour s’en sortir et dévoiler un tableau bienvenue qui synthétise les forces et faiblesses de l’ennemi. Pour la déclencher, il faut équiper la matéria associée, l’autre élément fondateur du système de FF VII. Les matérias sont des sortes de sphères trouvées au hasard dans le monde ouvert, en gagnant certains combats ou en les achetant dans divers boutiques. Équipées sur les armes et les accessoires, ces matérias confèrent des compétences et sorts, ainsi que des bonus passifs, qui permettent de tailler les personnages à notre mesure. Certain·e·s préfèreront compter sur des matérias qui permettent de jeter des sorts à distance, d’autres renforcer leur force, tandis que si on veut vraiment se faciliter la vie, on n’hésitera pas à accumuler les matérias ayant une influence positive sur les barres ATB afin d’augmenter leur vitesse de récupération, puisqu’elles sont indispensables en toutes circonstances. Dans l’ensemble, le système de combat et de matérias fait la même chose que le Remake, mais y apporte quelques améliorations ici et là. Notamment un arbre de compétences à débloquer, qui permet de faire évoluer les personnages comme bon nous semble (à la différence de Remake), dans ce qui ressemble beaucoup au « sphérier » de Final Fantasy X.

Quel voyage. Pour être parfaitement honnête, Final Fantasy VII est probablement l’un des épisodes de la saga que j’aime le moins, mais Final Fantasy VII Rebirth réussit là où l’original m’a laissé en plan. Contrairement à l’épisode Remake qui n’arrivait pas complètement à se détacher d’une aventure trop consciente de son statut d’œuvre culte, Rebirth lâche les chevaux et se laisse aller aux expérimentations, à une réinvention de son propre univers et à une interprétation qui n’a pas peur d’interroger sa nostalgie. Avec une écriture plus fine, le jeu offre des personnalités plus affirmées à ses personnages, laisse à chacun et chacune d’entre elles le temps d’exister. Quant à son monde, il est sublime, étonnant, multiplie les surprises et offre une aventure hors du commun. Le jeu a ses défauts comme évoqué dans ce test, une poignée d’errements qui peuvent entacher le plaisir de certaines séquences, la faute à des mécaniques d’exploration en particulier qui ne se donnent pas les moyens de leurs ambitions. Néanmoins, réécrire Final Fantasy VII et ses scènes les plus marquantes était un chantier compliqué, presque un bourbier duquel il était difficile de s’extraire, un défi dont l’équipe en charge du jeu sort haut la main, avec une émotion vive et un final d’une intelligence qui rend un bel hommage à l’œuvre qu’il réécrit. En attendant l’ultime conclusion dans le dernier épisode de la trilogie, un jour.

  • Final Fantasy VII Rebirth est sorti le 29 février 2024 en exclusivité sur PlayStation 5.
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