Chaque nouvelle fournée de comics DC Infinite, publiés depuis le début de l’année en VF aux éditions Urban Comics, est l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la nouvelle ère DC qui tente de faire la part belle à l’inventivité de ses auteur·ice·s en évitant, contrairement aux ères précédentes, de les forcer à suivre une continuité commune. Cela permet d’imaginer des récits sur des temporalités différentes, dont Swamp Thing Infinite et Wonder Woman Infinite, les deux titres du mois de mai, profitent largement. 

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Swamp Thing Infinite – Tome 1, mythologie horrifique

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Swamp Thing Infinite s’ouvre sur les numéros Future State : Swamp Thing où l’auteur Ram V imagine un futur lointain, où la nature a repris ses droits, provoquant la disparition de l’humanité. Un monde devenu hostile à toute forme de vie humaine, où la créature du marais erre inlassablement à la recherche d’une certaine humanité, épaulée par des êtres qu’elle a créé à son image. Des numéros très surprenants pour une licence qui n’a jamais, ou rarement, imaginé la créature du marais dans l’avenir. Souvent ancré à notre époque ou dans le passé, le personnage que Alan Moore a popularisé en son temps se révèle là sous un jour différent. Le jeune Ram V, auteur bourré de talent, l’imagine toujours attaché à sa propre humanité, jusqu’à un ultime sacrifice pour sauver ce qu’il reste d’humain sur Terre. Cette histoire en deux numéros donnait le ton de la reprise du personnage par Ram V, décidant de faire table rase du personnage tel qu’il a existé pour donner vie à un autre. Ce nouveau personnage est Levi Kamei, un scientifique d’origine indienne (comme son auteur) qui devient la créature du marais dans la série principale Swamp Thing, dont on trouve dix numéros dans ce premier tome dense et généreux. Ne comprenant pas au départ ce qu’il lui arrive et ce que signifie être l’hôte de la créature, Levi se retrouve propulsé dans des situations horrifiques, du désert de l’Arizona où il fait la rencontre d’un monstre errant qui assassine et mutile les promeneurs, à la jungle et aux marécages du Kaziranga dans le nord de l’Inde où il renoue malgré lui avec ses racines. On sent sous la plume de l’auteur une envie d’influencer la mythologie Swamp Thing d’une pointe de culture indienne, accompagné d’un mysticisme et de créatures légendaires qui rappellent énormément ce qu’il a fait en indépendant sur l’incroyable These Savage Shores.

Son histoire sur la créature du marais trouve en effet écho dans ses origines, en y abordant un combat contre le colonialisme que son héros a manqué, alors qu’il a malgré lui aidé une corporation à détruire sa famille et sa ville d’origine au nom d’un « progrès » qui cachait le piétinement de sa culture. Cet élément devient la source de ses cauchemars et, par conséquent, du tourment qui le transforme en créature du marais, condamné à être cette incarnation d’un monstre qui abandonne partiellement son humanité. La mise en scène de ces thématiques est parfaitement réussie par Mike Perkins qui utilise à bon escient les idées distillées par Ram V pour livrer de nombreuses planches au ton horrifique. D’abord sur les deux numéros Future State : Swamp Thing où la peur se cache dans une nature devenue oppressante, puis dans la série principale Swamp Thing où l’horreur se cache dans des cauchemars qui façonnent la nouvelle personnalité de Levi, aussi bien hôte qu’otage de la créature du marais qu’il incarne. C’est, dans l’ensemble, un comics assez fantastique où Ram V confirme encore et encore qu’il est l’une des plus belles plumes de cette nouvelle génération d’auteur·ice·s que DC tente de mettre en avant. Swamp Thing est un univers absolument parfait pour lui, il parvient à réinventer la mythologie sans pour autant effacer ce qu’il s’est passé avant, faisant même un bel hommage au personnage d’Alec Holland, celui qui a longtemps été cette créature.

Wonder Woman Infinite – Tome 2, renaissance d’un symbole

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Quant à Wonder Woman Infinite, pour ce deuxième tome, Becky Cloonan et Michael W. Conrad abordent le mythe Wonder Woman sous un angle plus classique. Après l’excellent premier tome qui racontait l’odyssée de Diana, qui s’est sacrifiée à la fin des événements de l’évènement Death Metal pour sauver le monde, le duo d’auteur·ice·s imaginent le retour de Diana après avoir gagné sa chance de retrouver la vie. Traverser l’Olympe, Asgard et défier les Dieux lui ont en effet permis de retrouver sa vie, provoquant la joie des Terrien·ne·s qui voient là l’espoir renaître. Car plus que cette quête, le comics raconte le symbole que représente Wonder Woman, un symbole qui incarne à la fois l’espoir pour l’avenir, mais aussi la paix. Des valeurs qui fondent le personnage (et que certain·e·s au cinéma oublient facilement) et que se réapproprient Cloonan et Conrad pour appuyer sur cette stature tout à fait à part du personnage au sein de l’univers DC. On voit par exemple Batman et Superman célébrer son retour, étant eux-mêmes conscients de ce qu’elle incarne et de son importance dans un rôle qu’ils ne pourraient jamais incarner. Le tome s’ouvre d’ailleurs sur un très beau chapitre de l’anthologie Wonder Woman 80th Anniversary où Steve Trevor, suite à la mort de Diana, réalise un hommage à l’amour de sa vie. L’occasion d’aborder l’importance du personnage au sein de l’univers DC, et de multiplier les scènes « souvenirs » où Steve Trevor se remémore quelques moments où Diana est devenue l’icône de paix qu’elle était.

Et puis ce deuxième tome finit par revenir sur quelque chose de plus classique, comme je le disais précédemment, avec une opposition à Doctor Psycho (Edgar Cizko) qui tente d’éliminer Wonder Woman au moment où elle revient de la mort, sans lui laisser aucun répit. Et ce avec des scènes et une histoire qui remet l’héroïne dans un quotidien bien connu où elle défend les innocent·e·s face aux multiples assauts de Cizko. Et c’est peut-être pas plus mal, car après les événements du premier tome il y a encore beaucoup de choses à digérer, et il est certainement nécessaire de remettre le personnage dans la réalité après son épopée mythologique. On perd toutefois les qualités visuelles du premier tome, car si ce second reste tout à fait honnête, le premier multipliait les styles visuels, souvent très efficaces. Là il y a moins de folie, moins d’originalité, moins d’inventivité. Il y a toutefois une belle réussite à mettre en valeur le personnage de Diana et lui donner une stature d’icône, dans de très nombreuses planches où elle est considérablement mise en valeur grâce à une composition qui se focalise sur elle plutôt que sur les personnages secondaires, souvent dispensables, ou les décors, qui ne sont que des excuses pour faire briller l’héroïne dans des situations très différentes. C’est pas la meilleure chose que l’on ait lu de Wonder Woman, mais ce tome a le mérite de donner envie de voir où les comics de l’ère Infinite vont aller dans ce retour à la réalité pour Diana.  

  • Swamp Thing Infinite T.1 et Wonder Woman Infinite T.2 sont disponibles en librairie depuis le 20 mai 2022.
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Dès son annonce en 2018, Eastward avait tapé très fort. Son premier trailer révélait plusieurs éléments des plus alléchants, à commencer par des visuels impressionnants, portés par un pixel art foisonnant de détails. Le jeu était par ailleurs annoncé par Chucklefish en tant qu’éditeur, une boite à la renommée particulièrement solide (qui avait déjà à l’époque dans son catalogue des jeux comme Starbound et Stardew Valley). Tout s’annonçait sous les meilleures auspices, et c’est trois ans plus tard, en septembre 2021 qu’Eastward est finalement sorti, sur Switch, PC et Mac. Le jeu a rencontré un éloquent succès critique et populaire, qui lui a offert au mois de mai 2022 une sortie physique. Il était temps pour moi de me lancer enfin dans cette aventure, qui m’attirait beaucoup, et, je peux maintenant le dire, à raison.

Cette chronique a été rédigée à partir d’une version dématérialisée du jeu pour Nintendo Switch, fournie par Just For Games, le distributeur de la version physique.

Wake Up John

© Pixpil – © Chucklefish

John, grand bonhomme taciturne entre deux âges, est mineur à l’île Cocotte. Une ville souterraine, à l’abri de tout, surtout du monde extérieur. Car ce qu’on raconte sur le dehors est franchement lugubre : On parle d’un monde à l’agonie, régulièrement victime de vagues mortelles de ce qu’on nomme le MIASME (en majuscules dans le texte). A l’île Cocotte, les hommes travaillent à la mine, afin de trouver des métaux et autres composants électroniques, qu’ils échangent contre leur pain quotidien. Un jour, alors qu’il chute dans une galerie inexplorée, John tombe sur un mystérieux réceptacle, dans lequel une enfant aux longs cheveux blancs semble reposer en stase. Une fois sortie de son cocon, la jeune fille, qui sera prénommée Sam, sera adoptée par John, et rejoindra la vie de l’île Cocotte. Voilà en quelque sorte comment débute l’histoire du jeu, et cela n’est que le point de départ d’une aventure qui va nous emmener loin, bien plus loin que John et Sam n’auraient pu l’imaginer.

Car s’il ne fallait retenir qu’un mot pour définir Eastward, « Aventure » serait sans doute le meilleur choix. Avec son héros et son héroïne, les joueurs et joueuses vont prendre part à un périple à la saveur très particulière, toujours plus loin vers l’est (comme le nom du jeu l’indique). Et si la proposition se révèle mémorable, c’est surtout pour sa direction artistique et ses parti-pris narratifs.

Au pixel près

© Pixpil – © Chucklefish

Ce qui a attiré l’œil du grand public dès le départ est sans surprise devenu l’une des plus grandes forces du jeu. Pour quiconque un tant soit peu sensible au pixel art, l’esthétique d’Eastward se révèle simplement inoubliable. Une impressionnante maîtrise technique, une somme indécente d’heures de travail et un amour sans borne pour cette discipline ont permis aux artistes de Pixpil de pondre ce qui est sans doute l’un des jeux les aboutis en pixel art « traditionnel ». J’oppose ici le style d’Eastward à celui proposé dans tous les jeux qui revendiquent l’étiquette « 2DHD » dont les représentants les plus connus pourraient être Octopath Traveler et plus récemment Triangle Strategy. Alors que ces dernier offrent un mix entre éléments 2D, 3D et effets visuels, Eastward se positionne sur un créneau plus pointu, plus « puriste » pourrait-on dire, qui s’inscrit plutôt dans la droite ligne de ce que proposait Owlboy en son temps. Un pixel art qui ne fait aucun compromis sur la taille de ses sprites, qui restent tous à la même échelle, tandis qu’on parle de « Mixel » dans les jeux 2DHD, qui offrent des sprites d’échelle variable selon qu’il s’agisse des personnages ou des décors. Esthétiquement, le jugement appartient à qui le formule, et je me garderai bien de hiérarchiser les approches. Mais techniquement, tandis que la formule 2DHD, de par les optimisations qu’elle permet, répond mieux aux critères de productivité inhérente à l’industrie vidéoludique, l’approche retenue par le studio Pixpil s’apparente plutôt à un travail d’orfèvre. A l’ouvrage d’un artisan minutieux qui préfère bosser à l’ancienne. En cela j’ai tendance à être plus touché par cette vision, qui est au surplus portée dans Eastward à un niveau de détail proprement ébouriffant, et qui participe d’autant plus à donner vie aux différents lieux qui seront parcourus tout au long du jeu.

Cette idée de rendre les environnements vivants est au cœur de la narration d’Eastward. Et plus encore, je dirais que la volonté du studio était sans doute de développer la vie en leur sein. Car ce qui m’a profondément marqué dans la manière dont le jeu mène sa barque, c’est à quel point chacun de ses personnages non-jouables se voit doté de sa propre existence. Mais pour pouvoir aborder convenablement ce point, je dois d’abord vous parler de la structure du jeu.

Au rythme de la vraie vie

© Pixpil – © Chucklefish

Alors que je m’attendais initialement à un jeu d’aventure Zelda-like, où l’exploration tiendrait la dragée haute à tout le reste, Eastward m’a gratifié d’une allure beaucoup plus posée, très souvent axée autour des dialogues avec les différents personnages qui peuplent les lieux que nous serons amené.es à visiter. Dans Eastward, on prend son temps, vraiment. Tout au long des six tableaux (répartis sur huit chapitres) qui constituent les grandes parties du jeu, la structure sera la suivante : arrivée dans un lieu habité, réalisation de diverses activités et quêtes dans et autour de ce lieu faisant avancer l’histoire de ses personnages, un élément majeur venant faire progresser l’intrigue de fond, puis passage au tableau suivant. La partie la plus fournie de cette boucle de gameplay est bien souvent la deuxième, et celle-ci est divisée en plusieurs journées. C’est là que la narration d’Eastward prend tout son sens. Car alors qu’il serait aisé de foncer à l’objectif du jour dès le réveil de John, le jeu va plutôt récompenser les joueurs et joueuses qui se perdront dans les champs de Vertecolline ou les rues de Barrageville, en leur permettant de découvrir des personnages qui, d’un jour à l’autre ne seront pas à la même place, raconteront des choses différentes, voire interagiront entre eux, comme si, avec ou sans vous, leur quotidien se déroulait inéluctablement. Ceci alors qu’aucune ligne de texte prononcée par un PNJ n’est véritablement inintéressante. Toutes les paroles prononcées caractérisent les personnages, leur donnent de l’épaisseur. Quand bien même on ne les croise que quelques fois, ils en deviennent mémorables. On se souvient de tous à la simple évocation de leur nom. Une absolue prouesse alors que leur nombre avoisine probablement la centaine.

C’est probablement cet aspect du jeu qui m’a le plus impressionné. Le monde d’Eastward est vivant. Il se meut au rythme de chacune et chacun de ses habitant.es. Il arrive à nous faire ressentir le sentiment de faire partie d’une famille dans chaque lieu que l’on visite, et de quitter les siens lorsque l’on doit se mettre en route pour la destination suivante. Rien que pour ça le jeu en vaut la chandelle, car il fait partie d’une catégorie très rare d’expériences narratives. Mais Eastward n’est pas non plus que narratif. C’est un jeu d’aventure. Et qui dit aventure, dit tout de même exploration et combat, des aspects qu’il nous faut également aborder.

Un gameplay au poêle

(Cette blague a probablement été faite dans 90% des critiques sur Eastward, pardon)

Le cœur des moments « action-exploration-aventure » d’Eastward, repose sur la traversée de niveaux fermés, dans lesquels s’alterneront combats et résolution de puzzles. Le système de combat du jeu, comme ses énigmes, reposent sur la complémentarité entre John et Sam. Le premier, bonhomme costaud et bien charpenté, est chargé d’infliger des dégâts, à l’aide de son arme signature, une superbe poêle au potentiel grandiose, ou de quelques autres, que l’on obtiendra au fil de notre progression. La seconde, dépourvue de force physique mais dotée de mystérieux pouvoirs, va être de son côté capable d’immobiliser les ennemis, pour interrompre leurs attaques et les rendre vulnérables aux attaques de John. Ce système n’est ni révolutionnaire ni particulièrement profond, mais il fait le travail. Même si j’ai volontiers regretté l’absence d’un système d’esquive, qui aurait sans doute rendu le tout un peu plus intéressant. Le bestiaire est très varié, mais la manière de les vaincre change bien peu au fil des niveaux. Ce qui fait que les ennemis sont moins de véritables défis à surmonter que de petits obstacles à éliminer pour poursuivre notre chemin. Ce ressenti pourrait également être appliqué aux différents puzzles qui nous sont proposés au fil des différents « donjons ». Le fait de jouer à la fois John et Sam, et d’exploiter leurs différentes capacités afin de parvenir à la solution est un mécanisme assez efficace pour nous faire apprécier la progression dans les niveaux. Toutefois, la formule ne constitue jamais vraiment un challenge ou une proposition assez inventive pour qu’on s’en souvienne comme on se souvient des personnages ou des  environnements. En un mot comme en cent, le gameplay d’Eastward est propre, et vient soutenir sa proposition. On ne lui en demande pas vraiment plus, et il ne nous en donnera pas moins. Mention spéciale tout de même à quelques combats de boss, qui même s’il n’ont à nouveau rien de transcendant, font preuve de tous les éléments qu’on est en droit d’attendre de tels moments de jeu.

© Pixpil – © Chucklefish

Mais c’est bel et bien la narration, directe ou environnementale, qui donne à Eastward toute sa personalité. L’histoire du jeu est à ce titre particulièrement intéressante. En ce qu’elle prend le parti de ne pas tout nous dire, et de tout faire passer par les évènements prenant place autour de John. Car ce personnage est muet (on ne sait d’ailleurs jamais s’il s’agit d’un choix narratif, comme Link qui reste muet dans The Legend of Zelda, ou si le personnage de John lui-même est mutique). Les lieux visités et les interactions entre les personnages fourmillent de narration indirecte qui nous renseigne sur la temporalité dans laquelle nous nous trouvons, ou sur l’état du monde, mais en laisse assez sous le tapis pour nous laisser interpréter ce que nous voyons, nous laisser nous faire notre propre idée de qui sont ces personnages, et faire des parallèles entre le monde qui nous est dépeint et notre réalité. En bref Eastward nous raconte une histoire, un monde, mais nous laisse également nous l’approprier, le ressentir, et le vivre.

J’allais passer à la conclusion, mais je me rends compte que j’allais oublier de parler d’Earthborn. Comment j’ai failli ne pas parler d’Earthborn !

Né de la terre

© Pixpil – © Chucklefish

Dans chacune des zones habitées que nous traverserons au fil du jeu, un curieux jeu vidéo sera toujours laissé en accès libre. Il s’agit d’Earthborn, un véritable jeu dans le jeu, qui aurait carrément pu se suffire à lui même tant il est renversant d’efficacité. En apparence, Earthborn est un vibrant hommage aux premiers J-RPG, à travers son enrobage délicieusement rétro et le design de son personnage principal, qui copie carrément le héros de Dragon Quest III (jeu qui date de 1988 on le rappelle). Mais dès la première partie, Earthborn twiste allègrement ce à quoi on pouvait s’attendre. D’abord parce qu’il se révèle être en réalité un rogue-like, dans lequel le roi démon doit être vaincu la septième nuit après le début du jeu. Durant le temps imparti avant le fatidique face à face, charge au héros de recruter des compagnons, d’accumuler argent et expérience en vainquant un maximum de monstres, et d’acheter le meilleur équipement possible à la boutique. Le concept est limpide, mais loin d’être anecdotique. Alors que les premières tentatives nous permettent d’acquérir les bases de la compréhension du jeu, d’activer les différents points de téléportation et de récupérer les différents personnages qui composeront notre équipe, les runs suivantes vont mettre en lumière toute la difficulté du combat final, dont découle la nécessité d’aller creuser dans les mécaniques du jeu, afin d’optimiser au maximum ses actions durant les six premiers jours, et arriver face au roi démon dans les meilleures conditions. C’est alors qu’Earthborn devient frénétiquement addictif, car chaque partie devient une course contre la montre, dont certaines facettes générées aléatoirement vont nous pousser à l’adaptation. Cinq personnages sur sept disposent en effet de trois classes différentes, qui vont changer le pool de sorts et de compétences que chacun pourra utiliser, tandis que le contenu de la boutique, même s’il est rafraîchi chaque fois que le jour se lève, proposera des items aléatoires parmi tous ceux que comporte le jeu. Ainsi la connaissance de chaque classe (3 classes fois 5 personnages, plus les deux personnages restants) de chaque objet (des accessoires influant sur les différentes statistiques ou proposant des effets spécifiques qui réalisent des combos salvateurs lorsqu’on les combine aux bonnes classes), de chaque emplacement de monstre devient déterminante. Et alors que l’on arrive finalement à vaincre l’ignoble roi démon, Earthborn se fait un plaisir de vous révéler que votre quête est loin d’être terminée…

Heureusement dans votre quête vous pourrez vous aider des pixballs. Des jouets physiques donnant droit lorsqu’on les scanne à des objets bonus dans le jeu (Comment ? Des Amii-quoi vous dites ?). Au fil de l’exploration d’Eastward, certains coffres contiendront des jetons qui vous permettront d’acquérir ces aides salvatrices, voire carrément indispensables si vous voulez voir la vraie fin d’Earthborn. Un véritable défi (je pèse mes mots), qui m’a en réalité apporté tout le challenge que je n’ai pas retrouvé dans Eastward lui-même (d’ailleurs ce n’est pas vraiment son propos), et à contribué à faire de mon expérience de jeu quelque chose de particulièrement satisfaisant pour mon côté tryharder. Et puis cela rajoute quand même bien dix heures de jeu supplémentaires, c’est pas rien.

Je n’ai pas parlé de certains autres systèmes, comme celui de la cuisine, qui permet de régénérer sa vie et d’augmenter temporairement ses statistiques, ou de la superbe bande son composée par Joel Corelitz, mais il faut bien que je vous laisse encore deux trois trucs à découvrir. Car si j’ai bien un souhait alors que je termine ce si long article, c’est celui que vous alliez jouer à Eastward. Parce que ce jeu, même s’il n’est pas révolutionnaire sur tous les plans, fait tout ce qu’il fait avec une générosité et une sincérité extraordinaires. Parce qu’il atteint par ailleurs des sommets dans la manière dont il donne vie à son univers, nous donnant presque envie de s’y installer, malgré le MIASME. Parce que John et Sam sont désarmants d’humanité, et parce que leur histoire vaut tout simplement la peine d’être vécue.

  • Eastward est disponible sur Nintendo Switch, PC et Mac

PS : Durant le premier chapitre du jeu, pensez bien à acheter un maximum de pommes de terre jour après jour à la boutique de l’île Cocotte. Il n’y en aura plus après. Pensez à moi quand vous cuisinerez des frites. Je n’ai jamais pu cuisiner de frites .

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Il y a plus d’un an déjà, je vous parlais de The Plot Tome 1, sous-titré 1974. Un récit qui m’avait tellement marqué, que je me sentais hanté par certains passages, tout en restant intrigué et admiratif de cette histoire. Loin des clichés de tout ce que l’on peut lire et voir ces dernières années dans le domaine de l’horreur. J’étais par ailleurs très enthousiaste d’apprendre que ce comics était réfléchi pour se dérouler sur deux tomes. Mais quid de ce deuxième et dernier tome ? Les révélations sont-elles à la hauteur des promesses du premier volume ? La famille Blane a-t-elle des choses à se reprocher, et si oui, pourquoi ? Et surtout comment les protagonistes vont-ils réussir à s’échapper de cette maison qui leur veut tant de mal ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

L’art de perdre son lectorat

© Hi Comics 2022 – © Daniel, Moreci, Hixson

Tout comme le premier tome, The Plot tome 2, sous-titré 1674, pousse le·a lecteur·rice dans ses retranchements. Tout est extrêmement confus, non pas que ce soit mal écrit, mais tout est fait pour que nous ressentions un malaise constant lors de la lecture. C’est un travail assez compliqué à mettre en place tant cela peut être périlleux, mais les scénaristes Tim Daniel & Michael Moreci, ainsi que le dessinateur Joshua Hixson, ont tout mis en œuvre pour rendre l’ensemble compréhensible. Malgré ça, on en ressort assez bousculé. D’une case à l’autre, on peut passer du présent au passé, sans pour autant bien comprendre ce qu’il se passe. Pour m’aider à comprendre tous ces allers-retours, j’ai émis l’hypothèse qu’il s’agit surtout d’hallucinations, ce qui expliquerait tout. Mais ce ne sont que des suppositions, qui restent pour le moins le plus probables.

Derrière toute cette mise en scène horrifique, les hommages à des œuvres intemporelles sont légions. À commencer par la créature, qui fait irrémédiablement penser à la créature de Swamp Thing, mais aussi et surtout son histoire, qui me semblait loin d’être cliché dans le premier tome, mais qui s’avère finalement « déjà-vu ».

Les vestiges du passés

Alors oui, tout pouvait supposer à un passé sombre pour la famille Blane lors de la lecture du premier tome, et l’explication de tout ce malheur est apporté dès le début du second tome… Et quelle déception. C’est un ramassis de clichés, plus éculés les uns que les autres. On commence avec la problématique d’un père qui veut protéger sa fille et son village à tout prix, pour se faire, il va faire une offrande à la créature habitant les lieux, pour retrouver abondance et préserver sa fille d’un mariage qu’il n’aurait pas accepté. Pour couronner le tout, et surtout pour que la famille Blane puisse continuer à prospérer, ces offrandes doivent continuer à être faites à chaque génération de la famille, pour leur apporter tout ce dont ils ont besoin. Alors forcément, si un sacrifice n’est pas commis, la créature viendra chercher son dû et tuera le descendant Blane qui n’a pas répondu à l’appel.

C’est tellement dommage venant d’une œuvre qui partait aussi bien, que ce soit en terme de mise en scène que d’histoire, qu’elle vienne s’embourber dans de tels clichés. Fort heureusement pour le lectorat, le récit reste suffisamment bien écrit pour être divertissant et agréable à suivre.

Malgré ces quelques bons côtés, je reste un peu sur ma faim. The Plot avait tout un potentiel à explorer, pour nous apporter une nouvelle histoire intrigante et intéressante, notamment grâce à la mise en scène. Pour autant, tout reste finalement très classique. Cependant tout n’est pas à jeter non plus, ne serait-ce que le malaise que l’on peut ressentir en parcourant les pages de ce comics; ou encore la rapidité avec laquelle nous sommes poussés dans cette histoire, ce qui permet de ne pas ressentir d’ennui à aucun moment.

© Hi Comics 2022 – © Daniel, Moreci, Hixson

  • Les deux tomes de The Plot, édité par Hi Comics, sont disponibles depuis le 18 mai en librairie.
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De tous les profils de personnages arpentant le paysage de la pop culture, la figure du mentor ou du professeur est non seulement très présente, mais me touche particulièrement. C’est pourquoi j’ai souhaité effectuer un voyage à travers les grand et petit écrans afin de prélever un échantillon des enseignant(e)s les plus marquant(e)s de la pop culture. Pour mieux resserrer la réflexion, j’ai privilégié des films et séries où – sauf exceptions – il est réellement question d’éducateurs plutôt que de mentors au sens large du terme. Que l’on se rassure, il n’est pas dans mes intentions de proposer une analyse détaillée du film Les Profs, mais plutôt d’observer comment est représentée la figure de l’éducateur, dans l’imaginaire collectif. Il s’agit parfois d’une vision manichéenne – à l’image de celle des élèves les plus jeunes – dans laquelle le professeur est une personnalité adulée ou, au contraire, détestée. Il arrive qu’on perde de vue que l’éducateur n’est qu’un humain comme les autres qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est dépendant de la relation entretenue avec ses élèves. J’ai l’honneur d’accueillir, dans cet article, une majorité des membres de l’équipe de Pod’Culture, qui se sont prêtés au jeu en élisant un professeur ou mentor les ayant marqués. Il va de soi que je vous réserve mes propres poulains pour la fin. Ici, aucune sonnerie ne retentit, mais je gage qu’il est temps de mettre fin à la pause café et de commencer le cours.

I – Ces profs héroïques et sublimés

Dans la pop culture, la vision des enseignants et mentors peut être manichéenne. Il peut s’agir de paresse scénaristique, mais aussi d’enjeux narratifs voir d’une envie de refléter la vision elle-même manichéenne des enfants les plus jeunes. Qui, parmi nous, n’a jamais été touché(e) par un professeur, au point de s’en souvenir toute sa vie, ou qui n’a jamais élu son pire prof ? Ces profs sublimés et exemplaires sont assez nombreux dans la pop culture, et, très naturellement, leurs caractéristiques évoluent au fil du temps.

Les Choristes : la figure paternelle

Kad Merad, François Berléand et Gérard Jugnot © Les Choristes

L’intrigue des Choristes (2004) se déroule en 1949, à une époque où les punitions humiliantes et corporelles sont encore d’usage. Rachin, le directeur interprété par François Berléand, n’hésite pas à y avoir recours. Lorsqu’il devient surveillant, Clément Mathieu (Gérard Jugnot) est confronté à l’insolence des jeunes garçons du pensionnat. Il choisit pourtant de faire preuve d’humour et de gentillesse pour asseoir son autorité. Par-dessus tout, il parvient à gagner la confiance des enfants en leur offrant une échappatoire : la musique. Le chef de chorale s’investit tant pour ses élèves qu’il devient une figure paternelle de substitution. Ce sera d’ailleurs particulièrement le cas pour l’un d’entre eux, à la fin du film.


Le Cercle des poètes disparus : l’avant-gardiste

Robin Williams © Le cercle des poètes disparus

C’est dix ans plus tard, en 59, que se déroule l’intrigue du Cercle des Poètes disparus (1989). On ne présente plus le long-métrage de Peter Weir dans lequel John Keating (Robin Williams), utilise des méthodes qualifiées de peu « orthodoxes » par le lycée où il enseigne. Le professeur encourage ses élèves à profiter du jour présent et à faire preuve d’individualisme plutôt que de simplement répondre aux attentes de leurs parents ou de l’institution. Cet enseignant quelque peu dissident et avant-gardiste marquera non seulement l’esprit de ses élèves, mais aussi celui du septième art.


Écrire pour exister : la prof militante

Hilary Swank et Mario © Ecrire pour exister

En 1992, quatre policiers blancs passent à tabac un automobiliste noir, à Los Angeles. Des émeutes ont alors lieu en ville, pendant presque une semaine. C’est dans ce contexte que débute l’intrigue d’Ecrire pour exister (2007). Dans ce film inspiré d’une histoire vraie, Hilary Swank incarne Erin Gruwell. Cette professeure d’anglais déterminée postula dans un lycée réputé difficile de Los Angeles. Les élèves, coutumiers du racisme ambiant, ont tous perdu plusieurs amis à cause de la guerre des gangs. En dépit de ce climat peu favorable à la transmission du savoir, Erin Gruwell parviendra à les toucher en leur faisant étudier la seconde guerre mondiale, mais aussi en les invitant à s’exprimer et à reconquérir de l’amour propre. La jeune enseignante ira même jusqu’à assurer un deuxième job, le week-end, afin de pouvoir payer des sorties scolaires à ses élèves. Cette professeure, totalement investie, attira l’hostilité de ses collègues mais aussi et surtout de la directrice du lycée. Certains enseignants sont si exemplaires qu’on peine à croire qu’ils puissent exister. C’est pourtant le cas d’Erin Gruwell. J’en profite pour remarquer que cet article dispose de peu d’exemples féminins. J’ignore si c’est parce que j’en manque personnellement ou si cela reflète le panorama de la pop culture, où la figure du mentor est souvent occupée par un homme. C’est un comble quand on sait que, (par exemple en France), bien plus de la moitié des postes de l’éducation nationale sont assurés par des femmes…


II – Ces profs détestés

Qui dit profs adulés, dit profs détestés. Les films et séries ne sont pas avares non plus en terme de représentations d’éducateurs tous plus haïs les uns que les autres.

Battle Royale : le tortionnaire

Takeshi Kitano © Battle Royale

Pour évoquer l’exemple le plus radical, sans doute faut-il se tourner du côté de la dystopie. Battle Royale (2002) est un film d’anticipation se déroulant dans un pays d’extrême orient. Pour contrecarrer la rébellion et la délinquance des jeunes gens, le gouvernement met en place la loi martiale ainsi que le jeu de survie Battle Royale. Une classe de terminale est sélectionnée, au hasard, tous les ans… pour s’entre-tuer. Et leur professeur, incarné par Takeshi Kitano n’hésite pas à mettre la main à la pâte. Battle Royale imagine une société où les aînés ont perdu toute confiance envers la génération suivante, et où les plus jeunes n’ont aucun espoir de se construire un avenir meilleur. Il s’agit de l’échec le plus total de l’éducation. Puisqu’on parle de régime totalitaire, cela m’amène à penser à des rubans roses et des chatons tout mignons. Cette association d’idée vous surprend ? Vous n’allez pas tarder à comprendre.


Harry Potter : l’inquisitrice

Imelda Staunton © Harry Potter

La saga Harry Potter met en scène une panoplie hétéroclite de professeurs. Si certains sont exemplaires, comme Remus Lupin ou Minerva McGonagall, d’autres sont si affreux qu’ils n’auraient pas à rougir face à leur autrice dont on ne doit plus prononcer le nom. Elle a beau porter du rose bonbon, parler d’une voix doucereuse et esquisser des sourires affables, Dolores Ombrage, incarnée par la brillante Imelda Staunton, est probablement ce qui se fait de pire, en matière d’éducation. Envoyée par le ministère de la magie, Ombrage enseigne la théorie, et non la pratique des défenses contre les forces du mal, afin de nier le retour du Seigneur des Ténèbres, mais aussi de ne pas faire des élèves de Poudlard des sorciers trop dangereux pour le ministère. Lorsqu’on la contredit, l’enseignante n’hésite pas à utiliser des châtiments corporels. Elle convoite par ailleurs le poste de directrice de Poudlard, afin de mettre en place un règlement de plus en plus restrictif, au point de priver les élèves de leurs libertés les plus fondamentales. Cerise sur le gâteau, la nouvelle directrice n’hésite pas à confier que, en réalité, elle déteste les enfants… Beaucoup d’autres professeurs sont de très mauvais pédagogues, à Poudlard, à commencer par le professeur Rogue, incarné par Alan Rickman. Non seulement le maître des potions est outrageusement strict, mais il n’hésite pas à favoriser les élèves de sa propre maison, dès qu’il en a l’opportunité. Pis encore, il fait de Harry son souffre-douleur à cause d’une vieille rancune. Bien que Rogue ait œuvré pour l’Ordre du Phénix et se soit finalement montré protecteur envers Harry, cela n’empêche pas qu’il ait totalement échoué dans son rôle de professeur. Le cas du professeur Dumbledore est également intéressant dans la mesure où Harry lui voue un véritable culte lorsqu’il est jeune. A partir de la cinquième année, le jeune sorcier commence à comprendre qu’il a idéalisé, à tort, le directeur de Poudlard, qui n’est pas exempt de défauts et dont il ne sait finalement pas grand chose.


Breaking Bad : le prof corruptible

Bryan Cranston et Aaron Paul © Breaking Bad

D’autres professeurs encore, ne sont pas si mauvais, mais sombrent tout de même du côté obscur. Je pourrais m’appesantir un instant sur l’univers Star Wars mais évoquons plutôt une série de Vince Gilligan sortie en 2008. Je pense à Breaking Bad. Walter White (Bryan Cranston) est un professeur de chimie banal jusqu’au jour où on lui diagnostique un cancer du poumon en phase terminale. Son espérance de vie n’excède pas deux ans. Walter décide alors de se lancer dans le trafic de méthamphétamine, afin d’assurer un avenir financier confortable à sa famille. Pour ce faire, il aura besoin de l’aide de l’un de ses anciens élèves : Jesse Pinkman (Aaron Paul) devenu un petit trafiquant. La série ne se passe pas du tout dans le milieu scolaire, mais la relation entre un professeur et son ancien élève est intéressante. Elle l’est d’autant plus que Walter sombre de plus en plus dans la corruption et le mal, au point de détruire la vie de Jesse, malgré ses efforts paradoxaux pour le protéger.


Bad Education : l’hypocrite

Hugh Jackman et Allison Janney © Bad Education

Des professeurs devenant des criminels, cela s’est déjà vu dans la réalité. Bad Education (2019) s’inspire de la vie de Frank Tassone. En 2002, celui-ci était le proviseur d’un lycée très réputé, aux États-Unis. Les résultats de ce lycée étaient tellement bons qu’ils favorisaient l’économie locale. Tassone était non seulement aimé des étudiants, qu’il rencontrait personnellement, mais aussi de la majorité des parents d’élèves. Il rejetait par ailleurs les avances de certaines mamans, prétendant être veuf. (En réalité, Frank Tassone avait un mari). Tout allait au mieux dans le meilleur des mondes possibles jusqu’au jour où l’on découvrit des irrégularités dans les finances du lycée. En tout, Frank Tassone a détourné plus de 11 millions de dollars. Mike Makowsky, le producteur et scénariste de Bad Education a lui-même étudié dans ce lycée et son point de vue est très intéressant : « Je sais que le film a été baptisé Bad Education. Mais ce n’est pas tout à fait juste à un certain égard. J’ai reçu une excellente éducation dans cette école. Et je crois que cela a quelque chose à voir, étrangement, avec cet homme, Frank Tassone, qui a recruté les professeurs que j’ai eus. C’est très étrange. Comment peut-on se soucier autant des élèves, de leur éducation, et consacrer sa vie et sa carrière à une profession aussi noble… et en même temps, être aussi odieux envers les élèves, la population locale, les contribuables ? J’espère que ce film permettra d’ouvrir le dialogue sur cette question. » Mike Makowsky remarque que le titre du film est inapproprié car, en dépit de cette escroquerie, Frank Tassone n’a jamais été un mauvais éducateur, bien au contraire. Il a néanmoins été une personne amorale, et les élèves se sont sentis trahis. 


Whiplash : le tyran perfectionniste

Miles Teller et J.K. Simmons © Whiplash

Les relations entre les professeurs et les élèves sont parfois un mélange de complicité et de haine, comme en témoigne le film Whiplash (2014) dans lequel J. K. Simmons incarne un professeur de musique. Andrew (Miles Teller) inspire à devenir un brillant batteur de jazz, mais son enseignant, Fletcher aura toujours des attentes de plus en plus inaccessibles. Alors, la recherche de l’excellence se mue peu à peu en harcèlement psychologique. Notre cher Reblys, qui a suggéré ce film, en parlera mieux que moi : « Parmi les professeurs qui m’ont marqué dans la fiction, outre Koro-Sensei et John Keating (magnifiquement incarné par Robin Williams dans le Cercle des Poètes disparus), il y a incontestablement Terence Fletcher. L’un des personnages centraux du film Whiplash de Damien Chazelle. Terence Fletcher est professeur de musique, plus spécifiquement de jazz, au conservatoire de Manhattan, et Whiplash raconte sa rencontre avec Andrew Neiman (incarné par Miles Teller), jeune batteur prometteur qu’il va prendre sous son aile. Quand bien même Andrew est le protagoniste du film, c’est Terence Fletcher qui reste en tête quand on en sort. Il s’agit d’un personnage très complexe, car il joue en permanence l’équilibriste sur la corde raide, entre l’exigence et la cruauté. Il nous fait nous questionner sur ce qu’est un bon ou un mauvais professeur. Il est d’un côté incontestablement violent, usant de pressions psychologiques, et parfois même d’humiliations pour pousser ses élèves dans leurs retranchements. Il est de l’autre absolument habité, passionné par la musique, et est en un sens aussi exigeant avec lui qu’avec les autres. Car son respect pour le jazz le pousse à exiger l’excellence, voire la perfection, sinon rien. Si l’on considère qu’un bon professeur est quelqu’un qui sait s’adapter à son élève pour le tirer vers le haut, alors Terence Fletcher échoue, car il ne connaît qu’une manière d’enseigner, la sienne. Et surtout son intransigeance peut le faire passer à côté d’un talent qui aurait eu besoin d’un accompagnement différent. Beaucoup ont interprété la dernière scène de Whiplash comme donnant raison à Fletcher d’avoir agi comme il l’a fait avec Andrew. Pour ma part je pense le contraire. En imposant ses propres règles lors du concert, au mépris de la direction de Fletcher, Andrew lui montre par la force qu’il existe d’autres moyens que son aveugle et violente exigence pour atteindre des sommets. C’est un personnage complexe, tout en nuances, dont la magistrale interprétation par J.K Simmons lui a valu un Oscar du meilleur second rôle. Il nous apprend que l’on peut être particulièrement violent avec autrui en voulant pourtant bien faire. Que pour un professeur, imposer sa rigueur sans se préoccuper du ressenti de l’élève n’est pas la bonne recette pour réussir. Mais il montre également que l’exigence est un élément clé lorsque l’on a de grandes ambitions. Andrew Neiman parvient à déployer tout son potentiel grâce à sa rage de vaincre et à sa volonté de prouver de quoi il est capable, mais en un sens c’est Fletcher qui a allumé ce feu en lui. Si vous n’avez pas vu Whiplash, je vous invite très très chaudement à le regarder. C’est un film époustouflant ! » Cet exemple est très pertinent car il montre que, en voulant pourtant bien faire, Fletcher devient très mauvais pédagogue. Ce n’est pas parce qu’on excelle dans une discipline ou que l’on vise l’excellence que l’on est un bon professeur. Le bon professeur, c’est celui qui s’adapte à ses élèves et qui n’a pas peur de se remettre en question. La relation entre un enseignant et un élève ne peut être aussi verticale qu’on le pense. Ils n’ont pas besoin de s’aimer mais du moins doivent-ils se respecter mutuellement. Un professeur doit toutefois maintenir une certaine réserve, faute de parler de distance.


La chasse : le bouc émissaire

Mads Mikkelsen © La chasse

Dans La chasse (2012), le réalisateur Thomas Vinterberg met en scène l’histoire de Lucas (Mads Mikkelsen). Auxiliaire dans un jardin d’enfants, le Danois n’a rien à se reprocher, jusqu’au jour où une petite fille, dont il est très proche, l’accuse de l’avoir agressée sexuellement. Lucas est innocent, ce qui n’empêche pas les rumeurs de se propager comme une traînée de poudre. La méfiance générale se mue progressivement en chasse aux sorcières, puis en véritable descente aux enfers pour l’éducateur. La chasse est un film délicat à voir, mais aussi à évoquer. Il est impossible d’en vouloir à la supérieure de Lucas d’avoir pris l’accusation au sérieux, et tout aussi improbable d’en vouloir aux parents de protéger leurs enfants. Lucas lui-même ne manifeste aucune rancune à l’encontre de la petite-fille qui l’a accusé à tort. Mais il ne sortira pas indemne de cette crise.


III – Ces élèves complices

On parle de figures de professeurs mais que seraient-ils sans les élèves qui leur font face ? Bien au-delà du savoir et de la pédagogie, la relation entre l’enseignant et l’élève est primordiale. Bien que le professeur doive préserver une forme d’autorité ou d’exigence ; il connaît une défaite dès qu’il entre en conflit avec un élève. L’élève qui n’a plus confiance refusera tout ce qu’on proposera de lui transmettre. Par ailleurs, les enseignants sont bien plus touchés par les réactions de leurs élèves qu’on ne l’imagine. Ne nous leurrons pas, les élèves ne sont pas aussi expressifs dans la réalité que dans la fiction. Ce n’est que maintenant, une fois adulte, que je regrette de ne pas avoir dit à certains enseignants ce qu’ils m’avaient apporté. A vrai dire, comme tous les élèves, je suis partie avec précipitation le dernier jour de l’année, sans prendre la peine de dire « au revoir ». C’est peut-être aussi pour cela qu’il est rassurant de voir de vraies complicités se tisser dans la pop culture.

Claymore : une relation inoubliable

Thérèse et Claire © Claymore

Hauntya et Hachim0n ont préféré s’éloigner du milieu scolaire pour proposer deux exemples de mentors. La première nous parle de l’anime Claymore, tiré d’un manga mettant en scène des guerrières mi-humaines, mi-démons, dans lequel la jeune Claire se souviendra toujours de sa préceptrice : « Dans ce manga (ou l’anime), Thérèse la Souriante est la plus puissante des Claymores, et surnommée ainsi en raison de sa capacité à sourire en affrontant les pires ennemis. Cela ne rend pas la jeune femme moins froide, voire hautaine pour autant dans ses relations avec les autres, humains ou Claymores. Elle délivre alors un village d’un démon et sauve en même temps la vie de Claire, jeune fille dont la famille a été dévorée entièrement par ce monstre. Par reconnaissance, Claire se met alors à la suivre. A plusieurs reprises au début, Thérèse ne lui témoigne qu’indifférence, la repoussant même physiquement : étant à moitié démon, elle n’a ni le temps – ni les sentiments – pour s’occuper d’une gamine. Mais si Claire la suit, c’est parce qu’elle a décelé en Thérèse la même solitude qu’elle, et elle désire lui apporter réconfort et empathie. A partir de cet instant de compréhension entre deux femmes rejetées par la société – parce que considérées comme trop proches des démons, ou victimes d’eux – c’est une relation de mentor-élève qui se dessine entre elles. On peut même y trouver en filigrane un amour maternel de la part de Thérèse, les Claymores devenant stériles en assimilant le sang de démon qui les rend plus fortes. Pendant un court temps, Thérèse enseigne alors quelques préceptes de vie à Claire, tout en restant toujours dure et sévère, bien que juste. Mais cette relation finit par s’interrompre prématurément, quand Thérèse perd la vie lors d’un combat contre une autre guerrière. Dévastée et désireuse de la venger, Claire demande alors à devenir elle-même une Claymore, en assimilant le sang et la chair de Thérèse en elle. Si Thérèse m’a marquée, c’est d’abord pour sa capacité à sourire sans cesse, même pendant les moments les plus tragiques. Au départ, elle paraît détachée et indifférente, bien que pourvue d’un grande assurance et volonté, mais avec Claire, elle retrouve un peu de sentiments perdus, les deux femmes s’apportant mutuellement. Elle est l’image du mentor au départ distant, au point de repousser tout le monde, avant de s’humaniser et de retrouver la volonté d’une vie propre. Thérèse marque le personnage de Claire à vie, l’inspirant pour le reste de son existence. »


Hawkeye : une disciple inspirante

Hailee Steinfeld et Jeremy Renner © Hawkeye

Hachim0n, quant à lui, nous fait faire un détour du côté du comics de David Aja et Matt Fraction, ayant inspiré la série Hawkeye, disponible sur Disney + : « C’est une histoire d’apprentissage et de mentor que j’aime beaucoup parce qu’elle remet en cause les codes du genre. Kate Bishop ne fait pas qu’apprendre auprès de Hawkeye/Clint Barton, les deux apprennent l’un de l’autre. Hawkeye se retrouve dans un cliché de héros désabusé, au bout de sa vie, qui ne prend pas soin de lui et qui abandonne presque ses activités de super-héros (pour des raisons différentes selon le comics ou la série, mais on reste sur la même idée d’impuissance/perte d’un proche face à la violence des activités de héros). Kate Bishop débarque en fan de lui, avec optimisme et avec la volonté d’être sa coéquipière, il la rejette initialement puis finit par lui apporter un cadre qui va l’empêcher de prendre des risques inutiles. Il lui apprend beaucoup de choses, notamment sur sa manière de se préparer ou de faire face à ses ennemis. Mais rapidement Kate Bishop devient la boussole qui guide Hawkeye, elle mène la danse et lui réapprend (involontairement) à vivre et à être un héros. Cette relation de maître-élève m’a marqué parce qu’on sort du cadre de l’admiration béate d’une élève pour son prof, elle n’hésite pas à le tacler sur ses erreurs et à lui montrer qu’elle a aussi des choses à lui apprendre. De manière générale j’aime le message qui s’en dégage, sur la nécessité de s’entraider et sur l’importance d’apprendre l’un de l’autre, plutôt que de rester dans une relation verticale où le prof sait tout et l’élève ne sait rien sans lui. » Comme je le disais plus haut, une relation n’est pas supposée être unilatérale. Un prof efficace, c’est celui qui se remet constamment en question, et ce par l’intermédiaire du reflet que ses élèves lui renvoient.


A single man : un élève salvateur

Colin Firth © A single man

Dans certains exemples de la pop culture, le professeur est même très vulnérable et doit tout à ses élèves. C’est notamment le cas du film A single man (2009), dans lequel Colin Firth interprète un professeur d’université gay, dans les années 60. George vient de perdre son compagnon, suite à un accident de la route, et entre dans une phase de dépression : « se réveiller chaque matin est une douleur. » Bien décidé à mettre fin à ses jours, George tâche de profiter une dernière fois des détails aussi insignifiants que plaisants du quotidien. Toutefois, un étudiant, Kenny (Nicholas Hoult) réalise que son professeur va mal et va essayer de se rapprocher de lui, quitte à outrepasser la distance qui devrait être maintenue, entre un élève et son enseignant. Son seul but est d’empêcher George de commettre une erreur qui lui sera fatale.


La Casa de Papel : le prof en construction

Alvaro Morte et Pedro Alonso © La Casa de Papel

Bien que la pop culture ait tendance à le sublimer ou à le rendre détestable ; le mentor est simplement un être humain, parfois exemplaire, parfois fautif ou même vulnérable. Il peut être désabusé ou idéaliste. Il peut trébucher mais aussi se relever. C’est le cas du professeur choisi par Mystic Falco. Le taulier de Pod’Culture a décidé de nous parler d’El Professor (Alvaro Morte), issu de la série espagnole La Casa de Papel (2017) : « Pour le coup c’est un professeur un peu particulier, car certes selon la définition du Larousse, il dispense de ses connaissances dans le cadre d’une activité, donc il répond clairement à la définition même du mot. Mais est-il réellement un bon prof ? Je pense que malgré tout le positif qu’il peut avoir et transmettre, il est plus proche d’un personnage gris. Car certes ce qu’il fait pour ses élèves / son équipe, le ramène à ce qu’il y a de plus positif possible, à savoir être là pour eux, leur enseigner tout ce qu’il sait sur les braquages et notamment sur comment faire un braquage « parfait ». Cependant, est-ce une bonne chose dans le fond? Par ailleurs, au vu des agissements de celui-ci, même si son souhait est de ne faire aucune victime, il va être amené à faire tout un tas de choses préjudiciables pour mener à bien sa mission… Je pense que les personnages que je peux préférer dans tous les univers de la pop culture, sont ceux auxquels je m’identifie rapidement. Alors je n’ai pas la prétention de dire que je suis aussi brillant que ce personnage, mais entre son intelligence, son altruisme, sa détermination, le tout ponctué d’un sérieux problème pour s’intégrer dans la société… Tout de ce personnage me pousse à vouloir devenir meilleur, à vouloir donner le meilleur de ce que je peux offrir, pour ainsi réfléchir plus loin encore… Tout cela pour en venir au fait que El Professor est sans aucun doute le personnage auquel je pense directement lorsque l’on me parle de « Prof » dans les œuvres de la pop culture. Outre son pseudonyme, c’est surtout tout ce qu’il a à apporter à l’équipe dont il est le mentor, pour leur apprendre absolument tout ce qu’il sait. Ce partage de savoir. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle est né Pod’Culture, le partage de nos connaissances, de nos avis à propos de différentes œuvres que l’on aime, afin de perpétuer avant tout le partage. El Professor est un personnage qui est devenu par la force des choses, extrêmement important pour moi, et pour ma construction, parmi tout un tas d’autres personnages. Il a énormément de faiblesses dans lesquelles je me reconnais, et je pense, que c’est surtout à cause de celles-ci que cela en fait un personnage important, et un professeur unique à mes yeux. » L’avis de Mystic Falco est très touchant car il montre qu’un professeur peut nous inspirer, même lorsqu’il est fictif. Ce n’est finalement pas l’intelligence ni le savoir de ce personnage qui l’émeuvent, mais plutôt sa vulnérabilité et la dévotion qu’il voue à ses élèves. El Professor n’est pas parfait mais son équipe a confiance en lui et l’aide à évoluer. C’est un cas particulier car il leur enseigne à voler mais il n’en demeure pas moins un idéaliste qui refuse de faire quoi que ce soit de plus immoral, comme sacrifier un otage ou un policier. Le bon professeur est avant tout une bonne personne, ou du moins, quelqu’un qui fait de son mieux.


IV – Mentions honorables

J’aimerais clôturer cet article par les deux professeurs m’ayant personnellement marquée dans la pop culture. Ce qui est cocasse, c’est que l’un est aussi surréaliste que l’autre est réaliste. Ce sont des exemples a priori contraires qui offrent tous deux des visions du professeur que je trouve terriblement sincères et touchantes.

Assassination Classroom : le prof surréaliste

Koro-Sensei © Assassination Classroom

Assassination Classroom est un animé inspiré du manga de Yusei Matsui, débuté en 2012. Koro-Sensei est une étrange créature qui, après avoir fait disparaître 70% de la lune, a le projet de détruire la planète entière, un an après. Le monstre souriant exige que le gouvernement le laisse devenir le professeur principal des 3E, une classe rassemblant des élèves laissés-pour-compte et discriminés par le reste du collège. L’État accepte, afin de le tenir sous contrôle, mais aussi d’échafauder une tentative d’assassinat. Les élèves de la classe auront une mission à mener à bien avant la fin de l’année : tuer leur professeur. Il peut sembler surprenant que l’un des animes préférés d’une enseignante soit celui où des élèves tentent désespérément de tuer leur professeur. Mais Assassination Classroom ne fait naturellement pas l’apologie du meurtre. Le manga rit avec efficacité des clichés. Franchement, quel élève n’a jamais rêvé que son professeur soit absent ou disparaisse durablement ? Sans entrer dans une phase de psychologie de comptoir, on peut aussi considérer le désir de tuer son mentor comme une métaphore de la volonté de le surpasser. Cela, Koro-Sensei l’a parfaitement compris. C’est pourquoi, tout en évitant les tentatives de meurtre de ses élèves, il va volontiers les aider à devenir de meilleurs assassins. Il utilise ce prétexte pour renforcer leur corps mais aussi pour affûter leur esprit. Cela fait de Koro-Sensei l’un des rares personnages de fiction à être à la fois un protagoniste (qui aide l’intrigue à avancer) et un antagoniste (qui l’en empêche). En y réfléchissant, un professeur se doit aussi de présenter des épreuves à ses élèves pour les aider à les surmonter. Si les élèves de la 3E ne parviennent pas à éliminer Koro-Sensei, c’est parce qu’il est intelligent, prévoyant, incroyablement rapide et surtout doté de capacités insoupçonnées. Mais ce n’est pas tout… Koro-Sensei est un professeur non seulement très performant, mais aussi très attachant. Sa rapidité lui permet de proposer des devoirs personnalisés à chacun de ses élèves. Bien sûr, il n’est pas parfait. Il est versatile, farceur et exubérant. Son sens de l’humour est douteux et il se couvre souvent de ridicule. Cela n’empêche pas ses élèves de le respecter et d’apprendre à l’aimer, rendant la mission terriblement difficile à accomplir. Koro-Sensei confirme l’hypothèse selon laquelle le professeur que l’on retient n’est pas celui qui était le plus doué ni le plus savant, (quoique le poulpe le soit également). Il confirme que les élèves s’attachent à quelqu’un qui, comme eux, peut trébucher, mais sur lequel on peut toujours compter. Malgré son humour incroyable, l’anime se révèle très émouvant. Par-dessus tout, en dépit de son intrigue et de ses péripéties complètement surréalistes, Assassination Classroom a tout compris au métier d’enseignant. Comme le dirait Koro-Sensei : « Je veux être faible. Je veux être plein de faiblesses… Je veux pouvoir solliciter la sympathie. Être capable de comprendre les êtres les plus faibles en les touchant avec mes tentacules… Les protéger… et les guider. Je veux devenir ce genre de créature… Ce genre de professeur… Je ferai parfois des erreurs… Je serai parfois dur… mais… je ferai de mon mieux. » Certes, Koro-Sensei est un enseignant complètement surréaliste, qu’on peut admirer sans espérer l’égaler. Mécontent d’avoir appris par cœur l’ensemble des manuels scolaires, il n’hésite pas à s’ouvrir complètement à ses élèves et à leur consacrer sa vie, ce qui est loin d’être à la portée de toutes et de tous.


Drunk : le prof réaliste

Mads Mikkelsen © Drunk

Le dernier professeur dont je vais parler est bien plus réaliste mais pas moins bouleversant. Drunk est un film sorti en 2020, orchestré par la même équipe que La chasse. On retrouve Thomas Vinterberg à la réalisation, mais aussi Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe et bien sûr Mads Mikkelsen du côté des acteurs. C’est l’histoire de quatre amis quarantenaires, enseignant dans le même lycée, au Danemark. Le quotidien étant ennuyeux et morose, ils se mettent en tête de vérifier la théorie d’un psychologue norvégien, qui stipule qu’on naît avec une déficience d’alcool dans le sang. Le but est de boire suffisamment pour cueillir les bienfaits de l’ivresse (comme le gain de confiance en soi), sans pour autant perdre sa raison. Je vous rassure, Drunk ne fait pas plus l’apologie de l’alcoolisme qu’Assassination Classroom ne fait celle du meurtre de profs. Au début du film, la classe de terminale s’inquiète d’avoir pour enseignant Martin (Mads Mikkelsen), car il est ennuyeux, peu clair et ne sait pas lui-même à quel chapitre ils en sont. La principale explique à Martin que les parents d’élèves ont envoyé un message sur Pronote pour le rencontrer et partager leurs inquiétudes. Comme on s’en doute, et bien que les parents aient raison, cet épisode affecte énormément le professeur d’histoire, dont la vie sentimentale et le moral n’étaient déjà pas au beau fixe. Ses copains essaient évidemment de le réconforter en clamant la rengaine habituelle : les élèves ne sont que de « sales gosses » qui « manquent de respect. » Mais l’un d’entre eux a le courage de ne pas prendre la défense de Martin et d’affirmer qu’une partie du problème vient de lui. J’aime Drunk car, par le biais de scènes a priori banales, il retranscrit mieux la vérité du milieu scolaire, tel qu’il est aujourd’hui, que tout ce qu’on voit généralement à l’écran. Aujourd’hui, les parents peuvent suivre à tout moment ce qui se passe en cours, grâce à Pronote. Ils ont la possibilité d’exprimer leur avis quand quelque chose ne va pas. D’un autre côté, il est vrai que les professeurs sont très solidaires entre eux. Cela est très réconfortant quand l’un est accusé à tort, mais c’est parfois malhonnête, s’ils partent du principe que le problème vient systématiquement des élèves. Martin n’est pas un mauvais bougre pour autant et il n’en faut pas plus pour qu’il remette sa vie en question et entre dans une phase de dépression. C’est cela qui va l’inciter à se réfugier dans l’alcool. Et aussi surprenant que cela puisse sembler, quelques verres lui permettent effectivement de reprendre confiance en lui, de regagner sa joie de vivre et de proposer des cours beaucoup plus ludiques et intéressants à ses élèves, dont il devient la coqueluche. Comme on s’en doute, cette fausse solution miracle ne fonctionne pas éternellement et la situation dérape très vite pour Martin et ses amis, dans cette comédie délicieusement dramatique. Les quatre profs sont souvent en proie au doute, se demandant si leurs élèves se souviendront d’eux ou s’ils oublieront leur existence dès qu’ils auront obtenu leurs examens. Ils s’interrogent aussi sur le sens de la vie. Martin, en particulier, se demande comment il est possible de se relever et de garder la tête haute, après avoir désespérément touché le fond. Bien sûr que venir bourré au lycée était une erreur, mais du moins a-t-il essayé de s’en sortir, quand tout semblait s’écrouler sous ses pieds. Je ne saurais que trop conseiller cette tranche de vie de quatre enseignants, qui essaient finalement de devenir de meilleures personnes, ou du moins des hommes plus heureux, pour devenir de meilleurs professeurs. Le film a le mérite, qui plus est, d’être doté d’une fin douce-amère comme je les aime.


V – Sonnerie de fin

Cette excursion à travers de nombreux films et séries a permis de revisiter les cours de nombreux professeurs. Certains sont exemplaires quand d’autres incarnent ce qu’il y a de pire en terme d’éducation. A mon sens, il faut toutefois se méfier d’une vision trop manichéenne des choses. Les enseignants et autres mentors sont humains (oui, même Koro-Sensei). Ils ont des points forts et des faiblesses. Ils ont des moments de grâce mais commettent aussi des erreurs. A vrai dire, leur savoir a moins d’importance que leur aptitude à s’adapter à leurs élèves. Les élèves ont un rôle très important à jouer dans cette relation, qui ne peut être ni unilatérale ni verticale. Les bons profs, qu’ils soient représentés de manière surréaliste ou au contraire, très réaliste, ont comme points communs de se remettre en question, d’être à l’écoute, de s’adapter… Par-dessus tout, ils essaient d’être de meilleures personnes, ou du moins, plus équilibrées, avant de prétendre pouvoir transmettre le savoir sereinement. J’espère que cet horizon (qui à défaut d’être exhaustif, n’est pas si petit), aura proposé des pistes de réflexion intéressantes et aura permis (et c’est bien cela le plus important dans Pod’Culture) de mettre en valeur des films et séries qui méritent d’être visionnés.

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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’ Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce septième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Pierre Salard, capitaine de LucasArts Memory et de The SpaceShipper. Pour cette émission il nous a parlé de cette aventure d’abord lancée sur Twitter en 2018, qui s’étend maintenant aussi sur Patreon, et de sa soif de recherche et de partage autour d’œuvres de science-fiction prenant place dans les étoiles, mais pas que.

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Kaiju n°8 était l’immense attente de la fin d’année dernière, lancé par Kazé en grande pompe en espérant en faire le nouveau phénomène du monde du manga. Trois tomes plus tard, on constatait déjà un manque d’inspiration et les limites d’une œuvre qui avait du mal à retrouver la fraîcheur de son premier tome. Début avril sortait le quatrième tome, est-ce que le manga de Naoya Matsumoto peut retrouver ce qui a fait tout son intérêt à ses débuts ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Révélation dangereuse

KAIJU N°8 © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Suite et fin de l’attaque des kaiju sur la base, ce qui annonçait une bataille épique à la fin du troisième tome se révèle vite comme une tempête dans un verre d’eau. Vite expédiée, la confrontation n’est qu’une excuse à la révélation attendue depuis longtemps : face à l’urgence de la situation, le héros est contraint de révéler qu’il est le fameux kaiju n°8, tant recherché par les autorités. Cela lui vaut d’être arrêté et de constater l’influence qu’il a eu sein de son unité, puisqu’il se rend vite compte du soutien de ses coéquipier·e·s une fois passé un premier épisode de défiance. Narrativement, on sent vite l’apport de cette révélation puisque le manga avait jusque là tendance à s’embourber dans des scènes répétitives où le héros sauvait un peu tout le monde en se transformant en douce. Et cela devrait permettre au manga de poser de nouvelles questions autour de sa responsabilité mais également sur le rapport des humain·e·s avec les kaiju, jusque là toujours décrits comme de vulgaires bêtes sanguinaires. C’est aussi un bon moyen de renforcer les liens avec les personnages secondaires, voir l’émotion et l’importance qu’ils et elles accordent au héros, alors que le manga avait jusqu’ici été plutôt défaillant sur ce point en abordant que très sommairement les relations au sein de l’unité. Cela permet à Naoya Matsumoto d’offrir un peu plus d’épaisseur à des personnages qui ressemblaient parfois à des coquilles vides, en montrant les liens qui se sont tissés entre elles et eux.

Cela pourrait amener le manga sur une autre dynamique, mais pour le moment ce tome reste bien maigre et assez peu intéressant. Il distille quelques bonnes idées pour l’avenir, mais c’est un entre-deux qui appelle confirmation dans le futur tome 5. Maintenant deux possibilités s’offrent à Naoya Matsumoto : elle peut emmener son histoire sur un autre terrain, peut-être plus personnel, plus proche des états d’âmes du héros et sur la manière dont son univers traite les humains qui seraient capables de se transformer en kaiju, offrant un visage plus humain aux monstres. Ou alors, elle peut faire ce qu’elle a fait ces trois derniers tomes, en se limitant à l’action sans aller chercher beaucoup plus loin, ce qui empêcherait Kaiju n°8 de retrouver le vent de fraîcheur qui venait avec son premier tome. Parce que des histoires de kaiju, on en a énormément autant dans le manga que dans la pop culture en général, mais ce qui faisait tout le sel de son premier tome, c’était de reprendre ces codes en se les appropriant d’une manière détournée, chose qu’on n’a plus jamais retrouvé depuis.

Une narration poussive

Qu’il est difficile toujours de se passionner pour Kaiju n°8, qui donne l’impression de ne pas trop faire avancer son histoire au-delà de la révélation, s’enlisant dans des combats souvent interminables où il ne se passe pas grand chose de captivant. Ce tome a le mérite sur sa deuxième moitié d’aller sur un autre terrain, mais l’écriture reste un point compliqué pour un manga où les dialogues peinent à faire mouche, où chaque échange manque trop d’impact pour que l’on éprouve quoique ce soit pour ses personnages. Je pense notamment à la relation entre Kafka Hibino, le héros, et Mina Ashiro, son amie d’enfance et désormais supérieure au sein de l’unité qui est sa principale motivation à intégrer les troupes de défense. Naoya Matsumoto nous décrit souvent un lien fort qui les unit, à tel point même que derrière ses airs plutôt froids, Mina semble espérer que Kafka puisse faire son trou au sein de son unité. Mais pourtant les rares mots échangés sont futiles, sans grande signification, presque anecdotiques dans ce qui fonde pourtant l’essentiel des motivations du héros.

On espère que la fin de ce tome va mener vers autre chose de plus intéressant pour son histoire, notamment la reconnaissance de l’état de kaiju du héros et sa place au sein des forces de défense. Mais on a l’impression de dire cela à chaque tome de Kaiju n°8, avec toujours l’espoir que la narration s’améliore et que le manga tienne enfin ses nombreuses promesses du premier tome l’année dernière. Mais il faut bien admettre que ce n’est toujours pas le cas, avec une narration de plus en plus poussive, qui ne parvient pas à étendre son univers au-delà du gimmick du héros capable de se transformer en ce qui représente habituellement l’ennemi pour ses semblables. On verra, mais plus les tomes passent, moins j’y crois.

  • Le tome 4 de Kaiju n°8 est sorti le 6 avril 2022 en librairie.
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Même si on serait tenter de dire qu’on ne présente plus YBY Éditions sur Podculture, tant on a déjà pu parler avec amour en ces pages de certains de leurs ouvrages (Lever de Soleil, La hyène, la Sorcière et le Garde-manger), nous allons tout de même une nouvelle fois rappeler que cette maison d’édition associative, prônant la diversité sous toutes ses formes dans la fiction, effectue un travail remarquable (pour en savoir plus, on vous conseille l’épisode de Chill Chat qui lui est dédiée) ; et que c’est toujours un plaisir de découvrir en avant-première leurs futures publications. C’est le cas aujourd’hui avec L’Essai, novella érotique de Valéry K. Baran illustrée par Gustave Auguste.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Un trouble persistant, le besoin de s’isoler, une douche brulante… Tous les ingrédients sont réunis pour que Josh succombe à ce qu’il redoute et désire tant à la fois : le regard sombre et pensif que Damien, son coéquipier, pose sur lui. Dans ses souvenirs, leur relation a toujours été houleuse. À cause de lui, bien sûr : il y a son incapacité à s’exprimer sans passer par les poings, son contexte familial compliqué, sa sexualité bridée… Mais surtout, il y a le rugby, ce rêve à portée de main qui pourrait s’effondrer s’il cède à la tentation.

©️ L’Essai de Valéry K.Baran, illustré par Gustave Auguste

L’Essai nous emporte donc dans le monde de l’ovalie mais aussi, et surtout, dans celui de Josh. Un jeune homme issu d’un milieu peu aisé qui voit dans le rugby et la possibilité d’intégrer l’équipe de France des moins de 20 ans un moyen d’échapper à un environnement familial chaotique. Avec une plume vive et précise, Valéry K. Baran dépeint parfaitement le personnage principal et le monde qui l’entoure, sans édulcorer quoi que ce soit, mais sans non plus se refuser à toute forme d’empathie. Être constamment vissé·e·s aux crampons de Josh durant tout le récit nous permet de saisir au mieux ses pensées, ses peurs, ses rêves, ses désirs avoués ou réprimés. Nous vivons Josh autant qu’il essaie de vivre pleinement, nous le respirons autant qu’il essaie de ne pas suffoquer sous les questionnements qui le taraudent. Les questionnements sont au cœur même de cette novella. Sur l’aspect professionnel d’abord, avec le rêve que Josh a de faire carrière dans le rugby et de pouvoir ainsi vivre de sa passion. L’autrice nous plonge avec talent dans cet univers, que ce soit lorsqu’il s’agit de décrire les décors où se jouent matches et entraînements que les matches et entrainements eux-mêmes. Tout semble naturel, vivant. Des corps qui s’entrechoquent sur la pelouse aux cris d’encouragement dans les gradins, des ballons qui s’élèvent entre les perches aux douches embuées des vestiaires. Vestiaires qui tiennent une place particulière car c’est là où on se prépare, où on pleure de rage les défaites comme on hurle les victoires. Où on se met à nu aussi.

La mise à nu est un thème essentiel de L’Essai, thème qui vient dialoguer avec les questionnements de Josh, cette fois-ci sur l’aspect personnel et intime. Se mettre à nu ce n’est pas uniquement le faire devant les autres, mais tout d’abord, et avant tout, devant soi ; se voir tel que l’on est vraiment. Chose difficile pour quelqu’un qui durant toute sa jeune vie a été biberonné au culte de l’homme viril, hétérosexuel, tombeur de ces dames. Une image dans laquelle il ne se reconnait pas et qui craquelle de plus en plus depuis qu’il connait Damien. Se confronter à ce jeune homme qui semble si sûr de sa vitalité et de sa sexualité déstabilise Josh autant que ça l’encourage à casser ce miroir qui lui renvoie un reflet qui ne lui ressemble pas. Là encore, Valéry K. Baran démontre un grand savoir-faire dans la façon de traiter le déchirement qui s’opère chez le personnage principal, la façon dont il remet en cause une norme qui n’en possède que le nom, tout en se refusant pourtant d’embrasser pleinement ce qui fait de lui la personne qu’il sent être profondément. D’autant que Josh doit faire face à de l’homophobie, qu’elle soit latente ou plus frontale, issue d’une bête ignorance ou d’une réelle malveillance. Cette homophobie est bien dépeinte par l’autrice et fait écho à ce qui apparaît encore bien trop souvent dans notre société ; de plus, en ancrant le récit dans le monde du rugby, un des sports les plus virilisés, elle permet de mettre en lumière l’omerta qui y règne en ce qui concerne l’homosexualité.

Josh se pose pourtant la question de son homosexualité, lui qui n’a connu jusqu’alors que des jeunes femmes pour des aventures aussi éphémères qu’interchangeables. Son rapport à Damien le bouscule, et pas uniquement sur le plan existentiel. Car L’Essai est un texte qui fait grande part à l’érotisme. Sur ce point également, la plume de Valéry K. Baran fait des merveilles. Elle glisse sur les deux garçons avec précision et délectation ; tantôt suave, tantôt plus énergique, peignant les mouvements brusques ou lascifs de corps en fusion, les halètements rauques de cœurs à l’unisson. Cette efficacité redoutable ne faiblira jamais lors des différents scènes intimes que partageront Josh et Damien. Scènes que l’on retrouvera à l’occasion immortalisées par Gustave Auguste, à travers les superbes illustrations qu’il a réalisées et qui profitent du format beau livre de l’ouvrage pour s’afficher, çà et là, en pleine page.

L’Essai est donc une novella de grande qualité, tant sur le fond que sur la forme, nous entraînant, à la suite de ces corps et cœurs gorgés de désir, dans de belles éruptions érotiques qui n’empêchent toutefois jamais des thématiques fortes d’infuser ni les sentiments de respirer.

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Salut tout le monde ! Ici Reblys pour un nouvel épisode de la Rébliothèque.

Que penser des prix littéraires ? Est-ce un reflet d’un lectorat un peu trop traditionnel et huppé, qui se permet de dire ce qu’il faut lire ou pas ? Ou faut-il simplement les prendre comme des simples recommandations de gens qui ont bien aimé un roman ? De mon côté, il m’arrive souvent de lire des lauréats du prix Goncourt, car j’y trouve souvent des choses intéressantes. Et le roman qui a reçu ce prix en 2021 est carrément devenu un de mes coups de cœurs de cette année. La Plus Secrète Mémoire des Hommes est un bouquin assez phénoménal, dont j’ai eu très envie de vous parler.

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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Nous sommes en 2022, sur ce site je vous ai parlé en long, en large et en travers de tout le travail publié en France, de Tatsuki Fujimoto. Tout ? Non ! Un travail de cet irréductible mangaka a résisté aux différentes chroniques que j’ai pu en faire. Et la vie n’est pas facile tant que je n’avais pas découvert les histoires courtes qu’a pu faire Fujimoto entre ses 17 et 26 ans, d’où les titres des mangas. Cependant, l’idée de sortir ces histoires sous un format anthologique est arrivée. C’est ainsi que naquit 17 -21 Anthologie  (et je vous parlerai de 22 – 26 Anthologie lors de sa sortie en France) publié aux éditions Kazé.

En revanche, étant donné que nous ne sommes pas sur une histoire continue, mais sur des histoires courtes qui n’ont aucun lien les unes entre les autres, l’intérêt principal de cette anthologie est donc l’analyse de l’œuvre de Fujimoto. Comprendre et voir d’où viennent ses inspirations pour ses mangas qui ont été publiés par la suite, et surtout se rendre compte que ce type est fantastiquement barré et ce depuis le début !

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

4 Histoires et des motifs déjà présents

TATSUKI FUJIMOTO TANPENSHU 17-21© 2021 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

S’il y a un bien un motif qu’utilise Fujimoto et qui est reconnaissable dans toutes les histoires qu’il écrit, c’est celui de son protagoniste. Toujours un rebut de la société, marginal à l’extrême, un espèce de looser magnifique, qui malgré la naïveté dont il fait preuve, devient un héros malgré lui. Car ce dernier est toujours plongé dans une aventure qui le dépasse, que ce soit à un niveau humain, où galactique.

Sur ces 4 histoires, il y a un extraterrestre qui ne souhaite pas manger les humains à contrario de ses semblables. Un jeune homme suffisamment amoureux de sa professeur pour sauver toute une classe malgré le danger imminant. Un autre jeune homme qui veut avouer ses sentiments amoureux, et sauve notre planète malgré la vicissitude dont il fait preuve. Et enfin un vampire qui s’ennuie à cause de sa trop longue vie et va retrouver un intérêt grâce à un personnage féminin haut en couleur, qui n’est pas sans rappeler une certaine autre jeune femme…

Rien que déjà avec ces courts résumés d’histoires, on retrouve tout ce qui est cher et important à Fujimoto. Comme je le disais plus haut, un héros marginal, mais surtout des aspects de la vie qui peuvent parler à beaucoup d’entre nous. Entre la recherche de l’amour sans vraiment comprendre ce qu’est l’amour, et ce que cela apporte réellement. L’ennui du monde dans lequel on vit. Et la dépression latente que les personnages subissent, et ne jugent pas être suffisamment importante pour faire ce qu’il faut, afin de se soigner.

« Parce que la vie c’est de la merde, que dans la vie au début on naît, à la fin on meurt et entre les deux il se passe rien »

[Bref – Épisode 80 : Bref, j’ai fait une dépression]

Mais malgré tous ces thèmes abordés, il y a une certaine quiétude. Les personnages peuvent souffrir, mais passent très vite à autre chose, ou en tout cas, ne se laissent pas abattre par les difficultés de la vie. Et je crois que c’est ça qui me fascine autant avec ce mangaka. Il ose parler de sujets compliqués, le tout assez frontalement, mais malgré ça, il y a toujours cette lueur positive. À contrario d’Inio Asano dont j’aime énormément le travail, mais qui se trouve être de l’autre penchant, à proposer des histoires déprimantes, et qui vont jusqu’au bout de la dépression, Fujimoto au contraire va profiter de ses personnages naïfs pour toujours apporter une conclusion si ce n’est satisfaisante, positive.

C’est assez fou de se dire que Fujimoto, avait déjà ces motifs d’écriture dès 17 ans. Rien d’étonnant donc de le voir performer aujourd’hui avec des œuvres comme Fire Punch ou encore Chainsaw Man, et en plus il se permet de révolutionner le shonen tel qu’on l’entendait il y a encore quelques années. Il apporte un coup de fraîcheur au genre, qui avait vraiment besoin de se renouveler et ce depuis plus de 10 ans déjà. La question qui se pose maintenant est de savoir si cette anthologie a du sens en tant qu’œuvre isolée où s’il est essentiel de connaître l’univers du bonhomme. Et bien je dirais aussi bien l’un que l’autre. Car si on aime ce que propose le mangaka, alors il est évident que ces deux tomes vont plaire aux fans, mais on peut tout aussi bien passer par cette porte d’entrée pour découvrir le monde de Fujimoto et ainsi s’acclimater tranquillement mais avec une passion naissante et certaine pour ce qu’il a pu proposer par la suite.

  • Anthologie 17 – 21 est disponible en librairie depuis le 18 mai 2022.
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La Lituanie, petit pays de moins de trois millions d’habitants niché entre la Lettonie, la Pologne et la Biélorussie, ne produit pas uniquement une bonne équipe nationale de basketball ou encore des artistes régulièrement en finale de l’Eurovision. Non, la Lituanie, qui aime à se mouiller les orteils sur la rive occidentale de la mer Baltique, produit également des jeux vidéo ; comme ici avec Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, développé sous la bannière du studio indépendant Tag of Joy. Alors avis aux amateur·ice·s de point & click d’aventure : prenez votre passeport, chauffez vos petites cellules grises, détendez vos zygomatiques, et venez découvrir les secrets de ce qui fut autrefois le Grand-duché de Lituanie.

Milda, jeune femme vivant à Chicago, reçoit de son grand-père un héritage inattendu : une maison en Lituanie. Elle part pour l’Europe, mais lorsqu’elle arrive là-bas, un inconnu la menace et exige qu’elle abandonne son héritage. À la fois intriguée et déterminée, elle explore la maison en ruine et y découvre des documents et des indices datant du XVème siècle. Rapidement, Milda se voit entraînée dans une quête dangereuse pour trouver une relique perdue depuis bien longtemps…

Veni Vidi Vilnius

Copyright © 2022 Thunderful, All rights reserved.

L’aventure c’est l’aventure (et c’est aussi un film de Claude Lelouch, mais connaître cela ne vous permettra pas spécialement de résoudre les différentes énigmes qui se mettront en travers de votre route). Peu importe que ce soit dans des cités perdues de la chaîne himalayenne, des ruines mayas de la forêt amazonienne, des tombeaux égyptiens ou encore des catacombes parisiennes.

Passé un petit prologue à Chicago, l’aventure nous envoie donc en Europe, et nous nous envolons pour Vilnius, profitant au passage d’une sympathique animation, hommage à celles utilisées dans la saga Indiana Jones. La capitale lituanienne sera, à deux petites escales près, notre principal terrain d’investigation. On pourrait croire que cela empêche le dépaysement, mais c’est mal connaître l’équipe de Tag of Joy qui sait imprimer un cachet particulier à chaque endroit qui nous sera donné à visiter. Le travail sur les décors et l’ambiance visuelle est délicieux. En alchimie parfaite avec le ton de l’histoire qui nous est comptée, les lieux sont charmants, accueillants, et c’est un plaisir de s’y balader. Les jeux sur les couleurs et la lumière confèrent à l’aventure une atmosphère chaleureuse et dynamique, avec en prime un petit côté groovy dont elle ne se départira jamais.
On retrouve ces mêmes effets sur les différents personnages que nous rencontrerons tout au long de notre périple, et leur aspect assez cartoonesque s’intègre là encore parfaitement à l’atmosphère du titre, laquelle est renforcée par une bande-son à l’avenant, bien qu’essentiellement fonctionnelle et plutôt oubliable. L’écrin est donc techniquement impeccable, et le mélange des décors en 2D avec des personnages en 3D fonctionne à merveille. Mais qu’en est-il du cœur du jeu ?

Secrets d’Histoire

Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit nous lance donc en quête de la couronne perdue de Vytautas le Grand, personnage historique éminemment connu en Lituanie dont il fut le souverain au XVème siècle. Ajoutez à cela l’architecte Johann Christoph Glaubitz qui participa à la reconstruction des monuments de Vilnius après les incendies qui frappèrent la ville durant la première moitié du XIIIème siècle, puis saupoudrez le tout avec un projet top secret du KGB initié avant la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS et vous obtenez un plat aux effluves de mystère des plus savoureux.

Les développeur·euse·s ont su utiliser faits réels mais aussi zones grises de l’Histoire ainsi que légendes locales pour créer la trame narrative, un peu à la manière de ce qu’a fait Naughty Dog sur les Uncharted ou encore, pour parler du même genre de jeux, du travail de Revolution Software sur Broken Sword (Les Chevaliers de Baphomet) ; la saga culte de Charles Cecil étant un modèle totalement assumé par Tag of Joy, avec ce même amour pour les énigmes. Des énigmes qui peuvent s’avérer gentiment retorses.

Milda avec l’écrou hexagonal dans la salle des archives

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Suivant la grande tradition des point & click d’aventure des 90’s, Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit propose des puzzles à foison. Pour les résoudre nous aurons accès à un inventaire tout aussi sobre que bien pensé. Il est très facile de naviguer entre les différents objets et d’obtenir les infos nécessaires à leur utilisation. Il faudra alors faire preuve d’attention et jouer sur différents types de combinaisons pour résoudre les énigmes.
Il en va de même pour l’inspection des lieux que nous allons visiter, et l’intelligence de l’équipe de Tag of Joy a été d’éviter une surcharge de détails qui pourraient inutilement nous perdre. Il faut savoir que nous avons aussi la possibilité d’activer un affichage des points interactifs des décors. Une aide qui peut s’avérer appréciable et qui ne donnera jamais la solution aux problèmes. En plus de la recherche d’objets, discuter avec les différents personnages est primordial et, là encore, une attention est requise car des indices importants sont fournis.

On pourra aussi utiliser le smartphone de Milda pour prendre et combiner des notes afin de débloquer de nouvelles conversations. Sans oublier le système d’appels téléphoniques et d’envois de sms, agréable bien que très dirigiste ; ne croyez donc pas avoir un forfait illimité. Par contre, pensez bien à vérifier l’état de vos chaussures car, pour avancer, il faudra souvent faire des allers-retours et alterner investigations et discussions. Cela pourrait paraître fastidieux mais, en proposant une belle qualité d’écriture des dialogues et des doublages (anglais impeccablement sous-titrés en français), le jeu évite cet écueil. De même, en arpentant des lieux bien pensés et non inutilement vastes, on ne subit pas de sentiment de redondance.
Il faut néanmoins un peu tempérer ce tableau qui pourrait sembler trop idyllique. Certains puzzles, sans être en mode over the top capillotracté, sont parfois un peu trop retors pour leur propre bien et surtout le nôtre. De plus, le titre de Tag of Joy souffre parfois d’un manque de clarté au niveau de ses directives. Pas de quoi nous bloquer éternellement, mais notre patience peut être mise à rude épreuve, et cela pour une raison indépendante de la difficulté d’une énigme. Bien que rare durant la petite dizaine d’heures qu’il faut pour boucler l’aventure, c’est néanmoins un point à relever et sur lequel le studio lituanien a certainement une marge de progression ; un point négatif donc, mais qui ne gâche certainement pas un jeu qui possède bien d’autres atouts au milieu desquels trône sa protagoniste.

The Queen’s Gambit

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Personnage principal, Milda vit à Chicago en collocation avec Dana, une artiste pour qui elle sert parfois de modèle et qui est accessoirement sa meilleure amie. C’est d’ailleurs au travers d’une conversation avec Dana, via messagerie instantanée, qu’on va pouvoir un peu personnaliser notre Milda. Que ce soit de façon purement cosmétique avec la possibilité d’arborer un tatouage dans la nuque ou sur le bras, mais aussi d’un point de vue plus narratif en choisissant un métier (photographe, programmeuse, assistante en psychologie). Nous aurons aussi par la suite accès à un dressing pour varier tenues, accessoires et coiffures. Option sympathique qui aura même son importance à un moment de l’aventure.
De même, le choix du métier enrichit et diversifie les dialogues et réflexions que le personnage peut avoir, et il va de paire avec l’obtention d’un objet unique (appareil photo, clé usb, manuel de psychologie) qui servira lors d’un puzzle en particulier, et plus généralement pour débloquer des interactions. Par exemple, si notre Milda est assistante en psychologie, elle pourra à l’aide de son manuel décoder les gens avec qui elle aura discuté suffisamment longtemps. L’occasion d’avoir des commentaires souvent amusants à défaut de faire preuve d’une grande déontologie. Mais on se rend bien vite compte que Milda n’est pas forcément à cheval sur la bienséance, qu’elle a la répartie facile, et une certaine propension à n’en faire qu’à sa tête. Et c’est là tout son charme.

Si la galerie de personnages secondaires reste dans le domaine du sympathique assez oubliable (le jeu assume totalement le choix de persos cartoonesques sans réelle profondeur et n’est pas là pour proposer une étude du caractère), la jeune femme est quant à elle instantanément attachante, et ses interactions avec les gens et le monde qui l’entoure participent à renforcer à chaque fois son charme pétillant et sa vitalité communicative.
Pour interpréter Milda, l’équipe de Tag of Joy a eu la lumineuse idée de faire appel à Erin Yvette, dont la voix n’est sans doute pas inconnue des amateur·ice·s de jeux narratifs (Alex dans Oxenfree, Snow White dans The Wolf Among Us, Sasha dans Tales From The Borderlands pour ne citer que ceux-là). Avec son talent habituel, l’actrice propose un jeu tout en naturel et enchaîne les traits d’esprits et d’humour avec une décontraction qui sied parfaitement au personnage ; que ce soit lors de dialogues qui flirtent avec l’humour absurde ou lorsqu’il s’agit de dégainer quelques sarcasmes acérés. Difficile alors de ne pas craquer pour Milda et son périple lituanien.

S’appuyant sur une technique irréprochable et une identité visuelle de qualité, Crown and Pawns: Kingdom of Deceit propose donc une aventure emballante, avec son histoire solidement narrée et ses énigmes pour la plupart bien troussées. Dans les baskets de Milda, on découvre un peu l’histoire de la Lituanie, on se délecte de dialogues savoureux et on passe un charmant et joyeux moment vidéoludique ; avec le secret espoir que Tag of Joy ne laisse pas la jeune femme en vacances trop longtemps et que l’aventure vienne dans un futur proche de nouveau sonner à la porte de son appartement.

  • Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, sorti le 06 mai 2022, est disponible sur Steam, GOG et l’Epic Games Store.
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