Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit | Bons Baisers de Lituanie

par Aleksseli

La Lituanie, petit pays de moins de trois millions d’habitants niché entre la Lettonie, la Pologne et la Biélorussie, ne produit pas uniquement une bonne équipe nationale de basketball ou encore des artistes régulièrement en finale de l’Eurovision. Non, la Lituanie, qui aime à se mouiller les orteils sur la rive occidentale de la mer Baltique, produit également des jeux vidéo ; comme ici avec Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, développé sous la bannière du studio indépendant Tag of Joy. Alors avis aux amateur·ice·s de point & click d’aventure : prenez votre passeport, chauffez vos petites cellules grises, détendez vos zygomatiques, et venez découvrir les secrets de ce qui fut autrefois le Grand-duché de Lituanie.

Milda, jeune femme vivant à Chicago, reçoit de son grand-père un héritage inattendu : une maison en Lituanie. Elle part pour l’Europe, mais lorsqu’elle arrive là-bas, un inconnu la menace et exige qu’elle abandonne son héritage. À la fois intriguée et déterminée, elle explore la maison en ruine et y découvre des documents et des indices datant du XVème siècle. Rapidement, Milda se voit entraînée dans une quête dangereuse pour trouver une relique perdue depuis bien longtemps…

Veni Vidi Vilnius

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L’aventure c’est l’aventure (et c’est aussi un film de Claude Lelouch, mais connaître cela ne vous permettra pas spécialement de résoudre les différentes énigmes qui se mettront en travers de votre route). Peu importe que ce soit dans des cités perdues de la chaîne himalayenne, des ruines mayas de la forêt amazonienne, des tombeaux égyptiens ou encore des catacombes parisiennes.

Passé un petit prologue à Chicago, l’aventure nous envoie donc en Europe, et nous nous envolons pour Vilnius, profitant au passage d’une sympathique animation, hommage à celles utilisées dans la saga Indiana Jones. La capitale lituanienne sera, à deux petites escales près, notre principal terrain d’investigation. On pourrait croire que cela empêche le dépaysement, mais c’est mal connaître l’équipe de Tag of Joy qui sait imprimer un cachet particulier à chaque endroit qui nous sera donné à visiter. Le travail sur les décors et l’ambiance visuelle est délicieux. En alchimie parfaite avec le ton de l’histoire qui nous est comptée, les lieux sont charmants, accueillants, et c’est un plaisir de s’y balader. Les jeux sur les couleurs et la lumière confèrent à l’aventure une atmosphère chaleureuse et dynamique, avec en prime un petit côté groovy dont elle ne se départira jamais.
On retrouve ces mêmes effets sur les différents personnages que nous rencontrerons tout au long de notre périple, et leur aspect assez cartoonesque s’intègre là encore parfaitement à l’atmosphère du titre, laquelle est renforcée par une bande-son à l’avenant, bien qu’essentiellement fonctionnelle et plutôt oubliable. L’écrin est donc techniquement impeccable, et le mélange des décors en 2D avec des personnages en 3D fonctionne à merveille. Mais qu’en est-il du cœur du jeu ?

Secrets d’Histoire

Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit nous lance donc en quête de la couronne perdue de Vytautas le Grand, personnage historique éminemment connu en Lituanie dont il fut le souverain au XVème siècle. Ajoutez à cela l’architecte Johann Christoph Glaubitz qui participa à la reconstruction des monuments de Vilnius après les incendies qui frappèrent la ville durant la première moitié du XIIIème siècle, puis saupoudrez le tout avec un projet top secret du KGB initié avant la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS et vous obtenez un plat aux effluves de mystère des plus savoureux.

Les développeur·euse·s ont su utiliser faits réels mais aussi zones grises de l’Histoire ainsi que légendes locales pour créer la trame narrative, un peu à la manière de ce qu’a fait Naughty Dog sur les Uncharted ou encore, pour parler du même genre de jeux, du travail de Revolution Software sur Broken Sword (Les Chevaliers de Baphomet) ; la saga culte de Charles Cecil étant un modèle totalement assumé par Tag of Joy, avec ce même amour pour les énigmes. Des énigmes qui peuvent s’avérer gentiment retorses.

Milda avec l’écrou hexagonal dans la salle des archives

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Suivant la grande tradition des point & click d’aventure des 90’s, Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit propose des puzzles à foison. Pour les résoudre nous aurons accès à un inventaire tout aussi sobre que bien pensé. Il est très facile de naviguer entre les différents objets et d’obtenir les infos nécessaires à leur utilisation. Il faudra alors faire preuve d’attention et jouer sur différents types de combinaisons pour résoudre les énigmes.
Il en va de même pour l’inspection des lieux que nous allons visiter, et l’intelligence de l’équipe de Tag of Joy a été d’éviter une surcharge de détails qui pourraient inutilement nous perdre. Il faut savoir que nous avons aussi la possibilité d’activer un affichage des points interactifs des décors. Une aide qui peut s’avérer appréciable et qui ne donnera jamais la solution aux problèmes. En plus de la recherche d’objets, discuter avec les différents personnages est primordial et, là encore, une attention est requise car des indices importants sont fournis.

On pourra aussi utiliser le smartphone de Milda pour prendre et combiner des notes afin de débloquer de nouvelles conversations. Sans oublier le système d’appels téléphoniques et d’envois de sms, agréable bien que très dirigiste ; ne croyez donc pas avoir un forfait illimité. Par contre, pensez bien à vérifier l’état de vos chaussures car, pour avancer, il faudra souvent faire des allers-retours et alterner investigations et discussions. Cela pourrait paraître fastidieux mais, en proposant une belle qualité d’écriture des dialogues et des doublages (anglais impeccablement sous-titrés en français), le jeu évite cet écueil. De même, en arpentant des lieux bien pensés et non inutilement vastes, on ne subit pas de sentiment de redondance.
Il faut néanmoins un peu tempérer ce tableau qui pourrait sembler trop idyllique. Certains puzzles, sans être en mode over the top capillotracté, sont parfois un peu trop retors pour leur propre bien et surtout le nôtre. De plus, le titre de Tag of Joy souffre parfois d’un manque de clarté au niveau de ses directives. Pas de quoi nous bloquer éternellement, mais notre patience peut être mise à rude épreuve, et cela pour une raison indépendante de la difficulté d’une énigme. Bien que rare durant la petite dizaine d’heures qu’il faut pour boucler l’aventure, c’est néanmoins un point à relever et sur lequel le studio lituanien a certainement une marge de progression ; un point négatif donc, mais qui ne gâche certainement pas un jeu qui possède bien d’autres atouts au milieu desquels trône sa protagoniste.

The Queen’s Gambit

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Personnage principal, Milda vit à Chicago en collocation avec Dana, une artiste pour qui elle sert parfois de modèle et qui est accessoirement sa meilleure amie. C’est d’ailleurs au travers d’une conversation avec Dana, via messagerie instantanée, qu’on va pouvoir un peu personnaliser notre Milda. Que ce soit de façon purement cosmétique avec la possibilité d’arborer un tatouage dans la nuque ou sur le bras, mais aussi d’un point de vue plus narratif en choisissant un métier (photographe, programmeuse, assistante en psychologie). Nous aurons aussi par la suite accès à un dressing pour varier tenues, accessoires et coiffures. Option sympathique qui aura même son importance à un moment de l’aventure.
De même, le choix du métier enrichit et diversifie les dialogues et réflexions que le personnage peut avoir, et il va de paire avec l’obtention d’un objet unique (appareil photo, clé usb, manuel de psychologie) qui servira lors d’un puzzle en particulier, et plus généralement pour débloquer des interactions. Par exemple, si notre Milda est assistante en psychologie, elle pourra à l’aide de son manuel décoder les gens avec qui elle aura discuté suffisamment longtemps. L’occasion d’avoir des commentaires souvent amusants à défaut de faire preuve d’une grande déontologie. Mais on se rend bien vite compte que Milda n’est pas forcément à cheval sur la bienséance, qu’elle a la répartie facile, et une certaine propension à n’en faire qu’à sa tête. Et c’est là tout son charme.

Si la galerie de personnages secondaires reste dans le domaine du sympathique assez oubliable (le jeu assume totalement le choix de persos cartoonesques sans réelle profondeur et n’est pas là pour proposer une étude du caractère), la jeune femme est quant à elle instantanément attachante, et ses interactions avec les gens et le monde qui l’entoure participent à renforcer à chaque fois son charme pétillant et sa vitalité communicative.
Pour interpréter Milda, l’équipe de Tag of Joy a eu la lumineuse idée de faire appel à Erin Yvette, dont la voix n’est sans doute pas inconnue des amateur·ice·s de jeux narratifs (Alex dans Oxenfree, Snow White dans The Wolf Among Us, Sasha dans Tales From The Borderlands pour ne citer que ceux-là). Avec son talent habituel, l’actrice propose un jeu tout en naturel et enchaîne les traits d’esprits et d’humour avec une décontraction qui sied parfaitement au personnage ; que ce soit lors de dialogues qui flirtent avec l’humour absurde ou lorsqu’il s’agit de dégainer quelques sarcasmes acérés. Difficile alors de ne pas craquer pour Milda et son périple lituanien.

S’appuyant sur une technique irréprochable et une identité visuelle de qualité, Crown and Pawns: Kingdom of Deceit propose donc une aventure emballante, avec son histoire solidement narrée et ses énigmes pour la plupart bien troussées. Dans les baskets de Milda, on découvre un peu l’histoire de la Lituanie, on se délecte de dialogues savoureux et on passe un charmant et joyeux moment vidéoludique ; avec le secret espoir que Tag of Joy ne laisse pas la jeune femme en vacances trop longtemps et que l’aventure vienne dans un futur proche de nouveau sonner à la porte de son appartement.

  • Crowns and Pawns: Kingdom of Deceit, sorti le 06 mai 2022, est disponible sur Steam, GOG et l’Epic Games Store.

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