L’Essai | Dans la mêlée des corps et des cœurs enfiévrés

par Aleksseli

Même si on serait tenter de dire qu’on ne présente plus YBY Éditions sur Podculture, tant on a déjà pu parler avec amour en ces pages de certains de leurs ouvrages (Lever de Soleil, La hyène, la Sorcière et le Garde-manger), nous allons tout de même une nouvelle fois rappeler que cette maison d’édition associative, prônant la diversité sous toutes ses formes dans la fiction, effectue un travail remarquable (pour en savoir plus, on vous conseille l’épisode de Chill Chat qui lui est dédiée) ; et que c’est toujours un plaisir de découvrir en avant-première leurs futures publications. C’est le cas aujourd’hui avec L’Essai, novella érotique de Valéry K. Baran illustrée par Gustave Auguste.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Un trouble persistant, le besoin de s’isoler, une douche brulante… Tous les ingrédients sont réunis pour que Josh succombe à ce qu’il redoute et désire tant à la fois : le regard sombre et pensif que Damien, son coéquipier, pose sur lui. Dans ses souvenirs, leur relation a toujours été houleuse. À cause de lui, bien sûr : il y a son incapacité à s’exprimer sans passer par les poings, son contexte familial compliqué, sa sexualité bridée… Mais surtout, il y a le rugby, ce rêve à portée de main qui pourrait s’effondrer s’il cède à la tentation.

©️ L’Essai de Valéry K.Baran, illustré par Gustave Auguste

L’Essai nous emporte donc dans le monde de l’ovalie mais aussi, et surtout, dans celui de Josh. Un jeune homme issu d’un milieu peu aisé qui voit dans le rugby et la possibilité d’intégrer l’équipe de France des moins de 20 ans un moyen d’échapper à un environnement familial chaotique. Avec une plume vive et précise, Valéry K. Baran dépeint parfaitement le personnage principal et le monde qui l’entoure, sans édulcorer quoi que ce soit, mais sans non plus se refuser à toute forme d’empathie. Être constamment vissé·e·s aux crampons de Josh durant tout le récit nous permet de saisir au mieux ses pensées, ses peurs, ses rêves, ses désirs avoués ou réprimés. Nous vivons Josh autant qu’il essaie de vivre pleinement, nous le respirons autant qu’il essaie de ne pas suffoquer sous les questionnements qui le taraudent. Les questionnements sont au cœur même de cette novella. Sur l’aspect professionnel d’abord, avec le rêve que Josh a de faire carrière dans le rugby et de pouvoir ainsi vivre de sa passion. L’autrice nous plonge avec talent dans cet univers, que ce soit lorsqu’il s’agit de décrire les décors où se jouent matches et entraînements que les matches et entrainements eux-mêmes. Tout semble naturel, vivant. Des corps qui s’entrechoquent sur la pelouse aux cris d’encouragement dans les gradins, des ballons qui s’élèvent entre les perches aux douches embuées des vestiaires. Vestiaires qui tiennent une place particulière car c’est là où on se prépare, où on pleure de rage les défaites comme on hurle les victoires. Où on se met à nu aussi.

La mise à nu est un thème essentiel de L’Essai, thème qui vient dialoguer avec les questionnements de Josh, cette fois-ci sur l’aspect personnel et intime. Se mettre à nu ce n’est pas uniquement le faire devant les autres, mais tout d’abord, et avant tout, devant soi ; se voir tel que l’on est vraiment. Chose difficile pour quelqu’un qui durant toute sa jeune vie a été biberonné au culte de l’homme viril, hétérosexuel, tombeur de ces dames. Une image dans laquelle il ne se reconnait pas et qui craquelle de plus en plus depuis qu’il connait Damien. Se confronter à ce jeune homme qui semble si sûr de sa vitalité et de sa sexualité déstabilise Josh autant que ça l’encourage à casser ce miroir qui lui renvoie un reflet qui ne lui ressemble pas. Là encore, Valéry K. Baran démontre un grand savoir-faire dans la façon de traiter le déchirement qui s’opère chez le personnage principal, la façon dont il remet en cause une norme qui n’en possède que le nom, tout en se refusant pourtant d’embrasser pleinement ce qui fait de lui la personne qu’il sent être profondément. D’autant que Josh doit faire face à de l’homophobie, qu’elle soit latente ou plus frontale, issue d’une bête ignorance ou d’une réelle malveillance. Cette homophobie est bien dépeinte par l’autrice et fait écho à ce qui apparaît encore bien trop souvent dans notre société ; de plus, en ancrant le récit dans le monde du rugby, un des sports les plus virilisés, elle permet de mettre en lumière l’omerta qui y règne en ce qui concerne l’homosexualité.

Josh se pose pourtant la question de son homosexualité, lui qui n’a connu jusqu’alors que des jeunes femmes pour des aventures aussi éphémères qu’interchangeables. Son rapport à Damien le bouscule, et pas uniquement sur le plan existentiel. Car L’Essai est un texte qui fait grande part à l’érotisme. Sur ce point également, la plume de Valéry K. Baran fait des merveilles. Elle glisse sur les deux garçons avec précision et délectation ; tantôt suave, tantôt plus énergique, peignant les mouvements brusques ou lascifs de corps en fusion, les halètements rauques de cœurs à l’unisson. Cette efficacité redoutable ne faiblira jamais lors des différents scènes intimes que partageront Josh et Damien. Scènes que l’on retrouvera à l’occasion immortalisées par Gustave Auguste, à travers les superbes illustrations qu’il a réalisées et qui profitent du format beau livre de l’ouvrage pour s’afficher, çà et là, en pleine page.

L’Essai est donc une novella de grande qualité, tant sur le fond que sur la forme, nous entraînant, à la suite de ces corps et cœurs gorgés de désir, dans de belles éruptions érotiques qui n’empêchent toutefois jamais des thématiques fortes d’infuser ni les sentiments de respirer.

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