Lorsqu’Alex Chen débarque à Haven Springs, charmante petite bourgade minière nichée au creux des montagnes du Colorado, elle se trimballe bien plus de bagages que le simple sac qui se balance dans son dos. Sur ses vingt et une années d’existence, la jeune femme en a passé presque la moitié brinqueballée de familles d’accueil en orphelinats. Huit ans sans réel foyer, huit ans sans être véritablement adoptée ; avec pour seule constante la sensation de n’appartenir à rien ni personne. Ni même de s’appartenir vraiment.
Huit ans séparée de Gabe, son frère aîné, qui vient la retrouver à la descente du bus sur ce petit pont fleuri. Des retrouvailles où excitation et appréhension dansent maladroitement ensemble. Avec Gabe pour guide, Alex découvre Haven Springs, ses hauts lieux, ses principales figures. Première journée où se mêlent déjà toutes sortes d’émotions, première journée qui s’achèvera par un drame et lancera Alex à la recherche de réponses. Sur le monde qui l’entoure et les évènements qui ont frappé la petite communauté de Haven Springs ; sur elle-même.

Knockin’ on Haven’s Door

Après un road trip mouvementé dans le sillage des frères Diaz avec Life is Strange 2, c’est donc dans les Rocheuses que ce nouvel épisode de Life is Strange nous propose de faire escale. Dontnod a de nouveau passé le flambeau au studio Deck Nine Games qui, en 2017, s’était déjà occupé avec brio de Before the Storm, prélude au premier opus de la saga. Si à cette époque, prequel oblige, les développeurs avaient dû composer avec un univers et certains personnages préexistants, pour True Colors, ils ont pu partir sur une toute nouvelle histoire, dans un tout nouveau lieu, avec de nouveaux personnages (ou presque car on retrouve Steph Gingrich, qu’ils avaient introduit dans Before the Storm et qu’ils ont emmenée avec eux pour cette nouvelle aventure, de même que pour le DLC Wavelengths dont elle est la protagoniste). Un choix murement réfléchi quand on sait que le studio travaille sur le projet depuis quatre ans. Et un choix tout à fait opportun puisqu’il permet d’élargir l’univers de la licence.

© 2021 Square Enix

Nous posons donc nos bagages à Haven Springs, plus communément appelé Haven par la population locale. La petite ville est superbement mise en scène et c’est un plaisir de pouvoir s’y balader. Les couleurs sont vivantes, l’architecture impeccable avec ses bâtiments à l’identité marquée, oscillant entre réalisme et ce qu’il faut d’effet « carte postale » pour se sentir tout autant chez soi qu’en voyage (il faut préciser que Deck Nine est en terrain connu, le studio étant basé dans le Colorado). Suivant le moment de la journée durant lequel on arpente les lieux, on aura toujours ce mélange de sensation familière et de redécouverte.

Les habitants de Haven ne sont pas en reste. Ils ont bien souvent quelque chose à raconter et, pour peu que l’on soit attentif, on peut suivre des petites histoires se développer au fil du temps. Ce sentiment de vie est renforcé par le flux régulièrement actualisé de MyBlock, réseau social local sur lequel tout ce petit monde interagit, qu’on peut consulter via le smartphone d’Alex. Parmi ces habitants, il y en a bien sûr certains plus importants que d’autres. Ils forment une galerie de personnages bien travaillés, échappant aux clichés pour peu qu’on prenne vraiment le temps de les découvrir. Deck Nine avait déjà réussi sur ce point avec Before the Storm, mais avec True Colors ils élèvent encore plus le niveau en terme de qualité d’écriture. Ce qui est pour le mieux car le titre repose essentiellement sur les personnages, tout comme le pouvoir de sa protagoniste.

A Girl and Her Power

Alex possède un pouvoir d’empathie qui lui permet de voir des auras de couleur entourant les personnes avec qui elle parle, voire même certains objets. Ces auras de couleur symbolisent des émotions. Les décoder permet à la jeune femme de ressentir ce que vivent les gens ainsi que les pensées liées à ces émotions. Bleu pour la tristesse ou encore rouge pour la colère (pour ne citer que ces deux exemples), ces couleurs peignent le monde et les gens qui entourent Alex. Une toile en perpétuel mouvement que la jeune femme peut choisir ou non d’impacter. Visuellement le studio américain a fait un très joli travail. Tout est fluide et naturel et bien vite on se fait à la mécanique qui permet d’activer ce pouvoir et donc d’en apprendre plus sur les personnes avec qui on parle pour ainsi débloquer de nouveaux dialogues, de nouvelles scènes. Mais il faut faire attention à cette utilisation car les émotions puissantes peuvent être volatiles et Alex peut en subir les conséquences. Que ce soit par des mots mal placés, ou alors en recevant une vague d’émotions qui va la submerger. Et contrairement à Max qui pouvait, dans le premier Life is Strange, rembobiner le temps pour se donner une nouvelle chance, Alex n’a que le moment présent pour influer sur le cours des choses, sur la vie des gens. Et sur la sienne.

© 2021 Square Enix

Nouvelle héroïne dans la licence, Alex Chen est merveilleusement bien écrite (et tout aussi merveilleusement bien interprétée par l’actrice Erika Mori). Deck Nine avait déjà réussi l’exercice périlleux de développer avec subtilité Chloe Price dans Before the Storm ; ici ils introduisent une jeune femme à laquelle il est impossible de ne pas s’attacher.

Malmenée par la vie, Alex a connu trop de déboires et de familles d’accueil à seulement vingt et un an. Et à la différence de Max Caulfield ou encore de Daniel Diaz, elle vit avec son pouvoir depuis longtemps. Un pouvoir d’empathie dont elle ne sait quoi faire tant il peut l’infecter. Il suffit de lire de vieux sms sur son smartphone pour comprendre à quel point elle le considère comme une malédiction et non une bénédiction. Car s’il peut lui permettre de se rapprocher parfois des gens, la plupart du temps il les en écarte de sa vie, les repoussant si loin qu’ils disparaissent de cet horizon qu’elle n’arrive même plus à percevoir.

Alex cherche pourtant cet horizon. Venir à Haven Springs et revoir son frère aîné pourrait l’aider dans cette quête, même si elle a tant de mal à croire à la possibilité d’un véritable futur. L’accident tragique qui emporte Gabe alors qu’ils viennent à peine de se retrouver va tout bouleverser. Pour le meilleur ou le pire suivant les choix qu’elle fera, et nous avec elle.

All The World’s a Stage

Il y aurait tant de choses à raconter sur l’œuvre que nous propose Deck Nine, les personnages et les lieux qui la peuplent, ces petites histoires qui fourmillent et vibrent de telle ou telle couleur. Je pourrais parler de ces bornes d’arcade aux jeux démodés sur lesquelles Alex peut passer le temps, de ces objets qui semblent anodins, traînant ici ou là, et qui pourtant recèlent des souvenirs intimes qui ne demandent qu’à être ravivés. Je pourrais évoquer ces parties de babyfoot servant de catharsis à une jeune femme qui se réfugie bien trop souvent dans sa cabine de radio, le son à fond, pour éviter d’extérioriser ses peurs et ses peines. Ou encore ce vieil homme qui, le temps d’une danse sur une ballade jazz, peut se remémorer des pas tant de fois partagés avec celle qui n’est plus depuis longtemps et qui pourtant est toujours bien présente.

Il y aurait tant des choses à raconter. Mais ce sont des choses à vivre, des gens à rencontrer. De petits et grands moments qui tournent et tournent comme ces vinyles dans le jukebox de la taverne de Haven. Des émotions que l’on découvre, que l’on ressent, kaléidoscope de couleurs que l’on doit apprendre à accepter même si parfois elles peuvent nous aveugler.

© 2021 Square Enix

Alex tient un journal dans lequel elle inscrit les émotions ressenties et absorbées au gré des rencontres marquantes qu’elle a faites. C’est une carte intime qui lui permet de savoir où elle en est car son pouvoir est tel qu’elle ne sait plus parfois si une émotion lui est propre ou alors seulement un écho de ce qu’elle a perçu chez autrui. Pour exorciser cela, elle transforme les maux en mots, les mots en paroles, griffonnant couplets et accords de chansons que seules les pages de son carnet chantent en secret. L’utilisation de la musique a toujours été une marque de fabrique des jeux Life is Strange, mais jamais son importance n’avait été aussi grande qu’avec True Colors. Alex est une musicienne dans l’âme. La guitare est son ancre, sa voix le conducteur principal des émotions qu’elle ne sait trop comment évacuer. Mais comment pouvait-il en aller autrement pour une jeune femme possédant le pouvoir d’empathie ?

Peu importe qui l’on soit, où que l’on soit, la langue que l’on parle, la musique est un vecteur d’émotions. Elle connecte les gens, les lie autour de mêmes sons. Que l’on joue d’un instrument ou non, d’une certaine manière, dans la vie, nous faisons toutes et tous de la musique. Sans forcément nous en rendre compte, nous entonnons des mélodies, assurons des accompagnements. C’est un besoin presque inconscient, qui nous pousse à rechercher une scène sur laquelle nous exprimer, d’autres musiciens et musiciennes avec qui nous accorder. C’est ce qu’Alex souhaite désespérément trouver : une scène. Juste une scène. Une scène qui l’accepte enfin, une scène sur laquelle elle se sente bien. Une maison en quelque sorte. Et puis quelques personnes avec qui jouer, peu importe si parfois il y a des fausses notes. Une famille en fin de compte.

Right Where You Belong

La vie est étrange. Elle voit des papillons bleus déclencher des tempêtes, des hurlements de jeunes loups en cavale déchirer des murailles. Avec True Colors, Deck Nine apporte une nouvelle pierre à cet édifice fait d’aventures et d’émotions. Moins fracassante en surface, elle infuse longuement, profondément. À tel point qu’il sera impossible d’oublier Alex Chen, son besoin d’appartenir à un lieu, à une communauté, d’appartenir enfin à elle-même, à un présent tangible dans lequel on l’accepte et où elle s’accepte ; percevoir alors un horizon dégagé, un futur où elle a toute sa place. Où elle a une vie, tout simplement.

  • Life is Strange: True Colors est disponible depuis le 9 septembre sur PC (Windows), Xbox One et Xbox Series X|S, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch.
2 Twitter

Au début de l’été 2021, les éditions Mangetsu nous présentaient un auteur atypique. A travers Panda Detective Agency on découvrait le trait et l’univers intimiste de Pump Sawae, auteur jusqu’ici inconnu en France. Son état de santé ne lui permettant pas de poursuivre sa série dans l’immédiat, c’est avec un recueil d’histoires courtes, intitulé Tout au bout du quartier, qu’il nous faut nous consoler. En ouvrant ce large volume de 240 pages, je pensais découvrir quelques histoires courtes dans un ton introspectif et touchant, proche de celui de Panda Detective Agency. Mais la proposition du recueil va bien au delà de ça, et nous emmène littéralement dans dix ans de la vie et de l’œuvre d’un mangaka, qui a décidément un regard très personnel sur le monde.

Cette chronique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire du manga par son éditeur

Foisonnant et intriguant

© 2020 by SAWAE PUMP. All rights reserved.

Dès sa première histoire, Tout au bout du quartier donne le ton, en racontant en quelques pages le quotidien d’une épouse qui vit nue chez elle, et qui ne sort plus depuis qu’elle a quitté son travail. Une première tranche de vie peu bavarde, très contemplative et qui laisse le temps s’écouler doucement. S’en suit l’histoire d’une jeune fille qui revient dans le passé afin de redonner à son aïeul le goût du base-ball. Puis soudain tout s’accélère. Car arrivent ensuite une foule de récits très courts, en deux, cinq, six, dix pages, voir même des micro-mangas d’une page racontant, le plus souvent avec nostalgie, un épisode de la vie de l’auteur.

Des formes raccourcies auxquelles j’étais plutôt habitué pour le ton humoristique des gags en quatre cases, très prisés pour constituer un supplément dans les pages bonus d’un tome relié. Mais ici, rien à voir. De par leur longueur réduite, ces récits adoptent des formes narratives qui vont droit au but. Ainsi le propos de chaque histoire peut se résumer en une phrase, qui est mise en scène sous forme de bande dessinée, ni plus ni moins. Il n’y a pas souvent de structure classique en plusieurs actes (situation initiale, élément perturbateur, péripéties, situation finale), car on a tout simplement pas le temps de s’en encombrer. Cela laisse d’abord un peu dubitatif. On a l’impression qu’il manque quelque chose à chaque histoire. Que l’auteur aurait pu travailler un peu plus à la construction de chaque récit. Puis, faute de retrouver ses repères habituels, on se concentre sur le fond de chaque épisode plutôt qu’à sa forme. Et surtout, on découvre les commentaires de Pump Sawae qui viennent ponctuer le recueil. C’est alors que l’on comprend que ces travaux sont non seulement l’œuvre d’un mangaka, mais aussi et surtout d’un mangaka qui apprend.

Une porte dérobée vers les coulisses d’une carrière

© 2020 by SAWAE PUMP. All rights reserved.

Pump Sawae nous raconte que les histoires en une ou deux pages proposées dans Tout au bout du quartier sont des exercices de style. Des défis qu’il se lançait avec un ami dessinateur via Skype afin de stimuler sa créativité. Il explique ainsi que, n’ayant que peu de temps pour réfléchir au scénario de la bande dessinée, il finissait toujours par représenter des histoires de son quotidien. Quotidien qu’il juge lui même peu palpitant, car très casanier et peu tourné vers le monde extérieur. Craignant de créer des histoires inintéressantes, l’auteur atteint pourtant un effet inverse. Car en représentant en une page, un moment du quotidien, une anecdote ou une discussion, il parvient à croquer une tranche de vie, en y ajoutant sa propre sensibilité. On a ainsi affaire au point de vue d’un artiste sur le monde, et il me semble que c’est le fondement même de l’expression artistique.

Car lorsque Pump Sawae parle de lui, il parle aussi de nombreux sujets universels. La vie de couple, la vie de famille, les souvenirs d’école, les leçons de vie que l’on reçoit au détour d’une conversation anodine…ainsi que les difficultés liées à la maladie. Au sein du recueil, ces petits moments viennent donner un peu de respiration entre deux histoires courtes un peu plus fournies, dont le ton décalé ou inspiré par des éléments de science fiction viennent nous en dire toujours plus sur l’imaginaire de son auteur. On referme ainsi le recueil avec le sentiment d’avoir voyagé dans la vie d’un homme. D’en connaître autant sur lui que si on l’avait côtoyé durant des années, car c’est un peu ce qui se produit à la lecture de Tout au bout du quartier.

En revenant du bout du quartier

Je pourrais relever la qualité très inégale des dessins, ou le fait que le recueil ne soit pas agencé de manière chronologique, le rendant parfois un peu perturbant, dans la manière dont tout s’y enchaîne sans apparente logique. Mais je crois que ce serait se méprendre sur ce qui nous est ici offert. Tout au bout du quartier est un témoignage. Une compilation de l’œuvre d’un artiste. Et un artiste, c’est parfois quelqu’un qui produit des micro-histoires d’une page, qui ne dessine pas très bien, qui sort des normes narratives, et qui raconte simplement et sans ambages quelque chose qu’il a envie de raconter, avec son point de vue. C’est pourquoi je recommanderais ce volume avant tout aux passionnés et passionnées de BD. Car si vous aimez ce médium, vous aimerez voir ce qu’en fait quelqu’un qui ne se conforme pas à la manière traditionnelle qu’on a de le consommer. Quitte à ne pas forcément trouver ça intéressant, vous aurez ouvert votre esprit. Et quiconque lira ces histoires, plutôt que de se dire que « c’est pas de la bande dessinée », pourra se rendre compte que « ça aussi, c’est de la bande dessinée ».

  • Tout au bout du quartier est disponible en librairie depuis le 18 août 2021, aux éditions Mangetsu
2 Twitter

Hellblazer est une série à part dans l’univers de DC Comics. Terreau fertile pour la créativité des scénaristes qui ont pu manipuler le personnage de John Constantine, c’est aussi un univers tout à fait unique avec sa magie noire, ses horreurs occultes et la douce ironie d’un anti-héros au ton british. Une œuvre que l’on explore toujours avec plaisir, et qui revient ce mois-ci en VF chez Urban Comics avec un titre intitulé Hellblazer Rise & Fall, une histoire complète en un tome écrit par Tom Taylor (à qui l’on doit notamment les Injustice) et dessiné par Darick Robertson (Transmetropolitan, The Boys…)

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

« Gamin déjà, j’étais assez futé pour détester les riches »

© DC BLACK LABEL / DC COMICS 2020

En s’imprégnant du monde de Hellblazer, ce qui semble intéresser Tom Taylor est de revenir sur les origines de son anti-héros, John Constantine. Figure de proue de l’œuvre, bien que l’on pourrait arguer que l’univers de Hellblazer est lui-même le héros, Constantine est à l’image du monde dans lequel il tente de survivre : brisé, ironique, flirtant toujours avec le danger et plus proche de la lie de l’humanité que de toute forme d’héroïsme. Et c’est ce qui fait de Hellblazer une œuvre si particulière dans le catalogue de DC Comics, puisque s’il se mélange occasionnellement à un univers partagé avec les super-héros·ïnes en culottes, son ton et son ambiance pleine de sarcasme l’adressent à un public assez différent. Bien que certaines fois, nous l’ayons vu s’intégrer dans des histoires plus légères à l’occasion de crossovers qui ne sont pas toujours inspirés. Mais cessons de nous égarer. Pour revenir à Constantine, Tom Taylor vient nous raconter une histoire personnelle, débutant à la naissance du britannique, avec la mort de sa mère, son enfance avec un père violent, et sa fascination très tôt pour les arts occultes. Gamin, il s’essayait à des incantations lues dans des livres poussiéreux, jusqu’à ce que cela mène à un terrible événement, non pas sans rapport avec les macabres découvertes des derniers jours. En effet, la police enquête actuellement sur des corps auxquels on a greffé des ailes d’ange, retrouvés morts avec un goût certain de la mise en scène qui n’est pas sans rappeler certaines références que je raconterai plus tard. Cette histoire très personnelle sert paradoxalement un propos plus général, notamment sur l’individualisme, mais aussi sur la détestation absolue des riches par John Constantine, qui tient la bourgeoisie en horreur, un sentiment qui ne sort pas de nulle part comme le livre l’explique assez vite.

Sorte de pamphlet anti-capitaliste, Hellblazer Rise & Fall va là où on ne l’attend pas : en servant son histoire foncièrement ancrée dans l’univers de Constantine il y intègre quelques petits éléments, notamment de politique Américaine (que les auteur·ice·s de comics n’hésitent jamais à commenter), qui s’intègrent parfaitement dans l’imaginaire du personnage et dans sa représentation. Il n’est en effet pas incongru de penser qu’un gamin de Liverpool, ville abattue par la désindustrialisation (et le chômage qui vient avec), en vienne à n’avoir qu’une estime tout à fait limitée de la bourgeoisie. Une bourgeoisie qui incarne tous les vices, les excès et les péchés qui servent justement et avec malice un récit à l’arrière plan religieux, entre « Bien et Mal » et apparition soudaine d’un Diable improbable. Parce que « les milliardaires sont les personnes les plus méprisables de la planète » (oui, le comics est généreux en citation de ce ton, pardon aux milliardaires qui nous liraient), cette histoire racontée par Tom Taylor en arrive à un quasi-sous texte sur la lutte des classes. Une approche du plus bel effet, qui donne un peu plus de consistance à son Constantine qui, en réalité, est souvent spectateur des événements.

Des airs d’Ennis

© DC BLACK LABEL / DC COMICS 2020

Fin, intéressant, le comics ancre Constantine dans notre époque de manière intéressante et propre au personnage. Mais ce qui touche un peu plus, c’est l’amour et l’hommage adressé à Garth Ennis, non dissimulé, tant sur les thématiques que les dessins. Evidemment sur ce point, il est difficile d’ignorer la patte de Darick Robertson que l’on associe souvent à Garth Ennis pour leur travail commun sur les comics The Boys. On le voit aussi parfois presque s’inspirer parfois de la mise en scène d’un Steve Dillon qui a longtemps bossé avec Ennis sur Preacher. Un comics que Hellblazer Rise & Fall référence allègrement avec son thème religieux et son sarcasme, bien que Tom Taylor s’éloigne (heureusement ?) du côté très trash d’Ennis, et s’avère plus ouvert sur les thématiques abordées, comme l’homosexualité de John Constantine.

Ce cocktail de références n’est toutefois pas là par hasard, ce n’est ni une facilité ni une évidence. Tom Taylor s’en sert pour rebondir sur Hellblazer, un monde déjà empreint de mastodontes des comics, qui y ont tou·tes·s laissé·e·s leurs idées. De Warren Ellis (dont on n’oublie pas les casseroles) à Grant Morrison, en passant par Neil Gaiman, c’est quelques uns des plus grands noms des comics US qui ont façonné le personnage de Constantine et son monde tels qu’ils sont aujourd’hui. Ce n’est donc que justice pour l’auteur et le dessinateur de référencer leurs aîné·es à l’heure de produire une œuvre qui s’intéresse à la genèse du personnage, à son parcours et à son irrémédiable destin.

Référencé à bon escient, écrit avec un ton qui alterne très justement entre légèreté et solennité, Hellblazer Rise & Fall est une histoire courte qui rend un bel hommage, tant à son anti-héros, qu’à celles et ceux qui ont créé sa légende. Empreint d’un sous-texte intéressant qui rappelle les origines sociales du personnage, le comics se perd peut-être sur la résolution de son « mystère », mais il serait dommage de le bouder pour quelques dernières pages moins inspirées que le reste, notamment le premier chapitre qui est un véritable exemple d’exposition réussie.

  • Hellblazer Rise & Fall est disponible en librairies depuis le 10 septembre 2021 aux éditions Urban Comics.
0 Twitter

D’aussi loin que je me souvienne, le genre historique et notamment l’ère Edo dans les mangas ne m’a jamais attiré. J’ai toujours préféré le genre du shonen fantastique, ou les seinen slice of life. Pour autant, force est de constater que les goûts évoluent. J’aime toujours autant les genres que j’ai pu citer précédemment, mais ma profonde appréciation se tourne de plus en plus vers le genre sombre et froid du seinen pur.

C’est d’ailleurs cet aspect froid qui m’a convaincu avec Butterfly Beast, un seinen écrit et dessiné par Yuka Nagate, en deux tomes. La série est éditée en France par Mangetsu, dans la collection seinen.

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

La froideur d’un papillon

Toutes les histoires marquent pour des raisons bien précises. Que ce soit notre attachement aux différents personnages, ou encore le fait que le récit nous parle bien plus que d’autres pour certaines raisons qui nous sont propres. Mais ce Butterfly Beast ne rentre dans aucune de ces catégories. Il est très difficile de s’attacher aux différents protagonistes qui nous sont présentés, et je doute sincèrement que nous soyons contraints à devenir des chasseurs de tête. Cependant il y a quelque chose d’enivrant, de profondément attirant avec ce manga. Cela résulte de la froideur avec laquelle l’histoire est contée. Entre ces personnages principaux tueurs, et le manque d’humanité dont ils font preuve, il y a une sorte de curiosité morbide qui s’en dégage. Le tout étant magnifié avec des dessins incroyables, très graphique pour certaines scènes (comprenez que la violence est présente, aussi bien dans ce qui est raconté qu’esthétiquement).

Ochô est la protagoniste de cette intrigue. Elle se présente comme une shinobi, chasseuse de shinobi, s’occupent de ceux « qui ont dévié du droit chemin ». Pour faire simple, les shinobis ont en quelque sorte un code d’honneur, et certains bafouent celui-ci. Les chasseurs sont alors appelés pour s’occuper d’eux. C’est en ayant ces connaissances que commence l’histoire, et je n’irai pas plus loin pour éviter de vous divulgâcher l’ensemble de ce diptyque. Mais alors, pourquoi avoir été autant emballé pour une histoire assez commune sur la violence et la vengeance ? Je me pose encore la question plusieurs heures après la lecture de ce manga et je pense avoir trouvé un semblant de réponse.

Une fascination morbide

© NAGATE YUKA. All rights reserved.

Comme je le disais en introduction, certaines histoires nous marquent pour des raisons bien précises. Il s’avère que pour ma part, j’ai une fascination presque dérangeante pour les personnages d’anti-héros, ou personnage gris. Plus encore, je me perds dans une auto-identification envers ceux-ci. Ce qui est d’autant plus dérangeant au vu de ma personnalité très… « Bisounours ».

J’ai pu ressentir cela face à Dexter, de la série du même nom, ou encore récemment avec le personnage d’Eliott de la série Mr. Robot. Sans que je m’en aperçoive, je me laisse complètement piéger, tel un insecte dans une toile d’araignée et je me retrouve hypnotisé par ces personnages complexes. Au point de développer une grande empathie envers eux. Ce fût bien évidemment le cas avec Ochô de Butterfly Beast.

Cette femme au passé trouble, ayant pour seul objectif de réussir le travail qui lui est donné. Mettant ainsi de côté toute émotion, au point de s’oublier elle-même. Cependant, il y a toujours un grain de sable qui vient faire dérailler tout ce rouage que le personnage pensait bien huilé. Ce qui la rend d’autant plus complexe.

C’est tout ce savoir-faire, sur la création d’un personnage, qui me fascine. Comment provoquer au lecteur·rice, une empathie profonde, alors qu’il·elle sait pertinemment que ce qu’il·elle vit au travers de cette histoire est immoral. En plus d’être audacieux, Yuka Nagate nous prouve une grand maîtrise dans l’écriture de son histoire et la création de ses personnages. Aussi complexe que fascinant, aussi froid que touchant, Butterfly Beast se termine sur une fin douce amère, et l’on souhaiterai une suite, tant les enjeux peuvent y être incroyable. Le passé complexe du personnage principale est abordé dans la dernière partie de ce diptyque, nous apportant un certain lot de réponse, sans pour autant aller jusqu’au bout des choses. Il en reste un goût d’inachevé, nous offrant une promesse d’aventure plus grande encore, que ce que l’on a alors abordé.

Après quelques recherches pour écrire cette chronique, j’ai appris qu’une deuxième partie de Butterfly Beast existe. Sobrement appelée Butterfly Beast 2, toujours écrite et dessinée par Nagate et sortie au japon en 2011 (tandis que la première partie elle, est sortie en 2010). Il n’y a plus qu’a espérer que cette suite arrive dans nos contrés, afin de connaître la fin de l’histoire d’Ochô.

  • Les tomes 1 et 2 de Butterfly Beast sont disponibles depuis le 1er septembre en librairie.
0 Twitter

Chiruran nous a séduit avec ses deux premiers tomes, en juillet dernier, et c’est peu de le dire. Cette fresque d’un Japon du 19ème siècle, à la croisée des chemins, entre la fin d’une ère et le début d’un autre monde, se racontait au travers d’un groupe de samouraïs en quête d’un sens à leur vie. Une approche souvent maline en mélangeant l’histoire au genre bien codifié du shōnen, qui doit maintenant confirmer ses bonnes intentions avec un 3ème tome sorti le mois dernier.

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Guerre d’égos

Troisième année de l’ère Bunkyû, le héros et ses compagnons tentent d’entrer au service du clan Aizu, l’un des derniers remparts du gouvernement. Pour ce faire, un défi leur est posé : les compères doivent affronter, et vaincre,  les maîtres des écoles d’Aizu. Sorte de concours de testostérone certes, mais surtout un moyen de prouver sa valeur dans un monde violent, comme un dialogue en particulier vient expliquer et justifier plutôt habilement ce recours à un « recrutement » aussi féroce. Évidemment, le tournoi d’arts martiaux est un élément récurrent dans les shōnen, sorte d’outil narratif un peu facile dont le plus fier représentant se trouve du côté de Dragon Ball Z, où l’on profite de ce grand rassemblement des plus grands menaces de l’univers pour raconter tour à tour la défaite, l’apprentissage et enfin la victoire du héros. Mais même si le procédé est grossier, on se laisse toujours séduire par celui-ci, et un peu plus lorsqu’il est aussi bien exécuté que dans Chiruran. Car au-delà des ficelles narratives, le manga a parmi ses nombreuses qualité sa manière de raconter des « gueules », que l’on qualifierait de manière très cliché de « à l’ancienne ». Des « gueules » qui disent tout sur elles dès qu’on aperçoit les personnages, avec un charisme qui irradie l’image et qui nous rappelle qu’on est bien dans une œuvre un peu fofolle qui ne prend aucune pincette. Ce troisième tome de Chiruran est une sorte de grande réunions des guerriers les plus puissants, mais aussi les plus improbables, d’un pays en ruines où chacun tente encore de montrer qu’il est plus fort que l’autre. Une guerre d’égos où les hommes (les femmes étant, malheureusement, terriblement absentes du manga) se mettent sur la gueule soit par loyauté envers un mystérieux chef, soit parce qu’ils n’ont probablement rien de mieux à faire.

© 2010 By Eiji Hashimoto and Shinya Umemura

Et même si ce ne sont pas tous des intellectuels, il faut bien avouer que leur charisme dépasse l’entendement. Chaque nouveau personnage introduit à l’occasion de ce tournoi imprime de suite le manga de son aura, de sa stature, de son univers, tantôt brute, tantôt délicat, donnant une bonne opportunité à Shinya Umemura et Eiji Hashimoto de laisser parler leur imagination. Outre les personnages et leur charisme, c’est une mise en scène maline qui illustre les différents styles de combat et des affrontements qui virent parfois à la guerre psychologique, dans des discours grandiloquents du plus bel effet, flirtant toujours avec un léger ton ironique, comme si le manga avait conscience d’en être un. Comme s’il prenait un certain recul sur ce tournoi pour mieux en raconter les mécanismes et les aboutissements. Cela permet d’ailleurs à ce troisième tome de servir de transition pour de futures menaces, qui se dévoilent peu à peu, dans l’ombre, pendant que nos héros s’amusent à jouer aux plus forts.

Tempérer pour mieux surprendre ?

Il se passe finalement peu de choses dans ce tome, certes, mais l’arrivée de nouvelles menaces permet de bien comprendre l’intérêt de ce (long) tournoi. Les enjeux apparaissent en toile de fond, pendant que l’égo prend le pas sur la raison, montrant à sa manière qu’avant d’être des guerriers hors pair, ces hommes ne sont pas bien difficile à déstabiliser pour peu que l’on remette en cause leur puissance. Un sous-texte intéressant, qui dépasse le cadre très classique dont je parlais plus tôt, pour mieux amorcer certainement les grandes thématiques qui vont alimenter les prochains tomes. En gardant toujours un œil sur l’histoire du Japon, le manga mélange ses univers visuels entre ses personnages atypiques et ses décors directement inspirés du 19ème siècle, bien que ce troisième tome est plus chiche en la matière, l’essentiel de l’action se déroulant au même endroit. Cela ne l’empêche toutefois pas de briller de temps à autre.

Certes, ce troisième tome donne la fâcheuse impression de remplir des cases parce qu’il le fallait bien, en attendant le prochain arc, en profitant du moment pour présenter quelques nouveaux personnages. Mais le manga le fait si bien, et adapte à sa manière le fameux tournoi si prédominant dans l’imaginaire des shōnen, qu’on a du mal à lui en vouloir. Certainement moins percutant que ses deux prédécesseurs, il n’en reste pas moins un charmant moment de lecture où l’on se délecte d’un imaginaire sans fin, qui allie avec talent fresque historique et destin épique.

  • Le tome 3 de Chiruran est disponible en librairie depuis le 18 août 2021.
0 Twitter

Difficile d’ouvrir cette chronique, alors que je l’écris au lendemain de ma séance afin de garder en tête le maximum d’informations. Incontestablement, le film dont je voudrais parler aujourd’hui m’a ébranlé. Il a résonné en moi comme rarement, m’a mis face à moi-même. J’y ai vu un reflet de ma propre vision du monde, et ça ne m’a pas vraiment fait plaisir.
A ce sentiment délicat à décrire s’ajoute une certaine tristesse. Car en passant en revue beaucoup de commentaires sur France, j’ai pu constater que beaucoup avaient tout simplement détesté le film d’une part, mais que d’autre part, celles et ceux qui semblent l’avoir apprécié n’y ont pas vu la même chose que moi. Ainsi je dois ruminer mon choc dans une certaine solitude, malmené entre les interrogations. Est-ce que toutes ces personnes ne sont pas capables, au delà de leurs goûts personnels et des qualités réelles ou supposées d’un film, de percevoir ne serait-ce que l’intention d’un auteur ? Ou est-ce que c’est moi qui déraille, à ressentir si fort un message que j’ai peut-être inventé, voulant à tout prix projeter une part de moi dans un film qui accumule les retours (très) négatifs ?

Au milieu de tout cela, il me faut pourtant parler de France, et confronter ce que j’ai perçu à d’autres avis. Car au delà de l’idée selon laquelle le film voudrait représenter une satyre des médias, à laquelle beaucoup de gens se sont arrêtés, il montre pour moi, y compris dans les retours qu’il suscite, les fractures immenses qui séparent les personnes. A quel point nos expériences et nos quotidiens, tous différents, faussent notre  perception des autres et de ce qui nous entoure, et nous éloignent malgré nous d’un immense pan de la réalité.

Un regard sur le monde

© 3B Productions, 2021

France de Meurs est la journaliste star la plus en vue du moment. Son émission fait les meilleures audiences et son aura, entre celle d’une actrice hollywoodienne et d’un grand reporter de guerre, est au plus haut. Mais dès le début, ce qui nous est montré est l’envers du décor. A travers les échanges entre France et Lou, son assistante, sont toutes les pensées sont focalisées autour de l’image de la vedette. Viennent ensuite plusieurs illustrations de la mise en scène permanente de France. Dans ses reportages d’abord, où l’attitude de la journaliste semble si décalée qu’on se demande si l’on n’est pas en réalité dans un décor avec des figurants, mais aussi dans sa vie privée, où elle fait de la figuration pour imager une vie de famille réussie, alors qu’elle est si éloignée son mari et de son fils qu’elle est la seule qu’elle parvient à tromper. Les séquences télévisuelles ne sont pas en reste, montrant via leurs coulisses une telle scénarisation des débats retransmis sur le petit écran, qu’on en reste à nouveau incrédule face au niveau de déconnexion de celles et ceux qui y participent.

Et soudain, alors que cette routine parfaite semble bien installée, un caillou va évidemment venir se loger dans cette mécanique idyllique et bien huilée. Un accident de voiture ou elle percute un scooter, et France se retrouve confrontée directement à un étranger à son monde. S’en suit alors une lente déconstruction des repères de France, qui va petit à petit perdre pied face à cette avalanche de réel qui lui saute à la gorge, qui va de la pauvreté qui parsème le pays, aux scènes de guerres qu’elle visite en tant que reporter, et qui font bien malheureusement écho aux récentes images qui nous sont parvenues d’Afghanistan.

Je n’irai pas plus loin pour introduire le scenario du film, mais je garderai un paragraphe en fin de chronique pour parler de son dénouement, extrêmement lourd de sens. A ce moment là, je vous préviendrai, si vous souhaitez voir le film et éviter les spoilers.

Un sous-texte sociétal bien présent

Si on l’aborde sous le seul angle politique, le film se révèle effectivement maladroit. Je comprends sans problème le rejet assez général de la scène d’ouverture ou les personnages du film sont incrustés dans les images réelles d’une conférence de presse du président Macron, qui en plus d’être esthétiquement très étrange (car la qualité des images de la conférence de presse matchent à peine avec celle des images du film), ne semble être là que pour satisfaire une lubie de Bruno Dumont, tant les conséquences de cette scène sur le reste du film sont inexistantes. A moins qu’il ne s’agisse de la volonté de montrer que le décor du film est la France actuelle, du début des années 2020, mais à ce moment là, nul besoin d’avoir recours à cette mise en scène, toujours difficile à défendre. Une simple apparition d’images contemporaines dans une télévision suffisent souvent à contextualiser de manière plus discrète le propos d’un film.

D’apparentes maladresses semblent également se multiplier lorsque certaines situations un peu clichées de « Bourgeoise fortunée qui se retrouve parmi des gens dans le besoin » se présentent à nous. D’autant que leur traitement ne paraît pas franchement neuf par rapport à ce qu’on connaît déjà. Et ce qu’on connaît déjà, ce sont les comédies franchouillardes, pas toujours très respectueuses, où Christian Clavier apparaît dans 80% du temps. Idem pour les situations où France interviewe des hommes politiques, aussi superficiels que caricaturaux. Aussi je comprends que, si l’on pense que le film se veut être une simple satyre médiatique, on trouve le résultat franchement peu inspiré. Mais ce serait je pense se méprendre sur les intentions de Bruno Dumont.

© 3B Productions, 2021

Car ce qui m’a le plus frappé dans toutes ces séquences ou le fossé de classes apparaît, et même en général dans le film, c’est surtout à quel point personne n’est juste lorsqu’il s’adresse à autrui. A l’exception d’un seul personnage (Abdoul, l’interprète), tout le monde est à côté de la plaque: France, démunie face à au monde qui l’entoure, son assistante parfait produit de la société du spectacle qui ne raisonne qu’en termes d’audimat, le commun des mortels qui ne voit en France que l’image qu’elle renvoie via ses apparitions télévisées et l’opulence de richesses et de bonheur qu’elle inspire. Même ce personnage d’amoureux transi qui ne voit pas une personne lorsqu’il s’adresse à Léa Seydoux, mais qui ne fait qu’exprimer un fantasme dévorant, sans chercher à en comprendre plus. Il s’agit pour moi du principal sujet du film. Non pas d’être une satyre des médias, ou du monde politique, mais de montrer en quoi nos bulles respectives nous amènent à oublier qu’il y a d’autres choses autour de celles-ci. Que notre esprit humain est extrêmement faillible et tend à simplifier notre environnement, nous faisant croire à tort que nous avons raison, trop souvent raison. Qu’à force de se mettre en scène et de vivre à travers des représentations, on perd prise avec le réel, et avec autrui. A mon sens c’est la prise de conscience brutale de cet état de fait, initiée par le premier accident entre France et Baptiste, qui est à l’origine de l’effondrement de la protagoniste de cette histoire. Elle devient de ce fait la seule à se remettre en question, profondément, dans ce monde ou tout le monde, même ceux qui vivent dans la misère, sont perclus de certitudes. Un contraste renforcé par l’idée que de tous les points de vue, c’était celui de France qui était le plus important, le plus suivi du pays. Son « Regard sur le monde » (ironiquement le titre de son émission) qui se révèle aussi biaisé que les autres.

C’est ainsi que l’empathie s’est créée entre France et moi. Non pas parce que j’étais triste de la voir souffrir, mais parce que je ne connais que trop bien ces questionnements brutaux et permanents. D’inaccessible et parfaite dans le reflet des écrans, elle était ainsi devenue, à mes yeux, bien plus humaine que n’importe quel autre personnage du film.

Une forme lente, propice à la réflexion

Et Dieu sait que Bruno Dumont a mis le paquet pour que l’on développe des réactions en regardant France déchoir. En effet intervient alors le plus gros gimmick de mise en scène du film, qui en a sans doute fait sortir beaucoup de leur séance. Ces très nombreux, et très longs gros plans sur le visage de France. Qui mettent le temps en pause pour ce concentrer sur un regard perdu, souvent larmoyant, parfois déformé par la douleur. Ces multiples instants en face à face ont, je pense, beaucoup participé au dégoût qu’à suscité le film chez beaucoup, car ils mettent profondément mal à l’aise. Grâce, entre autres, à ce que parvient à réaliser Léa Seydoux durant ceux-ci, avec ces regards qui transpercent l’écran pour venir sonder directement nos âmes, nous poser des questions difficiles : Qui êtes vous pour me juger ? Que feriez-vous à ma place ? Avez-vous vous-même déjà eu à reconsidérer vos opinions, votre ego tout entier, comme j’ai à le faire maintenant ? Parfois, on a pas la réponse. Mais parfois on l’a. Et à ce moment là notre cœur se serre à chaque fois que la scène en cours s’arrête, et que la caméra vient se rapprocher de ce visage où le maquillage de luxe se mélange à des larmes d’une profonde tristesse. Ces séquences se réalisent de plus souvent en silence, et le silence est un élément central du film, qui joue aussi sur sa longueur, réelle (2h14 tout de même) et ressentie.

© 3B Productions, 2021

Les scènes durent souvent longtemps. Sans doute « trop » longtemps si l’on s’en réfère à la conception habituelle d’un montage rythmé, qui n’a pas vocation à nous laisser sortir du film. Mais ici, ces longueurs sont régulières, et j’ai du mal à croire qu’un type dont c’est le métier depuis vingt-cinq ans l’ait fait au hasard. Ce que j’ai ressenti, c’est que Bruno Dumont voulait que l’on réfléchisse en même temps que France. Que l’on prenne, le temps d’un silence un peu trop long, le recul nécessaire pour qu’on s’interroge sur ce qui nous est montré, nous invitant ainsi à être un spectateur qui fait l’effort de comprendre durant le visionnage même, les extravagances des personnages ou du scenario. Mais c’est un pari très risqué, et je ne crois pas qu’on soit majoritaires à vouloir se plier à une telle expérience. En témoignait pour ma part l’attitude des deux vieilles dames assises derrière moi, qui décrivaient à haute voix ce qui se passait (ou ne se passait pas) à l’écran, comme pour meubler le silence gêné que provoque parfois le film.

Car on se doute également que c’est tout sauf le hasard qui a donné au réalisateur le nom de son héroïne. France a évidemment vocation a dresser un parallèle entre son personnage principal et la société française. Tout le film prend un niveau supplémentaire de lecture si l’on recoupe les dialogues, les situations, le cheminement de France de Meurs avec ce prisme d’interprétation en tête. Et cela vient conforter a mon avis l’idée selon laquelle le personnage de Léa Seydoux n’est pas là pour représenter uniquement le système superficiel et déconnecté qu’elle semble en apparence incarner. A travers elle, c’est tout un climat de perdition et d’absence de repères qui est dépeint.

Abandonner, comme une fatalité

Nous voici dans la spoiler zone, où l’on parle de la conclusion du film

La Zone Spoiler

Cette perdition continue va progressivement ronger France de l’intérieur. Épuisée, trahie jusque dans un lieu où elle pensait pouvoir trouver un peu de repos, écrasée par une tragédie dont on ne saura jamais vraiment comment elle l’a vécue, France adopte un nouveau visage dans le dernier segment du film. Un visage sincèrement terrifiant tant il est devenu cynique. Elle qui avait quitté le monde de la télévision pour appeler de ses vœux une « nouvelle vie », y est revenue. Comme si rien ne s’était passé, elle s’acquitte de son travail et a retrouvé son statut de célébrité. Pourtant quelque chose a bel et bien changé, et c’est le monologue de l’avant dernière scène du film qui vient éclairer cette métamorphose silencieuse. France est brisée, et face à l’absurdité de tout ce qu’elle a rencontré, elle a choisi d’arrêter de chercher du sens à sa vie. « Les rêves, les espoirs, tout ça c’est terminé » dit-elle. « Y’a plus que le présent ». Ce sont ces phrases qui m’ont fait le plus de mal. Qui m’ont renvoyé ce que je suis aujourd’hui, sans prendre de gants. Elles m’ont rappelé que ma bulle à moi est constituée de ce désespoir dans lequel je me drape pour survivre. Et peut-être que Bruno Dumont ressent cela dans une certaine mesure. Peut-être qu’il pense que la France en tant que société ressent cela dans une certaine mesure. Peut-être que la France ressent cela dans une certaine mesure, mais que c’est trop dur à accepter. En tout les cas j’ai ressenti à ce moment là une connexion extrêmement forte avec le message délivré par une œuvre d’Art, et cela ne peut être du au hasard.

C’est la fin de la zone spoiler, promis on ne parle plus de la fin du film

En conséquence je comprends pleinement que France divise. Parce que ce n’est pas vraiment un film facile d’accès. Parce qu’il laisse souvent ses spectateurs et spectatrices dans une gêne brute. Parce que dans le tas il y a sans doute effectivement de réelles maladresses d’écriture ou de mise en scène. Le film délivre un message très inconfortable. Pas facile à entendre, et encore moins à accepter.
Mais j’y ai trouvé énormément de détails d’une grande lucidité, des dialogues vraiment percutants et des scènes marquantes, et l’on ne peut à mon sens pas dire qu’il n’y a rien dans le film sans être d’une profonde mauvaise foi, faire preuve d’un violent manque de recul sur les choses, ou tout simplement confondre ses goûts et sa sensibilité avec la vérité. A moins que je ne sois tout simplement moi aussi coincé dans ma propre bulle. Que par un concours de circonstances, celle de Bruno Dumont et la mienne se sont croisées, et se sont accordées. Que notre vision du monde à tous les deux ne soit qu’un autre de ces miroirs déformants de la réalité, et qu’on se trompe tous les deux. Ou peut-être que j’ai inventé, et projeté tout ça en regardant un mauvais film. Pour me donner un genre. Sans même en être conscient.

  • France, de Bruno Dumont, est sorti en salles le 25 août 2021.
0 Twitter

Il y a quelques mois débarquait dans nos contrées, sans crier gare, un certain Ao Ashi. Démontrant rapidement ses qualités, bien au-delà de la simple question du football qui est son thème central, le manga de Yugo Kobayashi raconte à sa manière tout ce qui gravite autour d’un gamin qui intègre un centre de formation d’un grand club Japonais, autant sur la question de l’argent, de l’ascension sociale, que sur sa propre volonté à se dépasser. Une œuvre généreuse, dont le tome 4 débarquait ce 1er septembre.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du manga par son éditeur.

Les rêves au défi de la réalité

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Le quatrième tome de Ao Ashi met son héros, Ashito Aoi, face à un mur. Tant au sens propre qu’au sens figuré, le jeune footballeur s’entraîne sans relâche en tapant seul, dans sa balle, face au mur pour enfin pouvoir progresser. Car ces premières semaines en centre de formation mettent l’aspirant face à une terrible réalité : aussi talentueux il pensait être, le football n’est pas inné, et son parcours chaotique l’a empêché d’acquérir des gestes basiques que les autres jeunes du centre de formation maîtrisent comme les professionnels. Un gouffre se crée déjà et cela donne l’occasion au mangaka de mener son héros à une introspection, lui donnant plus que jamais un air humain, loin des miracles qu’il a accompli pour parvenir à intégrer ce centre dont il rêvait. Ashito Aoi est faillible, pas aussi fort qu’on le pensait, il n’est qu’un produit brut qui pourrait ne jamais être au niveau de ses coéquipiers. C’est un vrai renversement dans la narration qui donne un vrai coup de fouet au manga, montrant que Yugo Kobayashi a encore énormément de choses à raconter, et que son histoire dépasse allègrement le cadre du gamin surdoué à qui tout réussit.

Cela renforce un peu plus l’ancrage du manga dans la réalité. On est loin de certains shōnen qui racontent une sorte d’homme providentiel, héros de sa propre histoire capable d’accomplir des miracles au bon moment. Ao Ashi préfère parler d’échec et d’entraînement, son auteur s’intéresse encore à la question sociale et au coût qu’un tel rêve représente pour la famille, modeste, du héros. Et surtout, ce quatrième tome lève le voile sur les rivalités qui se créent dès le plus jeune âge, sur les frictions et la compétition qui s’installent entre des jeunes qui jouent leur vie dans les catégories « U18 », espérant, pour les plus talentueux, intégrer rapidement l’équipe professionnelle. Un monde difficile où navigue à vue notre jeune héros, dont la confiance s’effrite à mesure qu’il se retrouve confronté à bien plus fort que lui. C’est d’ailleurs ce qui permet à Ao Ashi de retomber sur ses pieds et de revenir aux fondamentaux du genre.

Plus shōnen que jamais

AO ASHI © 2015 Yugo KOBAYASHI / SHOGAKUKAN

Il y a en effet, plus que jamais, quelque chose de shōnen dans ce quatrième tome. Racontant traditionnellement des voyages initiatiques, le genre oppose souvent ses personnages à leur capacité à s’améliorer, à progresser et à gravir les échelons pour atteindre leur but. Avec son entraînement aux faux airs de tournois de combat tout droit sorti d’un shōnen plus classique, ce tome s’accapare tous les codes du genre pour mieux propulser son personnage vers de nouveaux objectifs. Confronté à sa propre incapacité à surmonter un obstacle, il doit s’entraîner dur, à la manière d’un combattant (dans de nombreux autres shōnen) qui doit devenir plus fort pour battre son adversaire. C’est aussi le bon moment pour introduire de nouveaux rivaux, des gars souvent talentueux, qui lui mènent la vie dure (ou même en le dénigrant franchement), des personnages aux allures toujours terriblement charismatiques. A l’image de ce rival, qui deviendra peut-être un ami, au style de bōsōzoku, avec cette coupe de cheveux caractéristique des gangs de motards Japonais qui affolent l’imagination de nombre de mangaka. Car Ao Ashi c’est un peu ça aussi, c’est le récit de personnes en marge d’un système, qui tentent d’y percer pour s’offrir une autre vie.

On se répète peut-être au fil des tomes, mais il est évident que Ao Ashi a tout d’un grand. Les émotions, les questions sociales, la force et la vigueur d’un shōnen, les rivalités, les personnages charismatiques et sans oublier le dessin et le découpage qui font tout le rythme d’actions survoltées, tous ces éléments font du manga de Yugo Kobayashi une des plus belles découvertes de l’année. Capable de varier le ton, comme on l’a vu avec l’interlude du tome 3 qui ralentissait le rythme de l’action pour mieux raconter d’autres questions qui gravitent autour du football, l’auteur mène d’une main de maître un manga qui ne cesse d’enchaîner les grands moments. Attachant, Ashito Aoi est un super personnage, avec une profondeur et une vraie réflexion sur son comportement et sa manière d’être, offrant au manga des moments particulièrement touchants.

  • Le tome 4 de Ao Ashi est sorti le 1er septembre 2021 aux éditions Mangetsu (disponible en librairie). 
0 Twitter

Parmi les sorties au cinéma du mois d’août 2021, on peut trouver Reminiscence, premier film réalisé par Lisa Joy, la co-créatrice de la série Westworld. Porté par deux grands noms, ceux d’Hugh Jackman et Rebecca Ferguson, la bande-annonce laissait augurer d’un film ambitieux portant sur la complexité des souvenirs, dans un Miami futuriste englouti par les eaux. Reminiscence vogue en effet entre plusieurs rivages : ceux du film noir, de l’histoire d’amour, de la science-fiction, voire presque du cyberpunk. Mais à mélanger ainsi les genres, le film affirme-t-il totalement sa propre identité ?

Une vision du futur et un hommage aux films noirs

© Reminiscence, Warner Bros, 2021

Reminiscence met en scène un détective privé, Nick Bannister (Hugh Jackman), qui avec l’aide de son assistante Watts (Thandiwe Newton, pertinente et juste), peut replonger les gens dans leurs souvenirs grâce à un équipement spécial et le biais d’un hologramme grandeur nature. Tous deux anciens vétérans, il leur arrive d’utiliser leur savoir-faire pour également aider la police sur différentes affaires. Mais tout bascule quand une chanteuse, Mae (Rebecca Ferguson), vient leur demander de l’aide pour retrouver ses clefs, perdues quelque part au cours de la journée. Nick tombe éperdument amoureux de Mae… jusqu’au jour où celle-ci disparaît mystérieusement. Incapable de croire à un simple départ, il plonge dans ses propres souvenirs pour trouver un indice sur la disparition de la chanteuse, et se retrouve mêlé à une affaire plus complexe qu’il n’y paraît.

Le film propose un scénario plus qu’intéressant sur le papier. A la manière d’un Inception qui explorait les rêves, Reminiscence met en scène, lui, la mémoire parfois faillible, les souvenirs qu’on veut retrouver ou oublier à tout prix. Dans ce futur où les catastrophes écologiques ont mené à une montée des eaux, créant une ville de Miami presque entièrement engloutie où tout le monde se déplace en bateau, les gens sont devenus avides de cette façon de revivre un passé meilleur, idéalisé. Une nostalgie sans les problèmes d’un quotidien violent à cause de nombreuses émeutes et rébellions civiles, et corrompu par la dominance des plus riches, réfugiés dans les parties encore terrestres de la ville. Un futur concret, qui possède une superbe esthétique tout le long du film grâce aux plans faisant découvrir Miami immergée, les diverses routes navales, la manière dont s’expulse l’eau des bâtiments, des simples détails comme les bottes hautes renforcées de Nick pour marcher dans les quelques centimètres d’eau des rues. Ces visions, souvent bien amenées, ancrent le film dans son univers avec un ton qui lui est propre, le rendant crédible, qui n’est pas sans faire penser à Blade Runner.

La science-fiction est bien présente par ce futur sombre dans le film. La population, pour échapper à la chaleur du jour, vit désormais la nuit. Ce qui amène à la seconde esthétique du film : le film noir. Avec son rôle de détective privé abîmé par la guerre et la vie, prompt à se battre et à ne pas faire dans la finesse, Nick est un héritier des flics durs à cuire des films noirs (Chinatown, Le Faucon Maltais) ; tout comme Mae, femme double dont on ne cesse de se demander les véritables intentions tout le long de l’intrigue, descend évidemment des femmes fatales du genre, aussi trouble que séduisante. D’autres stéréotypes du film noir se retrouvent : la police aussi corrompue que les plus riches, Watts, aussi déterminée et bagarreuse que son patron, les scènes de combat et de fusillades dans des bars faussement chics, ou encore la déchéance du héros, obsédé par une femme qu’il croyait connaître et qui se révèle complètement différente.

La nostalgie et l’amour comme moteurs

© Reminiscence, Warner Bros, 2021

Reminiscence est plutôt taillé comme un blockbuster, proposant à la fois de l’action, une histoire d’amour et un côté futuriste (même si ce dernier n’est pas aussi appuyé qu’on pourrait le croire). Cela n’empêche pas le film de s’aventurer vers quelques réflexions, sur la nostalgie dangereuse engendrée par des souvenirs passés, et donc idéaux, au contraire d’un présent qui n’a plus grand-chose de beau et positif à ouvrir, comme une réflexion sur le « c’était mieux avant » de nos jours, d’un passé « meilleur » face à un présent actuel qui semble fait de catastrophes et de conflits. Une nostalgie qui obtient aussitôt une valeur marchande, Nick et Watts n’étant pas les seuls à proposer de revivre des souvenirs… et donc à oublier totalement le monde extérieur, la vie véritable. En parallèle, on a quelques échos de ce même vice chez les classes les plus riches, qui vont jusqu’à remettre en scène avec des participants ces souvenirs précieux ; ou encore des dégâts physiques et mentaux engendrés par la guerre, par l’internement de certaines ethnies… Nick lui-même est une conséquence de cette guerre, puisque son personnage, s’il se bat avec vigueur, le fait aussi dans les limites d’un homme qui aurait bel et bien la cinquantaine, sans outrepasser une crédibilité dont d’autres films se soucient beaucoup moins. Un rôle dont Hugh Jackman se sort à merveille, aussi à l’aise dans ce détective privé sombrant peu à peu, que celui d’un homme qui retombe amoureux pour la première fois depuis longtemps.

Au cœur du film noir et de son intrigue somme toute policière, on trouve donc la femme fatale de l’histoire, Mae, interprétée de manière sublime par Rebecca Ferguson, à qui il manquait ce type de personnage : femme aux multiples visages, jouant toujours sur la subtilité et les apparences, des moments intimistes à ceux où elle chante dans un club (avec la véritable voix de l’actrice). C’est par elle, évidemment, que naît l’histoire d’amour du film, celle-ci faisant référence au mythe d’Orphée et d’Eurydice. Une histoire qui ne finit pas forcément bien, comme paraphrase Nick, comme toutes les belles histoires. « Alors autant s’arrêter au milieu », répondra-t-elle. L’histoire des deux personnages est pleine de rebondissements, de faux-semblants, entraînant Nick tant au cœur de ses souvenirs que dans les différentes strates d’une ville corrompue par la pègre. Reminiscence fait preuve d’une belle ambition narrative (on ne s’attendait pas à moins de la part de Lisa Joy, après Westworld), voulant livrer une histoire jouant sur les apparences, la perception des autres, sur la vision d’un personnage refusant de voir la vérité dans un autre.

Mais, malgré tout, quelque chose ne prend pas dans le film. S’il est beau esthétiquement parlant, il rappelle néanmoins bien d’autres références visuelles, de Blade Runner à Inception, au-delà de ses hommages, donnant l’impression d’avoir toujours vu « cela » quelque part, et échouant donc à façonner sa propre identité ou à occasionner de véritables surprises. Ce qui ne gâche pas la beauté de certaines scènes, comme la bagarre au bar, ou surtout la plongée sous-marine lors de la scène du piano, montrant une beauté onirique qu’on aurait aimé voir dans tout le film. Si l’intrigue peut paraître inutilement compliquée, elle se fait sens, même si elle n’atteint pas la perfection d’un scénario comme celui du Prestige, autre film jouant sur les apparences et l’illusion. C’est peut-être à trop vouloir accumuler et mêler différents genres et références, que Reminiscence se perd un peu en route, oubliant de s’inventer – ce qui est peut-être le défaut de ce premier film. Il ne réussit pas à trouver sa propre personnalité malgré quelques très belles scènes, et un final en accord avec le ton du long-métrage et son message sur les souvenirs. Cela n’en demeure pas moins un film agréable à voir, notamment pour la qualité de ses interprètes et pour la créativité voulue par son histoire, pour la musique discrète mais toujours juste de Ramin Djawadi. Mais il ne restera pas forcément dans les mémoires.

  • Reminiscence, premier film de Lisa Joy, est projeté en salles depuis le 25 août 2021.
0 Twitter

Il y a quelques années, à l’E3 2019, Twelve Minutes faisait la sensation. Nouveau titre du catalogue de Annapurna Interactive, le jeu y dévoilait quelques séquences d’une vie de couple, en vue du dessous, une vie qui s’écoulait, se répétait, avec l’apparition parfois d’un mystérieux meurtrier. L’ambiance était déjà posée, et deux ans après, le jeu arrive enfin. Sorti le 19 août sur les plateformes de Microsoft (les Xbox et Windows), Twelve Minutes révèle enfin ce qu’il est : un point’n’click savamment orchestré.

Quelques minutes pour se sauver

© 2021 NOMADA LLC.

Un soir, notre protagoniste rentre chez lui. Au bout d’un couloir à la moquette qui évoque The Shining, il entre dans l’appartement où sa femme lui annonce qu’elle leur a préparé son dessert préféré. Douze minutes plus tard, un policier sonne à la porte, accuse la femme d’avoir tué son père et finit par les assassiner. Et puis, la soirée se répète, le protagoniste est à l’entrée de son appartement, sa femme est sur le point de sortir, à nouveau, de la salle de bain, pour encore une fois, lui annoncer la belle soirée qu’elle leur a préparée. Rapidement, notre « héros » comprend qu’il est bloqué dans une boucle temporelle (une chose qu’il comprend peut-être trop vite, d’ailleurs) et il est bien le seul à se souvenir des boucles précédentes. Une course contre la montre s’enclenche : à chaque boucle, la mort sonne à leur porte, alors il est nécessaire de vite trouver des indices pour aller au fond de l’histoire et essayer de comprendre ce qu’il se passe. Le premier objectif, à chaque nouvelle tentative, est de convaincre la femme du héros, lui faire accepter l’idée que l’on se trouve dans une boucle temporelle. Une mission au départ périlleuse, mais qui revient vite de manière constante jusqu’à devenir le nouveau point de départ avant de pouvoir tenter de nouvelles choses. Pour progresser, le jeu nous pousse à faire attention à tous les détails. Les dialogues distillent savamment des indices, des événements se produisent à une minute précise, poussant à les anticiper pour mieux progresser et comprendre plusieurs choses : pourquoi ce policier arrive soudainement, pourquoi il nous tue, et comment faire pour en échapper.

La boucle de gameplay évolue ainsi progressivement. Au départ il n’est véritablement possible que de parler, jusqu’à épuiser les quelques options de dialogue, il faut aussi apprendre à apprivoiser un environnement en huis clos (l’appartement du couple) qui sert de théâtre des horreurs toutes les douze minutes. Et rapidement l’on comprend qu’il y a une histoire sordide qui se cache derrière ces événements, et le jeu incite à multiplier les combinaisons de dialogues, mais aussi d’actions, pour en voir le bout. L’appartement regorge d’indices et d’objets avec lesquels l’on peut interagir : un cadeau, un téléphone portable, un couteau, des cuillères, une photo ou même encore des tasses, autant de petits objets du quotidien qui ont tous un rôle à jouer dans l’action, et qui permettent de mettre le gameplay au centre des débats. La narration évolue en effet selon les actions choisies et leur ordre, avec un jeu qui s’adapte très bien aux choix et aux actions, laissant un véritable sentiment de liberté dans cette petite « enquête » menée toutes les douze minutes par les joueur·euse·s jusqu’à l’arrivée inévitable du meurtrier.

Fortement inspiré du théâtre avec ce huis clos duquel entrent et sortent les personnages depuis trois portes aux fonctions bien établies (la porte d’entrée du meurtrier, la salle de bain de laquelle sort la femme, la chambre qui cache les éléments de l’intimité du couple), le jeu n’en reste pas moins fortement référencé par le cinéma. On a parlé d’abord de la moquette de The Shining, mais il faut évidemment aller chercher son concept du côté d’Un jour sans fin, ou son ambiance avec Fenêtre sur cour. Il y a d’ailleurs quelque chose de presque polar noir dans la mise en scène avec la météo et ses orages, isolant ses protagonistes à l’intérieur, et cette figure du meurtrier qui surgit inévitablement, comme une fatalité. Accompagné par une bande originale qui saisit l’intensité des meilleurs moments, le jeu est une véritable pépite pour son ambiance et sa narration. Ses influences cinématographiques n’en sont que plus évidentes en jetant un œil au casting pour les voix des personnages, avec des rôles joués par James McAvoy, Daisy Ridley et Willem Dafoe. Il y a toutefois en réalité un gros bémol à mettre sur ce casting, avec des acteur·ice·s dont les performances sont bien loin de ce que l’on pourrait espérer en entendant leurs noms. Notamment James McAvoy qui passe complètement à côté de son personnage. Cela ne met toutefois pas à mal la plus grande force du jeu, c’est-à-dire sa manière de représenter le quotidien et de raconter avec beaucoup d’intelligence ce quotidien renversé par un mystère, des révélations et des vies chamboulées, à l’image des meilleurs polar du cinéma.

Des énigmes en guise d’échappatoire

© 2021 NOMADA LLC.

Il y a toutefois un raté, dans ce qui aurait pu être un très grand jeu. Ce sont ses énigmes, et notamment la manière de les amener. Certaines d’entre elles souffrent du concept lui-même : réaliser des actions dans un sens précis afin d’influer, de manière minime, sur la dizaine de minutes qui s’offrent au protagoniste à chaque boucle. Retarder le meurtrier, inciter notre femme à aller dans une autre pièce, se cacher, pousser l’un ou l’autre personnage à toucher un objet, des petites choses qui semblent futiles ou inoffensives mais qui pourtant bouleversent la progression et par conséquent la narration. Néanmoins ce concept oblige fatalement à répéter des scènes, réaliser des actions dans un sens précis, et inévitablement à tourner en rond jusqu’à trouver la bonne combinaison. C’est là que le jeu pèche, avec un côté très fastidieux et des indices ou énigmes qu’il est parfois difficile de repérer. Ces éléments sont tirés par les cheveux, poussant à répéter les actions parfois au hasard jusqu’à trouver la suite logique.

Néanmoins il est difficile de ne pas se laisser séduire par ce superbe exercice de style, avec un jeu qui est finalement assez rarement pris en défaut. Chaque seconde des douze minutes sont utilisées pour offrir autant d’opportunités d’influer sur la narration et aller au plus profond des explications, avec quelques énigmes qui, elles, sont très bien réussies, donnant un vrai sentiment de satisfaction quand notre plan est parfaitement mis à exécution. Tromper la vigilance du meurtrier, le pousser à agir différemment ou encore lui soutirer des informations est particulièrement satisfaisant, donnant vraiment le sentiment d’être acteur·ice d’un excellent polar. Les énigmes sont parfois très réussies, notamment parce que le jeu utilise de manière très savante ce concept de boucle temporelle, constituant une vraie référence pour le genre. Le jeu parvient en effet à se servir de la boucle temporelle comme élément de gameplay, pas seulement comme élément narratif, et c’est ce qui fait la différence. Plus que sa narration, la répétition des mêmes douze minutes permet de faire évoluer le gameplay et de pousser toujours les mécaniques un peu plus loin jusqu’à trouver de quoi aller au bout de l’histoire.

D’autant plus que la confusion inspirée par certaines énigmes mal amenées a paradoxalement du bon : le jeu nous met dans la peau d’un homme qui, un soir en rentrant du boulot, se retrouve piégé dans une boucle temporelle. Il est paumé, il n’a aucune idée de ce qu’il peut bien faire ni même s’il peut se sauver. Le jeu s’éloigne du medium vidéoludique en étant aussi confus sur les indications et la marche à suivre, il laisse les joueur·euse·s expérimenter, découvrir et se poser des questions de la même manière que si la réalité s’enfermait également sur elleux. Cela occasionne inévitablement des frustrations, et on se doute bien que certains manqués côté énigmes sont de véritables ratés, qui n’ont rien à voir avec la volonté de placer la personne derrière la manette dans une position inconfortable. Mais l’ambiance est si soignée, si forte, avec cette caméra du dessus qui nous invite dans l’intimité du couple, avec ses jeux de lumière terriblement maîtrisés, que chaque moment à tourner en rond parvient à se justifier, obligeant à chercher chaque recoin de l’appartement, et à faire attention à chaque élément extérieur qui pourrait fournir un indice important pour la suite. Au final, le jeu se termine en deux petites heures, mais il est tout à fait possible d’y revenir pour rejouer les scènes différemment, en apprendre plus ou tout simplement découvrir des secrets ratés au premier passage.

Les personnes qui aiment le genre littéraire ou cinématographique du polar devraient trouver, dans Twelve Minutes, une terrible satisfaction. Malin, ingénieux, le jeu s’inspire des meilleurs et offre une ambiance terriblement séduisante en s’appuyant sur une direction artistique forte, et une narration qui s’affirme de mieux en mieux à mesure que l’on en tire de nouvelles explications. Impressionnant sur certaines énigmes, raté sur d’autres, le jeu reste une superbe expérience et pourrait bien constituer un beau point de référence pour de futures œuvres vidéoludiques qui voudraient, elles aussi, s’essayer à la boucle temporelle sans se prendre les pieds dans le tapis. Quand le plus gros problème d’un jeu narratif qui mise sur son ambiance et sa boucle de gameplay, vient principalement du voice acting de ses stars hollywoodiennes, c’est que le titre a certainement bien rempli son boulot sur l’aspect qui nous intéresse le plus : le jeu.

  • Twelve Minutes est disponible depuis le 19 août sur PC (Windows), Xbox One et Xbox Series X|S. Il est également disponible sur le Game Pass.
1 Twitter

Third Editions est une maison d’édition fondée en 2015, spécialisée avant tout dans le jeu vidéo mais qui propose aussi plusieurs ouvrages sur le cinéma, les séries et la bande dessinée. Après de nombreux ouvrages analysant bien des licences vidéoludiques (Kingdom Hearts, Final Fantasy, Death Stranding, Resident Evil…), c’est au tour de The Last of Us d’être décrypté dans un livre écrit par Nicolas Deneschau. L’auteur est familier du studio Naughty Dog, puisqu’il avait déjà analysé la saga Uncharted auparavant chez le même éditeur. Il est évidemment déconseillé de lire ce documentaire si vous n’avez pas encore joué à The Last of Us. Mais pour ceux qui ont aimé la licence, pour ceux qui ont eu un avis mitigé sur le deuxième opus, Décrypter les jeux The Last of Us s’avère un ouvrage tout simplement passionnant, riches d’informations et de détails, une véritable ode aux jeux, sans pour autant oublier de pointer leurs défauts et les circonstances de leur création.

Un passage en coulisses

Un avant-propos permet à Nicolas Deneschau de mettre l’accent sur ce qui fait sans aucun doute la force de l’univers de The Last of Us : un monde post-apocalyptique dans lequel règne la violence, certes, mais aussi l’émotion et l’amour pour ses proches. Un monde effondré, mise en garde de notre propre époque actuelle avec les menaces existantes (pandémie, guerres, dérives sociétales, etc) mais où déjà, tout est à réinventer en l’absence d’un futur meilleur, où le présent reste finalement la seule option. Et dans un tel monde, que reste-t-il ? Pas forcément le patriotisme ou la croyance en un idéal, mais ceux qui restent, les humains survivants, attachés les uns aux autres, se haïssant parfois, mais qui demeurent ceux pour qui il convient de survivre et de se battre. Dans un tel monde, la question est de savoir « jusqu’où aller par amour », un thème qui régit les personnages de The Last of Us du premier au deuxième opus. Qui nous rend les personnages aussi attachants et déchirants, qui nous fait nous impliquer dans ces histoires avec une force émotionnelle intense, orchestrée en arrière-plan par tout le savoir-faire du studio.

C’est pourquoi l’ouvrage va donc se concentrer sur la création du studio Naughty Dog dans les premiers chapitres, ses évolutions et ses progrès techniques, son avancée dans la création des jeux vidéos, le passage de diverses personnalités au sein de l’entreprise, chacune apportant leur pierre à l’édifice. Passer par Crash Bandicoot, Jak et Dexter, puis surtout Uncharted, permet de saisir le contexte de création de The Last of Us. C’est toute l’expérience sur ces précédentes œuvres qui permet de glisser des idées et un savoir-faire pour la future licence, que ce soit d’un point de vue technique, narratif, ou pour proposer une histoire réaliste et sans dissonance ludo-narrative, un aspect longtemps reproché à Uncharted. Toute cette partie sur les origines du studio et son évolution permet de comprendre le travail chez Naughty Dog, leur processus de création d’un jeu, les variations et brouillons au sein d’un même projet, de manière passionnante, à travers ces coulisses qu’on est souvent loin d’imaginer en jouant à un de leurs jeux. Il est fascinant de découvrir ainsi les premières idées qui ont donné naissance à The Last of Us, ses influences, et de voir comment le projet a évolué, des premiers grands traits de l’histoire, jusqu’à parfois quelques mois avant la sortie du jeu pour la création des Infectés.

Une plongée analytique au fil des jeux

Après ce détour nécessaire par l’histoire de Naughty Dog, Nicolas Deneschau passe dans les chapitres suivants à une véritable analyse détaillée et poussée de The Last of Us, dans une première partie (Acte I) consacrée au premier opus, ainsi qu’au DLC Left Behind et au comics American Dreams. L’auteur mêle son analyse des différents niveaux du jeu aux réflexions des créateurs du studio, mais s’appuie également sur diverses chansons évoquant l’atmosphère et le ressenti particulier de la licence. Il utilise aussi des citations de Robert McKee, dont l’ouvrage Story : Ecrire pour le cinéma et la télévision est une référence sur les grandes principes de narration, tels qu’on les retrouve utilisés dans The Last of Us. De références en références, Nicolas Deneschau offre là une profondeur d’analyse véritablement appréciable du premier opus, décortiquant les grands axes de l’histoire comme des détails, qu’on ne voit pas forcément, même après avoir fait les jeux plusieurs fois ! L’auteur nous fait revivre les jeux, pour mieux nous parler de ses différentes strates. L’ouvrage parle aussi bien du lore qu’on peut découvrir en tant que joueur, que de la musique, du choix des couleurs selon le moment du jeu, l’évolution des personnages, les échos en miroir d’une scène à l’autre, la mise en scène de l’environnement et son exploration, le concept des ennemis…

On en découvre beaucoup sur le premier opus, y compris même sur les prémices du second jeu, où en 2014, un événement live permettait d’avoir un aperçu du prologue de The Last of Us Part II. La deuxième partie du livre (Acte II), plus longue, se concentre donc sur le second opus, avec tout autant de richesse et de profondeur, d’analyse à tous les niveaux (technique, narration, doublage, histoire, gameplay, idées abandonnées…). Les premières idées de suite sont décrites, avec une volonté assumée de faire un jeu qui marque et qui ne laissera personne indifférent, quitte à cliver lors de la sortie du jeu. C’est ce qui est effectivement arrivé, avec ce jeu de miroir entre Ellie et Abby, entre vengeance et rédemption, nous faisant traverser deux visions d’un même lieu pour mener à un final aussi tragique que bouleversant.

D’autres aspects appréciables de l’ouvrage se retrouvent aussi dans cette seconde partie, avec un paragraphe consacré notamment à l’originalité des personnages mis en scène dans le deuxième opus : des femmes extrêmement différentes, d’Abby à Ellie en passant par Dina, toutes représentatives d’un caractère précis, sortant des normes et des stéréotypes féminins, au grand dam de certains joueurs. Il n’est pas non plus oublié de parler des conditions de travail qui ont eu lieu chez Naughty Dog, que ce soit les départs de certains salariés et personnes représentatives du studio, ou bien le crunch qui a duré de 2018 à 2020. Ce dernier a entraîné des burn-out pour les employés et des démissions, à force de travailler pour un jeu certes magistral, mais qui condamne aussi le bien-être des salariés. L’auteur nous parle certes des qualités et du savoir-faire de Naughty Dog, mais aussi des défauts du studio, de la même manière qu’il n’hésite pas à mettre en avant les défauts qu’on peut reprocher aux jeux The Last of Us, entre quelques longueurs ou certaines facilités d’écriture manquant parfois de subtilité. Car on peut parfaitement aimer un jeu tout en lui reconnaissant quelques torts ! Un paragraphe est d’ailleurs également consacré aux réactions (parfois violentes) qui ont eu lieu dans la communauté des fans suite à The Last of Us Part II qui n’a pas plu à tout le monde, que ce soit à cause de ses personnages (Abby en tête), parce que l’histoire prenait un chemin auquel on ne s’attendait pas, ou à cause de sa violence. Il est vraiment bienvenu d’avoir pris le temps de s’attarder sur les polémiques qui ont eu lieu, en éclairant chaque fait et en suscitant la réflexion.

Conclusion

Un simple article peine bien à retranscrire la profondeur de Décrypter les jeux The Last of Us, tant le documentaire fourmille de travail de recherche, de détails, de comparaisons, d’analyses, et respire en même temps un profond amour pour cette licence. Les 300 pages se lisent extrêmement bien, certes grâce à la passion portée au sujet, mais aussi grâce à la finesse d’écriture de Nicolas Deneschau, qui fait toujours dans la subtilité et la nuance. Il n’hésite pas à critiquer, et retranscrit en même temps à merveille l’immersion dans le monde viscéral et post-apocalyptique de The Last of Us, empli de violence, d’horreur, de contemplation, d’émotion et d’intensité. L’ouvrage permet de voir tout le travail accompli par Naughty Dog pour créer une licence qui a marqué l’histoire du jeu vidéo. Il propose un nouvel éclairage sur les deux opus, au point de donner envie de replonger dans l’aventure une fois la dernière page tournée. L’auteur nous transmet toute sa passion, son amour et sa réflexion sur le jeu et ses thématiques, de manière palpable et immersive, offrant un livre incontournable et d’une superbe richesse. Et comme d’ordinaire chez l’éditeur, l’ouvrage est également d’une belle qualité en tant qu’objet-livre et en terme de confort de lecture, avec une très belle couverture signée Vin Hill, chargée d’atmosphère et de symbolisme. Un coup de cœur à ne pas manquer, tout simplement.

  • Décrypter les jeux The Last of Us : Que reste-t-il de l’humanité ? est publié chez Third Editions et est disponible depuis le 24 juin 2021 dans toutes les librairies.
  • Un extrait du livre est disponible sur le site de l’éditeur à cette adresse.
  • L’équipe de Pod’Culture avait également consacré un podcast à The Last of Us Part II, riche en débats et discussions.
  • Nicolas Deneschau était l’invité du 4ème épisode de Chill Chat pour parler de l’écriture de son livre.
1 Twitter