Plus le temps passe, plus j’ai remarqué que j’avais besoin de renouveau dans mes lectures mangas. Alors j’ai bien conscience que cela peut paraître paradoxal et « pompeux », car je ne lis pas autant d’œuvres que je le voudrais, mais en plus, je n’ai pas lu tous les classiques du genre.

Malgré cela, j’ai besoin de renouveau. J’ai besoin de me sentir surpris par un manga, même si celui-ci a une structure narrative commune à d’autres. Ça fait plusieurs mois que j’entends parler de la nouvelle histoire de Tatsuki Fujimoto, le papa de Fire Punch qui avait déjà fait énormément sensation à l’époque de sa sortie.

De tout ce que j’avais lu sur le mangaka, c’est qu’il arrivait à proposer des histoires dans le style du shōnen, tout en flirtant dangereusement avec le seinen. Mieux encore, qu’il devenait peu à peu un nouveau pilier du manga, pour sa façon de s’affranchir des codes pour proposer quelques choses de véritablement nouveau. Forcément, avec tout ce que j’ai pu en lire à droite et à gauche, je me suis retrouvé extrêmement curieux, moi qui suis actuellement dans une phase ou j’ai besoin de renouveau, est-ce que Fujimoto, avec Chainsaw Man édité en France par Kazé, a pu m’apporter ce vent de fraicheur  ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Rebut de la société

CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Alors que Chainsaw Man s’ouvre sur la présentation de notre héros, Denji, le lecteur est immédiatement confronté à l’apparence du personnage principal. Dès les premières pages, on comprend que l’on a affaire à un protagoniste qui sort de ce que l’on a l’habitude de voir, tout en étant assez commun en surface. Car oui, entre le fait qu’il soit à la rue, qu’il a tout un tas de dettes, ce sont des choses que l’on a déjà pu lire dans quelques histoires ici et là. Mais on apprend que pour régler ses problèmes d’argent, il a vendu des organes et maintenant qu’il travaille en tant que Devil Hunter. Un métier qui paie certes bien, mais qui est extrêmement dangereux, ou il faut affronter des démons, et les tuer. Pour l’aider dans ce travail infâme, il est accompagné de Pochita, un chien-démon-tronçonneuse.

D’une certaine manière et ce en quelques pages seulement, Fujimoto démystifie son héros, au point même de le tuer dès le premier chapitre.

Alors évidemment Denji n’est pas réellement mort, mais l’auteur se sert de cet enjeu narratif assez fort, pour lancer complètement son histoire. Ce qui nous intéresse là, ce n’est pas ce qu’il s’est passé avant sa mort, mais ce qu’il va se passer grâce à celle-ci. Car c’est en mourant, que le véritable héros de Chainsaw Man prend vie. Denji est donc laissé pour mort dans une benne à ordure, avec Pochita, seulement, celui-ci, au contact du sang de son maître, va se métamorphoser avec l’humain, pour ainsi donner naissance au Démon-Tronçonneuse. C’est avec cette nouvelle apparence que Denji va se venger de ceux qui l’on trahi et se trouvera accueilli par une organisation officielle de Devil Hunter.

Souffler le chaud et le froid

CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Tout le long de ma lecture de ces deux premiers tomes de Chainsaw Man, je n’arrivais à savoir sur quel pied danser, et attention il n’y a rien de négatif là-dessus. C’est justement grâce à cette façon dont Fujimoto joue avec les codes très classique du shōnen que le manga se trouve être très intéressant à lire. Ce looser magnifique qu’est le héros, rebut de la société, repoussé par tout le monde, mais qui va se dépasser, apprendre, et atteindre ses objectifs très classieux, établis dès les premiers chapitres : devenir Hokage dans Naruto, trouver le plus grand trésor de tous les temps dans One Piece etc…

Mais avec Denji, il n’y a rien de classieux, c’est un looser, certes courageux et prêt à se battre pour sauver la veuve et l’orphelin, mais qui va mourir dès le premier chapitre. C’est seulement une fois mort, et donc ressuscité qu’il va savoir quel est son plus grand rêve. Toucher une paire de seins… Outre l’aspect très beauf, à la limite d’être amusant, c’est surtout la façon dont a Fujimoto de démystifier son héros qui est intéressant. On est toujours entre deux feux, à ne pas savoir réellement ce qui fait du personnage principal, un protagoniste intéressant. C’est justement cette façon d’être sur le fil du rasoir, le tout avec une excellente maîtrise qui rend l’histoire et les personnages cohérents dans cet univers.

D’ailleurs parlons-en de l’univers de Chainsaw Man, en quoi tout ce qui nous est présenté est cohérent dès les deux premiers tomes ? La société qui est établie dans ce manga connaît les démons, au point d’avoir créé une organisation pour les chasser. C’est par le biais de cette agence que l’auteur va nous présenter un groupe de personnages hauts en couleurs. Tout comme Denji, en surface ils ont tout avoir avec l’équipe habituelle des shōnen, mais très vite on va se rendre compte qu’ils ne sont ni tout blanc, ni tout noir.

La structure des différentes histoires que l’on peut lire sur ces deux premiers tomes, est assez classique. L’équipe est envoyée à un endroit pour terrasser un démon, les héros sont à deux doigts de gagner, retournement de situation, ils sont en danger, et arrive un nouveau personnage et/ou un nouveau pouvoir. Cela étant dit, tout fonctionne à merveille, même si c’est très classique, on sent que Fujimoto maîtrise son sujet de A à Z, et veut aller plus loin dans son récit, pour proposer des enjeux bien plus forts et importants.

Il y a d’ailleurs un point que j’ai trouvé assez intéressant, et qui je l’espère sera bien plus développé par la suite. Durant quelques pages seulement, nous apprenons que les pays se livrent une espèce de guerre froide, au point d’utiliser des Démons au cas ou si une guerre venait à éclater.

Un renouveau qui fait du bien

En clair, tout ce que j’ai pu lire sur Chainsaw Man se trouve être vrai. C’est rafraichissant, drôle, irrévérencieux, ça détourne le shōnen classique, et c’est ultra maîtrisé dans le fond et dans la forme. Comme je l’ai dit, je suis vraiment curieux d’en apprendre plus sur une potentielle guerre entre les pays, et surtout j’espère que si elle a lieu, le tout sera réalisé intelligemment. Car utiliser des personnes, qui sont des rebuts de la société, comme chair à canon pour répondre à ses propres besoins et déclarer la guerre, il y a clairement un message politique.

En espérant maintenant que Fujimoto prenne un parti intéressant vis-à-vis de ce sujet. Car il faut le dire, si c’est réellement ce vers quoi il souhaite se diriger, derrière un aspect complètement loufoque de démon-humain, il y a une critique de la société actuelle qui peut être vraiment intéressante à développer.

  • Les tome 1 à 10 de Chainsaw Man sont disponibles en librairies et le 11e et dernier tome sortira le 10 novembre prochain. 
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’ Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce cinquième épisode, nous partons à la rencontre de Dédé et Fanny, co-présidentes d’YBY Éditions, une maison d’édition associative et indépendante qui publie de la littérature inclusive mettant en scène la diversité sous toutes ses formes. Pour cette émission nous avons tout autant parlé de la création et de l’évolution d’YBY que de son fonctionnement, de sa ligne éditoriale et des belles valeurs qui sont représentées et véhiculées.

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Phénomène au Japon, Kaiju n°8 arrive enfin dans nos contrées. C’est l’éditeur Kazé qui s’en est emparé, et la grosse campagne promotionnelle qui l’entoure depuis la sortie Française du premier tome en ce mois d’octobre a déjà fait ses preuves : en s’adjugeant le meilleur lancement de l’histoire en France sur sa première semaine, le manga de l’autrice Naoya Matsumoto a déjà trouvé son public. Mais on n’est pas ici pour parler chiffres, car ce qui nous intéresse c’est ce que cette nouvelle œuvre qui parle de gros monstres a dans le ventre. Alors, Kaiju n°8, est-ce aussi bien qu’on nous le dit ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Des déchets à la gloire

KAIJU N°8 © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

Kaiju n°8 nous invite dans la petite vie de Kafka Hibino, trentenaire désabusé par de multiples échecs. Celui qui se rêvait autrefois héros des forces de défense du Japon se retrouve à bosser pour une société de nettoyage, dont le rôle est d’évacuer les rues des déchets et des corps des kaiju déjà tués par les forces de défense. Un travail ingrat qui l’amène à se balader dans les entrailles de ces gigantesques monstres qui attaquent le Japon, des bestioles qu’il convient de vite virer des rues afin que la vie reprenne son cours. Pour les personnes qui ne le savent pas, les « kaiju » sont des monstres qui animent l’imaginaire des créateur·ice·s japonais·es depuis belle lurette, depuis Godzilla dans les années 50, et qui incarnaient initialement cette peur de voir apparaître une menace gigantesque, incarnant la crainte de la bombe atomique qui a dévasté et traumatisé l’archipel. Devenus depuis une figure de la pop culture, les kaiju ont été le moteur de nombreuses histoires, que Kaiju n°8 tente de réinventer à sa manière. L’autrice Naoya Matsumoto commence en effet par aborder ces monstres par « l’après », à l’instant où la bataille est terminée, quand les héros et héroïnes sont de retour à la base, et quand le public ne s’intéresse plus trop à ce qu’il se passe. C’est alors l’instant où les personnes de l’ombre, les petites mains prennent la relève pour nettoyer les rues, et la mangaka les raconte très bien. Alors certes, ce concept n’est pas nouveau, et cela m’a parfois beaucoup rappelé les Damage Control côté comics Marvel, mais Kaiju n°8 n’est pas qu’un concept, c’est une histoire qui est de manière générale plutôt bien écrite. Il y a cette admiration ressentie par son héros pour les forces de défense qui ont abattues le kaiju, mais aussi sa déprime de voir que ces personnes récoltent tous les lauriers alors qu’il fait lui-même un travail difficile et fondamental pour la société. D’autant plus qu’il rêvait d’intégrer l’une de ces escouades qui récoltent l’admiration, mais il a été confronté à plusieurs échecs.

Jusqu’à ce que, dans la première moitié de ce premier tome, notre héros se retrouve face à une nouvelle réalité : du jour au lendemain, il devient lui-même un kaiju. C’est alors que le manga prend une nouvelle tournure, avec une orientation résolument plus assumée côté shonen, avec son lot de combats et de dépassement de soi pour remettre en cause l’avenir qui semblait tout tracé pour le « beau loser » que ce cher Kafka Hibino incarne. Cette nouvelle dynamique permet aussi d’insister sur un humour très récurrent pour le manga, avec un duo comique composé du héros et de son nouveau collègue (qu’il déteste initialement), tous deux instigateurs de dialogues à l’humour efficace. Un comique de situation qui profite de l’absurde ambiant, avec ce héros transformé en kaiju, qui incarne tout ce qu’il a longtemps pensé pouvoir combattre. Le manga parvient aussi à être drôle grâce au travail fait sur sur les expressions faciales, avec ces personnages très expressifs, permettant de varier les situations et les manières d’amener de la dérision dans une histoire qui, à certains égards, peut être dramatique. Car il ne faut pas oublier que le fond de l’histoire, cela reste des gros monstres, qui commettent de terribles dégâts qui sont, parfois, irréparables. Si notre héros rêve d’intégrer les forces de défense, c’est aussi et surtout parce que lui-même a beaucoup perdu là-dedans, alors Kaiju n°8 s’offre quelques moments d’émotion à l’occasion de flashbacks pour raconter l’impact des monstres, au-delà des combats et de la destruction.

Métamorphose kafkaïenne

KAIJU N°8 © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

De manière générale, ce héros nommé Kafka, incarne l’absurde porté par le philosophe dont il hérite le nom. Un absurde de situation mais aussi d’idées, avec une bureaucratie improbable où des sociétés se battent pour savoir qui va pouvoir obtenir le meilleur bout de « chantier » lorsqu’un kaiju tombe raide mort. Chacun se jetant dans une entreprise au ton décalé qui raconte l’absurdité des missions lancées à ces petites mains, qui se retrouvent à plonger dans les entrailles d’un kaiju pour les découper en petits morceaux afin de faciliter leur transport. Un travail ingrat et pénible, que l’autrice, qui est aussi dessinatrice, raconte avec talent dans des dessins qui apparaissent certes très modernes mais sur lesquels elle imprime déjà son propre style. On y découvre un vrai sens du dynamisme, avec des cases au découpage qui favorise l’humour (qui est autant textuel que visuel), mais aussi le rythme et l’intensité des quelques combats qui parsèment ce premier tome. La mangaka sait manier le fantastique et l’imaginaire qui entoure les kaiju, avec leur violence et l’inquiétude qu’ils inspirent, notamment dans une scène où l’on pense que tout espoir est perdu. A cela elle associe des décors urbains pour une iconographie qui rappelle les films de monstres japonais les plus populaires, clamant à sa manière son amour pour un imaginaire qui parvient encore, après des centaines d’œuvres, à séduire et à se réinventer. Malheureusement c’est la narration qui pèche sur la fin du tome, avec une orientation résolument plus classique (en tant que shōnen) qui met de côté le contexte décalé et plutôt bien trouvé de la société de nettoyage qui vient évacuer tout le bordel. A voir désormais quelle sera l’orientation de la série, et si les prochains tomes chercheront plus le combat que la sympathique situation initiale.

Le succès de Kaiju n°8 se comprend aisément, avec son humour bien dosé et ses planches aux graphismes terriblement séduisants. Et plus encore, Naoya Matsumoto fait un super travail sur son traitement de l’imaginaire des kaiju, en racontant au début du tome « l’après » et non pas le combat lui-même face à un monstre démesuré. Un après qui a parfois été traité dans certaines œuvres qui racontent ces gros monstres, mais rarement avec ce ton décalé et absurde, qui sied d’ailleurs parfaitement au duo comique de gars qui rêvent d’une autre vie, sortes d’anti-héros de son manga. Il y a quand même des regrets quand l’histoire prend une orientation plus classique, moins fine et plus attendue, mais ces débuts offrent tellement de promesses que l’on a forcément envie d’en voir plus. En bref, c’est dans tous les cas un manga indispensable de cette fin d’année pour les amateur·ice·s de kaiju, dont je fais partie, fort heureux d’avoir eu ma dose de gros monstres.

  • Le tome 1 de Kaiju n°8 est disponible en librairies depuis le 6 octobre. 
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Si Toshihiro Nagoshi et Daisuke Saito, les têtes derrière la saga des Yakuza viennent d’annoncer leur départ de SEGA et du Ryū ga Gotoku Studio, ce n’était pas sans un dernier cadeau. Un dernier titre incarné par Lost Judgment, suite du spin-off sorti dans nos contrées en 2019 (et fin 2018 au Japon). Ce prolongement des aventures du détective Takayuki Yagami (incarné par l’acteur Takuya Kimura) nous emmène entre deux villes : Tokyo et son « Kamurocho », terrain de jeu habituel de la saga, et Yokohama représenté par un quartier dénommé « Isezaki Ijincho », que l’on découvrait l’année dernière dans Yakuza : Like a Dragon. Point d’orgue d’une série qui s’est scindée en deux univers, un plus loufoque, grandiloquent et désormais orienté vers le RPG (Yakuza) et un autre plus sérieux et drama (Judgment), Lost Judgment tente vite d’affirmer son propre caractère afin de ne plus être « que » le spin-off de la saga principale.

Enquêtes ancrées dans l’actualité

© SEGA 2021

Tout commence un jour où deux événements ont lieu quasi-simultanément : un corps en décomposition est retrouvé dans un immeuble abandonné à Yokohama, dans le coin de Isezaki Ijincho (la ville de Yakuza 7), pendant qu’à Tokyo, un flic est condamné pour une agression sexuelle dans le métro quelques mois plus tôt. Alors que les deux affaires ne semblent n’avoir aucun lien, le flic à peine condamné annonce à la cour du tribunal que le corps qui vient d’être retrouvé est celui du harceleur de son fils, du temps du lycée. Le choc et l’effroi passés, c’est le détective Takayuki Yagami qui va aller fouiner dans tout cela, puisque le flic était défendu par le cabinet Genda, celui où il exerçait il y a quelques années en tant qu’avocat. On retrouve donc vite nos bonnes habitudes et les personnages qui ont sublimé le premier Judgment, avec leurs petits caractères et leurs bons mots, dans ce qui ressemble aux prémices d’une histoire au moins aussi dure et sombre que son prédécesseur. Car si Judgment est un spin-off de la série des Yakuza, son ton est résolument plus sérieux, ou au moins plus ancré dans le réel, sans les fantasmes qui entourent les histoires de gangsters. Plus terre à terre et ainsi parfois plus choquant, Lost Judgment s’ouvre sur une scène d’une violence assez surprenante -y compris pour la licence- alors que le corps du défunt est retrouvé, le tout associé à la violence vécue par la victime de harcèlement sexuel. Un peu comme si tout était pourri, comme si le monde ne laissait plus trop d’espoirs, et on a quand même du mal à lui donner tort. Parce que Lost Judgment tire son épingle du jeu par sa capacité à raconter le réel, ou au moins à s’en inspirer, avec une enquête rondement menée qui amène sur divers thématiques qui agitent l’actualité Japonaise : la lente disparition des gangsters historiques, les yakuzas, au profit de bandes moins organisées, l’omniprésence du harcèlement sexuel dans la rue et dans le métro, et aussi l’inaction d’autorités qui pensent d’abord à garder la face plutôt qu’à aider les citoyen·ne·s. Cela se vérifie d’autant plus quand l’on est amené·e·s à rechercher des preuves tangibles pour rouvrir une enquête et un procès qui, initialement, satisfaisait tout le monde. Évidemment, en toile de fond, le jeu maintient sa narration autour de cette idée -qui est une malheureuse réalité- selon laquelle 99% des procès au Japon finissent en condamnation de l’accusé, de quoi justifier des accusés qui baissent les bras et le recours à des moyens… à la limite de la légalité, pour un détective qui est aussi à l’aise pour casser des bouches qu’espionner le voisin. Les références à l’actualité sont d’autant plus visibles dans un des arcs scénaristiques qui tourne essentiellement autour d’un lycée, une intrigue où des thématiques très contemporaines (violences sexuelles, harcèlement, intimidation, inaction de l’institution pour protéger les élèves) sont plutôt bien racontées, avec le plus souvent un esprit bienveillant (pour les victimes) qui caractérise désormais la saga.

© SEGA 2021

Mais cette narration ne pourrait pas aller bien loin sans la qualité d’écriture, en général, de l’histoire. Souvent pertinent dans sa quête principale, le jeu aborde les différentes thématiques, souvent graves, avec le plus souvent du bon sens. Toujours en faveur des victimes, avec la ferme volonté de dire des choses qui ont un sens et qui portent. Encore plus maintenant que le jeu a une audience bien plus large en occident, comme l’incarne cette sortie mondiale simultanée (une première pour la série des Yakuza) qui pousse certainement ses auteur·ice·s à y dire des choses qui résonnent un peu partout dans le monde. C’est un exercice difficile, mais le jeu s’en tire souvent bien, à l’exception d’une ou deux choses sur lesquelles je m’exprimerai un peu plus bas, sous une balise de spoiler. N’ayez crainte toutefois, le reste de la critique ne révèlera rien. Pour en revenir à la qualité d’écriture, celle-ci se matérialise aussi dans les personnages. Takayuki Yagami est évidemment le fer de lance d’un jeu qui gagne en puissance à mesure que les chapitres défilent, bien qu’il se retrouve là dans quelque chose de moins personnel, plutôt dans la peau d’un héros-fonction qui n’est là que pour permettre aux autres personnages de se dévoiler. Des personnages dont l’écriture atteint parfois de beaux sommets, en étant plutôt touchant·e·s, avec souvent des choses intéressantes à dire. Mais on le doit aussi à la qualité de la mise en scène, toujours très inspirée par les dramas Japonais, dans récit qui se focalise sur un modèle proche de ces séries télévisées. Tant par le « jeu », puisque la plupart des personnages ont les visages et voix de véritables acteur·ice·s, que par la structure narrative qui reprend quelques codes du medium avec ses cliffhanger en fin de chapitre et ses simili-previously on qui synthétisent ce qu’il s’est passé juste avant. Malheureusement tout n’est pas parfait côté personnages, notamment en ce qui concerne le cast féminin. Ces personnages sont le plus souvent relégués à des rôles secondaires et très stéréotypés, sont soit des victimes ou des harceleuses, et n’apportent que rarement des choses à l’enquête. Elles se retrouvent dans une fonction annexe qui s’explique assez mal compte tenu de leur omniprésence dans les affaires à élucider. Et ce n’est malheureusement pas le seul élément narratif qui m’a chiffonné, mais pour cela, je le dirai dans le texte caché ci-dessous. Si vous préférez éviter un spoiler, vous pouvez passer à la partie suivante (« le culte de l’esprit Yakuza »).

SpoilerEn effet, tout n’est pas rose au pays de Lost Judgment. Au cours des intrigues et enquêtes, on tombe sur un cas harcèlement sexuel.  Si le fait d’aborder cette question est salvateur, qui plus est dans une licence qui a souvent raconté le monde de la nuit et la place des femmes, sa recherche de la surprise et du twist à tout prix lui coûte la pertinence. Le jeu finit en effet par jeter l’opprobre sur la victime, qui se révèle être une menteuse. C’est un choix très malvenu à l’heure où dans le monde entier, il est nécessaire d’écouter et de croire les victimes de harcèlement, qui sont trop souvent mises en doute par les classes dominantes. Cela est aussi surprenant venant d’une série de jeux qui a souvent pris la défense des personnes opprimées, comme les sans domiciles fixe ou les travailleuses du sexe dans Yakuza 7. Toutes les statistiques et études montrent que le mensonge, dans le cas des violences sexuelles, ne représente qu’un nombre insignifiant parmi les plaintes. Alors choisir d’aller chercher cet angle fait un peu plus de mal à la parole de victimes qui sont, encore aujourd’hui, trop critiquées.

Il en est de même plus généralement dans son traitement des violences sexuelles, en répétant des images qui peuvent être très dérangeantes et qui pourraient mettre mal à l’aise certaines personnes. Le jeu est parfois très « graphique », là où il pourrait se permettre de raconter des événements au travers de dialogues plutôt que d’images. De manière générale, Lost Judgment est un jeu visuellement plus violent que son prédécesseur, qui recherche la maturité à tout prix, mais qui se prend parfois les pieds dans le tapis en se sachant pas trouver la limite entre la nécessité d’aborder des sujets et l’insistance lourdingue qui peut tourner au voyeurisme.

Le culte de l’esprit Yakuza

© SEGA 2021

Yakuza, et par extension sa série de spin-off Judgment, c’est aussi le goût du mélange des genres. Le sérieux de l’histoire principale et la dérision des quêtes secondaires. Mais pour une fois, ce mélange pose de réelles questions de pertinence : est-ce que ces séquences loufoques, qui viennent apporter un peu de légèreté sur un ton grotesque, portent préjudice aux thématiques lourdes qui sont abordées dans la quête principale ? Inviter une certaine forme de dérision entre deux quêtes qui parlent de suicide, de harcèlement ou de violences sexuelles est parfois maladroit, car les transitions d’une séquence à l’autre ne sont pas toujours très bien exécutées. Il est difficile de reprocher ce choix à Lost Judgment, car c’est l’essence même de la série, et nul doute qu’un jeu trop sérieux et violent d’un bout à l’autre aurait pu être trop pesant. Mais comment ne pas être gêné quand une scène très dure et pleine d’émotion (à la mise en scène impeccable, par ailleurs) sur le toit du lycée nous révèle quelques éléments bouleversants de l’affaire est contrebalancée par une quête tout ce qu’il y a de plus improbable quelques minutes plus tard à base de chien détective ? Si j’aime profondément la licence et que Lost Judgment en est, certainement, un bon épisode, c’est plus que jamais un titre où il est plus pertinent de se concentrer sur la quête principale avant de faire le contenu secondaire une fois le générique de fin passé. Parce que outre ce mélange des tons qui est parfois préjudiciable, ces quêtes secondaires apportent de bons moments, elles sont souvent rigolotes et bien écrites, notamment celles qui impliquent des habitant·e·s à qui il semble arriver les plus grandes folies.

Le titre toutefois ne bouleverse pas les habitudes de jeu, avec une structure de quêtes mais aussi une boucle de gameplay que l’on connaît déjà sur le bout des doigts. Si le jeu amène beaucoup plus de diversité sur le contenu secondaire que son prédécesseur, rien qu’avec les « intrigues de lycée », son club des mystères (sorte de club de fans de détectives) et ses cours de danse, on y retrouve vite nos marques. Les combats sont très similaires à son aîné dans leur approche avec des ennemis que l’on croise à chaque coin de rue et des combats de boss très classiques, à l’exception d’un nouveau style de combat basé sur le contre qui renouvelle assez largement des combats habituellement plutôt portés sur l’attaque. Quant à la progression du personnage, elle se fait toujours par un arbre de compétences où l’on achète de nouveaux mouvements et bonus passifs moyennant des points d’action durement acquis lors des quêtes et combats. L’interface reste d’ailleurs quasi-identique au premier Judgment, toujours très claire. On salue quand même l’arrivée d’un nouveau système de recherche d’indices, puisque certaines quêtes secondaires se déclenchent en écoutant des conversations dans la rue, ce qui donne un air plus organique au jeu, moins robotisé dans le déclenchement de certains événements. Toutefois peu d’efforts ont été faits sur l’infiltration ou les phases de recherche d’indices dans des séquences à la première personne, des séquences qui restent anecdotiques. Enfin, le personnage se veut plus agile et capable de faire du parkour, c’est-à-dire escalader des immeubles et sauter d’un toit à l’autre, mais les trajets sont si balisés et encadrés qu’on n’en retire aucun sentiment de liberté, même si cela apporte plus de verticalité à l’action en profitant de l’architecture des différents quartiers.

© SEGA 2021

Globalement, c’est un jeu agréable à jouer pour la beauté et les chorégraphies de ses combats, puisque Lost Judgment comme son aîné a un véritable sens de la mise en scène de l’action. Chaque combat donne lieu à d’impressionnants mouvements, dont la fluidité et l’élégance est exacerbée par les 60 images par seconde sur PlayStation 5 (un réel gain pour les personnes qui ont joué au premier Judgment sur PS4), mais également par les traînées bleues, rouges ou vertes, selon le style de combat utilisé, qui accompagnent les mouvements du héros. Le nouveau style de combat, celui du Serpent, est d’ailleurs particulièrement élégant en se basant sur la garde et sur des contres dévastateurs, les développeur·euse·s ayant fait un sacré effort pour diminuer les collisions hasardeuses, avec des ennemis qui réagissent un peu plus naturellement aux coups du héros. Notamment ces combos, toujours dans le style du serpent, où le héros finit par emmener l’ennemi au sol. Mais d’ailleurs, pourquoi ne pas imaginer un jour un personnage féminin en tête d’affiche pour apporter un peu de diversité à ces scènes d’action ? Car ces combats sentent terriblement la testostérone, et si le jeu nous met à un moment donné dans la peau d’un personnage féminin, cette séquence est bien courte et place toujours celle-ci bien loin des combats.

Un vaste terrain de jeu

Avec Lost Judgment, il y a un véritable plaisir de retrouver le Yokohama (dans une zone appelée Isezaki Ijincho) de Yakuza – Like a Dragon, une ville bien plus grande que ce que fait habituellement la série, avec des ambiances variées. On découvre toutefois la ville sous un nouvel angle puisque l’action se concentre dans d’autres coins, même si l’on traverse à nouveau des lieux bien connus, afin d’éviter les redites, profitant de cet univers vaste que le précédent Yakuza n’exploitait pas entièrement. La ville est d’ailleurs superbe, d’autant plus que Lost Judgment profite d’un éclairage et d’un étalonnage un peu plus réaliste, peut-être plus terne, moins coloré que le très bon Yakuza – Like a Dragon, offrant un nouveau regard sur Yokohama, et il en est de même pour Kamurocho, le coin habituel des Yakuza, qui n’a jamais été aussi beau. Mais puisque les aller-retour dans Isezaki Ijincho étaient parfois lourdingues auparavant compte tenu de la taille de la ville, incitant à prendre le taxi (et les temps de chargement qui vont avec), le jeu tente d’apporter une solution en offrant la possibilité de se déplacer en skateboard. Un choix plutôt rigolo mais vite mis face à ses limites : uniquement utilisable sur la route, c’est assez peu utile pour une map essentiellement piétonne. Enfin, au moins, dans le monde de Lost Judgment, il n’y a pas de trottinettes et de skateboard sur le trottoir. Enfin, il est bon de noter que malgré le manque de véritables évolutions visuelles, le titre est particulièrement joli sur PS5, notamment grâce au travail toujours impressionnant sur les visages des acteur·ice·s et les expressions faciales. Sans rechercher un photoréalisme parfait, ces visages sont la marque de fabrique de la saga et sont toujours très convaincants dans les cinématiques. Des scènes qui sont d’ailleurs nombreuses, et qui sont sous-titrées en Français.

Capable d’être à la fois pertinent et bête à manger du foin, Lost Judgment raconte une grande histoire, souvent émouvante et pertinente, abordant avec justesse (parfois) des sujets ancrés dans l’actualité, en allant au fond des choses et en se posant (généralement) les bonnes questions. Mais il lui arrive aussi de dérailler, comme un détective qui suit une mauvaise piste, en faisant des erreurs de jugement sur la manière de traiter certains sujets. C’est certainement maladroit, et le reste du jeu et de l’histoire est si bonne qu’il fera parti des meilleurs titres de l’année, mais c’est aussi un rappel à la réalité pour la saga des Yakuza. Car s’il y a énormément de bonnes choses qui ont été faites au cours des années, ce nouveau spin-off montre qu’il y a encore du boulot pour que la série puisse pleinement tirer un trait sur une époque qu’elle s’efforce, pourtant, de dépasser.

  • Lost Judgment est disponible depuis le 24 septembre sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X/S. 
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Bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue dans ce 8ème épisode de Reflecto.

Sorti en septembre 2020, Hades a plus ou moins tout écrasé sur son passage depuis sa sortie fin 2020. Alors que beaucoup découvraient avec ce jeu le savoir-faire de Supergiant Games, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de leur quatrième jeu. Ainsi, avant de jouer à Hades, je me suis dit que ça serait pas mal de jouer aux précédents jeux du studio : Bastion, Transistor et Pyre. Grand bien m’en a pris. Car j’ai, en suivant ce chemin, constaté d’immenses qualités dans chacun de ces jeux, dont beaucoup font que chacun d’eux a très peu vieilli au fil des années. Tout particulièrement Bastion, qui, dix ans après sa sortie, fait toujours preuve d’un efficacité impressionnante.

Dans cette vidéo, je vous propose une analyse des grands traits communs des jeux Supergiant, à travers ceux que l’on retrouve dans Bastion, mais aussi ceux qui sont le reflet de la « méthode » Supergiant, lorsqu’il s’agit de faire des jeux. J’espère qu’elle vous plaira !

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Créé main dans la main par Tetsuo Hara (Hokuto no Ken) et Keiichirō Ryū, Keiji est un manga atypique, racontant l’apparente inconséquence d’un guerrier irrévérencieux et provocateur, au physique surhumain. Ce guerrier, c’est Maeda Keiji, un samouraï qui a réellement vécu au 16ème siècle, que le créateur de Hokuto no Ken (Ken le Survivant) raconte avec sa patte. Initialement publié en France en 2007 par Casterman, le manga avait disparu depuis, devenant de fait presque introuvable. Une anomalie réparée avec une nouvelle sortie ces dernières semaines des trois premiers tomes, aux éditions Mangetsu.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

L’exubérance a un coût

© 1990 by RYU KEIICHIRO AND TETSUO HARA AND MIO ASOU / COAMIX All rights reserved

Keiji est un Kabuki-mono, un guerrier qui se distingue par son physique. Pas pour sa force ou sa carrure, mais plutôt pour son style : là où ses frères d’armes ont un aspect relativement sobre, outre les accoutrement propres à leur fonction, lui se pare de tenues empreintes de folie avec des couleurs vives et des motifs tape-à-l’œil.  Ces guerriers, comme Keiji, attiraient aussi l’attention pour leurs coupes de cheveux plus originales, ainsi que leur manière de parler. On pourrait presque les comparer aujourd’hui à l’image que l’on a de certains gangsters Japonais dans leur cinéma et leurs jeux vidéo (à commencer par la série des Yakuza), avec des chemises plutôt kitsch, les cheveux gominés et le ton provocateur dans leur manière de s’exprimer. Cela donne un héros tout à fait « anormal », qui vit en marge de la société et du clan qu’il est censé représenter, lui qui fait partie des puissants. Et ce n’est pas étranger au style de Tetsuo Hara, lui que l’on connaît essentiellement pour Hokuto no Ken (Ken le Survivant), avec ses personnages survitaminés aux proportions improbables et à l’attirail sorti d’un imaginaire généreux. On y retrouve aussi sa violence très stylisée, les têtes qui volent et ce second degré permanent face à une brutalité qui n’a rien de réaliste, permettant de faire passer sans mal des exécutions particulièrement sauvages sans faire tomber le manga dans un vulgaire festival d’hémoglobine. Non pas que Keiji s’illustre particulièrement pour sa finesse, mais on sent bien que Tetsuo Hara prenait un malin plaisir à illustrer cette histoire écrite par Keiichirō Ryū, illustre auteur Japonais qui a voué sa carrière à raconter à sa manière des pans de l’histoire de son pays. Keiji est d’ailleurs son dernier récit, avant son décès en 1989.

Et c’est une histoire à l’apparence somme-toute classique, à la narration parfois décousue, mais qui prend plaisir à mettre en avant des personnages atypiques, à la tête desquels ce Keiji Maeda qui intrigue autant qu’il énerve, qui fascine autant qu’il dégoûte, avec son air provocateur et ses choix souvent discutables. Un personnage qui énerve ses proches et qui attire les trahisons de son propre clan, tant il représente une menace pour la force qu’il possède que pour son apparente bêtise. Un air simplet que le personnage cultive, avec son ton irrévérencieux et insolent qui lui donne des passe-droits quand les un·e·s et les autres tentent de se débarrasser de lui en le refilant aux autres. Sa personnalité lui attire aussi de nombreux·euses ennemi·e·s qui restent, de manière systématique, fasciné·e·s par ce joyeux luron dont l’air exubérant tend à faire rire. Cette allure de Kabuki-mono est ainsi autant une manière d’attirer l’œil qu’une façon de lancer les hostilités, en instillant le doute dans les pensées des personnes qui pourraient vouloir s’en prendre à lui. La galerie de personnages est d’ailleurs plutôt réussie et les personnages féminins occupent parfois une place intéressante dans l’œuvre, même si l’on reste face à de forts accents de masculinité, avec tout ce que cela comporte de grotesque. Comme ce dialogue insistant sur la taille de l’entrejambe de Keiji, toutefois Keiichirō Ryū parvenait à prendre suffisamment de distance sur son écriture pour éviter d’aller trop loin, bien que l’on a face à nous un manga relativement daté, aux thématiques et aux approches qui peuvent légitimement déplaire aujourd’hui.

Style inimitable

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On ne peut toutefois résumer Keiji à ses personnages. La narration, bien que classique, sait se renouveler et maintenir l’attention au fil des tomes. Sur ces trois premiers volumes sortis, on assiste tour à tour à une exposition maline du caractère du héros dans un premier tome qui raconte sa quête de domptage d’un cheval sauvage, sorte de métaphore de sa personnalité. Puis, le deuxième aborde une bataille gigantesque, point d’histoire où l’héroïsme se confronte à la réalité d’hommes trop attachés à leur égo, avant que le troisième tome parte vers quelque chose de plus personnel, de plus fin peut-être aussi, montrant que le manga (qui comportera au total 18 tomes) est capable d’aller sur plusieurs terrains afin d’éviter les redites et les facilités. Le troisième tome commence d’ailleurs sur un évènement surprenant, plutôt émouvant, qui apporte plus de profondeur au personnage en lui offrant une sensibilité inattendue. Et tout cela ne serait évidemment rien sans le style de Tetsuo Hara, avec son dessin très généreux, son ferme coup de crayon, qui fourmille de détails, avec un style reconnaissable au milieu de mille grâce à son énergie unique. Marque de fabrique du mangaka, c’est la générosité des décors et des armures qui impressionne parfois, ainsi que les expressions caractéristiques des personnages sur le point de mourir (qui rappellent terriblement Hokuto no Ken). Que l’on soit fan du style ou pas, car il est atypique, il faut bien avouer que Tetsuo Hara le maîtrise sur le bout des doigts et qu’il n’a aucun mal à offrir à Keiji les qualités de son univers. Mais il n’y a pas que du bon, des défauts pointent parfois le bout de leur nez, avec des détails qui empêchent une bonne lisibilité de temps à autre. Des soucis également à pointer du côté de l’écriture, qui est très inégale, alors que ces trois tomes offrent autant de belles scènes que de moments de flottement où la pertinence se fait la malle.

S’il y a un conseil à donner pour conclure cette critique, ce serait sûrement de ne pas découvrir Keiji avec un simple tome, mais plutôt d’en essayer deux ou trois, afin de découvrir plusieurs facettes de ce que cette histoire peut bien raconter. Généreuse mais inégale, l’œuvre est capable de très bonnes choses mais aussi de moins bonnes, alors que l’histoire s’inscrit dans un ensemble qu’il me semble plus intéressant de découvrir sur plusieurs tomes plutôt que dans un seul, avant de juger de la qualité de l’œuvre. Écrire cette critique n’a pas été de tout repos, car votre serviteur aime autant qu’il déteste le manga, avec ses bons côtés et ses travers, autant pour la fascination exercée par le héros que pour l’inintérêt de certaines scènes. Plus généralement, Keiji est certainement une de ces œuvres qui interroge, pas nécessairement pour son histoire qui ne captive pas toujours, mais plutôt pour sa manière de raconter la violence et l’égo des hommes.

  • Les trois premiers tomes de Keiji sont disponibles depuis cet été en librairie.
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Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans ce cinquième épisode de la Rébliothèque !

Pour cette fois, au diable les classiques ! Je vous propose aujourd’hui un roman « pulp » de science-fiction, gorgé d’influences venant de la pop-culture. Et ça fait beaucoup de bien !

L’histoire prend place dans une colonie humaine nommée « Kitej », bâtie sur une exoplanète lointaine, très lointaine de la Terre. Laissée à l’abandon, celle-ci est désormais un terreau pour le crime organisé, où chacun essaye de survivre comme il peut. Toutefois, cette situation désespérante pourrait bien trouver une porte de sortie, alors qu’une rumeur à propos d’un convoi spatial quittant la planète enfle au sein de la colonie…

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’ Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce quatrième épisode, nous partons à la rencontre de Nicolas Deneschau, auteur d’ouvrages parus chez Third Éditions, que ce soit sur le jeu vidéo avec les sagas Monkey Island et Uncharted ou sur le cinéma avec Godzilla. Pour cette émission nous avons essentiellement parlé de son travail sur le livre The Last of Us : Que reste-t-il de l’humanité ? disponible depuis l’été dernier (et dont vous pouvez retrouver la critique sur le site). Que ce soit les recherches effectuées, les angles d’approche analytique ou encore l’équilibre entre le fond et la forme, Nicolas nous dévoile les coulisses de la création de son livre.

 

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Parmi mes jeux préférés je pourrais aisément citer Journey ou encore The Legend of Zelda Breath of the Wild. Chacun pour des raisons différentes. Pour autant ils ont tous les deux un point commun assez marquant : L’appel de l’aventure. Évidemment chacun de ces titres le traitent d’une façon qui lui est propre, mais quand on se plonge dedans, on se rend vite compte que nous sommes amenés à vivre quelque chose de différent de ce que l’on vit habituellement au travers d’un jeu vidéo. Vivre une aventure à part entière, ou le·la joueur·euse est lâché·e soit dans un monde ouvert comme le propose BotW, ou un monde fermé comme Journey. Mais le sentiment qui en ressort de ces expériences est assez similaire : l’important ce n’est pas la destination mais le voyage parcouru.

On a pu également se rendre compte à quel point ces deux jeux ont influencé le média vidéoludique suite à leur sortie respective. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un studio va s’inspirer de ces deux monuments qu’il va forcément en retirer quelque chose de fondamentalement bon.

Avec tous les studios indépendants qui existent aujourd’hui, il y a vraiment de quoi se mettre sous la dent en termes d’expériences vidéoludiques. Raw Fury est un éditeur suédois, ayant proposé des jeux drastiquement différents avec par exemple Call of the Sea (dont l’ami Donnie Jeep s’est fait un plaisir de vous donner son avis), ou encore Dandara qui à l’époque de sa sortie m’avait été conseillé par Reblys.

Le 23 septembre dernier, est sorti Sable sur PC et Xbox, la nouvelle production éditée par Raw Fury et développée par Shedworks, qui a suscité beaucoup d’attentes des joueurs depuis son annonce lors de l’E3 2018.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par l’éditeur. Jeu parcouru sur PC.

Une tempête aveuglante

© 2021 Shedworks / Raw Fury

Le jeu s’ouvre sur notre héroïne, répondant au nom éponyme du titre. On la retrouve dans une pièce semblable à un donjon, dans laquelle elle a l’air de faire des recherches. Très vite nous sommes amenés à retourner dans notre village où l’on va découvrir plusieurs personnages qui nous apprennent ce que l’on fait là. Sable s’apprête à réaliser son grand voyage, que l’on pourrait considérer comme étant initiatique. Important pour son village, mais surtout pour elle, lui permettant ainsi d’en apprendre plus sur elle. Sur le papier, même si cela peut sembler très banal, l’univers dans lequel est plongé·e le·la joueur·euse peut sembler très intéressant, cependant se pose le premier problème du titre. Tout est beaucoup trop cryptique.

Nous savons que nous devons voyager, mais pour quoi faire exactement ? Quelles sont les raisons qui nous poussent à traverser ces plaines désertiques ? Pourquoi le monde dans lequel nous évoluons est ainsi ? Quels sont ces vestiges que l’on découvre tout au long de l’aventure ? Y a-t-il eu une civilisation avant celle dans laquelle nous évoluons ? Toutes ces questions resteront en suspens et ce sera aux joueurs·euses de se faire son propre avis sur ce monde aussi mystérieux qu’il aurait pu être envoûtant. À la différence d’un Journey qui arrive à combler avec brio ce manque de réponses grâce au voyage que le jeu propose.

Sable est une sorte d’élue, dont le seul véritable but est de récupérer des masques qui attestent de sa progression. Le tout en aidant les différents PNJ que l’on va croiser durant l’aventure. Ces différentes quêtes sont avant tout prétexte à voyager dans ce monde avec, pour la plupart, des quêtes Fedex. Autant ce n’est pas quelque chose qui me dérange en soi dans un jeu vidéo, j’irais même jusqu’à dire que j’apprécie ce genre de missions. Cependant ici, au-delà de quelques tâches où  l’aspect plateforme sera mis en avant, les demandes des PNJ s’avèrent être de rudes besognes, plutôt que quelque chose d’agréable à faire. Le tout étant lié au problème principal de ce jeu : une ambition trop grande.

N’est pas Nintendo/Thatgamecompany qui veut

© 2021 Shedworks / Raw Fury

Avoir de l’ambition et vouloir proposer une grande expérience vidéoludique c’est bien, c’est même louable. Malheureusement dans le cas présent c’est raté. Même si l’on sent l’ambition de Shedworks de vouloir nous proposer un grand voyage, en appliquant beaucoup d’aspects des jeux que j’ai pu citer en introduction, comme le fait d’être lâché dans ce monde ouvert, les différentes façons dont la plateforme est mise en avant, le voyage initiatique… Malheureusement le mélange ne prend pas. Et c’est dommage car Sable aurait pu être le genre d’œuvre que l’on cite aux côté d’un Journey ou d’un Zelda Botw mais force est de constater que le studio aurait du revoir ses ambitions à la baisse.

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles cela bloque. Outre l’aspect cryptique que j’ai pu citer précédemment, il y a également l’aspect technique qui pèche. Entre les chutes de frames rate, le clipping, la caméra qui s’emballe par moment alors que nous sommes en pleine ascension et donc provoque inévitablement des chutes… Le jeu aurait sans doute eu encore besoin de quelques mois de développement et je ne doute pas une seconde que certains de ces points seront corrigés avec le temps. Mais dans la version actuelle sur laquelle je m’appuie pour écrire cette critique, j’ai subi ces problèmes qui ont continué d’entacher mon expérience. Pour autant, habituellement ce n’est pas quelque chose qui me saute aux yeux, car tant que le jeu est bon je peux réussir à excuser les problèmes techniques. Force est de constater que je vous en parle.

Cependant tout n’est pas à jeter… Sable propose quelque chose de vraiment intéressant, et c’est malheureusement le seul point qui m’a poussé à aller aussi loin.

Quand le sable n’irrite pas les yeux

Car oui, c’est aussi ce qui a dû vous frapper, l’aspect esthétique du titre. Un cell-shading complètement maîtrisé, avec des effets de particules qui fonctionnent à merveille au vu de la poussière que l’on peut laisser derrière nous. J’en viens à penser que Shedworks s’est beaucoup inspiré du travail de Moebius, auteur de bande-dessinée français dont les différentes œuvres ont eu un impact important aussi bien au cinéma que dans le monde du jeu vidéo. Cette similarité esthétique est notamment criante lorsque l’on voit les planches du bédéiste, quand celui-ci dessinait de grandes étendus désertiques.

Outre ce style original que l’on retrouve dans très peu de jeux, la bande originale n’est pas en reste, et propose des compositions vraiment bonnes, avec des envolées lyriques du plus bel effet. C’est simplement dommage qu’il y en ait si peu…

Comme un grain de sable dans le rouage

Vous l’avez compris, Sable a été une grande déception pour moi, au point où le jeu m’est tombé des mains après une dizaine d’heures. Et c’est vraiment dommage, car la proposition du titre avait de quoi plaire au plus grand nombre. Du moins ce qui se dégage des différentes bandes annonces avaient l’air de proposer un voyage initiatique, certes déjà vu, mais terriblement attrayant. Malheureusement il s’avère qu’il en est tout autre. Le voyage fût éprouvant, semblable à une montée de la Dune du Pilat, ou à une traversée du désert sans eau.

  • Sable est disponible depuis le 23 septembre 2021 sur PC et Xbox One. 
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Lorsqu’Alex Chen débarque à Haven Springs, charmante petite bourgade minière nichée au creux des montagnes du Colorado, elle se trimballe bien plus de bagages que le simple sac qui se balance dans son dos. Sur ses vingt et une années d’existence, la jeune femme en a passé presque la moitié brinqueballée de familles d’accueil en orphelinats. Huit ans sans réel foyer, huit ans sans être véritablement adoptée ; avec pour seule constante la sensation de n’appartenir à rien ni personne. Ni même de s’appartenir vraiment.
Huit ans séparée de Gabe, son frère aîné, qui vient la retrouver à la descente du bus sur ce petit pont fleuri. Des retrouvailles où excitation et appréhension dansent maladroitement ensemble. Avec Gabe pour guide, Alex découvre Haven Springs, ses hauts lieux, ses principales figures. Première journée où se mêlent déjà toutes sortes d’émotions, première journée qui s’achèvera par un drame et lancera Alex à la recherche de réponses. Sur le monde qui l’entoure et les évènements qui ont frappé la petite communauté de Haven Springs ; sur elle-même.

Knockin’ on Haven’s Door

Après un road trip mouvementé dans le sillage des frères Diaz avec Life is Strange 2, c’est donc dans les Rocheuses que ce nouvel épisode de Life is Strange nous propose de faire escale. Dontnod a de nouveau passé le flambeau au studio Deck Nine Games qui, en 2017, s’était déjà occupé avec brio de Before the Storm, prélude au premier opus de la saga. Si à cette époque, prequel oblige, les développeurs avaient dû composer avec un univers et certains personnages préexistants, pour True Colors, ils ont pu partir sur une toute nouvelle histoire, dans un tout nouveau lieu, avec de nouveaux personnages (ou presque car on retrouve Steph Gingrich, qu’ils avaient introduit dans Before the Storm et qu’ils ont emmenée avec eux pour cette nouvelle aventure, de même que pour le DLC Wavelengths dont elle est la protagoniste). Un choix murement réfléchi quand on sait que le studio travaille sur le projet depuis quatre ans. Et un choix tout à fait opportun puisqu’il permet d’élargir l’univers de la licence.

© 2021 Square Enix

Nous posons donc nos bagages à Haven Springs, plus communément appelé Haven par la population locale. La petite ville est superbement mise en scène et c’est un plaisir de pouvoir s’y balader. Les couleurs sont vivantes, l’architecture impeccable avec ses bâtiments à l’identité marquée, oscillant entre réalisme et ce qu’il faut d’effet « carte postale » pour se sentir tout autant chez soi qu’en voyage (il faut préciser que Deck Nine est en terrain connu, le studio étant basé dans le Colorado). Suivant le moment de la journée durant lequel on arpente les lieux, on aura toujours ce mélange de sensation familière et de redécouverte.

Les habitants de Haven ne sont pas en reste. Ils ont bien souvent quelque chose à raconter et, pour peu que l’on soit attentif, on peut suivre des petites histoires se développer au fil du temps. Ce sentiment de vie est renforcé par le flux régulièrement actualisé de MyBlock, réseau social local sur lequel tout ce petit monde interagit, qu’on peut consulter via le smartphone d’Alex. Parmi ces habitants, il y en a bien sûr certains plus importants que d’autres. Ils forment une galerie de personnages bien travaillés, échappant aux clichés pour peu qu’on prenne vraiment le temps de les découvrir. Deck Nine avait déjà réussi sur ce point avec Before the Storm, mais avec True Colors ils élèvent encore plus le niveau en terme de qualité d’écriture. Ce qui est pour le mieux car le titre repose essentiellement sur les personnages, tout comme le pouvoir de sa protagoniste.

A Girl and Her Power

Alex possède un pouvoir d’empathie qui lui permet de voir des auras de couleur entourant les personnes avec qui elle parle, voire même certains objets. Ces auras de couleur symbolisent des émotions. Les décoder permet à la jeune femme de ressentir ce que vivent les gens ainsi que les pensées liées à ces émotions. Bleu pour la tristesse ou encore rouge pour la colère (pour ne citer que ces deux exemples), ces couleurs peignent le monde et les gens qui entourent Alex. Une toile en perpétuel mouvement que la jeune femme peut choisir ou non d’impacter. Visuellement le studio américain a fait un très joli travail. Tout est fluide et naturel et bien vite on se fait à la mécanique qui permet d’activer ce pouvoir et donc d’en apprendre plus sur les personnes avec qui on parle pour ainsi débloquer de nouveaux dialogues, de nouvelles scènes. Mais il faut faire attention à cette utilisation car les émotions puissantes peuvent être volatiles et Alex peut en subir les conséquences. Que ce soit par des mots mal placés, ou alors en recevant une vague d’émotions qui va la submerger. Et contrairement à Max qui pouvait, dans le premier Life is Strange, rembobiner le temps pour se donner une nouvelle chance, Alex n’a que le moment présent pour influer sur le cours des choses, sur la vie des gens. Et sur la sienne.

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Nouvelle héroïne dans la licence, Alex Chen est merveilleusement bien écrite (et tout aussi merveilleusement bien interprétée par l’actrice Erika Mori). Deck Nine avait déjà réussi l’exercice périlleux de développer avec subtilité Chloe Price dans Before the Storm ; ici ils introduisent une jeune femme à laquelle il est impossible de ne pas s’attacher.

Malmenée par la vie, Alex a connu trop de déboires et de familles d’accueil à seulement vingt et un an. Et à la différence de Max Caulfield ou encore de Daniel Diaz, elle vit avec son pouvoir depuis longtemps. Un pouvoir d’empathie dont elle ne sait quoi faire tant il peut l’infecter. Il suffit de lire de vieux sms sur son smartphone pour comprendre à quel point elle le considère comme une malédiction et non une bénédiction. Car s’il peut lui permettre de se rapprocher parfois des gens, la plupart du temps il les en écarte de sa vie, les repoussant si loin qu’ils disparaissent de cet horizon qu’elle n’arrive même plus à percevoir.

Alex cherche pourtant cet horizon. Venir à Haven Springs et revoir son frère aîné pourrait l’aider dans cette quête, même si elle a tant de mal à croire à la possibilité d’un véritable futur. L’accident tragique qui emporte Gabe alors qu’ils viennent à peine de se retrouver va tout bouleverser. Pour le meilleur ou le pire suivant les choix qu’elle fera, et nous avec elle.

All The World’s a Stage

Il y aurait tant de choses à raconter sur l’œuvre que nous propose Deck Nine, les personnages et les lieux qui la peuplent, ces petites histoires qui fourmillent et vibrent de telle ou telle couleur. Je pourrais parler de ces bornes d’arcade aux jeux démodés sur lesquelles Alex peut passer le temps, de ces objets qui semblent anodins, traînant ici ou là, et qui pourtant recèlent des souvenirs intimes qui ne demandent qu’à être ravivés. Je pourrais évoquer ces parties de babyfoot servant de catharsis à une jeune femme qui se réfugie bien trop souvent dans sa cabine de radio, le son à fond, pour éviter d’extérioriser ses peurs et ses peines. Ou encore ce vieil homme qui, le temps d’une danse sur une ballade jazz, peut se remémorer des pas tant de fois partagés avec celle qui n’est plus depuis longtemps et qui pourtant est toujours bien présente.

Il y aurait tant des choses à raconter. Mais ce sont des choses à vivre, des gens à rencontrer. De petits et grands moments qui tournent et tournent comme ces vinyles dans le jukebox de la taverne de Haven. Des émotions que l’on découvre, que l’on ressent, kaléidoscope de couleurs que l’on doit apprendre à accepter même si parfois elles peuvent nous aveugler.

© 2021 Square Enix

Alex tient un journal dans lequel elle inscrit les émotions ressenties et absorbées au gré des rencontres marquantes qu’elle a faites. C’est une carte intime qui lui permet de savoir où elle en est car son pouvoir est tel qu’elle ne sait plus parfois si une émotion lui est propre ou alors seulement un écho de ce qu’elle a perçu chez autrui. Pour exorciser cela, elle transforme les maux en mots, les mots en paroles, griffonnant couplets et accords de chansons que seules les pages de son carnet chantent en secret. L’utilisation de la musique a toujours été une marque de fabrique des jeux Life is Strange, mais jamais son importance n’avait été aussi grande qu’avec True Colors. Alex est une musicienne dans l’âme. La guitare est son ancre, sa voix le conducteur principal des émotions qu’elle ne sait trop comment évacuer. Mais comment pouvait-il en aller autrement pour une jeune femme possédant le pouvoir d’empathie ?

Peu importe qui l’on soit, où que l’on soit, la langue que l’on parle, la musique est un vecteur d’émotions. Elle connecte les gens, les lie autour de mêmes sons. Que l’on joue d’un instrument ou non, d’une certaine manière, dans la vie, nous faisons toutes et tous de la musique. Sans forcément nous en rendre compte, nous entonnons des mélodies, assurons des accompagnements. C’est un besoin presque inconscient, qui nous pousse à rechercher une scène sur laquelle nous exprimer, d’autres musiciens et musiciennes avec qui nous accorder. C’est ce qu’Alex souhaite désespérément trouver : une scène. Juste une scène. Une scène qui l’accepte enfin, une scène sur laquelle elle se sente bien. Une maison en quelque sorte. Et puis quelques personnes avec qui jouer, peu importe si parfois il y a des fausses notes. Une famille en fin de compte.

Right Where You Belong

La vie est étrange. Elle voit des papillons bleus déclencher des tempêtes, des hurlements de jeunes loups en cavale déchirer des murailles. Avec True Colors, Deck Nine apporte une nouvelle pierre à cet édifice fait d’aventures et d’émotions. Moins fracassante en surface, elle infuse longuement, profondément. À tel point qu’il sera impossible d’oublier Alex Chen, son besoin d’appartenir à un lieu, à une communauté, d’appartenir enfin à elle-même, à un présent tangible dans lequel on l’accepte et où elle s’accepte ; percevoir alors un horizon dégagé, un futur où elle a toute sa place. Où elle a une vie, tout simplement.

  • Life is Strange: True Colors est disponible depuis le 9 septembre sur PC (Windows), Xbox One et Xbox Series X|S, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch.
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