Panda Detective Agency | Chroniques de vies hybrides

par Reblys

Décidement, rien n’arrête les éditions Mangetsu. On les a connues avec du shônen via Ao Ashi et Chiruran, et dans leur version seinen avec Le Mandala de Feu, mais il leur restait une dernière collection à inaugurer, Mangetsu Life, dédiée à la tranche de vie. La première licence à voir le jour sous cette étiquette est un manga de Pump Sawae, auteur jusque là inconnu en France : Panda Detective Agency. A la lecture de ce tome, on se fait une bonne idée à la fois du style du mangaka, mais aussi du pari éditorial de Mangetsu, qui nous propose ici une œuvre à part, d’un genre bien représenté au pays du soleil levant, que je qualifierais de « réalisme fantastique ».

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire en service presse par son éditeur. Note : Mangetsu est le nouveau label manga de Bragelonne, maison d’édition dont le directeur Stéphane Marsan a été mis en cause dans de nombreux témoignages d’anciennes collaboratrices l’accusant de harcèlement sexuel, suivi d’un silence assourdissant de l’éditeur. Suite à cette affaire, nous avions pris la décision de continuer à couvrir les œuvres publiées par la maison d’édition tout en inscrivant, à chaque fois, une note en début de critique pour informer sur la situation et rappeler notre soutien indéfectible aux victimes. Nous avons appris avec joie la mise à l’écart de Stéphane Marsan, la lutte interne des salarié·e·s pour réclamer un environnement de travail plus sain et surtout, que les victimes aient enfin pu être entendues. Pour en savoir plus : thread de Samantha Bailly et Mediapart

Un Tokyo parallèle s’ensauvage lentement

© 2018 Pump Sawae & LEED Publishing co.

La maladie de métamorphie s’est abattue sans prévenir sur le monde. A Tokyo, le nombre de personnes contaminées augmente sans cesse. On ne sait rien de la maladie, si ce n’est qu’elle transforme progressivement les humains en animal, ou en végétal…et qu’elle est incurable. Alors les mutations se multiplient, des évènements en tout genre se lient à ces malades d’un genre nouveau. Handa, lui même contaminé, enquête sur ces affaires avec Takebayashi, son patron et ancien camarade de fac.

Panda Detective Agency prend la forme d’un recueil de cinq histoires, chacune nous racontant le déroulement d’une « affaire » et ses suites. Si je mets affaire entre guillemets, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’affaires criminelles, mais plutôt de situations où l’on a d’ordinaire recours à un détective privé : retrouver une personne ou obtenir des informations à son sujet par exemple. Mais l’auteur ne s’aventure pas vraiment sur ce chemin, préférant nous prendre à contre-pied. Plutôt que de raconter des investigations sur le ton du thriller, chaque récit constitue une véritable tranche de vie, durant laquelle on fait connaissance avec plusieurs personnages reliés entre eux, mais aussi, et surtout, à la métamorphie.

C’est là l’élément central du monde qui nous est présenté. Les personnes atteintes de métamorphie disparaîtront une fois leur transformation achevée. Elles deviendront complètement l’animal dont elles prennent peu à peu la forme, sans garder souvenir de leur vie humaine. Sachant que leur temps est compté, sans aucune possibilité de retour en arrière, les malades de métamorphie sont confrontés à des questionnements philosophiques que pourrait vivre, dans notre monde réel, une personne en fin de vie, avec ici la subtilité que personne ne sait combien de temps il lui reste. La durée de chaque métamorphose est différente selon l’individu, pouvant se réaliser en quelques mois ou courir sur des dizaines d’années. A travers cette maladie, qui peut toucher n’importe qui, Pump Sawae nous rappelle à quel point la vie est fragile, et que la saisir à chaque instant, sans jamais la prendre pour acquise, est d’une absolue nécessité. En témoigne un chapitre particulièrement touchant durant lequel une jeune pianiste accélère sa transformation à chaque fois qu’elle fait corps avec sa musique, pourtant sa seule raison de vivre. Le fait que Handa soit également sur le chemin de la transformation permet des échanges particulièrement forts entre ces personnes, en quelque sorte condamnées à faire le deuil programmé de leur existence humaine.

Indescriptible mélodrame flottant

© 2018 Pump Sawae & LEED Publishing co.

Car Handa, récent infecté, est encore perdu vis-à-vis de sa situation. Il ne sait pas comment il est sensé gérer le temps qui lui reste, s’il doit poursuivre ou non sa vie normalement. Chaque rencontre avec les différents métamorphes est également pour lui l’occasion de se confronter à différentes visions du monde, à différents destins, quitte à être lourdement affecté lorsqu’il constate de ses propres yeux les effets d’une métamorphose achevée. Il est ainsi tiraillé entre l’animal qui grandit en lui, et la présence de Takebayashi, qui le ramène régulièrement à la réalité. Le personnage de Takebayashi est d’ailleurs loin d’être dénué d’intérêt. Assez distant, même froid par certains abords, on n’en apprend sur lui qu’au compte-gouttes. Néanmoins, au vu de la fin de ce premier volume, il ne fait aucun doute qu’il deviendra un personnage central, et cela ajoute aux attentes que je nourris désormais vis-à-vis de cette série !

En effet je ressors de ce tome avec la sensation d’avoir été transporté dans un monde à la fois très différent mais également très proche du notre. Les lieux, les personnages et les évènements contés sont extrêmement réalistes. En témoigne par exemple le désemparement de la médecine face à la métamorphie, qui ne peut proposer aux malades qu’un suivi psychologique. Et pourtant malgré ce bouleversement, la vie continue. Les gens continuent parfois à vivre avec leurs proches une fois transformés, d’autres doivent laisser leur ami, ou leur enfant quitter la société pour rejoindre le règne animal. Tandis que ceux dont le corps change un peu plus chaque jour acceptent leur destin avec philosophie. Cette part d’irrationnel est pleinement intégrée dans le récit, et c’est pour cela que je parlais plus haut de « réalisme fantastique ». Cela donne à l’œuvre un ton de fable, qui produit à la lecture une sensation de flotter dans un monde parallèle, mais voisin. Ce sentiment est renforcé par le trait et le découpage de Pump Sawae, très aérés, aériens même. Des dessins fins et assez peu détaillés cohabitent à travers des pages souvent peu remplies, ou les arrière plans et les encrages se font généralement discrets. Ces ingrédients permettent d’une part de renforcer les dialogues et l’attitude des personnages, par lesquels passent à mon avis l’essentiel des messages de l’œuvre, mais également d’autre part de donner une consistance très particulière aux thématiques, pourtant graves, qui y sont abordées. Face à un mal que personne ne comprend, qui ne cesse de progresser, et qui finira sans doute par emporter notre espèce toute entière, Pump Sawae choisit de nous montrer l’essence de ce qui fait notre humanité : La famille, les amis, l’amour de l’art, de la nature, et le lien que nous avons perdu avec celle-ci. Un lien qui, à travers la progression de la métamorphie, nous est à nouveau imposé.

En attendant le tome deux…

Encore une fois Mangetsu frappe fort, et continue d’étoffer son catalogue avec une entrée qui sied à merveille à un label nommé « Life ». Car Panda Detective Agency nous parle effectivement de la vie, sous toutes ses formes, le tout à travers un style qui nous emmène dans un monde à part, où le temps s’écoule lentement et d’où je suis ressorti apaisé. Ces cinq histoires, d’une grande variété, sont autant de terrains de jeu pour l’auteur que d’occasions de nous raconter des moments de vie aussi doux qu’amers, aussi justes que touchants.

Pour toutes ces raisons je vous recommande chaudement Panda Detective Agency, en particulier si vous avez envie de ressentir une certaine poésie du quotidien à travers des personnages qui font de leur mieux pour vivre pleinement dans un monde qui se délite. Une suite à ces histoires est prévue, mais la date de sortie du deuxième tome est à ce jour inconnue au Japon. En attendant, je guette la sortie, le 18 août prochain, d’un autre volume écrit et dessiné par Pump Sawae : Tout au bout du quartier (également chez Mangetsu) !

  • Panda Detective Agency est disponible depuis le 7 juillet en librairie.

Ces articles peuvent vous intéresser