Chiruran – Tome 3 | Une gueule de porte-bonheur

par Anthony F.

Chiruran nous a séduit avec ses deux premiers tomes, en juillet dernier, et c’est peu de le dire. Cette fresque d’un Japon du 19ème siècle, à la croisée des chemins, entre la fin d’une ère et le début d’un autre monde, se racontait au travers d’un groupe de samouraïs en quête d’un sens à leur vie. Une approche souvent maline en mélangeant l’histoire au genre bien codifié du shōnen, qui doit maintenant confirmer ses bonnes intentions avec un 3ème tome sorti le mois dernier.

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Guerre d’égos

Troisième année de l’ère Bunkyû, le héros et ses compagnons tentent d’entrer au service du clan Aizu, l’un des derniers remparts du gouvernement. Pour ce faire, un défi leur est posé : les compères doivent affronter, et vaincre,  les maîtres des écoles d’Aizu. Sorte de concours de testostérone certes, mais surtout un moyen de prouver sa valeur dans un monde violent, comme un dialogue en particulier vient expliquer et justifier plutôt habilement ce recours à un « recrutement » aussi féroce. Évidemment, le tournoi d’arts martiaux est un élément récurrent dans les shōnen, sorte d’outil narratif un peu facile dont le plus fier représentant se trouve du côté de Dragon Ball Z, où l’on profite de ce grand rassemblement des plus grands menaces de l’univers pour raconter tour à tour la défaite, l’apprentissage et enfin la victoire du héros. Mais même si le procédé est grossier, on se laisse toujours séduire par celui-ci, et un peu plus lorsqu’il est aussi bien exécuté que dans Chiruran. Car au-delà des ficelles narratives, le manga a parmi ses nombreuses qualité sa manière de raconter des « gueules », que l’on qualifierait de manière très cliché de « à l’ancienne ». Des « gueules » qui disent tout sur elles dès qu’on aperçoit les personnages, avec un charisme qui irradie l’image et qui nous rappelle qu’on est bien dans une œuvre un peu fofolle qui ne prend aucune pincette. Ce troisième tome de Chiruran est une sorte de grande réunions des guerriers les plus puissants, mais aussi les plus improbables, d’un pays en ruines où chacun tente encore de montrer qu’il est plus fort que l’autre. Une guerre d’égos où les hommes (les femmes étant, malheureusement, terriblement absentes du manga) se mettent sur la gueule soit par loyauté envers un mystérieux chef, soit parce qu’ils n’ont probablement rien de mieux à faire.

© 2010 By Eiji Hashimoto and Shinya Umemura

Et même si ce ne sont pas tous des intellectuels, il faut bien avouer que leur charisme dépasse l’entendement. Chaque nouveau personnage introduit à l’occasion de ce tournoi imprime de suite le manga de son aura, de sa stature, de son univers, tantôt brute, tantôt délicat, donnant une bonne opportunité à Shinya Umemura et Eiji Hashimoto de laisser parler leur imagination. Outre les personnages et leur charisme, c’est une mise en scène maline qui illustre les différents styles de combat et des affrontements qui virent parfois à la guerre psychologique, dans des discours grandiloquents du plus bel effet, flirtant toujours avec un léger ton ironique, comme si le manga avait conscience d’en être un. Comme s’il prenait un certain recul sur ce tournoi pour mieux en raconter les mécanismes et les aboutissements. Cela permet d’ailleurs à ce troisième tome de servir de transition pour de futures menaces, qui se dévoilent peu à peu, dans l’ombre, pendant que nos héros s’amusent à jouer aux plus forts.

Tempérer pour mieux surprendre ?

Il se passe finalement peu de choses dans ce tome, certes, mais l’arrivée de nouvelles menaces permet de bien comprendre l’intérêt de ce (long) tournoi. Les enjeux apparaissent en toile de fond, pendant que l’égo prend le pas sur la raison, montrant à sa manière qu’avant d’être des guerriers hors pair, ces hommes ne sont pas bien difficile à déstabiliser pour peu que l’on remette en cause leur puissance. Un sous-texte intéressant, qui dépasse le cadre très classique dont je parlais plus tôt, pour mieux amorcer certainement les grandes thématiques qui vont alimenter les prochains tomes. En gardant toujours un œil sur l’histoire du Japon, le manga mélange ses univers visuels entre ses personnages atypiques et ses décors directement inspirés du 19ème siècle, bien que ce troisième tome est plus chiche en la matière, l’essentiel de l’action se déroulant au même endroit. Cela ne l’empêche toutefois pas de briller de temps à autre.

Certes, ce troisième tome donne la fâcheuse impression de remplir des cases parce qu’il le fallait bien, en attendant le prochain arc, en profitant du moment pour présenter quelques nouveaux personnages. Mais le manga le fait si bien, et adapte à sa manière le fameux tournoi si prédominant dans l’imaginaire des shōnen, qu’on a du mal à lui en vouloir. Certainement moins percutant que ses deux prédécesseurs, il n’en reste pas moins un charmant moment de lecture où l’on se délecte d’un imaginaire sans fin, qui allie avec talent fresque historique et destin épique.

  • Le tome 3 de Chiruran est disponible en librairie depuis le 18 août 2021.

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