Imaginez, voulez-vous, que l’une des comédies musicales les plus populaires aux États-Unis soit méconnue en France. Essayez seulement d’envisager que la pièce ayant reçu le record – inégalé – de 12 Tony Awards (l’équivalent des Oscars pour le théâtre) n’ait jamais été adaptée ici, jusqu’à présent ! C’est le cas des Producteurs, une œuvre que je n’avais jamais eu la chance de voir sur scène, mais qui eut beaucoup d’impact sur mon amour des comédies musicales ou de la pop culture. Les Producteurs est un chef-d’œuvre irrévérencieux dont les maîtrises de l’absurde, de l’auto-dérision ou de la satire du milieu théâtral me rendent dithyrambique ; les numéros musicaux et la mise en abyme n’étant pas en reste. Maintenant que j’ai votre attention, revenons, si vous le voulez bien, aux origines de ce monstre satirique.

C’est l’histoire d’un film qui devient une pièce, qui devient un film…

Max (Nathan Lane) et Leo (Matthew Broderick) © Les Producteurs, St. James Theatre, 2002

L’histoire des Producteurs commence en 1968, tandis qu’un certain Mel Brooks réalise un long-métrage mettant en scène Zero Mostel et Gene Wilder. Le film (non musical) suit les mésaventures de Max Bialystock, le roi du vieux Broadway qui, après des années d’échecs et de flops en tout genre, n’est plus que l’ombre de lui-même. Le producteur véreux fait alors la rencontre de Leo Bloom, un comptable timide et névrosé. Constatant des irrégularités dans les comptes de Max, Leo lui fait naïvement remarquer qu’il pourrait en fait gagner beaucoup d’argent en produisant un flop. Les deux partenaires décident de chercher la pire pièce jamais écrite pour assurer leurs arrières. Ils jettent leur dévolu sur Un printemps pour Hitler, une comédie musicale célébrant le troisième Reich. Le long-métrage de 1968 ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Il n’en a pas moins remporté l’Oscar du meilleur scénario en 1969. Le film fut même interdit en Allemagne pendant quelques années…

33 ans plus tard, Mel Brooks décide de transposer ce classique du cinéma en comédie musicale. Les rôles de Max et Leo sont assurés par Nathan Lane (Le Roi Lion, La Souris) et Matthew Broderick (La folle journée de Ferris Bueller et… Le Roi Lion !). Les quelques 2502 représentations et les 12 Tony Awards remportés témoignent du succès retentissant de la pièce. Ledit succès permet aux Producteurs de renouer avec le cinéma, en 2005, puisque la pièce est elle-même adaptée en film. C’est Susan Stroman, metteuse en scène et chorégraphe de la comédie musicale qui endosse la casquette de réalisatrice. La boucle est bouclée.

Il faut pourtant encore attendre 16 ans pour que la pièce arrive en France. Alexis Michalik met en scène Les Producteurs au Théâtre de Paris, avec – dans les rôles titres – Serge Pastigo (Max) et Benoît Cauden (Leo). Tandis que la pièce était prévue de décembre 2021 à février 2022, les salles combles ont prolongé les représentations jusqu’au mois de juillet 2022. Voilà qui n’est assurément pas un flop !

Along came Bialy

Leo (Benoît Cauden) et Max (Serge Pastigo) © Les Producteurs, Théâtre de Paris, 2021

Les Producteurs est une pièce très irrévérencieuse, qui ne s’adresse pas à tous les publics. Le début du premier acte est assez longuet. La rencontre entre Max et Leo se fait lors d’un dialogue typiquement théâtral, célébrant les différents types de comique. Même après, tandis que les numéros musicaux s’enchaînent, l’humour demeure profondément absurde. Au reste, le plongeon dans ce tourbillon aussi délirant que satirique est la promesse de nombreux fous rires.

L’histoire commence, à la fin des années 50, avec Max Bialystock. Constatant qu’il est le producteur d’un énième flop, celui-ci se lamente sur son sort et rappelle, au cours d’une mélopée aussi merveilleuse que nostalgique (The King of Broadway), qu’il était le roi du vieux Broadway. Il semble inconcevable de ne pas saluer la traduction parfaite des paroles, en français, ou l’insertion de plaisanteries très contextualisées. Ainsi, Max ne manque pas de faire une allusion à un autre monarque : Le Roi Lion, joué à peine quelques rues plus loin, au théâtre Mogador, (et dont vous retrouverez la chronique ici). 

A l’instar des autres personnages, Max est un stéréotype ambulant. Véreux et grivois, le producteur est peu scrupuleux à l’idée de produire des flops ou de renier ses propres convictions, pour parvenir à ses fins. Comme son nom l’indique, Max est juif. Cela ne l’empêchera pas de charmer le scénariste nazi Franz Liebkind, afin d’obtenir les droits d’un Printemps pour Hitler. Au delà de cela, Max est le vestige d’une époque révolue. Nostalgique et profondément seul, il n’a jamais connu l’amitié avant de rencontrer Leo. Je peux dire, sans rougir, que la relation entre Max et Leo est l’une des meilleures bromances jamais écrites.

Keep it Gay

La troupe chante « Keep it Gay » © Les Producteurs, Théâtre de Paris, 2021

C’est avec la chanson We Can Do It, durant laquelle Max tente de convaincre Leo de se joindre à lui, que le rythme de la pièce s’envole. Timoré de nature, Leo refuse la proposition et retourne à son bureau, où son supérieur hiérarchique s’empresse de l’humilier. Tandis que les différents comptables de Whitehall & Marks entonnent un hymne rappelant à quel point ils sont malheureux ; Leo se souvient que son rêve de toujours était de devenir producteur à Broadway (I Wanna Be a Producer). C’est ainsi qu’il décide de se lancer dans la folle aventure avec Max.

Les deux compères rencontreront alors des individus aussi dérangés les uns que les autres. Bien qu’il soit un fervent admirateur d’Hitler, Franz Liebking a une passion secrète pour ses pigeons, qu’il aime tendrement. Après avoir acquis les droits de la pire pièce jamais écrite, Max et Leo tâchent d’embaucher le pire metteur en scène vivant. Il s’agit de Roger de Bris, dont la tanière n’a rien à envier à la Cage aux Folles. Dans Les Producteurs, personne n’est épargné par l’humour, à commencer par la communauté LGBT+. Je ne serais pas étonnée que beaucoup considèrent la pièce comme antisémite, homophobe et plus encore, sans avoir toutes les données en main. Rappelons que Les Producteurs est la création d’un réalisateur juif, Mel Brooks. Le créateur du rôle de Max dans la comédie musicale, Nathan Lane, a fait son coming-out gay dans les années 90. De fait, il s’agit d’un chef-d’œuvre d’auto-dérision ; tout autant que d’une franche satire du show-business.

Max ne manque évidemment pas d’embaucher, comme première comédienne/réceptionniste, une certaine Ulla, à la plastique avantageuse. Ulla a parfaitement conscience qu’elle n’est pas choisie pour ses compétences et en joue sans scrupule ; du moins avant de tomber amoureuse de Leo.

Springtime for Hitler

Leo et Max rencontrent Franz © Les Producteurs, Théâtre de Paris, 2021

L’heure de la première représentation d’un Printemps pour Hitler finit par arriver. La mise en abyme terriblement efficace nous donne à nous, public, l’impression d’être venus assister à la célébration du troisième Reich. La pièce de Franz Liebkind n’en est que plus dérangeante. Naturellement, tout ne se passe pas comme Max et Leo l’avaient prévu, mais je vous laisserai le plaisir de découvrir l’ampleur des dégâts par vous-mêmes.

Je suis fan des Producteurs depuis de nombreuses années. Aussi fut-il particulièrement émouvant de découvrir cette pièce, sur scène. L’adaptation française s’en tire avec les honneurs. Bien qu’elle ne dispose pas des mêmes moyens que Le Roi Lion (Théâtre Mogador), elle compense par des comédiens époustouflants, et ce dans tous les domaines. Mon seul regret est que l’une des chansons de Max (Betrayed) ait été coupée, afin que la comédie musicale n’excède pas deux heures et puisse se passer d’entracte.

Il est difficile d’en dire davantage sur Les Producteurs sans divulgâcher l’intrigue. Je ne peux qu’insister sur l’immense dimension comique de la pièce. La satire, l’auto-dérision et l’absurde – au sens noble du terme – atteignent des niveaux rarement égalés. Les personnages stéréotypés se révèlent attachants et ce, en grande partie, grâce à des dialogues finement écrits. Enfin, je n’ai sans doute pas assez insisté sur la qualité des chansons et chorégraphies particulièrement entraînantes. A l’image du Roi Lion, mais dans un tout autre registre, Les Producteurs est une expérience impossible à oublier. Vous pourriez la détester, mais vous avez de plus fortes chances encore de l’adorer. Il me paraît, en tout cas, peu crédible qu’elle vous laisse indifférents.

  • Les Producteurs est une comédie musicale jouée au Théâtre de Paris, de décembre 2021 à juillet 2022. 
0 Twitter

Développé par le studio italien LKA et distribué par Wired Games, le jeu indépendant Martha is Dead a fait parler de lui quelques mois avant sa sortie pour ses scènes d’excessive violence, partiellement censurées sur Playstation. Sans ce buzz de dernière minute, le jeu aurait sans doute fait une sortie discrète, à part pour les amateurs d’horreur psychologique qui pouvaient suivre le développement du titre depuis quelques années. Mais passons outre la polémique autour de Martha is Dead, pour découvrir un thriller psychologique italien de qualité !

Le jeu a été testé sur Xbox Series S (version donc non censurée).

Y aura pas Martha le retour

Martha is Dead débute avec Giulia K., jeune enfant à qui sa nourrice lisait des légendes folkloriques particulièrement effrayantes, comme celle de la Dame blanche. Une histoire bien connue où une jeune femme est trompée par son amant : de désespoir, elle se noie dans un lac, et depuis, pour se venger, entraînera parfois d’autres jeunes filles dans les eaux noires pour les noyer. Aussi fascinée qu’effrayée, la petite Giulia adore cette histoire.

Découvrir les paysages apaisants de la Toscane… © LKA, Wired Games, Martha is Dead, 2022

Mais le temps passe et nous sommes en 1944, en Toscane. Giulia et sa sœur jumelle, Martha, vivent dans la maison toscane prêtée par leur nourrice. Elles y passent leurs journées avec leur mère italienne et leur père allemand, un haut gradé nazi, vivant au rythme des nouvelles de la Seconde Guerre mondiale apportées par la radio et les journaux. Malgré leur isolement dans cette campagne italienne, les combats font d’autant plus rage qu’ils se trouvent à un point stratégique militaire, disputé par l’armée italienne et les Alliés, aidés de partisans italiens. Plus qu’un véritable arc narratif, la Seconde Guerre mondiale est une toile de fond qui permet d’évoquer les atrocités des combats, les dilemmes de Giulia et la difficulté du quotidien, sans cesse mis à mal par un couvre-feu de plus en plus pesant.

Tout bascule quand un matin, Giulia rejoint sa sœur au lac où elles ont prévu de passer la matinée ensemble. Martha flotte à la surface du lac, noyée, avec les vêtements de sa sœur. Giulia la ramène sur le rivage, paniquée ; au même moment, ses parents arrivent et la confondent avec sa jumelle. Giulia devient ainsi Martha, et l’héroïne s’enfonce dans son mensonge – trop profondément pour ensuite revenir en arrière… Dès lors, dans les jours qui suivent, Giulia mène l’enquête pour savoir la cause de la mort de sa sœur : suicide, meurtre, victime de la Dame blanche ?

Un thriller psychologique, plus qu’une histoire d’horreur

Giulia usurpe donc l’identité de sa sœur, tant par égoïsme, car sa jumelle a toujours été la favorite de ses parents, que par souhait d’éviter un second choc à sa famille. Ce n’est pas sans en payer le prix : elle doit désormais faire semblant d’être sourde et muette, Martha l’étant depuis la naissance.

Pour avancer dans l’histoire, les joueurs et joueuses sont invités à explorer la maison, la chambre commune des jumelles, et à parcourir la campagne toscane. Celle-ci est ensoleillée et paraît idyllique, bien loin de la guerre, mais l’Histoire interférera à plusieurs reprises avec la quête personnelle de Giulia, amenant sang et mort à ce paysage paradisiaque. De la présence de partisans – qu’on peut choisir d’aider ou non, sachant que le père de Giulia est un nazi haut placé – aux légendes de la Dame Blanche, le jeu offre différentes directions à l’intrigue, proposant quelques quêtes annexes supplémentaires.

© LKA, Wired Games, Martha is Dead, 2022

Enquêter sur la mort de Martha amène ainsi Giulia à se replonger dans l’histoire familiale et à se remémorer des souvenirs, notamment grâce à un théâtre de marionnettes qu’elle peut utiliser pour rejouer des scènes d’enfance. Par ailleurs, la jeune fille est une grande adepte de la photographie, et son appareil photo permet d’immortaliser quelques scènes-clés pour le jeu, ou bien de découvrir les traces surnaturelles laissées par la Dame Blanche. Un côté artistique mis en valeur tant par son importance pour l’intrigue – les photos permettent de rétablir la vérité sur certains événements – que pour le côté très vintage de la prise des photos et du développement à effectuer en chambre noire. On joue avec plaisir avec les différents filtres et types de clichés, pour garder un souvenir des décors italiens emplis de charme.

Au fil des heures, le jeu s’aventure bien plus dans la psychologie des personnages, que du côté horrifique. Martha is Dead garde toutefois une trace de surnaturel, puisque Giulia pourra également tirer des cartes de tarot divinatoire chaque jour, et utiliser son jeu de cartes pour entrer en contact avec la Dame Blanche – qui nous offrira quelques sursauts. Mais c’est avec son intrigue familiale, sa quête d’identité et de vérité, que le jeu offre son véritable potentiel. L’histoire expose les conséquences de l’usurpation d’identité de Giulia, de son amitié avec un partisan, et surtout, la reconstitution de ses souvenirs fait revenir de terribles secrets à la surface.

Des thèmes matures et à ne pas mettre entre toutes les mains

Martha is Dead s’impose avant tout comme un jeu d’atmosphère, à la direction artistique ensoleillée mais avec des moments terriblement glauques et macabres. Le studio n’a jamais nié sa volonté de proposer un jeu mature avec des scènes dérangeantes, déconseillant d’ailleurs son jeu aux personnes sensibles à la vue du sang, de la mutilation, etc, avertissement présent également au début du jeu. C’est pourquoi Sony a d’ailleurs modifié certains passages sur Playstation, qui deviennent « non-jouables » ou censurés, et que les joueurs et joueuses peuvent passer. Dès les premières heures du jeu, on a ainsi une scène de cauchemar où Giulia découpe le visage de sa sœur morte, pour s’en faire un masque de peau. On peut s’interroger sur la nécessité d’un tel type de censure, considérant qu’il s’agit d’un cauchemar et d’une représentation du changement d’identité de Giulia. Néanmoins, il est certain que le jeu n’est pas à mettre sous les yeux des âmes sensibles par son côté graphique et macabre. Martha is Dead dérange, mais on est prévenu dès le début.

Le paragraphe suivant contient le détail des scènes dérangeantes du jeu.

Si certaines scènes se déroulent de manière explicite dans des cauchemars, d’autres se déroulent dans la réalité et peuvent ainsi bien plus déranger, comme le passage où Giulia doit vérifier si sa sœur était bel et bien enceinte, et va ouvrir son corps au cimetière pour constater la présence d’un fœtus. Un autre passage est le meurtre de la mère de Giulia et l’enterrement du cadavre démembré de la mère, par sa fille, ou encore le fait de voir (en théâtre de marionnettes) le chien de Giulia être cuisiné et mangé. L’une des scènes de fin montre un début d’automutilation et mentionne la masturbation, ce dernier élément étant a priori retiré de la version Sony. Par ailleurs, bug ou conséquence des choix au cours de l’histoire ? Giulia nous offre un discours à fin du jeu, qui prend la forme d’une entrée de son journal sur fond noir, mais qui devrait pourtant être dit directement par l’héroïne, face à nous.

Mais la volonté de mettre mal à l’aise fait partie des intentions du créateur du jeu, pour aborder une histoire psychologique plus profonde qu’elle n’en a l’air. Il est impossible d’en parler sans spoiler. Cependant, en dépit de sa noirceur, Martha is Dead vaut la peine d’y jouer pour son intrigue très personnelle et ses mystères à résoudre. Sans cesse au long du jeu, on cherche le fin mot de l’histoire, les événements s’enchaînant avec plusieurs rebondissements, avec assez de mystère pour se composer sa propre interprétation de l’histoire. La fin nous permet en effet de revoir l’intrigue sous un nouvel angle, nous amenant à réfléchir sur la part réelle de l’histoire et sur ce que Giulia a peut-être imaginé…

Le paragraphe suivant contient des spoilers sur la résolution du jeu.

Vers l’île de la Dame Blanche © LKA, Wired Games, Martha is Dead, 2022

A la fin du jeu, Giulia, enfermée dans un asile après la guerre, nous met face à elle-même par le biais d’un miroir la représentant sous forme de marionnette. Il s’agit d’une adresse directe aux joueurs et joueuses, comme pour nous faire décider de la véracité des événements passés. Les personnages décédés le sont-ils vraiment ? Certains ont-ils vraiment existé ? Y a-t-il vraiment eu une grossesse ? Par-dessus tout, Martha elle-même a-t-elle jamais existé, ou est-elle un mécanisme d’autodéfense de l’esprit de Giulia, victime de mauvais traitements dès l’enfance ? Au fil de son histoire personnelle, c’est la santé mentale de Giulia qui est avant tout évoquée : peut-être victime d’une dissociation d’identité, peut-être délirant sur toute son histoire, ce qui peut faire un peu cliché. Aux joueurs et joueuses d’interpréter ensuite chaque fragment d’histoire, d’autant que les black-out, coïncidences très étranges et souvenirs parcellaires de Giulia font sens avec une telle conclusion.

Une aventure où la noirceur sert les propos du jeu

A l’instar d’autres titres avant lui, Martha is Dead se sert de l’horreur pour parler d’autres thèmes bien plus humains : la guerre, les dilemmes moraux, les tragédies familiales, la maladie mentale, les mauvais traitements, la dépression… On peut parfois regretter que le jeu nous laisse avec une telle énigme à la fin, nous laissant un peu frustrés et perplexes sur ce que l’on peut comprendre du jeu. Et en même temps, il est toujours admirable d’avoir un jeu qui fait preuve d’autant d’audace dans ses thèmes, nous laissant l’interpréter sans nous prendre par la main, restant en équilibre avec son propos et son histoire.

Martha is Dead instaure une ambiance très noire et macabre, aidé de séquences cauchemardesques ou sanglantes ; une ambiance par ailleurs contrastée pendant les trois quarts du jeu par les paysages toscans, ensoleillés et sereins à souhait. La passion portée au jeu par ses développeurs se ressent parfois par des aspects plus « secondaires », comme les séquences du théâtre de marionnettes, le récit de la Mort ou le jeu du tarot divinatoire, où la direction artistique est mémorable, à la fois belle et ancrée dans l’époque de l’intrigue.

Le titre ne brille pas par la variété de son gameplay : il se rapproche énormément du walking simulator rigide avec sa vue subjective, et avec une maniabilité parfois fragile. De plus, il est parfois sujet à des bugs (manque de luminosité et contraste dans certaines zones, chutes dans le vide sous le jeu…), mais se démarque par sa beauté et son atmosphère. Il offre un thriller psychologique au suspens bien mené et où le contexte de la Seconde guerre mondiale, s’il reste en arrière-plan, est intégré avec intelligence, mêlant petite et grande Histoire avec finesse, avec une VO italienne parfaitement maîtrisée par Joy Saltarelli. Cependant, la fin déconcerte et laisse un peu sur sa faim. Le jeu n’échoue pas à nous faire réfléchir et à nous hanter après l’avoir fini, mais il lui manquait peut-être un peu plus de liant, de maîtrise et d’explicite pour réussir à nous emmener totalement. Martha is Dead est néanmoins une expérience singulière à la direction artistique réussie, dévouée à l’histoire personnelle de Giulia et à la thématique de la maladie mentale.

  • Marthia is Dead est disponible depuis le 24 février 2022 sur PC, Xbox et PS4-PS5.

 

2 Twitter

La fin d’une histoire est sans doute ce qu’il y a de plus compliquée à écrire et ce pour plusieurs raisons. L’auteur·trice peut se perdre dans son propre récit, au point de ne plus vraiment savoir comment la terminer, ou tout au contraire savoir exactement où il·elle va, mais n’est pas à l’image que le·la lecteur·trice s’imaginait. Qu’est-ce qui est alors réellement difficile ? Écrire la fin d’une histoire, ou la recevoir ? Et comment juger la première œuvre complète d’un·e auteur·trice lorsque cette personne a un univers complètement fou tel que celui de Tatsuki Fujimoto. La fin de Fire Punch m’a laissé complètement perplexe, je n’arrive pas vraiment encore à situer si j’ai aimé ou non l’ensemble de cette série, une chose est sûre, c’est qu’elle ne m’a pas laissé indifférent.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Les balbutiements d’un auteur

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

C’était vraiment intéressant de découvrir les œuvres de Fujimoto de cette façon. En commençant par Chainsaw Man, le tout entrecoupé de Look Back pour finalement arriver au dénouement de Fire Punch, qui est sa première œuvre « longue ». On sent très rapidement que le mangaka a gagné en maturité, aussi bien dans ses histoires que dans sa façon de les raconter. Après avoir lu l’ensemble de Fire Punch, j’arrive plus facilement à cibler ce qui m’a dérangé tout le long de cette série, non pas que l’histoire n’est pas intéressante, mais c’est surtout la froideur avec laquelle il l’a écrit et également les divers soucis de mise en scène. Très peu d’émotions se ressentent à travers les pages de ce récit, il y a certes quelques moments de grâce, mais dans l’ensemble, c’est froid, chirurgical, je n’ai pas ressenti d’impact émotionnel, peu importe ce qu’il se passait. Je pense que c’est notamment dû au héros. Fujimoto aime les personnages ambigus, ou ce que l’on peut appeler des personnages « gris ». Seulement, le fait que Fire Punch soit sa première œuvre se ressent terriblement à travers les personnages en question (là ou c’est bien mieux maîtrisé dans Chainsaw Man et Look Back). Leurs motivations sont moins claires, plus confus, par moment même, ils vont au-delà de leurs buts initiaux pour répondre simplement à une facilité scénaristique. Des changements de camps au dernier moment, un sacrifice qui n’a pas de sens, ce genre de problème récurant tout le long du récit.

Agni, le protagoniste, va au cours de son périple, et notamment lors de ces trois derniers tomes, payer pour tout ce qu’il a fait subir. Que ce soit à cause de dommages collatéraux, ou pour les actes de barbaries qu’il a sciemment commis. Et c’est seulement une fois que celui-ci se retrouve enfin en paix, qu’il se retrouve confronté à son plus grand ennemi : lui-même. Non pas qu’il soit à l’origine de ce qu’il a vécu, mais il est devenu, par la force des choses, pire que la personne qu’il s’était juré de tuer. Même la fin du récit, et donc ce qui est censé être l’accomplissement ou la rédemption du protagoniste, est assez étrange, cela devient même le reflet de ce personnage principal, perdu dans un vide complet.

Mais alors si la fin de Fire Punch est si particulière, si dérangeante, pourquoi a-t-elle autant fait parler d’elle à sa sortie ? Pourquoi Fire Punch est devenu aussi populaire, et à titre personnel, pourquoi cette série ne me laisse pas indifférent ?

L’évolution d’un genre

Je pense que la raison principale du succès de Fire Punch et notamment de son auteur, c’est la façon dont il maîtrise le média qu’est le manga. Il y a certes quelques problèmes de compréhension dans son histoire, mais là je parle véritablement du média en lui-même. On ressent que Fujimoto connaît les différents genres prépondérants du manga, ce qu’il réussit à faire avec ses œuvres, c’est d’utiliser tous les codes préétablis, les maitriser complètement pour les détourner, au point de permettre aux shonen/seinen d’évoluer. De proposer quelque chose de nouveau, d’atypique et ce malgré quelques faiblesses au cœur du scénario. On ressent la sincérité avec laquelle il écrit ses histoires, cette envie de créer quelque chose de nouveau que lui-même aurait voulu lire. Fujimoto est, à n’en pas douter, une personne passionnée et passionnante à découvrir à travers ses différents récits. Il a des messages qui lui sont propres, et même si cela peut ne pas plaire à tous, notamment avec l’écriture de cette fin pour le moins « lunaire », il est clair que nous n’avons pas fini d’entendre parler de lui. C’est un auteur à part entière, avec beaucoup de talent et qui en plus, gagne en maturité avec les nouvelles histoires qu’il écrit.

Découvrez les œuvres de Fujimoto. Fire Punch peut paraître assez obscur, voir compliqué à recevoir, mais il est une pierre fondatrice à ce que proposera le mangaka par la suite.

  • Les tome 1 à 8 de Fire Punch, sont édités par Kazé France et sont disponibles en librairies. 
0 Twitter

Ces dernières semaines sont sortis les tomes 6 et 7 de Chiruran, fresque historique, un des titres majeurs du catalogue Mangetsu, éditeur dont on sait l’intérêt pour les mangas qui abordent l’histoire du Japon. Dans son récit de la vie du héros japonais Toshizo Hijikata, le manga de Shinya Umemura et Eiji Hashimoto nous a fait traverser bien des émotions, malgré quelques temps morts, jusqu’à nous livrer une vraie leçon de mise en scène avec son tome 5. Le manga peut-il continuer sur cette lancée ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.

Fiction ou récit historique

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX All rights reserved

Plus que jamais Chiruran, avec ces tomes 6 et 7, joue avec les limites entre la fiction et l’histoire. Depuis les débuts du manga, je m’évertue à en louer les qualités tome après tome (comme vous pouvez le voir dans de précédentes critiques parues sur Pod’culture), pour un manga qui a su s’approprier l’histoire de Toshizo Hijikata, sorte de héros de l’histoire du Japon, afin d’en faire une épopée relativement classique dans le genre du shonen. Et au milieu de ces codes que l’auteur emprunte au genre, on trouve parfois de grands moments, des instants de grâce où Chiruran dépasse ce carcan pour coller plus que jamais au récit historique. Des moments où on nous livre une sorte de grande fresque médiévale où l’on assiste à des moments clé de l’histoire du Japon, de la chute de la féodalité et l’apparition d’un autre type de pouvoir. Et ces deux nouveaux tomes flirtent plus que jamais avec ces limites. Car si le manga continue d’assumer un côté plus grand public, notamment dans le tome 6 qui nous raconte une curieuse amitié (devenue rivalité) dont les shonen ont le secret, il y a aussi une forte insistance sur le fait historique. On y découvre ainsi un récit beaucoup plus calme, sans grands affrontements, plus orientés vers les luttes internes et manigances opérées pour écarter Toshizo Hijikata et son clan du commandement du Miburoshi gumi, l’alliance de samouraïs qui a vu son influence grossir dans la politique nationale.  C’est extrêmement bien écrit, montrant même une vraie amélioration par rapport aux tomes précédents, et cela permet de recentrer le récit sur l’influence du Miburoshi gumi dans l’évolution politique du Japon.

Ces deux tomes proposent en outre des chapitres spéciaux en fin de tome, qui visent à se concentrer sur des personnages secondaires qui gagnent en épaisseur et en intérêt, et ce afin d’étoffer une histoire qui ne cesse de s’étendre dans des dimensions assez inattendues. Le héros devient presque spectateur tant les débats dépassent sa personne, et plus généralement s’étendent bien au-delà du coin où il exerce son influence. Mieux encore, ces quelques chapitres apportent un regard différent sur les événements racontés, y compris sur des personnes du camp d’en face, des méchants, offrant un peu plus de subtilité et de nuance à un récit où l’on règle le plus souvent ses différends à grand coup de duel. Ce qui est particulièrement captivant, surtout, c’est la manière avec laquelle le mangaka restitue l’histoire de Toshizo Hijikata et de tous ses compagnons, avec des touches de shonen plus classique mais aussi en y incorporant un vrai sens du récit historique, avec un sérieux et une volonté assez claire de raconter les réussites et les erreurs de ceux qui ont marqué l’histoire du Japon. On sent un intérêt important pour cette période, une vraie volonté de jeter un regard différent dessus, et surtout une envie de se servir de l’histoire comme d’un tremplin à une fiction dramatique.

La question de la compréhension

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX All rights reserved

Cela a toutefois un inconvénient : l’auteur s’adresse essentiellement à un public qui connaît bien l’histoire du Japon et l’influence du Shinsen gumi, ainsi que les tenants et aboutissants des luttes de pouvoir au sein du Shogunat Tokugawa. On se retrouve plus que jamais submergé par les références à des lieux, des personnes, des événements qui ont réellement pris place dans l’histoire du Japon sans que l’auteur ne s’attarde trop à les expliquer ou, au moins, à les contextualiser. Cette avalanche d’informations nous perd un peu, et je dois avouer qu’à certains moments je me suis laissé prendre par la lecture en ayant bien conscience que la moitié des informations qui me sont jetées à la figure sont soit incomprises, ou seront peut-être assimilées un jour, si on revient dessus. Pas assez didactique, Chiruran se coupe ainsi parfois de cette attente pour la suite, caractéristique de ce qui nous donne envie de suivre un bon manga. Et ce parce que l’œuvre de Shinya Umemura et Eiji Hashimoto fonde parfois ses cliffhangers sur des éléments qui nécessitent une certaine compréhension et connaissance du contexte historique pour être parfaitement assimilés, ce qui rend l’approche plus difficile. Cela n’empêche toutefois pas de savourer l’essentiel du manga, puisque si j’ai déjà loué ses qualités narratives, ces deux tomes de Chiruran montrent aussi de belles choses sur la mise en scène des discussions, des oppositions sans combat, des moments de trahison et de tension, autant de choses qui montrent que Chiruran peut aussi briller visuellement en dehors des habituels combats.

En refermant le tome 7, je n’ai pas d’envie particulière de lire la suite, car les éléments qui ont été suggérés à la fin de celui-ci (censés générer l’attente) échappent en partie à ma compréhension, faute d’une connaissance extensive de l’histoire du Japon. Pourtant, je sais pertinemment qu’à l’image de toute la série, la suite devrait être de bonne facture, et je reste fan des choix narratifs ou de l’audace de mise en scène. C’est avec un sentiment toujours étonnant que j’aborde donc Chiruran, jamais impatient de m’y replonger, alors que j’en sors systématiquement très satisfait, avec l’impression d’avoir lu quelque chose de fort.

  • Le tome 6 de Chiruran est sorti le 2 février 2022, le tome 7 est sorti le 6 avril 2022. Les deux sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
0 Twitter

Bonjour à toutes et à tous ! Ici Reblys, et aujourd’hui je vous propose une petite nouveauté.

Il y a des œuvres dont j’ai envie de parler sans forcément les analyser en profondeur comme dans un Reflecto. En l’occurrence, ça a été le cas pour Necrobarista, visual novel sorti en 2019 sur PC, Mac, PS4, Switch ainsi qu’iPad et iPhone via Apple Arcade. Au delà de sa technique qui souffre un peu, son écriture et sa narration m’ont convaincu, et m’ont donné envie de partager mon ressenti avec vous !

J’ai voulu me créer une petite contrainte histoire de ne pas en faire une critique trop ordinaire. Voici donc trois mots qui pourraient résumer mon expérience sur ce jeu. J’espère que ce format vous plaira !

0 Twitter

Après avoir mis en lumière l’été dernier le très beau Lever de Soleil, on vous parle aujourd’hui de La Hyène, la Sorcière et le Garde-manger, un autre livre de chez YBY, excellente maison d’édition publiant de la littérature inclusive et prônant la diversité sous toutes ses formes (pour en savoir plus vous pouvez découvrir l’épisode de Chill Chat qui lui est dédié).

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du livre par l’éditeur

Dans le lointain royaume de Rosevelle, Gertrude est une princesse aux cheveux violets, et ce n’est pas leur couleur naturelle. Alors que ses sœurs se consacrent à la poésie, la peinture ou encore aux soupirs qu’elles poussent pour des jouvenceaux aux frais minois, Gert, comme elle préfère qu’on la nomme, est plutôt du genre à faire le mur pour aller ripailler avec le peuple aux rythmes des chansons endiablées de son groupe de ménestrelles favori ou encore s’encanailler en secret avec la jeune femme pour qui son cœur fait du tamtam et qui, accessoirement, est sa camériste. Mais Gert a un problème : Corvinia de Maleganza, seconde épouse du roi et forcément sorcière maléfique selon la princesse rebelle. Pour Gert, il est donc l’heure d’entrer en résistance et de déjouer les sinistres desseins de cette ténébreuse belle-mère. À ses risques et périls.

Avec son titre pas piqué des hannetons, La Hyène, la Sorcière et le Garde-manger pourrait faire croire à un pastiche. Il n’en est rien. Au lieu de tomber dans la caricature facile, Aeph, auteur de cette novella rock and roll illustrée par Codaleia (dont on conseille le compte instagram, notamment si vous êtes fan de Star Wars), nous mitonne ici un véritable conte truffé d’humour, d’amour pour les bons mots et de personnages qui ont du répondant.

En mariant le style et le vocabulaire des contes classiques avec une écriture plus moderne, dynamique et avec par moment une pincée de langage familier pour donner juste ce qu’il faut de piquant, Aeph nous emporte sans peine dans ce royaume où les princesses ne rêvent pas toutes de princes et où les bons plats peuvent révéler bien des surprises. Je ne vais évidemment pas en gâcher ici la saveur en dévoilant plus de choses qu’il n’en faut, préférant laisser les joies de la découverte aux lecteur·ice·s qui s’aventureront à Rosevelle.

Il me faut par contre mettre en lumière la galerie de personnages bien croqués auxquels on s’attache très vite ; probablement parce qu’on peut très facilement ressentir tout le plaisir qu’a l’auteur à les faire vivre. Gert est forcément au centre de l’histoire et son dynamisme et sa faconde sont un des moteurs du récit, mais les personnages qui l’entourent ne sont pas en reste. Tout ce petit monde évolue avec naturel et propose des passages qui vont du monologue introspectif au dialogue vaudevillesque (je pense notamment à une scène de cour absolument hilarante).

Et si le conte proposé est gentiment barré, il n’en oublie jamais de diffuser ses messages. Que ce soit sur la liberté d’être qui l’on est, d’aimer qui l’on veut, ou encore le questionnement sur la différence de classe sociale mais aussi sur les étiquettes qu’on colle sur les gens suivant leur apparence et les préjugés qui en découlent. Ces messages sont infusés dans le texte mais jamais martelés.

Tous ces ingrédients font de La Hyène, la Sorcière et le Garde-manger une œuvre qu’on prend plaisir à dévorer, une œuvre pleine de vitalité et de bienveillance dans la lignée de séries d’animation comme The Owl House ou Tangled, et l’on serait même un peu triste de quitter si rapidement la table de Gert et le royaume de Rosevelle.

Allez, Aeph, du rab s’il vous plaît ! Car, oui, avec de pareils mets, nous sommes toustes des glouton·ne·s.

  • La Hyène, la Sorcière et le Garde-manger de Aeph, illustré par Codaleia est disponible aux éditions YBY.
1 Twitter

Il semble futile de présenter Le Roi Lion. Pourtant, à mes yeux, il s’agit moins d’un succès historique et mondial, que du conte qui m’accompagne depuis que j’ai deux ans. Enfant, une partie de mon quotidien se résumait à regarder ou écouter Le Roi Lion. Comme toutes les œuvres puissantes que l’on rencontre jeune, le long-métrage Disney a véhiculé des messages qui ont encore – aujourd’hui – de fortes vibrations en moi. Je dirais même que, après avoir revisionné le dessin animé des dizaines (ou centaines ?) de fois, il m’enseigne toujours quelque chose. S’il est un peu tard pour me reconnaître dans le Simba enfant, les épreuves traversées par l’adulte me sont plus familières. C’est probablement pourquoi certaines scènes deviennent plus dures à visionner, au fur et à mesure que je vieillis ; à commencer par celle de la ruée des gnous. Vous l’aurez compris, Le Roi Lion est pour moi une œuvre intime et intemporelle, dont l’impact ne fait que se renforcer avec le temps, à l’image des grands crus. Il s’agit surtout d’une histoire que je connais par cœur, et dont j’attends chaque nouvelle itération au tournant.

Le Roi Lion : un film adaptable ?

L’histoire de la vie © The Lion King, 1997

Le remake réalisé par Disney, en 2019, a démontré que, en dépit de sa qualité technique indiscutable ; l’histoire n’était pas facile à raconter de nouveau. Ce long-métrage n’apporte que des nouveautés minimes et maladroites. Quant à ce qui est revisité, c’est identique voire plus pâle. Bien avant que ce remake ne voit le jour, Le Roi Lion avait été transposé en comédie musicale. La première représentation eut lieu à Broadway, en 1997. Il est légitime de se poser les mêmes questions : comment revisiter une histoire que la plupart des fans connaissent par cœur ? Comment apporter une plus-value à un film qui paraît, déjà, pour beaucoup, parfaitement abouti ?

Il faut croire que la comédie musicale a atteint cet objectif dans la mesure où elle a attiré plus de 110 millions de spectateurs et spectatrices, et a été traduite en neuf langues. Contrairement au remake de 2019, cette adaptation a l’avantage d’utiliser un média différent : la scène. Il s’agit d’un spectacle vivant. De plus, les créateurs ont tenté de bouleverser le genre du théâtre musical, en mélangeant la gravité théâtrale à la magie scénographique. Il en résulte une œuvre à la fois visionnaire et spectaculaire, qui parvient à se distinguer du film.

C’est en 2007 que la pièce de théâtre a été représentée pour la première fois en France, au théâtre Mogador. Elle conquit le public français et remporta pas moins de trois Molières. La traduction des paroles n’était pas la même que dans le film d’animation, ce qui était parfois perturbant, notamment à cause d’un registre de langue assez familier. Ce problème – si du moins c’en était un – a été résolu dans la version française reprise au théâtre Mogador, à Paris, depuis le mois de novembre 2021.

Une pièce ingénieuse et multiculturelle

Scar défie Mufasa © The Lion King, 1997

Il est impossible de parler plus amplement de la comédie musicale du Roi Lion sans mentionner le talent de Julie Taymor. Bien qu’elle n’ait jamais réalisé de spectacle à Broadway, avant la création du Roi Lion, en 1997 ; elle fit preuve d’un processus de création stupéfiant. Mécontente d’assurer la mise en scène du spectacle, Julie Taymor a sculpté elle-même les masques iconiques des lions. Elle a également contribué à l’élaboration des costumes, des marionnettes et même des chansons additionnelles. Il s’agit d’une artiste accomplie qui a tenu, de surcroît, à remettre les personnages féminins sur le devant de la scène. Ainsi, le mandrill Rafiki est incarné par une comédienne, à laquelle on peut ainsi attribuer la chanson L’histoire de la vie. Nala, l’amie d’enfance de Simba, est dotée d’une plus forte présence. 

Le Roi Lion, au cinéma, avait des inspirations multiculturelles. La musique pop d’Elton John et la bande originale d’Hans Zimmer contrastaient avec les chants et rythmes zoulous de Lebo M. La comédie musicale se veut autant hétéroclite, si ce n’est plus. Comme l’indique le livret du spectacle, les marionnettes sont inspirées du Bunraku (un type de théâtre japonais datant du XVIIe siècle) tandis que les chorégraphies sont, pour certaines, balinaises. Le chorégraphe jamaïcain Garth Fagan s’est autant inspiré de danses urbaines, contemporaines que classiques. Les danses en question ont une place prépondérante dans le show, tant pour implanter le décor que pour illustrer les chants, voire même les scènes de chasse ou de combat. Les danseurs et danseuses incarnent tour à tour des éléments de la nature ou des animaux. La gestuelle des lions est étonnamment réaliste, grâce aux mouvements amples des épaules des comédiens mais aussi à l’ingéniosité des masques. Si les masques de lion ressemblent à s’y méprendre à des coiffes et couronnes, ils coulissent vers le visage de l’interprète, au besoin et selon la position adoptée.

Des mélodies et personnages aussi cultes que surprenants

Nala et Simba se redécouvrent © The Lion King, 1997

La magie de la représentation prend vie grâce à la mise en scène et à la symphonie. La musique n’est pas assurée par une bande sonore mais bel et bien par un orchestre. Si quelques musiciens sont installés dans les loges près de la scène, les autres sont hors-champ et guidés par le chef d’orchestre. L’acoustique est aussi excellente qu’on peut l’attendre, au sein d’un théâtre à l’italienne.

A défaut de faire venir de vrais animaux sur scène, Le Roi Lion est doté de costumes et marionnettes spectaculaires, sur lesquels nous reviendrons plus tard. Tandis que les premières notes de L’histoire de la vie débutent, il est très impressionnant de voir arriver, de part et d’autre des sièges, les différents animaux de la savane, dont un éléphant ! Le bestiaire monte peu à peu sur scène tandis que les décors se déploient, dévoilant le Rocher du lion. L’immersion est instantanée et totale ; l’émerveillement inexorable.

Le spectacle est, comme on s’en doute, très fidèle au film d’animation. Toutes les chansons cultes sont reprises, à l’instar de Je voudrais déjà être roi. Comme dans le dessin animé, la mise en scène est volontairement plus enfantine, colorée et moins réaliste. Les animaux deviennent les complices de Simba et Nala afin de torturer et semer Zazu, dans une chorégraphie hautement fantasmée. La chanson Soyez prêtes se démarque plus de l’originale. Si les plans marquants sont restitués, à commencer par l’imagerie dénonçant le nazisme ; toute une partie instrumentale est ajoutée, afin de mettre en valeur la chorégraphie des hyènes. Je pourrais mentionner Hakuna Matata ou L’amour brille sous les étoiles, mais sans doute est-il plus intéressant de s’attarder sur des morceaux plus innovants voire inédits.

Tous ne sont pas musicaux, comme en témoigne la scène du cauchemar de Simba. Timon est victime d’un accident qui lui rappelle la mort de son père et qui exprime, de manière percutante, le traumatisme du roi déchu. La célèbre chanson du Roi Lion 2, Il vit en toi, a été intégrée au spectacle. Enfin, mes deux chansons inédites favorites sont interprétées par Nala et Scar. Au début de l’Acte II, le despote interprète La folie du roi Scar, résumant à quel point le royaume a sombré dans la misère et surtout le monarque dans la folie. Le roi Scar laisse son peuple dépérir, sans se remettre en question. Narcissique, mégalomane et toujours hanté par Mufasa, il se met en tête de faire de Nala sa reine, de gré ou de force. La lionne y voit une raison supplémentaire de s’exiler. C’est là qu’elle entonne la mélopée particulièrement émouvante : Terre d’ombre. Les personnages sont, de fait, brillamment développés.

Le casting de cette représentation est impressionnant. L’ensemble des interprètes affichent, de manière simultanée, leur savoir-faire dans les domaines du chant, de la danse et de la comédie. Si je ne devais trouver qu’un seul défaut à cette représentation, ce serait l’inégalité des scènes parlées. L’articulation ou les expressions faciales de certains comédiens n’étaient pas toujours optimales, et certaines visions des personnages m’ont interpellée. Même adulte, Simba paraît assez immature et capricieux, ce qui contraste avec la mélancolie et la rancœur du personnage, dans le dessin animé. J’ai en revanche été conquise par la présence plus forte de Nala ou le charisme incroyable de Scar, qui semble assez vulnérable et maniéré au début, avant d’avoir l’air de plus en plus tyrannique et fou. Il faut dire que certains comédiens n’en sont pas à leur coup d’essai. C’est Olivier Breitman qui a créé le rôle de Scar, en France, en 2007. Ntsepa Pitjeng-Molebatsi, qui prête sa voix incroyable à Rafiki, a, pour sa part, déjà campé ce rôle dans de nombreux pays.

L’inventivité des costumes et marionnettes

Les lionnes chassent © The Lion King, 1997

Cependant, les vraies stars de cette pièce sont les costumes et marionnettes. C’est précisément ce qui fait du Roi Lion une expérience révolutionnant le dessin animé, mais aussi le genre de la comédie musicale lui-même. J’ai beau adorer le théâtre musical et avoir vu de nombreuses représentations sur scène, (y compris dans le West End, à Londres) ; force est de constater que Le Roi Lion est un spectacle unique en son genre. Les créateurs du spectacle ont souhaité laisser les comédiens et mécanismes apparents au sein des costumes et marionnettes, afin d’engendrer ce qu’ils appellent un « événement double ». Bien que Le Roi Lion mette en scène exclusivement des animaux, le public ne perdra ainsi jamais de vue la dimension humaine des messages véhiculés. De plus, cela permet de stimuler l’imagination des spectateurs et spectatrices.

Les marionnettes, inspirées du théâtre japonais, rivalisent d’ingéniosité, tout en proposant des tableaux tous plus magnifiques les uns que les autres. A titre d’exemple, les antilopes prennent vie grâce à la « roue à gazelles », sorte de bicyclette dont les roues sont ornementées de silhouettes en forme d’antilopes. Une fois le mécanisme en action, le résultat est redoutable.

Les costumes des personnages principaux sont hautement réfléchis. Rafiki doit autant avoir l’air d’un mandrill que d’un chaman sud africain, c’est pourquoi elle ne porte pas de masque, mais un maquillage imposant et des accessoires hétéroclites. Le masque de Mufasa représente un lion, certes, mais aussi une couronne. La crinière circulaire fait penser au Roi soleil ou au Cycle de la vie. Le masque et le maquillage de Mufasa sont très symétriques, en opposition avec ceux de Scar. Cette asymétrie évoque l’instabilité mentale de Scar, dont les sourcils ne sont pas à la même hauteur et dont l’un est barré d’une cicatrice. Le despote fratricide possède un costume évoquant à la fois une armure de samouraï et une silhouette squelettique. Alors que la plupart des membres de la troupe et surtout de la famille royale sont des interprètes de couleur, il est de tradition que Scar soit incarné par un acteur blanc. Si certains comédiens évoluent dans des costumes énormes, à l’image de Pumbaa, d’autres ont l’air de marionnettistes, comme Timon et Zazu, lesquels donnent vie aux petits animaux comme s’ils étaient une extension d’eux-mêmes. Il y aurait encore beaucoup à dire sur les marionnettes et costumes. Si, par exemple, le masque de Simba rappelle celui de son père, il est assez différent. La crinière s’inspire, cette fois-ci, d’antiques casques romains.

Verdict

Le Roi Lion est un chef-d’œuvre cinématographique. La comédie musicale naquit peu de temps après le film. Si elle est jouée en continu depuis des années, dans certains pays, elle peine davantage – et sans surprise – à se faire une place en France, où le public est moins sensible au théâtre musical. Elle n’est pas méconnue, bien sûr, notamment grâce aux extraits qui sont souvent représentés à Disneyland Paris. Au reste, il est étonnant que ça ne soit que la deuxième fois qu’elle soit interprétée en France, depuis sa création. Il s’agit d’un spectacle aussi grandiose qu’on peut l’imaginer, mais surtout visionnaire, notamment grâce à la créativité débordante de Julie Taymor. Le spectacle multiculturel excelle tant au niveau de la mise en scène que des musiques et chorégraphies. Les passages inédits apportent un approfondissement des personnages voire une relecture de l’histoire fascinants. Mais si la comédie musicale est spectaculaire et unique en son genre, c’est bel et bien grâce au ballet de ses costumes et marionnettes tous plus ingénieux les uns que les autres. Je ne peux que vous conseiller de découvrir ce spectacle vivant et complet, au moins une fois dans votre vie. C’est la promesse d’un moment frissonnant, émouvant et surtout d’une expérience que vous n’oublierez jamais. Ça tombe bien : à moins qu’il ne soit prolongé, Le Roi Lion sera représenté au théâtre Mogador jusqu’au 31 juillet 2022.

  • Le Roi Lion est une comédie musicale jouée au Théâtre Mogador, à Paris, de novembre 2021 à juillet 2022. 
2 Twitter

On découvrait fin janvier l’univers DC Infinite, enfin arrivé en France aux éditions Urban Comics. Cette nouvelle ère du monde de DC Comics promettait une révolution et, surtout, un bon point d’entrée pour les nouveaux lecteurs et nouvelles lectrices qui voudraient se lancer dans la continuité. En effet, avec toutes les séries relancées au tome 1, c’est le moment idéal pour y aller. Et comme promis, on suivra chaque mois ces séries pour voir ce qu’il en est ; c’est ainsi que cette deuxième chronique s’attarde sur les quatre comics estampillés Infinite qui sont sortis au mois de février 2022 (on a un peu de retard, certes), en attendant de voir ce que le mois de mars nous réserve. Au programme : le retour de Harley Quinn, du Joker, mais aussi une nouvelle vie pour Nightwing et des questions sur l’avenir de Superman.

Cet article a été rédigé suite à l’envoi de copies dématérialisées des tomes par Urban Comics.

Harley Quinn Infinite – Tome 1, pour l’amour de Pam

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Au fil des dernières ères DC (New 52/Renaissance et Rebirth), Harley Quinn s’est peu à peu affranchie de l’emprise du Joker sur sa vie, lui offrant une stature nouvelle mais aussi des revendications différentes dans la continuité. Devenue iconique, grande figure de la pop culture, l’héroïne a pu s’extirper de l’ombre du Joker pour se créer sa propre histoire. Un récit qui lui est propre et qui aborde autant ses traumatismes que des revendications féministes, incarnant même désormais une alliée de Batman. Un changement qui peut sembler radical pour Harley Quinn, mais qui est finalement assez naturel et dans la logique du personnage. Si celle-ci a longtemps été une « vilaine » de l’univers DC, elle a souvent gardé un bon fond, et bon nombre d’auteur·ice·s du personnage se sont évertué·e·s à pointer l’emprise toxique du Joker sur Harley, faisant de lui le responsable de la plupart de ses actes. C’est donc un personnage qui a souvent, au fond, été ambigu, et qui incarne aujourd’hui des valeurs positives.

Celle qui était autre fois une « vilaine » dans l’univers DC devient peu à peu une héroïne, et c’est évidemment un thème central encore avec l’ère Infinite où Harley Quinn assume pleinement sa volonté de devenir une héroïne auprès de la Bat-family, ce doux nom accordé aux héro·ïne·s qui portent la chauve-souris sur le torse. Si Harley n’en est pas encore au point de revêtir un tel costume, elle cherche tout de même à montrer qu’elle a changé et qu’elle est capable de faire le bien autour d’elle, ce qu’elle tente de faire dans ce premier tome en partant à la rescousse des anciens sbires du Joker, des citoyen·nes de Gotham « changé·es » en criminel·les pendant les événements de Joker War. Ces personnes désemparées, qui ne se reconnaissent plus, sont pourchassées par Hugo Strange, fraîchement allié du nouveau maire de Gotham dans un programme de réhabilitation qui cache des horreurs. Au-delà de la confrontation avec le vilain, ce premier tome raconte la quête de rédemption de Harley Quinn qui se lance dans une aventure extrêmement dangereuse pour tenter de changer l’image qu’elle renvoie auprès de la ville, et pour tenter de faire le bien après avoir elle-même participé à la destruction de Gotham. Confrontée aux conséquences de ses actes passés, la nouvelle héroïne est bien obligée d’assumer et de grandir, de comprendre ce qu’elle était pour aller de l’avant.

Très finement racontée par Stephanie Phillips et avec des dessins tout à fait charmants de Riley Rossmo, Harley Quinn gagne encore en profondeur dans un nouveau rôle qui lui sied définitivement bien. Sans en faire l’héroïne idéale à la Wonder Woman, l’autrice du comics insiste sur les erreurs de Harley pour mieux la faire rebondir et lui offrir cette seconde chance qu’elle attend depuis longtemps. On y découvre d’ailleurs même un team-up avec Catwoman qui s’avère terriblement mignon, et qui est l’occasion d’évoquer l’amour de Harley Quinn pour Poison Ivy, un élément qui semble s’annoncer comme le fil conducteur des prochains tomes. Car au-delà du bien que souhaite faire autour d’elle Harley, c’est son amour, sincère, pour Pamela Isley (Poison Ivy) qui semble guider son cœur et qui la pousse à se dépasser. Mais celle-ci a disparu, et Harley tente ce qu’elle peut pour ne pas l’oublier, avec l’espoir de la retrouver un jour. Ce premier tome est vraiment séduisant, on sent la volonté d’amener le personnage un peu plus loin et de dépasser peu à peu la simple idée de rédemption pour lui offrir de nouveaux objectifs, avec des valeurs fortes d’acceptation de soi et de féminisme, et c’est absolument génial, coloré et malin. Je conseille chaudement.

Joker Infinite – Tome 1, traque au soleil

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Après les événements Joker War et le Batman qui rit, l’influence du Joker sur Gotham s’est considérablement réduite. Si on lui attribue (pour le moment) l’attaque du jour « A » à l’asile d’Arkham, où la plupart des pensionnaires ont été tués (voir Batman Infinite – tome 1), il reste introuvable.  Et pour cause, le Joker est en exil. On découvre alors dans ce premier tome que l’histoire est plutôt centrée sur l’ex-Commissaire Gordon, désabusé après avoir quitté la police, sans véritable but dans sa vie et qui s’interroge sur ce qu’il laissera comme héritage. Alors qu’il n’a jamais vraiment oublié les traumatismes que le Joker lui a fait subir, ainsi qu’à sa fille Barbara Gordon (The Killing Joke), une mystérieuse femme s’approche de lui pour lui faire une offre : traquer et tuer le Joker, en échange de 25 millions de dollars. Une offre à laquelle il réfléchit sérieusement, car si l’idée de tuer quelqu’un de sang-froid lui a toujours été difficile, la figure horrifique du Joker, pour tout le mal qu’il a fait, le fait sérieusement douter. Plus encore, il se demande s’il n’en est pas arrivé au point dans sa vie où il n’a plus rien à perdre, et s’il ne serait justement pas préférable d’éliminer le Joker pour que l’avenir soit un peu plus radieux pour celles et ceux qui l’entourent.

Débute alors un récit dans l’esprit traumatisé de Gordon, avec une mise en scène qui lorgne très clairement du côté de l’horreur, où Gordon se lance dans une traque terrible de son ennemi de toujours à travers le monde, sans être encore certain de ce qu’il fera face à lui. A ses côtés, sa fille Barbara, qu’il prend de court en lui révélant qu’il sait depuis bien longtemps qu’elle est Oracle/Batgirl, profitant ainsi de ses lumières pour pouvoir retrouver le plus grand vilain de l’histoire de Gotham. Cette dimension familiale donne une touche très émouvante à un récit qui n’est jamais lourdingue quand il évoque The Killing Joke, malgré tous les travers de ce vieux récit, au contraire de l’effroyable Trois Jokers. Il a la capacité de raconter quelque chose de presque « nouveau » sur le Joker, alors que je partais franchement pas motivé à la lecture : si le Joker est un personnage emblématique, il est éculé et il semble qu’on ait déjà tout dit sur lui. Omniprésent dans l’univers étendu de Batman, le clown peine à évoluer et devient une facilité pour les auteur·ice·s dès qu’il s’agit de raconter une grande menace sur Gotham. Mais en déplaçant l’histoire en dehors de la ville, vers d’autres pays (entre Amérique du Sud et la France), James Tynion IV arrive à renouveler l’ensemble et montre qu’il saisit parfaitement les enjeux du monde de Batman, comme il le montrait déjà dans le premier tome de Batman Infinite.

Ce récit à la fois policier et horrifique est plutôt intéressant, même si l’ersatz de Bane qui nous est servi en guise de rebondissement n’est franchement pas une réussite pour le moment. J’ai toutefois passé un super moment à la lecture dans un récit qui multiplie les surprises, et qui se révèle même parfois touchant quand il évoque la relation père-fille de Gordon et Barbara. La mise en scène de Guillem March, qui s’oriente vers l’horreur, accomplit quelques jolies prouesses, notamment dans les premiers chapitres avec un Joker qui inspire une peur certaine. Ensuite, il profite d’un récit qui s’oriente vers les vilains les plus « crados » de Gotham pour insister un peu plus sur une ambiance poisseuse et parfaitement inquiétante, montrant qu’au-delà des vilains farfelus, Gotham regorge aussi de personnages absolument écœurants. Peut-être pas à mettre entre toutes les mains, sans échapper pleinement au phénomène d’overdose que l’on peut ressentir avec le Joker, ce tome n’en reste pas moins plutôt sympathique et je suis curieux de voir ce que la suite nous réserve.

Nightwing Infinite – Tome 1, Dick Grayson au grand cœur

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Alfred Pennyworth est mort. Le majordome de Batman est décédé il y a déjà quelques temps dans la continuité de DC Comics, et on découvre dans ce premier tome qu’il a décidé de léguer à Dick Grayson (Nightwing) l’intégralité de sa fortune. Une richesse insoupçonnée qu’il a amassé aux côtés de Bruce Wayne, ce dernier lui ayant confié des actions dans son entreprise, permettant au majordome historique de la Bat-family de devenir milliardaire. À cela se pose une question : mais pourquoi avoir continué à servir Wayne ? Une question qui trouve vite réponse dans un tome plutôt touchant, à l’occasion d’une scène où Dick Grayson se voit remettre la lettre de celui qu’il considérait depuis comme son père adoptif. Car si la relation de Dick Grayson avec Bruce Wayne a toujours été compliquée depuis que ce dernier l’avait recueilli à la mort de ses parents (et entraîné jusqu’à devenir Robin), Alfred lui représentait cette figure paternelle, bienveillante, dont avait besoin Dick. Et c’est pour cette raison qu’il prend vite une décision évidente : ces milliards, s’il devait les utiliser uniquement pour lui, ne serviraient à rien. Pour rendre honneur à Alfred, il doit faire le bien autour de lui.

Dans ce formidable monde un peu naïf où les riches décident de (véritablement) faire le bien dans le monde plutôt que de s’enrichir en appauvrissant le reste du monde, Dick Grayson devient alors une sorte de philanthrope qui n’a que le bien en tête. Mais avant ça, il se retrouve confronté à une ville à l’abandon, sa ville de Blüdhaven, qu’il tente de sauver de l’influence de la famille mafieuse Maroni et du super-vilain Blockbuster, qui ont la mainmise sur les autorités. C’est alors un récit aux forts accents familiaux qui nous est offert, où Dick redécouvre ses origines et s’allie à son amour de toujours, Barbara Gordon, sur fond d’enquête sur un mystérieux serial killer qui vole les cœurs de ses victimes. Il y aborde la vie sous un angle nouveau et porte un regard différent sur sa ville, réalisant qu’il a désormais les moyens d’aider tous·tes les gamin·es à la rue. Pour ça, il doit réapprendre qui il est, lui qui a vu sa vie complètement chamboulée après avoir perdu la mémoire dans différents événements précédemment.

C’est un comics particulièrement bien raconté et je dois avouer avoir adoré, alors qu’habituellement les aventures de Nightwing ont tendance à me passer au-dessus de la tête. Il y a quelque chose de sincère qui fait beaucoup de bien, et une bienveillance importante qui s’en dégage, comme si, à la manière de Harley Quinn, le héros incarnait une nouvelle manière de voir les choses chez DC Comics. Souvent associé à des univers froids et violents, l’éditeur tente aussi d’insister sur ce type de personnages qui tentent de changer les choses pour le meilleur, sans tomber dans une pleine naïveté que l’on associe habituellement à Wonder Woman et Superman. Et pour l’illustrer, c’est Bruno Redondo qui offre à l’histoire de Tom Taylor un dessin dynamique et plein de bonnes idées, même s’il a parfois tendance à référencer à outrance -parfois à la limite de la copie- le Hawkeye de David Aja, jusque dans sa manière d’illustrer le mouvement case par case les moments où Nightwing utilise ses bâtons. Un style que s’approprie Redondo, avec sûrement moins de qualité, mais qui fluidifie la lecture et offre quelques bons moments. A voir ce qu’il en sera sur la durée, et si l’hommage ne se transforme pas en plagiat.

Superman – Tome 1, l’héritage de Superman

© 2021 DC Comics / 2022 Urban Comics

Superman (Clark Kent) est-il encore utile à la Terre ? La question est osée mais elle est d’une importance capitale, dans un premier tome où Philipp Kennedy Johnson n’hésite pas à égratigner l’homme d’acier en annonçant d’emblée qu’il a perdu une part de ce qui le rendait invincible. C’est alors que le Warworld, sorte de planète satellite où règne en maître le sanguinaire Mongul décide d’envahir la Terre pour éliminer Superman et ses proches. Mais la confrontation n’est pour le moment pas directe, elle repose plutôt sur un doute mis dans la tête des personnages avec l’arrivée de ce qui semble être des kryptonien·ne·s, population décimée dont vient Superman, sur lesquel·le·s se posent des doutes et des menaces. Notamment aux yeux de Jon, le fils de Superman, qui au cours de divers événements passés a pu voyager dans le futur et sait qu’à partir de ces événements, il n’y aura plus aucune mention de son père dans les livres d’histoire. Serait-ce la date de sa mort qui approche, ou bien va-t-il disparaître pour une autre raison ?

La question de l’héritage se pose naturellement à ces personnages, sur ce que Clark Kent va laisser à son fils Jon, mais également la capacité de ce dernier à prendre sa relève. Pour protéger la Terre, mais aussi pour le remplacer du côté de la Ligue de Justice, sur sa capacité à faire face à tous les périls qui se montreront à lui et sur sa maturité pour ne pas succomber à la violence. Un peu comme pour introduire le Superman Son of Kal-El, centré sur Jon, qui sortira le mois prochain, ce premier tome de Superman Infinite pose les bonnes questions pour favoriser l’émancipation d’un nouveau Superman. Et c’est l’occasion de rappeler que l’homme d’acier est un personnage plus nuancé qu’il n’en a l’air, lui qui a toujours l’image d’un personnage unidimensionnel mais qui porte pourtant en lui de nombreux doutes, de nombreux espoirs aussi, tandis que son fils a déjà un caractère affirmé qui diffère de son père. Plus impulsif mais aussi peut-être plus empathique, il incarne le futur de DC Comics.

Sur la forme, le récit verse dans l’épique avec la menace incarnée par l’horrible Mongul, tandis qu’une crise diplomatique se dessine en toile de fond entre Atlantis et les États-Unis. C’est, sur ce point là, un récit relativement classique pour Superman et franchement loin d’être captivant. Mais l’essentiel n’est pas là tant ces séquences ne sont que des prétextes pour raconter la succession qui s’organise entre Clark et son fils, et c’est sur ce point que Philipp Kennedy Johnson s’en sort le mieux. Avec des dialogues forts, même si on pourrait presque enlever une partie de l’histoire tant il y a de moments superflus qui parasitent un récit souvent mal équilibré, qui part un peu dans tous les sens et qui peine à se recentrer sur l’essentiel.  C’est hasardeux, et c’est bien moins maîtrisé que les autres comics dont on a parlé plus tôt dans cet article, mais c’est à l’image de tout ce que l’on a lu de l’ère Infinite jusqu’à maintenant : ça promet tout de même de belles choses. Alors on va prendre notre mal en patience et attendre la suite pour voir si la bonne dynamique entre Clark et Jon se maintient.

  • Les comics Harley Quinn Infinite, Nightwing Infinite, Joker Infinite et Superman Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics depuis le 25 février 2022.
1 Twitter

C’est après presque 5 ans jour pour jour que la suite du très bon Horizon Zero Dawn, sort enfin sur les consoles de Sony. Horizon Forbidden West développé par Guerrilla Games et édité par Sony Interactive Entertainment, nous propose de continuer les aventures d’Aloy. Après une quête identitaire, pour comprendre ses origines, son statut de paria, le but de son existence et à côté de tout ça, empêcher la fin du monde suite à un soulèvement d’une IA, Aloy se trouve confrontée à une nouvelle menace que l’on croyait éteinte. Le jeu qui se déroule six mois après les événements du premier volume, emmène Aloy dans l’Ouest Américain, afin de comprendre d’où vient cette menace, et si elle est vraiment celle que l’on croit.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur. Le jeu a été parcouru sur PlayStation 5.

Un univers riche d’histoires

©2022 Guerrilla. « Horizon Forbidden West », « Guerrilla » are trademarks or registered trademarks of Sony Interactive Entertainment Europe. All Rights Reserved.

L’une des plus grandes forces de la saga Horizon est son univers. Tout nous pousse à vouloir en découvrir plus, qu’il s’agisse des interrogations des personnages, ou des différents vestiges du passé que l’on peut explorer. Car oui, une fois n’est pas coutume dans le monde du jeu vidéo, en plus de l’histoire qui nous est contée, le lore de ce monde post-apocalyptique s’enrichit grâce aux différents collectables disséminés dans ce grand open-world. Cela va aussi bien d’un message audio enregistré avant l’effondrement, que des différentes boîtes noires, jusqu’aux reliques que le·la joueur·euse sera amené·e à découvrir lors de son périple. Tout un tas de textes, sur des moments de vies ou encore sur la société telle qu’elle était avant le « Zero Dawn » (événement qui mit presque fin à l’humanité). Autant le dire, j’espère que vous aimez la lecture, car vous serez servi·e ! Mais ce n’est pas tant en ça que l’univers d’Horizon apporte quelque chose de différent et de nouveau, c’est plus autour des machines et de la raison de leur existence que je trouve que l’univers brille. Il faut savoir que toutes les machines ont été créées dans le but d’aider à la terraformation, et proposer ainsi une nouvelle Terre, sur laquelle il ferait bon vivre. Évidemment, rien ne se passera comme prévu, et les machines développeront une indépendance complète, au point même d’attaquer les humains et autres êtres vivants. Cependant, Forbidden West nous prouvera à plusieurs reprises que les machines, peuvent aussi apporter une aide aux humains, notamment en les aidant pour de l’agriculture, sans pour autant les pirater.

Ce second opus nous ouvre aussi à trois nouveaux grands peuples, bien différents les uns des autres, et vivant en « paix » seulement parce qu’ils sont obligés de vivre de transactions entre eux afin de survivre. Ces peuples sont bien plus intéressants et mis en avant que lors du premier opus, cela apporte un plus non négligeable au développement de l’univers. Malgré la menace qui pèse sur eux, leur intérêt est avant tout la survie de leur village. Très clairement, la mission d’Aloy n’est pas leur priorité, et là où ça aurait pu passer pour un acte antipathique, l’écriture du jeu est suffisamment bien faite pour apporter des conclusions à chaque arc narratif de ces peuples et ainsi développer pour le·la joueur·euse une empathie et une appréciation des différents personnages qui nous sont présentés.

Une écriture de personnages plus intéressante

©2022 Guerrilla. « Horizon Forbidden West », « Guerrilla » are trademarks or registered trademarks of Sony Interactive Entertainment Europe. All Rights Reserved.

Ce qui pour moi faisait défaut au premier Horizon, c’est l’écriture des personnages, aussi bien principaux que secondaires. En effet le traitement d’Aloy dans Zero Dawn était très basique, c’est une élue, elle doit accomplir ce pourquoi elle a été « créée » et derrière elle coche toutes les cases du monomythe, à savoir :

« Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à son prochain. »

Joseph Campbell

Ce qui n’est pas un mal en soit, beaucoup d’œuvres s’appuient sur ce mythe avec plus ou moins de succès. Le revers de l’utilisation de ce procédé d’écriture, c’est que le personnage en devient unidimensionnel. J’ai eu beau apprécier Aloy dans Horizon Zero Dawn, elle ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. C’est en écrivant ces quelques lignes que j’en viens à penser que l’utilisation de ce procédé amène certes beaucoup de facilité lors de l’écriture, mais rend le personnage vraiment pauvre, et c’est là qu’interviennent généralement les suites. Car oui, l’évolution d’Aloy dans Horizon Forbidden West n’a eu de cesse de m’impressionner tout le long de l’aventure. On sent que le travail d’écriture du personnage a été bien plus poussé, et il y avait tout intérêt à le faire, notamment au vu des aventures et des rencontres qu’elle vit dans l’Ouest américain. Le premier bon point pour l’écriture est d’avoir mis de côté le fait qu’elle soit une élue, ici, elle va choisir de continuer à sauver le monde, ça ne sera plus une quête qui lui est imposée, mais un choix. Sa personnalité continue d’évoluer au point même d’avoir à faire des choix moraux, qui auront des conséquences, à long terme, aussi bien d’un point de vue à échelle humaine, que mondiale. On retrouve donc Aloy, un personnage que l’on a su apprécier avec une personnalité déjà forte, mais avec ce petit quelque chose en plus, qui la rend plus humaine, plus réelle.

Par ailleurs, ce n’est pas la seule à avoir subi une telle évolution, tous les personnages, qu’ils soient secondaires ou tertiaires ont énormément gagné dans l’écriture. Ils possèdent tous un but, une personnalité qui leur est propre, et s’éloignent totalement de l’univers très lissé du premier opus. C’est notamment lorsque l’on ressent un attachement fort vis-à-vis des personnages secondaires, que l’on en vient à être heureux pour eux, que je me rends compte que le travail d’écriture est un véritable succès. Je continuerai à me souvenir assez longtemps de ces personnages souhaitant découvrir une ville incroyable par le passé, ou encore le rêve de certains de comprendre ce message diffusé par ondes radio. Tous, en dehors des PNJ de services (vente et achat etc…) ont leur histoire, leur quête qui leur est propre. Alors oui, c’est le cas pour 90% des jeux, mais dans l’univers d’Horizon, il est clair qu’un gros travail sur l’écriture a été accompli.

Une réalisation qui n’a pas été oubliée

©2022 Guerrilla. « Horizon Forbidden West », « Guerrilla » are trademarks or registered trademarks of Sony Interactive Entertainment Europe. All Rights Reserved.

Outre l’amélioration sur l’écriture des personnages et de son histoire, car il est vrai que je me suis essentiellement concentré sur les protagonistes mais l’histoire n’est pas en reste, c’est aussi dans sa réalisation que Guerrilla Games a su s’améliorer et proposer une mise en scène bien plus soignée. Là ou Horizon Zero Dawn proposait des plans, champ-contrechamp, lors des phases de dialogues, dans Forbidden West il n’est plus question de ce genre de plan de caméra. Au contraire celle-ci propose des points de vues bien plus intéressants et vivants. Entre le fait de tourner autour des personnages, de prendre des angles de vue plus travaillés, et le tout accompagné d’une animation et donc d’une gestuelle bien plus organique et humaine pour tous les personnages.

Les cinématiques sont quant à elles toujours aussi somptueuses et même plus encore. Toujours dans une optique d’amélioration de la saga, Guerrilla Games propose des séquences bien plus longues, et encore une fois bien plus travaillées dans leur réalisation. Toujours plus spectaculaires ou au contraire, bien plus intimistes quand il faut l’être.

C’est assez agréable de voir que beaucoup des critiques qui ont pu être faites sur le premier opus ont été corrigées avec cette suite, et notamment au sujet du game design et fatalement du gameplay. Beaucoup de nouvelles features ont été ajoutées à ce monde post-apocalyptique, ce qui permet de renouveler les phases de gameplay. Je pense notamment au grappin, qui apporte une amélioration à la verticalité du game design, la fameuse voile que l’on retrouve dans beaucoup de monde ouvert depuis un certain jeu, mais également des phases d’explorations sous-marines, ou encore d’autres surprises que je vous laisserai découvrir tant ces dernières sont vraiment chouettes et agréables à prendre en main !

Une suite et fin…?

Comme vous pouvez le comprendre avec cette critique, j’ai beaucoup aimé Horizon Forbidden West. Peut-être pas pour ce qu’il propose en tant que jeu, mais bien plus pour ce qu’il propose en tant qu’histoire et développement des personnages. Tout y est vraiment bien mieux maîtrisé que dans le premier opus.

J’irai même un peu plus loin en parlant de la chasse aux trophées, car oui je suis un fervent chasseur de ces petites récompenses numériques. Certes Forbidden West est composé de tout ce qui se fait de classique dans un open-world, entre les quêtes fedex, les contrats pour tuer des créatures bien spécifiques etc… Et également pour tout ce qui est de points d’intérêts et de collectables à récolter. Mais à une différence des autres open-world, il n’est pas nécessaire de toute récolter. Alors ok, il ne s’agit là que d’un point très mineur à soulever, mais il est toujours intéressant de voir qu’un développeur ne va pas pousser inutilement la durée de vie de son jeu, pour les plus complétistes d’entre nous.

Autre point assez triste pour cette saga, telle une malédiction qui se perpétue : les jeux sont souvent évincés par la sortie d’un autre. Ce fut le cas pour Zero Dawn, et c’est le cas avec Forbidden West. Alors toute proportion gardée évidemment, ça reste de très gros AAA, avec un public fidèle et dont les ventes sont très bonnes. Mais dans cette société qui passe rapidement à autre chose, je trouve ça dommage que les sorties de jeux tels que ceux-là, soient dans une telle compétition. Laissez-vous tenter par l’aventure qu’est Horizon Forbidden West, vous serez accompagné·e par des personnages vraiment attachants, une histoire agréable à suivre, et surtout, un cliffhanger ultra maîtrisé, qui me pousse à attendre fébrilement le troisième opus de cet univers post-apocalyptique rempli de grosses bébêtes mécaniques assez spéciales.

  • Horizon Forbidden West est sorti le 18 février 2022 sur PS4 et PS5.
1 Twitter

Alors que Tatsuki Fujimoto s’est fait connaître avec Fire Punch en 2016 et plus récemment sa série à succès Chainsaw Man en 2018, dont vous pouvez trouver les différentes critiques sur Pod’Culture, il revient avec une histoire courte qui sort complètement des univers loufoques qu’il a pu créer précédemment. D’un réalisme fou, d’une beauté et d’une profondeur sans pareil dans l’ensemble de ses œuvres, Fujimoto nous conte l’histoire de deux jeunes mangakas a en devenir à travers son nouveau récit : Look Back.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

Un slice of life réaliste

Comme je le disais dans l’introduction, l’histoire de Look Back s’implante dans une réalité qui pourrait être la nôtre. L’histoire de ces deux jeunes filles qui dessinent des planches de manga pour le journal de leur école. Deux protagonistes que tout oppose, l’une, Fujino, étant populaire au sein de sa classe et l’autre, Kyômoto, vivant recluse chez elle, à cause d’une anxiété sociale qui l’empêche de venir en cours. Il y a également cette rivalité que ressent Fujino, car force est de constater que Kyômoto dessine bien mieux qu’elle, au point de recevoir une remarque d’un jeune garçon, qui poussera l’élève populaire à se couper du monde, pour dessiner jour et nuit afin de s’améliorer, quitte à en perdre sa popularité.

Le destin va pousser les deux dessinatrices à se rencontrer, échanger et finalement travailler ensemble sur plusieurs projets d’histoires courtes. Je n’en dirai pas plus pour l’histoire en elle-même, le tome étant déjà très court, il serait dommage d’en divulgâcher d’avantage, sachez simplement que l’histoire est très loin d’être clichée et vous touchera sans aucun doute comme elle a pu me toucher. Car c’est avant tout une histoire de relations humaines, forte et impactante établie sur plusieurs années, que nous propose Fujimoto à travers ce récit. Il suffit d’un rien pour qu’une personne rentre dans notre vie et la change à tout jamais, que ce soit personnellement ou professionnellement. L’auteur a réussi à mettre en avant une relation basée sur plusieurs années de vie des ces deux jeunes femmes, les poussant l’une et l’autre à se surpasser et ça en à peine quelques pages. Il y a une telle émotion et une complicité si forte qui se dégage de cette histoire, que je me suis retrouvé vraiment peiné d’arriver à la fin de ce manga.

Une émotion doublée d’introspection

LOOK BACK © 2021 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Au-delà de l’écriture sur la relation entre Fujino et Kyômoto, il y a un léger message sur le monde de l’édition et de la compétition entre les auteurs qui est intéressant. Je pense que si Fujimoto avait voulu faire une histoire longue, il aurait sans doute beaucoup plus développer ce point-là, mais ce n’est pas le centre de son histoire. Ceci étant dit, et pour rester sur le fait que ce soit une histoire courte, lorsque j’ai lu ici et là, qu’il a écrit Look Back pour se « reposer » entre les deux parties de Chainsaw Man, j’en viens à penser qu’il est peut-être fatigué des univers complètement loufoques qu’il écrit. De ce fait la proposition qu’il nous offre ici avec ce nouveau manga, est peut-être une nouvelle ère du mangaka, plus posée et plus dans l’émotion qu’il souhaite partager.

Ce n’est pas la première fois que je vous parle de mon amour pour les arts et plus spécifiquement de la représentation de celle-ci dans les œuvres de fiction. Plusieurs mangas se sont essayés à parler de la condition de mangaka au Japon, avec brio pour certains, et avec beaucoup plus de difficulté pour d’autres. Mais Look Back fait partie de ceux qui ont clairement réussi, même si ce n’est pas le propos principal de cette histoire et si ce n’est présent qu’en tâche de fond. Une chose est cependant sûre, lire un récit de Fujimoto à la croisée d’un slice of life,  seinen, rempli d’émotion, avec une très légère pointe de fantastique, ça ne peut qu’annoncer de l’excellent à venir.

Donc oui, je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur Look Back. C’est extrêmement différent de ce qu’a pu proposer le bonhomme auparavant, cela pourra en laisser certains de côté, notamment ceux qui s’attendent à une plongée dans la folie et dans ce qu’il y a de plus sombre de l’être humain, mais faites-lui confiance, et laissez-vous porter par cette belle petite histoire, touchante et malgré tout extrêmement bienveillante. Aussi bien pour son lectorat que pour la vision à la limite de l’introspection sur le monde de l’édition du manga au Japon.

  • Look Back est édité par Kazé France et est disponible en librairies. 
0 Twitter